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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du lundi 8 octobre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Denis Baupin

1. Programmation et gouvernance des finances publiques

Présentation

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques

Motion de rejet préalable

M. François Asensi

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget, M. Marc Dolez, M. Pierre-Alain Muet, M. Étienne Blanc, M. Charles de Courson, Mme Barbara Pompili

Motion de renvoi en commission

M. Gaby Charroux

M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale, Mme Karine Berger, M. Étienne Blanc, M. Charles de Courson, M. Christophe Cavard, M. François Asensi

Rappel au règlement

M. Charles de Courson

Discussion générale

M. Marc Dolez

M. Gilles Carrez

Suspension et reprise de la séance

M. Charles de Courson

M. Christophe Cavard

M. Paul Giacobbi

M. Pierre-Alain Muet

M. Jean-Marc Germain

M. Guy Geoffroy

M. Éric Alauzet

M. Jean-Noël Carpentier

Mme Marion Maréchal-Le Pen

Mme Seybah Dagoma

M. Étienne Blanc

Mme Annick Girardin

M. Christophe Caresche

Mme Marietta Karamanli

M. Thierry Mandon

M. Charles de La Verpillière

Mme Valérie Rabault

M. Philip Cordery

M. Dominique Lefebvre

M. Éric Straumann

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Denis Baupin,
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Programmation et gouvernance des finances publiques

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques (nos 198, 244).

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques est un texte qui tire les conséquences du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, en termes de gouvernance de nos finances publiques et les incorpore dans le droit français.

Nous nous dotons avec ce texte d’une boîte à outils commune, utile pour le pilotage des finances publiques, partagée par l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. Vos travaux, au sein de la commission spéciale, l’ont utilement enrichi.

Je vous prie de bien vouloir m’excuser car je ne pourrai assister à l’ensemble de la discussion ; je dois partir après cette intervention pour la réunion de l’Eurogroupe, qui se tient à Luxembourg. J’y serai même un peu en retard.

Avant tout, je voudrais écarter certaines idées reçues ou préconçues, dire ce qu’est ce texte, dire aussi ce qu’il n’est pas, pour faire comprendre ce qu’il apporte et pourquoi il représente un progrès. Ce projet de loi organique, j’y insiste, n’introduit aucune obligation nouvelle de fond en matière d’équilibre budgétaire, en particulier – je sais que certains d’entre vous y sont sensibles – il n’énonce pas de règle d’or en tant que telle.

M. Charles de Courson. Hum, hum !

M. Pierre Moscovici, ministre. Les innovations qu’il propose sont d’ordre procédural. Elles permettront de réformer les outils de programmation et de gouvernance des finances publiques autour de trois grands chapitres : la rénovation des règles d’élaboration de nos lois financières, la création d’un Haut Conseil des finances publiques et l’introduction d’un mécanisme de correction.

Le projet de loi organique ne se conçoit d’ailleurs pas seul. Au niveau national, il fait partie d’un ensemble de lois financières actuellement en discussion devant cette assemblée. Je pense au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, qui anticipe la réforme organique et fixe, sur la législature, la trajectoire de redressement de nos comptes, dans la justice, par un partage équilibré de l’effort entre la maîtrise de la dépense des administrations publiques et les recettes, dans le cadre d’une réforme fiscale qui préserve notre potentiel de croissance. Et il y a bien sûr le projet de loi de finances.

Surtout, ce texte doit être examiné au regard d’un ensemble plus vaste, d’un paquet européen qui inclut aussi le Pacte pour la croissance et l’emploi, puisque, au Conseil européen des 28 et 29 juin, le Président de la République a obtenu de nos partenaires qu’ils déplacent le centre de gravité de la construction communautaire en rendant toute leur place aux initiatives en faveur de la croissance. C’est sur ce paquet global que doit porter votre appréciation.

Avant d’entrer dans le détail du projet, je voudrais commencer en vous redisant ceci : le Gouvernement a fait le choix du sérieux budgétaire. C’est le choix du Président de la République et du Premier ministre. Nous en sommes responsables et garants, avec Jérôme Cahuzac, et nous sommes comptables de sa mise en œuvre devant cette assemblée et le Sénat. Mais en dernière analyse, c’est auprès de nos concitoyens que notre responsabilité est engagée, car ce sont eux qui ont choisi cette voie, celle du redressement dans la justice ; c’est pour eux que nous déployons notre programme économique et c’est à eux que nous devons rendre compte de nos résultats.

J’ai entendu les interrogations de certains, ici, à propos de l’impact du TSCG, dont la loi organique est la traduction concrète, sur notre souveraineté. J’ai eu l’occasion d’y répondre de manière détaillée, avec Jérôme Cahuzac, en audition, devant la commission spéciale. Mais soyons clairs sur un point : la France s’est engagée dans la maîtrise de ses finances publiques, et ce ne sont pas les traités qui nous l’imposent. C’est un impératif pour la France, ce sont les engagements présidentiels pris devant les Français, et nous les assumons.

Nous les assumons parce que la dette est l’ennemie de l’économie et des services publics, l’ennemie aussi de la souveraineté du pays. Elle est l’ennemie de l’économie et des services publics parce qu’elle nous empêche de dégager des marges de manœuvre pour financer les politiques publiques, en particulier afin de combattre les inégalités. Mais elle est aussi l’ennemie de la souveraineté du pays parce qu’un pays dont les finances publiques dérapent se place de facto dans la main des marchés. Nous avons, autour de nous, des pays dont les finances publiques se sont dégradées, soit par laisser-faire soit par impuissance ; ils en ont payé le prix : la hausse des taux d’intérêt, qui met leurs États, leurs collectivités locales, leurs entreprises à genoux, et ils le payent encore. Et laissez-moi vous dire ceci, pour ceux qui en douteraient : aucun pays n’est moins souverain qu’un pays que son niveau d’endettement expose à l’emprise des marchés.

Ne nous trompons donc pas de combat. Ni l’Europe ni le TSCG ne sont la source de nos maux. C’est la dette que nous devons combattre, précisément pour mettre en œuvre un programme de redressement.

Dès lors que nous visons l’équilibre des comptes en fin de mandat, à l’horizon 2017, d’où peuvent venir les inquiétudes ? Je l’ai dit de manière très claire en audition : le traité ne fait pas de l’équilibre budgétaire un absolu. Il prend en compte les circonstances économiques qui contraignent les États. Il n’impose aucune correction automatique de la trajectoire de nos comptes. Il permet un pilotage des comptes publics qui évite les écueils d’un éventuel surajustement en période de croissance faible, voire de récession ; c’est ce qu’on appelle les circonstances exceptionnelles. Et surtout, le traité ne dit rien de la voie à emprunter pour tendre vers l’équilibre. J’y insiste : le Gouvernement a fait sien l’objectif d’équilibre budgétaire en fin de mandat, mais nous voulons atteindre cette cible en réintroduisant justice et équité dans notre système fiscal. Le redressement dans la justice, telle est notre feuille de route. C’est la voie que nous avons choisie, c’est celle qui donne sens à la trajectoire de finances publiques que nous suivons.

J’en viens à présent au projet de loi organique lui-même, que vos travaux ont utilement complété et enrichi. Je saisis cette occasion pour vous remercier des échanges qu’avec Jérôme Cahuzac nous avons eus avec vous sur ce texte, remerciements que j’adresse à l’ensemble de la commission spéciale, en premier lieu à son rapporteur et à son président. Ces échanges ont été bénéfiques pour tous. Ils nous ont permis d’améliorer la qualité de nos dispositions organiques, et les éclairages, précisions et inflexions que cette assemblée a apportés au texte en affinent le contenu.

Je l’ai dit, le projet de loi organique, c’est une boîte à outils pour le pilotage des finances publiques, partagée, j’y insiste, par l’ensemble des administrations publiques : l’État, bien sûr, mais aussi les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. Il s’articule autour de trois grands chapitres : une révision de la structure des lois financières, la création d’un Haut Conseil des finances publiques et l’introduction d’un mécanisme de correction.

Je veux souligner de nouveau que vous ne trouverez dans ce projet que des règles de procédure, pour la simple et bonne raison qu’une loi organique ne peut établir de règles de fond ; ces lois sont fatalement des lois de procédure. C’est d’ailleurs ce qui fait la spécificité de notre approche : là où la majorité précédente voulait inscrire une règle d’or dans la Constitution, ce qui aurait soumis l’ensemble des lois financières à un contrôle mécanique, rigide, de cette règle et réduit de facto le Parlement au rôle de simple expert-comptable de la République, le Gouvernement a souhaité soumettre à la représentation nationale un dispositif qui n’énonce pas de règle d’or mais préserve les prérogatives et vivifie les débats du Parlement.

Ces règles de procédure, quelles sont-elles ? La première chose que l’on trouve dans ce projet de loi organique, ce sont des règles pour l’élaboration de nos lois financières : lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale.

Le projet institue en effet un pilotage structurel des finances publiques, c’est-à-dire que nos objectifs seront désormais exprimés en termes de solde structurel ou, en d’autres termes, de solde corrigé des aléas de la conjoncture. Les lois financières suivront désormais une structure différente, qui intégrera la question du respect d’un « objectif de moyen terme » pour les finances publiques, défini dans les lois de programmation des finances publiques. Cet objectif prendra la forme d’une cible de solde structurel pour les comptes de l’ensemble des administrations publiques.

Pour faire très schématique, après les savants débats que vous avez eus en commission sur ce thème, les lois de programmation décriront la trajectoire de retour à l’objectif de moyen terme des finances publiques, à l’instar de la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques en cours d’examen au Parlement. Ces lois de programmation seront établies sur trois ans au moins. Le Gouvernement a proposé que chaque loi de finances intègre un tableau de bord qui permette au Parlement de vérifier le respect de cette trajectoire pour l’année à venir, l’idée étant, bien sûr, de soumettre à l’examen du Parlement une information à la fois plus lisible et fortement enrichie.

Vos travaux ont permis de préciser ou de renforcer la cohérence des dispositions que nous avions proposées dans ce chapitre. Le texte issu des travaux de votre commission spéciale intègre, en sus de la trajectoire de solde structurel, la trajectoire d’effort structurel dans le corps même des lois de programmation des finances publiques plutôt qu’en annexe ; il me semble que c’était une proposition du président de la commission des finances. Si le traité requiert d’exprimer la trajectoire en termes de solde structurel, le concept d’effort structurel, calculé, pour faire bref, comme la somme des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires et de l’« effort en dépense », reflète plus fidèlement encore que le solde structurel la partie des finances publiques directement pilotable par le législateur, ou ce qu’on appelle dans le jargon des finances publiques la « composante discrétionnaire » des finances publiques. Je suis favorable à cet ajout, qui renforcera la transparence et la lisibilité de la trajectoire.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Très bien !

M. Pierre Moscovici, ministre. Le texte issu de votre commission spéciale propose aussi d’expliciter que les lois de programmation des finances publiques doivent se conformer à un principe de sincérité. Cela allait de soi, même si c’est mieux de préciser, tout comme il va de soi que le Gouvernement fait sien ce principe, de manière générale, dans l’élaboration des lois financières.

L’intégration, dans les lois de règlement, d’un tableau de synthèse toutes administrations publiques confondues, analogue à celui prévu pour les lois de finances et les lois de finances rectificatives, pourrait accroître l’intérêt de vos débats sur les lois de règlement. Il est entendu que les données disponibles dans le calendrier de dépôt de ces lois ne pourront être techniquement parfaites, mais il est certainement utile qu’il y ait dans vos travaux, avant l’été, ce point d’étape sur l’exécution des prévisions « toutes administrations publiques » de l’année écoulée.

Un mot, enfin, concernant la possibilité d’inscrire dans les lois de programmation des finances publiques des règles d’encadrement des finances locales, sujet qui a été très présent dans vos débats. L’article 4 du projet prévoit de telles règles d’encadrement pour les différentes catégories d’administrations publiques. Je veux vous assurer que cet article ne soulève aucun problème de constitutionnalité, y compris au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Le Conseil constitutionnel l’a explicitement précisé dans sa décision du 9 août 2012 ; et le Conseil d’État a confirmé cette analyse. En outre, il nous semble que de telles dispositions constituent un élément important de l’approche « toutes administrations publiques » organisée par le traité et qu’elles sont nécessaires pour un pilotage effectif de notre trajectoire des finances publiques. Il y a donc là un facteur d’équilibre qu’il faut préserver.

La deuxième innovation qu’introduit le projet de loi organique, c’est la création d’un Haut Conseil des finances publiques. Il aura deux responsabilités : tout d’abord, vérifier la fiabilité des prévisions macro-économiques, ce qui contribuera à éclairer pleinement le Parlement ; deuxièmement, se prononcer sur le respect de la trajectoire des finances publiques à moyen terme. Le Gouvernement proposait que ce Haut Conseil soit composé de quatre magistrats de la Cour des comptes et de quatre membres désignés par les présidents des assemblées et les présidents des commissions des finances, et présidé par le Premier président de la Cour des comptes. La commission spéciale a longuement débattu de sa composition. Vous connaissez le principe qui a guidé l’approche du Gouvernement sur ce point, et nous y tenons fondamentalement : le Haut Conseil doit être indépendant, c’est-à-dire composé de personnalités dont l’indépendance et le rapport à l’exécutif sont d’une clarté totale, pour éviter toute forme de confusion. Mais pour le reste, notre position est une position de sagesse, qui laisse place aux suggestions de la représentation nationale dès lors que ce principe d’indépendance est respecté et que l’équilibre général des propositions est fidèle à l’esprit du texte. À ce titre, nous accueillons favorablement la possibilité, pour le président du Haut Conseil, d’être entendu à tout moment à la demande des commissions parlementaires parce que cela va dans le sens de la transparence et de l’amélioration de la qualité de l’information du Parlement que nous défendons au travers de ce projet de loi organique.

Troisième innovation : ce texte organise un mécanisme dit de correction. À l’occasion de la préparation du désormais traditionnel débat d’orientation sur les finances publiques, le DOFP, le Haut Conseil pourra alerter publiquement le Gouvernement et le Parlement s’il s’avère que les écarts entre la trajectoire des finances publiques visée et la trajectoire effective se creusent. Ce calendrier vise évidemment à permettre au Parlement de bénéficier de l’éclairage du Haut Conseil avant que n’intervienne le DOFP. Ainsi, le débat pourra s’engager sur la manière de remédier à ces écarts en tenant compte, le cas échéant, de circonstances exceptionnelles. Le Gouvernement devra tenir compte de l’avis du Haut Conseil dans les lois financières suivantes et s’expliquer ensuite devant le Parlement, mais j’insiste sur le fait que les règles européennes ne disent pas que la correction doit automatiquement et mécaniquement s’ensuivre. Pour être plus précis : le caractère automatique du mécanisme de correction prévu par le traité et repris dans le projet de loi organique réside uniquement dans son déclenchement. Ensuite, seul le législateur financier, c’est-à-dire cette assemblée et le Sénat, pourra, sur proposition du Gouvernement, définir les voies et moyens d’effectuer cette correction. Je vous redis que les prérogatives du Parlement ne sont en rien altérées. C’est notamment pour cette raison précise que le Conseil constitutionnel a jugé, le 9 août dernier, que la mise en œuvre du traité « ne porte aucune atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ». C’est une précision fondamentale. Le projet de loi organique respecte totalement et le Parlement, et la souveraineté nationale.

J’ai conscience de la complexité législative introduite par l’intégration des mécanismes européens aux temps parlementaires nationaux ; j’ai conscience aussi de l’attachement de la représentation nationale à sa maîtrise de l’exercice budgétaire. Nous sommes attentifs à ses attentes et je souhaite que nous puissions travailler ensemble à une meilleure lisibilité des échéances financières. C’est d’ailleurs dans cette optique que le traité lui-même, en son article 13, se réfère à une conférence interparlementaire. Il s’agit là d’un enrichissement du rôle du Parlement qui contrôlera mieux l’application des règles européennes, et ce qui permet un meilleur contrôle est en définitive, vous le savez, mesdames, messieurs les députés, un progrès démocratique.

Je note également que votre commission spéciale a tenu à affirmer le droit du Parlement de s’exprimer sur la gouvernance économique et budgétaire européenne, au-delà même des outils dont il dispose déjà dans la Constitution, en prévoyant par exemple la possibilité d’organiser des débats parlementaires sur les documents produits par le Gouvernement et par les institutions européennes au titre de la coordination des politiques économiques et budgétaires. C’est une aspiration à laquelle souscrit évidemment le Gouvernement.

Je vous ai donc présenté un projet de loi organique qui propose un cadre alliant souplesse, puisque le pilotage structurel nous permettra à l’avenir de laisser jouer les stabilisateurs automatiques, éventuellement contracycliques, ce qui est plus intelligent que de raisonner strictement en déficits nominaux, et robustesse, avec un mécanisme de correction et un Haut Conseil qui offrent des gages de crédibilité.

Enfin, sachons aussi regarder au-delà de nos frontières.

Nous ne sommes pas seuls en Europe et nos partenaires vont, eux aussi, mettre en œuvre le TSCG. Cela va nous permettre de partager des points de repères et des outils de travail avec eux, en réparant par là une des défaillances de la gouvernance européenne que la crise a mise cruellement en lumière. L’intégration du traité dans le corps législatif national des États membres va contribuer, j’en suis persuadé, à rétablir la confiance ; or confiance et lisibilité sont des ingrédients décisifs et indispensables pour le retour de la croissance en Europe. La ratification du traité par nous-mêmes et par nos partenaires va directement contribuer au rééquilibrage de la construction européenne en faveur de la croissance souhaité par le Président de la République, et qui est un axe fondamental du Gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Le Président de la République, François Hollande, avait défini pendant la campagne un agenda européen fondé sur trois principes : tout d’abord, le sérieux budgétaire, et il est là ; l’ajout d’une dimension de croissance à la construction européenne, et elle est présente ; enfin, l’absence de règle d’or dans la Constitution, et c’est ce que ce projet de loi organique permet. Les termes de ce contrat proposé aux Français, et validé par eux à travers l’élection présidentielle puis les élections législatives, sont respectés. Le projet de loi organique, enrichi par ce que nous sommes bien sûr prêts à retenir de vos travaux, ne remet pas en cause la souveraineté nationale et il préserve le rôle du Parlement en nous donnant et en vous donnant des outils plus performants pour mettre en œuvre l’engagement de retour à l’équilibre des finances publiques prévu par l’article 34 de notre Constitution, point sur lequel le Conseil constitutionnel a insisté. J’espère dès lors qu’après la grande qualité des travaux, très consensuels, qui furent ceux de votre commission spéciale, que ce texte utile et de bon sens, ce progrès, fera l’objet d’une approbation très large de votre assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale.

M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, la semaine dernière, nous avons débattu ici même des perspectives de la ratification du TSCG. Nous en venons aujourd’hui à une nouvelle étape : celle de la transposition du traité dans notre droit interne. Plus précisément, c’est son article 3 qu’il s’agit de mettre en œuvre. Cet article prévoit que les États membres doivent maintenir leur déficit structurel à moins de 0,5 % de leur produit intérieur brut. La notion de déficit structurel a certes suscité bien des discussions techniques puisqu’elle suppose au préalable de s’accorder, et c’est la question la plus importante, sur le niveau de croissance du PIB potentiel. Mais cette notion nous permet de gérer nos finances publiques plus intelligemment que le solde nominal. L’approche structurelle a le mérite de mettre l’accent sur les marges de manœuvre dont disposent réellement les États pour redresser leurs comptes publics, indépendamment des aléas de la conjoncture.

La voie choisie pour appliquer le TSCG est la loi organique. Je sais que certains d’entre vous regrettent que le Gouvernement n’ait pas fait le choix d’une révision constitutionnelle. Mais nous avons toujours été clairs sur cette question : sous la précédente législature, l’actuelle majorité avait voté contre le projet de loi constitutionnelle sur l’équilibre des finances publiques préparé par le Gouvernement d’alors, et pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait clairement écarté toute idée de règle d’or. Juridiquement, nous avons été confortés dans notre analyse par le Conseil constitutionnel. En effet, dans sa décision du 9 août dernier, il a estimé qu’il y avait deux voies possibles de transposition du traité : l’une contraignante et nécessitant une révision constitutionnelle ; l’autre plus souple et pouvant être effectuée par la loi organique. C’est donc ce dernier choix que nous proposons aujourd’hui. J’ajoute que la France est loin d’être le seul État à privilégier une pareille voie : beaucoup de nos partenaires européens ont également choisi d’appliquer le TSCG par le biais de normes législatives plutôt qu’en modifiant leur Constitution. De plus, je souligne à l’intention de ceux qui louent le frein à l’endettement figurant depuis 2009 dans la Constitution allemande, que ce n’est pas cela qui a permis à l’Allemagne de tenir en ordre ses finances publiques puisque quand cette révision constitutionnelle avait été préparée, les comptes publics allemands étaient d’ores et déjà à l’équilibre ! On ne pouvait pas, à la même époque et encore moins aujourd’hui, en dire autant de la France !

Je passerai rapidement sur les grandes orientations du projet de loi, que le ministre vient d’exposer mieux que je n’aurais pu le faire. J’insiste cependant sur un point : ce texte instaure des règles de procédure en vue d’accompagner le retour à l’équilibre structurel, et non pas des règles définissant par avance notre politique budgétaire. Au total, l’ensemble des exigences procédurales découlant du texte constitue moins une obligation de résultat qu’une obligation de moyens. Comme pour la LOLF et comme lors sa révision en 2005, notre assemblée a fait le choix de constituer une commission spéciale pour l’examiner. Je m’en réjouis, je salue l’esprit dans lequel elle a travaillé et j’en remercie son président, Jean-Jacques Urvoas, qui a permis le bon déroulement de ses travaux. Je remercie aussi tous les collègues qui y ont participé car ils ont fait preuve d’écoute, su être une force de proposition et parfois accepter le compromis pour que nous aboutissions à un texte d’équilibre.

Beaucoup de commissions étaient directement intéressées par le projet : la commission des finances, pour des raisons évidentes – elle vient d’ailleurs d’examiner jeudi dernier le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 ; la commission des lois au premier chef, en raison du caractère organique du texte et des questions qu’il pose en termes de hiérarchie normative ; la commission des affaires sociales puisque les finances sociales représentent une composante essentielle de nos comptes publics ; la commission des affaires étrangères, qui a eu à connaître du projet de ratification du traité et dont la présidente est vice-présidente de la commission spéciale, de même que le président de la commission des finances ; enfin, la commission des affaires européennes, qui suit, et c’est normal, de très près toutes les questions liées à la coordination des politiques budgétaires et économiques dans la zone euro. C’est pour cette raison que le choix a été fait de procéder à la constitution d’une commission spéciale, dont je vais vous rapporter les principales conclusions.

Cette commission a bien sûr auditionné les ministres Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac, ici présents. Elle a ensuite longuement débattu du texte et elle l’a finalement assez largement approuvé. Elle l’a aussi sensiblement amélioré, dans un esprit qui m’a paru consensuel, ce dont je me réjouis, certains amendements cosignés ou ayant le même objet émanant d’une partie de la majorité et d’une partie de l’opposition.

En particulier, la commission a retenu, dans leur lettre ou leur esprit, plusieurs amendements proposés par le président de la commission des finances, Gilles Carrez, dont je souligne l’esprit constructif.

La commission spéciale a modifié et enrichi le texte sur six points que je voudrais rapidement développer.

Premièrement, la commission spéciale a enrichi le contenu des lois de programmation des finances publiques, par exemple en donnant plus d’importance à la mesure de 1’effort structurel, en explicitant – et en demandant au Gouvernement d’expliciter – les modalités de calcul du solde structurel évoqué précédemment, mais aussi en décomposant l’effort structurel selon qu’il porte sur les dépenses ou les recettes.

Deuxièmement, notre commission spéciale a consacré le principe de sincérité des lois de programmation des finances publiques. Cela va de soi, me direz-vous. Pour autant, dans le cas des lois de programmation, ce principe n’existait jusqu’alors que dans une jurisprudence du Conseil constitutionnel – d’ailleurs récente, puisque datant du 9 août 2012 – alors qu’elle est clairement prévue dans des textes organiques s’agissant des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

Troisièmement, notre commission s’est penchée sur la composition du Haut Conseil des finances publiques. Il est vrai qu’elle n’a pas réussi à dégager une solution suffisamment consensuelle pour être d’ores et déjà inscrite dans le texte issu de ses travaux. Cela étant, et les débats en application de l’article 88 me confortent en ce sens, je crois pouvoir dire que, conformément à mon engagement, certains amendements permettront de répondre à l’avis quasi-unanime qui s’est exprimé lors des travaux en commission.

C’est ainsi que notre collègue Christophe Caresche devrait nous proposer un amendement visant à prévoir une audition par les commissions des finances des personnes nommées au Haut Conseil par les présidents des assemblées et par les présidents des commissions des finances, conformément au texte initial du Gouvernement.

Je vous proposerai moi-même, par un autre amendement, d’élargir la composition du Haut Conseil au directeur général de l’INSEE et à un membre désigné par le président du Conseil économique, social et environnemental.

Mme Karine Berger et Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. Christian Eckert, rapporteur. Cela permettra de renforcer l’expertise et la diversité des profils au sein de ce Haut Conseil, même si, naturellement, ses membres seront désignés en raison de leurs compétences dans le domaine des finances publiques et des prévisions économiques.

Quatrièmement, notre commission spéciale a renforcé le rôle du Haut Conseil des finances publiques. Nous avons introduit un délai d’au moins une semaine entre la saisine du Haut Conseil sur les projets de loi de programmation des finances publiques et sur les projets de loi de finances initiale et la saisine du Conseil d’État sur ces mêmes textes, de façon à garantir que le Haut Conseil sera en mesure de travailler dans un délai raisonnable. Espérons d’ailleurs que, par voie de conséquence, ce sera aussi le cas de la commission des finances.

Nous avons étendu la compétence du Haut Conseil en matière de projets de loi de finances rectificative, sans pour autant rendre son avis obligatoire. Alors que le texte initial se limitait à l’appréciation de leur cadrage macroéconomique, le Haut Conseil pourra également examiner leur contenu budgétaire.

Nous avons introduit la possibilité d’une saisine du Haut Conseil au cours de l’examen parlementaire d’un projet de loi de programmation des finances publiques, dans l’hypothèse où le Gouvernement réviserait ses prévisions macroéconomiques, ce qui peut arriver.

Cinquièmement, la commission spéciale a très largement réorganisé la procédure dite de correction des écarts à la trajectoire d’évolution de nos finances publiques. Nous avons souhaité, d’un commun accord avec le président de la commission des finances, faire remonter plus tôt dans l’année cette procédure, afin de revaloriser le débat annuel sur la loi de règlement et ainsi de mieux respecter l’idée de chaînage vertueux promue par la LOLF.

C’est dès le stade de la loi de règlement, donc avant le 1er juin, que le Haut Conseil des finances publiques devra rendre son avis sur les résultats de l’exercice précédent et sur les éventuels écarts. Le Gouvernement devra alors exposer les raisons de ces écarts. Ensuite, au moment du débat d’orientation des finances publiques, donc fin juin, le Gouvernement devra présenter les mesures de correction qu’il envisage. Ces mesures seront décrites dans le rapport que le Gouvernement dépose en vue de ce débat.

Ce calendrier permettra au Parlement de disposer de plus de temps pour analyser les écarts constatés en loi de règlement – si toutefois il y en avait – et de participer, environ un mois plus tard, au débat d’orientation des finances publiques.

Enfin, le Gouvernement devra tenir compte d’éventuels écarts importants au plus tard dans le prochain projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale de l’année.

Sixième et dernier point : comme le voulaient beaucoup de nos collègues, notre commission spéciale a souhaité renforcer l’information du Parlement sur la gestion de nos finances publiques.

Ainsi, l’avis du Haut Conseil sur le projet de programme de stabilité devra être rendu public au moins deux semaines avant la date limite de sa transmission à Bruxelles. L’objectif est de permettre au Parlement de disposer de cet avis lorsque le Gouvernement lui soumettra le projet de programme de stabilité.

Les commissions parlementaires pourront auditionner quand elles le souhaitent le président du Haut Conseil des finances publiques.

Enfin, la commission spéciale propose de créer, en annexe de chaque projet de loi de finances initiale, un rapport présentant l’ensemble des données intéressant les finances publiques. Il ne s’agit pas d’un nouveau rapport mais d’une fusion de très nombreuses annexes aujourd’hui éparses. Ce document permettra d’éclairer le vote du Parlement sur l’article liminaire des lois de finances – créé par cette loi organique – et lui offrira une vue à la fois globale et détaillée des comptes publics. Il aura aussi l’énorme avantage de préserver un peu plus nos belles forêts françaises.

Sans créer de contrainte juridique excessive pour le législateur budgétaire, le projet de loi organique qui nous est soumis organise une procédure efficace de la programmation des finances publiques et de correction en cas de dérapage des comptes publics.

Soulignons-le, anticipant sur son adoption définitive, la commission des finances a d’ailleurs modifié le projet de loi de programmation qui lui était soumis jeudi dernier pour intégrer d’ores et déjà les améliorations adoptées par la commission spéciale dans le projet de loi organique.

En conclusion, mes chers collègues, et en ayant respecté scrupuleusement mon temps de parole, je vous demande donc, au nom de la commission spéciale, d’adopter ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Vous avez même fait mieux : votre intervention fait une minute de moins que le temps prévu.

M. Christian Eckert, rapporteur. Vous l’affecterez au remboursement de la dette, c’est la règle !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique dont nous sommes saisis aujourd’hui est un modèle d’équilibre et de sophistication juridiques.

Il est donc juste de commencer ce propos par un hommage soutenu aux concepteurs de ce texte aussi subtil qu’important. Ils se sont inscrits dans ce vaste mouvement de constitutionnalisation du droit budgétaire et financier qui est l’une des plus importantes mutations qu’aient connues les finances publiques.

L’exercice n’était pas simple. Il ne le fut d’ailleurs jamais.

Ainsi, pourrait-on utilement relire les débats qui accompagnèrent, en 1790, le rapport « fait au nom du comité de l’imposition concernant les lois constitutionnelles des finances » par le député de Metz, le comte de Roederer.

Ce dernier faisait déjà le lien entre les finances et la Constitution, et il avait une vision extrêmement dérogatoire de la séparation originelle des pouvoirs qui témoignait déjà de la difficulté de faire concorder le pouvoir politique et le pouvoir financier. Nos échanges vont, je n’en doute pas, résonner de ces débats vieux de 222 ans.

Ayant ainsi remercié Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac pour la finesse de leur texte, je souhaite aussi saluer leur disponibilité sans défaut et la qualité des échanges avec les parlementaires.

Lors de la réunion que nous venons de tenir, en application de l’article 88, j’ai aussi noté l’absence d’amendements gouvernementaux…

M. Charles de Courson. Ce n’est pas comme pour les éoliennes !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. …ce que j’interprète comme une marque supplémentaire de respect à l’égard du travail fait en commission. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Comme président de la commission des lois, je veillerai à cette pratique, qui fut aussi celle de Christiane Taubira sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, en espérant quelle devienne une habitude. On ne peut pas vanter les mérites du travail en commission et se comporter ensuite comme s’il n’avait pas existé.

Je veux évidemment y associer notre rapporteur Christian Eckert et ceux qui l’ont accompagné dans cette tâche difficile. Il a travaillé dans des délais extrêmement contraints, alors même que la proximité de l’examen de loi de finances initiale lui donnait déjà suffisamment d’ouvrage.

Enfin, je remercie l’ensemble des collègues membres de la commission spéciale qui ont participé très activement à nos réunions, mercredi dernier, et plus particulièrement Gilles Carrez, président de la commission des finances, dont l’expertise a été un atout. Ce n’est pas toujours le cas mais, en l’espèce, il fut une vraie valeur ajoutée pour la commission spéciale. (Sourires)

J’en viens aux trois remarques que je souhaitais faire en qualité de président de cette commission spéciale.

Parlons d’abord de la complexité des normes. Nos débats ont montré que la question de la hiérarchie entre la loi organique, les lois de programmation et les lois de finances ou de financement de la sécurité sociale posait de nombreuses difficultés à certains collègues.

Le droit dit pourtant – pour une fois ! – les choses assez simplement. Comme l’ont déjà indiqué Pierre Moscovici et Christian Eckert, il suffit de reprendre la décision du Conseil constitutionnel du 9 août dernier. On peut y lire, dans le considérant 24, une référence explicite à l’article 34 de la Constitution qui apporte la réponse évidente : une loi organique est une loi de procédure.

À ce titre, dans le cas d’espèce, elle doit préciser – confer le considérant 23 – trois caractéristiques majeures : ce doit être une référence tout au long du processus budgétaire ; elle doit être permanente ; elle doit concerner l’ensemble des administrations publiques.

Cette loi de procédure s’impose donc aux lois de finances, aux lois de financement de la sécurité sociale et, chose nouvelle, aux lois de programmation des finances publiques. Les ministres l’ont clairement rappelé lors de leur audition devant la commission spéciale ; Pierre Moscovici vient de le refaire ; et le rapport de Christian Eckert est très précis sur ce point.

Concernant la supposée hiérarchie que certains voudraient voir établie entre les lois de programmation et les lois de finances ou les lois de financement de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a, là encore, parfaitement tracé la ligne à suivre.

Le Président de la République avait la volonté de ne pas inscrire dans la Constitution une règle d’or. Nous sommes nombreux ici à penser que c’était la bonne solution.

M. Charles de Courson. C’est le cas en Allemagne et en Espagne !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. Une constitution n’est pas un texte qui a vocation à figer des politiques à venir, sauf à devenir non plus une norme fixant les modalités de détermination des politiques mais déterminant les politiques elles-mêmes. C’est la conception même d’une loi fondamentale qui est ici en jeu.

Saisi, le Conseil constitutionnel a donc indiqué que la voie organique était disponible. Je note avec Christian Eckert que d’autres pays ont même choisi la simple voie de la loi ordinaire. Depuis 1959, nous savons que l’adoption d’une loi organique n’établit pas de hiérarchie entre des lois simples, qu’elles soient des lois de programmation, des lois de finances ou des lois de financement de la sécurité sociale.

Seul le constituant pourrait décider un tel bouleversement de l’organisation de l’agencement des normes.

M. Charles de Courson. C’est utile de le préciser !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. Là encore, les sceptiques pourront se reporter aux commentaires parus dans les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel.

Ce projet de loi organique comporte suffisamment de sujets de débat pour que nous ne perdions pas de temps sur des risques qui n’existent pas. Je suggère donc que cet argument sur la hiérarchie, utilisé d’ailleurs à l’appui de thèses parfaitement contradictoires, soit définitivement oublié.

Deuxième point : le futur contrôle par le Conseil constitutionnel du respect de la présente loi organique, que des amendements déposés en commission souhaitaient préciser. Ils furent repoussés tant il est, là encore, inutile de dicter au Conseil les conditions dans lesquelles il exercera son contrôle. Là encore, seul le constituant pourrait le faire, ce qui n’est pas notre mission du jour.

De surcroît, le Conseil a lui-même décrit son intention dans sa décision du 9 août dernier et dans les commentaires qui l’accompagnent : tout figure dans le considérant 27.

M. Charles de Courson. Non !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. Ainsi, il indique qu’il va vérifier que les règles de procédure établies ici seront respectées par les lois de programmation, les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

Il va aussi veiller à leur constitutionnalité – c’est une évidence – notamment, précise-t-il, en s’assurant de la sincérité de ces lois. Le Conseil a même pris la peine de rappeler la constitutionnalité de ce principe de sincérité dans son considérant 13.

Enfin, il précise qu’il exercera ce contrôle en prenant en compte l’avis des institutions indépendantes préalablement mises en place.

Dernier point : la dimension contraignante de cette loi organique. Certains, en commission, ont parlé de « droit mou ». Je m’inscris en faux.

Les règles édictées par une loi organique, quel que soit son sujet, sont très strictes. Elles ne laissent aucune échappatoire lorsqu’il s’agit de prendre des responsabilités. Loin d’être un renoncement, la voie qui a été choisie par le Gouvernement est au contraire celle de la volonté.

François Fillon nous avait proposé au printemps 2011 d’inscrire dans l’article 34 de la Constitution une règle d’or rigide.

M. Guy Geoffroy. Non, une règle d’or, tout simplement !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. Cela en disait beaucoup sur la confiance que la majorité de l’époque avait en elle-même, ou plutôt sur ses doutes quant à sa propre capacité à résister aux sirènes de la désinvolture budgétaire.

Pour notre part, nous ne ressentons pas le besoin de nous attacher à un mât constitutionnel, tel Ulysse dans la tempête…

M. Étienne Blanc. Pour le moment !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. Nous faisons le choix de l’effort consenti de manière parfaitement lucide. Nous faisons le choix de la volonté politique et démocratique.

Le Haut Conseil des finances publiques instauré par la loi organique nous permettra d’être alertés en temps réel et de disposer de diagnostics objectifs et clairs. La création de cet organe est une garantie que les vérités seront dites.

Il nous appartiendra donc, à nous parlementaires, avec le Gouvernement, de décider en responsabilité et en conscience de ce qui sera le mieux pour notre pays. Et je suis convaincu que ce qui est bien pour la France ne peut être que positif pour l’Europe en son entier. Opposer systématiquement l’une à l’autre me semble un slogan et non une pensée.

C’est cet équilibre que représente la loi organique. C’est pourquoi je suis heureux que nous puissions en débattre aussi sereinement que nous l’avons fait mercredi dernier, et que la majorité d’entre nous puisse ensuite l’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. François Asensi.

M. François Asensi. Mon propos sera moins consensuel. Je crois rêver en voyant cette assemblée, où droite gouvernementale et gauche gouvernementale s’entendent à merveille…

M. Charles de Courson. C’est plus compliqué que cela !

M. François Asensi. …et où il n’y a plus aucune opposition sur le plan économique. Je constate une fusion politique entre les deux, au moins sur les questions économiques.

La construction européenne est née d’un idéal de paix, d’une volonté de progrès social et de développement économique, mais aussi d’une ambition démocratique avancée, pour permettre l’épanouissement individuel des citoyens.

À notre grand regret, cette Europe se trouve dans l’impasse. Elle dérive en une superstructure technocratique, sans âme et sans projet – une construction post-démocratique, selon la formule du philosophe allemand Habermas.

Comment susciter l’adhésion quand l’Union européenne se construit à l’écart du suffrage universel ? Comment adhérer à un projet européen qui se donne pour seul horizon l’austérité ?

Pour nos concitoyens, Union européenne rime avec mal-vie, crise et régression. Le décalage est complet entre certaines élites politiques, administratives et financières qui tirent parti d’une ouverture économique débridée et ceux qui la subissent à travers les délocalisations, la pression sur les salaires ou le dumping social.

L’attente demeure d’une Europe qui protège de la crise, qui lutte contre les inégalités et qui œuvre pour un vrai rapprochement entre les peuples. Mais cette attente s’étiole dangereusement.

Pendant ce temps, l’Union européenne n’a qu’un seul but : rassurer les marchés financiers, restaurer leur confiance. Elle n’a qu’un credo, sacrifier les dépenses publiques par une succession de mesures d’austérité dans l’hypothétique espoir de lendemains qui chantent. Mais ne voyez-vous pas que c’est au peuple qu’il faut redonner confiance, de toute urgence ?

M. Charles de Courson. On a déjà entendu cela, il y a quelques années…

M. François Asensi. La ratification à marche forcée du traité Sarkozy-Merkel plonge un peu plus l’Europe dans le déni démocratique. En bafouant en 2005 le « non » des peuples français et néerlandais à l’Europe des marchés financiers et de la libre concurrence, une fracture profonde s’est ouverte entre les peuples européens et leurs dirigeants.

Le Gouvernement ne fait que l’accentuer en refusant d’associer les Français au débat sur la construction européenne. Oui, il fallait avoir l’audace politique de soumettre ce texte à la souveraineté populaire et de se confronter aux interrogations des Français.

Pour contourner leur avis et leur souveraineté, vous avez choisi le passage par une loi organique, la voie la moins contraignante – la plus obscure, même – bien aidés en cela par la décision juridiquement acrobatique du Conseil constitutionnel.

Pourtant, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance contient des transferts de souveraineté importants, qui touchent au fonctionnement de notre démocratie et de nos institutions, puisque le Parlement verra ses pouvoirs considérablement amputés au profit de la Commission européenne et du Haut Conseil des finances publiques, deux instances non élues.

Ce que l’on nous propose, ce n’est rien de moins que la constitutionnalisation de l’austérité pour les décennies à venir. Cette potion amère ne permettra pas à l’Europe de sortir de la crise. Bien au contraire, elle ne fera que renforcer les inégalités en plongeant les États membres dans la récession.

Députés communistes du Front de gauche, nous défendons une autre vision de l’Europe. Nous voulons une Europe libérée du dogme libéral et qui s’affranchit de l’emprise des marchés financiers. Nous voulons une Europe sociale qui privilégie la solidarité sur la sanction, la lutte contre les inégalités sur le dumping et la souveraineté du peuple sur le gouvernement des prétendus experts.

La loi organique que nous examinons constitue le bras armé du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Elle transpose en droit interne la règle d’or.

Cette loi organique sert de cheval de Troie aux diktats des marchés financiers et de la Commission européenne, et promeut une nouvelle étape vers une Europe antidémocratique et antisociale.

Par les transferts de souveraineté inclus dans le traité budgétaire européen, par le reniement de la souveraineté populaire et parlementaire, cette loi organique bouleverse de manière structurelle l’équilibre des pouvoirs publics. Elle vise à créer un cadre budgétaire extrêmement contraint qui, tout en préservant les apparences, vide de pouvoir nos institutions.

Nous refusons la tentative de banalisation de ce traité, menée à gauche comme à droite. Non, il ne s’agit pas de la poursuite de la coordination budgétaire européenne programmée depuis Maastricht et le pacte de stabilité. Nous sommes face à l’émergence d’une nouvelle architecture budgétaire qui prive de son pouvoir de décision le peuple français, le législateur et les collectivités locales.

M. Christian Eckert, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. François Asensi. Ces raisons justifient pleinement la motion de rejet préalable que nous présentons.

Le recours à la loi organique est juridiquement contestable. Une large partie des constitutionnalistes penchaient pour considérer qu’une réforme de la Constitution était nécessaire afin de traduire le traité et la règle d’or en droit interne, avant que le Conseil constitutionnel n’avalise le passage en force du Gouvernement. La vice-présidente de l’association des constitutionnalistes français jugeait même « incroyable » qu’une réforme constitutionnelle ne soit pas requise par les neuf sages.

Je maintiens la position que j’ai exprimée ici lors de l’examen du traité budgétaire européen : le Conseil constitutionnel a rendu le 9 août dernier une décision politique, malgré les transferts de souveraineté bien réel contenus dans ce traité et la modification du fonctionnement de nos institutions.

Comment ne pas percevoir dans sa décision une lecture pour le moins alambiquée du texte du traité qui, en tordant les mots et la syntaxe, parvient à esquiver le retour devant le peuple souverain ?

Suivant les desiderata du Gouvernement autant que leurs propres convictions idéologiques, les sages ont construit leur raisonnement juridique pour parvenir à une fin déterminée à l’avance : éviter une réforme constitutionnelle.

Un tel raisonnement a peu à voir avec un jugement en droit : c’est un jugement d’opportunité politique. Doit-on s’en étonner, de la part d’une institution composée d’anciens membres de la Commission européenne, d’initiateurs et de rédacteurs des traités européens ? Il n’est pas exagéré d’affirmer que, dans cette décision du 9 août, le Conseil constitutionnel était juge et partie.

Doit-on souligner que, nommés du fait du Prince par les deux formations majoritaires, ils partagent depuis des décennies une vision convergente de l’Europe et de l’économie ? Qualité et probité de ses membres mises à part, les constitutionnalistes du monde entier s’accordent pour considérer notre cour constitutionnelle comme une bizarrerie démocratique, tant dans son fonctionnement que par sa composition. Cette décision vient une nouvelle fois le prouver.

En résumé, nos institutions marchent sur la tête : le Conseil constitutionnel met de la politique là où devrait régner le droit et le Haut Conseil des finances publiques, du droit là où devrait s’exprimer le politique.

L’affaiblissement du politique et l’émergence d’un pouvoir technocratique menacent la République et notre démocratie. Il est extrêmement périlleux de construire l’Europe et de conduire la France contre les peuples et leurs représentants.

Parce que nous sommes attachés à une Europe politique, fondée sur la démocratie et le progrès social, nous refusons l’aveuglement technocratique de l’Union européenne qui dépossède les peuples de leur destinée pour la confier à des experts.

Je sais que les membres de la majorité gouvernementale puisent une partie de leurs références intellectuelles et politiques dans l’œuvre de Pierre Mendès France. Je les invite donc à relire le discours qu’il prononçait dans cet hémicycle en janvier 1957, lors du débat sur la ratification du traité de Rome.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. François Asensi. Bien que favorable à la construction européenne, il s’opposait à la création du marché commun et soulignait le risque de dessaisissement démocratique en gestation. Il déclarait : « l’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».

Ces mots résonnent dans notre actualité. Nous sommes dans ce diktat monétaire, budgétaire et finalement politique des instances européennes. On ne peut qu’admirer un esprit aussi visionnaire.

Contrairement à ce qu’affirment certains membres du Gouvernement, le traité budgétaire et sa loi organique n’ont rien d’anecdotique. Ils touchent aux modalités d’élaboration du budget du pays et, par suite, à l’ensemble des dépenses de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales.

Je rappelle que l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme avec force la souveraineté du peuple en matière budgétaire : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

Ce principe est bafoué au nom de la discipline budgétaire. La Commission européenne et le Haut Conseil des finances publiques seront les gendarmes chargés de surveiller la cadence de réduction des déficits. Aucun dépassement, aucun écart à la ligne de trajectoire de réduction des déficits ne seront autorisés sous peine de sanctions, qui pourront aller jusqu’à 1 % du PIB.

En imposant l’ingérence permanente de la Commission européenne à toutes les phases d’élaboration du budget, le traité viole un des droits les plus fondamentaux des parlementaires, celui de déterminer le budget de la nation.

C’est une atteinte inacceptable à la souveraineté de la France. Encore une fois, l’Union européenne consacre la primauté d’organismes non élus sur le pouvoir du Parlement élu au suffrage universel. L’équilibre des pouvoirs, déjà dénaturé dans nos institutions par la prééminence de l’exécutif, sera plus affaibli encore avec un pouvoir législatif échappant totalement aux parlementaires.

Cette loi organique met en place un cadre budgétaire si contraint qu’elle place le législateur en pilotage automatique. Elle modifie la structure de notre architecture budgétaire pour répondre aux trois exigences du traité budgétaire : la définition en droit interne d’une trajectoire de réduction du déficit, la création d’un mécanisme de correction automatique en cas d’écart budgétaire et la mise en place d’une institution indépendante pour faire respecter cette règle d’or.

Dresser la liste des contraintes posées par la loi organique nous permettra de juger de ce qu’il reste d’autonomie parlementaire. Je les cite : détermination d’un objectif à moyen terme de réduction du déficit dans la loi de programmation ; définition des soldes structurels et effectifs annuels de l’ensemble des administrations publiques, dans chaque sous-secteur ; détermination d’un plafond de dépenses pour les crédits d’État ; justification de toute modification de l’imposition et des charges au regard de l’objectif de réduction du déficit ; définition d’un calendrier précis et exhaustif des mesures de correction budgétaire ; encadrement par la loi de programmation du budget de l’ensemble des administrations publiques ; justification des hypothèses de prévisions économiques dans les lois de finances ; avis obligatoire du Haut Conseil des finances publiques sur les prévisions économiques des lois de programmation, sur les lois de finances, sur les lois de financement de la sécurité sociale ; justification auprès du Haut conseil des finances publiques des hypothèses retenues pour les lois de finances rectificative ; avis obligatoire du Haut conseil des finances publiques sur le programme de stabilité transmis à l’Union européenne ; avis obligatoire du Haut conseil des finances publiques en cas de réduction insuffisante du déficit ; obligation pour le Gouvernement de justifier publiquement cet écart et de procéder à une correction dans le prochain budget…

Jamais la notion de corset n’aura trouvé une aussi parfaite illustration.

Certes, les dispositions issues du six-pack prévoyaient le droit d’ingérence de la Commission de Bruxelles, mais une nouvelle étape est franchie.

L’initiative parlementaire, déjà étroitement bornée par l’article 40 de la Constitution, se retrouvera réduite à la portion congrue. Toute loi de finances devra suivre une trajectoire de réduction des déficits définie par la Commission qui, en cas de dérapage des finances publiques, aura le pouvoir de retoquer certaines décisions, si elle les juge contraire à la discipline budgétaire.

La conférence des Parlements des États membres prévue par le traité n’aura aucune conséquence sur la procédure budgétaire, ne donnant lieu à aucun avis contraignant. Ce point du traité est clairement une mystification.

L’article 7 bis ajouté en commission suit la même logique : « des débats peuvent être organisés à l’Assemblée nationale et au Sénat » sur les décisions et échanges entre l’Union européenne et le Gouvernement. Le Gouvernement défend pourtant l’idée que cette loi organique est un garde-fou qui protège les droits du Parlement et qu’elle accorde des marges de manœuvre à la France.

Je vous l’accorde, le vocabulaire choisi pour cette loi organique est assez peu normatif, et l’objectif chiffré de réduction du déficit n’y figure pas. Sur ces points, la loi est en deçà des exigences du traité, mais ne nous y trompons pas : c’est sur la base du traité que notre pays pourra être traduit devant la Cour de justice de l’Union européenne et sanctionné.

Cette loi organique nous donne donc l’illusion de marges de manœuvre. Vous m’objecterez que le flou artistique entourant la définition du déficit structurel permet à notre pays d’en conserver une. Comme l’a rappelé Gilles Carrez, « son calcul est complexe et nécessitera une expertise fournie pour trancher » ; on attendra donc. Mais quelle sera la valeur juridique de la définition choisie par les autorités françaises, si la Commission européenne la juge trop restrictive ? Les autorités européennes pourront parfaitement nous demander de revoir notre copie, et la Cour de justice de l’Union européenne, en défenseur zélé du libéralisme, nous condamner pour mauvaise transposition du traité.

J’entends votre argument : il n’y aurait pas de transfert de souveraineté car le Parlement continuera à voter le budget. C’est un peu ce que différents ministres ont dit devant cette assemblée. Vous martelez inlassablement cet argument pour couper court à tout examen sérieux, ou peut-être pour vous en convaincre.

Vous le savez, l’apparence des choses est trompeuse. Certes, nous voterons toujours le budget, mais ce vote se réduira à un exercice purement formel, vidé de sa substance.

Pour mieux le faire entendre, je m’appuierai sur une comparaison : cette loi organique instituera un processus parlementaire équivalent à l’adoption du prélèvement communautaire dans le projet de loi de finances. Je rappelle, pour ceux qui n’en seraient pas familiers, que ces crédits sont soumis au vote du Parlement, mais que, même en cas de vote négatif des parlementaires, la mesure s’applique telle quelle. Pouvons nous accepter ce simulacre de démocratie ?

M. Muet, vice-président de la commission des finances, a eu une formule extrêmement révélatrice en commission : « le budget demeurera un acte politique validé par le Parlement ». Les mots ont un sens, et valider n’est pas décider.

La constitutionnalité d’un autre point soulève, je crois, de sérieuses interrogations : le corset imposé aux collectivités territoriales à l’article 4.

Notre loi fondamentale garantit leur libre administration, c’est un principe essentiel de l’équilibre des pouvoirs dans le cadre de la décentralisation. Or cette libre administration n’a aucune réalité sans autonomie financière, selon la jurisprudence même du Conseil constitutionnel.

Qu’en resterait-il aux termes de cette loi organique ? La loi de programmation serait en mesure d’« encadrer les dépenses, les recettes, ou le recours à l’emprunt » des collectivités territoriales. Le but est purement et simplement d’interdire le recours à l’emprunt pour financer une école, un équipement sportif, une crèche, et de favoriser les appétits des promoteurs privés. Les élus locaux se trouveraient pieds et poings liés par les injonctions technocratiques de la Commission de Bruxelles, relayées par le Gouvernement. Le ministre n’a pas dit autre chose en commission, en reconnaissant que les collectivités devaient participer à l’effort budgétaire.

Après la chute de 1,5 milliard d’euros des dotations aux collectivités pour 2013 et 2014, la restriction de leur capacité à investir et à faire fonctionner les services publics locaux représenterait un séisme économique et social. Dois-je rappeler ici que les collectivités assurent près de 75 % de l’investissement public en France ? Veut-on tuer ce moteur de la croissance ? Je redoute, pour les mois à venir, une crise grave du secteur du bâtiment, avec des carnets de commandes vides, et un effet domino sur l’économie qui sera dévastateur.

Par ailleurs, la loi organique précise bien que la réduction des déficits selon une trajectoire déterminée à l’avance concerne l’ensemble des administrations de l’État mais aussi le budget de la Sécurité sociale. Cela ne fait que renforcer nos inquiétudes.

Avec un déficit de la Sécurité sociale estimé à 11,4 milliards d’euros en 2013, il serait inconcevable d’imposer une réduction des déficits à marche forcée sous peine de remettre en cause un des piliers de l’État-providence. Les Français seraient à nouveau touchés de plein fouet : déremboursements de médicaments, baisse des pensions, hausse des franchises médicales, crédits en berne pour les hôpitaux. Ce traitement de choc prépare sans doute le terrain à l’arrivée en force des assurances privées et autres fonds de pension dont les lobbyistes, on le sait, tiennent le haut du pavé dans les cénacles de Bruxelles.

La Sécurité sociale, issue du programme du Conseil national de la Résistance, est un acquis social majeur, la clé de voûte de notre système de solidarité. Faire passer son budget sous les fourches caudines de la Commission européenne, serait une atteinte grave au pouvoir du Parlement, laissant présager une remise en cause de ce système protecteur. Un tel projet toucherait au cœur le caractère égalitaire, social et démocratique de notre Constitution.

J’en viens à la création du Haut Conseil des finances publiques, principale innovation de la loi organique.

Cette instance non élue sera de toute évidence le chien de garde de l’austérité. Le Haut Conseil pourra en effet demander la mise en route du mécanisme de correction s’il considère que l’État ne réduit pas suffisamment ses déficits. Il jouera en cela le rôle de bras armé de la Commission européenne.

Cette administration indépendante ne disposera d’aucune légitimité démocratique. Composée de magistrats de la Cour des comptes, elle défendra une vision purement comptable des choix budgétaires. Ses autres membres seront nommés par les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et des deux commissions des finances. Un peu à l’image du Conseil constitutionnel, ce sera un comité dont les membres seront issus des deux formations dominantes de l’Assemblée nationale, et le consensus perdurera. Aux mains des deux partis majoritaires, ce pouvoir de nomination interdira toute expression d’une pensée autre que l’orthodoxie budgétaire.

Le Haut Conseil interviendra à tout moment dans la procédure budgétaire pour servir de caution aux futures politiques d’austérité. Le Gouvernement pourra s’appuyer sur ses avis pour procéder à des coupes sombres dans le budget de la nation.

Tout cela nous amène à penser qu’il sera désormais impossible de mettre en œuvre une véritable politique de gauche en Europe. Réduction des déficits et politiques d’austérité deviendront l’alpha et l’oméga de toute politique économique. Au déni démocratique s’ajoute donc un retournement idéologique : fondée sur la recherche du progrès social, l’Union européenne tire désormais l’ensemble des États membres vers le bas, pour répondre aux exigences toujours plus fortes des marchés financiers. À l’origine de l’Union européenne, il y avait la volonté d’étendre les marchés et d’offrir de nouveaux débouchés au capitalisme. Mais elle s’accordait avec l’idée que cette extension devait aller de pair avec un rattrapage des pays les plus avancés par les États les plus pauvres et avec une égalisation des niveaux de vie.

La création des fonds structurels européens procédait de cette logique. Ainsi, des pays comme l’Espagne, l’Irlande, le Portugal et la Grèce ont connu un fort développement depuis leur entrée dans l’Union.

Aujourd’hui, une autre logique est à l’œuvre. Depuis l’adhésion des États d’Europe de l’Est à l’Union européenne, on assiste à un alignement vers le bas des systèmes économiques et sociaux. L’Union européenne s’accommode d’un dumping social et fiscal considérable. Ainsi, le salaire minimum en Bulgarie n’est que de 123 euros par mois contre 1 425 euros brut en France. Le coût de la main-d’œuvre est lui de 280 euros par mois en Bulgarie et de 500 à 526 euros en Roumanie contre 4 900 euros en France.

Je ne parle même pas des différences de niveau de prélèvement obligatoire, que ce soit pour l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés. D’ailleurs, dans plusieurs États d’Europe de l’Est la progressivité de l’impôt n’existe même pas.

Permettez-moi de citer à nouveau Pierre Mendès France : « L’harmonisation doit se faire dans le sens du progrès social, dans le sens du relèvement parallèle des avantages sociaux et non pas, comme les gouvernements français le redoutent depuis si longtemps, au profit des pays les plus conservateurs et au détriment des pays socialement les plus avancés. » Le Gouvernement tourne le dos à cet héritage, en se ralliant désormais à la baisse du coût du travail exigée par les néolibéraux, dont le rêve est de s’aligner sur le moins-disant social, de réduire l’intervention de l’État dans l’économie et de déréglementer le droit du travail pour rendre l’Europe compétitive dans la jungle de la mondialisation. L’austérité qu’on cherche à nous imposer c’est d’abord une politique qui réduit le rôle de l’État dans l’économie.

À force de céder aux diktats de la mondialisation et des marchés financiers, je crains que nous n’en arrivions à réaliser la théorie libérale d’un État cantonné à ses fonctions régaliennes, tout le reste étant laissé à l’initiative privée. Mais les marchés financiers et leur vision uniquement court-termiste ne peuvent conduire un modèle de développement efficace socialement, économiquement, écologiquement.

Les conséquences du laissez-faire économique sont terribles. On dénombre près de 60 millions de chômeurs en Europe et 115 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. En Espagne et au Portugal, 50% des jeunes sont au chômage. C’est un chiffre dramatique. Sous la férule de la Troïka, les Grecs ont dû privatiser des pans entiers de leur économie : aéroports, énergie, télécommunications, poste, l’ensemble des bijoux de famille a été ou est en passe d’être privatisé. Les fonctionnaires ont vu leurs salaires diminuer de 20 %, l’âge légal de départ à la retraite a été relevé à 67 ans et nombre d’aides sociales ont fait l’objet de coupes budgétaires drastiques. La Troïka est même allée jusqu’à préconiser la semaine de travail de six jours.

En France, le Gouvernement a clairement fait le choix de la rigueur pour respecter les exigences de Bruxelles et rassurer les marchés. Le budget 2013 porte déjà la marque de ce cadre d’austérité voulu par la Commission européenne. Il prévoit en effet 10 milliards d’économies sur les dépenses : 5 % de moins au budget du logement et de l’égalité des territoires ; 8,5 % de moins pour la santé ; 6 % pour le déjà famélique budget de la jeunesse, des sports et de la vie associative ; 4 % en moins pour la culture, quel aveu d’impuissance, pour un gouvernement de gauche, que la réduction des dépenses de cette mission emblématique et facteur d’émancipation sociale !

Des projets d’investissements essentiels sont sacrifiés sur l’autel de l’austérité. Un milliard de dotation manque à la Société du Grand Paris pour lancer les travaux du métro automatique. Or les Franciliens ne peuvent plus attendre pour enfin disposer d’un réseau de transports de banlieue à banlieue efficace et facteur de développement urbain et social.

De toute évidence, avec la consécration de l’austérité, nous connaissons un recul civilisationnel d’une ampleur inédite.

La traité budgétaire européen, en limitant les possibilités de relance de notre économie et en contraignant la volonté des parlements souverains, constitue l’acte de décès – de déclin, pourront dire certains – de la social-démocratie en Europe. La ligne de fracture est désormais claire : elle oppose ceux qui acceptent l’austérité au détriment de notre modèle social et ceux qui exigent une réorientation de l’Europe pour la débarrasser de l’emprise des marchés financiers et du principe de la concurrence libre et non faussée.

Depuis la signature de ce traité et l’élaboration de la loi organique, le contexte économique s’est profondément aggravé. Les mauvaises prévisions de l’INSEE rendent intenables les objectifs fixés par ces textes, et vous en avez, je crois, parfaitement conscience. En l’absence de croissance, ce carcan d’austérité est une ineptie, sauf à nous conduire à une récession profonde.

Les défenseurs de la camisole libérale en sont eux-mêmes conscients. M. Muet sera content que je le cite à nouveau : il s’est félicité de l’absence de l’objectif chiffré de 0,5 % dans la loi organique, qui, selon lui, « n’a pas de sens sur une très longue période et n’a donc pas à être inscrit dans la Constitution ». À ceux qui brandissent les dérogations prévues par le traité européen en cas de circonstances exceptionnelles, j’adresse cette mise en garde : selon le droit européen, seule une « grave récession » est constitutive de telles circonstances exceptionnelles. Attendrons-nous cette extrémité pour refuser d’appliquer les politiques économiques catastrophiques des néolibéraux ?

Députes communistes du Front de Gauche, nous rejetons en bloc l’orientation mortifère de l’Europe contenue dans ce traité. L’austérité est source d’injustices et de désespérance sociale. Il faut y mettre un terme. Plus que jamais, nous appelons de nos vœux une réorientation de la construction européenne dans le sens du progrès social et de l’émancipation des peuples.

Face à l’Europe des experts, nous exigeons que l’Europe respecte la souveraineté des peuples. Face au démantèlement des acquis sociaux, nous nous mobilisons pour une Europe protectrice et solidaire.

Enfin, nous souhaitons que l’Europe propose à ses citoyens des projets mobilisateurs qui créeront de l’emploi et relanceront l’économie. La politique agricole commune ou la politique des fonds structurels répondaient à cette ambition de coopération économique et de développement social.

Quels sont aujourd’hui les grands projets portés par l’Union européenne pour relancer nos économies et donner à nouveau foi en l’Europe ? La seule perspective portée par l’Union, c’est l’austérité et la discipline budgétaire.

Aussi, nous réaffirmons notre opposition totale au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Nous voterons donc contre ce projet de loi organique qui vise à introduire en droit français les dispositions inacceptables de ce traité. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, je crains que nous n’ayons pas la même lecture, non seulement du projet de loi organique dont nous discutons, mais peut-être aussi du rôle des différentes institutions. Après tout, discutons-en.

D’abord, nous n’avons pas la même lecture de la décision du Conseil constitutionnel. Vous y voyez une décision politique. Pour ma part, je veux respecter cette institution, qui n’a pas à rendre de décisions politiques. Je regrette que vous considériez avec un peu de désinvolture, peut-être, ce que je vous dis. Autant il me paraît normal que le Conseil constitutionnel respecte le Parlement, autant je crois utile que le Parlement respecte les décisions du Conseil constitutionnel.

On connaît les modalités de nomination de ses membres, et on sait ce qu’ont été, par le passé, ces désignations. Je veux croire qu’aujourd’hui la procédure de nomination au Conseil constitutionnel transcende ces épisodes passés et les différentes convictions personnelles, pour que ses membres se mettent au service exclusif du respect de notre Constitution. Telle est ma lecture de cette décision.

Nous n’avons pas non plus la même lecture du rôle du Parlement. Vous y voyez une institution saisie de façon presque abusive d’une question qui, selon vous, devrait être tranchée par le peuple. Il me semble que cet argument doit être manié avec précaution. Vous contestez à des députés dont la légitimité est particulièrement récente la possibilité, le droit, de décider précisément au nom du peuple ! Ainsi, en fonction de l’importance de telle ou telle décision, seul le peuple serait souverain, et les députés illégitimes ? Je n’ai pas, pour ma part, cette lecture du rôle du Parlement – en tout cas, de l’Assemblée nationale.

Vous êtes dans cette maison depuis plus longtemps que moi, vous l’avez fréquentée plus souvent. Je me permets néanmoins de tenir ces propos devant vous, et de vous rappeler un exemple qui, peut-être, fera évoluer les uns et les autres dans leur choix. Le Parlement a pu, par le passé, adopter des textes que vraisemblablement le peuple n’aurait pas adopté par voie référendaire. Vous voyez très bien que je fais allusion à l’abolition de la peine de mort. Cela me remet en mémoire la fameuse phrase de Victor Hugo selon laquelle la foule est l’ennemie du peuple. Ne confondons pas l’un et l’autre.

Nous n’avons pas la même lecture de ce projet de loi organique. Vous y voyez des prescriptions impératives quand j’y vois des procédures. Veuillez me dire, monsieur le député, quels articles dans ce texte contraignent le Gouvernement, et quels autres mettraient le Parlement en situation de sujétion par rapport à l’exécutif ou par rapport au Conseil constitutionnel ? Il n’y en a pas ! Vous l’avez d’ailleurs dit vous-même, ce qui confirme que nous n’avons pas la même lecture du rôle du Haut Conseil des finances publiques. Vous avez vous-même dit qu’il est consulté pour donner des avis. Or des avis ne sont pas des décisions. Dès lors que le législateur fait le droit, les mots ont un sens. Le Haut Conseil des finances publiques donnera un avis, mais il ne prescrira rien, ni au Gouvernement, ni au Parlement. Le Gouvernement garde sa liberté, le Parlement sa souveraineté. Le Gouvernement proposera, le Parlement disposera.

Nous n’avons pas la même lecture des déficits publics. J’ai craint avoir entendu dans votre bouche comme une définition de ceux qui seraient à gauche et de ceux qui ne le seraient pas : les premiers accepteraient de s’endetter quand les autres y verraient non seulement une pénalisation pour les temps présents, mais une injure aux temps futurs. Nous ne partageons pas cette lecture. Je vois, pour ma part, dans l’endettement un abaissement de notre pays, un abandon de souveraineté, un impôt à la naissance pour nos enfants et nos petits-enfants qui n’en peuvent mais. J’y vois aussi un handicap en termes de compétitivité, tant il est vrai qu’à force de s’endetter les taux d’intérêt montent et les entreprises finissent par emprunter trop cher. On ne connaît pas d’entreprise pouvant emprunter à des taux inférieurs à ceux auxquels emprunte le pays.

Ces trois raisons-là ne nous sont pas commandées par quiconque à l’extérieur de nos frontières, voire même à l’intérieur, mais par le fait d’assurer notre destin, car il est de notre devoir de nous libérer de cette emprise des marchés auxquels nous devons emprunter pour la protection sociale, pour l’État, parfois même pour les collectivités territoriales. Nous devons impérativement supprimer cet impôt à la naissance qu’est l’endettement, et nous devons penser à la compétitivité de nos entreprises.

Si nous pouvons avoir des lectures communes d’autres projets, nous n’avons donc pas du tout la même lecture de ce texte. En conséquence, vous comprendrez, monsieur le député, que j’espère ardemment que l’Assemblée nationale ne donnera pas suite à votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs demandes d’explications de vote. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Notre collègue François Asensi a parfaitement rappelé les raisons de fond pour lesquelles nous sommes opposés à ce projet de loi organique. Ces raisons sont les mêmes que celles qui motivent notre opposition au traité budgétaire européen, le projet de loi organique n’étant que la traduction en droit interne de l’article 3 dudit traité. Personne ne pourra contester, je crois, la cohérence de notre groupe : votant contre le traité budgétaire européen, nous voterons bien entendu contre le projet de loi organique.

Notre collègue a insisté sur un point particulièrement important, à savoir la dépossession démocratique de nos politiques économiques et budgétaires. Certes, le Parlement continuera chaque année de voter le budget. Mais il le fera dans un cadre toujours plus contraignant – sur lequel nous reviendrons tout au long de la discussion – qui justifie l’expression de corset « austéritaire ». Ce cadre se traduit par une atteinte à notre souveraineté nationale et à notre souveraineté budgétaire que nous considérons gravissime. C’est la raison pour laquelle nous pensons que cette dépossession démocratique devrait justifier, sur tous les bancs de cette assemblée, un vote en faveur de la motion de rejet préalable présentée par le groupe GDR. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur Asensi, à la suite de M. le ministre du budget, je vous répète que nous ne partageons ni la même lecture du traité, ni la même lecture de ce projet de loi organique. Vous accusez le traité de mettre en place des sanctions automatiques, de fixer une contrainte rigide au retour de l’équilibre des finances publiques, d’imposer un contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne sur la politique budgétaire : il n’y a rien de tout cela dans le traité ! Il n’y a pas de sanctions automatiques, ni de fixation d’une date pour le retour à l’équilibre. Il n’y a de contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne que dans les domaines où, effectivement, elle a son mot à dire, à savoir la transposition du droit européen, mais c’est tout. Comme l’a dit le Conseil constitutionnel, ce traité ne concède aucun transfert de souveraineté puisque même les critères qui y figurent en matière de déficits étaient déjà présents dans le droit européen depuis 2005, notamment pour ce qui concerne le déficit structurel.

La loi organique ne concède, elle non plus, aucun abandon de souveraineté. J’ai eu l’occasion de dire, et on aura l’occasion de répéter, qu’elle est une traduction subtile du traité. On peut en effet, à partir du traité, s’imposer toutes les contraintes que l’on veut, y compris inscrire dans la Constitution des objectifs qui n’ont pas de raison d’être. Je répète que fixer des objectifs de déficit structurel ou de déficit effectif n’est pas le rôle d’une Constitution, parce que ces objectifs ne sont pertinents que dans une situation économique donnée.

M. Guy Geoffroy. Ah bon ?

M. Charles de Courson. Et en Espagne ?

M. Pierre-Alain Muet. Cela regarde l’Espagne !

Ces objectifs sont pertinents dans cette situation, ils ne le seraient pas dans une situation différente. La façon dont cette loi organique transpose le traité est pertinente : elle ne donne que des méthodes, respecte complètement les prérogatives du Parlement, n’impose aucune contrainte à notre politique économique.

M. Charles de Courson. Eh bien si !

M. Pierre-Alain Muet. La meilleure preuve en est que les engagements du Président de la République de ramener le déficit public à 3% en 2013 et à 0% en 2017, qui sont des engagements de campagne…

M. Guy Geoffroy. Justement, ce sont des engagements de campagne !

M. Pierre-Alain Muet. …figurent dans la loi de programmation que le Gouvernement présentera et dont nous débattrons la semaine prochaine. Ces engagements sont parfaitement cohérents. Ils sont même plus ambitieux, en termes de réduction du déficit, que ce que suggère le traité. Par conséquent, cette loi organique comme le traité n’imposent rien en matière de politique économique qui remette en cause les prérogatives du Parlement.

Ce traité est de plus inscrit dans un ensemble cohérent qui met en place une vraie régulation financière ainsi que des dispositions – qui manquaient totalement – à propos de la croissance européenne par l’investissement public. Je pense qu’il est important d’adopter ce projet de loi organique pour que notre voix compte en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

M. Étienne Blanc. Monsieur Asensi, le groupe UMP vous comprend parfaitement.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Méfiance !

M. Étienne Blanc. Il y a eu, dans votre propos, des analyses extrêmement juridiques : ce traité est-il, ou non, d’inspiration fédérale ? Au-delà de ces arguments juridiques, nous comprenons deux choses.

D’abord votre désappointement, et le sentiment d’avoir été victime d’une trahison. Vous étiez contre le traité européen, vous avez voté pour une majorité qui n’y était pas favorable et un Président de la République qui disait qu’il le renégocierait. Il ne l’a pas renégocié, et vous êtes appelé aujourd’hui à voter une loi organique qui en est la conséquence directe.

M. Guy Geoffroy. La potion est amère !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. Et vous en savez quelque chose !

M. Étienne Blanc. Deuxièmement, monsieur Asensi, on ne vous dit pas la vérité. On refuse de vous dire la vérité ! On vous fait voter une loi organique, dont on vous dit que finalement elle ne sera pas aussi contraignante que cela. Les propos de M. Muet en donnent une illustration formidable. On dit : « oui, c’est une loi organique, mais finalement, c’est une loi organique légère, souple et adaptable ! ».

Plusieurs députés du groupe SRC. Une loi organique intelligente !

M. Étienne Blanc. Cette motion de procédure proposée par le Front de Gauche suscite de notre part, à votre égard, beaucoup de compassion, mais j’ai le regret de vous dire que nous ne voterons pas en sa faveur.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Union des démocrates et des indépendants.

M. Charles de Courson. Vous êtes constants dans l’erreur : errare humanum est, perseverare diabolicum. Vous avez combattu pendant des dizaines d’années la construction européenne : vous étiez contre la CECA, contre la CED, contre la CEE, contre l’Union européenne : contre tout !

M. Marc Dolez. Contre l’austérité !

M. Charles de Courson. Et vous avez toujours perdu. Vous vous êtes associés à une droite nationaliste à l’époque, pour faire échouer la CED.

M. François Asensi. N’insultez pas les gaullistes !

M. Charles de Courson. Mais, in fine, vous avez toujours échoué, et vos arguments sont toujours les mêmes, toujours ! C’est d’abord le nationalisme. Puis-je vous rappeler que vous prétendez être des internationalistes, et que vous défendez les thèses de la droite nationaliste la plus obscurantiste. Il est triste d’en arriver là.

Mme Sandrine Mazetier. Dites-le à Copé !

M. Charles de Courson. Votre deuxième argument est celui de l’archaïsme. Votre conception de la nation est d’ordre théologique. Vous avez de plus un certain antiparlementarisme à géométrie variable.

Vous avez une conception théologique de la nation. Mais, mes chers collègues, si vous considérez l’Histoire, vous vous rendrez compte que les nations sont nées un jour. La nation française est apparue il y a un peu plus de dix siècles. Elle s’est forgée lentement. Si on avait suivit vos arguments, la Bretagne serait-elle française ? La Champagne, la Provence seraient-elles françaises ? Vous avez une conception intégriste de la nation : pour vous le concept de nation ne peut pas évoluer. Papa Staline vous aurait mis en taule pour avoir prétendu cela ! Sa conception de la nation soviétique était quelque peu étrange. La suite l’a d’ailleurs montré.

Notre conception de la nation n’est pas théologique : nous pensons qu’elle est un cadre permettant l’épanouissement des êtres. Puisque nous ne sommes pas capables de régler certains problèmes à notre niveau, il faut créer une nation européenne, non pas en substitution à la nation française, mais en complément de la nation française.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien.

M. Charles de Courson. Vous avez utilisé un troisième argument contre ce que vous appelez un traité d’austérité. Nous, à l’UDI, nous sommes battus à temps et à contretemps, depuis quinze ans, sur la question de la règle d’or. Eh bien nous allons maintenant voter pour cette règle d’or !

M. Pierre-Alain Muet. Ce n’est pas la même !

M. Charles de Courson. Il y a, monsieur Muet, une équivalence entre la règle d’or au sens centriste – c’est-à-dire l’interdiction de s’endetter pour financer des dépenses de fonctionnement, ou, en d’autres termes, la possibilité de s’endetter réservée exclusivement au financement des dépenses d’investissement – et la règle dont nous discutons actuellement. Pouvez-vous, monsieur Muet, me rappeler combien il reste de dépenses d’investissement dans la loi de finances à venir ? Il en reste 16 milliards, c’est-à-dire 0,8% ! La règle que vous proposez est donc à peu près équivalente à la règle d’or au sens centriste.

Ce qui fait le malheur des peuples, ce n’est pas la règle d’or : c’est ceux qui l’ont oubliée, qui ont surendetté leurs peuples et qui les amèneront un jour à un régime dictatorial ! Tous les démocrates devraient être d’accord avec la règle d’or ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et du groupe UMP.)

Un député du groupe SRC. Vous parlez d’or !

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.

Mme Barbara Pompili. Je suis désolée, chers collègues du groupe GDR : nous ne voterons pas en faveur de votre motion de procédure, malgré le fait que nous partageons la plus grande part de votre analyse du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’union économique et monétaire. Nous sommes notamment d’accord sur le fait qu’il s’agit d’un mauvais signe de relance de l’austérité. Cela dit, nous avons bien vu, depuis quelques mois déjà que ce débat est engagé, que nous nous enfonçons beaucoup, malgré la complexité du sujet, dans les caricatures et les opprobres. C’est pourquoi je pense que nous devons, aujourd’hui, avancer.

Le texte de la loi organique permet aux politiques de dégager des marges de manœuvre nécessaires pour relancer la machine économique. Nous verrons, au cours de notre discussion, si nous pouvons encore apporter des améliorations à ce texte. Nous ferons, en effet, quelques propositions pour l’enrichir. C’est pourquoi il nous semble inutile de repousser encore une fois le débat. Ayons-le ! Nous sommes la représentation nationale. Nous avons la légitimité pour trancher et pour faire progresser les choses. Nous sommes également attendus, maintenant, par nos concitoyens sur les lois de finances à venir, parmi lesquelles la loi de financement de la sécurité sociale. Les gens doivent, enfin, voir leur horizon économique et social s’éclaircir. Avançons !

C’est pourquoi nous ne voterons pas votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Monsieur le président, mesdames, messieurs, avant de défendre cette motion de renvoi en commission spéciale, j’observe d’abord que nos débats sont, en réalité, parfaitement superflus. Nous pouvons débattre de quantité d’amendements sur ce texte, faire « comme si » nous pouvions décider souverainement des modalités de mise en œuvre du pacte budgétaire, nous sommes, me semble-t-il, dans le simulacre. Nous écrivons cette loi sous l’œil et le contrôle scrupuleux de la Commission européenne et des autres États membres. Si la Commission européenne estime, en effet, que les dispositions dont nous discutons ne sont pas conformes à l’article 3, paragraphe 2, du traité, il y aura saisine de la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission ne pouvant le faire elle-même, cette saisine sera introduite par un autre État membre, lequel pouvant agir de son propre chef, sans y avoir été invité par la Commission. C’est l’institutionnalisation de la délation entre États et c’est, à la lettre, ce qu’énonce l’article 8 du traité dont vous vous apprêtez à autoriser la ratification. Cet article devrait, à lui seul vous alerter sur la gravité des atteintes portées à la souveraineté budgétaire du Parlement et aux prérogatives de notre assemblée. Certains de nos collègues ont jugé bon de déposer des amendements, d’affiner, par exemple, la définition de la notion de « solde structurel », afin d’exclure du calcul de ce dernier certaines dépenses d’investissement jugées stratégiques. L’effort est louable, mais condamné à l’échec. D’autres pensent encore, non sans une certaine naïveté ou une certaine mauvaise foi, qu’il sera loisible au Gouvernement de jouer sur le flou qui entoure la notion de « solde structurel » pour engager des politiques contracycliques. « En nous attachant à ce solde-là, qui donne l’état de santé réel de nos comptes… », nous disiez-vous, monsieur le ministre, «…nous conservons la possibilité d’engager une politique économique contracyclique ou résistante au cycle en cas de conjoncture dégradée ou de récession. » Le propos se veut rassurant. Il est, je le crois, illusoire de penser que l’écart conjoncturel pourra, en quelque sorte, servir de variable d’ajustement de la politique budgétaire. Comme le rappelait récemment l’économiste Frédéric Lordon, les modes de calcul de la Commission européenne tendent à minimiser systématiquement l’écart conjoncturel, c’est-à-dire à proclamer que la presque totalité du déficit est du déficit structurel. Il y a d’autant moins de respiration et d’ouverture à attendre de ce côté-là que les stipulations du traité sont, là encore, très claires. Aux termes de l’article 7, la Commission européenne sera l’unique juge de l’adéquation des politiques budgétaires conduites à l’objectif de réduction des déficits, donc également l’unique instance à décider, en dernier ressort, du mode de calcul et de l’évaluation du solde structurel. Il en ira ainsi tant que la dette de notre pays sera supérieure à 60 % du PIB, précise encore l’article 7, c’est-à-dire pour de très longues années encore puisque, rappelons-le, la loi de programmation prévoit de ramener la dette publique de notre pays de 85,3 % en 2011 à 80,1 % en 2017.

À l’issue du quinquennat, et en nous en tenant aux prévisions gouvernementales, la dette de notre pays sera encore de 20 % supérieure au seuil de déclenchement des procédures pour déficit excessif. D’ici là et probablement bien au-delà, notre Parlement devra se conformer rigoureusement aux recommandations, mais aussi aux propositions formulées par Bruxelles, à moins qu’une majorité qualifiée des États signataires ne s’y oppose. Il faut, là encore, prendre la mesure de ce à quoi une majorité de cette assemblée semble prête à souscrire : la dépossession pure et simple de la politique économique et budgétaire. Ce n’est pas pour rien que, pour la première fois cette année, notre ordre du jour prévoit l’organisation d’un débat sur la prise en compte des orientations budgétaires européennes par le projet de loi de finances, en présence d’un ou plusieurs commissaires européens, débat au cours duquel les députés ne pourront poser que des questions, ce qui souligne suffisamment le caractère bien peu contradictoire de ces échanges !

Il n’est, en conséquence, pas conforme à la vérité de dire que le traité et les procédures dont nous débattons dans le cadre du projet de loi organique ne modifient en rien les prérogatives du Parlement, comme on l’entend ici ou là. Ce traité et ces procédures réduisent, en effet, ces prérogatives à l’exercice de compétences purement formelles. C’est pour la forme que le Parlement gardera la faculté de voter la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale et la faculté de débattre des orientations budgétaires et des lois de finances. C’est aussi pour la forme qu’il contrôlera l’exécution de ces lois, ses pouvoirs de contrôle étant alors devenus parfaitement redondants. Nous serons en plein simulacre démocratique, car il ne restera bientôt plus de la souveraineté budgétaire qu’un squelette de procédures soumises à un contrôle pointilleux. « Ce n’est pas nouveau » répondront ceux qui se flattent de dépouiller le peuple et le Parlement de sa souveraineté. « Il n’y a rien dans ce texte qui ne se trouve déjà dans les traités signés par la France », diraient-ils. Nous passons, ainsi, d’un régime de surveillance à un régime de contrôle actif de la politique économique et budgétaire, assorti d’un régime de sanction automatique. Nous remettons également très directement les clefs de notre politique économique et budgétaire aux technocrates de Bruxelles et glissons vers le gouvernement des juges et, de manière plus décisive encore, vers une forme douce, juridiquement correcte, de dictature financière. N’oublions pas, en effet, que, depuis vingt ans, la Commission européenne n’a jamais œuvré à la construction d’une Europe de la solidarité et de la coopération. Elle n’a jamais œuvré non plus à la construction d’une Europe des peuples, assurant à chacun des conditions de vie dignes. Elle n’a, au contraire, cessé de travailler à la construction d’une Europe des marchés, où la notion de coopération est remplacée par celle de coordination de la concurrence, libre et non faussée bien sûr... Une Europe douce avec les rentiers et dure avec les peuples, une Europe qui attise la guerre économique, détruit les emplois, dégrade les conditions de travail et de rémunération, dans le seul but de satisfaire l’aveugle avidité des marchés financiers.

Les tenants de l’orthodoxie libérale ont pris depuis trop longtemps l’idée européenne en otage. Ils tentent aujourd’hui, alors qu’ils ont précipité l’Europe dans la crise, de garder la main et d’imposer leurs politiques d’austérité, pour le plus grand bénéfice des rentiers, en faisant des États et des peuples les principaux responsables de la crise, responsables qui devraient aujourd’hui payer la facture !

Vous nous parlez également de réorientation européenne, mais de cette réorientation nous ne voyons trace. Le fameux « pacte de croissance », que l’on ne cesse d’invoquer, est sans commune mesure avec l’ampleur des plans d’austérité. Les 120 milliards de ce « pacte de croissance » ne représentent, en effet, que 0,85 % du PIB européen, alors que les mesures d’austérité nationales représentent, quant à elles, 240 milliards d’euros par an. Ce pacte n’est assorti d’aucun objectif précis en termes d’emploi ou de croissance. Ainsi que le rappelle le collectif des économistes atterrés, il ne fait que reprendre des projets engagés, généralement d’inspiration libérale, à savoir : la nécessité de garantir la viabilité des systèmes de retraites, donc de reporter l’âge de la retraite ou de réduire le montant des pensions ; d’améliorer la qualité des dépenses publiques ; de favoriser la mobilité de la main-d’œuvre ; d’ouvrir la concurrence en matière de services, d’énergie, de marchés publics... Est-ce là un programme de progrès économique et social ? Ce « pacte de croissance » n’est, à l’évidence, en rien le signe ou le symbole d’une réorientation de la politique européenne.

Il faut également en finir avec cet autre pieux mensonge selon lequel une discipline budgétaire renforcée serait le meilleur garant de notre indépendance et, qu’une fois les finances assainies, nous retrouverons rapidement des marges de manœuvre.

Avec le traité et avec ce texte organique, chers collègues, nous ne concluons pas un accord temporaire pour prétendument « redresser la situation », mais nous nous enfermons pour une longue période dans un carcan budgétaire qui n’aura pour effet que de briser l’activité et d’interdire des politiques ambitieuses d’investissements propres à créer des emplois et à financer la transition écologique.

Tout l’enjeu de notre discussion est là : soit la focalisation sur le respect aveugle de normes comptables arbitraires, à l’image des fameux 3 %, soit le retour préconisé, entre autres, par Joseph Stieglitz, à ce minimum de « raison économique » qui fait entrevoir l’absurdité qu’il y a à pratiquer une politique récessive en période de dépression, politique qui sera d’autant plus récessive que les prévisions économiques sont faibles ; l’absurdité qu’il y a aussi à prétendre qu’il est par essence vertueux de présenter des budgets à l’équilibre partout, dans chaque secteur de l’administration, sans la moindre référence aux enjeux non seulement sociaux, mais aussi économiques, à savoir la qualité de notre système éducatif, de notre système de soins, des infrastructures, des services publics...

Le traité et le présent projet de loi auront, me semble-t-il, des conséquences considérables sur la vie quotidienne de nos concitoyens. En effet, toutes les administrations publiques, comme le rappelle le texte, sont concernées : l’État, la sécurité sociale, comme les entreprises, les services publics et les collectivités territoriales. La logique de réduction drastique des déficits se traduira par moins de services publics, moins d’hôpitaux, moins d’écoles, moins de trains. Ne nous y trompons pas, la généralisation progressive à toute l’Europe de prétendus programmes « d’assainissement », comparables aux mémorandums actuels pour la Grèce et l’Espagne, ne peuvent conduire qu’à des résultats analogues à ce que l’on constate dans ces pays, à savoir : baisse de la croissance, creusements des déficits, drames sociaux, chute de la production...

Est-ce là le changement voulu au printemps dernier par nos concitoyens ? Les nouveaux contours des projets de loi de programmation que dessine la présente loi organique, la création concomitante du Haut Conseil des finances publiques témoignent malheureusement de la volonté du Gouvernement de s’inscrire dans une continuité, de poursuivre le chemin engagé par ses prédécesseurs, de reprendre à son compte les recettes néolibérales qui ont conduit à la situation où nous sommes.

Les récentes déclarations sur le coût du travail vont dans le même sens. Elles participent de la même logique. Nous payons, ici, les conséquences de cette forme de servitude volontaire à laquelle nous avons souscrit en confiant les rênes de la politique monétaire à la BCE. Cette politique monétaire uniforme et inflexible contraint, en effet, les pays membres de la zone euro à être tous aussi compétitifs que le plus compétitif d’entre eux, ce qui les conduit à l’austérité et à la déflation.

Le candidat à la présidentielle, François Hollande, avait raison de souligner l’urgence de réorienter la politique européenne et l’impérieuse nécessité de reconsidérer le rôle de la BCE. Ainsi que je l’évoquais en commission, il n’y a au bout du compte que deux scénarios de sortie de crise. La voie que vous avez choisie consiste à préserver, coûte que coûte, les droits des créanciers et à promouvoir l’austérité interne comme mode de gouvernance jusqu’au remboursement du dernier sou. Cette voie est injuste, car elle fait payer aux peuples la facture d’une crise imputable à la finance. La part de la dette imputable en France à la finance, ce sont les vingt points de PIB qui séparent 2007 de 2011 et que vous nous proposez d’essayer d’éponger dans les cinq ans qui viennent à grand renfort de taxes et de coupes budgétaires, alors que les Français n’en sont pas comptables. C’est une voie dangereuse, pour les raisons sur lesquelles je ne reviendrais pas, car elle expose la France et l’ensemble de la zone euro à la récession, au chômage et au recul des droits sociaux. C’est aussi une voie sans issue, car elle s’interdit de considérer qu’il existe une alternative : le recours à la création monétaire et à la mobilisation conjointe de l’épargne qui allégerait le fardeau de la dette et donnerait le souffle nécessaire à une vraie politique de relance.

Nous ne sommes pas dans l’incantation. Nous ne prétendons pas que les choses soient simples ou faciles, mais nous devons nous rendre à l’évidence et constater qu’il n’y aura pas de nouvelle donne en Europe sans un profond bouleversement de la politique économique et monétaire, sans des politiques d’investissement ambitieuses, sans un rééquilibrage entre le Nord et le Sud, sans une rupture avec les stratégies non coopératives que l’Europe tente vainement de coordonner.

Vous avez finalement choisi de céder aux exigences de Mme Merkel et aux pressions des marchés.

Ce choix, vous nous le présentez comme celui de la prudence et du sérieux mais, faute de renégociation, nous sommes confrontés au pire, à la mise en œuvre d’un traité qui ruine toute perspective de relance et consacre par surcroît un nouveau recul du droit des peuples.

Après avoir lâché les rênes de la souveraineté monétaire, voici qu’il nous est proposé de lâcher les rênes de la politique budgétaire pour les confier, une fois n’est pas coutume, à des instances indépendantes et sans légitimité démocratique.

Mes chers collègues, si nous demandons le renvoi de ce texte en commission, ce n’est pas pour débattre à nouveau d’amendements qui ne seront recevables que si la Commission européenne les agrée, ce n’est pas pour nous livrer une nouvelle fois à ce vain exercice, dont vous concéderez sans doute qu’il n’est pas exactement à la hauteur de l’éminente dignité de notre mandat et du changement promis.

Si nous devons nous réunir à nouveau, c’est pour débattre en conscience de l’opportunité d’adopter un tel texte, dans un contexte économique aussi périlleux que celui que nous traversons, marqué par l’explosion du chômage et l’accélération de la désindustrialisation, et débattre des graves questions que soulève ce texte, à l’instar du traité, quant au respect des droits du Parlement.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose d’adopter la présente motion de renvoi en commission.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale. J’ai eu à un moment le sentiment, monsieur Charroux, qu’en demandant avec conviction le renvoi en commission, vous vous trompiez de commission et que c’était plutôt devant la Commission européenne que vous souhaitiez renvoyer certains textes…

Je vous rappelle d’abord que la commission spéciale a travaillé. Vous avez assisté à l’ensemble de ses travaux, et je vous en remercie. Vous avez pu constater que ce fut un travail sérieux et prolongé. C’est la première raison pour ne pas renvoyer ce texte en commission.

Je suis par ailleurs en désaccord avec vous sur un certain nombre des arguments que vous avez avancés.

Pour vous, le solde structurel est un simulacre. Vous devriez au contraire vous réjouir puisque cette notion, avec certes quelques incertitudes sur les fondements du calcul, représente un progrès par rapport à celle de solde nominal, qui est un carcan beaucoup plus rigide.

Vous avez évoqué une espèce de mise sous contrôle du Parlement, mais par qui et comment ? Il n’est pas fait référence aux autorités de Bruxelles, et le Haut Conseil ne fournit que des avis. Il n’y a donc pas de mise sous contrôle.

Vous avez parlé, de façon plus qu’excessive, de sanctions automatiques. Où avez-vous vu une référence à des sanctions automatiques ?

Vous avez tenté de convaincre l’Assemblée qu’il n’y aurait pas eu de changement lors de la discussion sur la mise en œuvre du TSCG. Je vous rappelle que des avancées très fortes sur la croissance ont été obtenues et que la supervision des banques ou la taxation des transactions financières sont des éléments que vous ne sauriez ignorer.

Il faut éviter les caricatures, il faut éviter d’agiter des peurs.

Notre position par rapport aux marchés financiers est claire. Pierre Moscovici l’a rappelé tout à l’heure, nous devons nous en affranchir, mais le meilleur moyen, c’est de réduire l’endettement. Vous avez cité des chiffres. Certes, il faudra du temps, mais le Gouvernement s’est engagé à ce que le taux d’endettement diminue. Compte tenu de la trajectoire qui nous a été laissée en héritage, il nous faudra un ou deux ans pour retrouver, après un pic, un niveau d’endettement qui nous permette de nous affranchir de cette tutelle des marchés financiers, qui serait la pire des tutelles parce qu’elle n’a pas de visage.

Notre pays a su affronter des périodes très difficiles dans son histoire. Aujourd’hui, il y a une qui nécessite des efforts pour nous permettre de retrouver notre indépendance. Tout le travail qu’a réalisé la commission spéciale, c’est d’essayer de trouver un équilibre entre le respect des engagements de la France et l’organisation de notre retour vertueux à l’équilibre des finances, qui nous permettra de retrouver des marges de manœuvre.

Je vous recommande donc, bien entendu, mes chers collègues, de ne pas adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à Mme Karine Berger, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Karine Berger. Le groupe socialiste votera contre la motion de renvoi, pour deux raisons au moins – soit une minute par raison... (Sourires.)

Vous prétendez, monsieur le député, que le texte est une attaque à notre souveraineté, qu’il est incapable de réorienter la politique européenne. Entendez plutôt le message porté par François Hollande depuis juin dernier ! Pour la première fois depuis dix ans, et je vais peiner nos collègues de l’opposition, nous avons la main pour réorienter la politique européenne en changeant un cadre ultralibéral et en remettant la croissance, la taxation des transactions financières, la régulation financière au cœur de la construction européenne. Participez avec nous à cette réorientation ! Nous avons besoin de vous, nous avons besoin que cette réorientation soit portée par l’ensemble des forces progressistes et, croyez-moi, le texte que nous examinons en est la première étape.

Vous nous expliquez aussi que vous vous méfiez de la notion d’écart conjoncturel. Mais lorsque l’on commence à parler de déficit structurel, c’est que l’on admet qu’il existe un déficit conjoncturel, et donc que la politique keynésienne a un sens. Admettre l’existence d’un déficit structurel et d’un déficit conjoncturel, c’est admettre qu’il existe une croissance potentielle, donc une croissance qui n’est pas la croissance potentielle, et que Keynes avait raison dans son analyse.

Cela va peiner mes collègues de la droite de cet hémicycle, mais c’est cela, le vrai message. Nous serons ravis de discuter avec les ministres de l’économie et du budget des chiffres de croissance potentielle retenus dans les futurs projets de loi de finances et de la façon dont l’écart de croissance est évalué. Nous serons ravis de savoir si la France a des problèmes de demandes ou d’offre.

Pour une fois, le Parlement pourra mener le débat de manière claire en faisant intervenir tous les parlementaires sur le sujet. Profitons-en, c’est peut-être enfin la revanche de la politique keynésienne sur plusieurs dizaines d’années de politique libérale. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste ne votera pas la motion de renvoi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Étienne Blanc. Nous ne voterons évidemment pas cette motion de renvoi en commission mais, sur le constat, nous sommes assez d’accord, monsieur Charroux. Keynes est mort et sa politique disparaît enfin du paysage européen avec son cortège de catastrophes financières et économiques. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Fixer un déficit structurel comme nous le faisons et assurer son respect, une telle politique va évidemment à l’encontre de ces politiques keynésiennes qui ont fait tant de mal aux pays occidentaux.

Autre point, on a prétendu tout à l’heure qu’il n’y avait pas d’abandon de souveraineté. Nous allons adopter cette loi organique en application d’un traité dont l’article 8, alinéa 3, prévoit la possibilité de saisir la Cour de justice européenne si la loi n’est pas conforme au traité européen. Et le Gouvernement vient vous dire sans rougir que ce n’est pas du tout un abandon de souveraineté. C’est extraordinaire ! Ce gouvernement fait le grand écart.

Sur le constat, nous sommes d’accord, mais, pour nous, que cette loi organique correspond à l’intérêt de la nation. Nous soumettrons les budgets à une politique européenne résultant d’une politique monétaire, d’une politique financière et d’une politique économique commune. Contrairement à vous, nous pensons que c’est une très bonne chose pour le redressement de la France.

M. Bruno Le Roux. Vous assumez le fait que le redressement de la France est nécessaire. Quel progrès !

M. Étienne Blanc. C’est la raison pour laquelle, avec de nombreux regrets, je vous l’assure très sincèrement, nous ne voterons pas votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Avec le groupe GDR, on progresse d’orateur en orateur, puisque nous venons d’entendre un couplet pseudo-léniniste. Souvenons-nous en effet de la position de Lénine lorsqu’il s’est emparé du pouvoir par la violence et qu’il a établi sa dictature : « Je ne paierai pas les dettes tsaristes »... Aujourd’hui, la version corrigée c’est que vous ne paierez pas les dettes capitalistes – qui sont évaluées à 20 % des fameux 90 % du PIB. Mais y croyez-vous seulement ? Pour le cas où vous ne le sauriez pas, même Lénine a remboursé au moins à la Grande-Bretagne les dettes « ’capitalistes » du régime tsariste.

Ce genre d’argument – « Je ne paierai pas vos dettes », « J’irai cracher sur vos tombes » –, c’est comme dans la chanson : parole, parole, parole (Sourires), ce n’est pas sérieux.

Quant au maintien de la souveraineté, qu’est ce que la souveraineté nationale, mon cher collègue ? Est-ce de pouvoir faire n’importe quoi, de financer à crédit les retraites, les salaires des fonctionnaires ? Il faut être un peu sérieux. Je me tue depuis quinze ans à répéter que tout démocrate respectueux de la démocratie devrait être d’accord sur la règle d’or, c’est-à-dire sur l’interdiction de s’endetter pour financer des dépenses de fonctionnement. Je me suis battu et j’ai déposé je ne sais combien d’amendements en ce sens.

Comment pouvez-vous défendre des thèses inverses ? Pourriez-vous d’ailleurs nous expliquer quelles règles de bonne gouvernance préconise le groupe GDR ? Faire croire au peuple que l’on peut vivre à crédit en ruinant les générations futures ? Le déficit de fonctionnement du budget de l’État et de la sécurité sociale, c’est immoral, c’est anti-économique, car c’est plomber la croissance à long terme comme le montrent les exemples du Japon, de la Grèce et bien d’autres, et c’est anti-démocratique, car c’est saborder la démocratie.

Pourquoi ne parlez-vous pas des règles de bonne gouvernance dans vos interventions ? Moi, je suis un libéral, je suis pour la liberté de penser. Pourquoi n’avez-vous pas déposé des amendements pour nous expliquer ce qu’il faut faire ? C’est là toute votre faiblesse.

Ne vous étonnez donc pas si le groupe UDI votera contre votre motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Sans que cela doive étonner personne, le groupe écologiste ne votera pas cette motion.

La question qui enflamme notre hémicycle est celle de la souveraineté. Les écologistes, même s’ils sont très intéressés par le sujet, ne pensent pas, contrairement à leurs collègues du groupe GDR ni à leurs collègues de droite, que ce soit l’alpha et l’oméga du débat.

Nous en avons débattu déjà en commission, nous allons en débattre à nouveau dans l’hémicycle, et c’est pourquoi il n’est pas juste de vouloir renvoyer le texte en commission.

Vous comprendrez que, pour nous, le vrai débat, c’est : plus ou moins d’Europe. La question sera donc de savoir comment financer notre volonté de plus d’Europe et comment trouver ensemble des solutions à ces crises. À rebours de la façon dont le débat est sournoisement amené, et avec lui les choix qu’il appelle, sur la reconnaissance de notre rôle souverain et absolu, nous sommes persuadés, nous, que la solidarité européenne est un point important que nous aurons à traiter ensemble. Nous approuvons donc la nécessité d’avoir des finances saines afin d’y parvenir avec nos amis allemands, espagnols, italiens, et toutes celles et tous ceux qui devront demain construire l’Europe. Mais les arguments qui sont avancés, et qui m’inquiètent un peu car ils font parfois écho à ceux qui viennent de l’autre côté de l’hémicycle, sont des arguments que nous aurons quoi qu’il en soit à échanger et à discuter dans les heures qui viennent. Nous refusons donc le renvoi du texte en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.).

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine

M. François Asensi. Naturellement, nous allons voter cette motion. Je voudrais répondre aux inepties de M. de Courson, qui comme à son habitude en a sorti de bien bonnes. Ohé ! Charles-Amédée, s’il vous plaît, écoutez-moi ! C’est à vous que ce discours s’adresse ! (Rires.)

M. Charles de Courson. Oui, camarade !

M. François Asensi. Bien. Il existe une chose que vous ne pouvez faire, c’est me donner des leçons de bonne gestion.

M. Charles de Courson. Ni de léninisme !

M. François Asensi. Nous, parlementaires, gérons aussi des collectivités. Si vous voulez savoir comment est gérée la collectivité de Tremblay-en-France, vous pouvez tout à fait aller sur Internet et vous renseigner sur la gestion rigoureuse des deniers publics qui y est la nôtre.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas de cela que j’ai parlé ! Vous ne m’avez pas écouté !

M. François Asensi. Vous avez parlé tout à l’heure du dépassement de la nation. Vous êtes donc, à l’évidence et depuis longtemps, un thuriféraire du fédéralisme.

M. Charles de Courson. Oui ! Nous sommes fédéralistes !

M. François Asensi. J’estime pour ma part que nous ne sommes pas allés au bout de la force propulsive des États-nations, qui ont la capacité de développer des politiques publiques intéressantes. Nous sommes, nous, favorables à la coopération des États-nations et même, au risque de vous surprendre, à des abandons de souveraineté.

M. Charles de Courson. Quelle horreur !

M. François Asensi. Mais à une condition : qu’ils soient définis, choisis et décidés par les peuples !

M. Charles de Courson. Mais c’est le cas !

M. François Asensi. C’est évidemment très important. On peut faire à l’échelle européenne des choses formidables qu’on ne peut pas faire dans un seul pays. Mais la force propulsive de l’Europe était bien plus forte avant Maastricht !

M. Charles de Courson. C’est pour ça que vous avez voté contre ?

M. François Asensi. Des programmes comme Airbus ont été faits avant, tout comme la politique agricole commune. Nous considérons donc pour notre part que les États-nations, et non le fédéralisme, ont encore une force propulsive de développement des progrès sociaux. Car quand vous parlez, monsieur de Courson, il y a dans votre discours un grand absent : le peuple ! Bien sûr, vous allez dire que c’est de la démagogie populiste. Mais jamais, dans cet hémicycle, vous ne parlez du peuple !

M. Charles de Courson. Je représente le peuple français, figurez-vous !

M. François Asensi. Jamais vous ne parlez des indignés ! Ni des chômeurs ! Ni des jeunes de banlieue qui n’ont pas de boulot ! Cela ne vous intéresse pas. Vous êtes un comptable !

M. Charles de Courson. Et même un petit comptable !

M. Étienne Blanc. Fait personnel, monsieur le président !

M. François Asensi. À votre vue comptable de la société, nous en opposons une autre qui met le peuple au centre des décisions et du progrès.

M. Gaby Charroux et M. Marc Dolez. Très bien !

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour un rappel au règlement.

M. Charles de Courson. Notre collègue m’a mis en cause en me traitant de petit comptable.

M. François Asensi. De comptable seulement ! Je ne me permettrais pas de vous mettre en cause pour votre taille !

M. Charles de Courson. C’est un honneur, car j’ai beaucoup de respect pour cette corporation. Je suis plutôt des comptables de la « haute », comme on disait autrefois. Peu importe, j’assume ! (Rires.)

Le problème, c’est de vous entendre dire, vous et tant d’autres, que nous sommes de petits comptables parce que nous rappelons des règles de fond de toutes les démocraties, en particulier qu’elles sont fragiles et mortelles et que, si on veut les protéger, il faut leur rappeler matin, midi et soir qu’il existe des règles de bonne gouvernance qui doivent être respectées !

M. Bruno Le Roux. Comme vous l’avez fait pendant cinq ans !

M. Charles de Courson. Ce traité n’est pas un abandon de souveraineté, c’est un renforcement de la démocratie dans chacun des vingt-cinq pays de l’Union qui sont en train de le ratifier !

M. le président. C’était bien un rappel au règlement, comme chacun a pu le constater… (Sourires)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, le projet de loi organique que nous examinons cet après-midi serait selon vous un texte technique et respectueux des prérogatives du Parlement. Il en serait d’autant plus respectueux que ce projet de loi organique présente pour le Gouvernement un double avantage, il faut bien le dire.

Celui d’éviter l’inscription de la règle d’or dans le marbre constitutionnel, tout d’abord. C’est ce que souhaitait l’ancienne majorité, et que nous refusions tous ensemble, dans l’opposition, avant les élections présidentielles. Accessoirement, le choix de la loi organique confère au refus d’organiser un referendum un semblant de fondement juridique. Ce refus est en effet strictement politique, dès lors que l’article 11 de la Constitution permet au Président de la République de soumettre à referendum tout projet de loi tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur les institutions.

Le second avantage que présente ce projet de loi organique pour le Gouvernement, c’est de faire reposer l’essentiel du durcissement de la discipline budgétaire non pas sur des mécanismes de sanctions automatiques, mais sur la détermination et la volonté politique du Gouvernement et de sa majorité de se conformer eux-mêmes à une stratégie de rigueur. Bref, si l’on isole le texte de son contexte, on peut essayer, comme le fait le Gouvernement, de soutenir que le projet de loi organique ne bouleverse pas notre ordre juridique ni ne porte atteinte à la souveraineté budgétaire du Parlement. Une telle argumentation présente elle-même l’avantage d’entretenir le flou, à dessein et au détriment du débat que nous avons cet après-midi, sur les conséquences exactes de la transposition des dispositions de l’article 3 du traité dans notre droit interne. Ce flou permet à la fois de répondre à la droite qui s’en inquiète que le texte est suffisamment rigide et de rassurer la gauche en prétendant qu’on y trouve malgré tout des éléments de souplesse. Cette présentation, si habile soit-elle, défendue par le ministre, par le président de la commission et par le rapporteur avec un talent que je reconnais, ne résiste pas, selon nous, à l’analyse, pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, il ne faut pas minimiser la portée de la loi organique. Dans sa décision du 9 août 2012, le Conseil constitutionnel a clairement estimé que l’article 3.2 du traité budgétaire comportait une alternative pour faire respecter les règles relatives à l’équilibre des finances publiques telles qu’elles sont définies au paragraphe précédent. Les États doivent prendre des dispositions contraignantes et permanentes. Elles peuvent être de nature constitutionnelle, c’est ce que préfère le traité ; sinon, leur respect doit être garanti de quelque autre façon tout au long des processus budgétaires. C’est sur la base de cette deuxième option, validée par le Conseil constitutionnel, qu’a été fait le choix du projet de loi organique. Conformément à l’article 34 de la Constitution, rappelé tout à l’heure, si par nature la loi organique n’énonce que des règles de procédure, son caractère contraignant est bien réel.

M. Étienne Blanc. Bien sûr !

M. Marc Dolez. Le ministre de l’économie et des finances l’a d’ailleurs très clairement indiqué lors de son audition par la commission des finances. Si le Gouvernement a adopté l’une des deux possibilités laissées par le Conseil constitutionnel, disait-il, ce n’est en aucun cas pour s’exonérer de quoi que ce soit. Mieux vaut, selon lui, une loi organique efficace qu’une révision constitutionnelle sans portée. De fait, concluait-il, le projet de loi organique se cale très précisément sur les dispositions du traité et il n’y a aucune échappatoire ni même aucune intention d’en ménager une. On ne saurait être plus clair.

Les seules prérogatives effectivement respectées seront formelles. Elles se résument au vote annuel de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale ainsi qu’au contrôle de l’exécution des lois. Pour le reste, le Parlement exerce ses prérogatives dans un cadre toujours plus contraint.

D’après l’article 3.1 du traité, la situation budgétaire des administrations publiques, collectivités locales comprises, doit être à l’équilibre ou en excédent. À cet égard, comment ne pas partager l’inquiétude exprimée par notre collègue Jean-Luc Warsmann relative à la rédaction de l’article 4 du projet de loi organique ? Celui-ci prévoit en effet que les lois de programmation pourront comporter des règles ayant pour objet d’encadrer le recours à l’endettement de tout ou partie des administrations publiques, y compris donc des collectivités territoriales. Contrairement à M. le ministre Moscovici, nous pensons qu’il y a là atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Ce cadre toujours plus contraint découle aussi de l’article 3.1 du traité qui fixe la limite inférieure du déficit structurel à 0,5 % du PIB. L’article 4 stipule que, lorsque la dette publique excède 60 % du PIB, le déficit doit être réduit au rythme moyen de 5 % par an. L’article 3.1 stipule que les États devront veiller à respecter le calendrier de convergence fixé par la Commission européenne. Et d’après l’article 5 du traité, les États devront fournir à la Commission et au Conseil, dans le cadre du programme de partenariat budgétaire et économique, une description détaillée des réformes structurelle à établir. On sait ce que cela signifie, les réformes structurelles ! Je l’ai indiqué très précisément au cours du débat sur le traité budgétaire européen de la semaine dernière. On le sait d’autant plus si l’on se réfère au pacte Euro-plus. Cela signifie davantage de déréglementations, davantage de coupes sombres dans les dépenses publiques, davantage de privatisations, davantage de menaces pesant sur nos services publics ! Bref, cela signifie la remise en cause de notre modèle social, comme l’indique d’ailleurs très clairement l’article 9 du traité.

Le flou qui est entretenu sur les conséquences de la transposition de l’article 3 du traité par un projet de loi organique dans notre droit interne porte aussi sur la notion de solde structurel. Sa méthode de calcul fait en effet l’objet de débats, car il ne procède pas d’une mesure statistique directe mais de simulations modélisées. Les modes de calcul retenus par la Commission européenne tendent d’ailleurs à minimiser systématiquement l’écart conjoncturel, c’est-à-dire à proclamer que la quasi-totalité du déficit est structurelle. En 2011, le déficit structurel français a été évalué à 4,1 % par la Commission, à 3,7 % par Bercy et à 3,4 % par le FMI, soit une différence de 14 milliards d’euros, excusez du peu !

Ces modes de calcul de la Commission européenne attestent déjà que le déficit conjoncturel ne sera que très rarement détecté. En conséquence, contrairement à ce qui est indiqué, il sera quasiment impossible de jouer sur la notion d’écart conjoncturel pour introduire de la souplesse. Quoi qu’on en dise, c’est la Commission qui conduira en dernier ressort le pilotage du déficit structurel.

Le flou entretenu porte enfin sur le mécanisme de correction.

À ceux qui, comme nous, contestent ce texte au motif qu’il porte atteinte aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale, il est objecté que ce projet de loi organique ne confère pas de caractère automatique au mécanisme de correction mais seulement à son déclenchement. Il s’agit d’un faux-semblant. Le Haut Conseil des finances publiques ne donne certes que des avis non contraignants puisqu’ils ne sont pas assortis d’un régime de sanctions ; il n’en demeure pas moins que s’il vient à constater qu’un écart important appelle une correction, l’ % du projet de loi organique s’applique selon lequel : « Il est tenu compte par le Gouvernement d’un écart important au plus tard lors de l’élaboration du plus prochain projet de loi de finances de l’année ou projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année. » Or, lors de son audition devant la commission spéciale, M. le ministre de l’économie et des finances a clairement précisé que « l’expression “il est tenu compte” dit précisément jusqu’où on peut aller et au-delà de quoi on ne peut aller ». En résumé, si le Haut Conseil « constate », le gouvernement sera « tenu ». Le gouvernement reste libre de la méthode qu’il adoptera et le Parlement demeurera libre d’en débattre, mais l’objectif ne souffrira guère de discussions ; il sera fixé et contrôlé par des instances n’ayant pas de légitimité démocratique.

C’est en ce sens que le Haut Conseil des finances publiques jouera, en quelque sorte, comme l’a dit François Asensi, le rôle de bras armé de la Commission. Doté de pouvoirs réels, le Haut Conseil, composé de conseillers non révocables, s’érigera en arbitre des choix politiques. C’est pourquoi nous croyons qu’il y a atteinte à la souveraineté budgétaire du Parlement, et nous en sommes très inquiets.

C’est en ce sens aussi qu’en application du traité budgétaire européen, le projet de loi organique dont nous débattons organise une dépossession du caractère démocratique des politiques économiques et budgétaires.

Pour toutes ces raisons, parce que nous refusons la mise sous tutelle des politiques économiques et sociales de la France, parce que nous refusons l’austérité généralisée du traité budgétaire qui va plonger l’Europe dans la récession, parce que nous voulons une profonde réorientation de la construction européenne – réorientation qui n’est absolument pas engagée –, parce que nous voulons une Europe qui soit véritablement démocratique et sociale, nous allons voter résolument contre ce projet de loi organique comme nous votons résolument contre le traité budgétaire européen. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas déposé d’amendements au texte qui nous est soumis car, vous l’avez compris, nous considérons qu’il n’est pas amendable. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la plupart de députés du groupe UMP, je vais voter ce projet de loi organique. En effet, à nos yeux, il va dans le sens de l’intérêt national.

J’ai été surpris par l’expression employée en début de séance par M. Pierre Moscovici. Il a, en quelque sorte, récusé le terme de « règle d’or », comme si ces mots avaient quelque chose de honteux. Il a choisi d’utiliser une expression beaucoup plus prosaïque, un peu manufacturière, en parlant de « boîte à outils ». Pour ma part, j’ai préféré les mots utilisés par le président de la commission spéciale, M. Jean-Jacques Urvoas, qui a évoqué « un modèle d’équilibre et de subtilité juridique ».

M. Urvoas a aussi invoqué une très ancienne filiation en citant Pierre-Louis Roederer, membre du comité des finances de la Constituante, qui déjà, en 1790, se préoccupait de l’équilibre des comptes publics. Je crois, mes chers collègues qu’il n’est nul besoin de remonter si loin ni de faire une recherche en paternité. De fait, c’est bien la précédente majorité, qui au cours des quatre dernières années a progressivement élaboré les règles de bonne gouvernance qui figurent aujourd’hui dans le projet de loi organique. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui !

M. Gilles Carrez. Permettez-moi de rappeler brièvement quelques étapes de ce parcours !

Il y a quatre ans, nous avons inventé le concept de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, et en allant jusqu’à l’inscrire dans la Constitution lors de la révision de 2008. Nous avons également précisé que ces textes « s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ».

Il y a deux ans, dans le cadre de la commission Camdessus – dont M. Jérôme Cahuzac, à l’époque président de la commission des finances, était membre –, nous avons recherché les règles et la méthode permettant de revenir progressivement à l’équilibre des comptes publics. Ce travail s’est traduit par le projet de loi constitutionnelle de 2011, voté par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce texte contenait déjà, à l’identique, l’ensemble des dispositifs qui figurent aujourd’hui dans le projet de loi organique. Je pense à l’appréciation consolidée de l’ensemble des comptes publics : comptes de l’État, comptes des collectivités locales et comptes sociaux. Y figurait également la notion de trajectoire à partir d’un plafond de dépenses et d’un plancher de recette, qui ont vocation à se rejoindre pour que l’équilibre soit atteint. Il comportait aussi des mécanismes de correction des écarts par rapport à la trajectoire.

Enfin, le TSCG, a constitué une dernière étape. Son article 3 est extrêmement précis et contraignant – je le confirme à nos collègues qui siègent à gauche mais M. Dolez en a parlé avant moi,…

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Gilles Carrez. …s’agissant notamment des mécanismes de correction automatique des écarts. Je rappelle que nous allons probablement autoriser demain la ratification de ce traité sans que la moindre correction lui ait été apportée. Il s’agit, à la virgule près, du même traité que celui qui a été signé en février 2012 par le précédent Président de la République.

À partir de ces éléments et sur la base de la décision du Conseil constitutionnel du 9 août, qui, saisi par le Président de la République, s’est prononcé sur l’absence dans le traité d’une clause contraire à la Constitution, le Gouvernement a fait le choix de nous présenter un projet de loi organique plutôt que de réviser la Constitution comme l’ont fait l’Allemagne et l’Espagne. C’est son droit, d’autant que, lors de la campagne électorale, le candidat devenu Président de la République n’avait cessé d’affirmer qu’il n’inscrirait pas la règle d’or dans la Constitution. Il faut toutefois en tirer les conséquences car, comme l’a dit Jean-Jacques Urvoas, de ce fait, il n’y a pas de primauté de la loi de programmation pluriannuelle sur les lois de finances et de financement annuelles.

M. Charles de Courson. Hélas !

M. Gilles Carrez. Mais, contrairement à ce qu’a laissé entendre M. Moscovici devant la commission spéciale et à cette tribune, ce n’est pas parce que l’on a recours à une loi organique que les contraintes du traité s’en trouvent pour autant affaiblies.

M. Marc Dolez. Évidemment !

M. Gilles Carrez. Les contraintes du traité sont extrêmement fortes et précises. Vous aurez beau qualifier la loi organique de simple « boîte à outils », vous ne pourrez pas empêcher les contraintes du traité de s’imposer. Elles s’imposeront.

La contrainte politique va être très forte et la volonté politique de redresser progressivement les comptes sera déterminante. L’actuel ministre chargé du budget a toujours été très sensible à cette question de la volonté politique. Il s’en souvient, nous avions déjà débattu de ce sujet avec quelques collègues, dont M. Jean-Luc Warsmann, à propos de la révision de la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale quand nous traitions de la « durée de vie » de la CADES.

J’ai noté avec intérêt une autre observation du président de la commission spécial, M. Jean-Luc Urvoas, sur un point que j’avais moi-même soulevé en 2011 : l’intégration de la règle d’or dans la Constitution aurait présenté un inconvénient – le seul à mon sens – car elle aurait constitué l’expression d’une défiance par rapport à nous-mêmes des responsables politiques que nous sommes. Nous aurions remis nous-même en cause notre capacité à rééquilibrer de nous-même les comptes publics. Cela dit, il faut bien reconnaître que cette défiance était alimentée par le fait que, depuis près de quarante ans, aucune majorité ni aucun gouvernement n’a été capable d’équilibrer un seul budget de l’État, que l’on soit en période favorable ou en période de faible croissance.

Monsieur le ministre, je me réjouis que vous-même, le ministre de l’économie et des finances, le Premier ministre et le Président de la République soyez enfin conscients de la nécessité absolue de redresser progressivement nos comptes publics. Vous le répétez à chacune de vos interventions, et vous avez raison : notre dette a atteint un niveau insoutenable et nous devons absolument la maîtriser. Il s’agit bien d’une question de souveraineté nationale alors que la dette publique de la France va dépasser 90 % du PIB à la fin de l’année 2013.

Mme Karine Berger. Merci à nos prédécesseurs !

M. Gilles Carrez. Madame Berger, cette observation n’a vraiment aucun intérêt ! Cela fait quarante ans que les comptes sont déficitaires. Un jour ou l’autre, il faut bien en venir à les rééquilibrer.

Voyons le bon côté des choses : la majorité actuelle est enfin consciente de la nécessité de suivre une trajectoire de rééquilibrage des comptes !

Dans cet esprit constructif, je veux saluer le travail de la commission spécial, en particulier celui du rapporteur spécial. Monsieur le ministre, j’espère que vous accepterez les propositions adoptées par cette commission.

La commission a insisté sur notion de solde structurel qui figure à l’article 3 du TSCG. Il est essentiel de pouvoir décomposer ce solde en dépenses et en recettes et de mettre en évidence l’effort structurel qui est désormais pris en compte, à juste titre, dès l’article 1er du projet de loi organique.

Elle a consacré le principe de sincérité des lois de programmation des finances publiques. Ce principe n’était pas prévu par la LOLF puisque les lois de programmation ne font pas partie de la catégorie dite des « lois de finances ».

Elle proposera par amendement de modifier la composition du Haut Conseil des finances publiques. Nous approuvons le fait qu’une partie de l’expertise nécessaire de Bercy puisse être utilisée au sein de cet organisme grâce à la présence du directeur général de l’INSEE. Pour ma part, je soutiens la proposition du rapporteur visant à permettre au président du Conseil économique, social et environnemental de nommer l’un des membres du Haut Conseil.

Elle a élargi les compétences du Haut Conseil à l’égard des lois de finances rectificatives et des lois de financement rectificatives de la sécurité sociale.

La commission spéciale a également proposé – et cet élément est très important – que la constatation des éventuels écarts intervienne dès le stade de l’examen du projet de loi de règlement. En revanche, il y a un point sur lequel nous n’avons pu aboutir, même s’il existait une volonté partagée : à l’expression : « Le Gouvernement tient compte d’un écart important » – que, contrairement à M. Dolez je juge un peu trop faible –, j’aurais préféré l’expression : « Le Gouvernement s’engage à corriger un écart important ». Néanmoins, je pense que nous avons fait du bon travail au sein de la commission spéciale.

Constants dans notre conviction que le redressement de nos comptes publics est nécessaire – nous l’affirmons depuis quatre ans –, nous voterons ce projet de loi organique sans états d’âme. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à souligner que nous sommes heureux, au nom du groupe UDI, que le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire – dont je rappelle que le nouveau Président de la République n’a pas obtenu la modification d’un mot, d’un iota, d’une virgule – soit enfin soumis au Parlement pour ratification, laquelle sera votée par une très forte majorité de députés, dont ceux de l’UDI. Le projet de loi permettant la mise en œuvre dans le droit français de ce traité à travers le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, qui nous est soumis aujourd’hui, va également dans la bonne direction.

Bien sûr, comme nous l’avons maintes fois répété, nous aurions préféré que les principes de bonne gouvernance des finances publiques contenus dans le traité soient inscrits dans la Constitution sous la forme d’une règle d’or, mais ne boudons pas notre plaisir. L’avis du Conseil constitutionnel du 9 août dernier offrait à l’exécutif deux solutions : la révision de la Constitution ou la réforme via une loi organique. Le Gouvernement a choisi – j’allais dire : bien entendu – la voie de la loi organique, qui lui permet de substituer la règle de la majorité simple à celle de la majorité des trois cinquièmes, qu’il n’était pas sûr d’obtenir sans les voix de l’opposition. Toutefois, sur le fond, le résultat est le même, tant pour la loi de programmation des finances publiques que pour les lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Cessons donc d’opposer les partisans de la règle d’or – dont je rappelle qu’elle figure dans la Constitution allemande depuis quelques années et dans la Constitution espagnole depuis l’année dernière – qui seraient d’affreux réactionnaires ou d’affreux libéraux, diraient nos collègues du groupe GDR, à ceux qui choisissent la loi organique, car les conséquences seront identiques.

L’interdiction de dépasser la norme de déficit structurel de 0,5 % du PIB, ou de 1 % en cas de déficit non excessif, et celle relative à l’endettement public de 60 % du PIB sont, pour le cas de la France, pratiquement équivalentes à la règle d’or préconisée par le groupe UDI. Pour nous, celle-ci implique en effet que toutes les charges de fonctionnement doivent être entièrement couvertes par des produits de fonctionnement ou qu’on ne peut s’endetter que pour financer tout ou partie des dépenses d’investissement.

Or, les administrations publiques de sécurité sociale ne font pas d’investissements et les administrations publiques locales autofinancent aujourd’hui la quasi-totalité de leurs investissements. Quant à l’État, ses investissements dans le projet de loi de finances pour 2013 sont tombés à 16,7 milliards d’euros – sur 370 milliards d’euros de dépenses brutes du budget de l’État, mes chers collègues –, ce qui représente 0,8 % du produit intérieur brut. Comme vous le voyez, on pourrait vraiment penser qu’il a été fait application de notre règle d’or.

La vérité est donc la suivante : que les règles figurant dans les articles 3 et 4 du traité soient intégrées dans la Constitution ou dans la loi organique, elles s’appliquent aux lois de programmation des finances publiques comme aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Le candidat François Hollande a voulu nous faire croire que la règle d’or ne s’appliquerait pas si elle n’était pas intégrée dans la Constitution, mais c’est un mensonge.

Cette vérité rétablie, nous pensons cependant qu’il convient d’améliorer le projet de loi qui nous est soumis sur cinq points. Premièrement, le champ de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, tel que proposé par le Gouvernement, pose deux problèmes.

Le premier problème réside dans le fait que le projet de loi qui nous est présenté ne mentionne explicitement que le respect de l’article 3 du traité. Or, il est important de préciser que les lois de programmation des finances publiques doivent fixer non seulement l’objectif mentionné à l’article 3 du traité, mais aussi celui qui figure à l’article 4 – qui lui est d’ailleurs partiellement lié, mais j’aurai l’occasion d’y revenir.

Contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, ces deux articles sont étroitement liés, ne serait-ce que parce que la limite supérieure du déficit structurel est portée de 0,5 % à 1 % du PIB lorsque le montant de la dette publique descend au-dessous de 60 % du PIB. Dans certains cas de figure, l’endettement est tel qu’il devient nécessaire, pour l’État concerné, non plus de réduire son déficit, mais de dégager un excédent.

À cet égard, rappelons que le taux d’endettement public en France est de 90 % – et même 91 % en fin d’année. Pour le ramener à 60 % « à un rythme moyen d’un vingtième par an », comme il est prévu à l’article 4 du traité, il faudrait un excédent de 1,5 % pendant vingt ans si le taux de croissance est nul. Si tout va bien et que nous atteignons le taux prévisionnel de 1,1 % retenu par l’Union européenne, il nous faudra un excédent de l’ordre de 0,5 % pour réduire le poids de l’endettement public de 1,5 point par an pendant vingt ans. Mais cela, personne ne veut le reconnaître au sein du Gouvernement : à chaque fois que je pose la question, on me fait comprendre qu’il s’agit d’un sujet tabou !

Or, l’article 4 est clair : « L’existence d’un déficit excessif dû au non-respect du critère de la dette sera décidée conformément à la procédure prévue à l’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. » Refuser notre amendement, qui vise à ce que le respect de l’article 4 figure explicitement dans la loi organique, comme c’est le cas pour l’article 3, n’est donc pas justifié. On nous oppose un argument de pure forme, selon lequel l’article 4 relève des dispositions prévues à l’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, alors que l’article 3 relève des dispositions du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – qui n’est pas un véritable traité européen, mais un simple accord intergouvernemental, car il n’a été signé que par vingt-cinq des vingt-sept États membres de l’Union européenne. Cet argument ne tient pas : en effet, la procédure prévue à l’article 126 du traité est exactement la même que celle prévue dans le TSCG.

Considérer que l’objectif figurant dans un traité est sans portée serait très grave. Un pays peut avoir un déficit qui respecte les limites fixées à l’article 3 et une dette qui ne respecte pas la limite fixée à l’article 4, lequel prévoit une procédure pour déficit excessif dans ce cas également – c’est déjà le cas d’au moins un État au sein de l’Union.

Lors de la rédaction du traité, les gouvernements de la zone euro avaient en tête l’exemple de la dette de l’Italie, qui dépasse les 110 % du PIB bien que le pays soit en excédent primaire. Il s’agit ici de lutter non seulement contre les déficits, mais aussi contre le montant global de la dette. L’indépendance nationale et le rétablissement de la souveraineté des parlements nationaux passent par l’un et par l’autre, et non seulement par le premier. En inscrivant explicitement le respect de l’article 4 dans la loi organique, notre démarche est positive : ce que nous voulons, c’est un renforcement du texte permettant un retour à des finances publiques saines.

Le deuxième problème que nous souhaitons soulever est relatif au champ d’intervention du Haut Conseil, que nous croyons nécessaire d’élargir. En effet, par ses articles 10 et 11, le projet de loi organique instaure un régime discriminatoire en prévoyant deux procédures distinctes pour, d’un côté, les projets de loi de finances initiales et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, de l’autre, les projets de loi de finances rectificatives et les projets de loi de financement de la sécurité sociale rectificatives.

Pour le groupe UDI, le Haut Conseil doit appliquer les mêmes procédures à tous les textes budgétaires : une dégradation rapide de la conjoncture peut nécessiter des lois rectificatives très importantes et l’avis du Haut Conseil sera alors précieux. Il n’est donc pas judicieux de réserver un traitement différent à ces deux catégories de textes.

À cet effet, au lieu de la simple possibilité prévue par le projet de texte, il serait souhaitable qu’il soit fait obligation au Haut Conseil de rendre un avis sur les prévisions macroéconomiques et les éléments transmis par le Gouvernement en cas de lois de finances rectificatives ou de lois de financement de la sécurité sociale rectificatives.

Deuxièmement, la loi organique qui nous est soumise donne des pouvoirs à l’État qui pourraient aboutir à détruire la démocratie sociale et à dégrader la démocratie locale, à laquelle l’UDI est fermement attachée. En effet, l’article 4 du projet de loi organique ne manque pas de nous étonner : comment pourrait-il, dans sa rédaction actuelle, échapper à la censure du Conseil constitutionnel ? La loi de programmation des finances publiques – qui a la portée d’une loi organique, mais pas celle de la Constitution – ne peut prévoir d’encadrer globalement les dépenses, les recettes et le solde ou le recours à l’endettement des administrations locales, au mépris du principe de leur libre administration.

Pour protéger le texte d’une censure partielle, il convient de préciser que l’encadrement ne peut se faire que collectivité locale par collectivité locale, dans le respect de leur libre administration. Au-delà, comment le Gouvernement, qui affirme que la dépense publique locale va décroître, parviendra-t-il à cette fin sans remettre en cause le principe de la libre administration des collectivités territoriales, alors même que l’État détient tous les moyens sur les recettes – mais pas sur les dépenses, d’un point de vue juridique ? Il va sans dire que la loi organique doit respecter les principes constitutionnels, et nous espérons que le Conseil constitutionnel tranchera dans ce débat si notre amendement n’est pas adopté.

En outre, l’article 4 peut permettre la nationalisation de la partie des administrations publiques sociales actuellement gérées par les partenaires sociaux – c’est-à-dire essentiellement les régimes de retraites complémentaires. Cela signifie, mes chers collègues, que le niveau des prestations et des cotisations pourrait être fixé par l’État dans les administrations de sécurité sociale gérées par les partenaires sociaux. Sur ce point, nous attendons une réponse précise, monsieur le ministre : êtes-vous favorable à la nationalisation, ou souhaitez-vous préserver la démocratie sociale et l’autonomie de gestion des partenaires sociaux, qui resteront libres de gérer les prestations et cotisations des régimes de retraites complémentaires ?

Troisièmement, il nous faut préciser le rôle du Conseil constitutionnel en matière de sincérité. Dans sa décision du 9 août dernier, le Conseil indique qu’il se réserve la possibilité de contrôler la sincérité des documents budgétaires, qu’il s’agisse de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale. Or, la sincérité peut s’entendre de deux façons : d’abord comme la conformité de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale à la loi de programmation des finances publiques ; mais ce n’est pas le sens donné à la notion de sincérité par le Conseil constitutionnel dans son avis du 9 août, qui précise, à l’alinéa 27, qu’il se réserve la possibilité d’annuler des actes budgétaires, lois de finances ou lois de financement, dont les hypothèses macro-économiques sur la base desquelles ils sont construits seraient complètement irréalistes au regard, notamment, de l’avis donné par le Haut Conseil. Cette question ne manquera pas de se poser, monsieur le ministre, puisqu’il y a un contrôle automatique du Conseil constitutionnel sur la loi organique.

Quatrièmement, nous devons nous interroger au sujet de la hiérarchie des textes, qui relève de la compétence et de la décision du Conseil constitutionnel : pourra-t-il contrôler la sincérité des actes budgétaires au regard des lois de programmation ? La jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière tend à nous faire penser que non. J’attire cependant votre attention sur le fait que les lois de finances publiques relèvent de l’avant-dernier alinéa de l’article 34 de la Constitution, qui précise que les lois de programmation des finances publiques ont un objectif de retour vers l’équilibre financier – ce qui n’est pas le cas des autres lois de programmation. Sur cette question importante, il serait bon que le Gouvernement nous fasse connaître sa position : défend-il la thèse de la hiérarchie, ou considère-t-il que la loi de programmation des finances publiques est assimilable à une loi de programmation dite ordinaire – ce qui serait regrettable ?

Enfin, il est absolument crucial de garantir l’indépendance du Haut Conseil des finances publiques. Pour cela, l’UDI estime qu’il convient en premier lieu d’en clarifier le statut, et d’en faire une autorité administrative indépendante, plutôt que l’adosser simplement à la Cour des comptes. Le Haut Conseil gagnerait à être une autorité administrative indépendante, afin d’éviter la confusion entre le rôle constitutionnel de la Cour des comptes et le rôle d’avis du Haut Conseil.

La question porte également sur la composition de ce Haut Conseil. S’il existe un point de consensus sur nos bancs, c’est bien celui-ci : nous souhaitons tous que le Haut Conseil des finances publiques soit vraiment indépendant. De ce point de vue, l’amendement déposé par notre collègue Caresche a eu pour effet de produire une certaine animation au sein de la commission spéciale.

M. Christophe Caresche. Pas suffisante à mon goût ! (Sourires.)

M. Charles de Courson. Si nous avions adopté cet amendement, l’opposition se serait retirée de la commission spéciale et aurait voté contre la loi organique.

M. Christophe Caresche. Comme vous y allez !

M. Charles de Courson. Eh oui, il faut savoir choisir. Heureusement, notre collègue a eu la sagesse de retirer son amendement…

M. Christophe Caresche. Je ne sais pas si c’était vraiment de la sagesse !

M. Étienne Blanc et Mme Marie-Christine Dalloz. Si, si, c’était de la sagesse !

M. Charles de Courson. Vous avez fait preuve d’une grande sagesse, monsieur Caresche, car la proposition initiale du Gouvernement était équilibrée. Le groupe UDI estime nécessaire de conserver en l’état le texte du Gouvernement quant au mode de nomination des quatre personnalités qualifiées, en faisant confiance aux présidents des commissions des finances et aux présidents des deux assemblées, même si nous avons complété le dispositif par l’ajout de deux représentants. Certains ajustements supplémentaires peuvent encore se révéler nécessaires, notamment pour encadrer le pouvoir de nomination des différentes autorités, afin de veiller à ce que les personnalités nommées disposent bien de compétences particulières. M. le rapporteur de la commission spéciale a déjà déposé un amendement en ce sens, et nul doute que le Sénat se penchera, lui aussi, sur cette question capitale.

Tout aussi capitale est la possibilité pour les membres du Haut Conseil de voir leur mandat renouvelé. Souvenez-vous de la Constituante, mes chers collègues : dans leur souci de faire montre de désintéressement, les députés avaient voté une loi leur interdisant de se représenter. La catastrophe qui s’en est suivie a précipité la dérive de ce mouvement de réforme que l’on a appelé plus tard la Révolution française, une dérive vers l’absolutisme et ses excès sanglants.

M. le président. Il faut conclure, monsieur de Courson.

M. Charles de Courson. Notre rapporteur a proposé un système de renouvellement par moitié qui nous paraît plein de bon sens. Tâchons d’éviter l’écueil que constituerait l’absence de stabilité dans le temps – mais nous reviendrons sur tous ces points au cours de la discussion.

Nous savons que nos collègues du groupe GDR, constants dans l’erreur – errare humanum est, perseverare diabolicum, mes chers collègues ! –, ne voteront pas ce texte, mais nous aimerions enfin savoir quelle est la position de nos collègues du groupe des Verts sur ce projet de loi organique,…

Mme Barbara Pompili. Vous allez la connaître !

M. Charles de Courson. …leur attitude nous faisant penser, pour le moment, à des contorsionnistes politiques !

M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale. En matière de contorsions, notre collègue de Courson en connaît un rayon !

M. Charles de Courson. Cela étant, je le répète, nous ne désespérons pas de connaître leur position.

Quant à lui, le groupe UDI, sous les réserves que je viens d’indiquer, votera en faveur de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Charles de Courson. Enfin quelqu’un qui va voter pour le traité !

M. Christophe Cavard. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé du budget, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur de la commission spéciale, chers collègues, le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques vient traduire le traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance dans la loi française.

Je tiens tout d’abord à saluer, comme d’autres l’ont fait, et malgré ce que pense l’opposition, la solution retenue par le Gouvernement concernant la modalité de sa mise en œuvre.

En ce sens, comme le rappelait M. le Premier ministre, en évitant de fixer dans le carcan constitutionnel la règle d’or, que nous, écologistes, avons combattue – alors que cette option était défendue par l’UMP et, à l’époque, par Nicolas Sarkozy –, la loi organique laisse au Parlement sa souveraineté budgétaire.

Plus encore, dans la mesure où elle réduit la lecture de ce traité au strict minimum, je considère la loi organique comme un assouplissement de sa mise en œuvre. Faisant la même lecture que moi, certains de mes collègues du groupe écologiste, tout en ayant voté non au traité, se prononceront en faveur de la loi organique.

M. Charles de Courson. Il y a du progrès !

M. Christophe Cavard. Comme vous avez pu en juger lors du débat public que nous avons eu sur le sujet, les discussions entre écologistes sur le traité et la loi organique ont été riches.

Raillé par certains, qui connaissent pourtant les mêmes clivages dans leurs rangs, ce débat est, comme le rappelait mon collègue François de Rugy, un signe de maturité de notre mouvement politique.

M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale. Ça, c’est vrai !

M. Christophe Cavard. Lors de ce débat, plus de 30 % des membres du conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Verts se sont prononcés en faveur de ce traité. Le principe de respect de la proportionnelle, qui nous est cher et que notre groupe défend depuis toujours, me permet de défendre moi aussi les raisons de mon soutien à l’adoption du traité et de la loi organique. (Sourires.)

M. Jean-Marc Germain. Très bien !

M. Charles de Courson. Voilà quelqu’un de bien !

M. Christophe Cavard. Si j’ai soutenu le traité et si je vote en faveur de la loi organique, c’est pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, à la différence des autres moments où nous nous sommes déterminés sur le seul argument économique, le contexte mondial et européen s’est fortement dégradé. Les réponses aux « ultra-crises » sont devenues trop souvent identitaires et nationalistes. Or pour moi, dans un contexte où la gauche dirige la France, il faut plus que jamais jouer la carte européenne, qui seule peut nous sortir de l’ornière.

Ensuite, la question, aujourd’hui, n’est plus de savoir si les traités et les mécanismes de stabilité sont bons en tant que tels ; il faut tout faire pour venir en aide en urgence aux pays les plus en difficulté et stopper l’hémorragie.

La question est seulement de savoir si, à très court terme, cela apporte quelque chose à ces pays. La question est de savoir de quelles garanties diplomatiques nos partenaires ont besoin pour faire un pas supplémentaire en direction de l’intégration sociale et économique.

Oui, l’Europe est notre horizon commun pour sortir de la crise.

Oui, il est urgent d’agir pour casser la spéculation des marchés financiers, qui parient sur une crise de la solidarité européenne et qui, en même temps, s’assurent une rente toujours plus importante en augmentant les taux d’intérêt des pays en difficulté.

En l’état actuel des choses, seule l’adoption du traité et de la loi organique nous permet de répondre positivement à ces nécessités urgentes.

Enfin, la loi organique et sa mise en œuvre dans la programmation des finances publiques pour la période de 2012 à 2017 nous appellent à la clarification sur le problème de la dette. En tant qu’écologistes, nous savons que la transition écologique passera par des investissements sans précédents dans la modernisation des modes de production.

À ce titre, je regrette que l’amendement porté par ma collègue Eva Sas n’ait pas été retenu. En effet, il permettait de répondre clairement à l’objectif, commun à la majorité, qui consiste à s’inscrire dans les stratégies européennes en matière de transition énergétique. Il visait, pour cela, à sortir du calcul du solde structurel les investissements qui sont liés à la transition.

S’endetter pour investir dans la transition est une nécessité. Dire que l’endettement qui découle de ces investissements est une solution pour parvenir à la transition est une chose, mais dire que c’est la seule solution est une erreur fondamentale.

Tout d’abord, pour que la transition écologique soit réelle, la transformation de nos modes de production doit intégrer tout autant, la question de l’objectif environnemental que celle du processus social.

Non, toute dépense publique n’est pas bonne pour la transition écologique. Quand une délégation de service public est attribuée à un grand groupe international qui pratique le nivellement social par le bas et la spéculation financière, cette dépense nuit à la transition.

Sur ce point, je serai, avec mes collègues députés du groupe écologiste, particulièrement vigilant à la démarche du collectif pour un audit citoyen de la dette. Ce collectif permet, en associant le plus grand nombre à la compréhension d’un problème complexe – et renvoyé pour cette raison-là à des expertises qu’il est difficile de s’approprier – de mettre la dette, et plus précisément sa composition, au cœur du débat public.

Aujourd’hui, comme à chaque moment important de la construction européenne, nous sommes à un tournant.

En 2005, le non au traité constitutionnel que j’avais porté avec beaucoup de mes camarades à gauche n’a pas su trouver sa dynamique pour réorienter l’Europe. Bien au contraire, ce signal a été interprété par certains comme une faiblesse des défenseurs de l’intégration européenne.

Voter ce traité, en étant à la fois solidaire du Sud et à l’écoute du Nord, c’est se mettre en capacité de peser sur le débat européen. Il faut saisir cette opportunité de réorienter l’Europe vers plus de solidarité, plus d’écologie et plus de démocratie.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est nécessaire que notre vote de la loi organique soit le point de départ d’un débat sur la dette, lequel n’est lui-même qu’un préambule au débat, bien plus important, que nous devons avoir sur la poursuite de l’intégration européenne et sur l’idée fédéraliste. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Monsieur le président, mes chers collègues, c’est sans hésiter que je voterai pour ce texte,…

M. Charles de Courson. Bravo !

M. Paul Giacobbi. …avec la quasi-totalité des membres du groupe RRDP – deux ou trois d’entre eux s’abstiendront sans doute.

Qu’il me soit permis, pour autant, de souligner, comme je l’ai fait en commission spéciale, à quel point nous nous livrons ici, à défaut de pouvoir parvenir rapidement à l’équilibre budgétaire, à un exercice périlleux, qui, loin de nous donner une règle solide et stable, ressemble à un numéro d’équilibrisme.

Fixer une norme impérative pour l’équilibre du solde courant, voire pour l’indéfinissable solde structurel, relève à l’évidence de la limitation du pouvoir législatif et, de ce fait, de la norme constitutionnelle. Pour des raisons qui échappent à mes faibles lumières, je crois comprendre que l’on ne souhaitait pas réviser la Constitution. Était-ce par crainte de manquer de suffrages pour une majorité qualifiée des trois cinquièmes ? Peut-être, bien qu’il me semble que ce n’eût pas été un problème.

M. Charles de Courson. En effet !

M. Paul Giacobbi. Nous en aurons le cœur net lorsque les deux assemblées se seront prononcées sur la loi organique et sur le traité lui-même.

On me dit que d’autres subtilités politiques entrent en ligne de compte, mais je dois dire qu’elles m’échappent. (Sourires.)

Était-ce, comme je l’ai entendu parfois, parce qu’il ne fallait pas graver dans le marbre cette règle, afin de pouvoir en changer lorsque les temps – c’est-à-dire, j’imagine, la conjoncture économique générale – seraient plus cléments ? Si tel est l’argument, il est absurde, pour deux raisons.

D’abord, il est beaucoup plus facile pour la France de modifier sa Constitution, ce qui suppose simplement une majorité qualifiée au Parlement, que de modifier un traité, ce qui implique d’en référer aux autres hautes parties contractantes et d’obtenir leur assentiment, ce qui est à peu près impossible.

Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on mettrait dans la Constitution les règles issues du traité que l’on en rendrait plus difficile la modification ultérieure, puisque, en tout état de cause, l’on ne pourra pas se retirer du traité, sauf cataclysme européen qui mettrait à bas toutes les institutions de notre Union.

Ensuite, pour ce qui est d’abroger ces dispositions le jour où la crise économique sera terminée, il faut bien reconnaître que ce n’est pas demain la veille. Par ailleurs, c’est oublier que, ce jour-là, il sera infiniment plus facile de respecter ces règles, fussent-elles constitutionnelles, ce qui fait que plus personne ne songera même à les abroger !

Sur le texte lui-même, je comprends parfaitement la signification et l’utilité du concept de trajectoire pluriannuelle en matière de retour à l’équilibre des finances publiques de l’État. Je dois en revanche avouer mon allergie à la notion et à l’expression de « loi de programmation ». L’expérience, comme je l’ai déjà dit en commission, permettrait de définir de la façon suivante ces fameuses lois de programmation : « dispositions législatives indicatives et prévisionnelles adoptées par le Parlement pour plusieurs années et destinées à être contredites par chacune des lois de finances annuelles adoptées dans la durée de leur validité ».

Charles de Courson a rappelé la distinction que l’on peut faire entre la loi de programmation parfaitement superfétatoire et celle qui est censée avoir une portée financière. Mais, dans le cas d’espèce, si nous rendons la loi organique totalement contraignante, c’est-à-dire si nous sommes dans l’hypothèse d’une loi de programmation ayant une portée financière s’imposant aux lois de finances, je ne suis pas certain que nous respections la Constitution et que nous n’encourrions pas la critique du Conseil constitutionnel.

Si, au contraire, nous donnons au dispositif un caractère moins impératif, moins contraignant, nébuleux, de l’ordre de la trajectoire, voire de la supputation, nous ne respecterons pas le traité que nous avons signé et que nous allons ratifier.

Comme souvent alors en France, devant la difficulté à dire les choses tout en les faisant – pour ne pas parler d’une certaine propension à les faire sans les dire –, on crée une autorité, un conseil, une commission ou quelque chose d’approchant. Dans un moment où l’on cherche les économies et la simplification, et alors que le Conseil d’État et la Cour des comptes ont sévèrement critiqué la prolifération des conseils, agences, commissions et autorités de tout poil, cela paraît à tout le moins aller à contre-courant.

Nous voilà donc avec un conseil de plus et, tant qu’à faire, un Haut Conseil. S’il s’agit de donner un avis préalable sur la sincérité des prévisions macroéconomiques du Gouvernement, il ne serait tout de même pas difficile de réunir dans une note de trois pages l’ensemble des avis de diverses institutions publiques ou privées, nationales ou internationales – l’INSEE, la Banque de France, la Commission européenne, l’OCDE, le FMI et les instituts de prévision et de recherche, publics et privés – et de les comparer avec la prévision du Gouvernement, confrontant ainsi ce que l’on appelle le consensus des économistes avec les prévisions du gouvernement, tout en sachant que, depuis au moins dix ans, celles des gouvernements successifs ont été insincères.

Chaque année, lors de la présentation du budget, le gouvernement explique sa prévision de croissance, notoirement discordante par rapport au consensus des économistes, en disant que c’est là l’effet non seulement de son volontarisme, mais aussi des excellentes mesures qu’il propose au Parlement dans le cadre de la loi de finances.

Tout au long de l’exécution budgétaire, le gouvernement explique la discordance persistante, et parfois accentuée, entre ses prévisions initiales et la réalité constatée, comptant tout naturellement sur l’ignorance du public et la lassitude des parlementaires pour que l’on oublie tout rapidement, ce qui d’ailleurs se vérifie à chaque cycle budgétaire. A-t-on vraiment besoin d’un haut comité Théodule de plus pour cela ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur certains bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé du budget, monsieur le rapporteur de la commission spéciale, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer dans ce texte un projet de loi organique qui trouve un juste équilibre entre le respect intégral du traité et le respect scrupuleux de la souveraineté du Parlement en matière budgétaire.

Je veux d’abord rendre hommage au travail des ministres, qui présentent un texte d’une grande finesse,…

Mme Marie-Christine Dalloz. Ben voyons !

M. Charles de Courson. Que de cirage !

M. Pierre-Alain Muet. …alors que, dans un autre contexte politique, une autre majorité aurait inscrit dans la Constitution un objectif de solde structurel qui n’a rien à faire ni dans une constitution, ni dans une loi organique.

Il est vrai que les traités européens sont parfois des textes de circonstance. Quant à son origine, c’est sans doute vrai aussi de celui-ci, puisqu’il résultait à la fois de la volonté d’Angela Merkel de transcrire en Europe des règles budgétaires qui s’appliquaient en Allemagne et de la nécessité pour l’ancien président, Nicolas Sarkozy, de faire oublier sa gestion calamiteuse des finances publiques en inscrivant dans la Constitution des règles qu’il avait violées quotidiennement.

Heureusement, le travail des institutions européennes a produit un texte plus subtil que ce qu’imaginaient leurs inspirateurs, puisque ce traité n’incorpore ni sanctions automatiques en cas de déficit excessif, ni fixation d’une date de retour à l’équilibre des finances publiques – à la différence, par exemple, du mécanisme constitutionnel allemand de frein à l’endettement –, ni contrôle de la mise en œuvre de la règle d’équilibre structurel par la Cour de justice de l’Union européenne, dont le rôle est, effectivement, de vérifier la mise en place de telles procédures et non pas de s’exprimer sur la politique budgétaire elle-même.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs fondé sa décision – concluant à la conformité à la Constitution de la règle d’équilibre structurel figurant à l’article 3 du traité – sur le fait que des règles chiffrées étaient déjà applicables aux finances publiques de l’Union européenne, puisque le droit dérivé de l’Union prévoit depuis 2005 – c’était d’ailleurs la première fois qu’apparaît la notion de déficit structurel dans un texte européen – un objectif de déficit structurel de 1 % du PIB, ce qui est précisément l’objectif du traité quand la dette est inférieure à 60 % ; quand elle est au-delà, on sait bien qu’il faut la réduire et qu’il convient donc d’avoir un déficit structurel plus faible. C’est la logique de ce traité.

Opter pour un objectif de solde structurel est pertinent, puisque c’est reconnaître qu’il faut laisser jouer les stabilisateurs automatiques en fonction de la conjoncture. Cela permet de réagir à des ralentissements de l’activité économique ou, au contraire, à une période d’expansion forte.

Mais inscrire dans la constitution un objectif de déficit – structurel ou effectif – n’aurait aucun sens car cela impliquerait que cet objectif soit en quelque sorte valable pour la nuit des temps, quelle que soit la situation économique.

La limite posée par le traité – 0,5 % du PIB lorsque la dette est supérieure à 60 % du PIB, 1 % du PIB en deçà – est parfaitement adaptée à la situation actuelle, qui exige que nous réduisions la dette. Mais cette règle n’aurait guère de sens à très long terme. La seule équation qui fasse l’unanimité des économistes, parce qu’elle traduit une réalité comptable, lie le déficit, la croissance nominale et la dette qui en résulte, au bout d’un temps très long. Un déficit de 0,5 % avec une croissance de 2 % conduirait à une dette très faible ; ce n’est donc pas un objectif pertinent à long terme. En revanche, c’est un objectif pertinent dans la situation actuelle, où il convient de réduire la dette et même, si la conjoncture le permet, de dégager des excédents.

Le rôle de cette loi organique n’est pas d’imposer un chiffre, mais de renvoyer au traité. On peut imaginer que l’Europe se fixe d’autres objectifs dans dix ou vingt ans : il suffira alors d’un amendement pour que cette loi reste valable. C’est une vraie loi organique dans la mesure où elle n’est pas une réponse circonstancielle, mais où elle définit des procédures de finances publiques.

Surtout, le traité budgétaire est une composante d’un paquet qui comporte une véritable réorientation de l’Europe. Ce paquet n’est pas un simple codicille au traité ; il introduit pour la première fois en Europe un plan d’investissements représentant 1 % du PIB de l’Union, financé à la fois par la BEI, avec l’effet levier que l’on sait, et par les fonds structurels inutilisés. C’est une vraie réponse à la situation actuelle qui veut que les États réduisent leur dette et que la seule politique expansionniste possible soit à l’échelle européenne.

Ce projet de loi organique ne comporte aucune « règle d’or », mais seulement un ensemble d’instruments et de procédures dédiés à un meilleur pilotage de notre politique budgétaire. Des lois de programmation des finances publiques traceront le chemin du retour à l’équilibre structurel, sous la surveillance d’un Haut Conseil des finances publiques, lequel se contentera de donner des avis, sans pouvoir en aucune façon se substituer au Gouvernement ou au Parlement.

Loin de représenter un carcan, ce projet de loi organique met en place une obligation de moyens plutôt qu’une obligation de résultat et constitue, à l’image de la LOLF, un guide précieux permettant une gestion sérieuse de nos finances publiques.

Il n’impose aucune contrainte à nos choix de politique économique. La trajectoire que nous voulons donner aux finances publiques et dont nous discuterons lors du débat sur la loi pluriannuelle est celle qu’a annoncée le Président de la République : un retour du déficit des finances publiques à 3 %, puis à 0 % du PIB à la fin du quinquennat, parce qu’il faut remédier très rapidement à l’explosion de la dette. Cette trajectoire est parfaitement compatible avec l’objectif à moyen terme du traité ; elle est même plus ambitieuse, ce qui est une nécessité.

Le mécanisme de correction n’est pas automatique, seul son déclenchement l’est. En cela, le Gouvernement et le Parlement conservent pleinement leur rôle, le Haut Conseil n’ayant pas vocation à définir les politiques économiques, mais à donner une appréciation sur la situation budgétaire.

Les débats au sein de notre commission ont permis de préciser et d’améliorer le texte. De nombreux amendements ont été adoptés, à l’instar d’un amendement du rapporteur général qui prévoit une présentation dans un rapport annexé des modalités de calcul du solde structurel. On sait l’importance de ce solde et l’importance sous-jacente de la notion de croissance potentielle, sur laquelle les instituts de prévision se rejoignent rarement.

Un autre amendement du rapporteur général et du président de la commission spéciale réorganise la procédure de correction des écarts à la trajectoire de solde structurel, le constat des écarts prenant place naturellement dans la loi de règlement et l’annonce des mesures de redressement dans le débat d’orientation budgétaire.

Nous avons également prévu que le président du Haut Conseil pourra être auditionné par les commissions lorsque cela leur paraîtra nécessaire. En introduisant la possibilité pour l’Assemblée nationale et le Sénat d’organiser des débats sur les documents produits par le Gouvernement et par les institutions européennes, nous utilisons pleinement le semestre européen.

Enfin, un consensus sur l’élargissement du Haut Conseil s’est dégagé : nous proposons qu’y siègent le directeur général de l’INSEE – institut indépendant qui notifie à la Commission européenne le déficit, fournit des prévisions conjoncturelles et une appréciation de la croissance potentielle – ainsi qu’un représentant du Conseil économique et social, ce qui est cohérent puisque celui-ci peut se saisir des lois de programmation.

Cette loi organique est une bonne loi, durable puisque ses articles auront une longévité supérieure au traité qu’elle traduit.

M. Guy Geoffroy. Ah ?

M. Pierre-Alain Muet. En votant l’ensemble dans lequel s’inscrit la transcription du traité, nous permettrons aussi que la réorientation de l’Europe soit durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Germain.

M. Jean-Marc Germain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur de la commission spéciale, semaine après semaine, la stratégie de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault pour sortir la France de la crise se déploie. Ce texte en est une pièce importante.

Cette stratégie se résume finalement en deux mots : croissance et sérieux. Croissance d’abord. L’austérité – la réduction brutale des dépenses publiques et la baisse des salaires – ne marche pas : on a essayé avec la Grèce, et le remède est pire que le mal. Sans croissance, pas de sortie de crise ni même de rétablissement des comptes publics possibles.

La croissance, c’est d’abord celle de l’emploi. C’est par l’emploi que l’économie est repartie en 1997. C’est par l’emploi qu’elle repartira en 2013, grâce à l’électrochoc que constituent les 150 000 emplois d’avenir et les 500 000 contrats de génération, qui viendront s’ajouter aux 340 000 emplois aidés actuels.

La croissance, c’est ensuite le plan européen de grands travaux. 120 milliards d’euros obtenus de haute lutte par la France le 28 juin…

M. Guy Geoffroy. C’est faux !

M. Jean-Marc Germain. …et dont la gestion, gage de rapidité et d’efficacité, sera confiée pour partie aux régions, comme l’a annoncé le Président de la République aux États généraux des collectivités locales.

La croissance, c’est enfin une nouvelle politique industrielle. Elle aura comme bras armé la banque publique d’investissement, dotée de 40 milliards, qui sera mise sur pieds dans quelques jours. La vraie compétitivité naîtra de la mobilisation des créateurs, des chercheurs, des entrepreneurs dans de grandes aventures industrielles, comme hier le TGV, EADS ou Ariane et aujourd’hui la voiture propre, les énergies renouvelables, les textiles techniques et la médecine personnalisée.

M. Christian Eckert, rapporteur de la commission spéciale. Très bien !

M. Jean-Marc Germain. Bien sûr, il faudra aussi améliorer le financement de notre protection sociale pour qu’il pèse moins sur le travail. Mais nous ne devons pas en attendre des miracles : même en déplaçant toutes les cotisations patronales, le coût du travail dans l’industrie ne baisserait que de quelques points. Faisons-le avec un principe simple : les patrons paient les cotisations patronales, les salariés paient les cotisations salariales.

Mme Karine Berger. Très bien !

M. Jean-Marc Germain. Concrètement, nous disons oui au transfert des cotisations salariales sur la CSG, comme nous l’avions déjà fait en 1998, mais non au financement des cotisations patronales par la CSG.

Mme Karine Berger. Très bien !

M. Jean-Marc Germain. Ne mélangeons pas les choux et les carottes.

M. Serge Janquin. Tout à fait !

M. Jean-Marc Germain. Pour les cotisations patronales, la bonne formule, c’est une cotisation assise sur la valeur ajoutée, déjà retenue pour les impôts locaux des entreprises, ou une taxe environnementale sur les activités polluantes.

La croissance sans le sérieux, nous n’en voulons pas ! Parce que nous aimons l’action publique, nous voulons une gestion publique exemplaire.

La marque du sérieux, c’est le budget que vous venez de présenter, monsieur le ministre. Il y avait 30 milliards à trouver, vous les avez trouvés. La construction d’un budget, en règle générale, consiste à fourrer un édredon dans une valise. Là, il fallait mettre le matelas, et le sommier en prime, dans un dé à coudre. Vous y êtes parvenu.

Vous l’avez fait sans rien remiser de nos convictions, en dégageant les moyens pour financer nos priorités – l’emploi, l’éducation, la santé et la sécurité – et en faisant contribuer davantage ceux qui ont plus.

Le sérieux, c’est aussi cette loi organique de programmation et de gouvernance des finances publiques dont nous débattons aujourd’hui. Le contenu du texte, qui est la mise en œuvre du traité dans notre pays, est la démonstration par effet miroir de ce que nous disons depuis des semaines.

Ce traité ne mérite ni excès d’indignation ni excès de louanges. Il consiste, ni plus ni moins, en un jeu de règles minimales pour cohabiter dans la zone euro. Il n’empêche pas le déploiement de politiques de soutien à la croissance en période de crise. Il n’impose aucune règle contraignante dans la Constitution. Nous n’en voulions pas parce que nous refusons les chaînes de l’austérité, et il n’y en aura pas. Il n’implique aucun transfert de souveraineté : le Gouvernement et le Parlement conservent leurs prérogatives budgétaires.

Le sérieux, enfin, c’est le respect de l’objectif des 3 % qui mettra un coup d’arrêt à la spirale de l’endettement. 3 % ? Là n’est pas la question.

M. Guy Geoffroy. C’est faux !

M. Jean-Marc Germain. La question est : peut-on y parvenir sans nuire à notre objectif de croissance ? Oui, monsieur le ministre, et votre budget le montre. Si la croissance devait être inférieure à celle que nous escomptons, il nous faudra alors nous reposer la question, pour ce budget comme pour chacun des budgets suivants.

Inaugurant samedi l’école Louise-Michel à Clamart, je me suis replongé dans le très beau poème Les Œillets rouges. L’héroïne de la Commune l’adressa il y a cent quarante et un ans, presque jour pour jour, à son ami Théophile Ferré, condamné à mort le 2 septembre et qui allait être exécuté le 28 novembre. « Va fleurir près du captif sombre/Et dis-lui bien que nous l’aimons/Dis-lui que par le temps rapide/Tout appartient à l’avenir. »

Formons le vœu que par le temps rapide, et avec les efforts engagés pour sortir de la crise, la France retrouve très vite un avenir meilleur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur de la commission spéciale, mes chers collègues, les propos qu’il nous est donné d’entendre aujourd’hui sont plutôt convenus et consensuels. Tout le monde semble se prêter à un vote majoritaire, suivant les engagements de certains, et les reniements d’autres.

M. Alain Bocquet. Pas nous !

M. Guy Geoffroy. Avant de voter sans aucun état d’âme, comme la très grande majorité des membres du groupe UMP, pour ce projet de loi organique, je me permettrai d’évoquer un certain nombre d’éléments afin de faire avancer la réflexion commune que nous devons avoir sur la réalité des enjeux.

Au risque d’enfoncer une porte ouverte, je voudrais d’abord rappeler que nous ne serions pas aujourd’hui en train de débattre de ce texte si le président Nicolas Sarkozy, le 2 mars, n’avait apposé la signature de la France au traité budgétaire européen.

Nous ne serions pas en train de débattre de ce texte si le Conseil constitutionnel, le 9 août, n’avait formulé cet avis, très commenté aujourd’hui, avec des appréciations et des lectures quelques fois fantaisistes. La décision des Sages a permis au Gouvernement de ne pas opter pour la voie contraignante et permanente, mais de se contenter de la branche facile et émolliente de l’alternative proposée par l’article 3 du traité. Cela permet d’ailleurs à certains de commencer à envisager la possibilité de ne pas tenir les objectifs, pourtant indispensables à notre pays.

Je voudrais rappeler, sans aucune animosité vis-à-vis de quiconque, que la majorité sortante…

M. Pierre-Alain Muet. …a doublé la dette de la France !

M. Guy Geoffroy. …était totalement engagée aux côtés du président Sarkozy pour l’adoption du traité européen. L’opposition, elle, était vent debout.

Mme Marie-Christine Dalloz. Oui, il faut le dire !

M. Guy Geoffroy. Elle n’a cessé de répéter aux Français, trompant par la même occasion un certain nombre d’entre eux, qu’elle n’accepterait jamais le traité tel qu’il était. On se souvient encore du candidat François Hollande jurant ses grands dieux à la télévision que jamais, au grand jamais, ce traité ne serait présenté à l’approbation du Parlement ou des Français eux-mêmes en l’état où il se trouvait.

Nous en sommes aujourd’hui à constater que tout ceci n’était rien d’autre, évidemment, que des paroles de campagne. La réalité est bien plus claire pour les Français, et bien plus cruelle pour la majorité, qui a d’ailleurs bien du mal à se sortir de ses contradictions internes et à surmonter ses profondes divergences.

M. Christian Eckert, rapporteur. On n’a pas l’air trop stressés !

M. Guy Geoffroy. Et qu’a dit le Conseil constitutionnel, le 9 août dernier ? Contrairement à ce que vous prétendez, messieurs de la majorité nouvelle, il a confirmé que s’il s’agissait d’appliquer la première branche de l’alternative prévue au traité dans son article 3, il faudrait bel et bien une révision constitutionnelle.

Puisque vous avez choisi de refuser cette première branche de l’alternative, celle en somme de la sagesse, de la raison et de l’exigence de résultats, vous avez donc latitude de faire autrement. Mais vous n’y croyez pas beaucoup…

J’en veux pour preuve la présentation du projet de loi. Je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler que vous n’y visez même pas les bons articles de la Constitution : vous visez l’article 39, alors que la décision du Conseil constitutionnel vise les alinéas 18, 19 et 22 de l’article 34 ! Sans compter que le décret présentant le projet de loi ne rappelle même pas qu’il s’agit d’une loi organique… Tout ceci pour dire que l’état d’impréparation de ce projet et la hâte surprenante avec laquelle vous nous le proposez, puisque vous n’étiez pas obligés de nous imposer une procédure accélérée, font qu’au bout du compte il est heureux que l’opposition soit là, pour vous permettre d’assumer la parole de la France.

M. Christian Eckert, rapporteur. C’est trop !

M. Guy Geoffroy. Vous prétendiez la contester mais, au fond, vous saviez pertinemment que vous ne le feriez pas.

À l’issue de ce débat, qui ne suscite guère de passions particulières, l’Assemblée nationale votera à une grande majorité cette loi organique. Elle le fera parce que l’opposition d’aujourd’hui – majorité d’hier – est cohérente et persiste dans le courage qu’elle a eu de soutenir la signature par le président Sarkozy du traité que vous avez si longtemps déclaré refuser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous ne sommes pas dans le reniement !

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, lors de son intervention en réponse à la déclaration de politique européenne du Premier ministre, la semaine dernière, notre collègue Barbara Pompili insistait sur le pragmatisme des écologistes et sur notre refus de concevoir le monde, et singulièrement les questions européennes, selon un prisme idéologique, réducteur et manichéen. C’est dans cet esprit que nous voulons aborder l’examen de la loi organique, après le refus majoritaire de notre groupe de valider le TSCG, en raison du risque d’austérité qu’il peut entraîner.

Si la politique est souvent décrite comme l’art de concilier les contraires, cette séquence de la vie parlementaire en est une parfaite illustration. Notre assemblée, en effet, est appelée à trouver le chemin entre des exigences apparemment contradictoires : réduire la dette mais maintenir l’activité économique, donc un emploi et un revenu pour le plus grand nombre.

En d’autres termes, notre pays se trouve aujourd’hui dans la situation d’un équilibriste qui peut à tout moment basculer dans le gouffre de l’austérité ou dans celui de la dette, dette qui conduira également à l’austérité.

Pour l’austérité, chacun a compris que le régime sec aggravait la maladie. Les dogmatiques de l’économie libérale, tels les médecins de Molière, ont fait de la saignée le remède à tous les maux. La doxa libérale, uniquement obsédée par la dépense publique, produit en réalité des effets inverses à ceux recherchés, en provoquant une dégradation des finances publiques. La France en est malheureusement un des exemples les plus frappants, avec un doublement gravissime de la dette en dix ans, de 900 à 1 800 milliards, soit 30 000 euros par enfant à naître ! De quoi s’interroger sur la prétendue supériorité de la droite en matière de gestion…

Quant au risque de la dette, je veux le dire ici avec force, la gauche que nous incarnons, parce qu’elle est écologiste et défend l’avenir de nos enfants et des générations futures, considère la dette financière comme un véritable fléau. En effet, plus sûrement et plus sournoisement que la diète budgétaire, la dette conduit à l’austérité. La dette, c’est l’argent rare et cher, et donc la paralysie de l’économie, l’incapacité à épargner pour les plus modestes, pendant que les créanciers – les détenteurs de la dette – voient leurs profits croître en même temps que les taux d’intérêt.

Oui, la dette est l’ennemi des modestes et des innovateurs. C’est pour eux que nous voulons nous engager dans le redressement des comptes publics. Nous ne laisserons pas le monopole de l’honneur, de la combativité, de la défense des plus modestes à ceux qui déclarent – ce fut le cas d’un candidat à l’élection présidentielle – que « la dette n’est pas un problème ». Dire cela c’est faillir à son devoir, qui est d’éclairer le peuple et de dire la vérité.

Ni la foi aveugle dans les forces du marché, ni le rêve du grand soir européen, encore moins un repli nationaliste fatal ne pourront répondre aux défis qui sont devant nous.

Nous n’avons plus le temps de nous abriter derrière les certitudes passées, qui n’ont plus désormais pour unique vertu que de rassurer, de rassembler les militants, de mobiliser son électorat. Face à la complexité, le moment du doute est venu. C’est tout à la fois une question d’hygiène mentale et un préalable à toute innovation politique. Ce n’est pas toujours payant médiatiquement : il est tellement plus facile de fonctionner avec des schémas, de jouer sa partition idéologique, de se choisir un adversaire et de fonctionner bloc contre bloc.

C’est donc armés de plus de doutes que de certitudes que nous abordons ce débat sur la loi organique de programmation des finances publiques. Parmi ces doutes, il en est un qui a fait couler beaucoup d’encre et qui peut aujourd’hui se formuler de la façon suivante : Peut-on réellement envisager de voter la loi organique alors qu’on a majoritairement refusé le TSCG ?

Tout d’abord, vous observerez, le moment venu, que le probable vote favorable de notre groupe en faveur de la loi organique n’est pas plus unanime que ne l’a été notre opposition au TSCG, ce qui relativise certains commentaires.

Ensuite, nous devons intégrer le fait qu’après l’adoption du TSCG ses dispositions s’appliquent et peuvent conduire à une saisine de la Cour de justice européenne et à des sanctions à l’encontre de la France si cette la loi organique n’était pas adoptée.

Enfin, il faut préciser qu’au-delà de l’adoption de cette loi le débat et les choix politiques restent totalement ouverts. On le verra dans cet hémicycle d’ici quelques jours, lors du débat sur la loi de finances pour 2013, il y a bien plusieurs manières d’appliquer le TSCG et la loi organique. Les critiques et les oppositions que nous avons exprimées lors du débat et du vote sur le TSCG nous donnent aujourd’hui une réelle force pour dire ce que nous voulons en faire dans le budget 2013.

Un second doute porte sur la question de savoir si la loi organique permettra de respecter les engagements de la France sans programmer l’austérité. Cette loi n’aura pas valeur constitutionnelle ; pour autant, elle engage. À quoi, et jusqu’où ? Sera-t-elle une loi d’airain, au risque de se trouver rapidement ébranlée par la réalité et battue en brèche par les désastres de l’austérité qu’elle provoquerait ? Sera-t-elle, à l’inverse, une loi ouvrant la porte à des aménagements excessifs, ce qui serait en contradiction avec les engagements de la France ?

C’est sur la base de ces questions que les députés écologistes ont préparé le débat sur le texte qui nous est soumis. Avec ma collègue Éva Sas, nous avons examiné avec attention ses conséquences, comme ses présupposés. Les amendements sur lesquels nous avons travaillé – en lien avec nos collègues socialistes – entendent répondre à un certain nombre de questions posées la semaine dernière par François de Rugy et Barbara Pompili dans leurs interventions sur l’Europe et sur le TSCG.

Plus précisément, il est essentiel que la rudesse et la sécheresse des objectifs financiers chiffrés du TSCG, traduits dans la loi organique, ne nous fassent pas oublier les objectifs de développement adoptés par l’Union européenne, notamment en termes environnementaux et sociaux. Ces objectifs, au respect desquels il convient de veiller, doivent être pris en compte dans la composition du Haut conseil des finances publiques.

C’est dans un esprit constructif que nous abordons ce débat, un débat qui n’est ni formel ni artificiel, puisqu’il coïncide avec le début de l’examen d’un budget 2013 qui, tout à la fois, intègre et anticipe cette loi organique et ses objectifs.

Mes chers collègues, lors du débat sur le TSCG, nous avons évoqué les insuffisances de l’Europe, ses errances, mais aussi ses avancées. Nous avons partagé nos doutes sur la portée même des traités européens. Nous avons mesuré la capacité de l’Europe à bouger malgré les forces contradictoires qui la traversent. Les écologistes ont salué les avancées obtenues depuis juin, sur la BEI, la croissance, la taxe sur les transactions financières. On peut minimiser ces avancées, mais le sens est donné. Nous avons récemment noté avec satisfaction les changements de doctrine de la BCE sur la prise en compte des dettes souveraines et sur les obligations d’État, ou encore le sursis accordé par les ministres des finances au Portugal. Rien n’est écrit définitivement, tout reste possible, les libéraux, eux-mêmes, vacillent.

C’est précisément cette question qui va animer nos débats sur la loi de finance pour 2013. C’est à ce moment précis que se confronteront la logique des libéraux, qui n’ont juré jusque là que par la réduction de l’impôt et la baisse de la dépense publique, et celle des progressistes, moins campés sur leurs certitudes, plus réalistes, qui cherchent avec discernement le meilleur dosage entre optimisation de la dépense publique et restauration d’une fiscalité juste et dynamique.

Oui, nous rembourserons la dette, mais nous le ferons en protégeant les plus modestes, en préservant nos ressources et en soutenant les entreprises créatrices de valeur et de travail. Nous en donnerons des preuves très concrètes dans la loi de finance pour 2013.

Car rien n’empêche, ni dans le TSCG, ni dans la loi organique, de restaurer la justice fiscale. D’ailleurs, les débats qui s’engagent avec l’opposition parlementaire montrent à l’évidence qu’il y a bien deux manières de résorber la dette.

Nous avons encore des cartes en main pour affirmer que la vraie question n’est pas tant celle du remboursement de la dette que celle de savoir qui va la rembourser. Et, de ce point de vue, ni le TSCG ni la loi organique n’ont écrit l’histoire. C’est à nous de le faire, à nous de construire l’Europe politique qui saura, par l’harmonisation fiscale et sociale, par son poids dans le monde, apporter la régulation nécessaire à la mondialisation.

Ce projet, n’en déplaise à certains, nous le porterons au sein de la majorité de cette assemblée avec toute notre force, notre singularité, tout en assumant les décisions et les contraintes. C’est dans ce cadre que nous déposerons nos amendements sur le texte de cette loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe RRDP.

M. Jean-Noël Carpentier. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, lors de l’élection présidentielle j’ai soutenu, avec le Mouvement unitaire progressiste, les propositions du candidat François Hollande. Ce soutien se prolonge aujourd’hui à l’égard du Président de la République, à travers l’action du groupe RRDP auquel j’appartiens. La majorité de ses membres étant favorable à la ratification, je les remercie de m’offrir ici l’occasion d’exprimer une position sensiblement différente

Que de travail pour le Président de la République ! Que d’obstacles aussi pour réorienter la construction européenne vers plus de solidarité !

Il y a d’abord cette crise économique interminable et injuste, qui mine les consciences autant qu’elle contracte la croissance. En France, en Europe, dans le monde, partout on souffre et on s’inquiète.

Il y a aussi la droite parlementaire qui oublie son bilan et qui, à l'instar des ultralibéraux européens, voudrait toujours plus de rigueur et d'austérité. Elle nous en apporte la preuve tous les jours dans nos débats.

Mme Marie-Christine Dalloz. Heureusement qu’il y a une opposition !

M. Jean-Noël Carpentier. Il y a aussi le terrible chantage, il faut bien le dire, qu'exercent les marchés financiers. Ils ne se résignent pas, ils ne partagent pas, et peu importe pour eux que les peuples trinquent !

Voilà, le contexte est là.

Depuis son élection, le Président de la République et le Premier ministre ne sont pas restés l'arme au pied. Ils ont, avec nous, la majorité, engagé des réformes positives en France ; ils ont aussi fait de nouvelles propositions à nos partenaires européens.

Mme Marie-Christine Dalloz. Un peu de modestie ne nuirait point…

M. Jean-Noël Carpentier. Malheureusement, la proposition d'une Europe plus sociale, qui favorise l'entraide plutôt que la concurrence, n'est pas encore entrée dans les mœurs ni dans les cœurs des dirigeants actuels de l'Europe : la visée ultralibérale reste prédominante.

Alors, c'est vrai, la réorientation de l'Europe sera difficile, lente et, je le disais, semée d'embûches. Pour autant, grâce à l'action de la France, des avancées, il y en a eu, des avancées, il y en a !

Certes, le traité n'est pas récrit, mais il y a le pacte de croissance, le nouveau rôle attribué à la BCE, il y a aussi la taxe sur les transactions financières.

Mme Marie-Christine Dalloz. Que nous avons mise en place.

M. Jean-Noël Carpentier. Autant de compromis utiles qui modifient, si ce n'est dans son essence, du moins dans sa portée, le texte du traité budgétaire. Pourtant, ces compromis, de mon point de vue, restent bien insuffisants.

Bien sûr, je partage l'idée de la nécessité d'agir pour la maîtrise des déficits publics, mais je constate aussi que la frontière est étroite entre la responsabilité comme impératif recevable, et l'austérité comme injonction péremptoire. En cela, je souscris toujours aux paroles de François Hollande qui voyait en la finance, et l'austérité qu'elle exige, un adversaire à l'épanouissement des hommes.

Malheureusement, le traité et la loi organique qu'on nous propose d'adopter poussent à forcer les machines. Au risque, dans la conjoncture actuelle, de fragiliser les efforts engagés par notre majorité de gauche en faveur du redressement du pays dans la justice.

Aussi, en cohérence avec mon vote sur la ratification du traité, je ne voterai pas non plus cette loi organique.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est courageux…

M. Jean-Noël Carpentier. Je m'abstiendrai, en tenant compte du contexte que je viens d'évoquer, et parce que je fonde toujours autant d'espoir dans notre majorité.

Mon positionnement sur ce texte a donc pour moi la valeur d'une balise sur la route du changement. Cette balise, modeste, rappelle la priorité à gauche. L'histoire nous a enseigné, à nous la gauche, qu'une fois au pouvoir, il existe des virages dangereux. Ceux-ci obligent, au mieux, à des détours périlleux ; au pire, à des déviations qui font perdre de vue l'objectif visé, en l'occurrence le changement pour améliorer la vie des gens.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ce n’est pas pour maintenant !

M. Jean-Noël Carpentier. C'est donc pour toutes ces raisons, chers collègues, que, sans voter ce texte, je maintiens ma confiance à notre majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Ça ne mange pas de pain !

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, M. Bartolone a souhaité, dans sa dernière conférence de presse du 25 septembre, ouvrir l'Assemblée nationale au public. Cette initiative tombe à pic, car, bientôt, notre Parlement ne sera plus qu'un musée où l’on se promènera en famille le week-end pour contempler les fresques d'un passé révolu, et non une institution où se décide réellement l'avenir de la Nation…

Dans les ouvrages de droit constitutionnel, on lit qu'un État souverain se caractérise par le droit de battre monnaie, d'avoir des frontières, d'écrire ses lois.

Dans les ouvrages d'histoire, on rappelle également que les États Généraux de 1789 ont été convoqués pour répondre aux revendications sur l'égalité devant l'impôt et le besoin de contrôle des finances de l'État par le peuple.

Aujourd'hui, que reste-t- il de cet héritage juridique et historique, alors que 80 % de nos règles de droit nouvelles sont issues de textes communautaires ?

Que reste-t-il du contrôle de nos frontières après Schengen, l'OMC, et les principes de libre circulation généralisés, englobant autant les hommes que les capitaux, les biens que les services ?

Quel sera notre rôle, lorsque l'Union européenne pourra nous dicter notre budget et par-là même nos grands choix de politiques publiques ?

Alors je sais, vous m'objecterez que la loi organique que nous devons examiner ne prévoit pas, en droit, un tel transfert de pouvoir, qu'elle entend seulement mener à l'orthodoxie budgétaire en imposant une simple norme pluriannuelle de déficit structurel.

En réalité, elle organise une véritable mise sous tutelle du Parlement. Selon moi, se faire dicter des consignes, même s'il vous revient de les enregistrer, constitue effectivement un transfert de souveraineté. On nous encourage à résorber notre déficit, mais pour cela, il faut passer la main. Juste fin, mais dangereux moyens lorsque l'on connaît l'idéologie ultralibérale défendue par notre nouveau gestionnaire !

La notion de déficit structurel, cœur du mécanisme de la loi organique, est déjà un indice de ce danger. En ne définissant pas de manière claire les notions, l'Europe se réserve le soin de déterminer le périmètre de son contrôle. C'est l'Europe qui interprétera elle-même le principe de subsidiarité et définira ce qu'elle sait mieux faire que nous…

Et pour ceux qui trouvent que j'exagère, je les renvoie à ce qui est annoncé pour le prochain sommet européen des 18 et 19 octobre. M. Van Rompuy y proposera que des contrats de réformes structurelles soient signés avec les pays de la zone euro, afin que les enveloppes du futur budget européen ne soient débloquées qu'à la condition que les pays respectent les orientations définies par Bruxelles.

Alors que nous n'avons même pas encore voté le traité et la loi organique, la prochaine étape du dispositif est donc claire. Attendez-vous à la privatisation en cascade des services publics, à la découpe de l'assurance maladie, au délitement des prestations de retraite. La messe est dite, et c'est à marche forcée que l'Europe entend exercer son contrôle sur nos politiques.

On veut nous faire croire que Bruxelles serait plus à même que le peuple souverain de mettre directement fin aux années de déficits excessifs. Vaste supercherie, lorsque l’on sait que ceux qui dirigent l'Europe défendent la même idéologie que ceux qui nous ont conduits à la faillite !

Leur but n'est pas tant d'aider les États à contenir leurs déficits que de faire main basse sur leur pouvoir de décision et d’œuvrer pour un gouvernement européen, sans légitimité démocratique aucune.

Combien de citoyens sont aujourd'hui capables de citer seulement le nom de trois commissaires européens en exercice ? Chers collègues, faites vous-même le test et demandez-vous s'il est normal que nous ignorions jusqu'à l'identité même de ceux qui, demain, auront une main déterminante sur les politiques publiques de notre pays.

Pour finir, je prendrai à témoin les Français.

Le Front national a toujours plaidé pour la maîtrise et l'équilibre des comptes publics. Qu'on ne s'y trompe pas ! Nous sommes pour la discipline budgétaire, mais pas à n'importe quel prix !

Ce sont les majorités de droite et de gauche qui se sont succédé depuis trente-cinq ans qui ont enfoncé la France dans la spirale du déficit et de la dette, bientôt lourde de 1 800 milliards d’euros. Elles l'ont fait en succombant à la facilité de la dépense publique et en transformant l'État providence en un open bar pour toute la misère du monde.

Et pour en sortir, ce sont les mêmes qui, sans vous consulter par référendum, sans pour autant admettre leurs erreurs, vous disent aujourd'hui comment faire pour résorber cette dette : confier le pilotage de notre budget à d'autres.

En définitive, c'est le crime parfait : l'endettement excessif, c'est l'alibi ; le contrôle du déficit structurel, l'arme ; le Conseil constitutionnel, le complice ; la France, la victime !

M. le président. La parole est à Mme Seybah Dagoma.

Mme Seybah Dagoma. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en Allemagne comme en France, l'influence des juges constitutionnels dans l'orientation du cours de la construction européenne n'aura jamais été aussi déterminante.

La subtile décision du Conseil constitutionnel du 9 août constitue une étape fondatrice dans les rapports entre la France et l'Union européenne. Saisis par le Président de la République sur le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, les sages de la rue de Montpensier ont pacifié le débat institutionnel en construisant un équilibre fructueux entre le renforcement de la coordination européenne et la préservation du rôle du Parlement en matière budgétaire.

L'adaptation de la procédure budgétaire nationale au TSCG peut ainsi, selon le Conseil constitutionnel, donner lieu à deux approches laissées à l'appréciation du législateur : la règle d'équilibre budgétaire ainsi que le mécanisme de correction pourront être mis en œuvre en droit national soit « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles », soit au moyen de dispositions « dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon ».

Respectant l'identité constitutionnelle de la France, pays traditionnellement attaché à la place de la loi, le Gouvernement a choisi la deuxième option, prenant ses distances avec tout dispositif de nature contraignante. Il refuse ainsi le carcan dans lequel l'UMP prétendait enfermer la procédure budgétaire nationale.

Mes chers collègues, le Gouvernement s'est donc chargé de concrétiser une orientation souple en recourant à l'instrument juridique de la loi organique. Le choix du terme de « gouvernance » des finances publiques dans l'intitulé du projet de loi organique est à ce titre révélateur de sa nature même.

La création d'un comité budgétaire indépendant, le Haut conseil des finances publiques, permettra de disposer d'un aiguillon, évitant à notre pays de retomber dans les travers désastreux qui avaient conduit à des dérapages injustifiés des finances publiques.

La loi de programmation des finances publiques ne peut se voir conférer par le législateur organique une autorité supérieure aux lois de finances. C'est bien la loi de finances qui demeure le dispositif central…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission spéciale. Très bien !

Mme Seybah Dagoma. …c'est elle qui, en cas d'insincérité budgétaire, sera soumise à une éventuelle censure constitutionnelle.

Avec cette loi organique, c'est la qualité de l'ensemble de la procédure budgétaire qui est renforcée. Le terme de « gouvernance » doit être associé à celui de « pilotage » des finances publiques. Cette caractéristique implique un contrôle sur l'ensemble de la procédure budgétaire. C'est bien la tâche du Haut conseil qui aura un rôle tant ex ante qu’ex post.

Ce Haut conseil aura d'abord une fonction de prévision macroéconomique. Celle-ci est particulièrement bienvenue, dans la mesure où une des raisons pour lesquelles la France n'est jamais parvenue à respecter son programme de stabilité est la surévaluation systématique de l'hypothèse de croissance.

Le Haut conseil aura ensuite un rôle d'appréciation de la cohérence des perspectives budgétaires. Enfin, il pourra déclencher le mécanisme de correction. La loi de programmation devra indiquer l'ampleur et le calendrier des mesures de correction.

Cependant, l'indication fournie dans la loi de programmation sera dépourvue de portée normative, le législateur financier restant libre de définir les modalités de correction des différents écarts constatés.

Cette caractéristique permet de trouver un équilibre intelligent entre engagements européens et compétences du législateur national.

Mes chers collègues, cette loi organique constitue un premier pas dans la prise en compte d'une réalité trop souvent occultée au sein de notre débat national : les procédures budgétaires européennes et nationales sont de plus en plus imbriquées, notamment depuis l'avènement du semestre européen.

Cette procédure de consultation précoce se caractérise par un processus d'aller et retour entre autorités nationales et institutions européennes. Un objectif de moyen terme de solde structurel pour les administrations publiques est ainsi présenté par chaque État membre dans le cadre de son programme de stabilité présenté au mois d'avril de chaque année.

Alors que la loi de programmation des finances publiques qui définit l'objectif de moyen terme est examinée au mois de septembre, il pourrait être judicieux de prévoir une harmonisation des procédures et des calendriers budgétaires pour ce qui est de la détermination des trajectoires pluriannuelles aux niveaux européen et national.

La possible émergence d'un chaînage budgétaire intégré devrait s'accompagner d'un renforcement bienvenu du contrôle parlementaire national sur la procédure budgétaire européenne. Ce défi est fondamental.

Chers collègues, le monde scrute la manière dont les Européens créent une union politique, un espace de paix et de prospérité.

Confrontée à une crise sans précédent, l'Europe est pourtant à la croisée des chemins. Construction lente entamée en 1950, qui préfigure un monde multipolaire auquel la France est attachée, elle peut devenir cette fédération d'États-nations imaginée par Jacques Delors.

C'est tout le sens de la réorientation européenne engagée par le Président de la République : construire un équilibre entre souveraineté nationale et partage des compétences ; construire une Europe politique qui renoue avec les projets et l'ambition, une Europe qui se donne les moyens de générer de la croissance ; garantir avec pragmatisme une discipline budgétaire et une coordination économique de la zone euro.

C'est tout l'objet de cette loi organique qui s'intègre dans une vision plus large de l'avenir de l'Europe et de la France. Cette vision, le devoir de la représentation nationale est de la soutenir et de l'accompagner. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc.

M. Étienne Blanc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat aurait pu nous offrir l’occasion d’entendre le Gouvernement sortir d’une certaine ambiguïté. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que, dans ce débat sur la loi organique, le Gouvernement aura eu exactement le même discours que sur le traité européen : un discours parfaitement ambigu.

Voici quelques jours, j’ai apostrophé le ministre délégué chargé des affaires européennes en lui disant : « Monsieur le ministre, dites aux Françaises et aux Français que, dans ce traité, il y a tous les éléments pour priver la France des outils et des moyens de politiques keynésiennes. » Le ministre m’a répondu : « Pas du tout, vous vous trompez ! » Il a même achevé son propos en me disant : « Si vous pensez que, dans le traité, figurent les moyens d’empêcher le Gouvernement de mettre en œuvre des politiques keynésiennes, surtout ne le votez pas. »

La réalité, monsieur le ministre, vous le savez, c’est que, dans le traité comme dans la loi organique, le Gouvernement sera contraint et que vous ne pourrez plus mener comme vous l’entendez les politiques de dépenses publiques, les politiques keynésiennes qui font encore florès à gauche.

Deuxièmement, lorsque nous avons expliqué que ce traité était d’inspiration profondément fédérale, le ministre nous a répondu : « Pas du tout, le Gouvernement garde l’intégralité de sa souveraineté. »

Voilà qu’aujourd’hui, dans la loi organique qui décline ce traité, les deux sujets se posent à nouveau.

Première question, et c’est là qu’il faut enfin sortir de l’ambiguïté et dire la vérité aux Français : le Gouvernement pourra-t-il continuer, comme nous le faisons malheureusement depuis trop longtemps, à supporter des dépenses publiques, des politiques sociales, avec des objectifs certes louables, pour soutenir la consommation, générer de la fiscalité, notamment avec la TVA, et du chiffre d’affaires pour nos entreprises, mais aussi à crédit et dans les déficits ? Évidemment non, et quand le Front de gauche affirme que le Gouvernement s’en privera, il a raison. Pourquoi le Gouvernement ne le dit-il pas ? Or c’est une bonne chose pour la France que de revenir sur ces politiques keynésiennes qui ont été catastrophiques pour nos finances publiques.

Second sujet – et là c’est encore plus extraordinaire –, celui de la souveraineté. Nous sommes aujourd’hui dans une situation bien curieuse. Le traité qui nous amène à discuter du présent texte prévoit à son article 8, alinéa 3, un contrôle des dispositions de notre loi organique par la Cour de justice européenne. C’est sans précédent dans l’histoire de notre République ! Nous adoptons une loi organique et, si un État membre de la zone euro – laquelle inclut certes des États importants qui en sont des piliers, comme l’Allemagne ou l’Italie, mais aussi d’autres dont l’influence est bien moindre, par exemple Malte ou Chypre, sans vouloir être péjoratif – si l’un de ces États, dis-je, estime que notre loi organique n’est pas suffisamment contraignante, il pourra saisir la Cour de justice européenne ; celle-ci jugera si cette loi est suffisamment contraignante pour le respect des dispositions de l’article 3. Et, sans rougir, le Gouvernement vient nous dire : « Ce n’est pas du tout un traité fédéral traduisant un quelconque abandon de souveraineté »…

Monsieur le ministre délégué, nous sommes ici depuis quinze heures. Nous attendons du Gouvernement qu’il dise aux Françaises et aux Français la vérité.

Mme Valérie Rabault. Nous allons vous la dire !

M. Étienne Blanc. La vérité, c’est qu’en matière financière et monétaire, le traité de stabilité et la loi organique apportent des modifications profondes au fonctionnement de nos institutions et de notre République. Demain, nous n’adopterons pas les budgets dans les mêmes conditions.

M. Pierre-Alain Muet. Après cinq ans de déficits structurels !

M. Étienne Blanc. Vos marges de manœuvre se réduisent, mais nous comprenons bien, monsieur le ministre délégué, pourquoi vous ne le dites pas : vous cherchez à conserver une façon d’unité entre les sociaux-démocrates de votre gouvernement et les socialistes désuets qui le composent encore un peu. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Marie-Christine Dalloz. Excellent !

M. Étienne Blanc. Vous cherchez à dire aux Français que le traité et la loi organique ne doivent rien au président Nicolas Sarkozy. En fait, je vous le dis comme je l’ai dit au ministre des affaires européennes, vous devriez reconnaître que tout le monde est, a été et sera sarkozyste ! Vous n’y échapperez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

M. Dominique Baert. Alors ça ! L’avez-vous seulement été ?

M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, après l’examen du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, nous examinons désormais son « décret d’application » : la présente loi organique.

Avant toute chose, je tiens à rappeler que le TSCG, et donc la loi organique qui s’ensuit, ne viennent pas seuls. Le texte qui nous est soumis rappelle à juste titre que « la réorientation de l’Europe vers la croissance, la stabilité financière et la solidarité est engagée », et c’est pour cela que l’adoption du TSCG et de la loi organique peut se faire sans réserves.

Cette réorientation, actée lors du sommet européen des 28 et 29 juin derniers, compte davantage que les textes qui nous sont soumis. La taxe sur les transactions financières, le pacte de croissance, l’union bancaire et l’approfondissement politique forment le nouvel horizon de l’Union européenne.

L’adoption de règles budgétaires ne sera de toute façon pas suffisante pour résoudre nos problèmes. Par définition, les règles, même les plus contraignantes, sont amenées à être transgressées. D’autant que la rédaction assez souple de cette loi organique laisse une large latitude au politique. Alors, pour rétablir l’équilibre de nos comptes publics, je crois davantage en la volonté politique qu’en des contraintes réglementaires.

Comme le rappelle notre rapporteur, dans son rapport, « les règles budgétaires, aussi nombreuses soient-elles, ne sauraient garantir, à elles seules, une gestion sérieuse des finances publiques ». C’est d’autant plus vrai que ce traité, signé entre les États en dehors des procédures habituelles de l’Union, relève du droit international public et n’a donc force contraignante qu’autant que les États parties le veulent. Il ne constitue aujourd’hui qu’un engagement solennel entre États à rétablir leurs finances publiques.

Néanmoins, même si le contexte européen est plus important que les textes qui nous sont soumis, même si la volonté politique doit prévaloir sur les obligations juridiques, une coordination budgétaire européenne plus contraignante que le pacte de stabilité et de croissance est nécessaire.

Le fait d’intégrer le mécanisme budgétaire inscrit dans le TSCG via une loi organique introduit davantage de souplesse et atténue la portée de règles qui auraient pu devenir un véritable carcan si elles avaient été constitutionnalisées. Je me félicite donc que le Gouvernement ait choisi cette option, ouverte par la décision constitutionnelle du 9 août dernier.

Je considère que le TSCG nous impose davantage une obligation de moyens qu’une obligation de résultats. Il nous prescrit de mettre en place les mécanismes pour parvenir à l’équilibre budgétaire plutôt qu’il ne nous contraint de revenir à l’équilibre. C’est grâce à la volonté politique que nous parviendrons à l’équilibre des comptes publics.

Concernant le fond du texte, je m’interroge sur le solde structurel. Certes, prendre en compte ce solde structurel plutôt que le solde effectif est une nécessité. Nous éviterons ainsi de mener une politique procyclique particulièrement néfaste, que ce soit en période d’embellie ou de marasme économique. Mais le doute demeure sur la question du dosage des politiques contracycliques. Jusqu’à quel point pourra-t-on, en cas de récession, mener une politique expansionniste ? Rappelons qu’en juillet 2012, la Cour des comptes estimait le déficit structurel de la France en 2011 à 3,9 % du PIB, après 4,8 % en 2010. Dans pareille situation, peut-on mener une politique de relance conjoncturelle ?

Je m’interroge, comme beaucoup, sur l’élaboration de notre solde structurel, qui sera défini grâce à notre « croissance potentielle ». Cette élaboration devra se faire selon les mêmes critères dans tous les pays européens. Quels seront donc ces critères ? Intégrera-t-on dans le solde structurel les investissements liés aux objectifs stratégiques européens ?

De même, qu’entend-on par l’existence de « circonstances exceptionnelles », qui nous permettraient de nous écarter de l’objectif de moyen terme ? Une croissance nulle, telle que celle qui se profilerait pour 2013, est-ce une circonstance exceptionnelle ?

Beaucoup de questions, donc, qui trouveront certainement des réponses avec la pratique de cette nouvelle procédure budgétaire. Un temps d’adaptation sera nécessaire.

Autre point : j’approuve la souplesse du mécanisme de correction. La procédure proposée est suffisamment subtile pour ne pas entraver les prérogatives du Parlement. De même, le texte qui nous est soumis n’impose pas au Gouvernement d’adopter des mesures de correction en cas de dérapage. En effet, si un État partie manque à ses obligations, nulle sanction automatique, contrairement à ce qui a souvent été allégué, mais la possibilité pour un État – un État, pas la Commission – de saisir la CJCE pour faire constater un tel manquement.

Le rôle du Conseil constitutionnel sera de plus assez limité ; il ne devrait pas contrôler la conformité des lois de finances au TSCG. II n’y aura pas non plus de hiérarchie entre les lois de finances annuelles et la loi de programmation des finances publiques. Le cadre juridique est suffisamment souple pour laisser in fine les décisions au pouvoir politique. Nous n’entrons pas dans la logique ordo-libérale voulue par certains. L’équilibre des comptes publics dépendra d’une volonté politique plutôt que d’une contrainte juridique.

M. Charles de La Verpillière. Il n’y a aucune volonté !

Mme Annick Girardin. Concernant le Haut conseil des finances publiques, si le TSCG, dans son article 3-2, appelle la mise en place d’institutions indépendantes « chargées au niveau national de vérifier le respect des règles » qu’il définit, la Cour des comptes ne peut-elle remplir ce rôle ? Le Haut conseil sera en effet placé auprès d’elle et la moitié de ses membres comprendra, outre son président, des magistrats de la Cour. Mon collègue Paul Giacobbi, en réunion de la commission spéciale, s’est ouvertement posé la question de l’utilité de cette haute cour. Mme la présidente de la commission des affaires étrangères s’est par ailleurs émue de ce que le Parlement n’ait pas été l’organe choisi pour alerter publiquement le Gouvernement d’une déviation de la trajectoire des finances publiques. Je les rejoins dans leurs observations.

En conclusion, le vote de ce paquet budgétaire est une étape nécessaire mais insuffisante pour régler la crise européenne que nous connaissons. Le TSCG nous permet certes d’uniformiser les règles budgétaires en Europe, mais il convient désormais d’aller plus loin et d’adopter une même vision stratégique, économique et surtout politique, un véritable budget européen intégré, comme le souhaitent les radicaux de gauche.

M. Christophe Caresche. Du calme !

Mme Annick Girardin. Notre vote, ainsi que cela a été dit avant moi, sera cohérent avec celui qui présidera à la ratification du traité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, l’examen du projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques nous permet aujourd’hui d’apprécier la nature réelle de ce qu’impliquent nos engagements européens, et la part importante de souplesse que comporte le traité sur la stabilité examiné la semaine dernière.

Sur ce plan, monsieur Blanc, votre interprétation de la position de la France lorsque vous étiez au pouvoir n’est pas la mienne. Je pense que la France a essayé de peser pour que ce traité garde une certaine souplesse dans son application.

Je ne reviendrai pas sur l’équilibre entre la nécessaire solidarité européenne, l’indispensable discipline qu’elle implique, et l’impérieuse ambition qui doit inspirer la coordination de nos politiques pour conjurer les pièges de l’austérité. Grâce aux importantes avancées de la Banque centrale européenne dans la solidarité envers les plus vulnérables, au respect rigoureux de nos objectifs budgétaires et à la voie désormais tracée d’une politique européenne de croissance assise sur le pacte de juin dernier et la future taxe sur les transactions financières, les pièces du puzzle se mettent désormais en place.

C’est à un autre équilibre que s’attache, de manière fort opportune, le projet de loi qui nous est soumis : l’équilibre entre, d’une part, la coordination et la surveillance européennes et, d’autre part, le droit des nations à déterminer les voies concrètes de leur progrès économique et social, droit auquel nous sommes, au groupe socialiste, extrêmement attachés.

À cet égard, l’inspiration du dispositif proposé peut se résumer aisément : il invite les autorités politiques à assumer – j’emploie le terme à dessein –, sous le regard de nos compatriotes et sous la surveillance de nos partenaires, leurs choix économiques et budgétaires.

Assumer, d’abord, la trajectoire budgétaire, c’est-à-dire in fine notre degré de responsabilité envers les générations futures.

Assumer et non pas contraindre. Le Président de la République a choisi de refuser la camisole de force de l’inscription d’une règle d’or dans la Constitution. Ce n’était pas un choix de circonstance, mais un choix motivé par des raisons de fond, notamment la crainte qu’une telle inscription prive le Parlement et le Gouvernement de toute marge de manœuvre, de toute appréciation en matière budgétaire. Sur ce plan, nous avons avec l’opposition une différence majeure, qu’il ne faut pas sous-estimer.

Le Président de la République a préféré retenir la solution d’une loi organique, dont la logique est profondément différente. Elle n’est pas moins contraignante mais la contrainte s’exerce différemment. Elle obligera le législateur à clairement mettre sur la table le chemin qu’il retient vers l’assainissement budgétaire. Elle l’obligera à prendre la part de ses engagements européens, en s’appuyant sur la cible de l’objectif à moyen terme, entendu dans le respect du traité sur la stabilité. Et les lois de programmation devront comporter tous les éléments permettant une analyse précise et détaillée de la qualité du chemin proposé.

Pour autant, cette trajectoire, librement fixée, ne s’imposera pas directement aux lois de finances. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur le traité, a été parfaitement clair sur ce point. Pas plus qu’il ne reviendra sur sa jurisprudence constante de ne pas contrôler la conformité d’une loi à un traité, il ne censurera une loi de finances au motif qu’elle s’écarte de la trajectoire déterminée par la loi de programmation. Mais, et c’est ici l’innovation décisive, les majorités, certes libres d’adopter les budgets de leurs choix, devront très clairement s’en expliquer et assumer leurs orientations. Elles ne pourront pas se cacher derrière des prévisions biaisées, une stratégie que nous avons bien connue lors de la dernière mandature. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

L’institution du Haut conseil des finances publiques, doté de toutes les garanties d’indépendance nécessaires, vise précisément à mettre en place la transparence indispensable. Il s’exprimera en effet sur la qualité des prévisions macroéconomiques, et sur la cohérence des choix et des perspectives budgétaires au regard des lois de programmation et de nos engagements européens. Il n’exercera certes aucun pouvoir de contrainte, mais en dévoilant la nature réelle des choix proposés, il obligera chacun à prendre, là encore, ses responsabilités.

Ainsi, une loi de finances pourra s’écarter du chemin dessiné dans la loi de programmation. Mais dans ce cas, ses auteurs devront s’en expliquer, tant face à leur opinion publique que face à nos partenaires européens,…

M. Étienne Blanc. Et aux marchés !

M. Christophe Caresche. …qui ne manqueront désormais pas d’armes pour infléchir des choix budgétaires dangereux. Les majorités tentées de s’échapper de leurs obligations en retenant des hypothèses hasardeuses seront vite rattrapées par le contrôle vigilant de la sincérité des lois par le Conseil constitutionnel, éclairé par les avis publics du Haut conseil.

Le mécanisme de correction des dérapages budgétaires procède de la même inspiration. En juin, le Haut Conseil examinera les données d’exécution, et tirera la sonnette d’alarme en cas d’écarts significatifs. Mais, ici encore, il nous est proposé de résolument tourner le dos aux mécanismes automatiques et aveugles. Le Gouvernement devra prendre en compte l’avis du Haut conseil. Il devra se justifier et prévoir des mesures éventuelles de correction. Mais la nature et le détail de ces mesures demeureront de la seule compétence du législateur.

Cela étant, il ne faut pas oublier que cette liberté de choix se fera sous le regard attentif de nos partenaires européens. Vous avez raison, monsieur Blanc, sur ce point.

M. Étienne Blanc. Tout de même !

M. Christophe Caresche. En adoptant les lois de programmation, nous serons comptables de nos engagements européens, dont les procédures de contrôle et, surtout, de sanctions, ont été considérablement renforcées bien avant la rédaction du traité sur la stabilité, au moment du Six-Pack de l’automne 2011. Cette étroite surveillance appelle d’ailleurs des débats qui dépassent très largement le regard étroit sur le traité de stabilité et la loi de programmation.

Mme Élisabeth Guigou. Absolument !

M. Christophe Caresche. L’enracinement démocratique de l’Europe prend en effet un caractère impérieux que chacun peut désormais mesurer au vu de l’ampleur des contraintes budgétaires tissées par l’Union. Il faut évidemment en prendre pleinement conscience.

Dans le volet intérieur du projet de loi organique, je ne peux que saluer le choix profondément démocratique fait par le Gouvernement de laisser intact au Parlement son pouvoir budgétaire souverain. Je ne peux que lui suggérer d’en assumer pleinement la cohérence en veillant à une étroite convergence entre la trajectoire déterminée par la représentation nationale et celle qui figure dans les programmes de stabilité qu’il transmet au printemps à Bruxelles, programmes sur lesquels reposent concrètement toutes les procédures européennes. Une mise en cohérence, à terme, des calendriers d’élaboration des deux documents constituerait à cet égard un important progrès.

Mais il existe aussi un volet extérieur : l’ancrage démocratique des choix européens eux-mêmes.

Mme Marietta Karamanli. Très bien !

M. Christophe Caresche. Vous le savez, mes chers collègues, la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères ont adopté une proposition de résolution demandant la concrétisation rapide du volet parlementaire de la gouvernance économique de la zone euro. Il faudra évidemment aller plus loin, et la France apportera avec force sa voix à l’ample débat sur le futur de l’Europe dont on sent qu’il commence à s’imposer sur tout le continent. Dans l’attente de l’engagement de ce vaste chantier, le projet de loi organique, loin de nous enfermer dans un carcan d’austérité dont l’inanité saute aux yeux de tous ceux à qui la souffrance des peuples importe, nous encourage à l’inverse à reprendre en main nos finances publiques en les intégrant, de manière solennelle, dans une perspective de moyen terme clairement assumée. Il nous rappelle utilement que l’assainissement, auquel notre majorité apportera dans quelques jours une contribution historique, n’est pas une contrainte venue de Bruxelles, mais un choix pour retrouver la maîtrise de notre destin et se libérer des chantages de la spéculation.

C’est pourquoi je vous invite à l’adopter avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, prolongeant l’intervention de Christophe Caresche, j’aborderai ce débat avec trois préoccupations.

La première est de resituer le projet de loi organique par rapport aux enjeux européens, et je ne parle pas ici seulement du projet de traité.

Plusieurs d’entre nous l’ont dit : le TSCG innove peu au regard des règles du traité de Maastricht, qui existent depuis vingt ans, ni par rapport aux principes de surveillance et de sanction qui sont déjà applicables. De son côté, le projet de loi organique ne fait que traduire et adapter à notre appareil budgétaire national un cadre qui s’impose déjà à nous au travers de ce qu’on nomme le Six-Pack,…

Mme Élisabeth Guigou. Exactement !

Mme Marietta Karamanli. …un paquet de six mesures, à savoir cinq règlements et une directive entrés en vigueur depuis la fin de 2011. Ce paquet prévoit que les États membres en procédure de déficit excessif doivent se conformer aux recommandations spécifiques que leur adressera le Conseil européen en vue de le corriger. S’ils ne le font pas, les pays de la zone euro risqueront des sanctions financières.

Par ailleurs, le projet de loi organique reprend les notions de surveillance et de correction budgétaires, qu’il ne cite pas mais auxquelles l’étude d’impact se réfère largement, alors même que les règlements européens rendent les mesures s’y rapportant déjà applicables dans notre droit, et ce sans que le parlement français n’ait encore eu, à aucun moment, à se prononcer dessus ! Si le présent texte installe pour notre pays des règles pour partie déjà obligatoires, il permet aussi à la représentation nationale d’adapter ses instruments de prévision et d’autorisation budgétaires aux engagements économiques et financiers pris au sein de l’Union européenne. Ainsi, la loi organique devrait-elle être au cœur du débat de cette rentrée et ses enjeux mobiliser davantage les députés de tous bords.

M. Thierry Mandon. Surtout ceux d’en face !

Mme Marietta Karamanli. Ma deuxième préoccupation est de rappeler que ce projet de loi s’inscrit dans une tradition française de l’équilibre budgétaire et de la transparence, qu’il fait prospérer. Le Conseil constitutionnel, saisi de la question de la compatibilité du traité avec notre Constitution et de la nécessité d’une modification de celle-ci pour y inscrire le principe de l’équilibre ou de l’excédent de la situation budgétaire des administrations publiques, a rappelé que notre pays n’avait pas besoin d’autre chose que d’une application juste de nos principes républicains et de notre Constitution. Il a rappelé à cette occasion que notre souveraineté budgétaire dépendait de deux éléments : que les citoyens consentent librement à l’impôt et à la dépense, notamment par le Parlement, et que les ressources et les charges de l’État soient présentées de façon sincère.

Ce projet de loi renforce donc la transparence et la cohérence de notre connaissance des finances, élément consubstantiel de la sincérité du budget, en créant un Haut conseil des finances publiques qui éclairera non seulement le Gouvernement mais aussi le Parlement sur les hypothèses macroéconomiques et la trajectoire du fameux solde structurel. Nous ne pouvons que nous en féliciter, mes chers collègues.

Reste un point sur lequel il me paraît possible de progresser davantage, monsieur le ministre, à savoir l’intervention du parlement français, en particulier de notre assemblée, dans le cadre de la nouvelle articulation entre les décisions budgétaires nationales et les orientations communautaires. Il faut que nous réaffirmions notre préoccupation de jouer tout notre rôle dans les dispositifs mis en œuvre. L’introduction de nouveaux objectifs et de nouvelles procédures au sein de l’union et de la zone euro doit respecter pleinement les prérogatives actuelles des parlements nationaux. De plus, la réussite même de ces objectifs et de la convergence demandés au plan européen nécessitent une bonne compréhension, une réelle appropriation et une véritable contribution du Parlement et des députés à la réussite des objectifs de croissance durable, d’emploi, de compétitivité et de cohésion sociale visés par le traité de l’Union.

Dans ces conditions, il serait utile que les parlements nationaux, l’Assemblée nationale particulièrement, soient à même de comprendre, de discuter et de proposer, dans le cadre des procédures mises en œuvre entre l’État français et les institutions européennes. À ce titre, je crois fondamental, comme nous le proposons avec Élisabeth Guigou, que notre parlement puisse débattre à échéances régulières, à l’occasion des procédures de coordination des politiques économiques et budgétaires mises en œuvre, des orientations, conditions et effets de celles-ci. Je pense tout aussi fondamental qu’il soit en mesure d’émettre, lorsque l’Union formule des propositions ou recommandations dans le cadre des procédures de déficit visées à l’article 5 du traité, un avis sur celles-ci.

Ces dispositions, si elles viennent à être adoptées, n’affaibliront en rien la bonne articulation des politiques mais contribueront au contraire à la transparence et à l’efficacité des décisions, c’est-à-dire à la sincérité des budgets et de leurs effets. Ainsi, mes chers collègues, nous serons fidèles à l’idée démocratique, assez simple au demeurant, selon laquelle on est meilleur à plusieurs que tout seul. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mandon.

M. Thierry Mandon. Mes chers collègues, comme bon nombre des orateurs précédents, je me félicite de la voie choisie par le Gouvernement pour adapter en droit français les conséquences du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. En proposant à l’Assemblée le vote d’une loi organique plutôt que l’inscription dans la Constitution des obligations prévues par le traité, il fait en effet beaucoup plus que respecter un engagement datant de bien avant la période électorale, il applique, on doit le rappeler sans cesse, la lettre même du traité.

Ainsi, l’article 3, paragraphe 2, de ce traité ouvre plusieurs modalités de transcription en droit national : des règles constitutionnelles, ou des règles « dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon. » C’est l’objet même du projet de loi organique que de garantir le processus d’observance des engagements du traité.

Une telle transcription ne fait pas l’unanimité parmi nous, ni même entre ceux qui, tout en acceptant les règles définies par le traité, divergent sur les moyens d’en faire notre norme commune. Certains plaidaient et plaident encore pour que les engagements du traité figurent dans notre Constitution. Ils voudraient que l’inscription de la règle relative à l’équilibre budgétaire y soit inscrite dès le départ comme un carcan, qui deviendrait une règle d’autant plus éternelle qu’elle est radicalement nouvelle dans l’histoire politique et budgétaire de notre pays. Il y a dans cette conversion soudaine à l’équilibre budgétaire constitutionnalisé une dimension expiatoire. Certes, celle-ci s’explique trop bien au vu de l’histoire budgétaire de ces dernières années, mais nous conviendrons tous ensemble, dans cette enceinte républicaine, que ce n’est pas au Parlement de payer le prix de cette volonté de rédemption.

En choisissant la loi organique, le Gouvernement a voulu que la mise en œuvre du traité soit garantie par une règle plus forte encore que le carcan constitutionnel, par la garantie démocratique, laquelle rend notre parlement comptable de l’obligation de respecter les normes d’équilibre budgétaire, de les inscrire dans une démarche de programmation pluriannuelle et d’en corriger souverainement, en dépenses comme en recettes, les éventuelles dérives. C’est toute la question de la souveraineté du Parlement qui est au cœur de cette démarche, dont il faut rappeler les principaux outils.

C’est le Parlement qui votera la loi de finances pluriannuelle, dans laquelle il instituera un pilotage structurel de nos finances publiques rendant possible des politiques contracycliques, c’est-à-dire allant à l’encontre des cycles économiques défavorables. Sorte de déficit corrigé des variations économiques saisonnières, cette loi pluriannuelle sera votée par le Parlement.

C’est le Parlement et lui seul qui corrigera les éventuels écarts à la trajectoire décidée par la loi pluriannuelle qu’il aura lui-même adoptée, à l’occasion d’un vote, quand il sera sollicité par le Gouvernement, en cas d’écart important.

C’est encore le Parlement qui, grâce à des amendements votés en commission spéciale, pourra débattre des principaux éléments de gouvernance économique et monétaire décidés au niveau européen.

C’est le Parlement qui disposera désormais d’outils renforcés pour mieux apprécier l’évolution des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques.

C’est le Parlement qui, sur tous ces sujets, décidera.

C’est d’ailleurs la reprise de l’esprit et de la lettre du traité qui, en son article 3-3, stipule que, même en cas de déficit excessif, les mécanismes de correction doivent respecter pleinement les prérogatives du Parlement.

Je sais gré au Gouvernement d’avoir trouvé ce chemin étroit qui pouvait exister entre les dispositions du traité et les droits de notre Parlement. Sans reprendre l’intégralité des louanges exprimées par le président de la commission des lois en début de nos travaux, je veux saluer cette démarche gouvernementale par l’idée qu’elle permet de rappeler : il n’y aura pas de progrès européen, de renforcement de la construction européenne, si l’on ne veille pas aux droits du Parlement ; il ne peut y avoir de consolidation européenne sans ou malgré les Parlements nationaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Charles de La Verpillière.

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 2 mars 2012, à l’initiative de Nicolas Sarkozy et de Mme Merkel, vingt-cinq pays européens signaient un traité par lequel ils s’engageaient à rétablir l’équilibre de leurs finances publiques.

Ce traité, l’Assemblée nationale va sans aucun doute autoriser sa ratification et vous nous soumettez donc, monsieur le ministre, un projet de loi organique qui décrit les conditions dans lesquelles, selon vous, la France va respecter ses engagements.

Hélas, votre projet porte la marque des contradictions, des hésitations, des errements et des revirements de M. Hollande…

M. Christian Eckert, rapporteur. Aucun revirement !

M. Charles de La Verpillière. …sur la question de l’équilibre budgétaire et du redressement des finances publiques.

Faut-il rappeler qu’en 2011, M. Hollande, alors député, refusait de voter pour l’inscription de la règle d’or dans la Constitution que nous proposions ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Dominique Baert. Précisément : il n’a pas changé !

M. Charles de La Verpillière. Faut-il rappeler qu’au printemps 2012, le même, candidat à l’élection présidentielle, proclamait urbi et orbi qu’il renégocierait le traité de stabilité budgétaire du 2 mars 2012 ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Ah oui, on l’a entendu !

M. Charles de La Verpillière. Pourtant, c’est bien M. Hollande, Président de la République, et son gouvernement qui se sont résignés à faire ratifier ce traité sans en changer un seul mot, une seule virgule.

M. Thierry Mandon. Mais tout le contexte !

M. Charles de La Verpillière. Cependant, plutôt que d’inscrire la règle d’or dans la Constitution comme nous le proposions, vous avez préféré une loi organique qui renvoie elle-même à des lois de programmation le soin de définir les objectifs de retour à l’équilibre des finances publiques.

Après tant de zigzags entre la gauche folle et la gauche molle (Protestations sur les bancs du groupe SRC), le résultat ne pouvait être que décevant.

Mme Valérie Rabault. La dette folle, c’est vous !

M. Charles de La Verpillière. Votre texte, monsieur le ministre, me fait penser à ce vieux dicton qui avait cours en Dombes, le pays des étangs…

M. Régis Juanico. Des carpes !

M. Charles de La Verpillière. …dans mon beau département de l’Ain : un canard mal palmé ne volera jamais. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)

Malheureusement, c’est bien de cela qu’il s’agit. En effet, vous n’avez pas osé écrire noir sur blanc que les lois de finances annuelles et les lois de financement de la sécurité sociale devront respecter les orientations fixées par les lois de programmation des finances publiques. Rien n’est explicite non plus sur la correction des écarts lorsque l’objectif n’est pas atteint.

Monsieur le ministre, ces lacunes et ces restrictions mentales ôtent à votre projet tout son sens et toute sa force. Vous allez sans doute répondre que le retour à l’équilibre des finances publiques est une question de volonté politique plus qu’une obligation juridique. Mais comment pourrions-nous croire à la sincérité de votre engagement politique ? Le 3 octobre, le journal Le Monde rapportait les propos inquiétants de dirigeants importants du parti socialiste qui se désolidarisaient de l’objectif des 3 % de déficit en 2013 : M. Harlem Désir, M. Cambadélis, M. Assouline et même le président Bartolone.

Ce matin, excusez-moi, monsieur le ministre, c’est le quotidien de ma région, Le Progrès, qui vous cite : « Un débat européen sur la règle des 3 % est évidemment souhaitable, regardez ce qui se passe en Espagne, en Italie, et je ne parle même pas de la Grèce. »

M. Christian Eckert, rapporteur. Quelle lucidité !

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le ministre, je sais bien que François Mitterrand disait qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment.

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Le cardinal de Retz y est pour beaucoup !

M. Charles de La Verpillière. Mais on peut aussi se grandir car ce qui est en jeu, c’est la parole de la France en Europe, c’est sa crédibilité sur les marchés financiers internationaux dont nous aurons besoin tant que nous devrons emprunter pour couvrir nos déficits, et c’est bien sûr la possibilité pour notre pays de sortir d’une crise qui fabrique des chômeurs et rogne le pouvoir d’achat.

Monsieur le ministre, le débat qui commence vous fournit l’occasion de donner à votre projet toute sa portée et son sens : mettre en œuvre, sans arrière-pensée, l’engagement européen de la France. Les amendements constructifs du groupe UMP peuvent vous y aider ; nous vous demandons d’y être attentif sans parti pris. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dix ans après l’entrée en vigueur de la LOLF, nous franchissons une nouvelle étape dans la gestion de nos finances publiques.

Si la LOLF avait précisé les grands équilibres, le partage par missions, cette loi organique nous propose la précision d’un processus : une règle relative à l’équilibre du déficit structurel quand la dette dépasse 60 % ; un mécanisme de correction ; l’intervention d’institutions indépendantes chargées de vérifier le respect de ces règles.

Mes chers collègues, il s’agit bien là d’un processus qui n’est pas bloquant. Il l’aurait été si la transcription du traité s’était traduite par une règle d’or dans notre Constitution. C’est bien un processus qui nous est proposé aujourd’hui et, comme mon collègue Thierry Mandon, je sais gré au Gouvernement et à la commission spéciale d’avoir proposé cette loi organique, d’avoir traduit ce traité de manière non bloquante. En effet, dans la gestion de nos finances publiques, l’objectif qui est défini en termes de croissance et de moyens reste à la main du Parlement français.

Mes chers collègues du groupe GDR, je voudrais revenir sur ce qui a été dit tout à l’heure. Séparer le déficit structurel du déficit conjoncturel permet d’avoir la croissance à notre main. Ce sont les parlementaires qui, avec le Gouvernement, définiront les moyens à mettre en œuvre, les objectifs de croissance que nous voulons atteindre. Cette liberté nous est permise par la transcription du traité via cette loi organique.

À mon collègue Blanc qui nous parlait du keynésianisme, je voudrais rappeler que la distinction entre déficit structurel et déficit conjoncturel a bien été inventée par des keynésiens américains. Ils ont voulu que nous, parlementaires, puissions continuer à gérer nos finances publiques avec la liberté d’avoir une vraie vision de notre croissance.

Ces choix de politique économique sont bien ceux que le gouvernement Jospin, en son temps, avait été capable de porter, seul gouvernement de notre histoire récente qui ait respecté les équilibres de nos finances tout en réduisant le chômage et en créant la croissance.

Cette loi organique va nous permettre de créer de la croissance, de conserver la main sur la gestion de cette croissance, tout en respectant un processus et des équilibres et tout en prenant nos responsabilités.

Mme Marie-Christine Dalloz. Incroyable !

Mme Valérie Rabault. Mesdames et messieurs de l’UMP, vous qui nous livrez une dette et un déficit qui n’a jamais été atteint dans l’histoire de notre pays…

Mme Marie-Christine Dalloz. Il y avait longtemps !

Mme Valérie Rabault. Mais c’est toujours intéressant de vous le rappeler ! Souvenez-vous, entre 1998 et 2001, les critères du pacte de stabilité ont été respectés tant en matière de dette que de déficit. C’est la preuve qu’une gestion sérieuse de nos finances publiques…

M. Étienne Blanc. Ce n’est pas vrai !

Mme Valérie Rabault. Si c’est vrai ! C’est la preuve que l’on peut gérer de façon sérieuse nos finances publiques tout en étant capable de créer de la croissance.

M. Christian Eckert, rapporteur. Elle a raison !

Mme Valérie Rabault. Cela n’a pas été votre cas ; cela sera désormais de nouveau possible avec ce Gouvernement : la loi organique qui nous est proposée aujourd’hui le permettra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philip Cordery.

M. Philip Cordery. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le projet de loi organique sur la programmation et la gouvernance des finances publiques s’inscrit dans la dynamique d’une nouvelle Europe, impulsée par l’élection de François Hollande.

Dans cette nouvelle Europe, les politiques seront au service de la croissance et seront soutenues par un assainissement de nos finances publiques. Ce choix d’un équilibre entre sérieux budgétaire et croissance représente un véritable tournant par rapport aux années précédentes. N’oublions pas que ce sont les choix des précédents gouvernements, tels que faire des cadeaux fiscaux aux plus puissants, qui ont poussé la France au bord du gouffre et qui nous obligent à redoubler d’efforts.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au cours des trente dernières années, la gauche et la droite ont exercé le pouvoir, à quelques mois près, quinze ans chacune. Autant la responsabilité à la tête de la France a été partagée équitablement, autant le creusement de la dette publique a été quant à lui particulièrement inégal : 487 milliards d’euros sous la gauche et 917 milliards sous la droite. Les gouvernements de droite ont accumulé pratiquement le double de la dette enregistrée sous la gauche.

M. Christian Eckert, rapporteur. Et voilà !

M. Philip Cordery. La situation s’est particulièrement aggravée au cours des dix dernières années : entre 2002 et 2012 la dette de la France a doublé, passant de 800 à 1 600 milliards d’euros, pas seulement à cause de la crise mais aussi en raison de choix politiques comme le financement du paquet fiscal de la loi TEPA.

M. Christophe Caresche. Absolument !

M. Philip Cordery. Même Mme Pécresse reconnaît aujourd’hui que le gouvernement auquel elle appartenait a été trop généreux et qu’il aurait dû réduire les déficits publics alors que l’État – dixit M. Fillon – était en faillite, après trois ans de présence de M. Copé au ministère du budget.

M. Dominique Baert. À l’époque, alors il faut voir ce que c’est maintenant !

M. Philip Cordery. Ce congrès de l’UMP aura au moins pour avantage de faire naître un peu de lucidité sur les bancs de la droite.

Alors, cessons les leçons de bonne gestion !

François Hollande s’est engagé à assainir les finances publiques. Il tient un autre de ses engagements en proposant au Parlement de voter ce projet de loi organique et de ne pas inscrire la règle d’or dans la Constitution.

Cette loi organique n’est pas synonyme d’austérité et il ne faut pas confondre austérité et sérieux budgétaire car nous sommes sur un autre chemin, celui de la croissance.

La loi organique, en fixant des trajectoires de finances publiques, est l’un des outils nécessaires dans la mise en œuvre de la stratégie budgétaire du Gouvernement.

Cette stratégie budgétaire est couplée avec un projet de loi de finances courageux, réaliste et porteur de croissance. L’effort fiscal portera sur les ménages les plus aisés et les grandes entreprises. Les foyers les plus durement touchés par la crise ainsi que les PME, premières pourvoyeuses d’emplois en France, sont ainsi épargnés.

En aucun cas la loi organique n’empêchera la France de financer les choix politiques pour lesquels François Hollande a été élu – emploi, école, jeunesse, justice et sécurité – et que le Parlement confirmera. La loi organique ne limitera pas davantage les prérogatives du Parlement.

Il est temps maintenant d’aller plus loin et d’asseoir au niveau européen les prérogatives budgétaires des parlements nationaux et européen. C’est pourquoi j’appelle à l’adoption rapide par notre assemblée de la résolution sur l’ancrage démocratique du gouvernement économique européen, que nous avons votée en commission des affaires étrangères, ainsi qu’à la mise en place très vite de la conférence interparlementaire prévue par le TSCG, qui doit être consultée à propos des orientations des politiques économiques européennes.

Mme Élisabeth Guigou. Très bien !

M. Philip Cordery. Le Parlement doit être partie prenante dans l’évaluation et le suivi budgétaire européen. Nous pouvons pour cela nous inspirer du modèle du Bundestag allemand.

Enfin, il nous faudra aussi envisager une meilleure harmonisation des calendriers budgétaires nationaux et européen pour assurer la cohérence des débats sur la question.

Avec ce traité, le pacte de croissance, la taxe sur les transactions financières et enfin l’union bancaire, ce projet de loi organique ouvre la voie d’une réorientation de l’économie européenne, réorientation qui doit servir de premier pas vers une véritable union monétaire, budgétaire et fiscale. L’harmonisation fiscale, la mutualisation de la dette des États membres de la zone euro et la licence bancaire pour le MES sont autant d’objectifs à atteindre rapidement pour permettre à tous les États membres de l’Union européenne de sortir de la crise ensemble. Seuls des efforts partagés par tous, un sérieux budgétaire assumé et des politiques de croissance communes et courageuses permettront à l’Union de se remettre sur la voie d’une économie durable et de redevenir synonyme de progrès social. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Lefebvre.

M. Dominique Lefebvre. L’examen de ce projet de loi organique soulève trois questions simples : ce texte est-il utile et nécessaire ? Permettra-t-il au Gouvernement de mieux préparer les lois de finances et de financement de la sécurité sociale ? Donnera-t-il au Parlement les moyens de mieux légiférer, dans le strict respect de sa souveraineté ? La réponse est oui, sans hésitation, d’autant que les travaux en commission ont permis de préciser et d’améliorer le texte. Et c’est, monsieur le ministre, un bon texte.

Partant de l’obligation de mettre en place une procédure de programmation et de gouvernance des finances publiques concourant à l’objectif d’équilibre structurel, vous proposez en effet un dispositif qui renforce la transparence et la crédibilité de la procédure budgétaire et, en ce sens, complète utilement la LOLF, tout en laissant au Gouvernement et au Parlement la pleine responsabilité de leurs choix politiques.

J’entends bien, surtout à l’extrême gauche de cet hémicycle, mais aussi à l’extrême droite, que cette procédure représenterait un « carcan ». Je ne vois pour ma part aucune atteinte à la liberté du Gouvernement ni à la souveraineté du Parlement, le premier ayant toute latitude pour décider et du rythme, et des ajustements nécessaires pour atteindre l’équilibre structurel des finances publiques, le second gardant pleinement son pouvoir d’appréciation et de vote sur la base des propositions du Gouvernement.

La création d’un Haut conseil des finances publiques, qui viendra utilement compléter les travaux déjà réalisés, conformément à sa mission constitutionnelle, par la Cour des comptes sur l’exécution budgétaire et la situation des finances publiques, ne met en rien en cause le pouvoir de proposition du Gouvernement ni celui de décision du Parlement.

Par ses avis, ce Haut conseil rendra le débat démocratique et public plus transparent. Au mieux, cela crédibilisera la procédure budgétaire, au pire cela mettra au jour des divergences dans l’appréciation de la situation économique et des politiques budgétaires à conduire, qui auront alors à être justifiées et assumées.

Que ce soit là une contrainte de transparence, c’est l’évidence. Mais cela ne peut être interprété comme un carcan, sauf à refuser un débat démocratique éclairé devant nos concitoyens !

J’entends surtout, de la part des tenants du « carcan », un refus de soutenir l’objectif d’équilibre structurel des finances publiques ainsi que son corollaire en 2013 : le retour du déficit public à 3 %. Mais cet objectif d’équilibre structurel n’empêche en aucune manière de conduire des politiques contracycliques keynésiennes ou néo-keynésiennes. Ce n’est pas une invention libérale au profit de je ne sais quels intérêts financiers. C’est juste un acte de responsabilité vis-à-vis de notre jeunesse.

Rappelons en effet que le déficit public, c’est de la dette, c’est-à-dire ni plus ni moins que des charges que nous transmettons à nos enfants. Autant la dette qui a pour contrepartie des investissements d’avenir, ou celle qui vise à pallier un manque de croissance ponctuel et à soutenir l’activité, sont légitimes, autant la dette qui transfère aux générations futures des charges qui ne sont pas payées aujourd’hui faute de courage relève d’une totale irresponsabilité.

C’est bien ce qu’a connu la France depuis dix ans, notamment lorsque le précédent gouvernement s’est exonéré de ses obligations, pourtant prévues par une loi organique, et a à nouveau transféré une partie de la dette sociale à la CADES. Cette dette sociale, qui atteint désormais 200 milliards, n’est que la traduction de notre irresponsabilité collective vis-à-vis des générations futures, sur le dos desquelles nous nous payons notre niveau de vie actuel.

Rappeler cela, comme redire encore et toujours le laxisme dont la droite a fait preuve depuis 2002 dans la gestion des finances publiques, laxisme qui s’est traduit par l’explosion de la dette avant même le début de la crise financière et économique et de la crise politique de la zone euro qui en a résulté, permet de relativiser ce que dit la droite de cet hémicycle à l’occasion de ce débat.

Que dites-vous sur ces bancs, et que signifient les amendements que vous avez déposés ? Que vous n’avez pas su faire preuve de volonté et de responsabilité pour maîtriser les déficits et la dette. Que vous n’avez pas su résister à celles de vos clientèles qui exigeaient des baisses d’impôts, qui ont été financées par la dette. Qu’il vous faut donc, faute de responsabilité et de courage politique, vous en remettre à des mécanismes d’ajustement automatiques et brutaux, qui ne permettraient plus de conduire des politiques propres à soutenir la croissance et adaptées à la conjoncture économique. Et que vous êtes prêts pour cela à remettre en cause la souveraineté de cette assemblée. Bref, que vous entendez vous situer au degré zéro de la responsabilité politique !

Plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !

M. Dominique Lefebvre. C’était bien l’objet du projet de loi constitutionnel auquel nous nous sommes justement opposés. À votre décharge, je comprends que l’expérience fut douloureuse de n’avoir su tenir au cours de ces dix dernières années aucune des lois de programmation que vous aviez votées ni aucun des plans de stabilité que la France a transmis à la Commission européenne.

Alors, vous nous dites que nous ne saurons pas davantage que vous faire preuve de responsabilité et de courage politique. De grâce, ne nous rendez pas responsables de vos faiblesses ! Dois-je rappeler que la dernière fois que la dette a baissé dans ce pays, c’était sous le gouvernement de Lionel Jospin et que c’est entre 1993 et 1997, puis entre 2002 et 2012 qu’elle a le plus progressé ?

Pour notre part, avec le projet de loi de programmation des finances publiques et le projet de loi de finances pour 2013, qui ont été préparés par anticipation en cohérence avec les dispositions de ce projet de loi organique, nous assumons nos choix politiques et nous mettons en œuvre les engagements pris par le Président de la République devant les Français.

Que cela suppose du courage et de la constance, nous le savons. Qu’il faille résister aux intérêts particuliers et aux égoïsmes de ceux qui devraient être les premiers à participer au nécessaire effort de redressement national, nous le savons aussi, et pour tout dire nous y étions prêts. C’est pour cela que nous assumerons nos responsabilités en pleine souveraineté et indépendance. Cette nouvelle procédure budgétaire nous permettra de le faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann.

M. Éric Straumann. Depuis plus de six décennies, nos prédécesseurs ont su construire une Europe de paix. Le continent a connu une prospérité sans précédent qui a profité à tous les territoires. Jamais le niveau de vie général n’a été aussi élevé.

L’État providence a remplacé l’État-nation et les collectivités publiques se sont engagées en trois décennies, doucement mais sûrement, dans une politique de déficits publics, s’enfonçant insensiblement dans le sable mouvant des dettes. Cette orientation politique ne semblait pas inquiéter : les taux d’intérêts devaient être financés par la croissance économique. Mais ce schéma s’est heurté au plafond de verre de la stagnation de la croissance à un certain stade du développement économique.

Or l’accès au crédit ne posait aucun problème, car la défaillance d’un État n’était pas imaginable. Les critères de convergence imposés lors de la création de l’union monétaires – déficit des administrations publiques limité à 3 % du PIB, dette publique plafonnée à 60 % – ont été rapidement oubliés sous les effets de ce qui est appelé crise, mais est plus probablement un changement de modèle économique.

Le Conseil constitutionnel a décidé le 9 août 2012 que la ratification du traité ne nécessitait pas de modification de la Constitution. Pour ma part, je pense qu’en raison de son caractère fondamental il aurait dû être soumis au Congrès, parce qu’il prévoit l’inscription dans le droit interne d’un certain nombre de dispositions et de mécanismes qui limitent fortement le pouvoir des institutions nationales en stipulant que le droit budgétaire des États membres fera l’objet de règles minimales homogènes.

J’aurais préféré que cette règle d’or que nous allons implicitement adopter, honnie sur les bancs de gauche depuis plusieurs années, figure dans notre Constitution. Mais cela aurait constitué un reniement de plus des promesses électorales du printemps. Car on nous avait annoncé, durant la campagne présidentielle, une renégociation du traité : ce sera finalement au mot près le texte décidé par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy.

Jean-Marc Ayrault qualifiait le 22 février ce traité de « carcan budgétaire qui étend l’austérité à toute la zone euro ». François Hollande déclarait le 17 mars, dans son discours sur l’Europe prononcé à Paris : « Ce traité est une illusion, mais c’est aussi un risque, celui de devoir faire dans quelques mois ou dans quelques années, après des efforts parfois insupportables pour les Européens, le constat de l’échec et de l’impuissance ».

Je souhaite vous faire part du sentiment de trahison de nombreux électeurs qui ont voté pour le candidat socialiste. J’ai été frappé ces derniers jours par ce sentiment, exprimé par des salariés découvrant leur fiche de paie de septembre, où leurs heures supplémentaires sont désormais soumises à charges sociales.

Pour vendre ce texte à sa majorité, le Gouvernement annonce que ce pacte va permettre de mobiliser 120 milliards en faveur de mesures de croissance grâce à l’augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement et au redéploiement de crédits non utilisés de la politique structurelle. Ces mesures, décidées avant la conclusion du traité, constituent un rideau de fumé très médiatisé, mais à l’impact économique probablement symbolique : ces 120 milliards représentent 260 euros par habitant, alors que chaque Européen supporte une dette publique de plus de 20 000 euros…

Il faut d’ailleurs regretter l’affrontement stérile qui a eu lieu avec la chancelière allemande sur la question du traité pour laisser croire dans notre pays qu’on ne renierait pas une promesse de campagne. Le Gouvernement a malheureusement fragilisé ainsi pour des raisons politiciennes le couple franco-allemand. Avec ces atermoiements, la France a perdu en partie la confiance de ses partenaires européens et son rôle charnière dans notre continent.

Ce traité est dans l’intérêt supérieur du pays. Certains s’imaginent qu’il suffit de fermer la frontière et de s’isoler du monde, mais ce serait s’engager dans un modèle qui conduirait à l’affaiblissement inexorable de la France.

Ce texte permettra une meilleure maîtrise de nos finances publiques, dans un objectif de redressement des comptes publics. Ne pas le voter, c’est enfoncer notre pays et l’Europe dans une spirale inquiétante pour l’avenir économique et social. Je voterai donc pour ce projet de loi organique voulu par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy.

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite du projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)