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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 12 décembre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

1. Débat préalable au Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

M. Bertrand Pancher

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

M. Jean-Louis Roumegas

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Mme Nicole Ameline

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

M. Michel Piron

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Mme Marietta Karamanli

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

M. Marc Dolez

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

M. Thierry Braillard

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

M. Axel Poniatowski

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Mme Estelle Grelier

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin

2. Adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière

Présentation

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation

M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

Discussion générale

M. Étienne Blanc

M. Lionel Tardy

M. Philippe Vigier

M. François de Rugy

M. Alain Tourret

M. Patrice Carvalho

M. Jean-Luc Bleunven

Mme Arlette Grosskost

M. Malek Boutih

M. Jacques Bompard

M. Benoît Hamon, ministre délégué

Discussion des articles

Articles 1er à 33

Article 34

Amendements nos 1, 2

Articles 34 bis à 44

Vote sur l’ensemble

3. Juridictions de proximité

Présentation

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Gilles Bourdouleix

M. Sergio Coronado

M. Alain Tourret

M. Patrice Carvalho

Mme Colette Capdevielle

M. Patrice Verchère

M. Yves Goasdoué

Mme Cécile Untermaier

M. Alain Vidalies, ministre délégué

Article unique

M. Jean-Jacques Cottel

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Débat préalable au Conseil européen
des 13 et 14 décembre 2012

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me réjouis de l’occasion qui nous est donnée, à la veille du prochain Conseil européen, de débattre ensemble des principaux défis qui se présentent et de remettre en perspective l’action du Gouvernement au sein de l’Union européenne depuis six mois. Un certain nombre d’éléments de l’action de l’actuel gouvernement s’inscrivent dans la continuité de celle du gouvernement précédent ; d’autres sont davantage en rupture ou marquent une réorientation. Je souhaite profiter de ce débat non seulement pour répondre aux questions que vous voudrez bien m’adresser concernant vos préoccupations, mais aussi pour présenter la stratégie de la France au sein de l’Union au moment où les économies de l’Union européenne sont confrontées à une crise profonde et à ses défis quotidiens.

La stratégie du Gouvernement français face aux défis de la crise est simple. Elle s’articule autour de trois objectifs qui nous ont conduits, depuis six mois, à prendre un certain nombre d’initiatives, souvent en liaison avec nos partenaires de l’Union européenne.

Le premier objectif que nous poursuivons est celui de la réorientation de la politique européenne dans le sens de la croissance. Comme le Président de la République a déjà eu l’occasion de l’indiquer à plusieurs reprises, au terme des Conseils européens ou des réunions bilatérales avec ses partenaires de l’Union européenne, nous considérons qu’il n’y aura pas de croissance en Europe si nous n’arrivons pas à engager le redressement de nos comptes et à restaurer notre compétitivité. Dans le même temps, nous savons qu’il n’y aura pas de redressement ni de compétitivité si nous ne sommes pas capables de faire des efforts de réduction de nos déficits. Nous avons donc la double préoccupation de la croissance et du redressement de nos comptes : c’est là le fil rouge, le sens profond de l’action dans laquelle nous nous sommes engagés au sein de l’Union européenne depuis six mois.

S’agissant des initiatives de croissance, je rappelle les sujets sur lesquels nous sommes mobilisés. Il y a d’abord eu, à l’occasion du Conseil européen de juin, la mise en œuvre du plan de croissance de 120 milliards d’euros décidé par les vingt-sept pays de l’Union européenne et destiné à faire en sorte, dans un contexte de récession extrêmement profond, que nos économies puissent retrouver un peu de dynamisme. Ce plan de 120 milliards d’euros se répartissait en trois enveloppes : 55 milliards de fonds structurels à mobiliser, 10 milliards de recapitalisation de la Banque européenne d’investissement lui permettant d’accorder des prêts à hauteur de 60 milliards d’euros, et 4,5 milliards de project bonds destinés à accompagner au sein de l’Union européenne les projets les plus innovants.

M. Jean-Paul Bacquet. Cela fait beaucoup de milliards !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il m’est arrivé d’entendre sur certains bancs quelques interrogations sur la réalité de ce plan. Je veux indiquer aux parlementaires qui s’interrogent qu’ils pourront trouver auprès de la commission l’ensemble des documents retraçant les règlements pris par la Commission européenne, ainsi que par le conseil d’administration et le conseil des gouverneurs de la Banque européenne d’investissement, de sorte que la recapitalisation de cette dernière, le développement d’une nouvelle enveloppe de prêts et la mise en œuvre des règlements nécessaires à la mobilisation des 55 milliards d’euros de fonds structurels se produisent dans des délais permettant la mise en œuvre effective du plan de croissance au début de l’année 2013.

Mais ce plan pour la croissance de 120 milliards d’euros n’est pas pour solde de tout compte. Il appelle de notre part d’autres initiatives. Je pense notamment au budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020, qui n’a pas fait l’objet d’un compromis que nous souhaitions pourtant lors du dernier Conseil européen, il y a une dizaine de jours.

Je profite de ce débat préalable au Conseil européen de la fin de la semaine pour rappeler la position de la France concernant le budget de l’Union. Nous souhaitons d’abord que la négociation de ce budget ne se réduise pas à une discussion sur les coupes et les rabais. Un certain nombre de pays – notamment le Royaume-Uni et la Suède – souhaitent que le budget de l’Union européenne fasse l’objet d’une diminution très sensible par rapport aux propositions de la Commission.

M. Jean-Paul Bacquet. Ce n’est pas acceptable !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Cette diminution serait de l’ordre de 200 milliards d’euros.

M. Jean-Paul Bacquet. Non !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. C’était d’ailleurs la position du précédent gouvernement, que nous n’avons pas reprise à notre compte.

M. Christian Hutin et M. Marcel Rogemont. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous considérons que le budget de l’Union européenne doit être doté d’une enveloppe suffisante pour permettre d’agir en faveur de la croissance. Nous considérons aussi que l’approche européenne résolument solidaire qui doit inspirer la politique de notre pays ne doit pas nous conduire à encourager les États qui demandent, en même temps que des coupes, des chèques pour eux-mêmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

L’Europe mérite beaucoup mieux que cela ! Plutôt que de donner des chèques à certains de ses États membres, elle mérite un budget permettant d’encourager la croissance et de favoriser l’innovation, les transferts de technologies et la politique industrielle. Elle mérite un budget permettant de disposer de l’enveloppe dont nous avons besoin pour la politique agricole commune et pour la politique de cohésion, dont on sait à quel point elle a contribué à développer les investissements sur l’ensemble des territoires de l’Union européenne.

Nous ne voulons pas que la négociation sur le budget de l’Union se réduise à des coupes et des rabais. Nous voulons un bon équilibre entre les différentes politiques de l’Union européenne. Nous voulons également – c’est l’objet de notre mobilisation – que le budget de l’Union européenne soit doté de ressources propres ne dépendant pas que de la contribution RNB allouée par les différents États membres, laquelle est de plus en plus contrainte compte tenu de l’obligation des États de rétablir leurs comptes. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes battus pour l’adoption de la taxe sur les transactions financières en coopération renforcée.

M. Marcel Rogemont. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La lettre signée par onze États membres a été adressée à la Commission, et nous souhaitons que le produit de la taxe sur les transactions financières en coopération renforcée puisse constituer, à terme, l’une des ressources propres du budget de l’Union européenne, afin que ce dernier dispose enfin de perspectives dynamiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Enfin, s’agissant de la croissance, par-delà le plan de croissance de 120 milliards d’euros et la réorientation de notre position relative au budget de l’Union européenne, nous voulons approfondir les réflexions sur le marché intérieur. Nous devons faire en sorte que celui-ci ne soit pas simplement une machine à harmoniser – même si elle est nécessaire –, ni le creuset d’inspiration de politiques libérales, mais qu’il permette aussi de développer les orientations de l’Europe sociale, qu’il s’agisse de la portabilité des droits sociaux et de la reconnaissance des qualifications professionnelles pour l’ensemble des salariés de l’Union européenne, ou de la mise en place de véritables garanties sociales pour les travailleurs de l’Union, allant jusqu’à l’instauration d’un salaire minimum dont l’Europe a besoin si elle veut que le marché intérieur constitue une véritable opportunité d’harmonisation fiscale et sociale dans l’Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Jean-Paul Bacquet. Oui, il fallait le dire !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La croissance : voilà ce que nous voulons faire !

Ensuite, nous voulons travailler à la remise en ordre de la finance. Contrairement à ce que veulent démontrer certaines théories parfois sommairement développées, y compris dans cet hémicycle, une grande partie de la crise à laquelle l’Europe est confrontée ne résulte pas de la crise des dettes souveraines. Non : la crise de l’Europe résulte du fait que la finance devenue démente et la spéculation désormais sans limite ont conduit les banques à procéder à des investissements spéculatifs hasardeux qui les ont amenées à disposer dans leur actif de produits qui n’étaient pas ceux que l’on utilise généralement pour financer l’économie réelle. Par conséquent, nous avons été confrontés à une véritable crise bancaire qui a nécessité une recapitalisation des banques, parce que ces dernières n’étaient plus en situation de financer l’économie réelle, et que le désordre qui s’était emparé des banques et des marchés financiers avait engendré dans l’ensemble de l’économie européenne un désordre justifiant qu’on y mette fin.

C’est la raison pour laquelle la France a souhaité, lors du Conseil européen de juin, que l’on engage résolument l’Europe sur la voie de l’union bancaire, c’est-à-dire de la supervision de toutes les banques européennes, afin que les désordres ayant conduit aux errements d’hier ne soient plus possibles demain. Cette supervision bancaire doit s’accompagner d’un système de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts des épargnants, de sorte que l’union bancaire puisse offrir à l’économie européenne un système financier stabilisé, transparent, à même de financer durablement l’économie réelle.

Après le Conseil européen de juin qui avait arrêté le principe de la supervision bancaire et de la recapitalisation des banques par le Mécanisme européen de stabilité et le Fonds européen de stabilité financière, après le Conseil européen d’octobre qui avait stabilisé la supervision bancaire dans son périmètre, la supervision de toutes les banques, et dans ses modalités, la supervision par un acteur unique, la Banque centrale européenne, nous insisterons, lors du Conseil européen de la fin de la semaine, sur la nécessité de consolider cet édifice en faisant en sorte que la supervision bancaire soit définitivement arrêtée et stabilisée dans ses modalités et dans son calendrier. Cela suppose que la Commission européenne soit en situation de présenter au Parlement, en vue de leur adoption, la totalité des textes législatifs établissant les fondements de la supervision bancaire, et que nous soyons capables de prolonger la mise en œuvre de la supervision bancaire par un dispositif de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts.

Voilà pour la croissance, voilà pour la remise en ordre de la finance. Il nous faut poursuivre, encore et toujours, avec la volonté de réorienter en profondeur l’Europe vers le chemin de la solidarité et de la démocratie.

Sur le chemin de la solidarité, d’abord. Nous voyons bien que la crise qui vient de se dérouler est non seulement une crise de la finance devenue démente faute de régulation, mais aussi une crise de la solidarité au sein de l’Union européenne. Plusieurs idées seront évoquées à la fin de la semaine par le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, en vue d’ouvrir un chemin ambitieux pour l’union économique et monétaire. Parmi les idées qui figurent dans la feuille de route d’Herman Van Rompuy, j’en évoquerai trois.

Je commencerai par l’idée de la contractualisation, qui doit permettre aux États de conventionner entre eux et avec les institutions européennes pour faire converger les politiques économiques, ce dont l’Europe a résolument besoin. Mais la contractualisation ne peut pas présenter seulement des nouvelles logiques disciplinaires. Elle doit permettre aux pays qui le souhaitent d’engager des réformes structurelles, mais aussi favoriser la croissance et la compétitivité. Très concrètement, cela signifie que la contractualisation doit comporter non seulement une voie ouverte aux réformes structurelles, parce que les États pourraient souhaiter les mettre en œuvre, mais aussi des opportunités pour financer de la croissance et des investissements structurants de compétitivité dans les domaines de la croissance verte, de la numérisation du territoire ou des transports.

Tous ces sujets stratégiques pourront, demain, contribuer à renforcer l’Europe dans ses chances de surmonter la crise.

Il faut ensuite que la perspective du budget de la zone euro soit un moyen pour elle de renforcer sa gouvernance – elle en a besoin – par des réunions plus régulières de l’Eurogroupe, par un pilotage plus permanent de l’Eurogroupe, par le renforcement des prérogatives des parlements. À terme, il faut aussi que nous puissions être dotés de capacités destinées à faire face au choc de conjoncture en ayant la possibilité de mener de véritables politiques contracycliques.

Mais le budget de la zone euro, si nous le regardons avec intérêt, ne peut être considéré comme un substitut au budget de l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas mettre l’accent sur cette question avant que la négociation sur les perspectives financières de l’Union européenne pour la période 2014-2020 n’ait abouti. De la même manière, nous ne souhaitons pas que le budget de la zone euro, s’il devait advenir dans cette approche contracyclique, soit le seul et unique instrument de solidarité dont l’Europe se doterait. L’Europe a aussi besoin d’une capacité d’emprunt pour renforcer la solidarité et la mutualisation des dettes à terme. C’est nécessaire si les politiques économiques et budgétaires convergent. Nous devons en permanence conjuguer discipline budgétaire, solidarité et croissance. Nous devons faire en sorte que le redressement s’adosse au rétablissement des comptes, permette la convergence des politiques économiques et s’accompagne d’initiatives de croissance et de solidarité, afin de donner envie aux peuples d’Europe de croire encore au projet de ses pères fondateurs. Tout cela ne peut se faire que si les parlements, et notamment votre assemblée, ont davantage et plus souvent à connaître des grandes orientations de la politique de l’Union européenne telle qu’elle est portée par les États qui discutent entre eux au sein du Conseil européen, dans une relation approfondie et confortée avec les parlements nationaux et le Parlement européen.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la conférence interparlementaire prévue par l’article 13 du traité sur la stabilisation, la coordination et la gouvernance puisse être mise en œuvre le plus rapidement possible pour permettre l’exercice de la souveraineté parlementaire au sein du Parlement européen et dans les assemblées. Il serait également souhaitable comme l’ont demandé Christophe Caresche, Élisabeth Guigou et la présidente de la commission des affaires européennes, Danielle Auroi, que les calendriers budgétaires des parlements, du Parlement européen, des États, de la Commission, puissent converger, afin que nous n’ayons pas les recommandations de la Commission aux pays après l’adoption de leurs budgets, mais avant leur adoption, pour faciliter la transparence et l’efficacité de l’exercice budgétaire en France.

Croissance, remise en ordre de la finance, solidarité, exercice démocratique des prérogatives souveraines des parlements, voilà les sujets sur lesquels, à l’occasion du Conseil européen de jeudi et vendredi prochains, la France portera, dans une relation étroite avec ses partenaires, et notamment l’Allemagne, une parole forte et convaincante ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. Mes chers collègues, j’invite ceux d’entre vous qui ont des informations extrêmement importantes à se communiquer à le faire à l’extérieur de l’hémicycle, afin de ne pas gêner l’orateur.

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré la nouvelle péripétie que crée la crise italienne, le Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 devrait permettre à nos gouvernants de prendre un peu de champ après le traitement à chaud des crises qui nous assaillent depuis cinq ans, comme vient de l’indiquer M. le ministre. Certes, les indicateurs économiques restent en berne et les difficultés grecques, espagnoles, portugaises, et j’en oublie, nous montrent combien il reste à faire.

Mais, pour la première fois depuis longtemps, l’Europe semble avoir un peu de répit pour réfléchir aux défis fondamentaux qui sont les siens. Elle semble aussi commencer à comprendre que l’austérité comme seule ligne de conduite est un dogme mortifère.

Au cœur des propositions que le président Van Rompuy présentera au Conseil, figurent deux enjeux européens majeurs : le défi de l’union économique retrouvée et l’ancrage démocratique à approfondir.

Les derniers épisodes grecs et italiens soulignent plus encore la nécessité pour les États de renforcer leur union. Et les technocrates, aussi intelligents soient-ils, ne peuvent se substituer ni aux citoyens, ni aux parlements qui les représentent.

Le président Van Rompuy nous a, la semaine dernière, décrit lui-même ses propositions. Permettez-moi de placer ces réflexions dans la cohérence d’ensemble de ce qui manque à notre Union, pour en apprécier la portée, mais aussi les limites.

Quel est le rôle d’un gouvernement économique ? Une camisole de force budgétaire, d’obscurs mécanismes de prêts au coût différé ? Une énième usine à gaz montrant que le millefeuille européen n’a rien à envier à celui de la France ? Rien de tout cela !

L’Union, c’est d’abord et avant tout une exigence de solidarité. En dépit des progrès accomplis pour aider les États les plus vulnérables, beaucoup reste à faire. Cette solidarité implique plus que le déploiement de filets de sécurité pour des pays au bord du gouffre. Elle est incompatible avec la concurrence fiscale, sociale et environnementale que se livrent trop souvent nos nations.

Certes, le chemin qui conduit à l’harmonisation est ardu, mais il faut nous y engager. Même si, comme le disait La Fontaine, le chemin est « montant, sablonneux, malaisé », même si les montées sont difficiles, elles conduisent en général vers de très beaux points de vue, croyez-en une Auvergnate !

Il ne faudrait donc pas s’engluer dans la gestion du court terme et se contenter d’une politique à très petits pas. Quant à la supervision bancaire, je l’évoquerai dans ma deuxième intervention de cet après-midi.

Prenons la proposition des engagements contractuels, la France y tient beaucoup. Le président Van Rompuy suggère que les États qui s’engagent à des réformes reçoivent des contreparties financières. Ce n’est acceptable que si cela ne se limite pas aux recommandations pour des « réformes structurelles » dont les effets désastreux sont dénoncés par le FMI lui-même.

Ces incitations seraient plus intéressantes pour mener des réformes « positives », harmonisation des droits sociaux par le haut, lancement de la transition écologique de l’économie, seule piste durable de prospérité partagée.

Dans un esprit comparable, est-il juste que certains États bénéficient de taux d’intérêt exceptionnellement favorables parce que d’autres acquittent une facture exorbitante ?

La piste des eurobonds est celle de la justice et de la solidarité – encore faut-il en convaincre de nombreux collègues, y compris le président Van Rompuy –, comme l’idée, née outre-Rhin, du fonds de rédemption des dettes accumulées depuis 2008, qu’il faudrait rappeler à nos collègues du Bundestag.

Mais un gouvernement économique doit aussi donner des directions d’envergure, avec les moyens nécessaires à leur mise en œuvre.

Le débat sur la capacité budgétaire de la zone euro ne saurait cacher le paradoxe dans lequel s’enlise notre Union. Comment parler de relance, d’investissements d’avenir, d’innovation, de recherche, d’Erasmus, tout en refusant un budget d’envergure à l’Europe, qui peine aujourd’hui à disposer de quelques moyens très chiches ? Oui, je le dis avec force, nous devons nous donner les moyens d’agir pour bâtir l’Union de demain.

La transition énergétique, l’éducation, la santé, la culture, la solidarité avec les plus démunis, ne doivent pas être les victimes de l’austérité. Oui, il nous faut trouver des solutions audacieuses pour réorienter notre destin commun.

La taxe sur les transactions financières et la contribution climat-énergie peuvent constituer ces leviers essentiels pour donner des ressources propres à l’Union, tout en exerçant mieux notre solidarité à l’égard des pays en développement, comme à l’égard des générations futures.

L’audace sera également nécessaire pour traiter le second grand sujet sur la table, à savoir l’impératif démocratique. Notre assemblée s’y est pleinement engagée, comme l’a prouvé l’adoption de la résolution de Christophe Caresche. Je n’y reviens pas, M. le ministre ayant développé ce sujet.

Le rapport que j’établis en ce moment sur l’ancrage démocratique de l’Union me permet de constater la vitalité des débats, partout en Europe, pour refonder le lien entre l’Union et les citoyens.

Ne nous y trompons pas : les peuples aspirent à une démocratisation approfondie de l’Union européenne. Les timides propositions qui seront présentées au prochain Conseil ne suffiront pas à répondre à ces attentes !

La crise économique, sociale, environnementale, met plus que jamais en lumière la nécessité de choix politiques nécessaires pour une intégration européenne renforcée, pour faire face ensemble à nos défis communs.

Jacques Delors, que nous avons auditionné ce matin, a lancé, en conclusion un appel éloquent au courage politique. Il nous a exhortés à abandonner, sans faux-semblant, un attachement littéral à la souveraineté nationale pour débattre explicitement, devant l’opinion, des partages de souveraineté nécessaires.

C’est avec conviction que je transmets aujourd’hui ce message de lucidité et de courage à notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. Nous en arrivons aux questions des groupes. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est de deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à M. Bertrand Pancher, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Bertrand Pancher. La conférence de Doha, si elle n’a pas été un échec pour l’Union européenne, n’a pas répondu à l’urgence de la situation. Certes, la voie vers un accord international juridiquement contraignant en 2015 est tracée, mais l’incapacité des grandes puissances à s’entendre sur des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, réduction essentielle à la survie de l’humanité, est consternante.

La France n’a pas à rougir de son bilan dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Une récente étude la place parmi les meilleurs élèves puisque notre pays a réduit ses émissions de 6 % entre 2010 et 2011, grâce notamment aux efforts consentis lors du Grenelle de l’environnement.

Aujourd’hui, la France a-t-elle la capacité de jouer un rôle moteur en entraînant l’Union européenne ?

Qu’en est-il du fonds vert de la conférence de Copenhague, qui devait aboutir à mobiliser 100 milliards d’euros à l’horizon de 2020 ? Où sont passées les aides destinées aux pays qui seront les premières victimes du réchauffement climatique ? Où en sont les financements innovants que nous devions mettre en place : taxe sur les transactions financières, taxe sur les containers ou sur les carburants d’avions ? Serviront-ils directement à régler les questions environnementales ?

Vous vous étiez engagés lors de la campagne présidentielle à relever le niveau de l’aide internationale ; qu’en est-il ? Nous ne pouvons pas nous contenter d’un simple redéploiement de mesures.

Les efforts de l’Union européenne devaient être portés à 30 % de diminution des gaz à effet de serre à l’horizon de 2020 en contrepartie d’accords internationaux généralisés. Quand allons-nous annoncer le relèvement de ces objectifs ?

La régulation des importations en fonction de critères environnementaux est une urgence afin de protéger nos entreprises des pays non vertueux, de réguler la production mondiale et de lutter contre le réchauffement climatique. Où en êtes-vous ?

Enfin, j’insiste sur la nécessité de revenir sur le régime de l’unanimité des pays membres en matière de réchauffement climatique, la Pologne ayant failli faire échouer l’accord de Doha. Comment envisagez-vous des modifications des traités en la matière, essentielles pour continuer de porter la voix de l’Europe dans le monde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le député, vous avez raison de rappeler l’importance que revêtent les positions de l’Union européenne au sein de la communauté internationale pour lutter contre le dérèglement climatique et de rappeler, à cette occasion, l’importance de la conférence de Doha, à laquelle nous étions représentés par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, la ministre de l’écologie, Delphine Batho, et le ministre du développement, Pascal Canfin.

Nous sommes totalement mobilisés autour des objectifs liés au réchauffement climatique. C’est la raison pour laquelle, lors de la conférence de Doha, le ministre des affaires étrangères a proposé que la France soit candidate pour l’accueil de la conférence de 2015. Celle de 2013 se tiendra vraisemblablement en Pologne et celle de 2014 en Amérique latine, probablement au Venezuela et au Pérou. Dans la perspective de 2015, nous continuerons d’accentuer notre pression sur les institutions européennes afin qu’elles prennent en compte nos réflexions.

La conférence de Doha a permis d’arrêter un certain nombre de positions. Outre le fait que nous pourrions accueillir la conférence en 2015, nous serons d’ici à 2020 dans la volonté de renforcer les objectifs qui avaient été arrêtés à Kyoto et dont vous avez rappelé qu’ils devaient nous conduire à 20 % de développement des énergies renouvelables, 20 % de limitation des émissions de gaz à effet de serre et 20 % d’efficacité énergétique.

Au sein de l’Union, nous nous battons pour que la taxe sur les transactions financières soit mise en œuvre pour permettre le financement de ces politiques. Je vous ai indiqué qu’elle était en cours de notification à la Commission en vue de sa mise en œuvre en coopération renforcée. Par ailleurs, nous nous battons aussi pour que la fiscalité écologique progresse. Cela fait l’objet de contacts permanents avec la responsable en charge de ces dossiers au sein de la Commission, Mme Hedegaard.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, pour le groupe écologiste.

M. Jean-Louis Roumegas. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen est dense ; il concentre beaucoup d’inquiétudes mais suscite aussi beaucoup d’espoirs.

Le dumping social et environnemental, les paradis fiscaux, l’économie financière prédatrice, les citoyens n’en veulent plus. Un sursaut est nécessaire.

Alors que nous passons notre temps à écoper le fond d’un navire qui prend l’eau, nos négociateurs reviennent déçus de Doha, mais accueillent avec intérêt la bonne nouvelle de la candidature de la France pour l’organisation de la vingt et unième conférence sur le changement climatique à Paris en 2015.

À l’aune des résultats de la conférence de Doha, alors que le marché du carbone se révèle inefficace, ce projet semble pour le moins ambitieux. L’Union européenne se veut le moteur des négociations internationales sur le changement climatique, mais la conférence de Doha a mis en lumière les difficultés des Vingt-sept à se mettre d’accord avant même d’arriver sur le lieu des négociations. Le sommet à Paris serait l’occasion de créer ce nécessaire sursaut : il convient donc de s’y préparer dès à présent.

À l’heure où le projet européen aurait besoin d’être relancé par la transition énergétique, le système communautaire d’échanges de quotas d’émission – fer de lance de la politique climatique européenne – est noyé dans un excédent de 1,4 milliard de crédits en raison d’une allocation trop généreuse et d’une baisse de la demande due au ralentissement de l’activité économique.

Par ailleurs, le développement des énergies renouvelables et le respect de l’objectif européen de 2020 devront passer par un développement de la coopération européenne en ce domaine et la mise en place d’un réseau énergétique européen intégré dont nous en sommes encore loin.

Lors de la conférence environnementale de septembre dernier, François Hollande a relancé l’idée d’une « Communauté européenne de l’énergie ». Pouvez-vous nous rassurer, monsieur le ministre, sur la capacité de la France à porter au sein de l’Union européenne une candidature forte prenant en compte l’état du marché du carbone et la constitution d’un réseau énergétique privilégiant les énergies renouvelables, la sobriété et l’efficacité énergétique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous remercie, monsieur Roumegas, pour votre question qui complète utilement celle de M. Pancher.

D’abord, je veux vous confirmer que la France est déterminée à accueillir la conférence sur le climat en 2015. Cela a été annoncé par Laurent Fabius à l’occasion de la conférence de Doha. Les ministres qui faisaient partie de la délégation française ont pris un ensemble de contacts internationaux pour consolider cette candidature, notamment avec les pays qui nous précéderont. Il faut que nous entrions dans un cycle de conférences qui permette de mener une action efficace en faveur du climat au plan international mais aussi au plan européen. C’est la raison pour laquelle, à l’occasion de la conférence de Doha, nous avons noué des relations étroites avec la Pologne mais aussi avec les pays d’Amérique du Sud, de manière à ce que la séquence triennale 2013-2015 donne un sens à la lutte en faveur de l’environnement et du climat.

Notre politique au sein de l’Union européenne est extrêmement déterminée. Je veux en rappeler les instruments.

Nous voulons tout d’abord jouer un rôle moteur dans la création d’une communauté européenne de l’énergie. C’est le sens de l’annonce qui a été faite par le Président de la République à l’occasion de la conférence environnementale. Cette articulation des politiques énergétiques se justifie pleinement dans un contexte où l’Allemagne a fait des choix de politique énergétique en rupture par rapport à ceux qui prévalaient auparavant, cependant que la France s’engage dans une transition énergétique douce visant à conserver les atouts de l’énergie nucléaire tout en développant les énergies renouvelables et les économies d’énergie.

Nous devons donc mettre l’accent sur l’interconnexion entre les politiques énergétiques. Le programme Connecting Europe, qui permettra de financer ces complémentarités, est pour cette raison très encouragé par la France. Sa part dans le budget de l’Union passera de 8 milliards à 40 milliards d’euros.

Nous allons, dans le domaine des énergies renouvelables et dans le domaine de l’efficacité énergétique, engager la réflexion avec nos partenaires de l’Union, avec le concours de la Commission, notamment avec nos partenaires allemands.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Ameline, pour le groupe UMP.

Mme Nicole Ameline. Monsieur le ministre, je souhaiterais vous parler de la sécurité collective de l’Europe et de son affirmation dans le monde.

Il est permis aujourd’hui de nourrir un réel espoir dans l’Europe de la défense : si elle est confrontée à la double contrainte des restrictions budgétaires et du redéploiement américain vers le Pacifique, elle avance sur le terrain de la mutualisation, des partenariats industriels et de la coopération militaire.

La France a ouvert la voie avec les accords de Lancaster House et il faut aujourd’hui se réjouir de voir votre gouvernement s’inscrire dans le chemin de cette Europe concrète et opérationnelle.

Toutefois, entre l’aspect institutionnel, dont on mesure toutes les difficultés, et l’aspect opérationnel, manque sans doute une vision politique. Nous avons besoin, monsieur le ministre, d’une réévaluation des enjeux stratégiques dans un monde qui réarme alors que nous sommes confrontés à des crises régionales – Syrie, Nord-Mali – et à de nouvelles menaces comme les cyberattaques.

J’aimerais savoir quelles sont pour vous les prochaines étapes de cette mutualisation. Peut-on espérer un Livre blanc au niveau européen comme il en existe un au niveau national ? Comment envisagez-vous le prochain sommet de 2013 ?

S’agissant enfin de l’affirmation de la France et de l’Europe dans le monde, il faut souligner que, sur le terrain militaire, le lien transatlantique apparaît aujourd’hui comme l’une des solidarités essentielles. Quelle vision avez-vous du partenariat entre l’Union européenne et les États-Unis ? Pensez-vous qu’en matière militaire, il puisse y avoir un renforcement du partenariat entre l’Agence européenne de défense et l’OTAN ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous remercie beaucoup, madame la députée, pour votre question qui permet de faire le point sur la constitution d’une politique européenne de sécurité et de défense.

Je voudrais d’abord vous rappeler que, lors du précédent quinquennat, nous avions eu un débat extrêmement intéressant au sein de cet hémicycle à l’occasion duquel le Premier ministre de l’époque nous avait expliqué, avec beaucoup de conviction et de talent, que le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN devait permettre une accélération de l’Europe de la défense. Je comprends à travers votre intervention que vous faites vous-même le constat que cela ne s’est pas produit. Vous avez d’ailleurs raison de le faire puisque nous n’avons pas fondamentalement progressé dans la construction de l’Europe de la défense au cours des cinq dernières années malgré cette réintégration.

Il faut reconnaître aussi, comme vous l’avez fait, que l’accord de Lancaster House signé avec le Royaume-Uni constitue un axe bilatéral de coopération autour des questions capacitaires, mais aussi des questions nucléaires, qui n’a pas été sans intérêt.

Nous voulons aller plus loin. Par quels moyens ?

D’abord, il s’agit de renforcer la coopération entre la France, l’Allemagne et la Pologne au sein du Triangle de Weimar et de l’élargir, dans le cadre de Weimar Plus, à l’Italie et à l’Espagne. Cette coopération permet de mutualiser des moyens d’intervention, de planifier conjointement des opérations dans le cadre de théâtres aux enjeux particuliers. Cela a été le cas au cours des dernières années dans la Corne de l’Afrique avec l’opération Atalanta. Cela a été le cas en Libye mais de manière insatisfaisante car trop partielle, puisque nous n’avons pas réussi à obtenir le soutien de l’Allemagne.

Vous aurez noté qu’à l’occasion de la réunion du 15 novembre 2012, puis à l’occasion du Conseil « affaires générales » de lundi dernier, l’Union européenne a décidé de s’engager dans la formation de l’armée malienne en vue de la reconstitution de l’intégrité territoriale du Mali.

Dans le cadre de la mission confiée à Mme Ashton, qui rendra son rapport au mois de septembre, nous avons l’intention de poursuivre cette coopération pour faire vivre une véritable identité européenne de sécurité et de défense.

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe Rassemblement-UMP.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette séance qui nous réunit à la veille du Conseil européen consacré à l’avenir de l’union économique et monétaire me semble particulièrement justifiée.

Elle l’est d’abord par l’ampleur et la densité des sujets mis cette semaine à l’ordre du jour de l’Union européenne : supervision bancaire, dette grecque, union économique et monétaire, et deux échanges tripartites entre Conseil, Parlement et Commission sur les exigences de Bâle 3 relatives aux fonds propres des banques.

Elle l’est aussi, à bien des égards, monsieur le ministre, par l’absence de lisibilité politique de mesures inévitablement complexes entre les travaux de l’ECOFIN, de l’Eurogroupe et du Conseil européen à venir.

Ainsi, comment admettre et faire comprendre que des pays qui ont accepté des réformes structurelles et des efforts considérables, comme l’Italie et le Portugal, ne puissent se financer qu’à des taux supérieurs de quelque cinq points à ceux de l’Allemagne, cela en contradiction totale avec les fondements même d’une monnaie unique et avec le principe européen ?

Et si l’on récuse – faute de pouvoir la refuser – une telle situation, quel calendrier peut-on espérer pour la mise en œuvre de la supervision bancaire, dont les modalités et le champ d’application font encore l’objet de divergences notoires ?

Que le temps des réponses soit plus long que celui des impatiences médiatiques n’a rien de surprenant. Ne manque-t-on pas cependant d’une perspective globale qui puisse, aux yeux de nos concitoyens, donner du sens aux réformes assumées ici ou là, aux mesures de court terme prises ici et là, aux réponses différenciées qu’exigent des situations et des histoires différentes ?

Bref, ne devrait-on pas inscrire l’ensemble des interrogations nationales – et elles le sont parfois dangereusement – dans un nouvel agenda qui, prenant en compte la diversité des lieux et des temps, soit un agenda de convergences véritablement européen ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Rassemblement-UMP et plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le député, vous avez raison, le redressement de l’Europe ne peut pas se faire sans convergence, mais la convergence ne peut pas non plus se fonder uniquement sur des logiques punitives. Si l’Europe devient une immense maison de redressement, il y a peu de chances qu’elle suscite encore longtemps l’adhésion des peuples. En même temps, il faut se garder d’une attitude démagogique qui consisterait à dire que le redressement est possible sans consentir d’efforts. Il faut du redressement – redressement de la compétitivité et des comptes –, il faut aussi des initiatives de croissance.

C’est ce que nous faisons au sein de l’Union européenne, notamment en répondant à la préoccupation que vous avez exprimée dans votre question : la remise en ordre de la finance.

Quelles sont les décisions qui ont été prises depuis quelques mois et quelles sont celles qui doivent être prises à l’occasion du Conseil européen ?

Lors du Conseil européen du mois de juin a été mis en chantier le principe de l’union bancaire et de la remise en ordre de la finance, puis, dans un second temps, de la recapitalisation des banques par le Mécanisme européen de stabilité. Nous avons également décidé que le Fonds européen de stabilité financière interviendrait sur le marché secondaire des dettes souveraines pour éviter que la spéculation gagne et que les spreads de taux d’intérêt ne continuent à augmenter, ruinant sur les marchés les efforts que les peuples ont consentis pour participer à la réduction des déficits de leur pays.

C’est d’ailleurs parce qu’une telle action a été engagée que la Banque centrale européenne, par l’intermédiaire de son président M. Draghi, a décidé d’accompagner les efforts du MES et du FESF sur les marchés, à travers un nouveau programme de rachat de dettes à court terme. Cela a permis de juguler la spéculation.

Il faut que nous allions au bout de l’union bancaire à l’occasion du Conseil européen de vendredi. Il faut que le calendrier de la supervision bancaire soit arrêté définitivement et que la résolution des crises bancaires et le système de garantie des dépôts soient rendus possibles. Il faut que la recapitalisation des banques soit mise en œuvre, afin de casser le lien funeste qui unit dans une même spirale de déclin dette souveraine et dette bancaire.

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour le groupe SRC.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le ministre, à la fin du mois de juin 2012, lors du premier sommet de la présidence de François Hollande, a été lancé le chantier de la supervision bancaire. Elle vise à contrôler en permanence les risques au sein de chaque établissement – ce qui va au-delà du simple respect de la réglementation – et à prévenir les risques du système bancaire lui-même. À terme, les banques en difficulté pourraient être recapitalisées directement par le MES, une fois le nouveau système de surveillance mis en place, ce qui soulagerait et préserverait les dettes des États eux-mêmes. Les besoins répétés en recapitalisation des banques ne viendraient alors plus creuser les déficits des États de la zone euro. Très concrètement, l’objectif est de réduire le coût des faillites bancaires pour les contribuables européens.

Il a été fait état de difficultés entre l’Allemagne et notre pays dans la mise en place concrète de cette surveillance. Ces divergences porteraient sur le partage des tâches entre les organes appelés à exercer cette supervision sur les 6 000 banques de la zone euro – Autorité bancaire européenne et Banque centrale européenne –, la mutualisation des garanties de dépôt et la mise en œuvre du fonds commun de résolution des crises bancaires.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, quand la supervision des banques sera opérationnelle ? Quels sont les points d’accord et quelles sont éventuellement les dernières étapes à franchir ? Comment sera financé le fonds de résolution des crises bancaires ? Enfin, comment les faillites spéculatives seront-elles prévenues et comment la séparation entre activités d’investissement des banques et activités de dépôt des épargnants sera-t-elle mieux assurée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vous disposez de deux minutes pour répondre à toutes ces questions. (Sourires)

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je rassure M. le président, je peux répondre à ces questions sur la supervision bancaire.

Madame la députée, vous m’interrogez tout d’abord sur les modalités de la supervision bancaire. Il faut savoir que la remise en ordre du système financier et bancaire au plan international résulte de règles mises en œuvre dans le cadre de Bâle 3, auxquelles un certain nombre de pays tardent d’ailleurs à se conformer. Une discussion a notamment lieu entre les États-Unis et l’Union européenne.

Les règles de Bâle 3 ont conduit l’Union européenne à mettre en œuvre sur son propre territoire un ensemble de dispositions, dites CRD 4. Ce paquet de dispositions, qui définit les conditions de liquidité, les conditions prudentielles concernant le capital des banques et les conditions de rémunération de leurs dirigeants, doit permettre de réguler la finance et de remettre de l’ordre dans les banques.

La supervision bancaire est fondamentale. Des discussions ont eu lieu entre les pays de l’Union européenne sur les modalités de mise en œuvre de la supervision bancaire, notamment entre la France et l’Allemagne : doit-on superviser la totalité des banques ? La réponse a été apportée au mois d’octobre dernier : oui, nous voulons superviser toutes les banques.

La dernière question qui se pose à nous désormais, et qui devrait être traitée cette semaine, est la suivante : dès lors que l’on décide de la supervision de toutes les banques, comment s’articulent les rôles respectifs du superviseur unique – la Banque centrale européenne – et des superviseurs nationaux dans le contrôle des banques systémiques et des autres banques ? Telle est la question qu’il nous reste à régler.

Des discussions ont eu lieu sur ce sujet ; ce qui compte pour la France, c’est que toutes les banques soient supervisées et que nous puissions nous assurer, dès lors qu’elles le seront toutes, qu’une complémentarité sera possible entre les superviseurs nationaux et le superviseur unique, afin de garantir à celui-ci un droit d’évocation de la situation de toutes les banques.

Ce point sera traité concrètement en fin de semaine, et permettra au Conseil européen de conclure et d’engager, comme vous l’avez souhaité et comme nous le souhaitons, la recapitalisation des banques.

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le ministre, c’est la relance des économies européennes qui aurait dû constituer l’ordre du jour prioritaire du Conseil européen de ces 13 et 14 décembre.

Alors que les gouvernements et les institutions de l’Union sont focalisés sur la mise en œuvre des principes et règles d’austérité budgétaire, les peuples européens restent dans l’attente d’un plan de relance à la hauteur des enjeux, ce qui est loin d’être le cas avec le pacte dit « de croissance ».

Celui-ci n’a rien à voir avec un tel plan, qui devrait se traduire par un investissement massif dans des projets d’infrastructures et de réindustrialisation, dans les énergies renouvelables et dans les technologies de pointe. Or, les mesures prévues dans le cadre du traité budgétaire ne peuvent que conduire à la récession et à un chômage record.

Monsieur le ministre, il convient par exemple de s’interroger sur le processus de recapitalisation de la Banque européenne d’investissement. Quelle sera sa capacité réelle à lever les fonds nécessaires au financement des projets dans l’innovation, dans les petites et moyennes entreprises, dans l’efficacité énergétique et dans les infrastructures stratégiques ? Il y va de l’avenir même de l’industrie, enjeu majeur pour la croissance et l’emploi.

Oui, il est temps que la France porte enfin la perspective d’une réorientation profonde de la construction européenne, qui permette de relancer l’économie de nos pays et d’assurer le progrès social.

Ma question dès lors est simple : le Gouvernement va-t-il désormais s’engager dans cette voie, et tourner ainsi résolument le dos à l’austérité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous remercie, monsieur Dolez, pour votre question.

La croissance et la relance ne se décrètent pas ! (« Ah ! » sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) Elles se construisent jour après jour, de façon volontariste, méthodique et avec une vision.

Vous souhaitez, au travers de votre question, que nous précisions les actions initiées pour rendre possibles la croissance et la relance. Je vous répondrai avec un niveau de précision qui vous conduira, à n’en pas douter, à soutenir ce que nous faisons. (Sourires.)

En ce qui concerne la Banque européenne d’investissement, celle-ci sera recapitalisée à hauteur de 10 milliards d’euros. Comme vous le savez, pour être un interlocuteur attentif et exigeant du Gouvernement lors des débats budgétaires, l’Assemblée a voté 1,6 milliard d’euros pour la contribution française à la recapitalisation de la Banque européenne d’investissement, permettant ainsi d’enclencher 60 milliards d’euros de prêts pour innover dans des projets stratégiques.

Nous sommes d’ailleurs en train d’élaborer la liste des projets français qui émargeront à ces prêts, comme aux project bonds, et je rendrai compte devant la représentation nationale de la liste des projets qui auront bénéficié de la mobilisation du plan de croissance, et notamment des prêts de la BEI auxquels vous venez de faire référence.

Vous appelez ensuite à des efforts de croissance ; mais, monsieur le député, lorsque nous nous battons contre les coupes dans le budget de l’Union européenne, en engageant le rapport de force nécessaire avec les pays qui ne pensent pas comme nous, et en menant d’ailleurs une politique très différente de celle du précédent gouvernement en la matière, cela conduit à augmenter les crédits de la rubrique 1A du budget de l’Union européenne, consacrés à la croissance, de 45 %.

Le programme Connecting Europe, dont je parlais tout à l’heure, qui permettra de financer les grands investissements structurants que vous appelez de vos vœux, augmentera de 400 % dans le budget de l’Union européenne, à condition qu’il n’y ait pas de coupe, ce pour quoi nous nous battons.

Nous voulons que le budget de l’Union européenne prolonge l’ambition de croissance du pacte de 120 milliards d’euros. Nous nous battons aussi pour que le marché intérieur favorise la croissance, pour la portabilité des droits sociaux et pour la création d’un salaire minimum reconnu au sein de l’Union européenne, qui constituerait une garantie de croissance et de relance par la consommation : voilà ce que nous faisons.

Or, comme tout ce que nous faisons répond aux questions que vous nous avez posées, je n’ai aucun doute sur le fait que vous nous soutiendrez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Braillard.

M. Thierry Braillard. Le Conseil européen de Bruxelles des 13 et 14 décembre 2012 marque une nouvelle étape pour l’avenir de l’Europe. Certes, la construction européenne avance pas à pas – à petits pas –, mais elle avance, et c’est bien là l’essentiel.

M. Jacques Myard. Elle avance à reculons !

M. Thierry Braillard. Le vote du traité européen sur la stabilité, que j’ai qualifié dans nos débats de traité de discipline budgétaire, a démontré comment nous voulions « mieux d’Europe ».

Mieux d’Europe, cela implique un horizon, un idéal fédéral ; je sais, monsieur le ministre, que vous connaissez bien notre position sur ce sujet. Cela implique également des transferts de compétences nationales vers l’Union : je pense bien sûr à la diplomatie, à la politique étrangère.

M. Christian Hutin. Oh là là !

M. Thierry Braillard. Je pense aussi à une défense commune, à une politique environnementale commune, à une coopération décentralisée qui serait mutualisée. Je pense également à la création de grands services publics européens.

Je pense surtout, car c’est l’objet même de notre débat cet après-midi, à une politique économique, financière et fiscale commune, à laquelle nous adosserons un traité social, avec l’instauration de minima sociaux européens, pour une Europe plus solidaire et plus démocratique.

Enfin, le vote du traité européen sur la stabilité a montré, en dépit des imperfections que comportait ce texte, qu’il existait une réorientation politique forte, grâce notamment à la détermination de la France, tendant à une relance économique. Le pacte de croissance, qui en est l’expression, sera à l’ordre du jour du Conseil européen.

Par ailleurs, la sortie volontaire de la Banque centrale européenne d’une neutralité mortifère a constitué un signal important.

Le Conseil européen des 13 et 14 décembre examinera le rapport final sur l’Union économique et monétaire, qui définit une feuille de route précise en trois étapes, permettant d’aboutir à l’horizon 2014 à une Union prospère et renforcée. Il traitera de la supervision bancaire et des seuils à trouver, ainsi que des mesures de renforcement de la gouvernance économique de l’Union.

La zone euro apparaît bien évidemment comme le cœur d’une intégration accrue, n’en déplaise à l’euroscepticisme de nos amis anglais qui oublient parfois un peu rapidement les apports de l’Europe, notamment pour leur agriculture.

Ma question, monsieur le ministre, est la suivante : pensez-vous qu’à moyen ou long terme nous puissions envisager une véritable Union budgétaire, avec un véritable budget, financé par des ressources propres ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous remercie pour votre question, monsieur le député.

Une politique budgétaire n’est possible que dès lors que les politiques budgétaires convergent peu à peu. Mais, en même temps, la convergence des politiques budgétaires, si elle signifie des efforts de discipline de la part des pays de l’Union européenne, ne peut pas ne pas être assortie d’efforts de solidarité et de croissance.

L’équilibre entre la volonté de rétablir les comptes, de faire converger les politiques économiques et budgétaires et de renforcer les solidarités, rassemble les trois objectifs qui constituent le triangle magique dans lequel la France s’inscrit pour contribuer à la réorientation de la politique de l’Union européenne.

Doter l’Union européenne d’une capacité budgétaire peut-elle lui permettre de mener progressivement des politiques contra-cycliques, de renforcer la solidarité et la logique d’union politique que nous appelons de nos vœux ?

M. Jacques Myard. Il n’y a pas d’argent !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Tout dépend de ce que l’on fait de cette capacité budgétaire, et de la manière dont elle est alimentée.

S’il s’agit d’une capacité budgétaire au rabais, accompagnant les seules réformes structurelles, non dotée des ressources et des moyens nécessaires pour soutenir la croissance et l’emploi et pour affronter les chocs de conjoncture, s’il n’est pas mis en place un véritable policy mix permettant de mener des politiques contra-cycliques, alors cela ne sert à rien.

Mais si nous le faisons dans cet esprit, cette capacité budgétaire devra à terme, si les politiques budgétaires convergent dans la rigueur, permettre une capacité d’emprunt, de manière à renforcer la solidarité et à financer les grands investissements de compétitivité dont l’Union européenne a besoin. Ainsi, celle-ci pourra, par-delà la crise, faire face à la concurrence internationale en s’étant armée et, pendant la crise, engager des logiques de croissance.

Tel est le sens de la politique que nous tentons de mener. Ainsi, s’il doit y avoir contractualisation, celle-ci doit porter sur la compétitivité et la croissance, et le budget doit être adossé à cette capacité de contractualisation afin de servir l’ambition que vous rappeliez dans votre question. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Axel Poniatowski.

M. Axel Poniatowski. L’Union européenne ne parviendra à recouvrer la confiance des citoyens que lorsque ceux-ci percevront ses politiques comme conçues et mises en œuvre avec le souci de protéger ces mêmes citoyens.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Axel Poniatowski. Trop souvent l’Europe met en avant les avantages de la mondialisation et de l’ouverture à l’égard du monde extérieur, avantages qui sont réels, mais omet d’en dénoncer et d’en combattre les dérives, les excès et les risques alors qu’ils n’en sont pas moins évidents.

Ainsi, alors que la plupart des pays européens voient leurs industries s’atrophier ou disparaître, le marché européen reste beaucoup plus ouvert que les marchés intérieurs des pays concurrents.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Axel Poniatowski. Lors de la dernière campagne présidentielle, tous les candidats ont annoncé une politique qui veillerait, au minimum, à instaurer une réciprocité rigoureuse.

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Axel Poniatowski. La surveillance des politiques commerciales des pays émergents doit à l’évidence être renforcée et la possibilité pour l’Union européenne de recourir aux clauses de sauvegarde prévues par les accords de l’Organisation mondiale du commerce doit l’être aussi.

Or je n’ai pas le sentiment que la France ait réussi au cours des derniers mois à faire émerger cette prise de conscience.

M. Jacques Myard. Eh non !

M. Axel Poniatowski. On a même le sentiment d’un recul. Ainsi, tout récemment, la Commission européenne décidait de supprimer la taxe anti-dumping sur les briquets chinois, estimant de manière surprenante que le dumping était avéré, mais que l’ouverture du marché européen ne causerait aucun dommage à l’industrie européenne alors que près de 500 emplois sont menacés en France par cette seule décision ; et ce n’est qu’un exemple.

Quelle initiative, monsieur le ministre, le Gouvernement compte-t-il prendre au niveau européen pour que la défense commerciale de l’Union se renforce ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le député, c’est une question est très juste (« Ah ! » sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.), inspirée par une idée très fausse. (« Oh ! » sur les mêmes bancs.)

C’est une question très juste, parce qu’elle pose un vrai problème, inspirée par l’idée très fausse que nous n’aurions pas, par les décisions que nous avons prises, contribué à faire entrer cette idée juste dans les faits.

M. Jacques Myard. C’est de la casuistique jésuite !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Cette idée juste est entrée dans les faits, parce que nous avons pris les bonnes initiatives pour que ce soit le cas.

Je vais vous donner des exemples très concrets. Tout d’abord, nous souhaitons que le libre-échange soit corrigé par le juste-échange. Le libre-échange n’est possible – il est même souhaitable, et nous le souhaitons – que dès lors que les conditions de la compétition sont équitables.

Nous veillons donc, dans les discussions engagées par le gouvernement précédent et que nous poursuivons, à ce qu’aucun accord de libre-échange ne soit signé avec des pays dont les entreprises pourraient soumissionner à nos marchés publics, qui leur seraient ouverts, dès lors que leurs marchés publics ne seraient pas ouverts à nos propres entreprises.

C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas abouti sur l’accord avec le Canada, et que nous prenons toutes les précautions dans les discussions actuelles avec un certain nombre de pays, pour faire en sorte que le juste-échange soit possible.

De la même manière, dans la réglementation relative aux marchés publics, nous avons fait prévaloir une initiative française, qui a été retenue par la Commission, portant sur les offres anormalement basses proposées par certains pays : ces offres, qui constituent un élément considérable de concurrence déloyale, pourront être fortement réglementées.

Cette position, qui n’avait pas été proposée avant, a été préconisée par la France et finalement retenue. Elle contribue ainsi en grande partie à la protection que vous appelez de vos vœux. C’est là le résultat de l’action du Gouvernement lui-même.

Par ailleurs, nous avons, sur des sujets pour lesquels il existait des problèmes importants de déséquilibres commerciaux, engagé des mesures préalables à la clause de sauvegarde, qui sont des mesures d’observation. Je pense à l’industrie automobile, à la suite de l’accord avec la Corée que vous avez signé.

S’agissant de la prorogation des mesures anti-dumping qui concerne notamment les briquets à pierre dont j’ai parlé la semaine dernière, nous sommes, avec l’industriel concerné, dans la vigilance. Contrairement à ce que vous indiquez, la décision n’a pas encore été prise. Nous l’attendons dans les heures qui viennent.

M. Thierry Benoit. Elle vient d’être prise !

M. le président. La parole est à Mme Estelle Grelier.

Mme Estelle Grelier. Monsieur le ministre, dans la feuille de route que M. Van Rompuy a présentée, une proposition fait débat, suscite des interrogations et appelle notre plus grande vigilance : celle qui vise la création d’une capacité budgétaire propre à la zone euro.

Ce budget, qui serait dédié aux dix-sept États membres de la zone euro et a priori alimenté par eux, est envisagé comme un moyen de corriger la déconnexion entre l’Union monétaire, qui existe, qui est réelle, et l’Union économique, qui peine à s’organiser.

Si nous partageons l’intention, cependant tardive, de rétablir le lien nécessaire entre le monétaire et l’économique, qui aurait dû d’ailleurs être un préalable, le dispositif proposé appelle plusieurs remarques, sur lesquelles j’aimerais connaître votre appréciation.

Si le budget de la zone euro veut être un outil de solidarité pour aider les États à surmonter les chocs asymétriques, alors il doit être mobilisé au service de la croissance et de l’emploi, de l’investissement, de l’innovation et de la recherche, et non être un prétexte supplémentaire pour imposer de nouvelles réformes structurelles – entendez de nouvelles disciplines budgétaires, déjà souhaitées par plusieurs États dès que la proposition a été mise sur la table –, par le biais d’une contractualisation sur les politiques économiques entre la Commission et les États.

De plus, cette éventuelle nouvelle capacité budgétaire ne doit pas devenir un argument pour limiter le budget de l’Union européenne à vingt-sept ou pour esquiver le débat sur d’autres formes de solidarité, comme par exemple la mutualisation de la dette.

Se pose aussi la question essentielle du contrôle démocratique d’un tel budget et de sa lisibilité pour les citoyens. Comment et par qui s’exercerait ce contrôle ? Par un sous-ensemble « euro » du Parlement européen ? Par une conférence interparlementaire ? Par un renforcement du contrôle des parlements nationaux ? De manière plus générale, devons-nous retenir de la feuille de route Van Rompuy que la méthode intergouvernementale sera désormais privilégiée sur la méthode communautaire ?

Monsieur le ministre, je vous remercie de nous préciser la position du Gouvernement sur tous ces points. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la députée, je vous remercie pour votre question qui témoigne de la précision avec laquelle vous abordez l’ensemble des questions européennes, y compris les plus techniques. Cela m’oblige à vous apporter la réponse la plus précise possible, ce qui n’est pas un exercice facile compte tenu de la multiplicité et de la complexité des sujets que vous avez traités.

Premièrement, nous ne voulons pas d’une capacité budgétaire de la zone euro qui remettrait en cause tout ce que nous faisons en termes de solidarité à vingt-sept. Je l’ai dit tout à l’heure, il nous paraîtrait très hasardeux de considérer que la capacité de la zone euro aurait vocation à se substituer aux perspectives financières de l’Union européenne, parce que le budget de l’Union européenne vient en solidarité à l’égard de pays d’Europe centrale et orientale, pays récemment intégrés à l’Union européenne, qui ont besoin de solidarité et pour cela de moyens budgétaires.

Le budget de la zone euro est par ailleurs la garantie de l’unité et de l’intégrité du marché intérieur. Il doit y avoir une meilleure gouvernance de la zone euro, sinon il n’y aura pas de dynamique dans le marché intérieur. Mais les efforts d’intégration que nous faisons de la zone euro et de sa gouvernance ne doivent pas se faire au détriment de la dynamique dont peut bénéficier le marché intérieur.

Deuxièmement, si nous améliorons la gouvernance de la zone euro, nous devons améliorer le contrôle démocratique qui va avec. Pour ce faire, il faut réunir plusieurs conditions. D’abord, il faut faire converger, comme l’a demandé à plusieurs reprises votre assemblée, les calendriers budgétaires, de sorte que le semestre européen puisse s’accomplir dans des conditions permettant au Parlement européen et aux parlements nationaux d’exercer un contrôle plus efficace. Cela suppose notamment que la conférence interparlementaire soit mise en œuvre le plus rapidement possible.

Ensuite, il faut absolument éviter que ce qui se fait en matière intergouvernementale pour améliorer la gouvernance de la zone euro se fasse au détriment des logiques communautaires, faute de quoi, d’ailleurs, nous aurions des difficultés avec le Parlement européen.

Enfin, en matière de convergence des politiques économiques il faut améliorer, étendre le champ de la codécision. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions préalables au Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (nos 232, 469).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, le projet de loi de transposition de directives en matière économique et financière qui vous est présenté, après avoir été adopté le 26 septembre dernier par l’ensemble des sénateurs, à la réserve de l’abstention d’un groupe, est important par l’objet même de ses dispositions, quels qu’en soient les dehors techniques.

Comme je vous l’exposerai, il a toute sa place dans l’action du Gouvernement en faveur d’une supervision financière renforcée, de la protection et de la lutte contre la fraude, et du soutien aux PME.

Comme je l’avais indiqué au Sénat, il constitue également un important témoignage de la volonté du gouvernement de Jean-Marc Ayrault de n’avoir qu’une seule et même parole envers les institutions européennes et nos concitoyens ; et une marque du respect que nous portons au Parlement, y compris pour la partie de ses travaux consistant à mettre en œuvre les règles de l’Union européenne. Ce sont les différents aspects sur lesquels je voudrais insister en introduction de vos travaux.

L’objet de ce projet est de transposer dans notre droit trois directives européennes adoptées par la France et ses partenaires européens en septembre 2009, novembre 2010 et février 2011.

Nous ne l’avons pas fait plus tôt, en tout cas le précédent gouvernement n’avait pas voulu transposer ces textes plus tôt. C’est aujourd’hui une question que nous ne saurions éluder si nous ne voulons pas nous exposer à des pénalités financières qui seraient encore plus insupportables dans une période de réduction des déficits publics qui oblige tout le monde, y compris le Gouvernement, à la rigueur.

Comment se peut-il qu’en cette fin d’année 2012 nous soyons placés devant la nécessité de rattraper des retards accumulés dans la traduction en droit national de ces engagements européens contractés au cours des trois dernières années ?

Comment se fait-il qu’à la constitution du Gouvernement en mai dernier, ses ministres aient trouvé en jachère la transposition de la directive la plus ancienne, celle de septembre 2009 relative à la monnaie électronique, dont l’échéance de transposition était pourtant fixée au 30 avril 2011 ? La France est le dernier État membre à ne pas l’avoir transposée et nous sommes sous une menace imminente de sanction pécuniaire pour défaut de transposition.

Comment se fait-il que la directive dite Omnibus I de novembre 2010, qui n’est rien moins que le premier jalon de réforme de la supervision financière européenne et dont l’échéance de transposition était fixée au 31 décembre 2011, n’ait pas trouvé en temps voulu sa traduction dans notre droit, ce qui nous a valu un avis motivé de la Commission européenne cet automne ?

Je ne veux pas céder à une quelconque polémique.

M. Julien Aubert. Vous le faites pourtant !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Il ne s’agit pas ici de polémique, mais de rappel des faits. Il est simplement dommage que des faits, celui en l’occurrence de n’avoir pas transposé en droit interne les textes communautaires, puissent nous conduire à payer des pénalités, surtout s’agissant de textes portant sur la supervision financière européenne à propos de laquelle il existe un accord sur tous les bancs. Au nombre des legs dont le Gouvernement a dû se saisir à son arrivée, nous nous serions volontiers passés de cette série de manquements à l’obligation constitutionnelle de transposition des directives et à nos engagements européens.

Nous voulons n’avoir qu’une seule et même parole envers les institutions européennes et sur le plan national. C’est en effet une étrange manière de souscrire à Bruxelles à l’adoption de directives européennes pour oublier aussitôt après de les mettre en œuvre chez soi.

Comme il l’indiquait le 1er août dernier en présentant ce texte en conseil des ministres, Pierre Moscovici a personnellement tenu à ce que le ministère de l’économie et des finances se montre exemplaire en matière de transposition de directives et à ce que le Parlement soit saisi au plus vite des mesures nécessaires à la transposition de ces directives de 2009 et 2010, ainsi que des mesures de transposition de la directive de février 2011 relative aux retards de paiement dans les transactions commerciales. Nos petites et moyennes entreprises ont cruellement besoin de ce texte aujourd’hui, et l’échéance de transposition de cette directive est proche, puisqu’elle est fixée en mars 2013.

Il en va à la fois du crédit de la parole de la France en Europe et de la sécurité juridique de nos concitoyens et nos entreprises.

Chacun a bien à l’esprit qu’à l’échéance de transposition, les directives sont invocables devant les juridictions et que le juge écarte au besoin la loi nationale contraire. C’est donc à un embrouillamini juridique considérable que les opérateurs économiques et nos concitoyens sont confrontés lorsque surviennent des retards de transposition.

Les opérateurs français de monnaie électronique n’ont pas manqué de le rappeler cet automne en se plaignant de l’incertitude juridique dans laquelle ils se trouvent depuis deux ans alors que leurs concurrents européens peuvent d’ores et déjà appliquer le cadre juridique commun à l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Voilà une mesure de compétitivité que le précédent gouvernement aurait gagné à faire cheminer en temps voulu.

Sur le fond, la transposition de la directive du 16 septembre 2009 sur la monnaie électronique va permettre aux consommateurs de disposer de moyens de paiement plus sûrs – ce qui est plus que jamais nécessaire en période de crise – et aux opérateurs nationaux de disposer d’un cadre juridique stabilisé. Ceux-ci souffrent en effet d’être les derniers en Europe à ne pas bénéficier entièrement du régime européen.

Les dispositions de transposition de cette directive prévoient la création d’une nouvelle catégorie d’acteurs dans le secteur des moyens de paiements, à savoir les établissements de monnaie électronique, qui seront habilités à émettre de la monnaie électronique à destination de leurs clients. Elles fixent les règles d’exercice de cette activité.

Ce nouveau régime doit contribuer au développement de la monnaie électronique en fixant un cadre simplifié pour ces établissements et sécurisé pour ses utilisateurs, dans le respect des règles de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Avec la transposition de la directive du 24 novembre 2010, dite Omnibus I, nous allons contribuer au renforcement de la régulation financière européenne à laquelle le Gouvernement est tout particulièrement attaché, et dont vous savez qu’elle connaît des avancées importantes dans le droit fil des conclusions du Conseil européen de juin 2012 sur l’union bancaire. Le Gouvernement déposera très prochainement au Parlement un important projet de loi de régulation bancaire et financière.

Les dispositions de transposition de la directive dite Omnibus I s’inscrivent en effet dans le cadre de la régulation de la finance voulue par le Président de la République. Elles tirent les conséquences de la création à l’automne 2010 des autorités européennes de supervision, à savoir l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, l’Autorité européenne des marchés financiers et le Comité européen du risque systémique qui est chargé de la supervision macro-prudentielle. Elles renforcent les échanges d’information entre les autorités de supervision nationales – l’Autorité de contrôle prudentiel et l’Autorité des marchés financiers en France – et ces autorités européennes de supervision, contribuant ainsi à l’efficacité de la supervision des acteurs financiers.

Enfin, avec l’achèvement de la transposition de la directive du 16 février 2011 sur la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales, nous allons contribuer au soutien aux petites et moyennes entreprises et franchir une première étape vers l’objectif de réduction à vingt jours d’ici 2017 des délais de paiement de l’État, qui constitue la décision n° 3 du pacte national de compétitivité de croissance et d’emploi adopté le 6 novembre dernier.

Les dispositions de transposition de la directive prévoient un renforcement des sanctions en cas de retard de paiement des sommes dues en exécution d’un contrat de la commande publique afin de réduire les délais de paiement de la sphère publique et d’améliorer ainsi la situation de trésorerie des entreprises. Elles instaurent notamment une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement en sus des intérêts moratoires, dont le taux sera augmenté par décret.

La question des délais de paiement, en premier lieu ceux de la puissance publique, est un sujet de doléances maintes fois évoqué par les PME, dont le développement est au cœur de la stratégie économique du Gouvernement.

M. Régis Juanico. Très bien !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Cette directive, bien sûr, ne réglera pas tout, mais elle participera assurément à la sécurisation d’une partie des conditions de financement de ces entreprises.

Pour être au rendez-vous de l’échéance de transposition, le ministère de l’économie et des finances a mis en ligne le 29 novembre dernier pour consultation publique sur son site Internet les éléments du dispositif réglementaire qui permettront d’appliquer la loi

Sur l’ensemble de ces points, je me suis réjoui que le Sénat ait suivi, quasiment à l’unanimité, les propositions du Gouvernement en septembre dernier. Je me réjouis aussi que votre commission des finances ait souscrit à ce texte et au rapport de Christophe Caresche, en prenant le soin de l’améliorer encore en termes de précision rédactionnelle et technique. Permettez-moi d’ailleurs de saluer le travail effectué par la commission et son rapporteur.

Le dernier point sur lequel je souhaite insister concerne la méthode. Le Gouvernement, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Président de la République, est attaché au respect des parlementaires.

C’est l’autre préoccupation qui nous a animés face à cette situation. Confrontés à l’accumulation de retards dont ils étaient le plus souvent les premiers responsables, on sait à quels expédients les précédents gouvernements ont souvent eu recours par le passé, en plaçant le Parlement au pied du mur et lui demandant de voter en toute urgence et de manière très systématique des habilitations à transposer par ordonnances des directives dont ils n’avaient pas préparé en temps utile les mesures nationales de mise en œuvre.

Nous avons choisi de procéder autrement. Le projet de loi dont vous êtes saisis comprend bien l’intégralité des mesures législatives qui restent nécessaires à la transposition des trois directives dites Monnaie électronique, Omnibus I et Retards de paiement.

Entendons-nous bien : dans ce domaine de la transposition des directives, le plus important est que, comme cela a été le cas pour ce projet de loi, le Gouvernement et le Parlement nourrissent un dialogue étroit pour déterminer les voies et moyens les plus adaptés afin d’assurer dans la durée la meilleure articulation possible entre le droit de l’Union européenne et le droit national.

Il est objectivement des situations dans lesquelles ce dialogue pourra conclure à la nécessité de recourir ponctuellement au mécanisme de l’ordonnance ou à l’engagement d’une procédure accélérée sur un texte d’adaptation au droit de l’Union européenne à caractère essentiellement technique. Mais ce ne peut évidemment être la solution de référence, comme cela a pu être trop souvent le cas par le passé.

En toute hypothèse, l’association du Parlement national à la négociation des directives et règlements au titre de l’article 88-4 de la Constitution est une étape essentielle du point de vue démocratique. Je salue à cet égard les travaux de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sous la présidence de Danielle Auroi. Le Gouvernement veillera à ce que, dans ces phases précédant l’adoption des textes européens, le Parlement dispose des textes et des éléments qui lui sont nécessaires.

Dans les temps qui suivent l’adoption des directives, un dialogue étroit entre le Gouvernement et le Parlement est également nécessaire.

Le Président de la République et le Gouvernement œuvrent activement depuis leur prise de fonctions à une réorientation du cours de la construction européenne qui va notamment nécessiter une profonde réforme de la régulation financière. Nous savons d’ores et déjà que notre diligence quant à la traduction en droit national de certaines de ces règles sera un élément crucial de cette réorientation.

À la faveur du dialogue étroit qui a commencé à se nouer entre le Gouvernement et le Parlement au sein d’un comité de liaison de la transposition des directives, en accord entre le Premier ministre et les présidents Bartolone et Bel, nous aurons donc à vérifier ensemble si certaines transpositions appellent des solutions particulières du type du recours aux ordonnances, pourvu, bien évidemment, que ce ne soit pas au prétexte de retards que le Gouvernement aurait lui-même laissé naître faute d’avoir préparé en temps utile les mesures d’adaptation de notre droit.

Mesdames et messieurs les députés, les mesures qui sont aujourd’hui soumises à votre examen sont non seulement une nécessité juridique, mais également une modernisation de notre droit attendue par nombre de consommateurs et d’opérateurs économiques.

Je souhaite donc que, tout comme cela a été le cas au Sénat, elles recueillent le plus large assentiment de votre Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le ministre, vous avez souligné à juste titre le retard avec lequel, pour au moins deux d’entre elles, nous transposons ces directives dans le droit français. Comme vous l’avez rappelé, cet état de fait est dû à la négligence coupable du précédent gouvernement, qui n’a pas pris les dispositions pour les transposer ou, lorsqu’il l’a fait, n’a pas été en capacité de mener le processus jusqu’à son terme. En effet, il a recouru par deux fois à de simples amendements, ce qui a été censuré par le Conseil constitutionnel.

Quoi qu’il en soit, cette situation est préjudiciable, et cela à double titre : d’une part, nous sommes sous la menace d’une sanction de la Commission européenne et, d’autre part, la transposition a eu lieu dans d’autres pays, avec comme conséquence que certaines entreprises étrangères ont pris de l’avance par rapport aux nôtres et peuvent ainsi nous concurrencer.

J’aurais souhaité, pour accélérer la procédure, que l’Assemblée soit en mesure de voter conforme le texte transmis par le Sénat. Or la qualité rédactionnelle, non seulement sur la forme, mais aussi pour des problèmes de références, ne nous a pas permis de le faire. J’ai donc déposé un certain nombre d’amendements qui, je le crois, rendent ce projet à la fois plus lisible et plus précis. Le Sénat ayant lui-même veillé à libérer son ordre du jour (Sourires), il aura le temps d’examiner ce texte en deuxième lecture.

Les dispositions introduites par le présent projet de loi risquent d’avoir une durée de vie limitée : tant en matière de monnaie électronique que dans le domaine de la supervision bancaire, de nouveaux textes communautaires pourraient être proposés prochainement.

S’agissant de la monnaie électronique, la directive de 2009 reprend très largement les dispositions applicables aux établissements de paiement, lesquels ont été créés lors de la transposition de la directive de 2007 sur les services de paiement. Or il est probable que, compte tenu de leurs similitudes, les statuts des établissements de paiement et ceux des établissements de monnaie électronique seront fusionnés. Le sujet a d’ailleurs déjà été évoqué au niveau européen. Nul doute que la Commission y reviendra, d’autant plus que des réflexions, notamment à travers un Livre vert, sont en cours sur les paiements par carte, par internet et par téléphone mobile.

Il en va de même pour le système européen de supervision qui est, depuis 2008, en mutation quasi permanente. Le prochain Conseil européen sera d’ailleurs consacré à ce sujet. Il est donc probable que les dispositions que nous intégrons seront appelées à évoluer, ce qui ne signifie pas, évidemment, qu’il fallait attendre pour les prendre !

Je dirai quelques mots sur la monnaie électronique. Il s’agit d’un mode de paiement stocké sous une forme électronique et qui doit être chargé au préalable. Le support peut être une carte prépayée, par exemple un porte-monnaie électronique, sur le modèle de Moneo en France, ou encore des cartes cadeaux ; il peut aussi s’agir d’un compte de paiement en ligne, que ce soit avec un serveur, comme dans le cas de Paypal, ou un téléphone mobile. Le paiement par mobile est d’ailleurs, il faut le souligner, en pleine expansion et connaît un grand succès dans certains pays.

Or à ce jour – vous l’avez dit, monsieur le ministre – la monnaie électronique n’a pas connu le succès escompté. L’objet de la directive est précisément d’assouplir le cadre juridique existant pour permettre l’essor de ce type de mode de paiement. Le présent projet de loi vient donc modifier en profondeur le cadre juridique en matière de monnaie électronique, dont il donne d’ailleurs une nouvelle définition. Il soustrait son émission au monopole bancaire en créant une nouvelle catégorie d’établissement : l’établissement de monnaie électronique. Il allège par ailleurs le régime prudentiel fixé pour les établissements en fixant le capital initial minimal à 350 000 euros, soit près de trois fois moins qu’auparavant.

Il donne un rôle central à l’Autorité de contrôle prudentiel pour l’attribution d’un agrément aux établissements, ainsi que pour l’octroi de dérogations. Il complète le dispositif de lutte anti-blanchiment. En effet, jusqu’à un certain seuil, la monnaie électronique offre l’anonymat à ses détenteurs, ce qui fait peser de réels risques de blanchiment d’argent. Il renforce la protection des consommateurs, notamment en matière de remboursement de la monnaie électronique.

Le remboursement de la monnaie électronique non utilisée, une fois le contrat arrivé à son terme, devra intervenir sans le moindre frais au cours de l’année suivant la fin du contrat. Au-delà, et dans le cadre de la prescription trentenaire, le remboursement pourra être demandé, avec toutefois l’application de frais qui devront être proportionnés. J’ajoute, car la question nous a été posée, que dans la mesure où il s’agit de petites sommes, il n’est pas, à mon avis, souhaitable de prévoir un régime dérogatoire pour le remboursement. Le régime prévu se fonde sur la possession pendant trente ans des sommes en question par l’institution émettrice. Il est clair que, compte tenu notamment des frais de remboursement qui peuvent être demandés, ce délai est assez théorique. En réalité, les comptes seront asséchés assez rapidement.

J’évoquerai enfin le cas particulier des titres spéciaux de paiement dématérialisés, qui sont placés hors du champ de la directive de 2009. Il s’agit, par exemple, des tickets restaurant ou des chèques emploi service, qui font l’objet de dispositions législatives et réglementaires spécifiques, notamment en matière de prélèvements fiscaux et sociaux. Vous savez, monsieur le ministre, que cette question agite beaucoup les acteurs du secteur. En effet, un certain nombre de propositions ont été faites pour dématérialiser les tickets restaurant. Je le dis clairement ici, comme je l’ai déclaré aux professionnels : cette question n’entre pas dans le champ de la directive. Vous aurez probablement l’occasion de la traiter, notamment à travers la future loi sur la consommation. Nous pourrons d’ailleurs en parler si vous le souhaitez car j’ai rassemblé un certain nombre d’informations sur ce sujet.

Ces titres, disais-je, peuvent faire l’objet d’une dématérialisation. Tel est déjà le cas pour le CESU et plusieurs projets sont à l’étude, notamment pour les titres restaurant dont je viens de parler. Du fait de leur statut spécifique, le projet de loi soustrait ces titres spéciaux aux dispositions prévues pour la monnaie électronique et ses émetteurs. Il semble toutefois que ce sujet suscite des inquiétudes, notamment s’agissant de la liste des titres concernés, qui doit être définie par arrêté.

La dérogation qui est prévue dans la directive et que nous introduisons par ce texte dans le droit français devra en effet être précisée par arrêté. Sur ce point, monsieur le ministre, je veux vous interpeller directement, car des interrogations se sont fait jour, par exemple sur les chèques cadeaux distribués par les comités d’entreprise. Il me semble – ce n’est là que ma position personnelle – qu’ils devraient faire partie du système dérogatoire. Je voudrais savoir si c’est aussi votre sentiment.

Le titre II du projet de loi procède à la transposition de la directive dite Omnibus I, laquelle adapte onze autres directives sectorielles à la nouvelle architecture de supervision européenne mise en place fin 2010. Je rappelle brièvement que le système européen de supervision financière a été créé suite au rapport de Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France et ancien directeur général du FMI, afin de répondre aux insuffisances de la supervision révélées par la crise économique et financière de 2008, que nous continuons de subir.

À cet effet, quatre institutions ont vu le jour. Trois sont des autorités de surveillance sectorielle : l’Autorité bancaire européenne l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et l’Autorité européenne des marchés financiers. Elles sont regroupées au sein d’une quatrième institution de supervision macro-prudentielle : le Comité européen du risque systémique.

Le principal enjeu de la transposition est de créer, en droit interne, une base juridique permettant la coopération et l’échange d’informations entre nos autorités de surveillance et les quatre institutions européennes précitées. Ce sont là, pour l’essentiel, des mesures techniques qui ne posent pas de difficulté ; elles seront sans doute appelées à évoluer en fonction du développement du projet d’union bancaire.

La troisième partie du présent projet de loi vise à assurer la transposition du volet public de la directive du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Sur ce plan, l’État français a rencontré certaines difficultés qui permettent d’expliquer les retards. Il semblerait qu’elles soient en passe d’être surmontées et que la gestion du système de paiement à travers le progiciel Chorus donne aujourd’hui satisfaction. Le système permet même, si j’ai bien compris, d’intégrer automatiquement les pénalités en cas de retard. Nous sommes donc exemplaires dans ce domaine. S’agissant des collectivités territoriales, il existe aussi un certain retard, imputable aux grosses collectivités et aux hôpitaux. Comme on le sait, les délais de paiement pèsent lourdement sur les entreprises, en particulier les PME, notamment en période de crise.

Cette situation ne peut perdurer et il convient d’imposer des mesures dissuasives pour que les personnes publiques paient en temps et en heure. Tel est notamment l’objet de la directive que nous transposons. Si certaines dispositions relatives aux délais de paiement existent déjà en droit interne, d’autres points restent à transposer. Ainsi, il convient d’harmoniser le délai de paiement de trente jours à l’ensemble des pouvoirs adjudicateurs. En outre, la France doit intégrer les sanctions prévues par la directive, en l’occurrence la majoration des taux d’intérêt, ainsi que la mise en place d’une indemnité forfaitaire de quarante euros à titre de compensation des frais de recouvrement supportés par le créancier. Un décret complétera ce dispositif et l’ensemble de ces mesures entrera en vigueur pour les nouveaux contrats conclus au 16 mars 2013, date limite de transposition de la directive.

Au final, ces mesures devront conduire les personnes publiques à respecter les délais de paiement, puisque la transposition de la directive devrait entraîner le paiement par les personnes publiques de plus de 150 millions d’euros d’intérêts moratoires et de 33 millions d’euros d’indemnités forfaitaires.

Je vous propose donc, mes chers collègues, de voter en faveur du présent projet de loi, tel qu’adopté par la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il nous est proposé de transposer en droit interne – avec retard, comme on l’a déjà souligné – trois directives européennes. Étant donné le titre de l’une d’entre elles – « Omnibus I » –, un tel retard pourrait d’ailleurs prêter à rire s’il ne s’agissait pas de la surveillance des banques, c’est-à-dire d’un sujet très sérieux.

Je compléterai mon intervention dans le débat précédent celui-ci en insistant sur cette question. Le président Van Rompuy, que nous avons rencontré la semaine dernière, a dit que, dans le rapport qu’il va présenter au Conseil, il préconise une feuille de route ambitieuse à ce sujet. M. Jacques Delors, que nous avons auditionné ce matin, a rappelé pour sa part qu’il était indispensable de conforter largement l’union économique et monétaire. Souhaitons donc que les derniers événements politiques en Italie ne viennent pas trop bousculer un ordre du jour déjà chargé et qu’il sera possible d’avancer de manière décisive sur cette question. En effet, la surveillance bancaire est une priorité majeure pour un développement durable de nos économies.

Il faut souligner que la régulation et le contrôle du secteur bancaire ont connu des développements très importants depuis six mois. Lors du sommet de la zone euro de juin dernier, les chefs d’État et de gouvernement ont pris des engagements en ce sens qui se sont traduits par la présentation par la Commission européenne du projet de mécanisme de surveillance unique. Pour la France, ce renforcement de la surveillance bancaire est indissociable de deux autres volets essentiels de l’union bancaire : les mécanismes de résolution des crises et la mise en place d’un système européen de garantie. Il s’agit en particulier de rompre le cercle vicieux entre crise bancaire et endettement public. Faut-il, à cet égard, rappeler ce qui se passe en Grèce en ce moment et les conséquences dramatiques pour les populations en matière de santé, d’éducation ou de chômage ?

Pourquoi renforcer la surveillance européenne des banques, alors qu’une agence européenne ad hoc, l’Autorité bancaire européenne, a été créée il y a à peine plus de deux ans et que la transposition des mesures nécessaires à son bon fonctionnement n’est pas encore achevée ? Ne va-t-on pas, une fois encore, multiplier les outils ?

Dans le système actuel, bien que les activités des banques soient de plus en plus transfrontalières, leur surveillance reste une prérogative nationale. Or, dans le même temps, avec la monnaie unique et leur étroite intégration financière, les pays de la zone euro sont particulièrement exposés à des risques de contagion des crises bancaires internes.

Dès lors, une intégration plus poussée de la surveillance à l’échelle européenne s’impose, pour éviter ces crises, rétablir la confiance et protéger l’épargne. La Commission européenne a formulé une série de propositions dans ce sens. Comme la France, elle a estimé que la surveillance devait s’appliquer à la totalité des 6 300 banques de la zone euro, étant donné que des banques petites ou moyennes peuvent parfois, elles aussi, être à l’origine de problèmes systémiques. Une autre idée de départ était de mettre en œuvre le dispositif en trois temps, entre le 1er janvier 2013 et le 1er janvier 2014. Je suppose, monsieur le ministre, que vous aurez des précisions sur ce point à l’issue du Conseil.

Sur ce sujet, qui requiert l’unanimité du Conseil européen, la proposition de la Commission européenne a toutefois suscité d’importantes réserves chez certains de nos partenaires : je les souligne, afin que vous puissiez me répondre.

L’Allemagne a d’emblée plaidé en faveur d’une mise en œuvre moins rapide du dispositif, car elle n’est toujours pas décidée à y inclure l’ensemble des banques européennes : elle joue là, selon moi, la politique de l’escargot. Le Royaume-Uni, quant à lui, veut le beurre et l’argent du beurre : avec d’autres États membres extérieurs à la zone euro, il exige d’être pleinement associé aux décisions de la BCE en matière de surveillance bancaire.

De son côté, si le Parlement européen a adopté les propositions de règlement à une large majorité dès le 29 mars 2012, il les a cependant amendées de façon substantielle. Il a d’abord renforcé le contrôle parlementaire sur les décisions prises par la BCE, en demandant notamment que la nomination du président – ou de la présidente – du comité de surveillance soit approuvée par le Parlement européen. Par ailleurs, il a souhaité que, au sein du comité de supervision, les pays extérieurs à la zone euro, désireux de participer au dispositif, jouissent des mêmes droits de vote que les pays de la zone euro. Enfin, il a voulu conforter le rôle de l’Autorité bancaire européenne.

Le vote en séance plénière, suspendu à un accord entre les colégislateurs, risque malheureusement d’être repoussé, le conseil Ecofin, du 4 décembre n’étant pas parvenu à trouver un accord politique.

M. Van Rompuy, lorsque nous l’avons rencontré la semaine dernière à Bruxelles, s’est pourtant montré assez confiant quant aux possibles avancées du prochain Conseil sur ce sujet. J’espère, monsieur le ministre, que vous allez nous conforter dans cette analyse. Pensez-vous vraiment que cet optimisme soit toujours de mise ?

Ce mécanisme de surveillance unique devrait être un rempart solide contre les tsunamis spéculatifs et un complément indispensable à l’édification d’un gouvernement économique européen, que Jacques Delors a appelé de ses vœux ce matin.

M. Christophe Caresche, rapporteur. Très bien !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Étienne Blanc.

M. Étienne Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, je n’aurai pas besoin de dix minutes pour dire que le groupe UMP votera le texte qui nous est aujourd’hui proposé, et qui vise à transposer dans notre droit trois directives utiles à la cohésion européenne. Vous me permettrez toutefois, monsieur le ministre, de revenir en conclusion sur les propos que vous avez tenus concernant le rythme de transposition adopté par le précédent gouvernement, notamment dans le cadre d’une loi de simplification que j’ai eu l’honneur de rapporter dans cet hémicycle. Il est vrai que nous avons utilisé des outils juridiques différents de ceux que vous proposez aujourd’hui, notamment les dispositions de l’article 38, qui permettent à notre assemblée d’habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de transposer dans notre droit trois directives européennes, touchant à des questions économiques, monétaires et financières.

La première de ces directives, qui a été votée le 16 septembre 2009, concerne la monnaie électronique et poursuit trois objectifs, à commencer par la sécurisation des moyens de paiement. Nous sommes notamment partis du constat que la délinquance qui concerne les paiements par carte bancaire se développe sur l’ensemble du territoire européen : c’est évidemment un sujet auquel il faut être particulièrement attentif. En ouvrant le champ du paiement et en faisant en sorte que les opérateurs se multiplient, nous nous exposons évidemment au développement du risque de tricherie. La directive, en cela, nous donne satisfaction.

Le deuxième objectif de cette directive, c’est l’harmonisation du cadre juridique au sein de l’Union : c’est évidemment une condition essentielle à la libre concurrence, ou en tout cas à une concurrence libre et non faussée dans ce domaine.

Le troisième objectif, c’est la suppression du monopole bancaire : c’est aussi la conséquence du principe de libre concurrence sur l’ensemble du territoire de l’Union. Ce point est d’ailleurs clairement exposé dans le rapport : nous avons constaté qu’un certain nombre d’établissements, dont les sièges sont situés à l’étranger, avaient débuté leurs activités sur le territoire européen. C’est le cas, notamment, d’entreprises installées en Grande-Bretagne ou au Luxembourg. C’est la loi du marché, et aujourd’hui elle s’impose à nous.

La monnaie électronique est un mode de paiement qui est appelé à prendre de l’ampleur. Assurer sa sécurité, lutter contre le blanchiment et harmoniser les conditions de son utilisation en Europe, voilà des objectifs que partage évidemment le groupe UMP. Nous appelons simplement l’attention du Gouvernement sur le fait que cette directive se déclinera, dans notre droit positif, à travers une série de règlements. Nous l’invitons donc à être à la fois créatif – comme il sait parfois l’être – et rigoureux, afin d’assurer la sécurité des paiements, en France comme à l’étranger.

La deuxième directive est la directive dite Omnibus I : je rappelle qu’elle vise à renforcer les compétences des autorités européennes de supervision des banques, des assurances et des marchés financiers. Là encore, le groupe UMP a approuvé la création du nouveau système de surveillance financière. Il est désormais important de clarifier les compétences des diverses autorités et, par conséquent, de remédier aux carences de l’actuel système de supervision financière. Mieux coopérer, assurer une cohérence européenne dans la gestion des pratiques des établissements financiers, c’est un objectif particulièrement louable, que porte cette directive. Le groupe UMP soutient donc le principe de cette transposition, notamment parce qu’elle facilite l’échange d’informations entre les pays européens : c’est une garantie supplémentaire apportée à la stabilité du système financier européen.

La dernière transposition, enfin, porte sur la directive du 16 février 2011, qui a pour objet de lutter contre les retards de paiement dans les transactions commerciales. Il s’agit évidemment d’une directive utile au financement des PME. On se rappelle le rapport de la Cour des comptes, qui a critiqué le système français, en montrant que nos entreprises sont trop dépendantes du crédit bancaire, mais aussi du crédit interentreprises : c’est là une particularité française, qui nuit à la souplesse de financement de notre système économique.

Fixer des délais de paiement et arrêter le montant des intérêts moratoires par décret, fixer une somme forfaitaire pour les cas où les délais imposés aux entreprises n’auront pas été respectés : nous approuvons ces dispositifs, car ils sont utiles au financement de nos entreprises.

Monsieur le ministre, permettez-moi tout de même de vous rappeler qu’une partie de cette directive a déjà été transposée dans notre droit positif : elle l’a été dans une loi de simplification du droit promulguée le 22 mars 2012. Je le souligne, parce que vous vous êtes livré, une fois encore, à votre habituelle critique de la majorité précédente. C’est une habitude de votre gouvernement, qui toutefois s’étiole au fil du temps. Monsieur le ministre, pour avoir été élu dans cette assemblée en 2002, à la faveur d’une alternance, je peux vous confier ce que j’ai observé : plus le temps passe, et moins on en parle.

M. François de Rugy. Tout cela reste pourtant vrai !

M. Étienne Blanc. Plus tôt le Gouvernement cessera ses attaques inutiles, pour ne pas dire futiles, mieux ce sera.

Voici ce que je veux vous dire : lorsque, dans la loi de simplification du 22 mars 2012, dont j’étais le rapporteur, j’avais suggéré à notre assemblée de procéder à cette transposition, curieusement, le parti socialiste avait voté contre.

M. Julien Aubert. Le vice et la vertu !

M. Étienne Blanc. Il faudra donc peut-être que vous m’expliquiez, monsieur le ministre, pourquoi vous reprochez aujourd’hui à l’ancienne majorité de ne pas avoir suffisamment transposé les directives européennes – cette même majorité qui, à partir de 2002, avait accéléré le rythme des transpositions, qui n’avait guère été soutenu entre 1997 et 2002 – alors que lorsqu’elle proposait à l’opposition d’alors de voter ces transpositions, celle-ci ne les votait pas.

M. Philippe Vigier. Eh oui !

M. Étienne Blanc. La politique a tout de même ses limites !

Mais revenons-en à l’essentiel : ces trois directives sont utiles à notre économie, elles sont utiles à notre pays, elles sont utiles à l’Europe. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera votre texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est une transposition très technique de directives européennes. Sur le contenu, nous n’avons pas grand-chose à dire. Un point seulement suscite chez nous quelques interrogations et réserves : j’y reviendrai.

Ce texte est important, car la France connaît un important retard en matière de monnaie électronique. Le marché est en train de se structurer et, si nous n’agissons pas rapidement, cela se passera une nouvelle fois sans nous, comme c’est déjà arrivé en bien des domaines. L’entreprise Paypal, l’un des plus gros acteurs du paiement en ligne, est au Luxembourg, et d’autres sont au Royaume-Uni.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit, s’agissant du retard avec lequel deux des trois directives vont être transposées dans notre droit. C’est malheureusement un problème structurel, qui n’est pas propre à cette législature, et sur lequel nous devons tous travailler, afin de trouver des solutions.

Je regrette que nous n’ayons pas davantage profité de l’opportunité que nous offrait la discussion de ce projet de loi, pour avoir des débats plus politiques. Je ne vois pas bien l’intérêt de faire passer en débat dans l’hémicycle un texte très technique, qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance. Personne, ou presque, ne s’y est intéressé, hormis les rapporteurs, dont je salue le travail.

Indépendamment du contexte politique à droite, ce texte a été examiné en commission des finances, en pleine préparation du projet de loi de finances rectificative, et son aspect très technique a achevé de décourager les bonnes volontés. Un examen en séance publique, c’est d’abord et avant tout un débat politique sur les tenants et les aboutissants d’un texte, sur les grandes orientations et les choix politiques. Si nous sommes là, uniquement pour entériner sans débat des mesures purement techniques qui font consensus, c’est, mes chers collègues, une perte de temps. (Applaudissements sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.) Le calendrier parlementaire est déjà suffisamment encombré.

Nous aurions pu profiter de l’examen de ces textes pour examiner trois points, sous l’angle politique.

Le premier concerne l’ensemble des initiatives européennes dans le domaine des paiements et de la régulation bancaire : en ce moment, les choses bougent beaucoup, et 2013 va être une année cruciale. Un vaste projet d’union bancaire est en cours, qui va nous amener rapidement à revoir les dispositions sur la régulation bancaire, avec des effets politiques essentiels, puisque l’on sera sans doute amené à faire monter la supervision bancaire au niveau européen. Tout le titre II de ce projet de loi aurait donc presque pu être qualifié de « dispositions transitoires ».

Nous n’avons eu, sur le sujet, qu’une audition conjointe de la commission des finances et de la commission des affaires européennes, en juillet dernier. Les sénateurs ont su, mieux que nous, prendre ce sujet à bras-le-corps, avec une proposition de résolution européenne sur l’union bancaire, déposée le 14 novembre et débattue en commission des affaires européennes. Il n’est pas trop tard pour nous lancer, car 2013 sera une année très chargée pour la construction d’une Europe des services de paiement. Presque toutes les directives seront revues ou modifiées.

Le deuxième point concerne les moyens de paiement. La dimension européenne y est importante, mais il y a aussi des aspects nationaux. Un rapport a été rendu en mars dernier par MM. Constans et Pauget. Même s’il est surtout centré sur le système bancaire, il contient des analyses et des propositions intéressantes.

En tout état de cause, il constituait une base de départ pertinente et solide. Monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre position sur ce rapport et les propositions qu’il contient.

La monnaie électronique n’est qu’un mode de paiement parmi d’autres. En Europe, la France présente une singularité : l’utilisation plus importante qu’ailleurs du paiement par chèque. Les Allemands sont au contraire des adeptes du paiement en liquide – c’est même pour eux qu’ont été créés les billets de 500 euros.

Chaque pays a ses spécificités culturelles, et transposer une directive, c’est aussi prendre cela en compte pour atteindre l’objectif poursuivi.

L’idée étant de favoriser au maximum le développement de la monnaie électronique, comment agir dans le cadre culturel français ? Comment convaincre nos concitoyens d’avoir recours à la monnaie électronique en délaissant le chèque ? Comment gérer le passé, notamment l’échec relatif de Monéo qui n’a pas atteint sa cible ?

Un énorme travail d’accompagnement est à mener pour réussir à développer de manière conséquente la monnaie électronique dans notre pays. Voilà de quoi nous aurions dû débattre, monsieur le ministre !

Même si les solutions ne sont pas toutes de niveau législatif, un éclairage du Gouvernement sur ces questions, et sur les initiatives qu’il compte prendre, aurait été bien utile. Cet éclairage aurait rendu ce débat à la fois plus clair et plus attractif. Il aurait permis de replacer les dispositions techniques du projet de loi dans leur contexte global.

Enfin, il aurait été intéressant d’aborder certains aspects connexes, comme celui de la sécurité informatique, ou encore de la protection des données personnelles.

La sécurité informatique est une question capitale pour le succès de la monnaie électronique. Que faisons-nous à ce sujet ? Quelles sont les mesures qu’il serait intéressant de prendre, y compris au niveau législatif, pour garantir la sécurité des transactions et, en conséquence, la confiance des Français dans le système de monnaie électronique ?

Une autre question sensible se pose : celle de la gestion des données personnelles.

L’usage de la monnaie électronique rend possible une très grande traçabilité des échanges, ce que ne permettent pas les paiements en numéraires. C’est une très bonne chose dans la lutte contre la fraude, mais c’est inquiétant en ce qui concerne la protection de la vie privée. Il nous revient donc, en tant que législateur, de fixer les limites et d’établir les équilibres.

Or, dans ce projet de loi, vous ne traitez qu’un aspect de la question : celui de la lutte contre la fraude, qui plus est, en prenant une fausse route.

En effet, il n’est pas possible de transposer à la monnaie électronique, comme vous le faites dans le texte, les limitations fixées aujourd’hui pour les paiements en liquide. Pourquoi fixer des seuils maximaux de paiement en monnaie électronique ? Les paiements étant traçables par voie électronique, les risques de fraudes sont bien moindres qu’avec un chèque ou du liquide. Il faudrait même être assez stupide pour se livrer à du blanchiment à grande échelle avec de la monnaie électronique.

En revanche, il y a de véritables enjeux dans la lutte contre la contrefaçon. Même si c’est loin d’être évident, frapper au portefeuille est un moyen de lutter contre la contrefaçon en ligne ou contre les paris sportifs illicites. Pour ce faire, il faut mettre en place des règles et des procédures qui n’existent pas ou qui ne sont pas assez efficaces.

La traçabilité des flux de monnaie électronique offre des perspectives intéressantes dans ce domaine, mais elle nécessite la mise en place d’un cadre spécifique qui ne peut pas être le simple décalque de ce qui existe pour la monnaie physique. Une fois de plus, on commet l’erreur de plaquer ce qui existe pour l’économie physique sur l’économie numérique.

Monsieur le ministre, j’ai comme l’impression que vous êtes passé à côté de nombreuses implications de ce texte. C’est dommage car ce sont des sujets importants dont il faut débattre et qui, pour le coup, sont éminemment politiques.

Sur le fond, je l’ai dit, nous avons une réserve au sujet des moyens de paiement spécifiques.

Il est prévu que des entreprises peuvent, sans entrer dans le cadre de la directive, émettre et gérer de la monnaie électronique en vue de l’acquisition de biens ou de services exclusivement dans les locaux de l’entreprise ou dans le cadre d’un réseau limité ou pour un éventail limité de biens et de services. En clair, les unités chargées sur un instrument de paiement spécifique seront de la monnaie électronique, mais sans que l’entreprise qui les émet ne soit ni établissement de monnaie électronique ni soumis aux règles qui leur sont applicables. Elle sera donc hors du cadre de la directive.

Pour autant, ces entreprises ne seront pas sans cadre juridique. Ce sera même le contraire puisqu’on va les astreindre à une surveillance par la Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel avec un cadre juridique largement défini par voie réglementaire.

La France est la seule à avoir fait le choix de créer un régime dérogatoire aussi large, et à ne pas faire entrer ces moyens de paiement spécifiques dans le cadre de la directive. Monsieur le ministre, pouvez nous en expliquer les raisons ? Pouvez-vous aussi nous donner des indications précises sur le champ de cette dérogation et sur les seuils qui vont être fixés ? Pouvez-vous nous dire, concrètement, qui sera concerné ?

Tous les observateurs ont pointé le fait que la première directive, celle de 2000, avait été transposée de manière trop restrictive et prudentielle. C’est l’une des causes du retard important de la France dans le domaine de la monnaie électronique. Ne sommes-nous pas en train de faire exactement la même erreur avec ce régime dérogatoire des moyens de paiement spécifiques ? J’ai quelques craintes à ce sujet.

Bien qu’incomplet à nos yeux, et hormis la réserve que j’ai exprimée sur le dispositif relatif aux moyens de paiement spécifiques, ce projet de loi n’est guère critiquable dans son contenu. Il colle largement au texte de la directive, et il nous permet de respecter nos obligations de transposition en évitant de justesse une nouvelle amende dont nos finances publiques peuvent faire l’économie.

Le groupe Rassemblement-UMP votera donc pour ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Rassemblement-UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de transposer dans notre droit interne trois directives européennes : une directive sur la monnaie électronique, une autre sur l’adaptation des secteurs bancaire, des assurances et des marchés financiers à la nouvelle architecture de supervision européenne, et, enfin, une directive visant à lutter contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

La directive du 16 septembre 2009, dite « directive monnaie électronique », vise à permettre le développement de nouveaux services innovants et sûrs pour la monnaie électronique, à faciliter l’accès au marché pour les nouvelles entreprises, ainsi qu’à encourager la concurrence entre tous les acteurs du marché.

En effet, l’usage de la monnaie électronique, qui se substitue à l’argent liquide, n’a jusqu’à présent rencontré que peu de succès. Les cartes prépayées, le porte-monnaie électronique et l’ensemble des autres moyens de paiement électronique sont encore faiblement utilisés en France.

L’absence de cadre harmonisé à l’échelle européenne constitue certainement un obstacle au développement de la monnaie électronique. En effet, les Français qui voyagent à l’étranger ne peuvent pas l’utiliser, contrairement aux autres types de paiements. Ainsi, la monnaie fiduciaire est harmonisée au sein de la zone euro depuis la création de l’euro, et la monnaie scripturale bénéficie également d’une certaine harmonisation : les virements bancaires internationaux sont possibles, les cartes bancaires sont internationales, et le paiement ou le retrait d’espèces à l’étranger est possible avec une commission qui est en général relativement faible – j’ai bien dit « en général ».

La transposition de la directive qui nous est aujourd’hui présentée permettra donc d’harmoniser le cadre juridique de la monnaie électronique au sein de l’Union européenne, et de sécuriser l’utilisation des moyens de paiement électronique par les consommateurs.

J’ajoute, à la suite de Lionel Tardy, qu’il faudra penser à la contrefaçon, et imaginer des règles et des procédures sans lesquelles des dérives auront lieu.

Il s’agit à nos yeux d’une nouvelle étape dans la refonte du secteur européen des paiements, qui a pour objectif la création d’un véritable marché intérieur des paiements électroniques, notamment dans le cadre du projet d’espace unique européen de paiements en euros.

En outre, la directive sur la monnaie électronique permettra d’assouplir le statut d’établissement de monnaie électronique en France. Ce statut, régi par un règlement datant du 21 novembre 2002, est lourd de contraintes. Depuis janvier 2009, il est même devenu contradictoire sur certains points avec le code monétaire et financier.

La transposition permettra à la réglementation française de s’aligner sur les dispositions instaurées au niveau européen pour plus de sécurité juridique. Elle supprimera notamment le monopole bancaire en matière d’émission de monnaie électronique – ce qui a suscité quelques émois, comme M. le ministre le sait. Des établissements français de monnaie électronique, indépendants des établissements bancaires, pourront fournir des services de paiement en plus de leur activité de monnaie électronique, ce qui leur est interdit.

Il est vrai que la France a échoué par trois fois à transposer la directive – lors de la première tentative, les voix de l’opposition de l’époque ne nous avaient pas soutenus. Notre pays a pris beaucoup de retard : il fait partie des cinq États membres sur vingt-sept qui n’ont pas encore transposé le texte en droit national. Les dispositions de la directive sur la monnaie électronique devaient pourtant être mises en œuvre au plus tard avant la date butoir du 16 février 2011, c’est pourquoi la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction contre la France en avril 2012.

Monsieur le ministre, le groupe UDI soutient ce texte, convaincu qu’il est nécessaire de l’adopter le plus rapidement possible afin de restaurer l’attractivité de la monnaie électronique.

La transposition de la directive du 24 novembre 2010, dite Omnibus I, concerne les compétences des autorités européennes de supervision des banques, des assurances et des marchés financiers. Elle permet de clarifier les compétences de ces diverses autorités.

Le texte fait suite à la création, à l’automne 2010, des autorités européennes de supervision du secteur bancaire, des assurances et des marchés financiers, à savoir l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, l’Autorité européenne des marchés financiers, et le Comité européen du risque systémique.

La directive a pour objectif de remédier aux carences de la supervision financière au niveau européen, mises en exergue par la crise financière – notamment au manque de coopération, de coordination et de cohérence entre les États membres dans la gestion nationale des pratiques des établissements financiers.

Ainsi, la directive va renforcer les échanges d’information entre les autorités de supervision nationales, l’Autorité de contrôle prudentiel et l’Autorité des marchés financiers, et ces autorités européennes, contribuant ainsi à une certaine efficacité de la supervision des acteurs financiers. Toutefois, la route à parcourir reste encore longue.

Le groupe UDI soutient cette supervision européenne que nous avions déjà réclamée avec force. Elle est indispensable en réponse à la crise, qui sévit depuis 2009, dont nous avons beaucoup de mal à nous sortir. À nos yeux, cette supervision prend en compte les intérêts des États membres ; elle permet de promouvoir une réponse coordonnée de l’Union européenne, qui a cruellement fait défaut aux moments clefs de la crise. Ainsi, cette directive fait partie du plan global de soutien à la stabilité du système financier.

Enfin, ce projet de loi permet la transposition dans notre législation de la directive du 16 février 2011 sur la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.

Nous ne pouvons qu’approuver cette directive, qui fait bénéficier les entreprises de meilleures conditions de paiement.

Alors que nous venons d’examiner le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, il fallait ajouter cet élément à l’arsenal, même s’il n’enlève rien aux carences du CICE. Disons que cette mesure va dans le bon sens, et, monsieur le ministre, quand ça va dans le bon sens, nous le disons !

En cette période de difficultés financières pour un grand nombre d’entreprises, le délai de paiement est un élément extrêmement important. Qui dit délai de paiement non respecté, dit problème de trésorerie, alors même que les banques sont souvent absentes au rendez-vous pour aider les chefs d’entreprise. Il y aura désormais un délai maximal de paiement, fixé par décret, pour les autorités publiques et pour les transactions commerciales.

En outre, les entreprises seront automatiquement autorisées à réclamer des intérêts pour les retards de paiement. Elles pourront aussi obtenir un montant fixe minimal de 40 euros à titre de compensation pour frais de recouvrement. Lorsque les frais de recouvrement sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire, les entreprises pourront réclamer des compensations complémentaires.

Ces trois directives apportent donc de réelles avancées. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des députés du groupe UDI votera ce projet de loi de transposition. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et Rassemblement-UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la discussion autour de ce texte illustre le caractère bien souvent artificiel des travaux parlementaires relatifs à la transposition dans notre droit national de directives adoptées par l’Union européenne.

Je dis « artificiel », parce que – et c’est bien logique, sans cela il n’y aurait pas d’Union – la capacité du Parlement à modifier les textes qui lui sont soumis est extrêmement étroite.

Je dis aussi « artificiel », parce que la diversité, j’allais dire la disparité, des sujets qui viennent alimenter ce texte nuit au travail parlementaire. En effet, qu’y a-t-il de commun entre la facilitation de l’usage de la monnaie électronique, la finalisation de l’arsenal déployé au beau milieu de la crise économique et financière pour renforcer la supervision européenne des secteurs de la finance, et la protection des entreprises grâce à la lutte contre les retards de paiement ?

Adoptées entre septembre 2009, pour la plus ancienne, et février 2011, pour la plus récente, les trois directives qui nous sont soumises aujourd’hui dans un seul et même paquet n’ont finalement en commun que d’être européennes et que de devoir être adoptées au plus vite, l’inaction du gouvernement précédent nous faisant courir le risque d’une condamnation pour non-transposition de décisions européennes dans notre droit national.

Cette seule nécessité d’une adoption rapide ne constitue pas, chacun en conviendra, un facteur suffisant pour en faire un texte cohérent et lisible.

Oui, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’Europe demeure pour les Parlements nationaux plus souvent une simple contrainte formelle qu’une réelle occasion de débats.

Les optimistes, au risque d’être qualifiés de béats, objecteront que cette articulation entre échelon européen et institutions nationales progresse, et que le contrôle de subsidiarité en amont, institué par le traité de Lisbonne, permet une meilleure prise en compte de la volonté des Parlements. Ils ont raison.

Mais les pessimistes, au risque d’être qualifiés de sceptiques, verront dans notre exercice d’aujourd’hui la preuve du caractère bien souvent fictif du fonctionnement démocratique de l’Union : ont-ils, franchement, totalement tort ?

Nous avons là, sous nos yeux, l’illustration sans doute la plus convaincante, même si elle est faite par l’absurde, de la nécessité d’un saut fédéraliste qui permettrait tout à la fois à l’Europe d’être plus réactive, et aux institutions nationales de jouer, sur les questions essentielles et non dans une logique purement formelle, leur rôle de contrôle démocratique et d’élaboration de la loi.

Voilà pour la procédure. Allons désormais au fond.

Au premier étage de ce dispositif, il y a donc la transposition des dispositions européennes concernant la monnaie électronique. Voilà un sujet concret, qui concerne l’ensemble de nos concitoyens.

La définition d’un cadre commun en matière de monnaie électronique à travers l’Union européenne est une avancée importante, singulièrement dans un pays comme le nôtre, où les expériences en la matière ont échoué, pour des raisons diverses et variées. Le contrôle, par les banques, du système Moneo, et les frais imposés aux commerçants avaient conduit à cet échec. En créant une nouvelle catégorie d’établissements, les établissements de monnaie électronique, afin de supprimer le monopole bancaire en matière de monnaie électronique, l’Europe démontre qu’elle peut jouer un rôle utile pour résister au poids de lobbies puissants. Elle crée les conditions d’une dynamisation de ce secteur à l’échelle de tous les pays européens, sur une base harmonisée.

Les lobbies – singulièrement les banques –, parlons-en.

Ils sont au cœur des dispositions figurant au deuxième étage de cette étonnante fusée législative qui nous est soumise aujourd’hui. Adoptée le 24 novembre 2010, au lendemain d’une crise qui a failli emporter l’ensemble de notre système bancaire et financier, la directive du Parlement européen et du Conseil vise à mettre les compétences des diverses agences européennes de régulation en cohérence avec leur nouvelle architecture : que des précisions soient enfin effectives, qui concernent l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et l’Autorité européenne des marchés financiers, voilà qui ne peut que nous satisfaire.

Cette directive, dans un vocabulaire technocratique dont l’Europe a le secret, est dénommée « Omnibus I ». Deux ans pour la mettre en œuvre : pour une fois, la novlangue européenne a un sens. On est en effet plus proche de l’omnibus que du TGV ! Au-delà du trait d’humour, il y a là une réalité inquiétante.

La question du contrôle et de la supervision bancaires est au cœur des préoccupations de tous les observateurs des soubresauts de nos économies.

Le bras de fer est permanent entre des banques qui n’ont, suite à l’épisode de 2010, modifié leurs logiques de fonctionnement qu’à la marge et des responsables européens qui demeurent engoncés dans leurs contradictions.

Et il nous faut deux ans pour traduire dans notre droit la première pierre du nouvel édifice européen ! Comment ne pas être inquiet du délai qui sera mis pour que soient effectives les décisions attendues très prochainement sur le contrôle bancaire préalable au déclenchement d’aides via le MES, le Mécanisme européen de stabilité ?

Sous nos yeux, nous avons la démonstration de ce que la souveraineté nationale n’est pas seulement, sur ces questions, une fiction : son mythe est un frein à la mise en œuvre des décisions qui s’imposent.

Le précédent gouvernement avait cru pouvoir régler la question en procédant par ordonnances, en vertu d’une habilitation qui aurait été accordée par l’une des dernières lois Warsmann. Le Conseil constitutionnel a finalement censuré cette disposition.

En vérité, ce n’est pas par des artifices législatifs nationaux que l’on pourra réduire le délai de mise en œuvre des directives européennes indispensables en matière de contrôle des organismes financiers et bancaires. C’est par un mode de fonctionnement fédéraliste – on y revient –, démocratique, c’est-à-dire où le Parlement européen jouera pleinement son rôle, et dans lequel le contrôle parlementaire national s’exercera en amont des décisions.

Le dernier élément de ce curieux attelage législatif n’appelle, enfin, pour les écologistes, pas d’objections ni de commentaires complémentaires : la lutte contre les retards de paiement dans le cas de transactions commerciales entre entreprises et pouvoirs publics est un objectif louable, et même vital pour beaucoup de petites et moyennes entreprises. Si cette nouvelle disposition permet, à l’échelle des Vingt-Sept, de répondre aux attentes des acteurs économiques, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, chers collègues, les députés écologistes voteront ce texte, même s’il est de bric et de broc. Un texte à l’image, finalement, d’une Europe qui sait se montrer utile, qui sait apporter des améliorations concrètes à la vie quotidienne de nos concitoyens, qui entend renforcer le contrôle des organismes bancaires et financiers qui ont failli conduire ses économies à leur perte. Mais une Europe lente dans l’application de ses décisions, brouillonne dans ses modes de fonctionnement, et finalement bien peu lisible pour les Européens.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, et M. Alain Tourret. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes un peu dans une situation curieuse : 250 pages de textes nouveaux – ce n’est pas rien –, dix députés présents dans l’hémicycle, peut-être onze. Nous sommes tardivement saisis d’un texte fourre-tout, ayons l’honnêteté de le reconnaître, un peu dans le style des DMOS que nous votons en général au mois de juin ou au mois de juillet.

Ces textes, qui sont importants, et qui contribuent, comme vient de le rappeler mon excellent ami François de Rugy, à l’architecture européenne, auraient peut-être mérité mieux.

Ce projet de loi, adopté par le Sénat, transpose en droit français trois directives européennes, qui elles-mêmes se subdivisent en un certain nombre de textes. Il s’agit de la directive relative à la monnaie électronique, de la directive dite Omnibus I, et de la directive relative à la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

S’agissant d’abord de la monnaie électronique, reconnaissons que tout n’a pas été brillant dans l’action du précédent gouvernement : dix-huit mois de retard, ce n’est quand même pas quelque chose à louer. Sur ce point, je fais miennes les observations du ministre et du rapporteur. On a vraiment l’impression que la France a considéré avec négligence ses obligations vis-à-vis de l’Europe, cela alors même qu’elle encourait des sanctions – elles n’ont finalement pas été prononcées –, comme d’ailleurs cinq autres pays, la Belgique, l’Espagne, Chypre, la Pologne et le Portugal, qui n’avaient pas plus respecté les leurs. Je crois que si nous n’avons pas été condamnés, c’est parce que le nouveau gouvernement a fait tout ce qu’il fallait, en particulier à partir du 1er août 2012, pour saisir le Sénat et faire en sorte que la Commission européenne renonce à saisir la Cour de justice de l’Union européenne. La Belgique, elle, a été condamnée à des indemnités qui ne sont certes pas extraordinairement élevées, mais cette condamnation, sur le plan des principes, est une déconvenue absolument lamentable.

Ce retard autant que les restrictions issues de la précédente directive adoptée en 2000 sont la cause du faible développement de la monnaie électronique. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. À cet égard, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le rapport de Christophe Caresche. En août 2007, la monnaie électronique ne représente que 1 milliard d’euros, à comparer aux 637 milliards d’euros en espèces alors en circulation. La monnaie électronique est donc peu utilisée en France, puisque les opérations financières réalisées en 2011 ne portent que sur des chiffres tellement faibles que, à la lecture du rapport, j’ai cru à des erreurs de frappe : 101 millions d’euros, contre 28 389 milliards d’euros pour l’ensemble des opérations en monnaie scripturale. J’ai vérifié, ce sont les bons chiffres. En pourcentage, la part de marché de la monnaie électronique par rapport à la monnaie scripturale n’est donc en France, en 2010, que de 0,24 %. C’est douze fois moins qu’en Belgique, et quinze fois moins qu’en Espagne, même si les pourcentages restent aussi très faibles dans ces pays. On peut quand même se consoler en notant que l’Allemagne, toujours citée en exemple, ne fait pas mieux que la France.

Notre vieux pays adore les bas de laine où l’on met les louis et les napoléons – pour réconcilier les républicains et les monarchistes (Sourires) –, et nous continuons par ailleurs d’utiliser les carnets de chèques, avec lesquels il faudra bien rompre dans les années à venir.

Grâce à cette directive, est-on en droit d’espérer quelque chose de nouveau ? Peut-être, car on peut noter cinq nouveautés.

D’abord, la définition de la monnaie électronique est beaucoup moins restrictive, et beaucoup plus neutre technologiquement, ce qui permettra un progrès.

Deuxièmement, le monopole bancaire en matière d’émission et de gestion de monnaie électronique est abrogé, grâce à la création, à l’article 11, de l’établissement de monnaie électronique, qui n’est plus nécessairement un établissement de crédit. On peut aussi y voir un progrès.

Troisièmement, les établissements de monnaie électronique bénéficient d’un élargissement du champ des activités qu’ils peuvent exercer. Ils peuvent fournir un service de paiement comme le change, contrairement aux établissements de paiement.

Quatrième progrès, le capital requis pour les établissements de monnaie électronique est revu à la baisse, le seuil passant de 1 million d’euros à 350 000 euros.

Cinquième progrès, la protection du consommateur est renforcée. Il sera mieux informé et mieux remboursé.

Mais tout cela, monsieur le ministre, s’il n’y a pas une volonté forte, de la part du Gouvernement, de passer à la monnaie électronique, ne servira pas à grand-chose. Il y a toute une éducation à faire, pour l’ensemble des Français.

J’en viens à la directive dite Omnibus I, qui aurait dû, elle aussi, être transposée au plus tard au 31 décembre 2011. Elle vise à adapter onze directives financières qui concernent les banques, les assurances, les marchés financiers, et qui doivent s’adapter à la nouvelle architecture de supervision européenne adoptée fin 2010.

Cette directive clarifie d’abord les compétences de l’Autorité bancaire européenne, de l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, mais aussi de l’Autorité européenne des marchés financiers. Elle renforce, ensuite – afin de la rendre plus simple et plus efficace –, la coopération de ces autorités européennes avec les autorités de supervision nationales, à savoir, pour la France, l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle prudentiel. Cela ne peut aller que dans le bon sens.

La troisième directive est importante, car elle concerne la vie de tous les jours, en particulier dans le secteur public. Il s’agit du volet public relatif aux transactions commerciales passées entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics. Notons que le volet interentreprises a été adopté, si mes souvenirs sont bons, en mars 2010.

Il est vrai que le délai global de paiement, à savoir le délai séparant la date de réception de la facture par les services de la personne publique de la mise en place du paiement de la dépense par le comptable, est passé pour l’État, entre 2010 et 2011, de vingt-sept à trente-six jours – ce qui est quelque chose d’insupportable –, alors que pour les collectivités territoriales, il n’est passé que de vingt-cinq à vingt-six jours. Ce n’est déjà pas brillant, mais c’est quand même mieux.

Le projet de loi vise donc à renforcer les contraintes en matière de délais de paiement, ainsi qu’à renforcer les sanctions en cas de dépassement des délais. Les créanciers pourront obtenir non seulement des intérêts de retard au taux légal, avec des majorations, mais aussi des indemnités forfaitaires.

En 2011, nous dit le rapport, les intérêts moratoires ont atteint 104 millions d’euros.

Avec le nouveau texte, si l’on ajoute les intérêts majorés aux indemnités forfaitaires, ce sera 50 % de pénalités complémentaires en plus par rapport à ce qui existe. C’est évidemment très utile.

La transposition de ces trois directives est justifiée car elles vont ainsi moderniser la France et ses moyens de paiement, mais aussi rendre plus rapide des paiements dont le retard nuit à l’ensemble de l’activité économique. Le groupe RRDP les adoptera bien sûr, tout en pensant qu’elles seront suivies d’autres directives tant il est vrai qu’en la matière, nous, Français, donnons souvent l’impression d’avoir plusieurs trains de retard – je suis bien placé pour savoir, monsieur le ministre, que les trains entre Paris et la Normandie ne vont pas vite !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.

M. Patrice Carvalho. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, ce projet portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière correspond à un exercice rituel, malheureusement bien connu des parlementaires. Certes, formellement, il s’agit seulement de traduire sous la forme législative des normes européennes adoptées à Bruxelles. Reste que cette opération, juridiquement obligatoire, demeure politiquement critiquable. En effet, les représentants de la nation sont mis au service des institutions européennes, exerçant ainsi à l’occasion de cette opération de transposition de directives une compétence liée, notion juridique qui exprime bien l’idée d’absence de toute liberté. Pour notre part, nous refusons de voter mécaniquement ce type de projet de loi de transposition, qui mérite, comme les autres projets de loi, d’être débattu par la représentation nationale. Cela posé, derrière son apparence technique, la transposition de ces trois directives européennes revêt un intérêt certain.

Tout d’abord, conformément à la directive de septembre 2009 sur la monnaie électronique, le projet de loi prévoit la création d’une nouvelle catégorie d’acteurs dans le secteur des moyens de paiement : les établissements de monnaie électronique. Ils seront habilités à émettre de la monnaie électronique à destination de leurs clients. La directive autorise en effet des entreprises à émettre cette monnaie sans avoir à prendre le statut très lourd de banque, plus précisément d’établissement de crédit. Ainsi, le capital minimum exigible sera plus bas, de même que leurs fonds propres, et les normes de gestion à respecter seront plus légères.

La mise en place de la monnaie électronique pour les achats de faible montant s’inscrit dans le cadre d’un dispositif plus large relatif au développement du commerce électronique. Or force est de constater que la monnaie électronique, une forme de dématérialisation de la monnaie métallique ou fiduciaire, singulièrement de la menue monnaie, n’a pas connu le succès escompté. Les Français n’ont pas souhaité changer leurs habitudes en la matière et ont exprimé par là une volonté dont il faut tenir compte. Les évolutions sociales et sociétales ne se décrètent pas, d’autant que le manque d’enthousiasme pour le porte-monnaie électronique repose sur des raisons pour le moins compréhensibles. Ainsi, la gratuité justifiée des chèques bancaires et la généralisation des cartes de crédit, utilisables même pour des montants d’opération limités, sont de nature à ne pas faciliter ce type de monnaie pour faire face aux dépenses quotidiennes.

M. Christophe Caresche, rapporteur. Absolument.

M. Patrice Carvalho. Il n’est pas question de revenir sur la gratuité des chèques et sur leur validité même. Il y a lieu néanmoins de s’interroger sur un phénomène de plus en plus répandu, à savoir que nombre de commerçants refusent le paiement par chèque bancaire ou postal, une pratique incompréhensible pour le consommateur moyen dont la bancarisation a été très vivement encouragée dans les années 60-70 aux fins de substituer à nombre d’opérations en espèces des opérations par chèque ou par virement. D’ailleurs, la volonté affichée de relancer l’usage du porte-monnaie électronique risque de se heurter, dans certains cas, aux mêmes réticences, d’autant plus que la directive n’est pas de nature à changer la donne puisqu’elle oblige à rembourser la monnaie électronique sans préciser les modalités du remboursement.

La vraie question porte sur la sécurité du mode de paiement. La directive vise à développer l’offre de services disponible en la matière, ce qui ne peut que nous conduire à nous interroger sur l’absolue fiabilité de tous les opérateurs qui vont demander à intervenir sur le marché français. L’intention affichée du texte est de faciliter le développement de ce type de services — qui ne rencontre que peu de succès et est essentiellement utilisé à partir du Luxembourg avec le service Paypal —, mais les exigences prudentielles indiquées sont tout de même un peu limitées pour que tout opérateur de monnaie électronique soit fiable à 100 %. L’un des problèmes de la monnaie électronique est sans doute qu’elle va favoriser une certaine forme de création monétaire sans contrepartie immédiate, ce qui ne peut manquer d’éveiller l’attention et la vigilance du consommateur comme du législateur : il serait regrettable que les placements des opérateurs à partir des sommes passées sur leurs écritures soient l’objet de pertes diverses mettant en question la contrepartie de l’utilisateur.

En outre, le dispositif prévu par cette directive est quasiment dépassé par les avancées techniques en la matière. Quel intérêt dès lors à voter un texte déjà dépassé ou presque ? Le Gouvernement nous oppose l’argument de l’obligation juridique et de la menace de sanction de la Commission et de la Cour de justice européenne. Mais ce retard de transposition peut s’expliquer par l’inflation des textes européens – pas forcément nécessaires et dans des domaines de plus en plus étendus –, inflation qui affecte la qualité du travail législatif national, les parlementaires se trouvant contraints de voter un texte de transposition ou d’application, avec une épée de Damoclès au-dessus de l’hémicycle.

Le projet de loi transpose également la directive dite Omnibus I qui tire les conséquences de la création, à l’automne 2010, des autorités européennes de supervision, à savoir l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, l’Autorité européenne des marchés financiers et le Comité européen du risque systémique.

Il est piquant de remarquer comment le principe de la supervision est revalorisé et promu après plusieurs années de dérégulation et de déréglementation dans le secteur de la finance. La crise financière européenne a le mérite de déconstruire la fiction de l’autorégulation des marchés, qui a été défendue par les gouvernements comme par les institutions de l’Union. Cette crise financière a révélé des failles de trois types dans le dispositif de régulation et de supervision des services financiers et bancaires européens.

Ainsi, la supervision macro-prudentielle a parfois été insuffisante pour déceler en amont les risques liés à un contexte économique porteur de difficultés pour le système financier ou bancaire. Cela a notamment été le cas en Irlande et en Espagne où les autorités de surveillance n’ont pas prévenu l’exposition du secteur bancaire au risque d’un éclatement de la bulle immobilière.

S’agissant ensuite de la supervision micro-prudentielle, les risques encourus par certains établissements du fait de leur secteur d’activités ou de leurs stratégies financières n’ont parfois pas été détectés, par exemple dans le cas du groupe Dexia.

Enfin, la crise financière a également révélé des lacunes dans la coordination entre les autorités nationales à l’échelle européenne ; il est en particulier apparu que les différences de régulation et de supervision entre les autorités nationales, sources d’inégalités de traitement, pénalisaient le déploiement du marché intérieur et le bon fonctionnement des services financiers, services largement fournis par de grands groupes ayant des filiales dans plusieurs États membres.

Si une réaction s’imposait, la solution avancée par la directive n’est pas satisfaisante. Le groupe GDR n’est pas convaincu par la nécessité de renforcer les pouvoirs d’autorités administratives indépendantes dont l’existence tend à laisser croire qu’on surveille de près le fonctionnement des marchés alors même que rien ne change quant au fond.

Je note que l’Autorité européenne des marchés financiers, l’ESMA, a publié, à la fin du mois de septembre 2012, les principes d’application de la réglementation européenne EMIR, relative à l’infrastructure du marché. Celle-ci va désormais s’appliquer aux intervenants des marchés financiers afin de mieux contrôler et de mieux sécuriser toute la chaîne de règlement-livraison. Les autorités espèrent ainsi mieux appréhender le risque systémique. Mais l’Autorité européenne ne vise rien d’autre qu’à donner des brevets de bonne conscience à tous ceux qui continuent de spéculer, y compris et surtout contre l’euro dont on nous avait pourtant, il fut un temps, vanté les mérites anti-spéculation, et de tirer parti des régimes particuliers de traitement et d’accueil des placements financiers dans nombre de pays et territoires de l’Union, et pas des moindres !

Il convient ici de rappeler que la présidence de l’Eurogroupe est toujours dévolue au Premier ministre de l’un des pays de l’Union, le Luxembourg, qui pratique allègrement le secret bancaire et qui doit une part importante de son PIB à des services d’optimisation fiscale. C’est l’indice d’un déficit politique manifeste pour changer vraiment la donne.

Enfin, concernant la directive relative aux modalités de transaction entre personnes publiques et créanciers privés, le projet de loi prévoit un renforcement des sanctions en cas de retard de paiement des sommes dues en exécution d’un contrat de la commande publique afin de réduire les délais de paiement de la sphère publique et d’améliorer ainsi la situation de trésorerie des entreprises. On ne peut évidemment que souscrire aux principes visant à assurer une meilleure fluidité dans le règlement des prestations fournies. Cela permettra d’éviter que des entreprises ne se retrouvent en difficulté faute d’avoir été payées à temps, avec toutes les conséquences que cela implique, notamment pour l’emploi. Le texte établit enfin le taux d’intérêt pour le retard de paiement, équivalant au taux de refinancement principal de la BCE majoré de huit points.

Au regard de l’ensemble de ces considérations contrastées, notre abstention sur ce projet de loi s’impose.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven.

M. Jean-Luc Bleunven. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, le projet de loi que nous sommes amenés à approuver, portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière vise à transposer trois directives européennes en ce domaine. Il porte donc sur la transposition de la directive du 19 septembre 2009 sur la monnaie électronique ; de la directive du 24 novembre 2010, dite Omnibus I, sur les compétences des autorités européennes de supervision des banques, des assurances et des marchés financiers ; enfin de la directive du 16 février 2011 relative à la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales. Il s’inscrit dans les travaux que le Gouvernement mène en faveur d’une supervision financière renforcée, de la lutte contre les fraudes et du soutien aux petites et moyennes entreprises.

Je note tout d’abord qu’il s’agit d’une application tardive exposant notre pays à des sanctions pour défaut de transposition. Ce projet de loi a en conséquence pour objet de nous permettre de transposer dans notre droit les trois directives adoptées par notre pays et ses partenaires de l’Union européenne en septembre 2009, novembre 2010 et février 2011, c’est-à-dire il y a plusieurs mois, voire quelques années, et il ne nous est proposé qu’en cette fin d’année 2012. Tout comme mes collègues, c’est avec étonnement que j’ai découvert le retard accumulé par le Gouvernement Fillon – j’en remets une couche à destination de certains – dans l’application de la directive de 2009, dont l’échéance était fixée au 30 avril 2011.

Cette négligence a pour effet d’exposer notre nation à de lourdes sanctions financières pour défaut de transposition, et nous place par ailleurs dans une certaine instabilité juridique. Pour rappel, la France est le dernier État membre à procéder à la transposition de ce texte !

De même, la directive dite Omnibus I, datant de novembre 2010, avait une échéance de transposition fixée au 31 décembre 2011. Il en va de notre crédit auprès de nos partenaires de faire preuve d’une certaine exemplarité en matière de transposition des directives européennes. En outre, c’est la garantie d’une sécurité juridique pour nos concitoyens et pour nos entreprises à l’heure où les contentieux se développent dans ce domaine. Dans le secteur d’activité fortement concurrentiel et en pleine mutation des opérateurs de monnaie électronique, l’incertitude juridique dans laquelle étaient jusqu’ici plongés nos opérateurs nationaux leur a été fortement préjudiciable, ce que nous ne pouvons que déplorer.

J’en viens au texte proprement dit

La transposition de la directive de 2009 est une sécurisation qui permettra un développement des moyens de paiement électroniques. Elle doit donc se réaliser dans une certaine urgence, permettant à la représentation nationale de se pencher sur un sujet qui concerne tout aussi bien nos concitoyens que les entreprises. Il s’agit en effet de la question des services de paiement.

La réalisation du Marché unique – libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux – entraîne un accroissement des paiements transfrontaliers, tendance qui s’est accélérée avec la création de l’euro, monnaie commune à dix-sept États membres de l’Union européenne, ainsi qu’avec l’essor du commerce électronique.

Dans le même temps, les moyens de paiement ont connu une révolution technologique – paiement par Internet et par téléphone portable – qui rend d’autant plus nécessaire l’évolution et l’harmonisation du cadre juridique dans lequel ils s’inscrivent. Aussi, depuis 2001, un règlement européen a posé le principe de l’égalité des frais pour les paiements transfrontaliers en euros. De ce fait, une banque française ne peut appliquer de frais supérieurs lorsqu’elle effectue un virement en euros selon que celui-ci est réalisé à destination ou en dehors du territoire national.

C’est d’ailleurs dans ce cadre que le projet SEPA – le marché unique des paiements – s’inscrit. Tous les paiements en euros effectués par virement, prélèvement ou par carte seront considérés comme des paiements domestiques dès 2014.

L’étude d’impact menée dans le cadre de la rédaction de la directive fait apparaître que la France procède à 41 millions de transactions annuelles pour un montant représentant 0,24 % de part de marché, soit 0,63 transaction par Français. Ces volumes illustrent un relatif échec du déploiement de la monnaie électronique. Pourtant, ce moyen de paiement est identifié comme un véritable enjeu de modernisation de notre société.

Les attentes des consommateurs, des entreprises et des autorités publiques sont très importantes, ainsi que le révèle un récent rapport sur l’avenir des moyens de paiement, réalisé par la Banque de France en mars dernier. Outre leurs attentes en termes de facilité d’utilisation, les acteurs demandent à leur moyen de paiement, dès lors qu’il prend la forme de monnaie électronique, qu’il soit sécurisé. Les constantes évolutions techniques et les incessantes tentatives de fraudes parfois très sophistiquées rendent nécessaire une mise à jour régulière des dispositifs de sécurité des systèmes.

La fraude s’élève à 1,31 % des transactions internationales. C’est pourquoi, en permettant de reconfigurer le paysage européen des établissements de paiement et en proposant un régime prudentiel adapté et une nouvelle définition de la monnaie électronique, la transposition de la directive de 2009 permettra une protection renforcée des consommateurs, et par conséquent le développement positif de ces moyens de paiement.

Venons-en à la transposition de la directive dite Omnibus I. La crise financière de 2008 aura démontré que les turbulences que subissaient les marchés financiers pesaient de façon systématique sur l’économie réelle. Notre majorité est particulièrement attachée à l’application de mesures en matière de régulation financière européenne. Les dispositions prévues par la directive Omnibus I s’inscrivent concrètement dans ce cadre de régulation des marchés financiers.

En proposant une refonte totale de l’architecture de supervision européenne dès 2010, l’Union européenne s’est dotée d’un véritable système de surveillance financière, par la création de trois autorités de supervision micro-prudentielle : l’Autorité européenne des marchés financiers, l’Autorité bancaire européenne et l’Autorité européenne des assurances. Le Comité européen du risque systémique, instance macro-prudentielle, vient compléter le dispositif.

Il s’agit aujourd’hui d’adapter notre droit national aux modifications introduites par la création de ce nouveau socle de la surveillance européenne financière.

Cette avancée en termes de supervision des services financiers et bancaires européens précède une prochaine proposition de directive qui établira un cadre européen de résolution des crises bancaires, qui sera confié à la Banque centrale européenne. L’Union européenne doit jouer son rôle en matière de prévention des risques financiers et bancaires.

Enfin, la transposition du volet public de la directive de 2011 avant sa date d’échéance, fixée à 2013, est quant à elle un signal fort du Gouvernement à l’attention des PME dans le contexte économique tendu que nous connaissons.

Les délais de paiement propres à l’administration sont fixés à trente jours depuis 2010. Or le rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement, publié depuis 2007, montre que, entre 2008 et 2011, ces délais sont passés de dix-neuf jours et demi à trente-six jours pour les administrations d’État. Ce rapport met en exergue les difficultés auxquelles sont confrontées les PME en cette période de tension de leurs situations de trésoreries.

La sphère publique se doit d’être exemplaire dans ce domaine. La directive de 2011 tend à renforcer les sanctions prévues en cas de retard de paiement des sommes dues en exécution d’un contrat issu d’une commande publique, en instaurant notamment une indemnité forfaitaire qui viendra s’ajouter aux intérêts moratoires. Il est à souhaiter que cette transposition dans notre droit national ait l’effet dissuasif souhaité.

Pour l’ensemble des motifs que je viens de vous énoncer, je me prononcerai, bien entendu, en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Arlette Grosskost.

Mme Arlette Grosskost. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a pour ambition de transposer en droit français des directives européennes en matière économique et financière. Comme vous le rappelez à juste titre, monsieur le ministre, ces transpositions doivent être effectuées rapidement, non seulement pour éviter des pénalités financières mais aussi pour construire des outils efficients dans la conjoncture actuelle.

Néanmoins, il faut bien reconnaître que le projet de loi est quelque peu fourre-tout, mélangeant les obligations financières, le droit à la consommation et les délais de paiement. Au regard de leur importance, chacun de ces thèmes mériterait d’être débattu séparément. Cela est d’autant plus vrai que le troisième volet, qui concerne le retard de paiement des transactions commerciales, n’est pas contraint au même calendrier que les deux premières directives.

Le premier volet fixe le cadre juridique du moyen de paiement qu’est la monnaie électronique. Il renforce la protection du consommateur et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

La directive que nous avons à transposer met en place un régime prudentiel spécifique, moins contraignant que celui imposé aux établissements de crédits mais néanmoins encadré, qui permet par là même une concurrence saine au sein desdits établissements.

Certes, la distribution de monnaie électronique bénéficie désormais d’un régime juridique bien défini, lui permettant de sortir de l’insécurité juridique qui bloquait son développement. Pour autant, ce dispositif mérite d’être perfectionné, au regard des nombreuses questions qui restent ouvertes et qui ont été évoquées par diverses instances européennes.

Le nombre de paiements transfrontaliers ne cesse d’augmenter dans une région comme la mienne, l’Alsace, où les frontières de la consommation sont inexistantes. Un mode de paiement électronique plus réfléchi et plus harmonisé serait en cohérence avec la monnaie unique.

Le cas de Moneo est un exemple symptomatique. Son succès n’est pas avéré. Est-ce le fait de son coût ? Une étude d’impact à ce sujet serait nécessaire, mais la question n’a pas été abordée dans le rapport de la commission.

Force est de constater que le législateur est souvent à la peine, dépassé par l’évolution des technologies. Nous discutons de ce texte sous la menace de sanctions européennes, quand bien même la Commission européenne a publié, en avril 2012, le Livre vert déjà mentionné. Il est à craindre que le texte dont nous nous saisissons ce jour soit modifié prochainement au regard des propositions qui seront apportées par la Commission européenne.

Le deuxième volet de ce projet de loi porte sur la directive dite Omnibus I. La crise financière a révélé que les dispositifs en place étaient insuffisants et manquaient de coordination à l’échelle européenne. Cette directive vise à sanctuariser dans notre droit national la nouvelle architecture de supervision européenne. Je ne peux que soutenir cette initiative qui défend la stabilité du système financier.

Le troisième et dernier volet concerne la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Les délais de paiement, ô combien essentiel pour nos PME, demeurent encore et toujours préoccupants. Contrairement à ce qui a été dit et malgré les progrès constatés, le logiciel Chorus ne présente toujours pas l’efficience espérée.

Cet état de fait est fort préjudiciable, alors que la trésorerie de nos acteurs économiques est de plus en plus contrainte en raison à la fois d’une surfiscalisation et de marges de plus en plus réduites en période de crise.

La loi du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit, avait fort justement reconnu cet état de fait et y avait apporté les premières modifications bénéfiques. J’ose espérer que le renforcement des pénalités de retard saura faire réagir nos structures publiques auprès des entreprises dans un souci commun de bonne gestion et de reconstruction d’une image positive de nos administrations. Cette simplification sera appréciée des entreprises.

Nul n’ignore que 2013 connaîtra une situation financière difficile, qu’elle sera une année dégradée. Face à cette situation, les entreprises seront susceptibles de limiter leurs dépenses d’investissement. Aussi chaque coup de pouce sera-t-il utile pour éviter des frais financiers supplémentaires.

En conclusion, ces directives constituent des avancées et imposent une cohérence juridique nécessaire à notre droit. À l’instar de mes autres collègues UMP et Rassemblement-UMP, je voterai donc pour ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Malek Boutih.

M. Malek Boutih. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, l’introduction dans le droit français de la directive dite « monnaie électronique II », sur laquelle mon propos se concentrera, nous donne l’occasion de discuter des suites à venir : que sera la monnaie électronique ? Quelles seront ses conséquences technologiques, sociales, politiques et économiques ?

Pour une fois, la France doit être pionnière dans une réflexion sur les questions numériques. Cette directive démontre les lacunes de notre stratégie numérique : notre retard a empêché de nombreux acteurs français de se positionner sur ce marché exponentiel. Rappelons que 95 % des paiements électroniques français se font au Luxembourg, notamment parce que la grande société de paiement par Internet, PayPal, y est installée.

La France s’est donc vue privée d’un secteur à forte plus-value pendant quelques années ; elle a pris du retard ce qui est dommageable car bon nombre d’entreprises en subissent les conséquences. De ce point de vue, monsieur le ministre, votre remarque liminaire était fondée.

Pour jouer un rôle sur le marché du numérique, la France doit être à la pointe du progrès législatif en la matière. Nous devons donc tirer les leçons de ce débat sur la monnaie électronique et anticiper systématiquement les changements à venir.

La question des paiements par monnaie électronique est au cœur de nombreux enjeux dans l’économie numérique en général. En janvier dernier, la Commission européenne a publié un Livre vert intitulé Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile, qui faisait ce constat : « Le commerce est en train de basculer du monde réel vers le monde virtuel. »

Les conclusions de ce Livre vert, particulièrement intéressantes, livrent trois raisons de notre retard : l’absence d’une véritable coopération européenne ; le manque d’une intervention étatique permettant au secteur privé de présenter une position unie face à la concurrence, notamment étasunienne ; enfin, le déficit cruel de sécurité sur les données personnelles qui nourrissent ce secteur.

Mon intervention intégrera ces remarques et portera sur les défis à venir posés par la monnaie électronique, suite à l’adoption de cette directive.

Désormais, la monnaie électronique – qui vise à remplacer les pièces et les billets – et la monnaie réseau – qui permet de transférer de l’argent pour payer via Internet – sont prises en compte dans notre droit. Des entrepreneurs français n’appartenant pas au domaine bancaire vont pouvoir de se lancer dans l’activité d’émission de monnaie électronique. Il faut bien saisir les deux enjeux essentiels qu’ouvre ce texte.

Premier point : cela permet la création d’un réseau bancaire parallèle. En 2010, le nombre de paiements électroniques s’est élevé à 17,9 milliards de transactions dans le monde ; il atteindra 30,3 milliards transactions en 2013. Or les très rares opérateurs français à s’être lancés dans cette innovation l’ont fait en basant leur filiale à l’étranger.

Pendant ce temps, les géants de l’Internet se sont rués sur le secteur et les monnaies virtuelles ou alternatives prennent de plus en plus d’ampleur : Facebook et ses « crédits », Amazon et son « paiement en un clic », Twitter et ses « twollars » et surtout PayPal qui génère à lui seul 15 % de toutes les e-transactions avec 10 millions de comptes actifs.

L’engouement est tel que se sont développés des services non couverts par les banques traditionnelles, par exemple l’échange de personne à personne comme le remboursement par simple mail de prêt d’argent entre amis.

Bien sûr, dans ce domaine, Google a été précurseur, en créant dès 2006 le « Google checkout », un service de paiement sur Internet qui permettait à l’utilisateur d’envoyer et de recevoir ses paiements sans avoir – et c’est tout l’intérêt – à communiquer ses coordonnées de carte bancaire.

Je tiens à m’attarder sur ce service « offert » par Google pour une raison simple : avec cette application, la logique de monnaie en réseau est poussée à son maximum et l’intérêt technique pour le consommateur est très facile à résumer. Actuellement, c’est un peu compliqué pour le consommateur de payer sur Internet. Pour s’assurer de la sécurité du paiement, il faut souvent disposer d’un système propriétaire de type Carte Bleue, PayPal ou autre, ce qui implique aussi d’entrer ses codes, donc de prendre du temps et le risque de voir ses codes détournés.

En réponse, Google propose d’abandonner ce système et d’utiliser une devise qui n’est pas le dollar, qui n’est pas non plus la devise d’un autre pays, mais une monnaie virtuelle, qui, elle, s’acquiert bien sûr en espèces sonnantes et trébuchantes. Il faut bien comprendre, j’y insiste, la grande différence avec les systèmes de paiement en ligne traditionnels : ce que propose ici Google, c’est du crédit online.

Je m’explique. Pour utiliser un compte sur Google, il faut le charger au préalable avec un virement depuis son compte en banque et obtenir ainsi des unités de paiement Google. Ce qui est intéressant, c’est que, lorsqu’un usager achète un produit avec Google Checkout, il n’est pas immédiatement débité sur son compte bancaire personnel. La transaction en monnaie réelle, issue au final d’une banque, n’a lieu qu’une fois le produit reçu par l’usager.

Le paiement passe en fait par deux étapes : c’est le groupe bancaire partenaire de Google qui se charge de transférer les fonds à l’organisme marchand. Une fois le produit réceptionné par l’acheteur, Google débite le compte Google préalablement chargé de cet utilisateur. Ce que fait donc Google, c’est donc un crédit à l’utilisateur, le temps que ce dernier reçoive son produit. C’est donc de la création monétaire par crédit mutuel, sur de faibles montants.

En toute logique, cette monnaie virtuelle devrait, à terme, être utilisée par tous les services Google brassant de l’argent.

Quel est l’intérêt pour cette société ?

D’abord, cela lui permet de réduire les frais de transaction inévitables dans tous les transferts d’argent réel.

Surtout, les sommes placées par les usagers ayant permis d’acheter des crédits virtuels peuvent également être investies pour le compte de cette société avant d’être utilisées par les usagers pour acheter des produits. Vu le nombre d’utilisateurs des services Google sur le web, on peut supposer que cette réserve d’argent risque d’être élevée, de plus en plus élevée.

Pour finir, l’utilisation d’une monnaie virtuelle permet de s’affranchir totalement des taxes instaurées par les États sur toutes les transactions, de s’affranchir, par exemple, de la TVA. Le gain est donc loin d’être minime.

Ce que je voulais expliquer ici en m’attardant sur l’exemple de cette société, c’est que la monnaie électronique est l’avenir de la monétisation du Web. En gros, avec la création de cette monnaie virtuelle, cette grande société états-unienne devient d’une certaine manière une banque mondiale, voire – puisque « seul le roi peut frapper la monnaie », dit le dicton – un nouvel État, non pas virtuel mais numérique.

Les banques ont du souci à se faire et la question des concurrents à cette hégémonie doit être posée. Face à cette offre, quelles solutions françaises promouvoir ?

Second point, passée cette question de la monnaie en réseau : le paiement par téléphone mobile, c’est-à-dire l’autre volet de la réflexion sur la monnaie électronique.

Poursuivons avec l’exemple de Google, qui a récemment annoncé la transition des comptes Google Checkout vers une nouvelle plateforme appelée Google Wallet. Pour le dire très simplement, Google Wallet, c’est un système de paiement par téléphone mobile, et, à mon sens, c’est le deuxième grand enjeu de la monnaie électronique : la modification de notre système de paiement dans le quotidien.

On en vient aujourd’hui aux portables portefeuilles. C’est le paiement de l’avenir qui laisse penser que les enfants d’aujourd’hui ne connaîtront jamais notre bon vieux portefeuille, avec ses billets et ses pièces. En s’appuyant sur une technologie permettant de payer avec son portable en l’approchant d’un boîtier, le portable va remplacer les pièces et billets.

Pour les grands groupes commerciaux, l’intérêt est de réduire le paiement en espèces des petites dépenses. L’enjeu n’est pas marginal. Tel grand magasin français, par exemple, traite en caisse chaque année deux à trois millions de transactions d’un montant inférieur à deux euros. Or leur temps de traitement et leur coût de gestion ne sont pas anodins. Ce sont donc, pour les services commerciaux, des gains considérables qui sont en jeu avec ces paiements par ces portefeuilles de téléphone portable.

En Afrique, notamment, rares sont ceux qui possèdent une carte de crédit. En revanche, nombreux sont les détenteurs de portable, qui pourraient devenir de nouveaux consommateurs. Sur le marché mondial, les conséquences économiques de ces avancées sont donc incommensurables.

Tous les grands acteurs du e-commerce travaillent sur leur propre solution de paiement par mobile. Le marché est juteux : on compte en France vingt millions de mobinautes, c’est-à-dire de personnes ayant un téléphone qui leur permet de se connecter à Internet.

L’impact commercial est immense. Dans ce domaine, les établissements commercialisant des porte-monnaie électroniques seront en concurrence directe avec les établissements de crédit classiques et les groupes de téléphonie mobile.

Pour l’instant, et comme d’habitude sur ce secteur, les opérateurs français de portables portefeuilles ne sont pas nombreux, tandis que les Étatsuniens sont surreprésentés, avec, notamment, deux offres de paiement par téléphone mobile apparues cet été : PayPal Mobile et Google Wallet, que je vous présente rapidement.

Paypal a un grand intérêt : il permet de s’affranchir de la file d’attente en scannant le code barres des produits avec son mobile, sans passer par la caisse. En réponse à cette innovation, Google a lancé Google Wallet, un service qui offre, lui, le grand avantage d’être en apparence gratuit. Évidemment, rien n’est gratuit, et cet outil présente une caractéristique très particulière : grâce à lui le consommateur recevra des offres ciblées de plate-forme de publicité, ainsi que des points de fidélité calibrés pour son profil. C’est une force de frappe hors du commun, car, en gros, cette société promet d’amener des gens devant les vitrines des commerçants, et de leur facturer ce service. C’est très simple : après avoir identifié vos loisirs via vos recherches sur Internet, Google pourra vous annoncer une promotion dans un magasin près de chez vous, où vous réglerez avec le portefeuille de votre téléphone portable, contenant de la monnaie électronique estampillée Google, tandis que votre compte Google sera crédité de points de fidélité tirés de vos dernières visites sur le web grâce… au moteur de recherche Google.

Je m’arrête là dans la présentation de l’ensemble des changements technologiques à venir, pour finir sur une note nuancée face à tous ces progrès.

Derrière ces avancées, il y a des enjeux de sécurité conséquents.

Force est de constater que des systèmes comme Google Wallet sont plus qu’intrusifs. D’ailleurs, la CNIL mène des investigations techniques afin d’évaluer les conséquences en termes d’impact sur la vie privée des porteurs de mobiles qui paient avec ces opérateurs.

Il faut bien comprendre que ce problème traité aujourd’hui trop rapidement ne s’arrête pas à la monnaie et aux différents moyens de payer. On entre ici dans l’Internet des objets, et ce n’est pas de la science-fiction. Bientôt la distribution des biens et des marchandises sera toute liée à internet. On assistera au remplacement progressif des codes barres par des puces communicantes sans fil, elles-mêmes connectées à Internet, qui pourront être lues par des portables. L’ensemble des objets du quotidien devrait bientôt être relié au réseau.

Cela signifie quelque chose de fondamental : désormais la moindre connexion à Internet sera utilisable commercialement pour connaître les goûts du consommateur, ses choix, ses orientations et lui proposer des promotions adaptées et des produits. Or, il ne faut pas se leurrer, ces données issues de nos passages sur le web, sont d’ores et déjà à disposition de firmes à l’étranger, mais, comble de l’ironie, non accessibles à nos propres entreprises, souvent soumises à des législations plus contraignantes.

Cette question de la monnaie électronique et des réponses législatives à lui donner nous offre l’occasion de replacer la France au cœur des innovations. Pour cela, il faudra un soutien actif de l’État au numérique, et une véritable impulsion au profit des entreprises du secteur.

Parallèlement, il est temps de s’assurer que les données personnelles liées aux paiements électroniques respectent les règles de confidentialité des données et de protection des libertés individuelles, comme le préconise la CNIL. Je pense d’ailleurs que le Parlement devra suivre au plus près les travaux qu’elle mène.

M. Christophe Caresche, rapporteur. Très bien !

M. Lionel Tardy. C’était dense !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’irai à l’essentiel. Le projet de loi vise à assurer la transposition de trois directives européennes adoptées respectivement en 2009, 2010 et 2011 ; la première concerne la monnaie électronique, la deuxième est relative aux compétences des autorités européennes de supervision des banques et des marchés financiers, et la dernière concerne la lutte contre les retards de paiement dans les transactions immobilières. Avec cette seule transposition stricte de ces trois directives, je suis obligé de déplorer le degré d’asservissement, la vassalité des majorités successives, qu’elles soient, d’ailleurs, de gauche ou de droite, face aux directives européennes. Finalement, ce texte, qui n’est que technique aux yeux de la majorité socialiste et de la majeure partie de l’opposition, offre une parfaite illustration de ce qu’est, hélas, devenu le Parlement français à la suite des incessants abandons de souveraineté issus des traités européens successifs : une simple chambre d’enregistrement des décisions prises à Bruxelles.

Si encore le peuple français avait consenti à ces abandons, je pourrais les admettre à défaut de m’en réjouir, mais c’est tout le contraire ! La dernière fois que les Français ont été consultés sur le sujet, ils se sont exprimés très clairement. En effet, au mois de mai 2005, 54,68 % des Français ont rejeté le traité constitutionnel, un résultat sans appel. Pourtant, la presse et une majorité écrasante de ceux qui étaient censés représenter le peuple, c’est-à-dire ses députés et ses sénateurs, étaient favorables au texte. Pire, le Parlement réuni en Congrès a adopté en 2008 le traité de Lisbonne, qui n’était rien d’autre que le frère siamois du précédent traité pourtant rejeté par les peuples !

« Chat échaudé craint l’eau froide » : le précédent président s’est bien gardé de consulter à nouveau les Français et la France a donc ratifié le traité de Lisbonne contre la volonté des Français qui s’était exprimée, très clairement, je le rappelle, lors du référendum de 2005. Belle leçon de démocratie !

Nous, élus, devons être au service de nos électeurs, au service des Français. Sur des sujets aussi importants que la souveraineté nationale, je crois fermement que le Parlement ne doit pas se substituer au peuple français et que celui-ci doit être consulté par référendum. Il en va de l’avenir non pas de notre démocratie, mais de la démocratie elle-même.

Parce que je refuse que notre Parlement soit considéré comme une chambre d’enregistrement, parce que je refuse au moins, moralement, l’asservissement de la France à la technocratie bruxelloise, je voterai contre ce texte.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. J’essaierai de répondre de la manière la plus concise, mais je tiens à répondre sur le fond aux questions posées au Gouvernement.

S’agissant, pour répondre à M. le rapporteur, de la question des chèques cadeaux des comités d’entreprise, la liste des titres dématérialisés sera fixée par un arrêté, qui est en discussion avec les professionnels, mais notre position est que les chèques cadeaux ont plutôt vocation à y figurer dès lors qu’ils sont destinés à l’acquisition d’un nombre limité de catégories de biens et de services déterminés. Ce sont là, en effet, les conditions fixées par le code monétaire et financier. Nous considérons donc aujourd’hui que les chèques cadeaux devraient être inscrits sur cette liste.

S’agissant de la supervision bancaire évoquée par Mme Auroi, je ne veux pas anticiper sur ce que seront les conclusions du conseil ECOFON mais les positions des uns et des autres sont assez connues. La France considère que la Banque centrale européenne doit pouvoir contrôler toutes les banques de la zone euro, ce qui n’est pas exactement la position initiale de nos partenaires allemands, qui souhaitaient voir les caisses d’épargne allemandes échapper à ce contrôle. Pour que rendre la supervision efficace et pour diminuer au maximum le risque, il ne faut aucun trou dans la raquette. Cela va jusqu’à doter la BCE des moyens de contrôler toutes les banques, avec des instruments efficaces, sans forcément renvoyer à une forme de contrôle dual, partagé entre les autorités de supervision nationales et la BCE. Celle-ci doit pouvoir adresser des instructions individuelles aux autorités de supervision et, le cas échéant, reprendre l’entièreté des compétences en la matière.

L’essentiel, pour nous, est d’obtenir un accord sur ce point ; il y a une discussion entre la Commission européenne, les Allemands et la France, qui ont chacun leur position. Pierre Moscovici, que je supplée présentement, assiste justement au conseil ECOFIN pour obtenir un accord en la matière. Notre souci est en tout cas qu’il n’y ait pas de trous dans la raquette en matière de risque systémique et que la BCE soit dotée d’instruments efficaces pour contrôler les banques. Nous craignons qu’un dispositif de supervision ou de contrôle dual ne soit insuffisamment efficace.

Je salue les interventions des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI en faveur de ce texte, et j’ai bien entendu, aussi, M. Blanc m’inviter à moins critiquer le bilan du précédent gouvernement.

Alors qu’une partie de l’UMP se réfère encore aux trente-cinq heures pour expliquer que tout va mal aujourd’hui, n’aurions-nous pas, nous qui sommes au pouvoir non pas depuis dix ans mais depuis sept mois seulement, quelque légitimité à trouver que ce qui a été fait auparavant a pu être mal fait, en tout cas dans le domaine de la transposition des directives européennes ? Dès lors que nous sommes confrontés à la possibilité d’une lourde amende, ce que personne, sur ces bancs, ne souhaite, de plusieurs millions d’euros du fait de la saisine de la Cour de justice de Luxembourg par la Commission européenne, ne peut-on vraiment pas considérer qu’il y a eu une faute en matière de transposition des textes ?

Cela dit, je me réjouis que l’UMP, comme le Rassemblement-UMP et l’UDI, aient souligné l’importance de la transposition de ces directives. Ce sont des textes importants – il aurait été mieux qu’ils fussent transposés plus tôt –, particulièrement pour ce qui touche à la monnaie électronique : je salue au passage la remarquable intervention de Malek Boutih sur les enjeux, en termes d’activité et d’innovation, liés à la monnaie électronique. Il a insisté sur la nécessité d’éviter que les innovations dans ce domaine se fassent au détriment des libertés fondamentales et des droits des consommateurs : ces points seront abordés prochainement dans le cadre du projet de loi sur la consommation. Nous avons besoin, pour ce qui est de la monnaie électronique, de créer un cadre juridique stabilisé de façon à ce que les opérateurs français de monnaie électronique disposent de ce que l’on appelle en anglais un level playing field, c’est-à-dire de règles de concurrence équitables par rapport à leurs concurrents européens : d’où l’importance de transposer assez rapidement ce texte.

M. Tardy m’a m’interrogé à propos du rapport de Georges Pauget et Emmanuel Constans sur l’avenir des moyens de paiement, et plus précisément sur la réduction de l’utilisation des chèques et des frais perçus en cas d’incident bancaire. Je le renvoie à cet égard à la fois à ce qui vient d’être décidé et annoncé par M. le Premier ministre dans le cadre de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion bancaire, et à un certain nombre de mesures qui pourraient être adoptées dans le cadre du projet de loi bancaire et du projet de loi sur la consommation. Le rapport de François Soulage sur l’inclusion bancaire et la lutte contre le surendettement appelle à adapter les pratiques bancaires aux publics concernés, aussi bien pour ce qui touche aux pénalités qu’au plafonnement des commissions d’interventions, et à ce que l’on appelle la gamme des paiements alternatifs. Ces paiements alternatifs constituent l’une des voies que nous voulons développer, de façon à ce qu’à l’avenir, les frais bancaires soient adaptés, voire, le cas échéant, plafonnés, en fonction des populations concernées, particulièrement lorsqu’il s’agit des plus vulnérables.

Cela dit, nous sommes favorables à un remplacement progressif des chèques par des moyens de paiement plus sûrs. L’action du Gouvernement va dans ce sens. À propos de l’assimilation des paiements en monnaie électronique à des paiements en numéraire, la question a été évoquée de la traçabilité. Les informations dont nous disposons concernant les risques de blanchiment d’argent sont communiquées par les organismes qui suivent les pratiques potentiellement délictueuses liées à l’usage de certaines cartes prépayées, notamment en monnaie électronique. Une partie de ces cartes sont anonymes : des moyens de contrôle sont prévus, notamment l’obligation d’identification du client à partir d’un seuil de dépenses de 250 euros quand la carte n’est pas rechargeable, et de 2 500 euros quand elle l’est. Il est également prévu, lorsqu’une conversion en numéraire est effectuée pour un montant de plus de 2 500 euros, une obligation pour l’établissement de signaler l’identité du demandeur. C’est là encore un moyen de rendre la lutte contre le blanchiment plus efficace : je crois que cette préoccupation est partagée sur tous les bancs de cet hémicycle. Quoi qu’il en soit, je remercie M. Tardy, comme Mme Grosskost, d’avoir apporté leur soutien à ce projet de loi DADUE – ce n’est pas le nom d’un conte pour enfants, mais bien celui du texte qui vous est soumis, portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne,

Il fallait remédier à ces retards : cela a été évoqué par MM. de Rugy et Tourret, ainsi que par Mme Grosskost. C’est ce que nous avons voulu faire, afin de convaincre la Commission européenne de ne pas saisir la Cour de Justice de l’Union européenne pour nous infliger une sanction pécuniaire de plusieurs millions d’euros. Je le redis : il est plus démocratique de procéder ainsi que par ordonnances. Il est utile que ces textes soient débattus : à l’aune de plusieurs interventions sur ces bancs, le débat qui a eu lieu était de qualité, même s’il était trop court. Cela me permet de dire à M. Bompard que nous sommes assez éloignés de la question des traités. J’ai bien compris le sens de son intervention ; je sais quelle est sa vision de la construction européenne. Mais en l’occurrence, au-delà même de ces considérations, les dispositions des trois directives européennes dont le présent projet de loi assure la transposition sont utiles. Ce projet de loi permettra ainsi de mieux encadrer les conditions d’émission et de distribution de monnaie électronique. Il précise également les conditions dans lesquelles on émettra de la monnaie électronique et on en contrôlera l’usage ; la deuxième directive porte sur la supervision bancaire, et vise à diminuer le risque systémique qui pèse aujourd’hui ; la troisième enfin contribuera à éviter aux PME de connaître des problèmes de trésorerie liés à des retards de paiement : je ne vois comment on pourrait ne pas s’en féliciter. Dans tous ces domaines, ces textes européens nous permettront d’améliorer les choses ; je ne vois pas en quoi ils nous poseraient un problème de vassalité avec je ne sais qui ou je ne sais quoi… La transposition de ces directives est une réponse concrète aux besoins de nos entreprises, ainsi qu’aux enjeux importants de la régulation financière et de la supervision bancaire.

J’ai essayé de répondre le plus rapidement possible à vos interrogations. Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, je me réjouis que, à l’exception de M. Bompard, la plupart d’entre vous aient décidé de soutenir ce texte.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

Articles 1er à 33

Mme la présidente. Les articles 1er à 33 ne faisant l’objet d’aucun amendement, je vais les mettre aux voix successivement.

(Les articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32 et 33 sont successivement adoptés.)

Article 34

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 1.

M. Lionel Tardy. Cet amendement propose d’intégrer dans le projet de loi un élément important de la directive, qui ne s’y trouve pas : le principe de transparence. Il précise notamment qu’il ne saurait exister de rétention de documents dans le cadre de la surveillance systémique. J’insiste sur un point sensible, celui des rémunérations. De nombreux travaux d’organisations internationales et d’universitaires mettent en effet l’accent sur leur caractère systémique. Les rémunérations parfois délirantes des traders peuvent poser problème, notamment par les risques qu’elles peuvent les pousser à prendre. Il est essentiel de l’inscrire dans la loi, quitte à ce que cela paraisse redondant. Si les entreprises arrivent à faire de la rétention de données et de documents, le contrôle sera inopérant.

Je propose de surcroît que ces documents soient librement consultables. Cette forme de contrôle serait certainement plus efficace que la mise en vigueur d’une avalanche de normes, comme celles qui sont contenues dans les accords de Bâle III, sans véritable contrôle a posteriori de leur application.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Caresche, rapporteur. Cet amendement est à mon sens satisfait, au moins en partie, par les dispositions du projet de loi. En effet, aux termes du texte dont nous discutons, les autorités nationales de surveillance coopèrent avec les autorités européennes et échangent avec elles « les informations utiles à l’accomplissement de leurs missions ». En application du même article, les autorités nationales de supervision sont habilitées à transmettre aux autorités européennes des informations couvertes par le secret professionnel, en particulier celles qui sont relatives à la rémunération des agents, comme vous le souhaitez. Votre demande sur ce point est donc satisfaite.

Vous proposez par ailleurs que ces informations soient également envoyées au Parlement français ainsi qu’à l’ensemble des Parlements européens. Il n’est pas de notre compétence d’exercer un contrôle macroprudentiel. Je ne peux donc pas, à l’évidence, donner suite à votre amendement sur ce point.

Pour toutes ces raisons, je vous suggère de retirer votre amendement. À défaut, je donnerai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Même avis.

(L’amendement n° 1 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 2.

M. Lionel Tardy. Cet amendement vise à combler une faille du projet de loi. À l’heure actuelle, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles n’a pas de pouvoir de contrôle. Peut-être cela changera-t-il, mais il vaut mieux s’en tenir à ce qui existe : vous savez tous qu’il y a parfois du provisoire qui dure…

Aux termes du texte tel qu’il est rédigé actuellement, dans certains cas, l’autorité de contrôle française ne pourra plus contrôler les succursales étrangères d’entreprises françaises dans les pays ne disposant pas d’une autorité de contrôle spécifique aux assurances. C’est bien souvent le cas, notamment en Europe centrale. Or certains pays de cette région, et tout particulièrement ceux qui n’appartiennent pas à l’Union européenne, sont des plaques tournantes du blanchiment d’argent.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe Caresche, rapporteur. Je rappellerai simplement à M. Tardy les dispositions du projet de loi.

Si l’amendement vise à créer une nouvelle procédure de médiation contraignante, il faut rappeler que la directive Omnibus I prévoit deux cas, et deux cas seulement, de mise en œuvre de la procédure dite de médiation contraignante. Celle-ci permet aux autorités européennes concernées – l’Autorité bancaire européenne, l’ABE, et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, l’AEAPP – de trancher les différends qui peuvent naître entre les autorités nationales de supervision lorsque plusieurs d’entre elles sont compétentes pour exercer une surveillance prudentielle sur un groupe multinational.

Le présent projet de loi assure la transposition de ces exigences communautaires en créant ces deux cas de médiation contraignante, et ces deux cas seulement. En effet, il n’est pas possible d’aller au-delà de ce que prévoit la réglementation européenne en créant une troisième possibilité de médiation contraignante, puisque ladite réglementation définit de manière limitative les cas dans lesquels les autorités européennes peuvent exercer une telle médiation. En résumé, nous devons transposer toutes les exigences communautaires, mais rien que ces exigences communautaires.

Si l’amendement vise à préciser le cadre de la saisine pour les deux procédures prévues par le projet de loi, en précisant que l’ABE ou l’AEAPP ne peuvent être saisies que de questions relevant « de leur strict champ de compétence », alors je dois dire qu’une telle précision me paraît superfétatoire, les autorités européennes ne pouvant, par principe, qu’avoir à connaître des questions relevant de leurs domaines d’expertise respectifs.

Je vous suggère cette fois encore de retirer cet amendement. Sinon, je donnerai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Là encore, même avis que la commission.

(L’amendement n° 2 n’est pas adopté.)

(L’article 34 est adopté.)

Articles 34 bis à 44

Mme la présidente. Les articles 34 bis à 44 ne faisant l’objet d’aucun amendement, je vais les mettre aux voix successivement.

(Les articles 34 bis, 34 ter, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43 et 44 sont successivement adoptés.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je ne suis saisie d’aucune demande d’explication de vote.

Je vais donc mettre aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, UMP et Rassemblement UMP.)

3

Juridictions de proximité

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi adoptée par le Sénat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, relative aux juridictions de proximité.

Présentation

Mme le présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi que nous examinons vise à reporter pour une durée de deux ans le délai prévu par la loi du 13 décembre 2011 pour la suppression des juridictions de proximité. Cette suppression devait être effective à la date du 1er janvier 2013.

Si cette proposition de loi est adoptée par votre assemblée, cette entrée en vigueur différée prendra effet au 1er janvier 2015.

La nécessité de ce report tient à deux raisons essentielles et impérieuses : la Chancellerie ne dispose pas de moyens humains suffisants pour l’application efficace de cette loi dans moins de trois semaines ; par ailleurs, la réflexion relative au rôle des juridictions de proximité doit s’inscrire dans un projet plus global.

On se souvient que les juges de proximité ont été créés en 2002, dispositif complété par la loi du 26 janvier 2005 portant création d’une nouvelle catégorie de juridictions : les juridictions de proximité. La justice de proximité n’est toutefois pas l’apanage des gouvernements précédents si l’on veut bien se souvenir que la justice de proximité fut une innovation révolutionnaire, afin, disait-on, de rendre pour les litiges de la vie quotidienne, une justice rapide, simple et presque gratuite : c’était déjà l’objectif en 1790 et le but des travaux de l’Assemblée constituante.

Aujourd’hui, ce sont 452 juges de proximité qui participent grandement au fonctionnement du service public de la justice. Actuellement, à côté des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance, les juridictions de proximité déchargent les juges d’instance au pénal en matière de police pour les contraventions des quatre premières classes et au civil pour toutes les actions personnelles ou mobilières, sauf exceptions, jusqu’à 4 000 euros en dernier ressort. Par ailleurs, les juges de proximité peuvent, également, siéger comme assesseur au sein des tribunaux correctionnels.

Dans le prolongement de la recommandation n° 22 du rapport Guinchard, la précédente majorité avait pourtant fait le choix, par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux, de prévoir la suppression des juridictions de proximité et le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance à compter du 1er janvier 2013. Je m’étais d’ailleurs, à l’époque, étonné que, lors de réforme de carte judiciaire, la précédente majorité ait pu vanter pendant cinq ans les mérites de la nécessaire proximité du juge, et, dans la pratique, faire exactement le contraire… La loi du 13 décembre 2011 a malheureusement procédé d’une contradiction identique entre les annonces législatives et la mise en œuvre concrète des dispositions votées par le Parlement. Faire en sorte que la loi s’applique rapidement est pourtant une nécessité démocratique.

Force est de constater que rien n’avait été prévu pour respecter cet objectif et le Gouvernement s’est trouvé fort dépourvu lorsqu’il a constaté à sa prise de fonction que rien n’avait été véritablement anticipé par l’ancienne majorité. Il est en effet rapidement apparu que, du fait de ce transfert d’activités des juridictions de proximité aux tribunaux de grande instance, les 452 juges de proximité en fonction en décembre 2012 auraient dû être renommés ; un décret en Conseil d’État aurait dû être publié afin de fixer les modalités d’organisation du service des juges de proximité dans les TGI et les tribunaux d’instance ; l’évolution des applications informatiques, la rédaction des instructions au greffe, l’élaboration des trames nécessaires, l’adaptation des formulaires à destination du public auraient dû être anticipées.

En outre, il convient d’observer que le transfert des charges assuré par les juges de proximité vers les juges d’instance aurait accentué leur charge de travail déjà importante du fait, notamment, de la réforme des tutelles. Ce transfert aurait nécessité jusqu’à 110 emplois équivalent temps plein de juges d’instance selon une évaluation des services du ministère. Il est à noter, à cet égard, qu’aucune création d’emplois n’avait été décidée par le précédent gouvernement dans le cadre de l’accompagnement de la loi du 13 décembre 2011.

Dans ce contexte, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a accueilli avec faveur l’initiative du président de la commission des lois du Sénat qui était parvenu de son côté au constat de la nécessité de conduire une approche globale de la justice de proximité et, donc, de reporter la mise en œuvre de la loi de 2011. Ce report, commandé par la sagesse et la cohérence dont l’Assemblée est la gardienne exigeante, ne désorganisera pas les juridictions.

Je ne rappellerai que quelques points.

Le transfert des injonctions de payer supérieures à 10 000 euros aux tribunaux de grande instance, prévu par la loi du 13 décembre 2011 entrera bien en vigueur au 1er janvier 2013. Le report de la suppression des juridictions de proximité permettra de ne pas alourdir davantage encore la charge des juges d’instance. Comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, dans votre avis budgétaire, la situation des tribunaux d’instance est difficile alors qu’ils participent d’une justice de proximité qui est souvent celle des oubliés, des humbles, des accidentés de la vie.

L’attention publique se porte trop exclusivement sur les questions pénales et pénitentiaires alors que, numériquement, nos concitoyens sont d’abord concernés, et c’est heureux, par la justice du surendettement, des tutelles ou des baux d’habitation, c’est-à-dire la justice de la vie quotidienne parfois difficile.

Cent soixante-dix-huit tribunaux d’instance ont été supprimés lors de la réforme de la carte judiciaire, rendant nécessaire des adaptations importantes des personnels et des services à peine finalisées aujourd’hui. Les 305 tribunaux d’instance restant ont dû faire face au réexamen systématique des dossiers de tutelle en application de la loi du 5 mars 2007, entraînant la révision de 731 671 mesures de protection avant le 1er janvier 2014. Le contentieux du surendettement a été transféré aux tribunaux d’instance depuis le 1er septembre 2012.

Mesdames, messieurs les députés, afin de faire face à ses responsabilités, le Gouvernement a prévu, dans le projet de loi de finances pour 2013, 142 créations d’emplois pour la justice du quotidien dont cinquante juges d’instance, marquant ainsi sa volonté de faciliter l’action des juges d’instance.

Ce premier texte tenant à l’organisation judiciaire et au droit civil est le premier pas, modeste mais nécessaire, vers une réforme plus globale de l’organisation judiciaire.

La garde des sceaux a annoncé, notamment lors du débat sur le rapport d’information sénatorial de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne, qui a très clairement montré les dysfonctionnements issus de la réforme de la carte judiciaire, son souhait de mener, conformément aux engagements du Président de la République, une réflexion autour de l’organisation judiciaire. Une première réflexion sur l’office du juge, son périmètre d’intervention et l’assistance au magistrat est confiée à l’Institut des hautes études sur la justice qui rendra ses recommandations en avril 2013. Parallèlement, deux groupes de travail sont mis en place autour de la direction des services judiciaires de la Chancellerie, le premier sur le juge du XXIe siècle et le second sur les juridictions du XXIe siècle.

Le statut et les missions des juges de proximité seront abordés dans le cadre de cette réflexion. Nous savons, en effet, que les juges de proximité sont inquiets sur leur avenir. Nommés pour une durée de sept ans non renouvelable, les premiers juges de proximité commencent à quitter leurs fonctions. Dans le même temps, la suppression annoncée des juridictions de proximité a fait diminuer le nombre de candidatures. Les juges de proximité voudraient d’ailleurs pouvoir être prolongés dans leurs missions.

L’objectif de la Chancellerie est de rapprocher les justiciables de la justice et, donc, d’en renforcer l’accessibilité et la proximité. Les projets de la garde des sceaux font naturellement écho aux engagements du Président de la République. À cet égard, le tribunal de première instance, mis à l’étude dans ce contexte, répondrait parfaitement à cet objectif : il ferait de chaque site judiciaire existant sur un département le point d’entrée pour tous les services du tribunal de première instance. Les juges de proximité auront toute leur place dans cette nouvelle organisation judiciaire.

Mesdames, messieurs les députés, c’est dans cette perspective de confiance dans le travail des juges de proximité, de cohérence dans l’application des lois, d’exigence dans la réforme plus globale à venir que je vous invite, au nom du Gouvernement, à adopter cette proposition de loi.

Au-delà d’une modification formelle de date, c’est le rapport entre nos concitoyens et la justice qui est en cause. Une bonne justice, c’est une justice impartiale, donc une justice qui suppose une certaine distance, laquelle doit aller de pair avec la garantie du meilleur accès possible à la justice. En République, la distance du juge ne saurait résider en son éloignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, mesdames, messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter cette proposition de loi relative aux juridictions de proximité.

Cette proposition de loi, déposée le 23 octobre dernier par M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois du Sénat, a été adoptée à l’unanimité le 23 novembre 2012, après engagement de la procédure accélérée. Transmise à notre assemblée, elle a été examinée le 5 décembre dernier par notre commission des lois dont les membres m’avaient fait l’honneur de me désigner préalablement en tant que rapporteur Notre commission a bien voulu, sur les conclusions du rapport que je lui ai présenté, adopter sans modification l’article unique de cette proposition de loi qui s’est ainsi trouvée adoptée à l’unanimité.

Comme l’a rappelé M. le ministre, l’article unique de cette proposition de loi n’a qu’un objet : reporter de deux années l’échéance prévue pour la suppression des juridictions de proximité. Pour ce faire, elle modifie la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles Celle-ci, dans son article 70, fixait l’entrée en vigueur de la réforme au premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la loi, soit le 1er janvier 2013. L’article unique de la présente proposition de loi vise donc à reporter la suppression de la juridiction de proximité au 1er janvier 2015.

Chacun garde à l’esprit les circonstances dans lesquelles avaient été créées les juridictions de proximité dans la loi d’orientation pour la justice du 9 septembre 2002. Cette loi d’orientation avait pour objectif déclaré de rapprocher la justice du citoyen et de la rendre plus accessible pour faciliter la solution des petits litiges. Elle a alors instauré le juge de proximité.

Deux modifications ont été apportées à ces dispositions, successivement par la loi organique du 26 février 2003 relative aux juges de proximité et par la loi du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d’instance.

Concluant les travaux d’une commission que présidait le doyen Serge Guinchard et dont l’objet était la répartition des contentieux, un rapport publié en 2008 considérait, au-delà des qualités personnelles des juges de proximité, que l’organisation judiciaire ainsi mise en place était extrêmement complexe, induisant des situations insatisfaisantes et alourdissant la charge des juges d’instance. Ces derniers, par insuffisance du nombre de juges de proximité recrutés, devaient aussi assumer les compétences qui auraient dû échoir à la juridiction de proximité. Ce rapport relevait, également, la complexité croissante du contentieux soumis aux juges de proximité, en particulier du fait de l’élévation des taux de compétence pour les litiges qui lui étaient soumis.

Certains ne l’ont pas oublié, la création des juridictions de proximité avait suscité beaucoup de doutes et d’inquiétude. L’efficacité du dispositif se trouvait, dès le début de sa mise en place, extrêmement complexe. Six années après seulement, le constat s’imposait et conduisait inévitablement à envisager la suppression des juridictions de proximité. C’est bien cette préconisation qui a été actée dans la loi du 13 décembre 2011. Son article 1er a redéfini les compétences des juges de proximité et son article 2 a supprimé la juridiction de proximité à laquelle ils étaient rattachés, cette suppression se trouvant différée d’une année pour en faciliter la mise en œuvre.

Lors de notre séance en commission, vous avez été nombreux à partager le constat des lourdes difficultés actuellement rencontrées par les tribunaux d’instance, les magistrats et les personnels des greffes. C’est ce constat qui est à l’origine de la judicieuse proposition de notre collègue sénateur Jean-Pierre Sueur tendant à reporter de deux ans la date de suppression de la juridiction de proximité pour ne pas aggraver encore cette situation catastrophique, et ce dans l’intérêt du bon fonctionnement de la justice.

En tant que rapporteur pour avis des crédits de la mission « Justice » pour 2013, j’avais souhaité, pour ce premier exercice budgétaire, porter mon attention sur la justice du quotidien, la justice des contentieux de la vie courante : crédits à la consommation, tutelles des majeurs, litiges du locatif de l’habitat – loyers, expulsions –, contentieux de surendettement, petites créances. C’est cette justice-là qui est au cœur de la vie des justiciables, qui en concerne le plus grand nombre. Les activités de cette institution judiciaire sont les indicateurs d’un accès réel des citoyens à leurs droits du quotidien.

Face à la judiciarisation croissante de la société, cette justice a pâti au cours des dernières années de réformes successives, morcelées, improvisées, mal ficelées. Elle s’en est trouvée désorganisée, voire déstabilisée, avec la réforme de la carte judiciaire dont M. le ministre vient de rappeler les conséquences, la réduction globale du nombre de magistrats et de fonctionnaires, la réduction des budgets de fonctionnement et des services.

Je vous ai déjà décrit les défis auxquels doit faire face l’instance : révision systématique des dossiers de protection des majeurs, transfert du contentieux du surendettement, augmentation des contentieux du loyer et des petits recouvrements de créances.

Mes dernières visites de terrain, notamment à Nogent-sur-Marne et à Villejuif, m’ont fait mesurer, comme chacun d’entre vous, l’impossibilité pour ces juridictions d’instance d’assurer, en plus de sa charge actuelle, les nouveaux contentieux qu’induirait la suppression immédiate de la juridiction de proximité.

Le transfert de compétence des juridictions de proximité vers les tribunaux d’instance, conséquence de cette suppression, n’a été ni anticipé ni sérieusement accompagné, qu’il s’agisse des budgets ou des personnels.

Alors que certaines juridictions doivent faire face à une charge de travail toujours plus grande, elles pâtissent en particulier d’un sous-effectif chronique de magistrats par rapport aux effectifs théoriques, des vacances de postes n’étant pas compensées par la nomination de magistrats placés, auquel s’ajoute un manque de fonctionnaires de greffe.

Le ressenti dans les tribunaux d’instance est d’autant plus lourd que de nombreux juges de proximité ont été transférés dans les juridictions de grande instance, en particulier pour compléter les chambres collégiales des tribunaux correctionnels, ce qui a été plutôt mal accepté dans les juridictions d’instance.

La suppression des juridictions de proximité implique le transfert vers les tribunaux d’instance de la compétence pour connaître des actions personnelles ou mobilières d’une valeur maximale de 4 000 euros, et de celle des demandes indéterminées ayant pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 4 000 euros. Cela représente 90 000 à 100 000 dossiers par an ; la juridiction d’instance, en l’état, n’est tout bonnement pas en capacité d’y faire face.

Les deux années de prolongation qu’ouvre l’adoption de cette proposition de loi permettront aux tribunaux d’instance d’absorber les retards et de faire face à l’accroissement du nombre de dossiers.

Elles doivent aussi être mises à profit pour mener une réflexion sur l’organisation de la justice de première instance et aboutir à des solutions. Je me félicite, monsieur le ministre, que tel soit désormais l’objectif du Gouvernement. Sa structure actuelle est trop complexe et parfois bien peu logique. Elle est aujourd’hui ignorée par un grand nombre de justiciables et, ce n’est pas le moindre paradoxe, incomprise de ceux à qui elle est pourtant destinée.

Lors de l’examen de la proposition de loi par le Sénat, la garde des sceaux a émis quelques pistes de réflexion sur une nouvelle organisation judiciaire : réouverture de certaines juridictions dans quelques ressorts, expérimentation d’un tribunal de première instance, expérimentation d’un guichet unique de greffe, voire d’audiences foraines.

Il nous faut participer à ce travail de réflexion et le poursuivre pour effectivement reconsidérer la juridiction de première instance et lui permettre d’assumer pleinement sa mission au cœur de la vie de nos concitoyens.

Mesdames, messieurs, la commission a adopté cette proposition de loi contenant un article unique, à l’unanimité. Je vous invite à faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en soumettant à notre examen la proposition de loi relative aux juridictions de proximité, les auteurs de ce texte nous invitent à nous prononcer sur l’opportunité de reporter de deux ans l’application de la suppression des juridictions de proximité.

Rappelons avant tout le contexte dans lequel ont été élaborées les juridictions de proximité. Créées en 2002, elles procédaient d’une volonté de rapprocher la justice de nos concitoyens dans le cadre de petites affaires. Il s’agissait ainsi de permettre à des femmes et à des hommes aux profils différents qui, d’une façon ou d’une autre, avaient pratiqué le droit au cours de leur vie professionnelle, d’apporter une vision différente de la société pour juger de petits litiges de la vie quotidienne. Reconnaissons aux législateurs et au Gouvernement de l’époque leur intention louable de renforcer, à travers cette réforme, la crédibilité des institutions judiciaires et de restaurer la confiance que les citoyens placent en la justice de leur pays.

Presque dix ans plus tard, notre assemblée votait la suppression des juridictions de proximité dans un texte qui englobait des aspects divers de l’activité judiciaire et s’inscrivait dans une démarche, largement engagée sous la précédente législature, de simplification du droit et d’amélioration de la répartition des contentieux.

Après la loi du 22 décembre 2010, relative à l’exécution des décisions de justice et à l’exercice de certaines professions réglementées, après la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques, ce texte venait ainsi parachever l’inscription dans notre droit des préconisations de la commission présidée par Serge Guinchard, à laquelle mandat avait été donné de simplifier, d’alléger et de rendre plus efficace le traitement des procédures judiciaires.

Le projet visait avant tout à renforcer la lisibilité des juridictions de première instance, en clarifiant les compétences respectives des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance, cette dualité nécessitant la suppression de la juridiction de proximité.

Convenons-en, l’organisation de la justice judiciaire, telle qu’elle a été stratifiée au fil des ans, est devenue peu lisible pour nos concitoyens. Loin d’améliorer la situation, l’instauration d’un nouvel ordre de juridiction fut une source supplémentaire de complexification de notre organisation judiciaire. Le rapport Guinchard évoque ainsi les situations ubuesques ou kafkaïennes auxquelles elle peut conduire, lorsque, « en l’absence de juge de proximité, les fonctions de ce dernier sont exercées par le juge d’instance ». En définitive et toujours selon la commission, ce nouvel ordre de juridiction n’a pu « atteindre les objectifs ambitieux qui lui étaient assignés, d’une justice réconciliée avec les usagers ». À cela s’ajoute la difficulté d’adaptation des compétences des juges de proximité à la technicité du contentieux civil.

Partant de ces constats, la répartition de principe des contentieux entre le tribunal de grande instance, le tribunal d’instance et le juge de proximité, fondée initialement sur des critères de collégialité ou de juge unique, ainsi que sur la nature des contentieux et la représentation obligatoire ou non par un avocat, devait être adaptée.

Ainsi, la loi du 13 décembre 2011 a prévu la suppression des juridictions de proximité, tout en maintenant les juges de proximité, appelés à exercer de nouvelles fonctions au sein des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance.

Chacun ici en convient, une telle mesure n’est pas sans conséquences sur l’organisation de notre système judiciaire : elle aura pour effet de transférer vers les tribunaux d’instance la compétence pour connaître des actions personnelles ou mobilières d’une valeur maximale de 4 000 euros ainsi que les demandes indéterminées ayant pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 4 000 euros. En d’autres termes, elle étendra de manière considérable le champ de compétence des tribunaux d’instance.

Concrètement, la suppression des compétences des juges de proximité en matière de contentieux civil, excepté pour statuer sur requête en injonction de payer, devrait entraîner le transfert de l’ordre de 90 000 à 100 000 affaires civiles nouvelles chaque année vers les tribunaux d’instance, soit une lourde charge de travail auxquels les effectifs des tribunaux d’instance ne sont pas adaptés et pourront difficilement faire face. Des créations de postes seront donc nécessaires, ne serait-ce que pour compenser la suppression de la juridiction de proximité. Inévitablement, les premières victimes d’une application immédiate de la suppression des juridictions de proximité seraient les justiciables.

Mes chers collègues, ainsi que l’a souligné le rapport de la commission Guinchard, « une justice pour tous, c’est une justice que l’on comprend, une justice intelligible ». À nos yeux, l’adaptation de la loi du 13 décembre 2011 pour reporter de deux ans l’application de la suppression des juridictions de proximité est une mesure de bon sens, rendue nécessaire pour le bon fonctionnement même de la justice. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI soutiendra et votera cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui a été votée à l’unanimité au Sénat et par la commission des lois de notre assemblée : à croire que, paradoxalement, Mme la ministre de la justice devient une femme de consensus… Elle en sera sans doute la première surprise, même si elle commence à avoir l’habitude de voir ses textes adoptés à une très large majorité à l’Assemblée.

Cette proposition, cela a déjà été souligné, permet de donner le temps supplémentaire nécessaire à la bonne organisation de la réforme supprimant les juridictions de proximité prévue par la loi du 13 décembre 2011.

Les juridictions de proximité, créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 pour pallier l’insuffisance du nombre de magistrats d’instance, complétée à deux reprises, en 2003 et 2005, ont été supprimées par la même majorité, preuve de son manque de vision et de cohérence sur les affaires de justice.

Les mêmes qui avaient créé les juridictions de proximité ont revu la carte judiciaire en supprimant jusqu’à 178 tribunaux d’instance, mettant ainsi en place ce que l’on peut appeler des déserts judiciaires et affaiblissant cet élément si essentiel à nos concitoyens qu’est la proximité de la justice.

La loi du 13 décembre 2011 est venue supprimer les juridictions de proximité mais non l’institution du juge de proximité en lui-même. La situation était déjà surprenante. En 2011, 12 % des juridictions de proximité se trouvaient sans juge. En 2012, le nombre de juges de proximité est passé de 672 à 460. Certaines juridictions de proximité sont donc désormais dépourvues de juges.

Les allers-retours législatifs ont été pendant ces dix dernières années de véritables couperets alors même que la judiciarisation de notre société, qui est une tendance lourde, appelait sans doute une réforme profonde précédée par une large concertation. Le groupe écologiste est satisfait que le Gouvernement ait décidé de prendre le temps de la réflexion, du débat parlementaire, de la discussion avec les acteurs de la justice. Cela change des habitudes de l’ancienne majorité…

Le texte dont nous discutons va d’abord permettre d’assurer la continuité de l’action de l’état. Nous faisons face en effet à un manque cruel d’effectifs. Si nous avions voulu mettre en œuvre la suppression des juridictions de proximité au 1er janvier 2013, il nous aurait fallu créer 110 emplois de juges d’instance supplémentaire afin qu’ils assument la charge de travail aujourd’hui supportée par les juges de proximité. C’était impossible en dépit des efforts budgétaires effectués cette année pour mettre fin à l’hémorragie des postes dans la justice, situation héritée de la majorité précédente.

Par ailleurs, rien n’a été entrepris pour rendre effectif le transfert des compétences et des dossiers aux tribunaux d’instance : le décret du Conseil d’État attendu pour établir les modalités de ce transfert n’a jamais été publié.

Pourtant, nous le savons, la suppression des juridictions de proximité n’est pas totalement dénuée de sens. Nous avons affaire à une réalité qui peut paraître un peu contradictoire. Il y a la simplification des procédures, il y a aussi la technicité croissante de certains contentieux civils, qui nécessitent un traitement plus lourd.

La fonction de juge de proximité est pour l’instant maintenue, et je tiens à m’associer à l’ensemble de mes collègues qui ont fait part, comme de nombreux orateurs au Sénat, de leur reconnaissance pour le travail accompli. Le travail notamment pour traiter et résorber les dossiers est admirable, surtout si, comme l’a signalé Mme la garde des sceaux, nous en arrivons à une résorption totale d’ici à janvier 2014.

Donnons-nous effectivement le temps de la réflexion sur leur maintien et leur rôle, et saluons l’effort consenti.

Il nous faut donc voter ce report d’une mesure prise dans la précipitation et si peu préparée sur le terrain, en prenant ainsi le temps de la réflexion et de la concertation pour mener à bien un travail sérieux.

Puisque le groupe écologiste votera cette proposition de loi, j’aimerais surtout revenir sur la réforme, annoncée par Mme la garde des sceaux, de l’organisation judiciaire en matière civile, qu’elle a déjà évoquée au cours de la discussion au Sénat. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous lui ferez part de ces remarques : nous avons tous la même inquiétude. Nous partageons les valeurs d’accessibilité, de proximité, d’efficacité du droit et de diligence qui sont au cœur des procédures de justice et auxquelles sont attachés nos concitoyens. Nous partageons, je l’ai dit, la volonté de travailler à une réforme qui aille dans le sens de l’égalité d’accès à la justice. Nous partageons enfin le souci exprimé par Mme la garde des sceaux de rapprocher les citoyens de la justice, ce qui passe aussi par la simplification des procédures.

Les écologistes auront à cœur de travailler avec Mme la garde de sceaux à une réforme de la carte judiciaire qui assure une réelle égalité territoriale. Mme Taubira a en effet annoncé la réouverture de certains tribunaux d’instance, ce qui nous paraît être une mesure raisonnable.

Nous soutiendrons également toute démarche visant à augmenter le budget de la justice, le nombre de magistrats et de greffiers, les expérimentations et le développement des maisons du droit. Nous proposerons en outre de mettre au cœur du débat le développement de la justice réparatrice. La probation, actuellement à l’étude, serait à cet égard une avancée importante.

Au-delà, il faut multiplier les procédures qui, comme la médiation familiale, permettent un recours plus important à la médiation entre les parties. Elles permettent en effet, plus que toute autre forme, d’entendre la voix des parties : en premier lieu celle de la victime, mais également celle de la personne qui a commis son acte, et qui est ainsi punie et responsabilisée.

C’est donc dans la perspective de discuter de toutes ces pistes, dans le cadre d’un débat plus large sur l’organisation de la justice française, que le groupe écologiste votera sans hésitation ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, faut-il reporter de deux ans l’application de la suppression des juridictions de proximité prévue par la loi du 13 décembre 2011 ? À l’évidence, oui.

J’ai écouté, monsieur le ministre, votre rappel historique avec intérêt. Ces juridictions de proximité, c’est en effet la République qui les a créées, en 1790. J’ai eu l’occasion de mener des recherches sur tous les jugements rendus à l’époque en Basse-Normandie. Comme vous le savez, le ministère d’avocat était alors interdit : les justiciables ayant trop eu à souffrir de la présence des avocats, on l’avait purement et simplement interdite… J’ai donc voulu connaître la manière dont les arguments étaient échangés. En Normandie, vous le savez, dans chaque justiciable sommeille un avocat (Sourires) : j’ai pu constater une grande qualité des réclamations comme des échanges d’arguments. Par ailleurs, même les affaires les plus difficiles restaient dans le canton, puisqu’il y avait à l’époque un juge d’instance dans chaque canton.

En 2002, nous sommes bien loin de tout cela : les juridictions de proximité ont été créées pour statuer sur les petits litiges de la vie quotidienne, tant en matière civile qu’en matière pénale. Mais depuis lors, on a fait tout et n’importe quoi. Dans un premier temps, on a créé ces tribunaux de proximité ; et très franchement, si j’avais eu à voter, j’aurais voté pour, car je pense que c’était une très bonne idée. Mais ensuite, sous la houlette d’une garde des sceaux dont on retiendra la fougue et le tempérament, on a réformé à la hache la carte judiciaire, on a procédé à la décimation, au carnage, sans aucune concertation, au détriment du droit des justiciables, avec pour seule finalité un effet de communication : faire croire que la garde des sceaux passerait partout, et comme une tornade !

Ensuite, en 2011, on a décidé de supprimer ces juridictions de proximité… Qui aurait pu imaginer en dix ans pareil charivari de la justice ? Pourtant, ces juges de proximité – j’ai eu à en fréquenter au cours de ma vie professionnelle – sont des personnes de qualité, je tiens à le dire. Ils ont à juger, en matière civile, des affaires d’injonctions de payer inférieures à 4 000 euros et, en matière pénale, des contraventions des quatre premières classes. Leur activité est loin d’être négligeable : elle a atteint 20 % des affaires traitées par les tribunaux d’instance. Il est vrai que, de 2009 à 2011, on est passé – et cela m’interpelle – de 105 000 à 90 000 affaires en matière civile et de 450 000 à 370 000 en matière pénale. Il eût été intéressant de se demander pour quelles raisons les contentieux diminuaient ainsi, alors que le phénomène a déjà touché, vous le savez, le contentieux des tribunaux de grande instance : en quarante ans, je l’ai vu s’effondrer. C’est une réalité. Coût des procédures, durée des procédures, on soutient que tout le monde veut ester en justice, mais c’est faux : c’est bien d’un rejet global de la justice qu’il s’agit. Ajoutons que les règlements à l’amiable sont devenus de plus en plus nombreux, sous la pression, énorme, des assurances. Sans oublier les nullités de procédure, qui ont provoqué le dégoût de toute une partie des justiciables. La justice est en réalité totalement chamboulée ; elle connaît une crise de confiance, au moment où l’on nous dit que les justiciables voudraient de plus en plus y recourir pour régler leurs litiges. J’en doute !

La suppression des tribunaux de proximité, la fermeture de tribunaux d’instance ont été de mauvaises actions qui ont fortement nui à la justice. Que fallait-il faire et vers quoi devons-nous nous orienter dans les deux années à venir ? Après tout, c’est la seule question qui compte.

Certains – des esprits très forts – ont proposé la création d’un tribunal de première instance regroupant les tribunaux de grande instance, les tribunaux d’instance et les défunts tribunaux de proximité, mais cela conduirait à une centralisation énorme et éloignerait forcément la justice du justiciable. Ce n’est pas, à mon avis, une hypothèse qui doit être retenue.

D’autres ont proposé de créer de nouveaux tribunaux d’instance, c’est-à-dire de faire exactement le contraire de ce qui a été fait du temps de Mme Dati. Ça, c’est une bonne chose. Il serait bon, monsieur le président de la commission des lois, qu’après le passage au Sénat, nous puissions disposer d’une étude sérieuse sur les conséquences des suppressions de tribunaux dans nos départements, pour bien en mesurer les effets en profondeur, qui marqueront la justice de notre pays.

À qui faut-il attribuer les moyens en personnel, magistrats et greffes, que nous avons votés et qui ont été rapportés à la chancellerie ? À l’évidence, ces moyens doivent aller aux tribunaux d’instance. Le tribunal pivot n’est pas, selon moi, le tribunal de grande instance, mais bien le tribunal d’instance. De plus, la charge d’un magistrat d’instance n’a rien à voir avec celle d’un magistrat de TGI. Allez dans les juridictions et comparez ce qu’ont à faire un vice-président de tribunal de grande instance et un vice-président de tribunal d’instance : cela n’a rien à voir. Qui plus est, le plus souvent, ce sont souvent des jeunes frais émoulus de l’École nationale de la magistrature qui arrivent au tribunal d’instance : c’est leur premier poste. La charge de travail y est très lourde, elle n’a rien à voir, je vous l’assure, avec celle des avocats généraux à la cour d’appel de Paris ! (Sourires.) Il faut donc renforcer les tribunaux d’instance.

Par ailleurs, posons-nous la question de savoir quels contentieux doivent venir devant les tribunaux d’instance. À l’évidence, toutes les affaires en dessous de 10 000 euros. Mais il y a un problème : les affaires appelées devant les tribunaux d’instance sont aussi lourdes, faute de juridictions spécialisées, que celles qui arrivent devant les tribunaux de grande instance.

J’ai plaidé quelque 500 affaires par an devant les conseils de prud’hommes et les juges départiteurs qui ont à gérer le contentieux le plus difficile qui puisse exister en matière prud’homale. Que souhaite le justiciable ? Un magistrat proche de lui, pour régler les problèmes de la vie quotidienne. Et les problèmes de la vie quotidienne, ce sont d’abord les affaires matrimoniales, qui représentent la moitié du contentieux des tribunaux de grande instance.

Ce que veut un justiciable qui habite à Vire, et qui a un problème de droit de visite ou de droit d’hébergement, ce n’est pas aller à Caen : c’est faire régler le problème par le juge d’instance local, qui pourra immédiatement le recevoir, l’entendre et rendre une décision dans les semaines qui suivent. Il faut donc avoir le courage de poser la question : l’ensemble des affaires matrimoniales, sur tous ces problèmes d’application – droit de visite, droit d’hébergement, pensions alimentaires, etc. – ne devraient-elles pas être transférées aux tribunaux d’instance ? Mon raisonnement se comprend aisément : dès lors que le juge d’instance est le juge pivot et le juge du quotidien, et que ce quotidien, c’est avant tout les problèmes liés aux divorces, à propos des enfants ou avec l’ex-conjoint, c’est à lui qu’il faut les confier.

Mais ce juge d’instance aurait-il pu continuer à travailler avec 20 % d’affaires supplémentaires qui lui seraient tombées dessus ? À l’évidence non. Il nous faut donc réfléchir, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, durant les deux années qui vont être ainsi libérées, à une nouvelle répartition du contentieux. Nous ne pouvons plus accepter que les tribunaux d’instance soient les éternels sacrifiés de toutes les réformes. Je vous propose donc de saisir Mme la garde des sceaux d’une réforme essentielle pour la justice, la démocratie et la République.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.

M. Patrice Carvalho. La création des juridictions de proximité, par la loi du 9 septembre 2002, avait été justifiée par la nécessité d’instaurer une justice spécialisée pour traiter les petits litiges de la vie quotidienne : baux d’habitation, contrats de consommation, etc. Elle résultait du constat de la surcharge des tribunaux d’instance et de leur incapacité à traiter spécifiquement les petits litiges. En effet, les tribunaux d’instance, créés en 1958 pour remplacer les justices de paix, s’étaient rapidement trouvés débordés en raison de l’augmentation du contentieux, de l’insuffisance du nombre de recrutements de magistrats et de l’alourdissement des tâches confiées à ces derniers. Parallèlement, la multiplication des formules de règlement amiable n’avait pas permis de pallier l’absence de mécanisme juridictionnel adéquat pour traiter ces litiges.

Les juridictions de proximité étaient donc censées remédier à ces difficultés et surtout répondre au souci de rapprocher la justice des citoyens. Ces nouvelles juridictions s’étaient alors vu confier, à côté des tribunaux d’instance, la mission principale de juger, en matière civile, les litiges inférieurs à 4 000 euros et, en matière pénale, les contraventions des quatre premières classes.

Lors de l’examen de cette réforme, en 2002, nous avions dénoncé un texte élaboré sans aucune concertation avec les professionnels de la justice concernés – magistrats, fonctionnaires des tribunaux, avocats, syndicats –, qui avaient pourtant exprimé de vives inquiétudes.

Nous nous étions opposés à la mise en place d’un ordre supplémentaire de juridiction de première instance, en alertant sur la complexification des règles de compétence entre juridictions et les erreurs susceptibles d’en résulter. En outre, nous avions indiqué que l’évidente complexité du système s’opposait clairement à l’objectif avancé de réconcilier la justice avec les usagers.

Au lieu de retirer des compétences aux tribunaux d’instance au profit des nouveaux juges de proximité, nous préconisions de doter les tribunaux d’instance des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement.

Nous avions alors appelé de nos vœux une justice de proximité efficace, qui ne se substitue pas à la juridiction la plus accessible et la moins coûteuse de notre système judiciaire. Nous nous étions résolument opposés à ce projet qui ouvrait la voie à une justice à deux vitesses, l’une rendue par des magistrats non professionnels s’adressant aux citoyens ordinaires pour leurs petits litiges, l’autre rendue par des magistrats professionnels et destinée aux litiges importants.

Six ans seulement après l’adoption de cette réforme, la loi du 13 décembre 2011 prenait acte de son échec. Le constat est édifiant : la création des juridictions de proximité a accru la complexité de l’organisation judiciaire de première instance, qu’il s’agisse de la répartition des compétences entre le tribunal d’instance et les juridictions de proximité ou de l’absence de règles procédurales adaptées aux types de litiges traités. Pour un grand nombre de justiciables, l’accès à la justice demeure compliqué en raison des règles de formalisme, du coût de l’action en justice ou de l’impossibilité de faire appel. Enfin, il s’est avéré que les juridictions de proximité offraient moins de garanties procédurales aux justiciables, les principes directeurs du procès étant parfois malmenés.

La loi du 13 décembre 2011 sur la répartition des contentieux a donc purement et simplement supprimé les juridictions de proximité, tout en précisant que cette suppression serait effective à compter de janvier 2013. Si la loi a prévu de rattacher les juges de proximité aux tribunaux de grande instance et de redéfinir leur rôle, elle n’a tenu aucunement compte du fait que les tribunaux d’instance ne disposeraient pas de l’effectif nécessaire pour absorber le contentieux civil dévolu jusqu’alors aux juridictions de proximité et représentant plus de 100 000 affaires civiles nouvelles chaque année. Comme nous l’avions dit alors, cette suppression ne pouvait intervenir sans que des moyens supplémentaires soient accordés aux tribunaux d’instance, dont l’activité a connu une forte croissance ces dernières années. Rappelons que la réforme de la carte judiciaire a entraîné la suppression de 178 tribunaux d’instance, et que les tribunaux d’instance doivent assumer une charge de travail supplémentaire en raison du transfert du contentieux du surendettement et de l’entrée en vigueur de la réforme de la protection juridique des majeurs.

Aujourd’hui, la situation budgétaire des tribunaux d’instance est à ce point dramatique qu’elle ne leur permettra pas d’absorber ce contentieux civil à partir du 1er janvier prochain. C’est la raison pour laquelle la proposition de loi soumise à notre approbation prévoit, dans l’urgence, de reporter de deux ans la suppression des juridictions de proximité. Elle entend ainsi remédier au défaut d’anticipation des conséquences de la suppression des juridictions de proximité.

Au regard des difficultés auxquelles seraient confrontés les juges d’instance et compte tenu de l’allongement des délais de traitement au détriment des justiciables, nous ne pouvons que souscrire à ce report au 1er janvier 2015. Néanmoins, il convient que ce report s’accompagne d’une réflexion d’ensemble sur la justice de proximité. À cet égard, nous avons noté avec satisfaction la mise en place d’une mission d’information par la commission des lois du Sénat et l’engagement de Mme la garde des sceaux, lors de la séance publique du Sénat du 1er octobre 2012, de mener une réflexion sur ce sujet.

En outre, le report de la suppression des juridictions de proximité pose, de manière générale, la question des moyens alloués à la justice. Il convient de garder à l’esprit la situation catastrophique dans laquelle se trouve le service public de la justice, et le fait que selon le rapport 2012 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la France est à la quarantième place – sur quarante-sept – du classement des pays en fonction du budget public annuel total alloué au système judiciaire rapporté au produit intérieur brut par habitant.

Lors de la discussion de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2013, nous avons salué l’accroissement des effectifs prévu pour la période 2013-2015, tout en soulignant que cette augmentation ne se traduirait pas pour autant par une amélioration significative de la situation, tant les besoins sont colossaux et le passif difficile à assumer. Certes, le projet de budget pour 2013 prévoit le recrutement de 142 magistrats, dont 50 directement affectés à l’instance ; mais ceux-ci n’intégreront leur juridiction qu’après leur formation à l’École nationale de la magistrature, c’est-à-dire après le 1er janvier 2015. De plus, les emplois ainsi créés visent à renforcer les tribunaux d’instance pour leur permettre de faire face à l’accroissement de leur charge de travail causé par d’autres réformes, notamment celle de la protection juridique des majeurs qui impose la révision de l’ensemble des mesures de tutelle en cours.

La situation actuelle est donc critique. Les rapports des juges d’instance ainsi que les constats dressés par l’association nationale des juges d’instance et par les organisations syndicales font tous état d’une situation intenable et de conséquences préoccupantes, en particulier pour ce qui touche à la protection des majeurs. Les délais sont accrus, des retards sont constatés et les mesures non révisées risquent la caducité. Dès à présent, il convient donc de prendre la mesure de la gravité de la situation et, comme le demandent les professionnels de la justice concernés, de mobiliser tous les moyens possibles pour renforcer les tribunaux d’instance.

Néanmoins, nous soutenons cette proposition de loi.

M. André Chassaigne. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi a pour objet de reporter de deux ans l’application de la suppression des juridictions de proximité prévue par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles.

Ce n’est donc pas le volume d’un texte qui lui confère son intérêt : preuve nous en est donnée par cette proposition de loi de notre collègue de la chambre haute, le sénateur Jean-Pierre Sueur, soumise aujourd’hui à notre examen et à notre vote. Ce texte succinct a pour simple objet le report de deux ans de l’application des articles 1er et 2 de la loi du 13 décembre 2011 supprimant la juridiction de proximité et maintenant les juges de proximité, auxquels seront confiées de nouvelles compétences. Au fond, il s’agit d’une demande de sursis – un sursis probatoire, dirons-nous, avec mise à l’épreuve de deux ans. Bien entendu, la récidive ne sera pas possible cette fois-ci !

Cette proposition de loi est la conséquence directe des choix politiques absolument calamiteux du précédent gouvernement en matière de justice et de juridictions. En effet, sous couvert de réorganisation de la justice de proximité, la précédente majorité l’a simplement détruite et nous oblige aujourd’hui, finalement, à restaurer, réhabiliter et reconstruire une justice accessible à tous, égalitaire pour tous et proche.

Dans l’attente d’une telle réforme, nécessaire et vraiment urgente, il nous faut contenir le désordre qu’aurait causé la disparition brutale et abrupte des juridictions de proximité, prévue par une loi aussi peu préparée que la réforme de la carte judiciaire.

La réforme de la carte judiciaire : parlons-en ! Œuvre majeure de Mme Dati, mené à coups de hache et de boutoir, sans concertation, sans réflexion et surtout sans vision prospective, ce bricolage malheureux aura particulièrement touché les tribunaux d’instance. Je peux donner l’exemple de mon département, les Pyrénées Atlantiques, où des tribunaux d’instance ont été fermés alors qu’ils étaient gracieusement logés par des communes trop heureuses d’accueillir un service public à disposition des habitants. Il a fallu les reloger à grands frais à proximité de TGI déjà surchargés et dont on ne pouvait pas pousser les murs. L’État doit maintenant payer un loyer : quel sens aigu de l’optimisation des dépenses publiques ! Nous devrons certainement, dans les semaines à venir, procéder à une évaluation et dresser un bilan de cette réforme de la carte judiciaire.

Cette période de casse du service public de la justice est heureusement révolue, et Mme la garde des sceaux œuvre, depuis sa nomination, à la restauration de l’indispensable lien de confiance républicain entre la justice et les justiciables. Cette nécessité fait d’ailleurs l’unanimité auprès des professionnels qui ont particulièrement souffert du mépris affiché à leur endroit, ces dernières années, par le précédent exécutif.

Lors de la création des juridictions de proximité en 2002, nous n’étions pas favorables à cette justice au rabais. Déjà, nous dénoncions le manque voire la quasi-absence de formation de ces nouveaux juges, la complexité procédurale pour les justiciables ainsi que les dangers de décisions rendues sans possibilité d’appel. L’étude d’impact et l’exposé des motifs de la loi du 13 décembre 2011 faisaient le même constat. Déjà, nous alertions sur le statut précaire des juges de proximité à qui sont confiées des missions juridictionnelles.

De 2002 à 2012 : dix ans plus tard, le bilan est mitigé, ni totalement négatif, ni totalement positif. Il n’est pas totalement négatif : les juges de proximité ont déchargé les juges d’instance, et ont permis de faire fonctionner les juridictions correctionnelles, notamment en comparutions immédiates. Il n’est pas totalement positif : parfois très critiqués, certains juges de proximité ont été qualifiés de « juges de l’approximation », de « juges au rabais », de « juges bon marché ». En fait, leur qualité est très variable en fonction des juridictions et dépend principalement de la pertinence de leur recrutement et de leurs expériences professionnelles passées.

Cela dit, je partage totalement l’analyse de Jean-Pierre Sueur et de la rapporteure au Sénat : les juges de proximité ont su, au fil des années, déployer des qualités de dévouement, de disponibilité et, ajouterai-je, de patience, tant ils doivent accueillir le justiciable en direct, sans préparation ni organisation de leur défense. Enfin, ils ont fait la démonstration, au fil des ans, d’une forte implication dans leur travail.

Aujourd’hui, nous n’avons pas vraiment le choix pour que nos juridictions puissent continuer à fonctionner. Nous devons maintenir les 460 juges de proximité, lesquels n’exercent pas à temps complet mais à la vacation. Ils sont soumis au statut de la magistrature mais ne sont pas membres du corps judiciaire, ce qui fait d’eux une catégorie hybride mal protégée.

Si la suppression des tribunaux de proximité peut être comprise pour tout un ensemble de raisons, telle la complexité de l’organisation judiciaire et du contentieux qui leur est soumis, les modalités de cette suppression sont très contestables, tant la décision de suppression a été prise sans en anticiper toutes les conséquences en termes de moyens. Le Sénat avait d’ailleurs lancé un avertissement solennel, malheureusement non entendu, lors du vote de la loi du 13 décembre 2011 par l’Assemblée nationale. La chambre haute avait très opportunément souligné le risque, inhérent à la réforme des juridictions de proximité, d’accroître la difficulté des tribunaux d’instance, déjà très éprouvés, au détriment des justiciables et des délais de traitement des litiges soumis à la juridiction.

Le report de deux ans de la suppression doit nous permettre d’engager une réflexion globale et approfondie, par une remise à plat indispensable de la notion même de justice de proximité. La justice d’instance reste la vraie justice de proximité. L’ouvrage est déjà sur le métier : Mme la garde des sceaux a d’ores et déjà initié une réflexion sur l’organisation judiciaire ; au Sénat, une mission d’information sur la justice de proximité a été confiée à Mme Virginie Klès, commissaire aux lois.

À leur tour, les députés s’engageront pleinement dans cette réflexion. Plusieurs questions appellent le débat. Choisirons-nous de garder en l’état les tribunaux d’instance et de grande instance, ou de les fusionner dans un tribunal de première instance ? Sur ce point, on constate que les professionnels sont très divisés ; dès lors, la concertation s’impose. Continuerons-nous de régler la compétence juridictionnelle sur le critère du montant des litiges – inférieurs à 4 000 euros, inférieurs à 10 000 euros – ou définirons-nous d’autres critères de compétence plus appropriés ? Maintiendrons-nous au tribunal d’instance le traitement des dossiers de tutelle, alors que le tribunal de grande instance connaît de l’ensemble du droit de la famille ? Nous l’oublions trop souvent : la juridiction d’instance est une instance de conciliation et de pacification des conflits. Or le système actuel est inadapté, obsolète et peu pertinent.

Les critères qui doivent présider à la réforme sont l’accessibilité, la gratuité – Mme la garde des sceaux s’est engagée à la suppression du droit de timbre de 35 euros –, la rapidité, sans pour autant favoriser une justice expéditive, la lisibilité et la bonne compréhension. En somme, nous avons l’ambition d’une justice de qualité, rendue par des professionnels formés et compétents, tant en ce qui concerne l’assistance que le jugement.

La justice de proximité est celle du quotidien, des tracas, des litiges qui empoisonnent la vie comme les conflits de voisinage. Cette justice n’est absolument pas médiatique. Elle a vraiment besoin d’être mieux connue. Elle doit aussi rétablir les équilibres, accompagner nos concitoyens qui rencontrent des difficultés liées à des problèmes locatifs, à la consommation ou au surendettement. À ce sujet, je me permets de rappeler que nombre de juges de proximité ont déjà cessé leurs fonctions, et que les juges d’instance vont devoir absorber la charge de travail induite. Serons-nous prêts pour la réforme des tutelles, avec une échéance fixée au 1er janvier 2014 ? Il le faudra pourtant !

Les juges d’instance s’inquiètent légitimement. Le vieillissement de la population accentue cette inquiétude partagée. À ce phénomène vient s’ajouter, depuis le 1er septembre 2012, le contentieux du surendettement, auparavant traité par les juges de l’exécution du tribunal de grande instance, qui ira croissant – on le voit déjà depuis plusieurs mois – dans le contexte de crise que nous connaissons.

La réflexion devra aussi intégrer le projet d’action de groupe pour lequel notre ministre souhaite s’engager et a déjà entamé une réflexion que nous accompagnerons.

Nous n’aurons pas trop de deux ans pour voir aboutir cette réflexion et préparer une réforme efficace, digne, juste et équilibrée.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous voterons cette proposition de loi.

Mme Cécile Untermaier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, vous représentez ce soir le Gouvernement en l’absence de Mme la garde des sceaux, ce qui est regrettable sur un texte certes simple, mais d’une réelle importance pour son ministère, car les questions sont nombreuses.

Ce débat ne fera sans doute pas date dans les annales de l’Assemblée nationale, dans la mesure où cette proposition de loi n’a qu’un objet : décaler de deux ans l’échéance prévue pour la suppression des juridictions de proximité. En effet, la modeste ambition de son article unique se limite à reporter, sans pour autant la remettre en cause, la suppression des juridictions de proximité du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2015.

Il n’empêche, ce report est plus que nécessaire, il est impérieux, pour le bon fonctionnement de nos tribunaux d’instance et pour les justiciables. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP soutiendra ce texte, et je vais développer les raisons qui nous conduisent à le voter.

Tout d’abord, faut-il le rappeler, la suppression de la juridiction de proximité a été actée par la loi du 13 décembre 2011 sur la répartition des contentieux, loi qui puisait notamment son inspiration dans le rapport de la commission présidée par le doyen Serge Guinchard relatif à la répartition des contentieux.

Pour justifier la disparition de cet ordre de juridiction, la commission Guichard avait alors avancé à la fois la complexité de l’organisation judiciaire mise en place, qui conduisait à des situations illisibles pour le citoyen, lorsque, faute de juge de proximité, le juge d’instance retrouvait la compétence qui avait été transférée à la juridiction de proximité. Mais aussi la complexité croissante du contentieux soumis au juge de proximité, du fait de l’élévation de son taux de compétence de 1 500 euros à 4 000 euros, et de la nécessité de s’assurer du respect des règles d’ordre public, même pour les plus petits litiges qui se multipliaient.

C’est l’occasion pour moi de rappeler qu’il ne s’est jamais agi de remettre en cause les qualités humaines et les compétences des juges de proximité que je salue comme, je le pense, chacun d’entre nous.

Les juges de proximité répondent en effet à un réel besoin de rapprocher la justice des citoyens dans un environnement marqué à la fois par la judiciarisation de notre quotidien et la complexité croissante du droit et des procédures.

C’est pourquoi la loi de 2011 visant à supprimer la juridiction de proximité n’a pas remis en cause les juges de proximité, mais a conduit à rattacher les juges de proximité au tribunal de grande instance.

Il était donc prévu qu’en date du 1er janvier 2013, la juridiction de proximité serait supprimée et que, parallèlement, les juges de proximité seraient rattachés au tribunal de grande instance.

Quelles conséquences pratiques cela a-t-il, et plus précisément en matière civile ?

Les juges de proximité peuvent être appelés à siéger au sein de la formation collégiale du tribunal de grande instance. Ils peuvent être appelés également à statuer sur requête en injonction de payer, sachant que la limite actuelle de 4 000 euros qui sert aujourd’hui à déterminer la compétence du juge de proximité est supprimée. Cette disposition libère par conséquent le tribunal d’instance, auquel cette compétence est aujourd’hui attribuée au-delà de 4 000 euros, du traitement de ce contentieux.

Les juges de proximité peuvent procéder aussi à certaines mesures d’instruction consistant à se transporter sur les lieux à l’occasion des vérifications personnelles du juge, à entendre les parties à l’occasion de leur comparution personnelle et à entendre les témoins à l’occasion d’une enquête. Dans le même temps, le tribunal d’instance verra rétablie sa compétence sur les litiges civils de moins de 4 000 euros. Et le tribunal de police redeviendra compétent pour connaître des contraventions ; mais, lorsqu’il connaîtra des contraventions des quatre premières classes, il sera alors constitué par un juge de proximité et à défaut par un juge du tribunal d’instance.

Cette rétrocession indirecte au juge de proximité du contentieux pénal qui lui est actuellement soumis, neutralise en cette matière l’effet de la suppression de la juridiction de proximité.

Tel n’est en revanche pas le cas pour le contentieux civil, qui se trouve transféré dans sa totalité, à l’exclusion des injonctions de payer, aux tribunaux d’instance. Or les juridictions d’instance ne paraissent pas en mesure d’absorber le contentieux ainsi réattribué. C’est la raison majeure qui justifie le report au 1er janvier 2015.

Ce délai supplémentaire doit permettre aux tribunaux d’instance de s’adapter à cette nouvelle charge de travail et à la redéfinition de leurs missions, en lien avec les juges de proximité.

Ainsi, le groupe UMP votera pour ce texte, devant le constat indéniable que ni les conditions pratiques, ni les conditions réglementaires de mise en œuvre de la réforme ne sont réunies à ce jour. S’opposer à cette proposition de loi reviendrait à nier les défis quotidiens auxquels sont déjà confrontés les greffiers, les magistrats et les fonctionnaires des tribunaux d’instance, et notre justice, dans son ensemble.

Je conclurai en disant – et je sais que mon collègue Yves Nicolin pense la même chose – qu’il sera indispensable de mettre à profit le délai ouvert par ce texte pour conduire une réflexion d’ensemble sur la justice de proximité et la justice de première instance, au risque de ne pas pouvoir faire face à la situation dans deux ans. Nous avons donc le devoir d’approfondir notre réflexion sur cette question, devenue centrale pour le quotidien de nos compatriotes et j’espère qu’en dépit de l’absence de Mme la garde des sceaux ce soir, le Gouvernement saura répondre, dans les prochains mois, aux défis d’une justice de proximité efficace dans l’intérêt des justiciables et du bon fonctionnement de la justice.

M. Yves Nicolin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, le texte qui nous est soumis est simple. Chacun dans cette enceinte l’aura compris, il s’agit de reporter de deux ans la suppression des juridictions de proximité qui devaient voir leurs jours s’éteindre au 1er janvier prochain.

Le rapporteur de la commission des lois, notre excellent collègue Jean-Yves Le Bouillonnec en est d’accord, de même que la commission des lois et le Sénat. L’affaire semble donc entendue.

Avec Jean-Yves Le Bouillonnec, nous avons auditionné de nombreuses personnalités. Lors de l’examen des crédits de la mission « Justice » pour 2013, nous avons pu constater que les tribunaux d’instance sont hors d’état d’absorber la charge induite par la suppression au 1er janvier 2013 des juridictions de proximité

Les syndicats, les magistrats, les greffiers, les fonctionnaires nous ont tous fait passer le même message : le budget voté par le Parlement sur proposition du Gouvernement est le seul qui, depuis des années, tente de redresser la barre et d’améliorer la situation des tribunaux de proximité, des tribunaux d’instance et de grande instance. Cependant, ce budget ne permet pas de redresser, à lui seul, une situation fortement dégradée depuis des années. Cette situation se traduit, en dépit du dévouement des magistrats et des personnels de toutes catégories, par des durées moyennes de traitement des affaires quelquefois peu compatibles avec une bonne administration de la justice. Cette situation provoque par ailleurs un fort mal-être parmi les personnels de la justice de proximité et de l’instance. Il faut donc procéder à ce report.

Encore faut-il bien comprendre ce qui nous conduit à repousser de deux ans la suppression des juridictions de proximité – et non des juges de proximité, rappelons-le, dont la compétence et le travail ne sont pas mis en cause.

Nul ne l’ignore, la justice du quotidien a été ébranlée par la réforme brutale de la carte judiciaire. Tout le monde l’a rappelé, 178 tribunaux d’instance ont été supprimés. Mais je dois à l’honnêteté de dire que sept tribunaux ont été créés dont l’un dans ma ville de Flers ; il n’aurait pas été convenable de ne pas le mentionner…

C’est dire l’ampleur de la saignée. Dans le même temps, 7 % des postes de magistrats et 9 % des postes de fonctionnaires ont disparu. Paradoxalement, mais sans doute à juste titre, la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs a pour conséquence de faire aujourd’hui obligation aux tribunaux d’instance d’avoir, d’ici à un an, achevé la révision d’un stock de 700 000 mesures de protection. Dans le même temps, les tribunaux d’instance doivent absorber le contentieux du surendettement, à tout le moins pour les deux tiers d’entre eux qui n’exerçaient pas cette compétence par délégation du tribunal de grande instance.

La charge est considérable. Tout cela peut paraître technique et juridique ; mais derrière, il y a des femmes, des hommes, des familles qui s’inquiètent pour leurs proches qui font l’objet d’une mesure de placement ou pour un dossier de surendettement qui ne pourrait pas être traité dans le délai d’un an, au risque de voir reprendre les procédures d’exécution.

Repousser la mise en œuvre d’une mesure législative au motif que son impact a été mal calibré est toujours le signe d’une législation mal évaluée. Il n’en reste pas moins vrai que cette mesure est aujourd’hui totalement nécessaire.

Je souhaite que nous mettions à profit ce délai de deux ans dont nous allons disposer pour réorganiser la justice du quotidien afin de la rendre lisible, compréhensible et accessible. Je sais que Mme la garde des sceaux est très sensible à la nécessité de rapprocher la justice des citoyens. Il nous faudra pour ce faire redéfinir le périmètre de compétence des tribunaux d’instance et de grande instance.

L’idée de la création de tribunaux de première instance est certainement à creuser. On voit bien qu’elle n’est pas mûre aujourd’hui. Tout cela doit évidemment se faire dans la concertation. La Chancellerie m’assure que des groupes de travail sont actuellement mis en place sur ce point. L’idée à privilégier, Alain Tourret le disait, c’est la préservation des tribunaux d’instance comme lieu de premier recours, d’orientation, de guichet unique, d’institutionnalisation des audiences foraines. Mais, de grâce, faisons simple : évitons autant que faire se peut les seuils et les compétences croisées. C’est un jeu que les juristes affectionnent, mais un vrai dédale pour le citoyen.

La justice d’instance et de grande instance, c’est l’interface entre le pays et le monde judiciaire. Mettons à profit ces deux années pour conduire une réforme permettant à chacun de trouver son juge dans des conditions de proximité, de clarté et de délai raisonnable : nous aurons fait œuvre utile.

M. Alain Tourret. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il revient à présent à notre assemblée de se prononcer sur une proposition de loi qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas particulièrement bavarde, puisqu’elle ne comporte qu’un article unique.

Cela posé, faut-il se réjouir de la concision du texte dont il nous faut débattre ? Pas vraiment, dans la mesure où l’histoire de cet article unique est en quelque sorte l’exemple même d’une histoire que l’on aimerait mieux ne pas avoir à raconter… Mais peut-être me faut-il alors, pour vous en convaincre, procéder à un rapide retour en arrière.

À l’origine de cet article unique de la proposition de loi que nous avons à considérer, il y a une politique : celle du gouvernement Raffarin qui, après avoir fait le constat que les tribunaux d’instance ne s’en sortent plus, entend décharger ces derniers d’une partie de leur contentieux, mais aussi faire en sorte que la justice soit désormais plus accessible et plus compréhensible aux citoyens. Bref, une sorte de bonne volonté.

Seulement, si les intentions sont bonnes, les solutions retenues pour atteindre le double objectif d’absorption du contentieux et d’intelligibilité de la justice, elles, le sont beaucoup moins.

En effet, que fait la droite, en 2002, une fois le diagnostic rendu ? Elle crée, le 9 septembre 2002, ce que la doctrine qualifiera rapidement de « monstre juridique », à savoir une juridiction de proximité, sans réflexion d’ensemble, sans exigence de formation et sans véritable cohérence.

La gauche l’a dit à l’époque : plutôt que d’instituer un nouvel ordre de juridiction, ce qui n’a pas manqué, comme elle l’avait prévu, de compliquer considérablement l’organisation judiciaire en matière civile, conduisant à des situations que plusieurs auteurs ont pu qualifier d’ubuesques ou de kafkaïennes, il eût été plus simple, et surtout plus efficace, que les pouvoirs publics consentent un effort de recrutement de nouveaux magistrats d’instance. Autrement dit, la solution retenue était discutable, parce qu’elle était une réponse compliquée à une question qui l’était beaucoup moins.

Cela, la gauche a bien tenté de le faire valoir ; mais la droite n’a rien voulu savoir. Elle aurait pourtant été bien inspirée d’écouter ceux qui lui disaient qu’elle se fourvoyait. Cela lui aurait évité, neuf années plus, tard de supprimer ces juridictions de proximité, et sans prendre la mesure du désordre juridique qu’elle s’apprêtait encore à créer. Car c’est bien cela que la droite nous a laissé en supprimant en 2011, sans états d’âme et sans bon sens, ce dont elle avait accouché au forceps en 2002.

Même si, à gauche, nous n’étions pas convaincus de la nécessité d’instituer la justice de proximité conçue par la droite, il faut tout de même reconnaître que cette dernière, mise en place sans réflexion de fond, remplit son office tant bien que mal, et permet aux juges des tribunaux d’instance de « respirer ». Il n’était donc pas bienvenu de la rayer de la carte à compter du 1er janvier prochain, même en maintenant des juges de proximité en nombre réduit. Cela d’autant moins que ce que la droite a présenté comme une réforme aurait nécessité la création, non prévue, de soixante emplois de juges d’instance pour absorber la charge de travail aujourd’hui assumée par les juges de proximité, ce qui présentement n’est à l’évidence pas envisageable.

Supprimer de la sorte les juridictions de proximité, c’est-à-dire sans jeter les bases d’une meilleure organisation de la justice capable de prendre le relais, relevait – permettez-moi de l’exprimer ainsi – de l’inconscience. Comme a été inconsciente et tellement dévastatrice la réforme de la carte judiciaire qui a sinistré les territoires, désespéré les magistrats et esseulé les justiciables depuis lors orphelins d’une justice à leur service.

Le report s’imposait donc. Cela étant, reporter l’échéance de deux ans suffit-il ? C’est une évidence : retarder la minuterie de la bombe ne garantit nullement que celle-ci n’explosera pas, causant les irrémédiables dommages auxquels l’on peut s’attendre.

Une chose est sûre toutefois : le temps gagné grâce à l’adoption de cette proposition de loi est indispensable. Nous pourrons ainsi réfléchir activement et sérieusement à l’amélioration de la justice de proximité avec Mme la garde des sceaux et, par voie de conséquence, faire de la justice, comme le souhaite François Hollande, une priorité au service des citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je voudrais vous remercier pour la qualité de notre débat, en saluant tout particulièrement le travail de notre rapporteur. Chacun s’est attaché à examiner la situation avec beaucoup d’objectivité. Mis à part l’inutile observation, malheureusement habituelle, sur l’absence de Mme la garde des sceaux…

M. Patrice Verchère. C’est l’absence de Mme la garde des sceaux qui est habituelle ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. C’est votre observation qui est habituelle, et je ne pense d’ailleurs pas être particulièrement disqualifié pour représenter le Gouvernement ce soir, ayant été pendant dix ans vice-président de la commission des lois. Mais lorsque l’on n’a rien à dire et que l’on se voit obligé de contribuer à la destruction de sa propre œuvre, on vit, je m’en doute, un moment difficile ; et de ce point de vue, il vous sera beaucoup pardonné pour ces paroles d’égarement. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yves Nicolin. Ce n’est pas très honorable de votre part !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Des questions plus intéressantes ont été soulevées sur de l’avenir des juridictions, et particulièrement de la proximité.

Il apparaît qu’il y a un discours commun à tous les élus, quels que soient leurs engagements, qui révèle une véritable connaissance de ce que sont les besoins de nos concitoyens en matière de justice. Comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, il existe une forme de rupture entre les généralités sur le fonctionnement de la justice et les questions que posent les « vrais gens », que nous rencontrons dans nos permanences. Ce ne sont pas les dernières modifications de la procédure pénale qui les préoccupent : c’est leur dossier de surendettement qui n’est toujours pas traité et le risque de voir leurs biens ou leur maison saisis, ce qui constituerait pour eux un drame immense. C’est de leur procès aux prud’hommes qu’ils viennent nous parler ; et à cet égard, s’il y a bien une chose inacceptable dans le fonctionnement actuel de la justice, ce sont les délais de jugement dans la justice du travail. Vous me permettrez, pour avoir consacré à ces questions à peu près autant de temps qu’Alain Tourret et pendant autant d’années, de souligner à quel point la situation est devenue impossible – je ne parle pas toutefois pas de ma région où les choses sont à peu près acceptables. Je reçois des lettres, je rencontre des gens qui m’expliquent qu’il leur a fallu deux à trois ans pour obtenir une décision de départition ou une décision de la chambre sociale. Il y a également toutes ces affaires de tutelle, que nombre d’entre vous ont évoquées.

Ce sont à toutes ces questions que renvoient les juridictions de proximité. Bref, la vraie justice pour les vrais gens trouve sa réponse dans la proximité. Et c’est tout à l’honneur de la représentation nationale d’avoir tenu un même discours sur ce sujet.

Je veux maintenant répondre aux divers intervenants sur les engagements pris par Mme la garde des sceaux, qui a mis en place autour de la direction des services judiciaires un groupe de travail chargé de réfléchir à l’évolution de l’organisation judiciaire de proximité, au travers notamment du tribunal de première instance. Les conclusions de ce groupe sont attendues pour juin 2013. Il s’agira d’améliorer fortement le service public de la justice pour permettre aux justiciables de disposer de toutes les offres juridictionnelles à partir de n’importe quel site judiciaire de leur département. Les élus locaux seront bien sûr associés à cette réflexion avant même le débat parlementaire.

Les communes ayant perdu une juridiction du fait de la réforme de 2008 bénéficieront d’une attention toute particulière, au regard de l’impact de la réforme judiciaire sur les bassins économiques et sociologiques. Mme la garde des sceaux se montrera spécialement attachée à la présence du service public de la justice sur tout le territoire et veillera à ce que l’impact de la réforme de 2008 soit des plus limités.

M. Tourret a évoqué des perspectives de réforme, en proposant notamment que les attributions des affaires familiales aillent aux juges d’instance. En fait, cela rejoint exactement, même si votre approche est plus nuancée, la réflexion de Mme la garde des sceaux à travers la création du tribunal de première instance, au plus près de nos concitoyens. J’aurais dû ajouter cette dimension à l’énumération des domaines pris en charge par la justice au quotidien que j’évoquais tout à l’heure. Le groupe de travail prendra bien évidemment cette piste en compte.

Colette Capdevielle a soulevé le problème très préoccupant, sur le plan juridique comme sur le plan humain, des tutelles et de leur avenir. Ayant été le responsable au sein du groupe socialiste de ces questions, je sais qu’on ne parle pas assez de ces questions qui concernent pourtant des centaines de milliers de personnes et qui, par définition, en concernera de plus en plus. La protection des plus faibles : quelle plus belle mission pour la justice que de protéger ceux qui ne sont plus en mesure de se protéger eux-mêmes ! C’est tout l’enjeu de la législation relative aux tutelles, mais aussi des moyens mis à la disposition de ceux qui ont à l’appliquer.

La loi du 5 mars 2007 posant l’exigence d’une révision des mesures de protection a déjà fait l’objet d’un premier report de deux ans dans le cadre de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit. Les 305 tribunaux d’instance devront faire face avant le 1er janvier 2014 à un réexamen systématique des 731 671 mesures de protection – ce qui signifie qu’autant de personnes au moins sont concernées. Mme la garde des sceaux est bien consciente des efforts des tribunaux d’instance ainsi que des choix que certains ont dû faire pour privilégier tel ou tel contentieux au détriment des autres pour tenter d’être à jour dans ce réexamen des mesures ; cependant, nous respectons trop le travail du Parlement pour annoncer plus d’un an avant l’échéance de ces renouvellements qu’il faudrait recourir à un nouveau report. D’après l’évaluation effectuée par les services de la Chancellerie, nous devrions parvenir au 31 décembre 2012 à un renouvellement de près de 75 % des mesures. Mais il est évident qu’il ne faudra prendre aucun risque juridique : ce pourcentage est une moyenne nationale et il recouvre des situations fort diverses. Un bilan portant sur le dispositif de protection des majeurs doit être effectué. La garde des Sceaux s’est engagée à le mener.

Pour finir, je renouvelle mes remerciements à l’ensemble des orateurs, au rapporteur en particulier, pour avoir participé à ce travail qui honore la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Article unique

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.

La parole est à M. Jean-Jacques Cottel, inscrit sur l’article.

M. Jean-Jacques Cottel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, permettez-moi d’intervenir quelques instants sur cet article unique, en tant que membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il semble primordial de donner un délai supplémentaire pour l’entrée en vigueur de la loi sur les juridictions de proximité et de se donner le temps d’ici à 2015 de réparer les conséquences néfastes pour nos territoires de la réforme de la carte judiciaire voulue par la précédente majorité. Il n’est pas besoin de rappeler qu’à l’époque, l’argument de la modernisation avait été employé pour enjoliver cette réforme. Force a été de constater par la suite que, de suppression en suppression, l’éloignement de l’institution judiciaire des justiciables s’est davantage apparentée à une régression et que la confiance qu’elle était à même d’inspirer auprès de nos concitoyens s’est dégradée.

Or les dégâts peuvent apparaître comme irréversibles et j’attire donc votre attention sur la question primordiale de l’organisation territoriale de la justice car son accessibilité par tous et pour tous est un principe intangible de libertés et de quiétude civiles.

Tels sont les enjeux de l’aménagement du territoire. Il n’est pas acceptable que nos concitoyens, pour cause d’éloignement – faute de transports ou par manque de moyens –, ne puissent se défendre convenablement, voire ne prennent plus la peine de saisir la justice. Triompheraient dès lors les injustices et les remords.

Je ne peux donc que me réjouir de la création, parallèlement budgétée, de postes de magistrats supplémentaires d’ici à 2015. Mais il faut surtout faire en sorte que notre justice retrouve les moyens de sa présence sur l’ensemble du territoire, quitte à faire preuve d’audace dans les solutions à trouver.

En bref, il faut stopper la logique de désertification judiciaire et engager tout ce qui permet de renouer avec la proximité et la conciliation en amont. Dans ces conditions, nous ne pouvons qu’accompagner Mme la garde des sceaux dans sa démarche de remise à plat de l’institution judiciaire, à l’aune de la solidarité territoriale.

Mme la présidente. Je ne suis saisie d’aucune demande d’explication de vote.

Je vais mettre aux voix l’article unique de la proposition de loi.

(L’article unique est adopté à l’unanimité.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)