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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 22 novembre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Reconnaissance du vote blanc

Présentation

M. François Sauvadet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. Sergio Coronado

M. Alain Tourret

M. Marc Dolez

M. Pierre-Yves Le Borgn’

M. Lionel Tardy

M. Yves Jégo

Mme Marietta Karamanli

M. Guy Geoffroy

M. Gilbert Collard

M. Pascal Popelin

M. Dino Cinieri

M. Jean-Luc Drapeau

M. Guillaume Bachelay

M. François Sauvadet, rapporteur

M. Alain Vidalies, ministre délégué

Discussion des articles

Article 1er

Amendements nos 4, 2, 3, 1, 7 rectifié

Après l’article 1er

Amendement no 5

Articles 2 à 4

Vote sur l’ensemble

2. Fixation des tarifs réglementés du gaz naturel

Présentation

M. Franck Reynier, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques

Discussion générale

M. Jean-Louis Borloo

Mme Michèle Bonneton

Mme Jeanine Dubié

M. André Chassaigne

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin,
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Reconnaissance du vote blanc

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. François Sauvadet, visant à reconnaître le vote blanc aux élections (nos 107, 400).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. François Sauvadet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. François Sauvadet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la reconnaissance du vote blanc n'est pas une question nouvelle, loin s'en faut. Elle est régulièrement évoquée par plusieurs associations et de nombreux citoyens, qui souhaiteraient bénéficier d'une reconnaissance de leur expression civique. Chacun d'entre nous, dans sa circonscription, est d'ailleurs régulièrement saisi de questions d'électeurs s'étonnant que leur bulletin blanc ne soit pas distingué des votes nuls.

Vous conviendrez, mes chers collègues, qu'il est tout de même troublant, au XXIe siècle, à l'heure où l'on scrute de plus en plus finement l'état de l'opinion et les comportements électoraux, que nous ne puissions pas connaître l'ampleur exacte du phénomène du vote blanc aujourd’hui assimilé au vote nul.

J'ai donc regretté que M. Lionel Jospin, qui a récemment remis un rapport sur la rénovation de la vie publique, fasse l'impasse sur cette question qui nous tient particulièrement à cœur, au groupe UDI, comme, j’imagine, à l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée.

Pourquoi cette question nous tient-elle à cœur ? Parce que cette reconnaissance participe du « renouveau démocratique », pour reprendre le titre du rapport de M. Lionel Jospin. Il s’agit simplement de donner à tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'offre politique la possibilité d’être reconnus et de voir leur vote identifié.

Une telle demande est d’ailleurs largement plébiscitée par nos concitoyens. Il y a une semaine, au moment même où nous examinions la proposition de loi en commission, le Nouvel Observateur, pour ne pas le citer, publiait un sondage indiquant que pas moins de 69 % des Français estiment qu'il est nécessaire de reconnaître enfin le vote blanc aux élections.

Cette question qui n’est pas nouvelle a trouvé un écho au sein de nos assemblées parlementaires puisque, législature après législatures, de nombreux députés issus de divers groupes politiques ont déposé des propositions de loi visant à reconnaître le vote blanc. En février 2012, avant de présider la commission des lois, M. Jean-Jacques Urvoas avait d’ailleurs lui même déposé une proposition de loi en ce sens.

En 2003, l’une de ces propositions de loi, celle de Jean-Pierre Abelin, a été adoptée par l'Assemblée nationale, mais elle n'a jamais terminé sa navette. J'en étais l'un des signataires. Il s'agissait d'une proposition de loi défendue par le groupe UDF. Dès cette époque, j'avais regretté que cette proposition de loi ait été modifiée par rapport à son contenu initial, puisqu'elle s'en était tenue à un décompte séparé des votes blancs, sans les inclure dans les suffrages exprimés.

C’est précisément sur cette question que se sont à nouveau cristallisées nos discussions en commission qui ont abouti au rejet de la proposition de loi telle que je l’ai présenté au nom de mon groupe. Le texte que je vous ai proposé est clair : il prévoit une reconnaissance du vote blanc, qui est distingué du vote nul, et sa comptabilisation dans les suffrages exprimés. La reconnaissance du vote blanc est donc aussi juridique.

J’ai bien entendu les réticences des uns et des autres quant aux conséquences politiques et juridiques d’une telle comptabilisation.

Prendre en compte les bulletins blancs comme suffrages exprimés pour les référendums aurait un sens. Aller voter blanc, c’est s’exprimer pour dire que la question telle qu’elle est posée ne paraît pas opportune. Monsieur le président de la commission, je sais que vous ne partagez pas mon avis, puisque vous considérez que l'addition des votes blancs et des votes « non » suffirait à donner une réponse négative à la question posée, alors même que les « non » n'auraient pas obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. Cet argument me paraît valide. Je peux l’entendre.

Pour les élections, l'intégration des votes blancs dans les suffrages exprimés n'aurait à mon avis pas de conséquence déterminante lorsque le scrutin a lieu à la représentation proportionnelle. Tout au plus faudrait-il s’intéresser aux seuils qui conditionnent l'accès à la répartition des sièges ou la possibilité de fusionner des listes entre deux tours, notamment aux élections régionales.

Il est vrai que c’est surtout pour les élections au scrutin majoritaire que la prise en compte des votes blancs aurait des conséquences. Il est incontestable que cela changera la donne au premier tour du fait de la nécessité de réunir la majorité absolue des suffrages exprimés pour être élu. Au second tour, qui se décide à la majorité relative, certains des constitutionnalistes que j’ai rencontrés avancent que les votes blancs pourraient être plus nombreux que les votes en faveur du candidat le mieux placé. Très franchement, je ne vois pas bien quelle en serait la conséquence, et l’argument est assez irréaliste. En tant que rapporteur, je me fais toutefois un devoir de vous en faire part, puisqu’il a été évoqué.

En tout cas, une chose est sûre, reconnaître le vote blanc comme un suffrage exprimé participerait de cette reconnaissance d'un choix démocratique, d'un choix politique. Vous pourrez constater à la lecture de mon rapport qu’il s’agit d’un véritable choix politique exprimé par nos compatriotes, que l’on observe notamment dans les seconds tours. Lorsque l'offre politique se réduit, les blancs et les nuls augmentent.

La seule réelle difficulté juridique se pose pour l'élection présidentielle, puisque l’article 7 de la Constitution dispose : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. » En intégrant les votes blancs aux suffrages exprimés, il serait possible qu'un candidat arrivé en tête au second tour ne dispose pas de cette majorité absolue.

Cette situation peut correspondre à une réalité, elle aurait pu se produire lors des élections passées. Il aurait d’ailleurs été particulièrement intéressant de disposer d'un décompte précis des votes blancs pour la dernière élection présidentielle. Je vous rappelle mes chers collègues, que le Président de la République élu en 2012 – mais il n'est pas le seul dans ce cas, je l’ai bien noté, monsieur Urvoas –, n’a pas réuni la majorité absolue des votants compte tenu des votes blancs : 48,6 % des citoyens ayant déposé un bulletin dans l'urne ont choisi M. François Hollande, qui a cependant obtenu 51,6 % des suffrages exprimés.

Au second tour de l’élection présidentielle de 2012, les bulletins blancs et nuls ont représenté 5,8 % des votants. Il faut remonter à l'élection de 1969 – le choix entre « bonnet blanc » et « blanc bonnet » – pour trouver un chiffre supérieur, soit 6,4 % des votants. De fait, plus de 2,1 millions de citoyens ont voté blanc ou nul au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2012. Cela constitue le record pour toutes les votations intervenues depuis 1958.

Seule une révision constitutionnelle pourrait permettre de surmonter l’obstacle que je viens d’évoquer. S’il y avait une véritable volonté politique, nous pourrions y parvenir, puisque certaines dispositions du rapport Jospin, qui devront pour être mises en œuvre donner lieu à une révision constitutionnelle, offriront au Parlement l'occasion de se saisir de cette question.

Mais, mes chers collègues, l'enjeu est clair, je vais l'exprimer très simplement : j’ai bien compris à l’issue de nos débats en commission que, si le vote blanc était comptabilisé dans les suffrages exprimés, la proposition de loi ne serait pas adoptée par la majorité de cette assemblée.

M. Michel Issindou et M. Pascal Popelin. Vous avez bien compris !

M. François Sauvadet, rapporteur. J’ai également bien compris que si le vote blanc est comptabilisé distinctement des nuls, hors suffrages exprimés, un consensus pourrait se dégager entre nous.

M. Michel Issindou. c’est exact !

M. François Sauvadet, rapporteur. Après avoir évoqué cette question avec mes collègues du groupe UDI, nous avons décidé d'avancer.

M. Philippe Vigier. Quelle habileté !

M. Alain Tourret. Une nouvelle majorité se dessine ! (Sourires.)

M. François Sauvadet, rapporteur. J’entends bien les associations qui voudraient que nous renoncions au motif que ne pas comptabiliser les votes blancs avec les suffrages exprimés reviendrait à enterrer le sujet. Franchement, il faut savoir ce qu’on veut ! Pour notre part, nous le savons. Nous souhaitons avancer aujourd'hui pour qu'au moins on distingue le vote blanc des votes nuls et qu'on annexe ce résultat aux procès-verbaux des élections afin que nul n’en ignore. C’est une avancée.

M. Michel Issindou. C’est un premier pas !

M. Philippe Vigier. Procédons étape par étape !

M. François Sauvadet, rapporteur. Cette situation mettra d'ailleurs un terme à une anomalie juridique.

M. Philippe Vigier. C’est vrai !

M. François Sauvadet, rapporteur. Dans les bureaux de vote dotés d'une machine à voter, le président, à la fin des opérations de vote, rend visibles les compteurs totalisant les votes blancs. Il y a donc un traitement différent de celui de l'électeur qui a voté dans son isoloir traditionnel et n’aura jamais connaissance du pourcentage des votes blancs, assimilés aux votes nuls.

En conclusion, en plein accord avec mon groupe, j'ai donc déposé un amendement visant à ne pas comptabiliser les votes blancs, qui seront toutefois distingués des votes nuls, dans les suffrages exprimés.

M. Michel Issindou. C’est une solution d’apaisement !

M. François Sauvadet, rapporteur. Le groupe socialiste a déposé un amendement similaire, ce qui montre bien que nous avons la volonté d’avancer. C'est d'ailleurs la position défendue par certains des constitutionnalistes que j'ai rencontrés dans le cadre de mes travaux, notamment celle de M. Guy Carcassonne.

Nous avons pris cette décision parce que nous pensons que voter blanc, ce n'est pas comme voter nul. Il nous faut avoir l'humilité d’admettre qu'un citoyen peut ne pas se reconnaître dans l'offre politique qui lui est proposée. Le vote blanc est un acte politique et citoyen.

Je vous propose donc d'opérer une distinction claire entre le vote nul, parce qu'irrégulier, et le vote blanc, expression de la volonté politique du citoyen. Cela permettra d’éviter à certains électeurs de se réfugier soit dans l’abstention – est-il utile d’aller voter blanc si ce vote n’est pas reconnu ? –, soit dans un vote extrême pour exprimer un mécontentement durable ou passager. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Philippe Vigier. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, la reconnaissance du vote blanc dans la pratique du suffrage universel est une vraie question.

Elle est significative de l’importance que l'on accorde aux élections dans une démocratie représentative.

Cette revendication de la reconnaissance du vote blanc est ancienne mais, curieusement, elle n'a jamais été satisfaite.

M. François Rochebloine. C’est le moment !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Elle est portée par un certain nombre d'associations et de collectifs de citoyens.

Plus étonnant encore, cette reconnaissance n'a jamais fait l'objet d'un débat parlementaire approfondi avant 2003, alors même que de nombreuses propositions de loi sur ce thème sont régulièrement déposées par des députés et des sénateurs appartenant à tous les groupes politiques. Songez que les premières remontent à 1880 !

M. Michel Issindou. Il était temps de s’occuper de la question !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ce débat républicain est très ancien, comme le sait parfaitement le président Urvoas. Il puise son origine dans les tréfonds de la IIIe République. Le vote blanc a une valeur contestataire et sa croissance inquiète. Il heurte la conception traditionnelle du suffrage selon laquelle des élections doivent permettre de sélectionner les responsables publics. Mais cette conception est parfois réductrice : dans une démocratie, le droit de vote doit également permettre aux citoyens d'exprimer leurs opinions.

Dans ce contexte, la problématique et l'alternative peuvent être formulées en termes simples : vaut-il mieux reconnaître le vote blanc comme une forme d'exutoire civique et élargir ainsi l'offre politique ou bien encourager une expression protestataire nettement plus périlleuse pour notre démocratie représentative ?

Je voudrais rappeler à titre liminaire qu'en dépit des nombreuses critiques sur ce qui est souvent considéré comme une anomalie de la démocratie, la France est loin d'être le seul pays…

M. François Rochebloine. Ce n’est pas une raison !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …à ne pas admettre le vote blanc, même si une majorité de l'opinion y semble désormais favorable selon un sondage.

En Europe, seuls trois pays reconnaissent ce bulletin vierge. La Suisse comptabilise les bulletins blancs aux premiers tours des élections au scrutin majoritaire. Ce n'est pas le cas lors des seconds tours, où la majorité relative est appliquée. L’Espagne, si elle considère le vote blanc comme valide à tous les scrutins, refuse que ceux-ci soient traduits en sièges, alors même que toutes les élections de représentants se font à la proportionnelle. La Suède ne reconnaît le vote blanc que dans certaines élections, notamment les référendums.

Une réforme de notre droit électoral permettrait de reconnaître les électeurs dans leur diversité et de mieux prendre en compte l’expression de leur volonté. Le recensement du vote blanc constituerait un indicateur d’insatisfaction utile pour les partis politiques, un aiguillon pour les appeler à se transformer et, en tout état de cause, à prendre conscience de l’insatisfaction des électeurs par rapport à l’offre politique. Il améliorerait donc la relation entre le pouvoir et la population et pourrait – je partage l’avis du rapporteur sur ce point – éviter les votes extrémistes de protestation.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Certains parlementaires, engagés de longue date sur ce sujet – je pense à Bernard Roman – ont pu un moment estimer qu’il serait peut-être utile, pour accompagner cette réforme, de rendre obligatoire la participation des citoyens aux scrutins et d’envisager d’autres mesures incitatives de cet ordre. S’il est exact qu’une telle obligation n’est pas complètement étrangère à la tradition française, comme le montre l’exemple du scrutin pour l’élection des sénateurs, force est de constater que, dans les pays où le vote est obligatoire, les résultats ne sont pas si convaincants.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas véritablement de lien entre le caractère obligatoire du vote et une meilleure participation. On a beau condamner les citoyens au paiement d’amendes, les situations varient considérablement d’un pays à un autre, et il reste toujours un taux quasi incompressible d’abstention qui oscille, selon les cas et les scrutins, entre 5 % et 15 % des inscrits.

La proposition de loi débattue aujourd’hui vise donc à organiser la reconnaissance du vote blanc aux élections. Monsieur le rapporteur Sauvadet, vous mettez en avant le fait qu’« il est essentiel que le vote de celui qui se déplace au bureau de vote pour accomplir son devoir de citoyen soit pris en compte ». Vous souhaitez qu’une différence claire soit établie entre le vote blanc et le vote nul et, de manière évidente, entre le vote blanc et l’abstention, ces deux derniers cas de figure impliquant un engagement d’un degré divers et une signification différente.

En effet, contrairement à celui qui s’abstient, le citoyen déposant un bulletin blanc dans l’urne accomplit son devoir électoral. Il participe à l’élection. En cela, le vote blanc doit être considéré comme différent, voire contraire à l’abstention. Il pourrait même être vu comme un facteur d’encouragement à la participation.

M. François Rochebloine. Eh oui !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Si le Gouvernement se félicite que le débat parlementaire puisse avoir lieu, il convient toutefois de ne pas attendre un effet magique de cette possible reconnaissance du vote blanc, pour reprendre les mots de M. Pascal Popelin. En effet, le vote de cette disposition ne résoudrait pas à lui seul la question préoccupante de l’abstention.

M. François Rochebloine. C’est une avancée !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Qui peut en effet se satisfaire d’une abstention supérieure à 40% aux dernières élections législatives ?

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Absolument !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. L’abstention est, pour nous tous, le symptôme préoccupant d’une crise de sens, d’une perte de repères et de confiance dans les pouvoirs d’action du politique, notamment dans le contexte d’une situation économique dégradée. Ensemble, élus comme Gouvernement, toutes sensibilités confondues, prenons la mesure du chantier qui nous attend pour faire vivre la participation citoyenne aux élections.

Le ministre de l’intérieur aura d’ailleurs l’occasion de porter ce débat lors de la présentation de prochains projets de loi relatifs aux modes de scrutin tant locaux que nationaux. Bien sûr, on ne peut totalement se satisfaire de la présence du vote blanc, qui marque, quoi qu’il en soit, une insatisfaction par rapport à l’offre électorale proposée – ce qui, reconnaissons-le, relève de notre responsabilité collective. Cependant, sa comptabilisation en dehors des votes nuls va dans la bonne direction.

Un point sépare tout de même l’appréciation du Gouvernement et celle de l’auteur de la proposition de loi : la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé. Une telle disposition aurait des conséquences que le Gouvernement ne peut accepter et que je veux rappeler. Tout d’abord, je tiens à formuler une interrogation plus générale sur l’interprétation à donner au vote blanc. S’il était considéré comme un suffrage exprimé, la question de sa signification resterait néanmoins entière. Est-ce un vote contestataire ? Marque-t-il simplement une indécision, ou un vrai refus du choix politique proposé ? Sommes-nous plutôt dans une critique de la simple insuffisance de l’offre politique, notamment au second tour ? Comme on le voit, on touche ici aux limites de cette voie d’expression. Oui, il y a participation au suffrage mais, par définition, ce n’est pas une expression claire et définie. On aboutirait finalement à l’affaiblissement du candidat ou de la liste élue, c’est-à-dire à un effet absolument inverse de votre souhait de renforcer la légitimité du vote.

Monsieur le rapporteur, vous avez souligné à juste titre que le vote blanc et l’abstention ne se confondent pas, même s’ils se superposent parfois. Les travaux de sciences politiques révèlent l’imbrication de ces phénomènes. Sans être trop réducteur, on peut dire que, telles qu’elles ressortent de certaines études, l’indifférence et la contestation du système politique français motivent pour l’essentiel l’expression du vote blanc. Par ailleurs, le vote blanc et nul, longtemps compris entre 1 % et 2 % des inscrits, a tendance à augmenter dans des proportions importantes depuis la fin des années 1980, puisqu’il oscille désormais entre 4,4 % et 6,5 %, selon la nature des scrutins nationaux. Ce phénomène nouveau est analysé par les spécialistes comme une « abstention participative » ou une « abstention civique ».

Dans les faits, le vote blanc et nul peut s’expliquer par le refus de choisir, comme cela a été le cas dans le cadre des scrutins présidentiels de 1969, 1995 et 2002, où il y a eu des appels au vote blanc ou nul. Par ailleurs, les zones géographiques de forte abstention ne sont pas nécessairement celles où la proportion de bulletins blancs et nuls est élevée. Il semble bien que ce type de vote serve parfois de substitut à une expression protestataire.

Rien ne permet pour autant de conclure à un phénomène mécanique qui pourrait être jugulé de façon automatique et significative par une simple reconnaissance du vote blanc, ce qu’il me paraît sage de rappeler.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le vote blanc n’est pas uniquement l’expression de gens indécis, indifférents ou sans opinion. Il n’est pas non plus confondu avec les erreurs matérielles, volontaires ou involontaires, qui caractérisent le vote nul. Le message formulé par des concitoyens qui se sont déplacés pour accomplir leur devoir électoral ne peut être considéré comme négligeable – c’est le sens de votre démarche.

Outre la question du « sens civique » à donner au vote blanc ou nul, il convient d’évoquer les implications juridiques et politiques induites par la rédaction initiale de cette proposition de loi, qui paraissent sérieuses. Tout d’abord, une difficulté juridique incontestable doit être soulevée concernant l’élection présidentielle, puisque l’article 7 de la Constitution dispose que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Si cette condition n’est pas réalisée au premier tour, elle doit l’être au second. Il se pourrait alors, si les votes blancs étaient décomptés comme suffrages exprimés, que le Président ne soit élu qu’à la majorité relative. Outre le fait que le Gouvernement exclut, à ce stade, une telle réforme constitutionnelle,…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. À ce stade !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …nous ne pouvons que contester l’affaiblissement de la légitimité présidentielle qui en découlerait.

Qu’en est-il du référendum ? Cette consultation des citoyens est, par nature, risquée : chacun se souvient du résultat des référendums de 1969 et de 2005. La prise en compte du vote blanc rendra évidemment plus compliqué cette consultation, puisque les bulletins « oui » devront être numériquement supérieurs aux bulletins blancs et « non » réunis. Une proposition pourrait donc être rejetée alors même que les votes d’approbation seraient supérieurs aux votes « non » ! D’ailleurs, comme le montre très bien M. Sauvadet dans son rapport, « c’est à l’occasion des référendums que les pics de vote blanc et nul sont les plus impressionnants ».

M. François Sauvadet, rapporteur. Tout à fait !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ce taux était de 16 % lors du référendum sur le quinquennat présidentiel en 2000. Reconnaissez qu’il y aurait là une incongruité au regard de la logique même du scrutin, tel qu’il est prévu par nos institutions. En effet, par un curieux paradoxe, voter blanc reviendrait à voter « non ».

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ainsi, la comptabilisation des votes blancs pourrait non seulement obscurcir les règles du jeu, mais, de plus, dénaturer les intentions des électeurs, car il n’est pas certain que cela inciterait ceux de nos concitoyens qui ont choisi de se détourner des urnes à y retourner. On peut, dès lors, penser que cela ne manquerait pas de susciter certains commentaires.

Enfin, avez-vous mesuré les conséquences sur le scrutin municipal dans les communes de 3 500 habitants et plus, ou sur les élections régionales ? Comme le relevait le Centre d’analyse stratégique dans une note de 2007, le résultat serait un « appauvrissement du jeu démocratique ». En effet, les listes qui n’obtiennent pas 5% des suffrages exprimés ne sont pas admises à la répartition des sièges. Si l’on tient compte des votes blancs, le seuil de 5% sera, de fait, surélevé, c’est-à-dire plus difficile à atteindre.

Nous courons en outre le risque d’entraver les principes constitutionnels de l’expression pluraliste des opinions et de la participation équitable des partis à la vie démocratique. Ce constat est aggravé quand on se rappelle que les règles de financement placent, pour l’heure, la barre du remboursement forfaitaire à 5% des suffrages exprimés, et sans doute chacun sera-t-il sensible à cet argument.

M. François Sauvadet, rapporteur. Incontestablement !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Enfin, j’évoquerai des arguments techniques, concernant en particulier les élections à la représentation proportionnelle. Dans ce cas, les sièges sont attribués aux listes proportionnellement au nombre des voix qu’elles ont obtenues. Les bulletins blancs ne peuvent par hypothèse entraîner l’attribution de sièges au profit d’une liste qui n’existe pas. Que ces bulletins soient comptabilisés ou non parmi les suffrages exprimés ne modifie en rien la répartition mathématique des sièges entre les listes en présence. De ce point de vue, l’introduction de la disposition proposée aurait pour effet d’accroître encore la complexité du système.

Mesdames et messieurs les députés, la commission des lois a donc rejeté la proposition de loi aujourd’hui en discussion au motif du décompte des votes blancs au sein des suffrages exprimés.

M. François Rochebloine. C’est dommage !

M. François Sauvadet, rapporteur. Ça peut s’arranger !

M. François Rochebloine. Tout se négocie ! (Sourires.)

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le Gouvernement ne saurait y être également favorable en l’état. Cependant, l’adoption de l’amendement présenté par le groupe socialiste nous permettrait au moins de parvenir à la reconnaissance de la distinction du vote blanc et du vote nul. Il s’inscrit parfaitement dans le débat que vous avez engagé en déposant cette proposition de loi, monsieur le rapporteur, et il permet une avancée. Ceux qui, depuis tant d’années, sont favorables à la prise en compte du vote blanc, doivent avoir conscience de cette avancée. Sous réserve de l’adoption de l’amendement présenté par le groupe socialiste,…

M. Michel Issindou. C’est bien parti !

M. François Sauvadet, rapporteur. Un amendement que je propose également, monsieur le ministre !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …le Gouvernement soutiendra totalement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le sujet que nous abordons aujourd’hui est de ceux qui appellent nécessairement la convocation de l’histoire.

Le ministre l’a fait avec son talent habituel ; le rapporteur l’a fait avec pertinence et l’on connaît sa compétence dans ce domaine.

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Évoquer l’histoire amène les éminents légistes qui siègent ce matin à la modestie au regard de la tâche à accomplir, mais aussi à renforcer leur détermination à faire un nouveau pas – puisque chacun a bien compris que c’est ce qui s’annonçait.

Je vais néanmoins commencer mon propos en me permettant de contredire M. le ministre.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Oh non ! (Sourires.)

M. Marc Dolez. Nous avons bien fait de venir !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Néanmoins, que l’opposition ne se réjouisse pas trop vite !

Non, monsieur le ministre, ce n’est pas l’une des premières fois que le Parlement débat puis adopte un texte sur le vote blanc ; c’est en cela que je vais vous contredire. En effet, il faut remonter bien avant 2003. Si j’ai évoqué l’histoire, c’est évidemment pour en appeler aux mânes des révolutionnaires. Le 18 ventôse an VI – ce qui, comme chacun le sait, correspond au 6 mars 1798 –, fut votée une loi autorisant le vote blanc, au moment même où le vote par bulletin était systématisé. Même si ce fut éphémère, on retrouve donc les premières traces de la reconnaissance du vote blanc en l’an VI.

Quelques années plus tard, sous le Premier empire, le Conseil d’État, qui était alors un corps institué, dont la vocation était de préparer les lois que Bonaparte souhaitait, donna un statut au vote blanc : un avis, rendu le 25 janvier 1807, reconnut que les bulletins blancs devaient être retranchés des votes émis.

On trouva par la suite des reformulations très diverses de cette question. Lors de certaines élections organisées sous la Restauration on considéra – je le dis à tous ceux qui sont dans l’opposition, car cela peut constituer une source de progrès – que l’on pouvait comptabiliser les bulletins blancs dans le calcul de la majorité. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) Dans les périodes de basses eaux, cela peut être une solution, même si je ne la recommande pas !

À partir de 1815, l’obligation faite aux électeurs appartenant à un collège de voter conduisit certains à recourir au vote blanc, puisque, contraints d’aller voter, ils refusaient en même temps le choix qui leur était offert. Cela correspond parfaitement aux idées que nous évoquons ce matin. On a donc assisté, à partir de 1815, à la construction de l’idée selon laquelle on pouvait voter tout en refusant de choisir. Il est vrai que, à l’époque, la nature élitiste du collège électoral amenait à considérer avec bienveillance le sens de ce qui était bien une défection électorale.

En 1839, sous la monarchie de Juillet, la Chambre des députés décida de retirer au bulletin blanc toute valeur politique. C’est à partir de ce moment-là que l’on confondit les bulletins blancs et les bulletins nuls. Il s’agit donc d’un héritage de la monarchie de Juillet, qui n’est pas nécessairement une période dont chacun ici se revendique.

La législation actuelle est la reproduction d’un décret impérial pris le 2 février 1852 par celui que Victor Hugo appelait Napoléon-le-Petit.

Dès la IIIe République, des débats eurent lieu dans cet hémicycle sur des propositions qui traitaient de ce point. Vous avez cité à bon droit, monsieur le ministre, la première d’entre elles, qui visait à dissocier les votes nuls des votes blancs. Elle émanait de deux députés du Vaucluse, classés à l’époque à l’extrême gauche de cet hémicycle, tout simplement parce qu’ils étaient républicains.

M. Guy Geoffroy. Qu’insinuez-vous ?

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Je tiens à citer leurs noms afin que leur mémoire soit rappelée : Alfred Naquet et Jean-Baptiste Saint-Martin déposèrent leur texte le 22 mars 1880.

Mais rien n’y fit. Comme ce fut souvent le cas par la suite – et c’est encore vrai maintenant –, ce n’est pas parce qu’une proposition de loi est écrite qu’elle connaît le succès. Peut-être celle que nous discutons aujourd’hui marquera-t-elle l’histoire…

Toujours est-il que, le 29 juillet 1913, la confusion héritée du Second empire fut entérinée. Elle est également reprise par l’article L. 66 du code électoral, qui date de 1969.

Voilà ce que fut l’histoire de ce qui constituait, au départ, un acte politique, un acte de défiance politique au regard d’une offre qui ne satisfaisait pas l’électeur et qui est devenu, au regard du droit, une forme répréhensible de déviance électorale. Cette conception, d’ailleurs assez étonnante, conduit à juger indigne du statut de citoyen celui qui est accusé de dénaturer l’acte électoral par son indécision.

En résumé, aujourd’hui, pour notre code électoral, l’élection est faite pour choisir quelqu’un et non pour permettre aux électeurs de s’exprimer. Nous sommes un certain nombre à considérer qu’il faut réexaminer cette conception.

Je veux vous remercier, monsieur le rapporteur, de nous avoir permis de le faire au moyen de l’initiative dont vous êtes à l’origine et qui est soutenue par le groupe UDI, lequel a inscrit votre proposition de loi à l’ordre du jour de cette niche parlementaire.

M. François Rochebloine. Merci de le préciser !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Je suis de ceux qui pensent que le vote blanc et le vote nul ne relèvent pas de la même logique, ce qui rend problématique le lien juridique établi par l’article L. 66 du code électoral.

Si le vote nul peut résulter de la maladresse de l’électeur, par exemple lorsqu’il place deux bulletins dans la même enveloppe, de son incompétence politique ou encore de son populisme, le vote blanc est pour moi un acte raisonné. En choisissant de se déplacer dans un bureau de vote et de glisser sciemment dans l’urne un bulletin blanc, il me semble que l’électeur accomplit un geste pensé dont la dimension politique ne paraît pas devoir être contestée.

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Je me retrouve donc dans l’analyse qu’avait faite dans les années 1960 Alain Lancelot, qui estimait que le vote blanc était un acte intentionnel posé par des « électeurs très politisés », capables « de distinguer les nuances d’un choix et d’en peser les implications ».

Évidemment, j’admets fort bien que cette vision ne soit qu’une interprétation, mais personne ne peut contester le fait que l’électeur choisissant le vote blanc soit un citoyen qui n’a pas trouvé son candidat. C’est en cela que, pour moi, le vote blanc est d’abord l’expression d’une opinion. Il ne témoigne pas d’une indifférence à l’égard de la politique, au contraire de l’abstention.

En effet, si les deux étaient liés, le niveau des votes blancs et nuls serait très important lors des élections européennes, scrutin où s’affirme justement l’abstention. Or il n’en est rien.

Faut-il à l’inverse estimer – et, en cela, je partage ce qu’ont dit le ministre et le rapporteur – que la prise en compte du vote blanc aura pour vertu d’attirer les électeurs vers les urnes ? C’est un argument qui a certes une cohérence, mais, malheureusement, je ne crois pas que ce sera le cas. Les études conduites depuis une dizaine d’années ont montré que l’abstentionnisme politique était une attitude électorale plus que marginale.

J’attends donc plus modestement du vote de votre texte la simple reconnaissance d’une insatisfaction citoyenne qui doit conduire les élus que nous sommes à s’interroger.

Mais, comme vous l’avez vu en commission, monsieur le rapporteur, pour que votre texte puisse être adopté, encore faut-il qu’il soit amendé. Vous avez dit en commission votre disponibilité et vous l’avez confirmée aujourd’hui. M. le ministre a pour sa part indiqué l’état d’esprit constructif du Gouvernement. Nous allons donc probablement reproduire ce que l’Assemblée et la commission des lois avaient fait en 2003, sur la proposition de celui qui avait à l’époque l’honneur de présider cette commission – je veux parler de Pascal Clément.

La difficulté politique qui découle de votre volonté d’intégrer les bulletins blancs dans les suffrages exprimés nous paraît insurmontable. Vous avez évoqué l’affaiblissement de la légitimité de certains scrutins qui en découlerait. M. le ministre délégué a rappelé à juste titre le cas du référendum sur le quinquennat du 24 septembre 2000 : si l’on procédait au recomptage avec le mécanisme proposé par le présent texte, on aboutirait à 16 % de votes blancs et nuls, ce qui aurait affaibli la victoire du oui.

Telles sont, monsieur le rapporteur, les raisons pour lesquelles nous notons avec intérêt votre souhait, confirmé par le dépôt d’un amendement, de faire évoluer votre texte. Le groupe majoritaire dans cet hémicycle a d’ailleurs déposé un amendement identique. Nous allons donc sans nul doute le voter.

Trente textes ont été déposés sur ce sujet en vingt ans. Un seul a été adopté, en 2003, mais la navette s’est interrompue au Sénat. Nous ne savons d’ailleurs pas si ce texte est toujours valable. À cet égard, la saisine du Conseil constitutionnel par le groupe UMP, suite à un vote intervenu au Sénat visant à reconnaître la date du 19 mars 1962, nous dira si un texte qui a été passé sous silence pendant une dizaine d’années peut connaître une résurrection.

M. François Sauvadet, rapporteur. Vous avez raison de le souligner !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Toujours est-il que vous avez, à très juste titre, pris l’initiative de pallier cette éventuelle carence en nous proposant d’adopter le présent texte. Souhaitons que, si cette assemblée le vote – ce que je crois –, le Sénat puisse à son tour, demain, en faire autant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et UDI.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est nul besoin de rappeler à cette tribune que les procédures d’élection et de vote sont au cœur de notre démocratie : savoir compter avec rigueur les suffrages exprimés est une condition incontournable du bon déroulement d’un scrutin et d’une démocratie légitime et respectée.

Débattre ce matin de la reconnaissance du vote blanc a du sens ; c’est même utile. Face à la montée du discrédit de la politique, face à la méfiance croissante des électeurs à l’égard de l’offre partisane, face à une abstention inquiétante, il est en effet nécessaire que la représentation nationale s’interroge sur la manière dont il faut organiser l’expression du suffrage et sur la meilleure manière de prendre en compte la diversité des expressions que le suffrage représente.

C’est pourquoi le groupe écologiste considère avec beaucoup d’intérêt cette proposition de loi. Cependant, nous ne pensons pas que la reconnaissance du vote blanc suffise à elle seule à enrayer les maux évoqués.

M. François Sauvadet, rapporteur. C’est vrai !

M. Sergio Coronado. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, l’insatisfaction face à l’offre politique exprimée doit être prise en compte, mais cette prise en compte ne l’explique pas et ne règle pas le problème.

Le peu de chances qu’offre le scrutin majoritaire à des formations politiques minoritaires d’avoir une représentation juste et proportionnelle à leur poids électoral me semble à cet égard un problème d’une importance plus grande.

Cette proposition est utile à plusieurs titres. D’abord, comme l’ont rappelé M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois, elle s’inscrit dans une suite de propositions du même ordre visant à reconnaître le vote blanc. Ce texte vient nous rappeler que, depuis plusieurs années, la reconnaissance du vote blanc motive le dépôt de nombreuses propositions de loi, de même que la mobilisation citoyenne, à travers des associations.

À l’Assemblée nationale, on dénombre sept propositions de loi à ce sujet sous la dixième législature, cinq sous la onzième, six sous la douzième et huit sous la treizième. La dernière discussion en séance a eu lieu en décembre 2002, grâce à la proposition de loi de M. Jean-Pierre Abelin et de l’ensemble du groupe UDF. Le texte adopté à l’époque excluait le vote blanc du décompte des suffrages exprimés, contrairement à la volonté des auteurs de la proposition de loi. Si j’ai bien compris, avec la disponibilité du rapporteur aux suggestions du groupe majoritaire, nous nous acheminons vers la même situation.

M. François Sauvadet, rapporteur. Je l’espère !

M. Sergio Coronado. Ensuite, cette proposition est utile parce qu’elle permet de tenir compte du mécontentement face à l’offre politique. Or c’est là un phénomène électoral croissant et il serait irresponsable que la représentation nationale ne se penche pas sur cette désaffection. M. Urvoas a rappelé qu’il y avait une sorte de limite dans le suffrage, lequel vise plus à choisir un représentant qu’à permettre à l’électeur d’exprimer son opinion. De ce point de vue, en tant que représentants du peuple, nous pouvons partager ce sentiment d’insatisfaction.

Même l’élection présidentielle, qui demeure le rendez-vous électoral le plus couru, n’a pas été épargnée par les phénomènes de désaffection et de mécontentement conduisant à l’abstention. Le rapport souligne que le record de votes blancs et nuls à l’élection présidentielle a été atteint, pour un premier tour, lors de l’élection de 2002, avec 3,38 % des votants, et, pour un second tour, lors de l’élection de 1969 – à cet égard, vous avez eu raison de rappeler le mot fameux de Duclos : « C’est blanc bonnet et bonnet blanc ».

Je tenais aussi à dire que cette proposition de loi intéresse particulièrement les écologistes parce que, depuis très longtemps, nous avons intégré le vote blanc dans le décompte des suffrages en le comptabilisant à part et en le considérant comme un suffrage exprimé. Pour ce qui est de l’organisation du suffrage et de la prise en compte des votes, notre famille politique a d’ailleurs beaucoup expérimenté. Nous avons même décidé, il y a quelques années, d’essayer le tirage au sort pour le choix de nos candidats.

Le vote blanc, ce n'est pas une erreur, ce n'est pas un vote nul, mais l'expression d'un refus ou l’affirmation d’une inadéquation entre offre électorale et volonté politique.

Ce fut le cas lors de la présidentielle de 1969, que j’ai évoquée tout à l’heure, lorsque le parti communiste appela à refuser de choisir entre Georges Pompidou et Alain Poher, ce qui déboucha sur un taux de vote blanc et nul substantiellement différent au second tour.

Preuve que le vote blanc est un symptôme de la crise du politique, les niveaux records de vote blanc et nul coïncident, comme M. Sauvadet l’indique dans son rapport, avec des niveaux records d'abstention. Le vote blanc est un phénomène tout aussi significatif lors des élections législatives. Enfin, comme le rapporteur le souligne, c'est à l'occasion de référendums que les pics de vote blanc et nul sont les plus impressionnants.

L'assimilation entre vote blanc et vote nul est une règle juridique traditionnelle. Pourtant, un vote blanc n'est pas un vote nul. Il manifeste une démarche, une volonté, un refus. C'est un acte citoyen : l’électeur se déplace, dit à la fois l'insatisfaction devant une offre politique et son attachement à l'acte de voter.

Aujourd'hui, l'article L.66 du code électoral traite les bulletins blancs comme l'ensemble des bulletins nuls, lesquels « n'entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement ». Sont ainsi tenus pour nuls et non décomptés comme suffrages exprimés une série de bulletins qui ont peu de relations entre eux.

Le code électoral ne traite pas non plus expressément de la seconde modalité du vote blanc, qui consiste à glisser dans l'urne une enveloppe vide. Nous avons déposé un amendement à ce sujet. Cette pratique est en effet considérée par le législateur comme un vote nul.

J'ignore si la prise en compte du vote blanc est un outil de mobilisation, un remède durable et solide contre l'abstention. Mais je sais qu’elle garantit à tous les citoyens la possibilité de manifester par ce vote qu'ils n'ont aucun représentant ou que leur volonté politique n'est pas présente dans l'offre électorale.

Le président de la commission des lois, auteur d'une proposition de loi à ce sujet, écrivait que « la reconnaissance du vote blanc [...] peut permettre une forme d'expression de défiance vis-à-vis de l'offre politique proposée, qu'il est utile et juste de prendre en considération ». Nous partageons ce point de vue.

La question que posait le présent texte était double, puisqu’il s'agissait à la fois de reconnaître le vote blanc par un décompte spécifique et de prendre en compte les bulletins blancs parmi les suffrages exprimés. Si telle avait été la volonté du rapporteur, le groupe écologiste aurait voté cette proposition telle quelle.

Comme les débats en commission et l’intervention du président Urvoas à la tribune l’ont rappelé, il existe en effet un obstacle constitutionnel à la prise en compte du vote blanc dans les suffrages exprimés. En effet, selon l'article 7 de la Constitution, le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. À moins de modifier l'article 7, il faut donc exclure les votes blancs des suffrages exprimés au second tour de l'élection présidentielle et lors des référendums. C'est le sens de l'amendement que nous avons déposé. Pour les autres élections, je ne crois pas que les problèmes soulevés soient d’une très grande gravité, même si j’entends l’argument sur l’affaiblissement de la représentation.

J’ai bien compris que le rapporteur était disposé à faire un petit pas, en intégrant les propositions aimablement suggérées par le groupe majoritaire dans cette assemblée. Je ne serai pas plus royaliste que le roi, et je joindrai ma voix à celles du groupe SRC pour que nous fassions ensemble un premier pas dans la reconnaissance du vote blanc. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. François Sauvadet, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Quel consensus !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, voici une proposition intéressante.

M. Michel Issindou. Et consensuelle !

M. Alain Tourret. Elle nous amène à poser un certain nombre de questions. En premier lieu, pourquoi le vote « blanc » ? Il s’agit d’une couleur bien spécifique : celle de la monarchie…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Venant d’un robespierriste !

M. Alain Tourret. Vous qui êtes député de Bretagne, vous savez que c’est la couleur de tous ceux qui s’opposent à la République. C’est la couleur de la neutralité – celle de la Suisse –, la couleur du cessez-le-feu, mais aussi l’une des trois couleurs du drapeau français. (Murmures d’approbation sur les bancs du groupe UDI.)

Notre collègue Sergio Coronado l’a rappelé, le vote blanc a acquis ses lettres de noblesse en 1969. Qui ne se rappelle pas Jacques Duclos, expliquant avec son accent du terroir extraordinaire, qu’il fallait refuser de se prononcer entre deux candidats qualifiés de « bonnet blanc et blanc bonnet » ?

M. Michel Issindou. Bravo pour l’accent !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. On s’y croirait !

M. Alain Tourret. Il a été écouté. C’est bien la preuve que le vote blanc recouvre une réalité politique. Lorsque l’opposition d’aujourd’hui vote blanc ou s’abstient, c’est qu’elle nous soutient.

Toutes les possibilités d’une évolution sur le vote blanc sont donc réunies.

Il me semble plus intéressant de débattre du vote blanc, surtout lorsque je constate – je le dis à nos collègues de l’UMP –…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Ils sont très discrets ce matin !

M. Alain Tourret. …que ces dispositions s’appliquent, outre à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, deux collectivités qui n’ont pas été prises en compte lors d’un scrutin qui a eu lieu dimanche… (Sourires.)

Nous tenons au contraire, avec le rapporteur, à rappeler que ces îles sont bien dans la République, et qu’elles n’ont pas à en être exclues, comme l’UMP l’a fait, si j’ai bien compris.

M. Édouard Fritch. Tout à fait.

M. Michel Issindou. Dommage que nos collègues de l’UMP ne soient pas là !

M. Alain Tourret. Absolument !

Lors des élections municipales à Caen, il y a eu des listes composées uniquement en vue de soutenir le vote blanc. Elles ont obtenu plus de 8 % des voix. Il s’agissait en réalité de listes protestataires, mais c’est par le vote blanc qu’elles exprimaient leur refus du système.

Il y a donc bien dans le vote blanc un vote citoyen. Celui-ci peut s’exprimer au second tour, mais aussi au premier, puisque l’on commence par refuser ceux qui se présentent, avant de refuser ceux qui restent.

Il y a quelque chose de très positif dans votre proposition, monsieur le rapporteur. L’histoire retiendra qu’après cinquante échecs, c’est vous qui aurez, avec l’appui du président de la commission des lois, et avec M. Vidalies, ministre chargé des relations avec le Parlement, permis de modifier l’article 65 du code électoral pour les décennies à venir. Nous participons aujourd’hui à quelque chose d’important.

Faut-il considérer que les enveloppes sans bulletin sont des votes blancs ? J’y suis totalement favorable. Les réunions de la commission des lois ont mis en évidence cette nécessité. Pour être député-maire – j’en suis fier et j’entends le rester…

M. Michel Issindou. Ça ne va pas durer !

M. Alain Tourret. …, même si le président de la commission souhaite nous couper le cou ! –,…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. L’échafaud est dressé !

M. Alain Tourret. …je sais que les enveloppes sans bulletin sont plus nombreuses que les votes nuls ou les votes blancs. Bien souvent, elles représentent plus des trois-quarts de l’ensemble des bulletins non exprimés. Je me rallie donc à la proposition de M. Coronado et la rédaction qui a pu être élaborée en commission des lois.

S’agissant des votes exprimés, fallait-il aller plus loin que le consensus qui est en train de s’établir ? Très franchement, je ne le crois pas. L’argument présenté – avec beaucoup de sagesse, il faut le dire – par M. le ministre a retenu mon attention : il sera difficile d’atteindre le seuil des 5 % si l’on prend en compte les votes blancs dans les votes exprimés.

M. François Sauvadet, rapporteur. C’est aussi un problème pour les fusions de listes.

M. Alain Tourret. Tout à fait. Cela irait contre les intérêts de ceux qui représentent les partis et les opinions minoritaires. Il leur est déjà si difficile d’exister, le représentant du parti radical de gauche que je suis peut vous le dire ! Ne leur rendons pas, par la loi, les choses encore plus difficiles. Ne plongeons pas dans cette aventure !

Nous nous orientons donc vers un consensus. Celui-ci permettra de renforcer, à l’avenir, le vote blanc.

Pour autant, cela permettra-t-il de lutter efficacement contre l’abstention ? Je ne le crois pas. L’abstentionnisme et le vote blanc sont des choses très différentes.

M. Sergio Coronado. Tout à fait !

M. Alain Tourret. On s’abstient toujours, quoi qu’il arrive, ou temporairement, parce que l’on n’est pas convaincu. L’abstention est un vote de renoncement, alors que le vote blanc est un vote très fort. Certains ont pu dire, comme le président de la commission, que le vote blanc est souvent l’expression d’un choix politique beaucoup plus ferme, parce qu’il n’a pas bénéficié du même soutien médiatique.

Le groupe RRDP votera en faveur de ce texte, estimant qu’il apporte une première pierre à la modernisation de la vie politique, que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’abstention est incontestablement l’un des symptômes les plus caractéristiques de la profonde crise que traverse la représentation politique. L'exercice du droit de vote étant au cœur de la légitimité de nos institutions, l’abstention, désormais récurrente, constitue un véritable affaiblissement de notre démocratie.

Je veux le souligner, car cela est trop souvent oublié : l’abstention ne prend pas en compte les personnes qui, bien que réunissant les conditions, ne sont pas inscrites sur les listes électorales – de 3 à 4 millions de nos concitoyens, selon les estimations, soit près de 10 % du corps électoral.

L’abstention ne marque pas seulement un désintérêt, une indifférence à l'égard de la politique. Pour de nombreux électeurs, elle est une réponse électorale à part entière et peut exprimer un malaise à l'égard d'une offre politique jugée insatisfaisante, incapable de répondre à leurs attentes.

Elle peut aussi constituer une sanction à l'encontre des gouvernements sortants, pour la politique qu’ils ont menée ou les promesses qu’ils n’ont pas tenues.

Dans ces conditions, la reconnaissance du vote blanc peut constituer un élément de réponse, même si la crise de la représentation politique appelle bien sûr des réformes de fond.

Le déséquilibre du régime et le sentiment de défiance de nos concitoyens envers les institutions supposent en effet une véritable démocratisation de ces institutions. Nous l’appelons de nos vœux, dans le cadre d’une VIe République, parlementaire, sociale et participative, où serait mise en œuvre la représentation proportionnelle, garante du pluralisme démocratique, d’une juste représentation de la diversité des sensibilités politiques, amplifiant la souveraineté directe du peuple.

Reconnaître le vote blanc est sans doute un moyen de lutter contre l'abstention, mais c’est seulement l’un des moyens. Ce serait surtout un indicateur de l'attente d'une autre offre politique.

La demande de reconnaissance du vote blanc n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années de nombreuses propositions de loi en ce sens ont été déposées sur le bureau de notre assemblée, sans qu’aucune d’entre elles n’aboutisse.

Aujourd’hui, le vote blanc, s’il est connu, n’est pas pour autant reconnu. Le nombre de votes blancs est en effet connu puisque, lors du dépouillement, les bulletins blancs et nuls sont comptabilisés et annexés au procès verbal ; mais ils n’apparaissent pas dans le résultat officiel puisque, conformément à l’article L. 66 du code électoral, les bulletins blancs, comme l’ensemble des bulletins nuls, « n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement ».

Il est pourtant évident que le vote blanc se distingue à la fois de l’abstention et du vote nul. Il se différencie de l’abstention dans la mesure où il témoigne d’un intérêt pour la chose publique, tout en traduisant une insatisfaction à l’égard de l’offre. De même, le vote blanc se démarque nettement du vote nul, dans la mesure où ce dernier résulte soit de la maladresse de l’électeur, soit de sa volonté de ne pas se soumettre aux règles régissant le scrutin.

En somme, le vote blanc exprime le refus de l’électeur du choix qui lui est proposé ; il s’agit donc bien d’un acte citoyen, qui mérite d’être reconnu comme tel et comme un suffrage exprimé à part entière. Comme le souligne Olivier Durand, président de l’Association pour la reconnaissance du vote blanc, « si voter c’est désigner uniquement un vainqueur, cela constitue un appauvrissement de l’acte électoral ».

J’ajoute que les dispositions propres aux machines à voter confirment la spécificité du vote blanc et, même si le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ne sont pas de cet avis, il nous semble effectivement, comme le souligne à juste titre notre rapporteur, que « l’assimilation du vote blanc à un vote nul occasionne bel et bien une rupture d’égalité dans l’information des citoyens sur les résultats électoraux, selon que le vote se déroule dans un bureau doté d’une machine à voter – qui permet d’afficher le nombre exact de votes blancs – ou dans un bureau de vote classique, dans lequel sont indistinctement mêlés votes blancs et bulletins nuls ».

Pour notre part, nous sommes donc favorables à la reconnaissance juridique du vote blanc. Non seulement nous considérons normal, justifié, de décompter séparément les votes blancs et les votes nuls, mais nous estimons, aussi et surtout, que les bulletins blancs devraient être pris en compte dans le calcul des suffrages exprimés. Reconnaître le vote blanc tout en refusant d’en faire mention parmi les suffrages exprimés n’aurait en effet qu’une utilité limitée et ne constituerait qu’une mesure purement symbolique.

Certes, nous entendons les difficultés, rappelées ce matin, que pose cette reconnaissance juridique, principalement pour l’élection du Président de la République, élu, aux termes de l’article 7 de la Constitution, à la majorité des suffrages exprimés. Cette difficulté, notre rapporteur l’a rappelé, n’aurait pourtant rien d’insurmontable ; elle pourrait être levée lors d’une prochaine réforme constitutionnelle.

La difficulté concernant le référendum ne me semble pas de même nature. Je ne considère pas anormal que, pour que le oui l’emporte, il doive obtenir un score supérieur au total des non et des votes blancs, c'est-à-dire qu’il obtienne la majorité des votes.

En ce qui concerne la question des seuils, notamment pour les élections municipales, elle est certes pertinente mais, dans la mesure où l’on nous annonce la révision d’un certain nombre de modes de scrutin, sans doute pourrions-nous l’aborder dans ce cadre-là.

En conclusion, si nous considérons que la proposition de loi de nos collègues du groupe UDI n’apporte pas la solution à l’abstention, nous pensons cependant qu’elle est à même de dissuader certains électeurs de s’abstenir, la reconnaissance pleine et entière du vote blanc leur permettant d’exprimer leur désaccord sur le choix proposé et de signifier clairement que l’offre politique ne leur convient pas.

C’est la raison pour laquelle, vous l’avez compris, les députés du Front de gauche auraient voté cette proposition de loi dans sa version initiale. Mais j’ai cru comprendre qu’elle allait être amendée et que le texte qui sortirait de nos débats serait moins ambitieux. L’avancée proposée sera moins importante, le pas franchi plus petit. Mais ce pas plus petit, nous le franchirons avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Le Borgn’.

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, la reconnaissance du vote blanc en matière électorale fait partie des débats récurrents de la démocratie française. Nombre de propositions de loi ont été déposées à ce sujet au cours des vingt dernières années par l’ensemble des groupes. À gauche comme à droite, il est apparu important, en effet, dans un contexte de participation électorale déclinante, de distinguer le vote blanc du vote nul, et plus encore de l’abstention.

Le vote blanc constitue une expression démocratique, celle de la manifestation par l’électeur qui se déplace pour voter d’un refus de l’offre politique qui lui est présentée. Il se traduit par le dépôt dans l’urne d’une enveloppe vierge de tout bulletin ou contenant un bulletin blanc.

Le vote blanc doit à ce titre être distingué du vote nul. Il doit être comptabilisé et dûment présenté au moment de la proclamation des résultats du scrutin. Cette évolution de l’article L. 66 du code électoral est désormais d’autant plus nécessaire que la mise en service récente des machines électroniques de vote dans de nombreuses communes permet le vote blanc et exclut de facto le vote nul. Il en va de même du vote par internet, organisé dans le cadre de l’élection des députés des Français de l’étranger en juin dernier.

Le soutien à la proposition de loi qui nous est soumise par le groupe UDI et notre collègue François Sauvadet m’apparaît donc aller de soi dans ce contexte.

Faut-il que cette reconnaissance du vote blanc s’accompagne de sa comptabilisation dans les suffrages exprimés ? J’étais intuitivement porté à répondre favorablement à cette interrogation, jusqu’à ce que j’en mesure tout l’inconvénient : le risque, lourd en termes de légitimité démocratique, que ne soit pas atteinte la majorité des suffrages exprimés, centrale dans notre culture électorale et en tout état de cause exigée par l’article 7 de la Constitution pour l’élection présidentielle. L’introduction du vote blanc dans le calcul des suffrages exprimés aurait en effet conduit deux de nos présidents, Jacques Chirac en 1995 et François Hollande en 2012, à accéder au pouvoir suprême sans majorité absolue.

C’est ce souci de maintenir toute sa force symbolique à la majorité absolue qui explique la décision du groupe SRC de déposer un amendement en séance ce matin pour que le vote blanc ne soit pas pris en compte dans la détermination des suffrages exprimés. Nous sommes en cela fidèles aux propositions de loi présentées par Jean-Jacques Urvoas en février de cette année et par Laurent Fabius et le groupe socialiste en 2003. Nous sommes fidèles aussi à un vote initial de notre assemblée en 2002, en faveur de la reconnaissance du vote blanc sans prise en compte pour les suffrages exprimés ; cette proposition de loi, issue du groupe UDF, n’a malheureusement jamais été inscrite à l’ordre du jour du Sénat.

Il est temps que la France rejoigne le groupe des pays reconnaissant le vote blanc selon des modalités diverses : la Suisse, l’Espagne, les Pays-Bas et la Suède pour l’Europe, mais aussi le Pérou, le Costa Rica, le Brésil et l’Uruguay en Amérique latine.

Aurons-nous, ce faisant, fait œuvre utile dans la lutte contre l’abstention ? Je crains que non, et je défends de ce fait la nécessité de prolonger notre débat en matière électorale au-delà de la seule reconnaissance du vote blanc. Je pense notamment au vote obligatoire, que pratiquent en Europe l’Italie, la Grèce, la Belgique, le Luxembourg… et la France pour les élections sénatoriales.

La combinaison du vote obligatoire et de la reconnaissance du vote blanc peut avoir un sens. J’en vois les mérites, j’en vois aussi les limites, notamment lorsque l’électeur vit loin du bureau de vote. C’est le cas des électeurs français de l’étranger. Et c’est à ce titre que je crois plus que jamais utile une réflexion de notre assemblée sur le vote à distance, par internet ou par correspondance. Nous avons un premier retour d’expérience sur le vote par internet aux élections législatives à l’étranger : saisissons-le, tout en nous inspirant de nos amis allemands et espagnols et de leur organisation optimale, sécurisée, traçable, du vote par correspondance. En matière électorale, le droit comparé a beaucoup de vertus. C’est un exercice auquel je souhaite que nous puissions nous livrer tout au long de la législature.

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise ce matin vise à considérer le vote blanc comme un suffrage exprimé. J’y vois un affaiblissement de la démocratie et une dévaluation du rôle des citoyens dans les choix politiques. Je suis donc résolument contre cette proposition de loi.

Il faut tout d’abord rappeler que le système démocratique dans lequel nous vivons aujourd’hui n’est pas si ancien que cela : les isoloirs et le secret du vote n’ont qu’un siècle. Quand on regarde autour de nous, à travers le monde, il n’est pas besoin d’aller très loin pour constater que beaucoup de pays ne sont pas au même stade que nous, et je pense que certains oublient à quel point la démocratie est fragile – on en a bel exemple à l’UMP en ce moment (Sourires.) – et combien il suffit de pas grand-chose pour vicier un système. Les modalités du scrutin sont un de ces éléments clés qui, même dans une démocratie avancée, peuvent conduire à des dérapages s’ils ne fonctionnent pas bien.

À quoi sert le vote ? La question peut sembler superfétatoire, mais la réponse conditionne beaucoup de choses. Pour moi, le vote sert aux citoyens à exprimer leurs choix en matière d’orientation politique et à désigner les dirigeants qui auront à mettre en œuvre ces choix politiques. Les électeurs participent par ce biais à un dispositif destiné à assurer une bonne gouvernance de la chose commune, de la res publica.

Dans beaucoup de scrutins, choix des personnes et des lignes politiques sont liés. En désignant les élus, on fait aussi un choix politique ; inversement, si on veut une direction politique bien précise, il faut prendre les candidats qui la portent, quand bien même ils ne nous inspirent pas une grande sympathie.

Voter, c’est choisir et c’est souvent frustrant, il faut bien le reconnaître. En effet, on est rarement pleinement en accord avec l’ensemble du programme proposé, et l’on peut éprouver des réticences vis-à-vis de la personnalité du candidat.

Le mouvement pour la reconnaissance du vote blanc refuse cette frustration et demande que l’on puisse refuser une offre politique qui ne nous conviendrait pas, en invalidant, ce faisant, l’élection. Je pense que c’est une déviance qu’il faut refuser, car elle traduit une dérive consumériste de la politique, dérive à laquelle malheureusement nous, élus, prêtons un peu trop le flanc.

Gérer la cité, ce n’est pas répondre à des demandes clientélistes ; c’est assurer la primauté de l’intérêt général pour le bien commun. L’élection n’est pas un supermarché où le client doit trouver le produit qui lui convient parfaitement sur le fond et sur la forme.

Au terme d’une élection, il faut que les choix politiques soient clairs et que les dirigeants désignés aient la légitimité suffisante pour les mettre en œuvre. Cela implique que la liberté de choix des électeurs ne soit pas absolue. Ils participent à un processus complexe, dont ils ne sont ni les seuls ni les principaux acteurs. Le système électoral doit être centré sur l’intérêt général et sur la recherche d’une bonne gouvernance, pas uniquement sur la satisfaction des électeurs.

Pour moi, l’intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers. Un système démocratique est un équilibre entre le pouvoir donné au peuple de participer activement aux choix politiques et une efficacité dans la gestion de la cité et de l’intérêt général.

Reconnaître le vote blanc comme suffrage exprimé créerait un déséquilibre et conduirait à des dérives, au premier rang desquelles une remise en cause de la légitimité des élus. En effet, si le vote blanc est reconnu comme exprimé, on aura des élus désignés avec des scores faibles, sans majorité absolue, ce qui les affaiblira grandement, car leur légitimité sera sans cesse remise en cause.

M. Philippe Vigier. Il a raison !

M. Lionel Tardy. Un dirigeant mal élu cherche avant tout à renforcer sa légitimité, quitte pour cela à prendre des décisions regrettables. Aurions-nous eu la guerre en Irak en 2003, si Georges Bush n’avait pas été élu de manière aussi contestable en 2000 ? On peut penser que la ligne dure qu’il a adoptée visait à prévenir toute critique de mollesse, et donc à renforcer sa légitimité défaillante comme président des États-Unis.

M. François Sauvadet, rapporteur. Ça alors !

M. Lionel Tardy. La nature ayant horreur du vide, surtout en politique, si un élu ne trouve pas dans son élection la légitimité suffisante pour remplir sa mission, il ira la chercher ailleurs. Et c’est rarement bon pour la démocratie d’être obligé d’aller chercher d’autres sources de légitimité que celle du suffrage universel. C’est malheureusement ce qui risque d’arriver.

Le risque que l’on prend aussi, avec la reconnaissance du vote blanc, c’est de renforcer le poids des minorités actives et la segmentation électorale. Le cas de figure que l’on rencontrera souvent, c’est celui d’un groupe d’opposants à un équipement collectif qui présente une liste aux municipales face au maire sortant. La liste d’opposition fera le plein des voix des personnes touchées par cet équipement. En face, le maire sortant sera dans la position de celui qui aura constitué la liste la plus large possible, et donc aura passé des compromis entre différentes demandes pour arriver à une synthèse. Il est beaucoup plus exposé au vote blanc de la part d’électeurs susceptibles de voter pour lui que l’autre liste.

M. François Sauvadet, rapporteur. C’est la démocratie !

M. Lionel Tardy. Des électeurs qui, finalement, auraient quand même voté pour le maire sortant peuvent être tentés de voter blanc, faisant, dans certains cas, basculer le résultat.

On peut transposer cet exemple à des cas de listes basées sur d’autres critères, comme un quartier de la ville ou, pis encore, à des listes fondées sur des critères ethniques ou culturels. Le vote blanc aura pour effet de rendre encore plus fortes ces minorités actives, face aux élus qui cherchent à faire une synthèse et privilégient l’intérêt général.

Et je ne vous parle pas de l’impact du vote blanc sur la mécanique des reports de voix entre le premier et le deuxième tour.

Les entre-deux tours ne vont pas être tristes si la menace du vote blanc plane sur les négociations. Le minoritaire, contraint de se retirer, peut faire monter les enchères.

L’élection est faite pour désigner un élu. Avec le vote blanc, on risque de ne pas arriver à ce résultat.

Que se passera-t-il si, au deuxième tour d’une élection où, parce qu’un seul candidat a pu se maintenir, c’est le vote blanc qui arrive en tête ?

M. François Sauvadet, rapporteur. Si c’est le cas, c’est que vous n’avez pas été bon !

M. Lionel Tardy. Ce n’est pas une simple hypothèse d’école, notamment dans le cas de duels à gauche où, en général, celui qui est arrivé deuxième se retire, même s’il est seul face à un candidat de gauche au deuxième tour. Il y a eu des exemples lors des législatives.

M. Pascal Popelin. La droite, elle, ne se retire pas !

Mme la présidente. Seul M. Tardy a la parole.

M. Lionel Tardy. Si l’électorat décide de voter blanc plutôt que de se reporter sur le seul candidat resté en lice, est-ce que le vote blanc, considéré comme exprimé, sera proclamé élu ? Ou devra-t-on refaire l’élection ? On va au-devant de situations ubuesques qui discréditeront la démocratie et feront le lit des extrêmes.

Dans ces conditions, mes chers collègues, qui voudra se présenter aux élections ?

Être élu, c’est passionnant, mais ce n’est pas pour autant facile. Vous le savez tous, la politique exige beaucoup de temps et beaucoup de sacrifices. On prend des coups, on reçoit peu de reconnaissance. Si, en plus, les citoyens peuvent s’amuser au jeu de massacre depuis leur canapé en faisant échouer les scrutins, qui voudra y aller ?

On va se retrouver avec un appauvrissement dramatique du vivier de candidats car, bien entendu, ceux qui prônent le vote blanc ne semblent pas prêts à se présenter et à faire le travail. Pourtant, il faut bien qu’il soit fait !

La critique est facile, mais l’art est difficile. Ne donnons pas trop d’armes à la critique, sinon, nous risquons ne plus avoir de candidats ou pire, de n’avoir que les médiocres ou les représentants d’intérêts particuliers. Notre démocratie en souffrirait.

Mes chers collègues, aucun candidat n’est parfait et, bien souvent, malheureusement, voter consiste à choisir le moins mauvais. Certes, ce n’est pas toujours satisfaisant, mais cela oblige à des compromis et évite les surenchères populistes.

Voter, c’est faire des choix clairs. Si ce n’est pas le cas, les choix seront quand même faits, mais pas de manière démocratique, et pas forcément en vue de l’intérêt général.

Préconiser la reconnaissance du vote blanc est une bonne intention, de celles qui servent à paver l’enfer. Elle témoigne d’une certaine naïveté sur le fonctionnement de notre démocratie qui, bien qu’ancienne, reste fragile.

Si les citoyens ne sont pas contents de leurs représentants, qu’ils se présentent aux élections et se retroussent les manches, plutôt que de jouer aux consommateurs difficiles et exigeants qui démolissent, mais généralement ne proposent pas grand-chose.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Jégo.

M. Yves Jégo. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la question qui nous réunit aujourd’hui est lancinante dans la vie politique française. Elle est au cœur de bien des difficultés de notre démocratie, d’une forme de désintérêt de nos compatriotes pour la chose publique, d’un rejet de la politique, entretenu d’ailleurs par les extrêmes qui, de part et d’autre de l’échiquier politique, prospèrent parce que nous n’avons pas su, à temps, donner au vote blanc toute sa place dans nos institutions.

Je suis persuadé que, dans les scores obtenus lors de toutes les élections par les extrêmes, il y a un nombre significatif de Français qui choisissent le vote extrémiste faute de voir comptabiliser leur refus de l’offre politique telle qu’elle est formatée. Nous l’entendons très souvent sur le terrain, les électeurs nous disent : « J’ai voté pour… ça va leur montrer ! Ils l’entendront ! ». Ils entendront quoi ? Pas forcément un message politique ! Ils entendront une forme de ras-le-bol, d’exaspération, de message envoyé aux partis politiques. Peut-être devrions-nous aussi, en particulier dans ces périodes, entendre nos compatriotes appeler notre attention sur le fait que les partis politiques, quels qu’ils soient, ne répondent plus exactement aux attentes des Français. Il y a, derrière le débat qui nous rassemble aujourd’hui, ces questions qui nous semblent particulièrement importantes et dont nous devons discuter ensemble.

J’ai cru entendre qu’un consensus était possible pour une première étape forte qui consisterait à séparer le vote nul du vote blanc. C’est le cas dans les communes comme la mienne, où le vote est électronique depuis longtemps. Il n’y a donc plus de votes nuls, il n’y a que des votes blancs. Le fait que nous puissions séparer ceux qui se sont trompés de ceux qui veulent exprimer autre chose me semble être déjà un pas important. Je souhaiterais pour ma part que nous n’en restions pas là et que nous allions vers une vraie comptabilisation du vote blanc dans les élections.

J’entendais tout à l’heure l’un de nos collègues évoquer la force du suffrage majoritaire, en prenant l’exemple de Jacques Chirac et François Hollande, qui n’auraient pas été élus avec la majorité des suffrages si le vote blanc avait été comptabilisé. Cela étant, combien de nos collègues parlementaires ayant remporté une triangulaire n’ont pas été élus avec la majorité des suffrages ? Cela ne leur enlève pas pour autant leur légitimité !

M. Marc Dolez. Bien sûr !

M. Yves Jégo. Toutes les élections de cette nature nous montrent que l’on n’est pas forcément élu avec une majorité de suffrages ou que l’on peut être élu avec une majorité de suffrages malgré la présence de plusieurs listes. En 1995, j’ai été élu maire de ma commune avec quatre listes au deuxième tour et 52% des voix.

M. Pascal Popelin. Bravo ! Nous sommes impressionnés !

M. Yves Jégo. Je vous remercie pour vos félicitations.

Nous devons nous interroger sur le modèle du scrutin majoritaire qui donnerait toute sa force à l’élu. Il est extrêmement important, mes chers collègues, d’entendre ces Français qui se lèvent le matin, qui se déplacent, qui font l’effort d’aller voter et qui mettent un bulletin blanc dans l’urne. Ils expriment quelque chose, une attente, un message que l’on ne peut pas ne pas entendre dans une démocratie. En outre, lorsqu’il s’agit de l’élection présidentielle et que plus de deux millions de nos compatriotes font ce geste, cet effort d’aller exprimer par le biais des urnes un message citoyen, il est de notre devoir de reconnaître l’existence de ces électeurs. Nous devons nous obliger collectivement, nous, partis politiques, à les entendre.

Pour l’instant, la non-reconnaissance du vote blanc fait que nous nous interdisons de les voir. Nous ne voulons pas savoir qui ils sont, nous les confondons avec ceux qui se sont trompés et nous dévoyons l’effort qu’ils ont fait.

On ne peut pas, à chaque élection, s’interroger sur la faiblesse de la participation, qui concerne un très grand nombre de scrutins. On ne peut pas non plus continuer à entendre, le soir d’une élection, les hommes politiques dire sur les plateaux de télévision que les Français ne se sont pas mobilisés, alors qu’ils ne leur offrent pas la possibilité de le faire. Croyez-moi, si le vote blanc était reconnu et comptabilisé, je suis sûr que beaucoup plus de nos compatriotes iraient voter. Nous pourrions enfin distinguer ceux qui ne remplissent pas leur devoir civique de ceux qui veulent, en remplissant leur devoir civique, exprimer autre chose que l’offre formatée que nous leur fournissons.

Il s’agit d’une évolution très forte de la démocratie. À l’heure des réseaux sociaux et de la capacité de mobilisation des citoyens en dehors des urnes, à l’heure où la possibilité d’exprimer tant de choses leur est offerte, l’avancée que le groupe UDI vous propose me semble être extrêmement importante. Beaucoup plus qu’anecdotique, elle va dans le sens de plus de démocratie, de plus de reconnaissance des citoyens, de plus d’écoute. Et, ce n’est pas l’actualité récente qui me démentira, si l’on veut redonner à la politique toute sa noblesse, il faut garantir au citoyen que, quoi qu’il exprime, nous l’entendrons ; il faut lui offrir d’autres voies que celles de l’extrémisme pour exprimer son mécontentement ou son rejet.

Il faut que nous sachions, nous, les partis politiques, regarder en face ceux qui nous disent collectivement que nous n’écoutons plus assez, que nous n’entendons pas, que nous sommes déconnectés de la réalité. Il faut enchanter, il faut faire vivre la démocratie, il faut avoir la capacité de moderniser nos institutions. Il n’y aurait que les institutions de la République qui ne se moderniseraient pas à l’heure où la vie de nos compatriotes se modernise avec tous les outils d’expression et d’échange qui s’offrent à eux ? Le débat de ce matin doit être à la hauteur, c’est-à-dire un vrai débat citoyen sur la démocratie, sur la façon de la faire vivre et sur la relation si compliquée entre les élus que nous sommes et les Français qui nous attendent et nous regardent.

Bien entendu, le groupe UDI apporte tout son soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons ce matin s’inscrit dans une longue tradition parlementaire, illustrée par de multiples propositions de loi visant à prendre en compte le vote blanc, comme l’a très justement rappelé Jean-Jacques Urvoas.

L’article 1er du texte pose un double principe. D’une part, il prévoit le décompte séparé des bulletins blancs. D’autre part, il dispose que les bulletins blancs seront pris en compte pour la détermination des suffrages exprimés.

Je souhaite vous faire partager trois idées.

D’abord, il est nécessaire de mieux prendre en compte le vote blanc.

Ensuite, sa prise en compte dans les suffrages exprimés poserait des problèmes qui ne sont pas que juridiques.

Enfin, l’exercice effectif de la citoyenneté ne se décrète pas, il se construit socialement et politiquement.

Chacun de nous a conscience que l’abstention porte atteinte à la légitimité des élections et des élus qui ont la charge de l’intérêt général, au nom des valeurs et des projets qu’ils portent.

L’abstention a atteint près de 44 % au second tour des élections législatives de juin 2012. C’est un chiffre record sous la Ve République.

Certaines études électorales ont mis en évidence un lien entre l’abstention et le vote blanc, une sorte de relation en creux où lorsque l’un augmente, l’autre recule. Reconnaître le vote blanc serait en permettre la reconnaissance positive, voire protestataire, au regard de l’offre politique. À ce titre, il est positif de l’isoler des votes nuls.

Faut-il aller au-delà et agréger les bulletins blancs avec les suffrages exprimés ?

En l’état, l’exclusion des votes blancs tend mécaniquement à gonfler les suffrages remportés par les différents candidats. En les agrégeant, on rétablirait en quelque sorte l’audience exacte des candidats et on ferait justice des intentions réelles des électeurs dans leur diversité.

Néanmoins, cette prise en compte n’est pas sans créer des difficultés et poser des questions.

Les risques significatifs ne sont pas ceux liés à la complication des dépouillements, à la multiplication des seconds tours, à la possible supériorité en nombre des suffrages blancs sur les suffrages exprimés et à la question de savoir s’il y aurait alors un élu.

Non, la prise en compte des votes blancs dans les suffrages exprimés pose un problème de légitimité qu’il ne faut pas sous-estimer. Des situations peuvent se produire où des candidats en nombre croissant pourraient être élus sans obtenir la majorité des suffrages exprimés. Des situations pourraient naître où le vote blanc serait majoritaire de façon absolue au premier tour ou relative au second tour. Il y aurait alors une fragilisation des élus comme il n’y en a jamais eu.

Une élection démocratique n’est pas une mesure de l’opinion ou un sondage. On n’y vote pas pour soi, on vote pour trancher et faire valoir un intérêt de la société. La finalité des élections demeure la désignation d’un ou de plusieurs représentants ou la réponse à une question.

Dans ces conditions, assimiler le vote blanc à un suffrage exprimé conduirait à dénaturer l’élection. La légitimité démocratique en pâtirait et une telle situation serait loin de votre intention originelle.

II y aurait un effet d'aubaine pour tous ceux qui, cherchant à détourner des scrutins, en dévaloriseraient systématiquement les résultats quand bien même rien ne permettrait de conclure quant à leur signification. Dans ces conditions, si reconnaître le vote blanc paraît utile, l'assimiler à un choix clair de dénonciation ou à un choix par défaut est téméraire.

J'en viens brièvement à ma dernière idée. L'exercice effectif de la citoyenneté ne se décrète pas. Il se construit socialement et politiquement. Le vote blanc est un thermomètre qui ne dit pas en quoi le corps électoral est malade. Il ne peut donc pas être assimilé à un suffrage exprimé. Il n'est pas non plus la thérapeutique qui fera revenir vers les urnes nos concitoyens qui en trop grand nombre se détournent du vote comme participation à la communauté nationale et civique et comme choix nous engageant tous.

C'est plutôt en faisant retrouver aux Français les liens qui devraient exister entre les choix politiques et les réalités économiques et sociales vécues que nous pouvons espérer les compter à nouveau plus nombreux aux élections. C'est en innovant par des pratiques politiques responsables et humaines, en faisant correspondre les actes de gestion aux discours et promesses de campagne et en luttant contre les inégalités qui créent un sentiment d'impuissance chez ceux qui en sont les victimes que nous retrouverons de l'engagement citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues,…

M. Michel Issindou. L’UMP s’exprime ! Elle retrouve la parole !

M. Guy Geoffroy. …je voudrais débuter mon propos par une adresse dépourvue d’agressivité à notre président de commission. Sauf erreur de ma part, l’une de ses références historiques revenait à dire en substance qu’on siège à gauche parce qu’on est républicain. Je voudrais affirmer très tranquillement et sans être à mon avis en contradiction avec ce que pense profondément le président Urvoas que, dans cet hémicycle, il n’y a rien que des républicains. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Puisque nous parlons de la question du vote blanc et à travers elle de la manière dont nos concitoyens décident, il n’était pas inutile de le rappeler, fût-ce au prix de l’une des minutes qui me sont accordées.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Sans vouloir enfoncer une porte ouverte, mes chers collègues, quand on parle de démocratie, conformément à l’étymologie grecque du terme, on parle bien de la décision du peuple. Et quand on parle d’élections, dans le cadre de la démocratie représentative comme décisionnelle, on répond à la question de savoir comment le peuple décide. Directement, lors d’un référendum, ou par l’intermédiaire de ses représentants élus, qui agissent en son nom et lui rendent des comptes. C’est dans ce cadre très large qu’il faut apprécier la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui.

Mon propos restera délibérément général, se situant au niveau des principes, car je pense que si cette proposition de loi a un mérite, c’est justement de nous permettre d’approfondir le principe. Toutes les bonnes explications apportées de part et d’autre nécessitent en effet d’être approfondies avant de prendre des positions définitives sur ce fameux vote blanc. Je m’inscrirai en contradiction avec la plupart des propos tenus jusqu’ici.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est dommage !

M. Guy Geoffroy. Y a-t-il une vraie différence entre le vote blanc et la présence dans une enveloppe au second tour des deux bulletins de chacun des candidats restant en lice ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas certain.

M. Guy Geoffroy. Très sincèrement, non ! Nous sommes tous, ici, des élus. Personne n’ignore donc que la palette des raisons qui font que l’on vote pour ou contre nous est immense. Vous n’ignorez pas que l’ensemble des raisons qui font que quelqu’un se déplace pour voter blanc est très large. Vous n’ignorez pas non plus que la totalité des éléments qui font que l’on peut constater des votes nuls, par rature, enveloppe vide ou double bulletin est également très diversifiée. Je crois donc qu’il nous faut faire preuve de beaucoup de modestie pour apprécier ce sujet.

La seule question que nous devons nous poser, c’est comment respecter au mieux la volonté exprimée par nos concitoyens. En donnant un statut au vote blanc ? Ou en lui donnant la possibilité de mieux manifester ce que le peuple, dans ses profondeurs, a voulu dire, même en ne s’exprimant pas en faveur de l’un des candidats ? Je pense qu’identifier le vote blanc est déjà très difficile. Y voir la manifestation d’un certain intérêt pour la démocratie est légitime mais non moins difficile.

La première étape à franchir, c’est inclure éventuellement au premier tour quelques votes ne se portant sur aucun candidat dans les suffrages considérés comme exprimés, pour empêcher une élection au premier tour à la majorité absolue n’intégrant pas ces manifestations de non-adhésion explicite à un candidat au premier tour. Vous le savez bien, le vote blanc du premier tour n’est pas le même que celui du second ! Y compris lorsqu’il se porte sur la même personne. Il y a de très nombreux cas de figure. C’est la raison pour laquelle je me suis limité à ces interrogations.

Je conclurai mon propos en disant qu’à titre personnel je voterai cette proposition de loi. Elle a selon moi le mérite de poser des questions et de faire avancer le débat. Elle a surtout le mérite de permettre à la représentation nationale de dire à nos concitoyens que nous voulons tout faire pour qu’ils reviennent aux urnes et que si l’un des moyens de les y faire revenir et de participer à l’expression de la volonté populaire est la prise en compte d’une manière ou d’une autre d’une formule différente de l’expression immédiate pour un candidat, c’est déjà quelque chose. Voilà la raison de mon intervention et de mon vote. Je pense que nous tombons tous d’accord sur le fait que la démarche est engagée, qu’il faut la poursuivre et surtout la détacher de toute posture politicienne, car nous croirions alors bien agir tout en agissant très mal. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Madame la présidente, monsieur le président, chers collègues, tout a été dit ! Je ne peux donc hélas, comme on le fait depuis Homère, que répéter. Je voudrais tout de même, au cours des cinq minutes qui me sont accordées, apporter quelques précisions. Les extrêmement mous vont être surpris du caractère suicidaire des extrêmes, mais à titre personnel je suis favorable à la prise en compte du vote blanc. Cela me paraît nécessaire et indispensable.

Je suis conforté dans mon opinion par les propos du président Urvoas, rappelant que c’est dans une période révolutionnaire qu’on a pris en compte ce vote pour la première fois. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) Nous pourrions tomber d’accord sur le rôle de la monarchie de Juillet, à propos duquel il a été un peu synthétique.

Pourquoi suis-je favorable à la prise en compte du vote blanc ? Non parce qu’il est blanc, quoique ce soit aussi la couleur du panache.

M. Alain Tourret. Ou celle de Jeanne d’Arc.

M. Gilbert Collard. Libre à vous d’aimer les pucelles !

Je suis passionnément favorable à la prise en compte du vote blanc parce que la personne qui va voter s’inscrit dans la marche démocratique. Elle y va ! Dès lors, son vote doit être pris en compte. À titre personnel, je ne pense pas que cela permettra de combattre l’abstentionnisme, dont les causes sont ailleurs. Si l’UMP pouvait éviter de ressembler à la Côte d’Ivoire avec un président qui pourrait être Gbagbo et l’autre Ouattara, sans qu’il soit nécessaire d’envoyer la marine pour pacifier le tout, cela ferait sans doute du bien à la démocratie en général ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Issindou. C’est vrai ! Et ce n’est pas la gauche qui parle…

M. Gilbert Collard. C’est une question d’image. Ce qui à mon avis nuit gravement à la santé démocratique, c’est que nous sommes tous plus ou moins des faux culs, terme que je puise dans la littérature et qui n’a donc rien de grossier. Je rappelle que « démocratie » signifie que le pouvoir est entre les mains du peuple. Ce sont les marins grecs qui ont fait naître la démocratie, il ne faudrait quand même pas l’oublier. La mer ! Qu’est-ce que la liberté, sinon la mer, toujours recommencée ?

M. Michel Issindou. Belle culture littéraire !

M. Gilbert Collard. Il faudrait comprendre pour de bon que le mécontentement a une vraie cause. Tant que vous refuserez la mise en place d’une vraie proportionnelle et tant que nous ne serons que deux pour représenter plus de six millions d’électeurs, si forte que soit la détestation que nous vous inspirons, il n’en demeurera pas moins le sentiment que la représentation nationale n’est pas conforme à la réalité.

Prenons en compte le vote blanc, certes. Mais prenons aussi en compte les orphelins du suffrage universel, ceux qui ne peuvent pas, parce qu’on les en empêche, envoyer au Parlement un nombre de députés réellement représentatif. Message citoyen, insatisfaction citoyenne, participation citoyenne : contentons-nous de faire en sorte que celles et ceux qui veulent se faire entendre le soient, par le vote blanc ou par l’envie d’amener dans le débat des hommes et des femmes qui ont des choses à dire, fussent-elles différentes de celles que vous diriez. Respectez cette différence et qu’ils viennent ici les dire ! Quand on pense que nous ne sommes que deux !

M. Alain Tourret. Deux et demi !

M. Gilbert Collard. Croyez-vous que cela traduise suffisamment la réalité ? Vous êtes tous trop honnêtes pour refuser de l’admettre ! Après la sacralisation du vote blanc, faites en sorte qu’on sacralise aussi, et sans hurler je vous en supplie, ou alors pour me faire plaisir, le vote français !

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le principe consistant à accorder une place spécifique au vote blanc dans la présentation des résultats électoraux semble largement partagé dans cette assemblée, au-delà de nos différences politiques.

En effet, le vote blanc est en soi une forme d'expression. Il traduit la démarche réfléchie d'un citoyen qui manifeste sa volonté de participer au processus démocratique sans se reconnaître dans l'offre qui lui est proposée. En cela, le vote blanc se distingue de l'abstention, qui marque un refus et parfois une négligence ou une impossibilité de s'associer à l'exercice démocratique. Il se distingue aussi du vote nul, qui relève davantage de la maladresse fortuite ou d'une volonté plus délibérée de prendre ses distances avec le système institutionnel tel qu'il est prévu par la loi.

De ce point de vue, la situation actuelle du droit électoral est paradoxale. Lors du dépouillement, les scrutateurs et les membres des bureaux de vote sont astreints à une comptabilité de notaire pour détailler dans les procès-verbaux les différentes formes de vote nul et blanc. Ils doivent distinguer les enveloppes vides, celles qui contiennent un bulletin sans nom ou plusieurs bulletins de candidats différents, les bulletins comportant des ratures, des inscriptions, des signes de reconnaissance, les bulletins déchirés ou ornés de taches diverses. Après ce tri d’une précision méticuleuse, l’ensemble des bulletins sont regroupés sous la rubrique « blancs et nuls », qui assimile et mêle des motivations tout à fait différentes.

À ce jour, le législateur n’a pas souhaité corriger ce qui constitue, aux yeux de nombre d’entre nous, une forme d’anomalie. Ainsi, en écoutant, tout à l’heure, l’intervention de M Tardy – même si M. Geoffroy a exprimé une position différente, mais nous en avons l’habitude –, on peut comprendre pourquoi il n’y a pas eu de majorité pour légiférer dans ce domaine. Les tentatives ont pourtant été multiples, à l’initiative tantôt des uns, tantôt des autres. Je pense en particulier à la proposition présentée au cours de la xiie législature, en 2003, par Laurent Fabius. Cette proposition de loi était particulièrement novatrice, pour ne pas dire révolutionnaire – sans remonter jusqu’à l’an vi –, puisqu’elle proposait, en outre, de rendre le vote obligatoire. Au cours de la xiiie législature, en février dernier, c’est notre collègue Jean-Jacques Urvoas, désormais président de la commission des lois, qui a présenté – il a eu l’élégance de n’en point parler lors de son brillant rappel historique – un texte à vocation plus modeste, puisqu’il s’en tenait à un décompte distinct des votes blancs et des votes nuls. Lorsque j’emploie le terme « modeste », je ne fais que reprendre à la lettre les mots employés dans l’exposé des motifs de son texte, qui ne traduisent en rien un manque d’ambition, mais plutôt une forme de pragmatisme, lequel est souvent nécessaire lorsque l’on est animé d’une véritable volonté de faire évoluer certains modes de pensée et certaines traditions.

Il me semble en effet que, pour faire œuvre utile en matière de reconnaissance du vote blanc aux élections, il nous faut emprunter la voie du pragmatisme et rechercher la simplicité, ce qui fait consensus. Nous sommes, je crois, tous d’accord pour mettre en œuvre une méthode de décompte des voix qui opère une distinction entre les votes blancs et les votes nuls, et permette de faire apparaître clairement cette différence dans la publication des résultats des élections. Il s’agit là d’une étape utile. C’est un moyen simple de traduire de manière plus fine l’état de l’opinion et de répondre à la demande légitime des citoyens qui accomplissent leur devoir électoral en votant blanc et estiment que leur expression n’est pas prise en compte par le mode actuel de présentation des résultats.

Faut-il aller au-delà en intégrant les votes blancs dans le calcul des suffrages exprimés, comme le propose François Sauvadet dans la version initiale du texte dont il est tout à la fois l’auteur et le rapporteur ? Je ne le pense pas. L’amendement qu’il a déposé, semblable au nôtre, donne à croire que nous pourrons nous rejoindre sur ce point. En effet, comptabiliser les bulletins blancs parmi les suffrages exprimés nécessiterait, du point de vue juridique, de modifier la Constitution, s’agissant de l’élection présidentielle et des procédures référendaires. Du point de vue politique, en supposant que cet obstacle juridique soit levé ou contourné, comme le propose un amendement de nos collègues écologistes, je considère que nous irions à l’inverse de l’objectif recherché en affaiblissant la légitimité des candidats élus, ce qui revient, à mes yeux, à affaiblir notre démocratie, alors que nous entendons précisément la renforcer.

Favorables à la reconnaissance du vote blanc aux élections, nous voterons donc cette proposition de loi inscrite à l’ordre du jour à l’initiative du groupe Union des démocrates et indépendants et amendée par notre groupe dans un sens qui ne disconvient pas à son auteur, tout simplement parce qu’elle rejoint notre préoccupation. Cette petite avancée utile sera suivie d’autres initiatives d’ampleur, qui seront proposées à la représentation nationale au cours des prochains mois par le Gouvernement et par le groupe socialiste, républicain et citoyen, pour contribuer au renouveau démocratique de la République française. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans une démocratie, l’exercice du droit de vote est un acte civique de la plus haute importance. Il traduit en effet l’engagement de chaque électeur et témoigne de l’assise populaire des institutions. Cette affirmation est d’autant plus cruciale qu’en France l’exercice du droit de vote est intimement lié à la citoyenneté.

Actuellement, l’article L. 66 du code électoral assimile les bulletins blancs aux bulletins nuls. Or cette confusion, née de la volonté du législateur, ne correspond plus à la réalité électorale, ainsi qu’en témoigne la loi du 30 décembre 1988 relative aux machines à voter, qui prévoit l’enregistrement et la totalisation des votes blancs. Alors que les Français se sont massivement abstenus lors des élections régionales de 2010, ainsi qu’en 2012, et qu’une fois de plus, ils ont été nombreux à se tourner vers les extrêmes pour manifester leur mécontentement, il est urgent de prendre des mesures afin que les Français puissent pleinement s’exprimer. Un bulletin blanc n’est ni une abstention ni un vote nul. Il marque, au contraire, un choix, une volonté politique déterminée de participer au vote. Chaque électeur doit avoir ainsi le moyen d’exprimer son opinion, y compris l’opinion selon laquelle l’offre politique du moment ne correspond pas à son choix.

La proposition de loi de nos collègues UDI propose une véritable reconnaissance juridique du vote blanc : non seulement les votes blancs seraient décomptés séparément des votes nuls, mais ils seraient pris en compte dans le calcul des suffrages exprimés. Certains de nos collègues estiment que la non-comptabilisation du vote blanc dans les suffrages exprimés est une tradition française. Je ne partage pas cette vision de la démocratie représentative. On m’objecte qu’il deviendrait possible que les bulletins blancs représentent la majorité des suffrages : soit la majorité absolue au premier tour, soit la majorité relative au second. Cela aboutirait à l’organisation d’une nouvelle élection. Mais, comme le rapporteur, j’estime qu’une telle situation aurait le mérite de révéler une crise de confiance…

M. François Rochebloine. Très juste !

M. Dino Cinieri. …et bousculerait positivement notre système politique.

Dans le cadre du rapport, intitulé Pour un renouveau démocratique, de la commission chargée de la rénovation et de la déontologie de la vie publique, dite « commission Jospin », un sondage a été réalisé par LH2 et Le Nouvel observateur. Ce sondage évoque non seulement les pistes suivies par la commission – non-cumul des mandats, introduction d’une dose de proportionnelle –, mais aussi le vote blanc, que le rapport Jospin ne mentionne pas, mais que les sondeurs ont inclus d’eux-mêmes. La question est simple : « Jugez-vous nécessaire la prise en compte du vote blanc dans les résultats électoraux ? ». Le résultat est éloquent, puisque, sur un échantillon représentatif de 970 personnes, 69 % des sondés jugent cette reconnaissance « plutôt nécessaire ou tout à fait nécessaire ». Cette opinion est partagée par les différents courants politiques, puisque 70 % des sympathisants de la gauche et 64 % des sympathisants de droite y sont favorables. Nous ne sommes donc pas dans une opposition idéologique gauche-droite. C’est pourquoi, chers amis de l’UDI, je voterai votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Michel Issindou. L’UDI est à la fête !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Drapeau.

M. Jean-Luc Drapeau. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, sous chaque législature, est déposée sur le bureau de l’une de nos deux assemblées une proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections. Ces textes, qu’ils soient issus de parlementaires de gauche ou de droite, n’ont jamais trouvé d’application effective. Mais, aujourd’hui, nous faisons face à une crise démocratique qui doit tous nous interpeller. En effet, le 6 mai dernier, le nombre des bulletins blancs et nuls glissés dans l’urne a dépassé 2 millions, soit plus de 5 % des votants, atteignant ainsi un niveau comparable à celui des élections de 1995 et 2002. Face à une telle situation, nous ne pouvons rester les bras ballants. À cet égard, la proposition de loi du groupe UDI a le mérite de prendre en compte un malaise qui touche aux fondements de notre démocratie.

Nous devons faire preuve de pédagogie et de clarté. Abstention, vote blanc, vote nul : ces trois termes recouvrent chez nombre de nos concitoyens la même réalité. Or il y a de réelles différences. En effet, si le vote nul correspond à une expression parfois difficile à analyser – maladresse, défiance, rejet, doute –, le vote blanc reflète la démarche d’un électeur peut-être plus impliqué, ou conscientisé, qui exprime clairement un doute ou une perplexité face à l’offre politique. Néanmoins, la frontière entre vote nul et vote blanc reste parfois très ténue ; il est à noter que, dans les deux cas, l’électeur s’est déplacé.

La comptabilisation spécifique des votes blancs, donc leur reconnaissance, me paraît très positive ; c’est pourquoi nous voterons en faveur d’une telle mesure. En revanche, j’estime que leur comptabilisation dans les suffrages exprimés, non seulement n’apporterait pas la solution adéquate, mais compliquerait davantage encore les choses et nuirait à la clarté et la lisibilité, pourtant si nécessaires à nos concitoyens. En outre, le Conseil constitutionnel a régulièrement fait part de ses réserves à ce sujet, car l’assimilation des bulletins blancs aux suffrages exprimés aurait des conséquences techniques indésirables, dans le cadre d’élections législatives, par exemple. Par ailleurs, il souligne « l’ambiguïté que présenterait le décompte officiel des bulletins blancs : mesurerait-on la neutralité ou l’hostilité de l’électeur à l’égard des options en présence ? »

Pour ma part, je ne suis pas insensible au vote blanc, car il est l’expression d’un choix ; il correspond à ce que l’on pourrait appeler une abstention civique. Voter blanc, c’est exprimer son mécontentement, sans pour autant s’abstenir. C’est pourquoi le groupe socialiste a déposé un amendement qui vise expressément à ne pas comptabiliser le vote blanc dans les suffrages exprimés.

Dans le rapport, il est indiqué que, dans le cas où les bulletins blancs représenteraient la majorité des suffrages, une nouvelle élection pourrait être organisée. Mais, lorsqu’on regarde les taux d’abstention records atteints lors de certaines consultations électorales ces dernières années, on peut se demander si rajouter des élections aux élections changerait quelque chose. Il faut, de toute façon, de la clarté dans les scrutins, quels qu’ils soient. L’actualité nous montre les dégâts que peuvent causer l’improvisation et le manque de clairvoyance dans l’élaboration de règles mal conçues ou mal appliquées.

Mes chers collègues, le projet politique de l’UDI est de comptabiliser le vote blanc dans les suffrages exprimés, comme s’il s’agissait d’une potion magique qui permettrait de mettre fin à des années de désintérêt des Français pour les élections, de redonner l’envie aux citoyens de prendre toute leur part dans les décisions et de réinstaurer de la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants. La majorité souhaite agir. C’est tout le sens du rapport remis par Lionel Jospin au Président de la République, François Hollande, lequel a très clairement indiqué dans la lettre de mission que « le nouveau quinquennat qui vient de s’ouvrir [devait être] marqué par un nouvel élan donné à la démocratie et par un fonctionnement exemplaire des institutions publiques ». Certes, on peut déplorer l’absence de la reconnaissance du vote blanc parmi les recommandations du rapport. Mais nous souhaitons que des mesures fortes soient prises pour impliquer davantage nos concitoyens dans la vie publique. Cela passera par l’instauration d’un parrainage des candidats à l’élection présidentielle par les citoyens, par la création d’une autorité de déontologie de la vie publique ou par le renforcement du pluralisme à l’Assemblée nationale et de la parité. Nous sommes attendus sur tous ces sujets. La représentation nationale s’en emparera et je souhaite vivement que le texte qui sera prochainement présenté fasse l’unanimité dans cet hémicycle.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Bachelay, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Guillaume Bachelay. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la discussion générale touche à sa fin. La conclusion que l’on peut en tirer, c’est la conviction, largement partagée sur nos bancs, que la reconnaissance du vote blanc en matière électorale n’est pas un banal ajustement juridique ni une simple adaptation du code électoral, mais bel et bien une cause démocratique et une conquête civique. L’exposé des motifs de la proposition de loi de François Sauvadet, dont je salue l’engagement, résume bien l’enjeu : « Le vote blanc est un vote citoyen. » Il y va donc de l’intérêt général.

C’est cette cause qu’avait plaidée, en 2003, le groupe socialiste, sous l’impulsion de Laurent Fabius. Ceux qui animaient ce juste combat avaient la conscience aiguë que notre pays, à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle mais aussi des scrutins antérieurs, avait manifesté un malaise démocratique dont le niveau de l’abstention ou encore le nombre de votes blancs ou nuls étaient les symptômes mesurables ou quantifiables. Y répondre, parmi d’autres propositions, à la fois institutionnelles et sociales, tel était le projet des députés socialistes et l’objet du texte qu’ils avaient alors déposé et dont une navette parlementaire eut raison – ou tort, selon le sens que chacun donnera au mot. C’est pourquoi il est utile que la représentation nationale se saisisse de la reconnaissance du vote blanc aux élections.

En attendant, je l’espère, sa traduction en actes pour nos concitoyens, il y a là, aujourd’hui, la reconnaissance symbolique de l’appartenance à ce que le président Urvoas a appelé, le 14 novembre dernier lors du débat en commission des lois, « la communauté de destin qui s’enracine dans le vote », communauté de destin fragilisée par une participation à éclipses et même déclinante des électeurs aux différents scrutins auxquels ils sont convoqués.

Même si les élections à forte intensité politique, comme l’élection présidentielle et, dans une moindre mesure, les élections législatives, connaissent de bien meilleurs taux de participation que d’autres scrutins moins mobilisateurs, chacun a ici à l’esprit que les deux tours du scrutin des 10 et 17 juin derniers ont connu les plus forts taux d’abstention jamais enregistrés sous la Ve République pour des élections législatives.

La reconnaissance du vote blanc, parce qu’elle élargit le champ des possibilités offertes à l’électeur, peut combattre cette désaffection civique. Mes collègues, sur tous les bancs, l’ont déjà fort bien dit : vote blanc et vote nul ne sauraient être superposés, encore moins confondus. Celle ou celui qui vote blanc commet un acte délibéré et raisonné. Puisque le bulletin blanc – pour les raisons historiques fort bien rappelées par le ministre et le président Urvoas – n’est pas disponible parmi les bulletins à disposition dans le bureau de vote, alors le vote blanc est anticipé – il a fallu le préparer à l’avance – et pesé puisqu’il faut le glisser physiquement dans l’urne. C’est un acte intentionnel qui n’a pas, avec le bulletin nul, de différence de degré, mais bien de nature : le choix du bulletin blanc est un acte politique.

M. François Rochebloine. Exactement !

M. Guillaume Bachelay. En soutenant la proposition de loi dès lors que sa mise en œuvre ne modifie pas les règles de calcul de la majorité, nous envoyons aux Français un message simple, un message fort qui résume, je crois, la philosophie de la discussion de ce matin : l’élection est faite pour que les électeurs s’expriment avant d’être faite pour celles et ceux qu’elle désigne. C’est l’une des mesures qui peut répondre à la crise de confiance traversée par notre démocratie. Il en faudra d’autres.

Beaucoup ont été identifiées par la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, qui a remis récemment un rapport de grande qualité au Président de la République. Je citerai la modernisation de l’élection présidentielle grâce notamment à l’évolution du mode de parrainage ; une meilleure représentativité du Parlement grâce à la limitation du cumul des mandats, à la rénovation du mode de scrutin et à la parité effective, avec des sanctions accrues pour les formations politiques qui ne la respecteraient pas ; la réforme du statut pénal du chef de l’État. Notre assemblée sera amenée à se prononcer sur un certain nombre de ces dispositions, je l’espère dans le même état d’esprit que celui qui prévaut ce matin.

M. Michel Issindou. Ce n’est pas si sûr !

M. Guillaume Bachelay. Le rapport de la commission insiste également sur l’urgence de la mise en place d’un véritable statut de l’élu pour favoriser le retour des élus à l’emploi à la fin de leur mandat et valoriser leur expérience. C’est un aspect majeur de la rénovation démocratique. Cela aussi, il faut et il faudra le dire dans notre hémicycle et dans le pays.

Dans l’attente de ce débat que j’espère prochain, je ne peux que me réjouir, militant de longue date pour l’objet de cette proposition de loi, qu’elle réunisse par-delà les clivages partisans. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Sauvadet, rapporteur. Madame la présidente, je veux saluer la qualité du débat que nous venons d’avoir autour d’une idée que nous partageons : la vitalité de notre démocratie et la reconnaissance de l’acte citoyen que constitue le fait d’aller voter, même si l’on n’exprime pas un choix par son vote et que l’on ne se reconnaît pas dans l’offre proposée.

À travers les propos qui ont été tenus, on voit qu’une très large convergence est en train de se manifester sur tous les bancs de l’Assemblée pour avancer ensemble. J’aurais préféré, vous le savez, pouvoir aller au bout de la démarche en reconnaissant le vote blanc comme un suffrage exprimé. Toutefois, je n’ignore pas les difficultés juridiques inhérentes à une telle mesure, que le ministre a évoquées ainsi que le président de la commission des lois. On peut déjà avancer en reconnaissant le vote blanc, c’est-à-dire en l’annexant au procès-verbal de l’élection. C’est une avancée dont chacun s’accorde à reconnaître qu’elle n’est pas mineure.

Aux membres des associations qui nous recommandaient d’aller au-delà, c’est-à-dire de ne pas rechercher la voie de la convergence, je veux dire qu’ils se trompent de combat.

M. François Rochebloine. Tout à fait !

M. François Sauvadet, rapporteur. Ce ne serait pas rendre service à l’idée que nous avons que lorsqu’on va voter, lorsqu’on fait cet acte citoyen, lorsqu’on s’inscrit ainsi dans la marche démocratique, on doit être reconnu même si l’on ne se reconnaît pas soi-même dans l’offre politique proposée.

C’est cette voie de convergence que nous avons choisie, avec Jean-Louis Borloo, au sein du groupe UDI. Elle a rencontré l’adhésion du groupe majoritaire et de la majorité des groupes, et je m’en réjouis.

Je m’attarderai sur un point qui a souvent été évoqué par les uns et par les autres. Y a-t-il affaiblissement démocratique ou de la légitimité à reconnaître qu’un certain nombre de suffrages ne se sont pas portés sur le candidat élu ? Je considère que ce qui fonde la légitimité, c’est d’abord l’élection. Dès lors que l’on est élu, on est élu du peuple, de la nation, dans les conditions qui sont fixées.

M. Jean-Louis Borloo et M. François Rochebloine. Très bien !

M. François Sauvadet, rapporteur. Il n’y a pas d’atteinte à la légitimité à reconnaître qu’un certain nombre de nos compatriotes ont fait des choix différents.

M. François Rochebloine. Absolument !

M. François Sauvadet, rapporteur. D’ailleurs, ils le font au premier tour, au second tour. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je ne partage pas votre avis sur l’affaiblissement de la légitimité.

Cela vaut d’ailleurs pour le Président de la République. On peut légitimement s’interroger lorsqu’on constate, pour une élection majeure comme celle-là, que bon nombre de nos compatriotes ne sont pas allés voter et que de surcroît, le jour du second tour, 2,1 millions de bulletins blancs et nuls ont été décomptés. Lorsqu’on analyse le comportement de nos compatriotes, ce serait faire preuve d’aveuglement que de ne pas reconnaître le vote blanc, de ne pas regarder la société avec ses malaises, ses soubresauts, en particulier quand le pays traverse des crises auxquelles le Gouvernement et la majorité, mais aussi l’opposition, dans le rôle qui est le sien, ont la responsabilité d’apporter des réponses.

Je veux saluer le rôle de la commission des lois et la part active prise par le président Urvoas dans nos efforts pour parvenir à un consensus.

Je rrépondrai brièvement aux interventions des orateurs.

Je veux dire à M. Coronado que sa position est assez proche de celle que j’avais pu exprimer dans un premier temps, au nom du groupe UDI.

M. Tourret nous a fait part de sa conviction profonde et de ses interrogations sur les conditions dans lesquelles la reconnaissance du suffrage exprimé pourrait poser problème.

J’ai été très sensible aux propos tenus par Marc Dolez, au nom du Front de gauche. Il a raison, c’est un pas important que nous faisons ensemble dans la reconnaissance de cette forme de citoyenneté qu’est l’expression d’un vote.

M. Le Borgn’ a parlé, lui aussi, de la légitimité démocratique via la reconnaissance comme suffrage exprimé du vote blanc. Je n’y reviendrai pas.

Quant à Lionel Tardy, je n’ai pas très bien compris ce qu’il a voulu dire.

Mme Marietta Karamanli. Nous non plus !

M. François Sauvadet, rapporteur. S’il s’est exprimé au nom du groupe UMP, alors j’avoue ma surprise totale.

M. Lionel Tardy. Je me suis exprimé en mon nom !

M. François Sauvadet, rapporteur. En 2003, un texte qui avait le même esprit que celui dont nous discutons aujourd’hui, avait été adopté ici. Nous étions quasiment à fronts renversés puisque le groupe majoritaire était alors l’UMP. Le vote majoritaire n’avait pu être obtenu que parce que le groupe UMP s’y était engagé avec Pascal Clément. Si la position de Lionel Tardy est celle du groupe UMP, ce serait donc un vrai changement de cap. Mais il s’en défend et, heureusement, M. Cinieri a une position conforme à celle qu’avait le groupe UMP précédemment.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il a une position mesurée !

M. François Sauvadet, rapporteur. Guy Geoffroy a fait part d’interrogations qu’il ne faut pas balayer d’un revers de main. J’ai bien compris tous ses arguments qui ne sont pas mineurs puisque j’ai accepté de les prendre en compte dans un amendement commun. Par ailleurs, il considère, à juste titre, que ce n’est pas très satisfaisant pour nous, démocrates, de voir se multiplier les votes blancs, alors que nous appelons le gens à aller voter pour faire des choix politiques.

J’ai bien entendu les propos de M. Collard avec lequel, chacun sait, nous n’avons pas de proximité politique. Il a indiqué que la personne qui va voter s’inscrit dans la « marche démocratique ». Je fais mienne cette déclaration, mais la convergence s’arrêtera là.

Yves Jégo s’est exprimé au nom de l’UDI. Je vous dois la vérité : je ne doutais pas de son soutien. (Sourires.) En ces temps où les débats se multiplient dans les partis politiques, nous avons là une convergence et une unité que je tenais à souligner.

M. Francis Vercamer. Quel excellent rapporteur !

M. François Sauvadet, rapporteur. En conclusion, mes chers collègues, je vous remercie à nouveau pour la qualité de nos débats qui, je le crois, sont à l’honneur de la démocratie, dont nous partageons la responsabilité dans le respect de nos différences.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. M. Sauvadet ayant répondu à l’ensemble des orateurs inscrits dans la discussion générale et exprimant ainsi une nostalgie de la responsabilité gouvernementale (Sourires), je ne me livrerai pas à cet exercice qui d’habitude incombe au ministre. Je veux bien, dans l’esprit de consensus qui se dégage ce matin, lui abandonner cette tâche.

Nous avons abordé une question fondamentale si l’on veut bien la replacer dans le contexte de la lutte des hommes pour l’accès à la démocratie. Au fond, c’est une question de riches que de se demander si l’on doit comptabiliser ou non les votes blancs. C’est une question que se posent ceux qui peuvent voter. L’essentiel doit être de penser à ceux qui meurent pour cette conquête fondamentale. Aujourd’hui, la démocratie reste une exception. Ailleurs, des gens nous érigent en modèle et aspirent tout simplement à cette liberté fondamentale, celle de voter,…

M. François Sauvadet, rapporteur. C’est vrai !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …ce moment unique où, quelles que soient les inégalités dans la société, chaque voix, chaque être humain a la même valeur. C’est peut-être le seul moment où cette égalité absolue se rencontre.

Si la proposition de loi est adoptée, il faudra éviter tout risque de confusion, dans les commentaires, entre l’abstention et le vote blanc. Je l’ai dit tout à l’heure, il y a eu 40 % d’abstention au premier tour des élections législatives, celles qui constituent la représentation nationale, celles qui désignent les élus qui doivent élaborer la loi, c’est-à-dire statuer dans l’intérêt général.

Chacun ici le sait, l’explosion de l’abstention peut conduire à une crise démocratique. L’explosion du vote blanc ne pourrait être que le constat de l’insuffisance de l’offre politique, ou parfois, en soi, un positionnement politique. Cela a été rappelé : à un moment donné de l’histoire, « bonnet blanc et blanc bonnet », ce n’était pas une formule, mais un positionnement politique. L’abstention à un référendum sur le quinquennat, c’est un positionnement politique. Chacun, à un moment donné, a pu utiliser le vote blanc pour exprimer sa position.

Raison de plus, quand on reprend cette distinction fondamentale entre l’abstention et le vote blanc, d’offrir aux citoyens la réponse possible du vote blanc, parce que l’essentiel est de dire à chacun : « Surtout ne banalisez pas ce droit fondamental qui a été conquis par tant de siècles de lutte et que beaucoup nous envient dans le monde. Même si nous sommes défaillants, nous, les partis politiques, au moins revenez à l’essentiel : au droit à la citoyenneté, au droit de voter. »

En ce sens, monsieur le rapporteur, je pense que votre démarche d’aujourd’hui s’inscrit dans un consensus républicain et dans des aspirations qui nous sont communes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, écologiste et UDI.)

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Sergio Coronado. Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de rappeler nos convergences de vues sur la reconnaissance du vote blanc. Dans cet esprit, il me semble que le débat a été bien situé par le président Urvoas quand il a expliqué que le vote était destiné essentiellement à choisir son représentant. Néanmoins, on peut souhaiter que le vote puisse à un moment donné permettre simplement d’exprimer une opinion : je m’inscris également dans cet esprit-là.

À partir du moment où on considère que le vote blanc peut être l’expression d’une désapprobation, d’une exaspération, une manière de signifier – un peu par effraction – son mécontentement ou son refus de l’offre politique, on envisage les choses d’une autre façon. C’est pourquoi je ne pense pas que l’argument de la légitimité soit très pertinent, et je voudrais m’en expliquer rapidement, si Mme la présidente le permet.

Nous sommes ici trois représentants des Français de l’étranger : Axelle Lemaire, Pierre-Yves Le Borgn’ et moi-même. Je crois que Pierre-Yves Le Borgn’ a eu tort d’invoquer la légitimité, parce que si la légitimité des nouveaux représentants des Français de l’étranger devait dépendre des suffrages exprimés en leur faveur, vous seriez en droit aujourd’hui de la contester, ce qui n’a jamais été le cas depuis notre élection parce que vous nous considérez comme des parlementaires comme les autres, dès lors que l’élection a été acquise.

Pour deux scrutins : l’élection présidentielle et le référendum, il y a une contrainte constitutionnelle qui s’oppose à la prise en compte du vote blanc dans les suffrages exprimés. Le choix a donc été fait par le groupe majoritaire avec l’assentiment du rapporteur d’écarter cette prise en compte. Je voudrais simplement, en défendant cet amendement, montrer qu’il y avait une autre voie possible pour que le vote blanc puisse être décompté parmi les suffrages exprimés, en excluant cette possibilité pour ces deux scrutins seulement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Sauvadet, rapporteur. Vous préconisez, monsieur Coronado, de prévoir par exception l’exclusion de l’élection présidentielle et des référendums. Pour les autres scrutins, vous souhaitez que le vote blanc soit comptabilisé dans les suffrages exprimés. J’aurais été tenté de vous suivre mais, compte tenu de ce qui a été indiqué, je vous suggère de retirer votre amendement, dont j’ai bien compris le sens.

J’ai entendu aussi les arguments, qui ne sont pas à balayer d’un revers de main, développés par le président Urvoas : dans le cas d’un référendum, le vote « non » et le vote blanc pourraient atteindre un niveau supérieur au vote « oui ».

Je vous demanderai donc de ne pas me conduire à émettre un avis négatif en retirant votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Votre amendement, monsieur Coronado, a pour objet de lever les obstacles qui s’opposent à l’objectif initial de la proposition de loi, à savoir comptabiliser le vote blanc dans les suffrages exprimés. Il y avait évidemment un problème qui ne vous a pas échappé : celui de l’élection présidentielle, puisqu’il aurait fallu procéder à une révision constitutionnelle.

Vous essayez de lever cet obstacle. C’est un effort méritoire, néanmoins il en reste beaucoup d’autres. Notamment, compte tenu de votre engagement, vous devriez être sensible à la question de la protection des partis politiques minoritaires, même au sein d’une majorité. L’une des conséquences premières de ce que vous souhaitez serait, dans les élections locales, d’augmenter les efforts à faire pour être représentatif, puisque le seuil de 5 % serait plus difficile à atteindre, de même que les fusions de liste. Je ne crois pas que ce soit l’objectif que vous poursuivez et je rejoins donc le rapporteur : il me paraîtrait beaucoup plus sage de retirer cet amendement. À défaut, le Gouvernement émettrait un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. J’ai pris acte de l’évolution du rapporteur et de la bonne volonté du groupe majoritaire comme du ministre. J’acte qu’il s’agit d’un premier pas. Ce que je voulais verser au débat, c’est que la question de la légitimité ne me paraît pas être l’argument prioritaire pour s’opposer à la prise en compte du vote blanc dans les suffrages exprimés.

Par ailleurs, monsieur le ministre, on défend parfois des principes ou des convictions qui ne sont pas nécessairement liés à des intérêts électoraux immédiats.

Cela étant, je retire mon amendement.

(L’amendement n°4 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 2 et 3.

La parole est à M. Pierre-Yves Le Borgn’, pour soutenir l’amendement n°2.

M. Pierre-Yves Le Borgn‘. C’est un amendement qui ressemble beaucoup à celui que va présenter M. Sauvadet. Il est la condition, si l’on peut parler ainsi, de l’adoption de la proposition de loi. Cet amendement vise à ne pas prendre en compte le vote blanc dans le calcul des suffrages exprimés, tout en le reconnaissant dans sa rigueur et dans son expression. Il s’agit à la fois de maintenir la force symbolique de la majorité absolue et de respecter l’article 7 de la Constitution pour l’élection du Président de la République.

Mme la présidente. La parole est à M. François Sauvadet, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. François Sauvadet, rapporteur. Je voudrais dire au porte-parole du groupe SRC, M. Le Borgn’, que son amendement ressemble beaucoup au mien, puisque c’est exactement le même. (Sourires.)

Vous connaissez tous la position du groupe UDI, qui consistait à aller jusqu’au bout de la démarche, à reconnaître le vote blanc comme un suffrage exprimé. J’ai bien entendu les objections et j’ai pris acte aussi de la volonté commune d’avancer, avec une première étape qui serait la reconnaissance du vote blanc, celui-ci faisant l’objet d’une comptabilité annexée au procès-verbal de l’élection. Cette avancée n’est pas mineure. C’est pourquoi j’ai accepté, en écoutant les remarques de la commission et, il faut le dire, du groupe majoritaire, de faire ce chemin ensemble. Cet amendement n’a donc rien de paradoxal, mais traduit simplement ma volonté d’avancer vers la reconnaissance du vote blanc dans notre pays. Je me réjouis qu’il y ait convergence. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je ne vais pas reprendre l’ensemble du débat : le Gouvernement est favorable à cet amendement reprenant la solution qu’il a lui-même préconisée.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Le groupe RRDP considère qu’il ne s’agit pas d’un amendement de repli, mais d’un amendement central qui donnera sa consistance au texte même de la loi. C’est pourquoi nous l’approuvons.

(Les amendements identiques nos 2 et 3 sont adoptés.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous annonce que sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe UDI d’une demande de scrutin public.

Je fais d’ores et déjà annoncer le scrutin dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je suis saisie de deux amendements, nos 1 et 7 rectifié, pouvant faire l’objet d’une discussion commune.

La parole est à M. François Sauvadet, pour soutenir l’amendement n° 1.

M. François Sauvadet, rapporteur. Il vise à préciser qu’une enveloppe vide équivaut à un vote blanc. C’est un amendement que j’ai déposé après avoir rencontré plusieurs constitutionnalistes pour qui cette précision était nécessaire, rien n’obligeant à mettre des bulletins blancs à la disposition des électeurs. L’enveloppe vide sera en pratique plus commode pour l’électeur, qui n’aura pas à se munir d’une feuille blanche.

Si cet amendement est adopté, je considérerai que l’amendement n° 7 rectifié de M. Coronado est pleinement satisfait.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 7 rectifié.

M. Sergio Coronado. Cet amendement vise également à permettre que les enveloppes sans bulletin, qui expriment la volonté de l’électeur de refuser le choix qui lui est offert, soit intégrées dans le décompte des votes blancs.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Sauvadet, rapporteur. Je vous demanderai, monsieur Coronado, pour des problèmes strictement rédactionnels, de retirer votre amendement et de vous rallier à celui que j’ai déposé : vous pouvez considérer que vous l’avez inspiré et qu’il vous en revient une partie du mérite.

M. Sergio Coronado. Je rejoins notre rapporteur : l’amendement est retiré.

(L’amendement n° 7 rectifié est retiré.)

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement du rapporteur ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Cet amendement prévoit que les enveloppes sans bulletin sont considérées comme des votes blancs. Le Gouvernement est favorable à cet amendement qui permet de clarifier le statut de ces enveloppes vides au moment du dépouillement.

(L’amendement n° 1 est adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Après l’article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Sergio Coronado. L’article 58 du code électoral dispose que, « dans chaque salle de scrutin, les candidats ou les mandataires de chaque liste peuvent faire déposer des bulletins de vote sur une table préparée à cet effet par les soins du maire ». Mais il n’est pas prévu de mettre des bulletins blancs à la disposition des électeurs. Cet amendement vise à pallier ce manque.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Sauvadet, rapporteur. Eu égard à l’article 40, je ne suis pas sûr que nous puissions voter un tel amendement, qui induit évidemment une charge. De plus, monsieur Coronado, nous venons de voter un amendement que vous avez vous-même contribué à faire adopter et qui prévoit qu’une enveloppe vide équivaut à un vote blanc. Il serait paradoxal d’imposer en même temps à chaque mairie la mise à disposition de bulletins blancs.

Je vous suggère donc de retirer votre amendement : vous avez pleinement satisfaction.

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de convergences. À partir du moment où nous avons pu trouver un accord sur les enveloppes sans bulletin, il est vrai que cet amendement n’a plus la même pertinence. Il est retiré.

(L’amendement n° 5 est retiré.)

Articles 2 à 4

(Les articles 2, 3 et 4 sont successivement adoptés.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je vais maintenant mettre au voix l’ensemble de la proposition de loi .

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 90

Nombre de suffrages exprimés 90

Majorité absolue 46

(La proposition de loi est adoptée à l’unanimité.)

(Applaudissements.)

2

Fixation des tarifs réglementés du gaz naturel

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Louis Borloo, visant à déconnecter le prix du gaz de celui du pétrole pour la fixation des tarifs réglementés du gaz naturel (nos 285, 412).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Reynier, rapporteur de la commission des affaires économiques.

M. Franck Reynier, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, mes chers collègues, la proposition de loi qui vous est présentée par Jean-Louis Borloo et l’ensemble du groupe UDI poursuit un objectif clair : donner davantage de pouvoir d’achat aux Français en réduisant leur facture énergétique, mais également rendre plus justes les modalités de fixation du tarif du gaz. Pour parler simplement, il s’agit de payer le gaz au prix du gaz.

Avant de vous rappeler quelques éléments de contexte, je tiens à souligner que le choix des modalités du calcul du prix de référence du gaz n’est pas un choix technique mais bien politique. C’est dans cette perspective que le groupe UDI propose ce texte au Parlement.

Depuis plusieurs années, le prix du gaz est historiquement bas sur les marchés, de l’ordre de 20 % moins cher que le prix du gaz acheté dans le cadre des contrats de long terme.

Les Français sont attachés à GDF-Suez et aux tarifs réglementés ; mais cet attachement ne rend que plus urgente la nécessité de leur apporter des explications.

M. André Chassaigne. La nationalisation !

M. Franck Reynier, rapporteur. Le groupe UDI a souhaité poser ce problème devant la représentation nationale. La présente proposition de loi apporte des solutions concrètes qui permettraient enfin aux Français de bénéficier de la baisse des prix du gaz sur les marchés.

Les contrats de long terme prédominent en matière d’approvisionnement du fournisseur historique. Il n’est pas question de les remettre en cause puisqu’ils sont indispensables à la sûreté des approvisionnements, mais il faut rappeler quelques points importants, notamment le fait que les marchés gaziers européens sont caractérisés par une divergence des prix des contrats à long terme indexés et des prix spot qui sont les prix du marché, aujourd’hui sensiblement inférieurs.

Cette situation nouvelle trouve notamment son origine dans la crise économique et dans ce qu’on peut appeler la « bulle gazière » qui en a résulté. Mais le phénomène a été accentué par le développement mal anticipé des gaz non conventionnels aux États-Unis,…

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Mal anticipé par qui ?

M. Franck Reynier, rapporteur. …qui a libéré des cargaisons de gaz naturel liquéfié pour les marchés européens, conduisant à un excès d’offre. Les prix sur ces marchés sont actuellement de l’ordre de 24 euros par mégawatheure, contre plus de 30 euros pour le gaz acheté dans le cadre des contrats de long terme.

C’est de ce système que le consommateur français est aujourd’hui l’otage. Le prix du gaz pour ce dernier dépend essentiellement du résultat d’une négociation entre l’opérateur historique, GDF-Suez, et les producteurs de gaz norvégiens, hollandais, russes ou algériens.

J’en viens à l’indexation des prix des contrats de long terme sur les prix des produits pétroliers. Dans la très grande majorité des cas, cette indexation s’effectue en référence à un indice construit comme un panier de produits pétroliers. Historiquement, l’indexation des prix du gaz négociés dans le cadre des contrats de long terme résulte du fait que les produits pétroliers étaient les substituts directs du gaz naturel. Les opérateurs avaient la certitude que le gaz qu’ils achetaient via les contrats de long terme demeurait compétitif par rapport aux produits pétroliers comme le fioul domestique. Cette situation est révolue : la consommation de gaz naturel n’est plus en concurrence avec les produits pétroliers mais avec le charbon, pour la production d’électricité, et avec l’électricité elle-même pour les usages de chaleur. Le système d’indexation sur les produits pétroliers empêche de valoriser le gaz en fonction de son véritable prix de revient.

Il n’y a plus aucune raison de lier le prix du gaz à celui du pétrole et donc de voir le premier tiré ainsi à la hausse. Le ratio des réserves sur la production est de l’ordre de quarante-cinq ans pour le pétrole, contre plus de soixante ans pour le gaz naturel. Lorsque le prix du pétrole s’élève, celui du gaz naturel aussi, sans que cela ne corresponde à aucune réalité économique.

Lorsque nous comparons le niveau des prix du gaz pour les ménages dans les différents pays européens, autant la suppression des tarifs réglementés de vente produit des effets variables, autant les bénéfices d’une désindexation des tarifs réglementés de vente sur le prix des produits pétroliers sont clairs et au bénéfice du consommateur.

Les prix proposés à partir des contrats de long terme ne diminueront pas. Certes, GDF-Suez s’engage dans un processus de renégociation de ses contrats avec ses cinq principaux fournisseurs depuis un an. Reste que ces évolutions ne sont pas suffisantes : les tarifs réglementés de vente proposés par GDF-Suez au consommateur sont encore bien supérieurs aux tarifs du marché et cette situation ne risque pas de s’inverser en raison de la hausse fort probable des prix des produits pétroliers. Parallèlement, le prix du gaz sur le marché s’inscrit durablement à la baisse ou, du moins, devrait demeurer stable à un niveau bas.

La proposition de loi vise à mettre fin à cette situation incompréhensible pour nos concitoyens et à leur permettre de bénéficier, enfin, de la baisse des prix du gaz sur le marché, cela grâce à deux mesures : les coûts d’approvisionnement de GDF-Suez pour la fourniture des tarifs réglementés ne seraient plus compensés s’ils sont fonction des produits pétroliers ; ensuite, les fournisseurs de gaz naturel français devraient renégocier leurs contrats d’approvisionnement pour que les prix de ces derniers ne soient pas indexés sur les produits pétroliers.

D’aucuns objecteront que les fournisseurs ne sont qu’une des deux parties au contrat, et qu’il est nécessaire que l’autre partie soit d’accord pour qu’il y ait renégociation. S’il était retenu, un tel argument aurait pour effet de ralentir un changement décisif pour le consommateur. Grâce à la désindexation des tarifs réglementés de vente sur les prix du pétrole et au développement d’un marché du gaz au niveau européen, le consommateur pourra enfin se chauffer avec un gaz qu’il paiera à son juste prix.

Monsieur le ministre, j’allais oublier un point : le groupe UDI, lors de la discussion du texte défendu par François Brottes, avait déposé un amendement en ce sens. Nous souhaitions déjà déconnecter les tarifs du gaz de ceux du pétrole. Mme la ministre de l’écologie avait répondu en séance à notre collègue Bertrand Pancher que les contrats de service public qui lient GDF-Suez à l’État allaient être renégociés. Elle nous avait assuré bien comprendre l’intention de cet amendement et, même, qu’elle en retiendrait l’idée à défaut de pouvoir en accepter la formulation. Nous avons entendu le message et donc présenté une nouvelle formulation du texte, qui devrait permettre aux consommateurs français, j’y insiste, de payer le gaz au prix du gaz et d’améliorer ainsi leur pouvoir d’achat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la question soulevée par cette la proposition de loi est complexe puisqu’elle englobe à la fois des aspects juridiques, des aspects relatifs au pouvoir d’achat et aussi des aspects concernant la sécurité d’approvisionnement. Delphine Batho aurait aimé pouvoir aborder ces différents thèmes avec vous et m’a demandé de bien vouloir l’excuser : elle est retenue actuellement par un débat sur la transition énergétique dans le cadre du congrès des maires de France.

L’objectif de diminuer les tarifs du gaz, nous le partageons. Il consiste à faire baisser la facture, parfois douloureuse, pour le consommateur français en particulier, dans un contexte de hausse des prix du gaz. Je ne peux que regretter, monsieur Borloo, que cette idée, si elle était applicable, n’ait pas été mise en œuvre au cours du quinquennat précédent car la déconnexion entre les prix du gaz et ceux du pétrole dont vous faites état, et à laquelle je reviendrai, existe depuis la mi-2009. Ainsi le président Brottes a-t-il évoqué un acte de repentir, formule fine et juste.

En revanche, je rappelle que c’est vous qui avez mis en place le cadre actuel de la tarification, qui avez signé le contrat de service public, qui avez modifié par deux fois la formule tarifaire et, enfin, qui avez laissé un contentieux juridique sur le gaz – en plus de nombreux autres sur l’énergie, qu’il s’agisse de l’électricité ou du réseau –, conduisant aujourd’hui à un rattrapage qui doit s’appliquer à l’ensemble des consommateurs.

La question des tarifs réglementés du gaz est complexe, vous en conviendrez, car elle doit traiter deux aspects : le prix, bien entendu, et la sécurité d’approvisionnement. La sécurité d’approvisionnement n’est pas un vain mot et je souhaite rappeler quelques épisodes récents. Le système gazier français est en effet exposé à plusieurs types de risques

D’abord, le « risque froid » qui, compte tenu de la structure de la consommation française, peut se traduire par une demande de gaz très supérieure à la normale. Ensuite, le risque de réduction non programmée des entrées de gaz sur le réseau français, qui peut avoir pour origine une défaillance technique ou des circonstances particulières dans un pays fournisseur ou de transit : crise géopolitique, insuffisance de la production pour honorer les exportations, notamment. Enfin, le risque de défaillance d’une infrastructure, qui n’est pas une situation impensable, qu’il s’agisse des stations de compression, des gazoducs ou d’autres moyens de stockage.

Ces risques existent. L’approvisionnement français en gaz a connu, au cours des dernières années, plusieurs périodes de tensions aux origines variées. Souvenez-vous : au cours de l’hiver 2003-2004, à la suite de l’accident survenu dans l’usine de liquéfaction de Skikda en Algérie le 19 janvier 2004, la réduction d’approvisionnement de GNL algérien a été compensée par une forte sollicitation des stockages en cavité saline du Sud-Est de la France en fin d’hiver puis par des approvisionnements de gaz provenant d’autres sources.

Au cours de l’hiver 2004-2005, du fait d’une combinaison de facteurs – la réduction durable des approvisionnements GNL en provenance d’Algérie, que je viens d’évoquer, et un régime climatique exceptionnel en fin d’hiver avec des températures très faibles entre le 25 février et le 13 mars –, il a fallu faire jouer les clauses d’interruptibilité de plusieurs clients industriels.

Plus récemment, en janvier 2009, à la suite d’un différend commercial dont on a beaucoup parlé entre la Russie et l’Ukraine, le transit de gaz russe via l’Ukraine a été réduit début janvier 2009, puis totalement interrompu le 7 janvier, jusqu’à une reprise, d’abord partielle, le 20 janvier, puis totale le 22 janvier. Cette crise a coïncidé avec un épisode climatique froid, qui a duré du 6 au 12 janvier 2009, avec une pointe le 7 janvier. Rappelez-vous les températures extrêmement basses que nous avons connues : il a fait jusqu’à – 9 °C à Paris. Cela nous a conduits à battre un record de consommation sur le réseau français. La baisse des approvisionnements a pu être compensée, cette fois encore, par un recours aux stockages souterrains, mais également par l’augmentation des entrées de gaz, de sorte que la crise n’a pas eu de conséquences sur les livraisons aux clients français.

Afin de garantir la sécurité d’approvisionnement, l’État a fait, de longue date, le choix de contrats long terme pour son approvisionnement en gaz. Rappelons qu’en 2011, la France a importé 37 % de son gaz de Norvège, 17 % des Pays-Bas, 15 % de Russie et 13 % d’Algérie. Ces contrats long terme, qui portent parfois sur des durées de plus de vingt ans, offrent aux clients et aux fournisseurs la visibilité dont ils ont besoin pour prendre des décisions d’investissements nécessaires à la sécurité d’approvisionnement. Or certains pays producteurs considèrent que seul le prix du pétrole est suffisamment fiable sur la durée.

Toutefois, nul ne peut ignorer le bouleversement que le marché mondial du gaz est en train de connaître. On constate des prix extrêmement bas aux États-Unis, du fait de l’exploitation des gaz de schiste, des prix extrêmement élevés en Asie, notamment à cause de la forte demande et, entre ces deux extrêmes, il y a l’Europe, dont on connaît la situation.

Le développement du gaz naturel liquéfié est l’élément clé qui a conduit à la baisse des prix sur les marchés spot européens. Il est normal que les consommateurs européens puissent bénéficier de l’opportunité que représentent les marchés spot, et c’est la tendance actuelle. Cela se traduit par une augmentation progressive de la part des marchés spot dans les contrats long terme, qui atteint près de 26 % aujourd’hui.

Cette augmentation de la part d’indexation sur les marchés spot a vocation à se poursuivre. D’abord, à mesure que les marchés spot européens se développent, les indices de prix qui y sont associés ont tendance à devenir plus robustes. De plus, le découplage persistant entre les prix indexés pétrole et les prix sur les marchés spot pousse les fournisseurs à renégocier leurs contrats et à diversifier leurs modes d’indexation. Si les prix spot européens sont aujourd’hui élevés –trois fois plus qu’aux États-Unis –, ils restent, au mégawattheure inférieurs d’environ 5 euros aux prix indexés pétrole.

Si une augmentation de la part du prix spot dans les tarifs réglementés, au bénéfice du consommateur, semble aujourd’hui encore possible dans une certaine mesure, celle-ci pourrait cependant trouver rapidement ses limites, et ce pour deux raisons.

D’abord, le marché spot est fortement volatile : une trop forte indexation pourrait inciter les opérateurs à réduire la part des contrats long terme dans leur approvisionnement, au profit d’achats directs sur les marchés spot. Une telle évolution se ferait nécessairement au détriment de la sécurité d’approvisionnement.

Ensuite, s’agissant de la proposition de loi que vous nous présentez, il semble qu’un certain nombre de dispositions soient difficilement applicables.

Vous n’êtes pas sans savoir que la plupart des grands pays producteurs sont opposés à une indexation à 100 % sur les marchés spot. Certains, comme la Russie, ont accepté d’introduire une indexation partielle sur les marchés spot, mais ne sont pas disposés à aller plus loin ; d’autres, comme l’Algérie, y restent fermement opposés. Dans ces conditions, la poursuite du seul objectif d’augmentation de la part spot des contrats peut être contre-productive. L’expérience prouve en effet que certains pays peuvent être disposés à revoir leurs prix à la baisse, sans pour autant modifier la part d’indexation sur les marchés spot et sur les marchés pétroliers : c’est le cas, notamment, de l’Algérie.

Par ailleurs, dans la mesure où peu de contrats arrivent à échéance avant 2020, GDF-Suez ne pourrait sortir de cette relation contractuelle sans payer à ses fournisseurs des indemnités considérables, qui seraient in fine supportées par le consommateur ou le contribuable français. La mesure, du reste, ne semble pas proportionnée à son objectif, car elle obligerait tous les fournisseurs, y compris les alternatifs, dont le pouvoir de négociation est beaucoup plus limité que celui de GDF-Suez, et qui risquent donc d’être fragilisés par cette mesure, à revoir leurs contrats, alors que l’enjeu prioritaire concerne la fourniture de gaz au tarif réglementé.

Juridiquement, enfin, les dispositions de la proposition de loi qui nous est soumise pourraient être analysées comme une privation de propriété, en ce qu’elles risquent d’entraîner un déficit de couverture des coûts et justifier une indemnisation des fournisseurs. L’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’autorise, en effet, la privation de propriété, que sous réserve de la nécessité publique, d’une part, et d’une juste et préalable indemnité, d’autre part.

Le Gouvernement partage donc les objectifs de cette proposition de loi, mais il n’accepte ni les moyens envisagés, ni les sacrifices qu’elle implique en termes de sécurité d’approvisionnement. C’est pourquoi il réfléchit à des pistes d’optimisation des coûts, ce qui passe par une progressivité adaptée à l’évolution du marché mondial du gaz. Il n’y a pas de situation immuable à cet égard : l’optimisation des coûts doit donc être supervisée en continu, et ne pas être complètement bouleversée par une telle proposition de loi, qui ne pourrait finalement être que contre-productive. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Nous avons eu un débat extrêmement intéressant sur cette proposition de loi, et le fait que M. Borloo en soit le premier signataire est un élément plus qu’utile, puisque son expérience en la matière lui donne une autorité sur le sujet. S’il a pu m’arriver de dire que cette proposition de loi ressemblait un peu à un acte de contrition...

M. André Santini. Oh !

M. François Brottes, président de la commission. …c’était, de ma part, une forme de jeu politique, dont je conviens qu’il n’était pas très utile. Je suis donc prêt à ne pas réutiliser cet argument.

Analysons ce qui s’est passé au cours des dix dernières années.

Nous avons d’abord vécu la privatisation de GDF, vous vous en souvenez. Je me rappelle avoir dénoncé dans cet hémicycle le fait que le contrat de service public qui liait GDF à l’État annonçait clairement, dans une de ses clauses, que les tarifs réglementés du gaz devaient rejoindre au plus vite les prix du marché : c’est à peu près dans ces termes que le texte était rédigé. Cela signifie qu’on avait déjà l’intention d’abandonner toute idée de réglementation en matière tarifaire.

Mon deuxième souvenir, pour m’intéresser depuis longtemps à ces questions, c’est celui d’un ministre – probablement M. Gaymard – essayant de faire en sorte que le politique ne se mêle plus des tarifs. Comme les tarifs augmentent et qu’il est difficile pour le pouvoir politique d’assumer publiquement cette évolution, mieux vaut laisser faire les régulateurs : tel est le raisonnement qui a été fait à cette époque, et qui ne valait pas seulement pour le prix de l’énergie. Ce fut la deuxième séquence, celle qui correspond à la période précédant l’arrivée de l’actuelle majorité : petit à petit, les politiques ont décidé de ne plus se mêler de cette affaire, où il n’y avait que des coups à prendre.

Il y a eu, récemment, une sorte de retour de manivelle. En refusant certaines des augmentations qui étaient demandées, on a laissé sous le tapis, pour le gouvernement suivant, des factures assez importantes, que sont d’ailleurs en train de payer les consommateurs français. On voit ainsi que le rapport entre les pouvoirs publics, aussi bien le législateur que le Gouvernement, et la réglementation des tarifs – en particulier du gaz – est une liaison éminemment dangereuse, qui, en tout état de cause, ne s’est pas stabilisée.

C’est donc une très bonne chose qu’un ancien ministre, qui était chargé de ces questions, revienne avec une proposition de loi et nous invite à aborder ce sujet différemment. Ce débat a le mérite d’exister et nous avons intérêt à l’avoir, parce que personne n’a la solution magique, dans un contexte où, de fait, on ne sait pas aujourd’hui qui décide. On a un peu de mal à comprendre. Il s’agit parfois des tribunaux : c’est une solution, mais cela peut coûter extrêmement cher, et ce n’est pas la meilleure option. Cela veut dire que, quelque part, le législateur n’a pas bien fait son travail.

La deuxième question qui se pose est celle du calcul : qu’est ce qu’on calcule, et comment s’y prend-on ? Lorsqu’on décompose le prix du gaz – et cela vaut pour d’autres énergies –, on y trouve un certain nombre d’éléments, à savoir le transport, la production et la distribution. Mais en ce qui concerne l’approvisionnement – M. le ministre a évoqué cette question –, j’ai toujours été très curieux de savoir comment était calculé son coût pour le marché français. J’avoue que je reste extrêmement circonspect : j’aimerais que l’on puisse avoir une analyse transparente et précise de ce que représente, dans le prix du gaz, la part de l’approvisionnement, et que l’on compare la situation de la France avec celle d’autres pays d’Europe. Je parle de fournisseurs qui n’ont pas vocation à vendre du gaz sur le seul territoire français.

À ce sujet, j’ai pensé que la commission des affaires économiques, lorsqu’elle aura un peu plus de temps et de moyens, pourrait travailler à une expertise de la ventilation des coûts d’approvisionnement sur la plaque européenne. On a là un sujet d’une opacité totale. Or l’approvisionnement pèse tellement lourd dans le prix du gaz qu’on ne peut pas faire l’impasse sur cette réflexion.

Par ailleurs, et M. le ministre l’a aussi indiqué, nous vivons à une époque où, avec l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis et la modification du mix électrique en Allemagne, pour ne parler que de ce pays voisin, le gaz a une place qu’il n’avait pas forcément au moment où on a légiféré à ce sujet dans notre pays.

Encore une fois, je pense que ce débat est plutôt bienvenu. Je considère la proposition de loi qui nous est présentée comme une proposition d’appel, inscrite dans une réflexion globale. Le Gouvernement nous dit qu’il y réfléchit et je l’en remercie, parce que nous ne pouvons pas rester dans cet imbroglio et dans cette opacité pendant une période aussi longue que celle que nous avons déjà connue. À la sortie, nous nous retrouvons avec des factures très lourdes, et je pense que les opérateurs ne sont pas toujours en situation de paupérisation.

Merci, donc, d’avoir ouvert ce débat. Bien évidemment, la commission n’a pas adopté le texte. Je pense que tout le monde a bien compris qu’on ne peut pas traiter cette question au détour d’une simple proposition de loi. Mais les propositions de loi sont là aussi pour que nous puissions anticiper sur des débats ultérieurs, qui nous amèneront, je l’espère, à trouver des solutions durables. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Merci, monsieur le président de la commission. Vous avez vu que la précédente proposition de loi avait été adoptée à l’unanimité.

M. Thierry Benoit. Très bien !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Louis Borloo. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. Jean-Louis Borloo. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous avons à nous pencher sur un problème qui évolue. Traditionnellement, l’énergie était une affaire d’État, entre États, sur des contrats long terme qui avaient souvent une dimension géostratégique et visaient à préserver l’indépendance des uns et des autres ; ces contrats étaient parfois des contrats couplés, qui concernaient à la fois le gaz et le pétrole. Telle est notre situation et il n’y a pas à en rougir. Nous avions raison de faire cela et, à l’époque, nous avions par ailleurs des établissements publics qui développaient ce système pour nos compatriotes. Il se trouve simplement, j’y insiste, que la situation a évolué.

J’ai vécu cette situation et je remercie le président Brottes d’avoir atténué son propos. J’ai vécu cette situation, cela me rendait malheureux, et c’est pourquoi j’ai déposé cette proposition de loi. Au fond, c’est assez simple.

Aujourd’hui, il n’y a aucune raison objective, pour le consommateur, d’indexer le prix du gaz sur le prix du pétrole. Vous pouvez l’indexer sur le bois ou ce que vous voudrez, mais il n’y a pas de raison objective – pour le consommateur, je dis bien – d’indexer le prix du gaz sur celui du pétrole…

M. Thierry Benoit et M. André Santini. Très bien !

M. Jean-Louis Borloo. …puisqu’il s’agit d’énergies à la fois concurrentes et contra-cycliques, et sur lesquelles il peut y avoir, tout à coup, des écarts considérables de prix, dans un sens ou dans l’autre.

M. François Brottes, président de la commission. Nous sommes d’accord.

M. André Santini. Le président est d’accord !

M. Jean-Louis Borloo. Honnêtement, la situation actuelle n’est pas acceptable et elle n’est pas supportable durablement,…

M. Yves Jégo. Bien sûr !

M. Jean-Louis Borloo. …je vous le dis comme ancien ministre de l’énergie.

C’est à partir de la fin de l’année 2008 qu’on a vraiment vu apparaître ces risques d’écarts majeurs, et c’est alors qu’on a nommé une première commission, chargée d’examiner cela : le président Brottes connaît parfaitement ces affaires. Il y a eu une première évolution du prix pour les consommateurs, décidée par la Commission de régulation de l’énergie, mais elle fut largement insuffisante.

Ne voyez dans ma démarche, monsieur le ministre, aucune opération politique. Vous allez être confrontés à ce problème dans les années qui viennent, et je peux vous dire comment cela va se terminer. Tous les six mois, vous allez recevoir une demande des gaziers distributeurs. Tous les six mois, ils vont réclamer, en application de la législation actuelle, une augmentation de 4, 6, 8, 10 ou 12 %, au nom de l’indexation. Et tous les six mois, vous allez essayer de négocier, pour réduire l’augmentation de moitié.

M. Arnaud Richard. C’est vrai!

M. Jean-Louis Borloo. Si l’augmentation réclamée reste supérieure, vous la refuserez. Les gaziers iront alors devant le Conseil d’État et feront appliquer le décret de 2009, qui est lui-même le décret d’application d’une loi.

Vous direz alors aux Français : « Moi j’voulte bien, mais j’poufte peu ! » Ce n’est pas supportable et ce n’est pas une solution durable.

Lorsque j’étais à votre place, j’étais totalement déterminé à faire aboutir cette évolution. Je ne sais pas si, restant au Gouvernement jusqu’au terme de la législature, j’aurais obtenu satisfaction, mais c’est à vous que le problème se pose aujourd’hui. Considérez notre proposition comme une démarche patriotique.

Monsieur le ministre, vous avez tort de lier la sécurité d’approvisionnement au prix répercuté aux consommateurs.

Vous pouvez dire, à juste titre, qu’il faut être attentif à ce que notre grand énergéticien ne soit pas mis en difficulté. Car GDF-Suez est un très grand énergéticien mondial, qui n’est pas uniquement fournisseur de gaz.

Vous pouvez dire, à juste titre, qu’il faut faire attention à la pression que l’on impose aux distributeurs de gaz lors du renouvellement de leurs propres contrats à moyen et long terme, et sur leur indexation sur le prix du pétrole.

Mais vous ne pouvez pas dire que nous continuerons à faire en sorte que le consommateur paie en fonction du prix du pétrole. C’est impossible, tout comme l’idée selon laquelle un grand groupe, coté en bourse, puissant, brillant, que nous estimons tous, définisse son résultat d’exploitation par l’opération suivante : « mon prix d’achat – quelles que soient les conditions de mes achats, qui ne vous regardent pas – plus mes coûts de distribution, est égal à mon profit, parce que je l’indexe. » Cela, c’est une rente énergétique, et ce n’est pas supportable.

Le système actuel n’encourage pas ce grand groupe à essayer d’optimiser et de diversifier ses achats, c’est une simple donnée.

Je comprends la difficulté de l’exercice. Je pense qu’il faut voter aujourd’hui un texte qui supprime la connexion entre le prix du gaz et celui du pétrole. Charge ensuite à l’Assemblée de décider de la création d’une mission d’information parlementaire pour éclairer le Gouvernement s’il le souhaite, ou charge au Gouvernement de réunir les parties prenantes, gaziers compris évidemment, pour trouver un nouveau panier sur lequel indexer le prix, qu’il s’agisse de données de l’INSEE, du prix du bois ou bien même du pétrole, mais d’une manière extrêmement différente.

Vous connaissez les chiffres : entre 2009 et 2011, les prix du gaz ont augmenté de 28 %. Aujourd’hui, la facture des Français pourrait être inférieure de 28 % ! Et vous ne pouvez pas exclure, monsieur le ministre, que cet écart entre le pétrole et le gaz se creuse. Ce n’est pas certain, ce n’est pas automatique, mais à moyen terme c’est l’hypothèse la plus probable, celle qui est retenue par tous.

Sur le nouveau panier, à vous de faire votre travail : vous êtes l’exécutif. Mais le Parlement doit vous adresser un signe en décidant qu’il n’est plus possible d’indexer le prix du gaz sur le pétrole. Vous pouvez qualifier cette proposition de loi de « texte d’appel », monsieur le président Brottes, mais encore faut-il que cet appel soit entendu, et pour qu’il le soit, il faut que le Parlement le vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi semble favorable au consommateur. Ses auteurs sous-entendent qu’il existe une véritable rente gazière préjudiciable aux usagers et proposent de s’y attaquer. Vouloir supprimer cette rente est tout à fait louable.

La proposition de loi qui nous est soumise naît donc d’un constat : la facture des usagers est injustement surévaluée au regard du prix réel du gaz sur le marché actuel. L’usager est donc victime de la formule qui permet de fixer le prix du gaz à l’échelon national et qui retient comme principale référence le prix des produits pétroliers.

Cette situation résulte de tensions spéculatives plus fortes sur le pétrole que sur le gaz. Cela tient à deux raisons. D’une part, les régions pétrolifères sont situées en grande partie dans des zones d’instabilité, voire de conflits. D’autre part, les réserves mondiales estimées de gaz devraient assurer notre approvisionnement pour une période plus longue que celles de pétrole. Qu’adviendra-t-il du prix du gaz à l’avenir ?

En dehors des mauvaises décisions prises par le gouvernement précédent, une des limites intrinsèques du marché tient à son incapacité structurelle à se projeter à moyen terme, et il est risqué de fonder une politique sur des suppositions bien aléatoires.

À chaque fois que le prix du pétrole s’envole, c’est parce que le risque de pénurie semble très proche. Jusqu’au début des années 2000, le cours du baril évoluait essentiellement selon les événements politiques au Moyen-Orient, presque au jour le jour. Ces dernières années, les fluctuations et la hausse moyenne des prix résultent principalement des difficultés à augmenter les capacités d’extraction et de raffinage, qui sont à leur maximum, alors que la demande des pays émergents croit considérablement.

Que notre approvisionnement soit assuré par la conclusion de contrats à terme ou que nous achetions sur les marchés spot, c’est-à-dire au jour le jour sur le marché international, la fixation du prix des énergies fossiles nous échappe en partie. Espérer qu’une loi française puisse à elle seule garantir dans la durée la baisse du prix du gaz ne nous convainc absolument pas.

Ce texte crée un autre risque, loin d’être négligeable : que la baisse du prix favorise le gaspillage, entraînant de fâcheuses conséquences sur le plan environnemental.

Nous devons donc répondre à un double défi : d’une part, faire en sorte que les mesures prises n’aient pas un impact négatif sur l’environnement ; d’autre part, rendre l’énergie plus accessible aux entreprises et aux ménages, particulièrement ceux dont les revenus sont les plus modestes.

La combustion du gaz, du pétrole et de toutes les énergies fossiles conduit à des rejets massifs de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, responsables de l’effet de serre et du dérèglement climatique, aujourd’hui avéré.

Le recours au gaz de schiste ne constitue pas non plus une solution. En effet, les résultats enregistrés en Amérique du Nord sont beaucoup moins intéressants que prévu, et le coût unitaire est nettement plus élevé que ce qu’espéraient les investisseurs. La proportion de gaz récupérée est nettement inférieure aux prévisions. Il faut donc multiplier les forages ; or c’est le coût du forage et le volume de gaz réutilisé qui détermine le coût de revient de l’exploitation.

Cette technique pose aussi un problème préoccupant en matière de changement climatique. Le gaz naturel qui n’est pas récupéré va s’ajouter aux gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il faut préciser que ce gaz, le méthane, à un impact sur le dérèglement climatique vingt-cinq fois plus important que celui du dioxyde de carbone à volume comparable. Enfin, la combustion en elle-même de ce surplus de réserves potentielles entraînerait aussi un rejet supplémentaire de dioxyde de carbone, ce que nous devons absolument éviter.

Pour réduire le coût de l’énergie et la facture énergétique, nous devons avant toute chose promouvoir une politique qui vise à réduire la consommation à confort égal. L’objectif est de développer une politique ambitieuse de sobriété énergétique qui passe par l’isolation des bâtiments, la réduction de la consommation des appareils électroménagers, des procédés industriels, et ainsi de suite. C’est d’ailleurs ce que le ministère du logement propose dans le projet de loi de finances pour 2013 en prévoyant l’isolation renforcée d’un million de logements par an, dont 500 000 dans l’ancien. C’est un premier pas.

En tant qu’écologistes, notre préférence va à une refonte globale de la fiscalité fondée sur l’impact environnemental des activités.

Nous souhaitons aller vers une écofiscalité en accord avec les priorités fixées par la feuille de route issue de la conférence environnementale de septembre dernier. À cet égard, nous regrettons que les propositions faites par notre groupe durant la discussion budgétaire n’aient pas été retenues par le Gouvernement. C’était l’occasion de faire progresser notre pays sur la voie de la transition énergétique.

Ainsi, pour ce qui est de la rente gazière, nous souhaitons la création d’une taxe qui permettrait de financer les économies d’énergie en aidant à l’amélioration de la performance thermique des bâtiments ou en favorisant les techniques faiblement consommatrices d’énergie. Nous préférons les négawatts aux mégawatts, même si ces derniers sont moins chers. De plus, cette taxe serait favorable au développement des énergies renouvelables moins émettrices de dioxyde de carbone : biomasse, énergie solaire, éolien et autres.

Il manque à cette proposition de loi une véritable vision d’avenir. C’est un texte qui, pour reprendre son intitulé, est « déconnecté » d’une réflexion globale sur la transition énergétique. Il n’apporte pas de solution pérenne. Notre pays doit reprendre l’initiative après le retard accumulé, notamment à la suite de la mise au placard du Grenelle de l’environnement, en œuvrant pour la transition énergétique.

La loi devra fixer les orientations et choix stratégiques de la France en matière énergétique et la question de la tarification des différentes sources d’énergie en sera un volet incontournable.

Du fait des insuffisances de ce texte, notre groupe ne l’approuvera pas.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous n’avons de cesse de dire que les questions énergétiques revêtent un caractère crucial. Leur impact est tentaculaire et peut aussi bien s’apprécier dans les domaines économique, social et diplomatique.

Le rapport Gallois l’a souligné il y a peu : le coût de l’énergie a un impact direct sur la compétitivité de notre industrie. Il faut donc nous assurer aussi bien de la sécurisation de l’approvisionnement que de son coût.

La crise économique et l’augmentation du prix des énergies ont fait ressurgir les situations de précarité énergétique auxquelles font face de plus en plus de nos concitoyens. E t même pour ceux de nos concitoyens qui ne se trouvent pas dans une situation de précarité énergétique, le coût de l’énergie représente une partie de plus en plus importante de leur budget, déjà fortement contraint en cette période économique troublée.

Certains s’en réjouissent silencieusement car, selon eux, cette élévation du coût de l’énergie entraînera une modération de la consommation des Français. Les députés du groupe RRDP ne le pensent pas et estiment plutôt que les plus modestes et les plus vulnérables en seront les principales victimes. C’est d’ailleurs ce que nous constatons dans nos circonscriptions, où le nombre d’impayés de factures de gaz et d’électricité est en augmentation constante.

Oui, la question du prix de l’énergie est essentielle, tant et si bien qu’elle ne saurait être réduite à un simple facteur, une cause unique qui serait la source de tous les maux. S’il existait une solution simple pour réduire le prix des matières premières, cela se saurait, et je ne doute pas que l’ancien ministre de l’écologie et de l’énergie, à l’origine de cette proposition de loi, aurait fait lui-même adopter ce texte s’il était persuadé de son efficacité.

Cependant, malgré l’effet d’annonce et le caractère éminemment politique de cette proposition de loi, nous ne pouvons la rejeter d’un revers de main eu égard à toutes les raisons que je viens d’évoquer à l’instant.

Alors que le prix du gaz sur les marchés internationaux a baissé de 30 % ces deux dernières années, est-il normal que la facture de nos concitoyens ait continuellement augmenté à volume constant ? Non, bien évidemment pas.

Certes, les tarifs du gaz ne sont pas seulement liés au prix de l’approvisionnement, mais celui-ci représente tout de même près de la moitié de la facture acquittée par les Français. Au vu du différentiel entre le prix de la matière première et le tarif pour le consommateur, qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années, on est en droit de se demander qui en a profité. Ce sont les approvisionneurs, aussi bien que les fournisseurs, sur le dos des consommateurs. Ce n’est pas normal. Le groupe RRDP invite donc le Gouvernement à se saisir de cette question, notamment dans le cadre du prochain débat sur la transition énergétique.

La proposition de loi que nous examinons est incomplète, et si elle était adoptée en l’état elle engendrerait d’autres problèmes, à commencer par celui de l’approvisionnement en gaz de notre pays. Nous prendrions le risque d’une augmentation des coûts d’approvisionnement qui viendrait à rebours de l’objectif de ce texte, car la plupart des contrats prévoient des clauses de sortie anticipée dont le coût très élevé serait forcément répercuté sur le consommateur.

On le sait : les approvisionneurs internationaux, généralement régis par les États, ont déjà indiqué leur refus de ne plus voir le prix du gaz indexé sur le cours des produits pétroliers. Les convaincre nécessite plus qu’une loi de portée nationale. Ce point nous semble relever davantage du niveau communautaire.

Par ailleurs, on voit mal comment la loi pourrait imposer à des agents économiques une renégociation – j’insiste sur ce terme – de contrats de droit privé, lesquels s’accompagnent de clauses de révision et de rendez-vous.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe RRDP ne peuvent pas approuver ce texte. En revanche, ils sont soucieux de voir la question du prix des énergies clairement et pleinement prise en compte par le Gouvernement, comme s’y est engagé le Président de la République. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en débutant l’examen de cette proposition de loi tendant à déconnecter le prix du gaz de celui du pétrole, et à permettre ainsi de baisser les prix des tarifs réglementés, j’éprouve un double sentiment.

J’éprouve d’abord la satisfaction de voir soulever devant la représentation nationale un problème concret, technique, qui mérite sans aucun doute une réponse au regard de la rente induite pour les fournisseurs et les producteurs de gaz. Oui, l’indexation du prix du gaz naturel sur le prix des produits pétroliers ne se justifie plus, avant tout parce que les produits pétroliers sont plus sensibles que le gaz au jeu de l’offre et de la demande. Nous constatons que chaque annonce de tensions internationales ou de conflit autour d’un pays producteur se répercute immédiatement sur le prix du pétrole, d’où qu’il vienne, ce qui n’est pas le cas pour l’approvisionnement en gaz naturel.

Mais, dans le même temps, je ne peux m’empêcher d’entrevoir dans ce texte une démarche politicienne, qui consiste à essayer de se racheter une conduite pour ceux qui n’ont rien fait pour maîtriser la hausse des tarifs pendant les dix années qu’ils ont passé au pouvoir. Mes chers collègues de l’opposition, n’est-il pas malsain de vous muer soudainement en chevaliers blancs de la lutte contre la hausse des prix du gaz, alors que vous avez systématiquement refusé toute mesure de blocage des prix lorsque vous étiez aux responsabilités ? Faut-il vous rappeler que, pendant trois ans, le premier signataire de cette proposition de loi a été ministre chargé de l’énergie ? Faut-il vous rappeler que, pendant toutes ces années, votre politique a consisté à encourager la spéculation sur les prix de l’énergie, à accélérer la libéralisation du secteur, et à privatiser nos entreprises nationales ?

M. Yves Jégo. Vous êtes gêné, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Faut-il vous rappeler que le prix du gaz a augmenté de plus de 60 % depuis 2004, année d’ouverture du capital de GDF ? À cette époque, vous étiez les promoteurs de cette privatisation-là comme des autres. Vous l’aviez alors justifiée par ces mots, toujours ces mots : la concurrence fera baisser les prix. Vous répétiez cette phrase en sautant comme des cabris.

M. André Santini. Vive le Général !

M. André Chassaigne. C’est toujours vous qui avez poussé – je devrais plutôt dire « conduit à marche forcée » – la fusion de l’entreprise publique GDF avec Suez en 2004. Souvenons-nous de la fiction inventée sur la menace de l’italien Enel pour faire passer la pilule de la privatisation ! Le résultat, c’est qu’aujourd’hui les usagers paient l’addition de votre politique libérale.

Vous ne me semblez toujours pas prêts aujourd’hui à dénoncer dans votre texte cette arnaque idéologique bien réelle pour le porte-monnaie des ménages, en particulier des plus modestes.

Faut-il vous rappeler ces propos de Bossuet : …

M. André Santini. Oh !

M. André Chassaigne. « Le ciel se rit des prières qu’on lui fait pour détourner de soi des maux dont on persiste à vouloir les causes. »

M. François Sauvadet, rapporteur. Oh la !

M. Yves Jégo. Oh la la !

M. André Chassaigne. Vous aurez donc bien du mal à nous convaincre qu’avec votre texte, vous vous êtes subitement transformés en gardiens du pouvoir d’achat des ménages, quand vous avez été pendant dix ans les fidèles gardiens du magot et des dividendes de Suez et de Total ! Monsieur Borloo, vous avez été pendant dix ans les prestataires de service de la rente énergétique !

Mais au-delà de votre vaine repentance, ou plutôt de l’Eau écarlate que vous versez sur votre bilan, ce texte ne traite pas du problème de fond de la fixation des prix du gaz et plus généralement des tarifs de l’énergie. On ne peut pas se contenter de s’attaquer aux modalités de négociation entre producteurs et fournisseurs, aux seules règles d’évolution des barèmes de détermination des tarifs réglementés.

Le problème de fond de l’accès fondamental à l’énergie aux prix les plus raisonnables est celui de la maîtrise publique et de l’exercice effectif de cette maîtrise. Ainsi, vous vous gardez bien d’aborder le fait que l’État est actionnaire de GDF-Suez à hauteur de 35 %. À ce titre, monsieur le ministre, l’État actionnaire devrait tout mettre en œuvre pour que l’objet de la société GDF-Suez soit d’assurer l’approvisionnement, un bas coût de distribution pour les usagers, des salaires garantissant de bonnes conditions de vie aux salariés du groupe, un bon renouvellement des investissements et des efforts pour la recherche-développement, en particulier en faveur des économies d’énergie.

GDF-Suez vient de réaliser un bénéfice net de 4 milliards d’euros en 2011 et de 2,3 milliards pour le premier semestre 2012. L’État ne doit-il pas en tirer des enseignements quant à son rôle d’actionnaire, et faire cesser le véritable racket imposé aux usagers par les demandes successives de hausse de tarifs qui ne se justifient que par la stratégie financière du groupe ? Monsieur le ministre, l’État ne devrait-il pas aussi utiliser son pouvoir d’actionnaire pour vérifier que GDF-Suez négocie au mieux des intérêts de la France et de ses consommateurs d’énergie ? L’État est déjà capable d’exercer ce contrôle, mais il est vrai que nous n’en parlons pas.

Chers collègues de l’opposition, vous ne semblez pas non plus décidés à pousser plus loin votre raisonnement en demandant un blocage ferme des prix du gaz. L’exposé des motifs, fort intéressant, montre pourtant qu’il ne s’agirait que d’une mesure de justice au regard de la baisse des cours sur le marché.

En l’état, ce texte nous paraît donc bien trop incomplet pour que nous puissions le voter. Cependant, je souhaite que les débats d’aujourd’hui puissent être utiles dans le cadre du débat national sur la transition énergétique. C’est pourquoi je tiens à rappeler qu’au-delà du blocage indispensable des prix du gaz, les députés du Front de gauche proposent la renationalisation de GDF, dans le cadre plus global de la création d’un pôle public de l’énergie à même d’assurer l’accès fondamental de tous à l’énergie à un prix abordable et d’engager la transition énergétique de notre pays. Cette ambition n’est pas une lubie, mais une nécessité au regard des enjeux auxquels nous devons faire face. L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres : elle est un besoin fondamental, une condition du développement humain durable et du progrès social.

Je l’ai dit lors des débats en première lecture sur la proposition de loi visant à instaurer une tarification progressive de l’énergie, je le répète aujourd’hui, et j’aurai sans doute encore l’occasion d’y revenir dans quelques semaines dans le cadre du nouvel examen de ce texte : les ménages les plus modestes sont les victimes du manque d’isolation de leur logement.

Si je dis cela, c’est parce nous avons là une raison supplémentaire de ne pas nous satisfaire des prix élevés des énergies carbonées comme le gaz. J’entends les sirènes de celles et ceux qui se satisfont des hausses de prix injustifiées pour pousser toujours plus loin leur analyse libérale et persistent à affirmer que la transition énergétique se fera par l’ajustement quasi automatique des consommations par des mécanismes de signal prix, c’est-à-dire par des prix élevés. Je continue de leur dire qu’ils font fausse route. En affirmant cela, ils prennent à l’envers le problème de la maîtrise de la demande d’énergie. Ils privilégient la sanction des plus modestes au détriment d’une action déterminée de l’État pour aider en amont à la sobriété énergétique des ménages. Nous aurons l’occasion de rediscuter de cette question. Les millions de foyers aux logements passoires que compte notre pays ne consomment pas de gaz ou d’électricité pour le plaisir de consommer ! C’est la faiblesse de leurs revenus et la part exorbitante que représente l’énergie dans leur budget qui les contraignent à ne pas effectuer de travaux d’isolation.

Ainsi, l’amélioration de la performance énergétique de l’habitat est un sujet essentiel, comme d’ailleurs celui de l’efficacité énergétique dans l’industrie. Cette question doit être une priorité, mais elle ne se résoudra pas par des mesures faisant appel aux prix de marché, ou par la création de nouveaux marchés comme ceux de l’effacement. La solution passe prioritairement par un soutien public massif aux ménages les plus modestes pour la rénovation thermique de l’habitat, en commençant par l’habitat social. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans quelque temps à propos d’autres textes : la création d’un service public de la performance énergétique de l’habitat est une priorité. Mais sans moyens budgétaires nouveaux, ni moyens humains pour l’animer et développer un véritable contrôle public, nous continuerons à pénaliser ceux qui subissent déjà les hausses de prix.

Monsieur le ministre, mes inquiétudes sont d’autant plus grandes que les budgets relatifs à l’habitat et au logement pour 2013 ne viennent absolument pas étayer de réelles ambitions en ce sens. Ne renouvelons pas les effets d’annonce sans lendemain du Grenelle de l’environnement ! Portons une politique ambitieuse de planification écologique avec les moyens qui lui sont indispensables !

Chers collègues, nous avons besoin d’un grand débat sur la transition énergétique, sur les moyens nécessaires à cette transition et sur la maîtrise publique et sociale qu’elle suppose. Ce débat ne doit pas être escamoté, arc-bouté sur des promesses de campagne électorale ou réduit à quelques propositions de loi incomplètes comme celle qui nous est présentée aujourd’hui, et sur laquelle nous nous abstiendrons.

Avec les députés du Front de gauche, je renouvelle mon appel à un débat public national associant très largement les citoyens français pour décider de leur avenir énergétique.

M. Yves Jégo. Courage, fuyons !

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la proposition de loi relative aux tarifs réglementés du gaz naturel ;

Proposition de loi relative au surendettement ;

Proposition de loi relative à l’accès aux soins ;

Proposition de loi relative à l’aménagement numérique du territoire.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante-cinq.)