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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Troisième séance du mardi 19 mars 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Débat sur le rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale

M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Serge Bardy

M. Philippe Goujon

M. Gilles Bourdouleix

M. Sergio Coronado

M. Alain Tourret

M. Marc Dolez

M. Hugues Fourage

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Gilbert Collard

Mme Colette Capdevielle

M. Marcel Bonnot

M. Joaquim Pueyo

M. Georges Fenech

M. Gérard Sebaoun

M. Éric Ciotti

Mme Laurence Dumont

M. Jean-Luc Drapeau

Mme Elisabeth Pochon

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Débat sur le rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale.

La parole est à M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale.

Mme Laurence Dumont. Excellent rapporteur !

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, se pencher sur la question de la surpopulation carcérale nous a assez rapidement conduits, au sein de la mission que j’ai co-présidée, à considérer que l’on ne pouvait pas en même temps ne pas se pencher sur celle de la politique pénale.

Cette dernière doit selon nous se donner trois ambitions. La première est une ambition symbolique : la décision pénale doit rassembler l’ensemble de la société autour de la valeur attaquée. C’est cette fonction de cicatrisation qu’elle doit avoir. Deuxième ambition de la politique pénale : être efficace, opérationnelle, et répondre non pas à la délinquance mais aux délinquances, en essayant de faire en sorte qu’il n’y ait pas de récidive. Troisième ambition : être juste et restaurer ce qui peut l’être, c’est-à-dire se tourner vers la victime, lui donner son statut de victime et réparer ce qui peut l’être.

En résumé, une bonne politique pénale, c’est à la fois de l’autorité, de l’efficacité et de l’équité.

Nous sortons d’une période difficile où l’accent a été mis uniquement sur l’autorité, ce qui a eu un effet sur les décisions pénales. Nous sommes ainsi passés de 48 296 détenus au 1er janvier 2002 à 64 787 détenus au 1er janvier 2012, soit une augmentation de 34 %, quand la population française n’augmentait que de 7 %, le ratio de détentions passant ainsi de 75 à 102 pour 100 000 habitants.

Dans le même temps, les travaux de Mme Kensey et de M. Benaouda montrent que le taux de récidive, sur une période de cinq ans, pour une cohorte examinée à partir de sa sortie de prison en 2002, est de l’ordre de 59 %, taux qui comprend 46 % de condamnations à une peine d’emprisonnement ferme.

Pour sortir de cette situation, quelle politique pénale mettre en œuvre ? Je l’ai dit, une bonne politique pénale c’est d’abord de l’autorité, qui plus est démocratique. Notre mission propose à cet effet trois pistes.

La première consisterait à avoir chaque année un débat de politique pénale devant le Parlement, au-delà des faits divers qui peuvent à juste titre nous sidérer devant l’horreur du crime.

La deuxième piste serait d’associer les citoyens au service public de la justice. Tout citoyen qui comparaît en justice peut en effet se demander pourquoi il a été convoqué à quatorze heures alors qu’il n’est passé qu’à vingt heures. Cette question n’est pas anodine car elle pose celle de la qualité d’un service public, à savoir la qualité non pas seulement de la décision, mais aussi de l’efficacité de l’intervention et de l’accueil.

La troisième piste pour la restauration d’une autorité démocratique serait de permettre à des usagers très particuliers, les usagers du service public pénitentiaire, de donner leur avis sur leurs conditions de détention, possibilité qui est prévue par l’article 50 des règles pénitentiaires européennes et qu’il serait nécessaire d’appliquer en France. Il ne s’agit pas pour autant de permettre la constitution d’un syndicat de détenus ni le règne du caïdat, mais simplement de faire participer à la mise en œuvre d’une décision ceux auxquels elle s’applique. Ce serait d’une grande sagesse.

Le deuxième temps de la lutte contre la surpopulation carcérale, porte sur l’efficacité.

Il convient d’abord de donner du temps aux juridictions de façon qu’elles puissent individualiser les peines au moment où elles les prononcent, et qu’elles ne renvoient plus cette individualisation au juge d’application des peines. C’est pourquoi nous avons réfléchi à la possibilité de sortir certains contentieux : le contentieux routier ; le contentieux de la première conduite sous l’empire de l’alcool – environ 80 000 dossiers par an ; le contentieux de l’usage des stupéfiants – quelque 40 000 dossiers par an. Tous ces délits pourraient être contraventionnalisés, sachant qu’il faut rester très prudent : il ne convient ni d’abandonner la lutte contre les trafics de stupéfiants ni de lever le pied – encore que l’expression ne soit pas très bienvenue en l’occurrence ! – en matière de conduite sous l’empire de l’alcool ou de délits routiers.

Deuxième axe de la réflexion sur l’efficacité : la peine juste, juste à temps. Il s’agit de se libérer des mécanismes qui enferment la décision du juge. Le premier de ces mécanismes, ce sont les peines plancher, qui obligent le juge à motiver toute peine inférieure au seuil. Alors que les tribunaux, compte tenu du volume de contentieux qu’ils traitent, motivent – malheureusement – de moins en moins, ils sont ainsi souvent conduits à appliquer un minimum, ce qu’ils n’auraient peut-être pas fait s’ils avaient été dispensés de cette obligation de motivation. C’est d’ailleurs un sujet qui devrait nous conduire également à une réflexion sur le caractère automatique de la révocation du sursis simple.

De même, il faut réfléchir à des mesures de contrôle considérées comme peine. Selon les travaux de Mme Kensey et de M. Benaouda, la libération conditionnelle n’aboutit à des récidives que dans 37 % des cas, alors que récidivent 63 % de ceux qui quittent la prison en sortie sèche. Il faut donc admettre qu’une partie de la peine doit s’acquitter à l’extérieur, et nous proposons la possibilité d’une libération conditionnelle de principe aux deux tiers de la peine pour ceux qui purgent moins de cinq ans d’emprisonnement, sauf avis contraire du juge d’application des peines.

Enfin, nous préconisons un mécanisme de prévention de la surpopulation selon lequel la personne qui entre dans une prison en surnombre entraîne la sortie du détenu dont le reliquat de peine est le plus court. J’insiste sur ce mécanisme parce que l’examen des situations nous a montré qu’il existait une certaine pesanteur : la prison a tendance à s’imposer car elle est la seule à fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Des juges d’application des peines comme des juges des libertés nous ont en effet dit que le choix du bracelet restait difficile faute d’un service ouvert tout le temps. Cette pesanteur ne pourra être combattue que par un mécanisme du type de celui que nous proposons.

Enfin, il faut réintroduire la réflexion sur la contrainte pénale communautaire. Le chercheur Pierre-Victor Tournier a fait circuler un manifeste, signé par un certain nombre de juristes, pour que la prison ne soit plus la peine de référence. C’est difficile, cela nécessite de modifier l’échelle des peines, mais c’est une piste intéressante.

Troisième et dernier temps de la lutte contre la surpopulation carcérale : la question de l’équité. Des progrès importants ont été réalisés pour donner un statut à la victime et l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité l’aide au recouvrement des dommages et intérêts par le fonds de garantie. Vous avez, madame la garde des sceaux, l’intention de généraliser les bureaux d’aide aux victimes. Il faudrait progresser encore vers une meilleure information sur l’avancement des plaintes ainsi que vers la mise en place par les barreaux de permanences pour les victimes.

Tel est l’essentiel du contenu du rapport, résultat d’un effort pour essayer de penser une politique pénale différente. C’est un programme immense. Nous sortons d’une période que nous jugeons avoir été relativement néfaste pour la justice, mais il faut rendre à César ce qui est à César : nous sortons aussi de trente années de sous-dotation de l’administration de la justice et peut-être même de sous-administration de la justice.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cette précision est bienvenue !

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur. Je vous remercie.

Les trois ambitions de la politique pénale que j’ai décrites, il faut les réaliser et souder ensemble les trois acteurs du processus pénal, la police, la justice, l’administration pénitentiaire, qui souvent se parlent peu et se méprisent parfois beaucoup.

Nous vous soutiendrons, madame la garde des sceaux, si vous souhaitez que le peuple français, au nom de qui chaque décision de justice est rendue, se reconnaisse enfin dans cette justice et la fasse sienne. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale.

M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur de la mission d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais, en préliminaire, faire part de mon étonnement devant ce débat sur le rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, qui nous rassemble ce soir.

Notre mission d’information, dont Dominique Raimbourg a été le président, a en effet déjà présenté son rapport en commission des lois où chacun des groupes a pu s’exprimer abondamment. Ce rapport a ensuite été remis au ministère de la justice, selon le vœu même du président Dominique Raimbourg, avant la conférence du consensus, laquelle a rendu ses conclusions sur la base desquelles, madame la garde des sceaux, vous avez rendu des arbitrages,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Non !

M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur. …y compris en reprenant les propositions du présent rapport. J’ai donc vraiment le sentiment que notre débat intervient une fois que la messe a été dite. N’avez-vous pas annoncé hier la fin des jurys populaires et aujourd’hui la fin des peines plancher ?

Notre débat vient donc uniquement meubler l’ordre du jour de l’Assemblée, sachant que si celui-ci est déjà réduit à la portion congrue,…

Mme Laurence Dumont. C’est un peu long comme préliminaire !

M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur. …voilà que l’on nous annonce que le Gouvernement a décidé de légiférer par ordonnances, c’est-à-dire qu’il considère que le Parlement ne dispose pas du temps nécessaire pour discuter ses projets de loi ! Quoi qu’il en soit, on nous balade avec un débat alors que les décisions en la matière ont été prises.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Alain Tourret. Quelles décisions ?

M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur. Le Gouvernement préfère légiférer par ordonnances et utiliser l’ordre du jour du Parlement pour des choses qui ne présentent plus la moindre utilité.

Cela étant dit, puisque vous avez souhaité lancer ce débat tardif, nous y prendrons part.

Je salue le président Raimbourg qui a conduit d’une main de maître cette mission d’information, au cours de laquelle chacun a pu s’exprimer, sachant que nous avons mené des auditions particulièrement intéressantes.

En ma qualité de co-rapporteur, je désapprouve malheureusement – et c’est pourquoi j’ai émis un avis divergent – une large partie des propositions du rapport mais aussi des décisions prises à la suite de la « conférence de consensus » initiée par la garde des sceaux.

La comparaison avec nos partenaires européens montre que nous avons un taux de détention, et surtout un nombre de places de prison, bien inférieurs à la moyenne européenne. Les chiffres fournis par les intervenants auditionnés par notre mission confirment que la construction de 20 000 nouvelles places de prison, ainsi que s’y était engagée l’ancienne majorité, permettrait de résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Ne nous y trompons pas : les périodes de déflation carcérale ont toujours conduit à une hausse de la délinquance. Faudrait-il, comme nous y invite la majorité, renoncer à punir les actes de délinquance et les actes criminels pour éviter l’encombrement des prisons ?

Le rapport de cette mission parlementaire est symptomatique de la gêne voire du refus de punir, propre à une large partie de la gauche, en raison de supposées explications sociales de la délinquance. C’est parce que cette mission n’a été conduite que dans l’optique de diminuer le nombre de détenus, qu’il est du devoir de l’opposition d’interpeller le gouvernement sur les conséquences désastreuses d’une telle politique. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir l’augmentation de plus de 15 000 du nombre de victimes de violences physiques au cours de ces derniers mois.

L’ancienne majorité, avec la loi pénitentiaire de 2009, était déjà allée très loin dans l’aménagement des peines et dans le développement des alternatives à l’incarcération.

Mme Laurence Dumont. Allons !

M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur. Mais nous avions, dans le même temps, instauré des dispositifs de protection et surtout décidé, avec la loi de programmation relative à l’exécution des peines, de permettre l’exécution réelle des peines de prison ferme prononcées. Nous nous faisions forts de n’oublier personne : ni les détenus, appelés à retrouver une place dans la société, ni nos concitoyens victimes de la délinquance. Le président Raimbourg vient d’ailleurs de faire remarquer que notre rapport les avait peut-être laissés un peu trop de côté.

Au nom de la remise en cause d’une fiction du « tout carcéral », dont vous affublez en permanence l’ancienne majorité, vous avez décidé de supprimer cette loi de programmation et d’imaginer une multitude de dispositifs pour réduire la population carcérale. Les conséquences seront dramatiques en termes de criminalité. Rappelons qu’en 2002 la majorité socialiste avait payé chèrement son déni de l’insécurité et le manque de sévérité de sa politique pénale. L’inexécution des peines de prison prononcées et la déflation carcérale avaient conduit à une explosion de la délinquance, masquant des actes graves sous le terme d’« incivilités ». Je regrette de retrouver ce travers dans ce rapport.

Les 20 768 nouvelles places de prison créées entre 1990 et 2011 ont fait suite à trois plans de construction à l’initiative de l’ancienne majorité, qui avait su faire preuve de réalisme et prendre ses responsabilités pour apporter une réponse à cette situation inacceptable de la surpopulation carcérale. Nous avions su dire qu’il faut penser la résolution du problème de la surpopulation en termes de sécurité publique. Il est indispensable de concilier l’impératif de dignité et la réinsertion des détenus avec la protection de la société et des victimes ; car la prison a également des fonctions de dissuasion et de neutralisation. Je regrette que cette question n’ait pas été abordée par notre mission.

Certes, ce rapport contient des propositions qui peuvent retenir l’assentiment de notre groupe parlementaire : par exemple, l’instauration, au Parlement, d’un débat annuel sur la politique pénale du Gouvernement, permettant d’informer les citoyens ; les propositions destinées à renforcer le suivi et l’accompagnement des personnes placées sous surveillance électronique ; celles qui soutiennent les moyens accordés aux services pénitentiaires d’insertion et de probation ; celles encore qui visent à s’inspirer des bonnes pratiques étrangères, qu’il s’agisse des amendes administratives belges ou de l’évaluation de la dangerosité dans les pays anglo-saxons.

Cependant, alors que le Gouvernement place la réinsertion des détenus au premier rang de ses priorités, il ne prévoit la création que de soixante-trois postes de conseillers d’insertion et de probation dans le budget pour 2013.

M. Michel Vergnier. Vous êtes formidable !

M. Sébastien Huyghe, co-rapporteur. Le Président de la République avait annoncé que la justice serait l’une des priorités de son action. Or la contradiction est flagrante entre la volonté de lutter contre la surpopulation carcérale et la diminution des engagements de dépense liés à l’administration pénitentiaire : les autorisations de paiement sont en baisse de 38 % et les autorisations d’engagement d’investissement s’effondrent de 86 %.

Qui plus est, il semble légitime de s’interroger sur l’entêtement idéologique qui conduit la mission parlementaire à regretter l’adoption des lois qui ont créé des circonstances aggravantes. De quelle nature seraient celles que l’actuelle majorité pourrait supprimer ? Le caractère raciste, antisémite ou xénophobe des crimes ? Les violences au sein du couple ou celles commises contre les mineurs ?

Je regrette que la réflexion sur les peines alternatives à la prison ou la création de nouvelles peines, comme la probation, ne soient pour vous qu’un moyen de réduire la surpopulation carcérale.

Vous voulez réduire le champ des infractions correctionnelles, telles que le racolage passif, l’occupation de terrain ou de halls d’immeuble, la conduite en état d’ivresse ou sans permis ou l’usage de stupéfiants, soit autant d’infractions qui conduisent rarement à de l’emprisonnement ferme. Vous souhaitez supprimer l’ensemble des mesures protectrices mises en place sous l’ancienne majorité : les peines plancher et les mesures répressives à l’égard des récidivistes, qui ont pourtant fait leurs preuves.

Généraliser l’aménagement des peines, comme le préconise le rapport, est une faute : c’est prendre le risque de dénaturer le sens des peines et les fonctions dissuasives et neutralisantes de la prison. La création d’un dispositif de libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine s’apparente à une loi d’amnistie ou à des grâces collectives déguisées et à l’aveu explicite que chaque peine de prison prononcée par la justice sera, quoi qu’il arrive, réduite d’un tiers.

Enfin, nous regrettons profondément la décision d’inclure dans ce rapport la création d’un numerus clausus dans les prisons, alors même qu’aucun pays en Europe n’a mis en œuvre ce dispositif, et que certains comme les Pays-Bas y ont même renoncé.

Cette volonté de contourner l’emprisonnement vous conduit à proposer des mesures très éloignées du pragmatisme que les Français attendent pour de tels sujets, aggravant d’autant un sentiment d’impunité et de laxisme dans notre pays.

En tant que vice-président de cette mission parlementaire, je le dis : il est illusoire de prétendre défendre les droits des détenus sans construire de nouveaux établissements pénitentiaires. Une politique responsable et ambitieuse suppose la construction des 20 000 nouvelles places de prison qui avaient été prévues dans la loi de programmation relative à l’exécution des peines. Ce sont elles qui permettront de lutter contre le scandale de l’inexécution des peines ; de mettre fin à l’automaticité des crédits de réduction de peine ; de ne pas se contenter de ne faire exécuter que les deux tiers de leur peine aux détenus ; enfin, de ne pas supprimer les peines plancher comme vient de l’annoncer la garde des sceaux, mais au contraire de les élargir aux réitérants. Voilà ce qu’est lutter contre la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, tout en garantissant la sécurité publique. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Je tiens à préciser que, lors des semaines de contrôle, l’ordre du jour est décidé par la Conférence des présidents – en l’occurrence, le débat actuel a été prévu par celle du mardi 19 février. Ce débat relevait d’une demande formulée par le groupe SRC ; d’autres groupes ont également soumis d’autres propositions auxquelles il a été fait droit. Je tenais à cette précision, eu égard à vos propos, monsieur Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Sur le fond, cela n’ôte rien à ce que j’ai dit !

M. Michel Vergnier. C’est un peu approximatif.

M. Sébastien Huyghe. Et après, on va légiférer par ordonnances.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. La rectification apportée par Mme la présidente me dispense de rappeler à M. Huyghe le principe de la séparation des pouvoirs et la totale souveraineté de l’Assemblée nationale quant à l’établissement de son ordre du jour.

Je suis heureuse de participer au nom du Gouvernement à ce débat autour du rapport de la mission d’information – d’autant que je m’exprime sur cette question de sécurité pour la première fois devant cette assemblée. Je n’emploie pas à la légère ce terme de « sécurité », quand le thème du débat de ce soir est relatif à la surpopulation carcérale ; mais certains ont à ce point caricaturé ma politique pénale – nous en avons eu à l’instant une nouvelle preuve – qu’il me paraît nécessaire de rappeler une évidence majeure : le Gouvernement pense sa politique pénale en cohérence avec ses politiques publiques. En conséquence, la lutte contre la surpopulation carcérale permet de combattre la récidive, combat qui constitue l’un des axes de notre politique pénale.

Ce plan de prévention contre la récidive relève donc autant de la question de la dignité que de celle de l’efficacité, indissociablement liées en démocratie.

Ma mission concerne la sécurité. Je veux gagner cette bataille et je suis persuadée qu’il faut pour ce faire changer de méthodes et de moyens. La justice a pour responsabilité la protection et la sécurité des citoyens ; or je n’ai attendu ni le débat de ce soir, ni même les recommandations du jury de consensus pour me préoccuper de sécurité ou, plus précisément, de la sûreté des citoyens.

Je connais la réalité. Avant d’être ministre, je me rendais dans les endroits difficiles, et je continue de le faire. Je sais à quel point les maires se battent, aussi bien contre la loi des voyous et des bandits que contre la désertion des services publics. En ma qualité de ministre, je sais aussi que les services de la chancellerie traitent chaque semaine des dizaines de courriers de victimes. Dès le mois de juin 2012, je me suis rendue au congrès de l’INAVEM afin d’entendre les associations de victimes et de leur expliquer les grandes lignes de ma politique d’aide.

Alors que le budget des cent soixante-treize associations liées par des conventions à des cours d’appel avait baissé en 2011 de plus de 6,40 % et de 1,17 % encore en 2012, nous avons décidé de l’augmenter cette année de 28 %.

Grâce à un arbitrage favorable du Premier ministre, j’ai pu décider la généralisation des bureaux d’aide aux victimes. Alors qu’entre 2009 et 2012, cinquante de ces bureaux ont été créés, nous voulons quant à nous ouvrir cette année un bureau d’aide aux victimes dans nos quelque cent cinquante TGI : pour la seule année 2013, ce seront donc une centaine de bureaux ouverts.

Ma circulaire générale de politique pénale indique dans son quatrième principe que le ministère public doit se préoccuper de l’accueil des victimes dans les audiences, en particulier pour les procédures de comparution immédiate, ainsi que veiller à leur information et à leur bonne orientation vers les structures et les procédures d’indemnisation.

J’ai demandé au Premier ministre de charger la députée Nathalie Nieson d’une mission sur le financement des associations d’aide aux victimes. J’ai également reçu le CNAV à la chancellerie pour une séance de travail commune : nous nous reverrons bientôt.

Voilà quelques éléments qui prouvent à quel point depuis ma prise de fonction, j’ai tenu en considération les victimes, les associations de victimes et celles d’aide aux victimes pour lesquelles nous avons inversé le mouvement qui consistait à les priver de leurs moyens d’intervention.

M. Georges Fenech. Il y a plus de victimes aujourd’hui ! Plus de 45 000 !

M. Gilbert Collard. Il faut plus de moyens.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous pouvez avancer de tels chiffres, mais vous savez bien que l’ONRDP les conteste.

M. Georges Fenech. Ces chiffres existent tout de même.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai rappelé que la responsabilité de la justice, c’était la protection mais aussi la sécurité, et concernant celle de nos établissements pénitentiaires, je suis informée chaque semaine des actes de violence que subissent les 25 000 membres de l’administration pénitentiaire, souvent des actes graves. Ces personnels assurent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une mission rendue difficile notamment du fait de la surpopulation carcérale. Je me suis déplacée sur le terrain, j’ai visité des établissements, Les Baumettes et Fleury-Mérogis bien entendu, mais aussi une quinzaine d’autres, et, quand je reçois à Paris les représentants des personnels pénitentiaires, je traite constamment des problèmes de sécurité, qu’il s’agisse des problèmes de mirador, de fouilles, de projections depuis l’extérieur ou de risques d’évasion.

Par ailleurs, dès le mois de juillet, j’ai examiné attentivement, pour le renforcer, le dispositif de repérage et d’action contre le prosélytisme islamiste dans nos établissements. Je rappelle au passage que l’article 2 de la loi pénitentiaire de 2009 indique bien que les personnels pénitentiaires participent à la sécurité publique.

Enfin, nos magistrats, si inconsidérément décriés, accusés de laxisme, sont, tout comme nos greffiers et les autres personnels de justice qui interviennent dans les tribunaux de grande instance, en contact quotidien avec les victimes concernées par les procédures pénales. Ma circulaire du 19 septembre leur demande d’ailleurs de prêter une attention particulière aux victimes, notamment de les assister dans leurs différentes démarches.

Je n’ignore donc rien, ni des faits, ni de la violence, ni des souffrances ainsi provoquées. Je n’ignore pas non plus que, trop souvent, les personnes mises en cause étaient ou avaient été suivies par la justice, et pas seulement depuis ces dix derniers mois.

La question est donc de savoir comment répondre efficacement au besoin de sécurité, c’est-à-dire comment remplir notre devoir de sécurité. Je le répète : la sécurité est un des premiers chantiers que j’ai pris en charge. Dès le mois de juillet, je réunissais à la chancellerie les procureurs généraux et les procureurs de façon à organiser la mise en place des zones de sécurité prioritaire. J’ai fait évaluer et réactiver un certain nombre de GLTD – les groupements locaux de prévention de la délinquance. J’ai travaillé avec le parquet et avec l’administration de façon à articuler le travail en juridiction avec la participation sur le terrain des procureurs, aux côtés de la préfecture et de la police, dans le cadre des cellules de coordination. Je me suis déplacée sur le terrain pour expliquer les grandes lignes de ma politique, notamment la mise en œuvre de cette circulaire générale de politique pénale qui a été adoptée en Conseil des ministres le 19 septembre 2012, mais aussi des politiques pénales territoriales pour Marseille, pour la Corse, pour la Guyane, pour la Nouvelle-calédonie depuis quelques jours – d’autres suivront pour des territoires où il y a une délinquance et une criminalité spécifiques. J’ai mis en place, avec le ministre de l’intérieur, des réunions de coordination entre l’institution judiciaire, la police et la justice. Dans les deux circulaires de politique territoriale respectivement pour Marseille et pour la Corse, je conseille des co-saisines police-gendarmerie chaque fois que c’est utile et possible – les procureurs en décident avec discernement –, et les premiers résultats sont probants.

Il y a donc maintenant un arsenal de moyens et de dispositions mis en place qui prouve à quel point le problème de la sécurité est pris en charge très sérieusement, au titre de ses missions constitutionnelles, par le ministère de la justice.

Un tel travail sur la justice et sur la sécurité vise à renforcer le lien social. J’affiche très clairement l’ambition d’être à la hauteur des missions constitutionnelles confiées au ministère de la justice s’agissant de la garantie des libertés individuelles mais aussi d’une justice accessible, efficace et protectrice des citoyens. Je le dis très clairement : dans une démocratie qui consolide ses valeurs par le respect des droits, les institutions peuvent opposer légitimement à ceux qui violent la loi, à ceux qui violent ses valeurs, des décisions de restriction ou de suppression de liberté.

Respect des droits des citoyens, respect des droits des victimes, respect des droits des personnes détenues, ces droits sont indissociables parce qu’ils se renforcent les uns les autres.

Oui, nous voulons l’efficacité, mais celle-ci ne peut pas être garantie par la surpopulation carcérale. Songez seulement aux difficultés qu’éprouvent les personnels pénitentiaires pour obtenir un comportement correct de la part des détenus, le respect de leurs obligations, notamment l’entretien de leur cellule lorsqu’ils sont trois dans une cellule de huit mètres carrés avec éventuellement un matelas par terre,…

M. Georges Fenech. Construisez des prisons !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … qu’il n’y a dans l’établissement ni activités ni travail et qu’ils passent le plus clair de leur temps dans leur cellule. Comment dès lors les personnels pénitentiaires concernés pourraient-ils accomplir correctement leurs missions ? Comment préparer la réinsertion de façon à prévenir la récidive, sachant que la prévention de la récidive permet d’éviter de nouvelles victimes ?

M. Alain Tourret. Exactement !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est là un enjeu essentiel pour nous, et nous l’assumons malgré sa dimension ingrate – nous aurions préféré que ce combat soit mené dans les années passées et qu’aujourd’hui on compte moins de victimes. C’est un travail ingrat parce que les victimes que nous aurons évitées ne le savent pas, mais c’est une responsabilité républicaine et nous ferons tout pour l’assumer correctement et pour obtenir des résultats.

Peut-on sérieusement être satisfait aujourd’hui à la fois de la politique pénale des années passées et du système pénal ? Ne peut-on éviter à cette institution, à un service public aussi éminent que la justice, les querelles partisanes ? Est-il impossible d’admettre que la majorité et l’opposition républicaine puissent s’entendre sur l’objectif, la sécurité des Français et, à cette fin, discuter des méthodes et des moyens ?

Monsieur Huyghe, vous invitez à poursuivre les politiques des années passées.

M. Sébastien Huyghe. Oui.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Commençons par en faire le bilan et l’évaluation.

M. Sébastien Huyghe. Elles ont fait baisser la délinquance !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces politiques ont surtout servi à diviser la société et à affaiblir l’État.

Mme Colette Capdevielle. Exactement !

M. Guillaume Larrivé. Les élections sont finies, madame la garde des sceaux ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’instrumentalisation des faits divers et la proclamation systématique d’un responsable ont en effet eu essentiellement pour conséquence de diviser les Français d’un territoire à l’autre et d’opposer les professionnels entre eux – les avocats contre les magistrats, les parquetiers contre les magistrats du siège et contre les conseillers d’insertion et de probation, les victimes contre les magistrats. La conséquence, c’est tout simplement une perte de confiance vis-à-vis de la justice et, d’une façon générale, vis-à-vis des institutions, une défiance à l’égard de l’État. Personne n’y gagne, sauf les ennemis de la démocratie.

Nous, nous disons non à cette politique qui a été incohérente : après une profusion de lois pénales…

M. Michel Vergnier. Sans les décrets d’application d’ailleurs !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …a brusquement surgi une loi pénitentiaire ; après des déclarations martiales – on allait voir ce qu’on allait voir ! – l’on a constaté surtout une réduction des effectifs et une baisse des moyens ; après l’ordre d’incarcérer toujours plus et toujours plus longtemps, on a entendu des consignes d’aménagement des peines.

M. Sébastien Huyghe. C’est faux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces injonctions contradictoires ont fait des dégâts considérables, selon le témoignage de tous les professionnels sur le terrain : malaise taraudant, impression de perte de sens, sentiment d’impuissance et d’irrationalité. Tous ces professionnels demandent à pouvoir exercer leur métier correctement, à travailler efficacement contre la délinquance et la criminalité, à mieux protéger les victimes et à en limiter le nombre. Mais lorsque 45 % des détenus purgent des peines de moins de six mois, expliquez-nous, monsieur Huyghe, comment, avec des durées pareilles, être efficace, comment réduire les risques de récidive et comment préparer à la réinsertion afin de faire mieux indemniser les victimes, de surcroît dans des établissements d’arrêt surpeuplés, sans activités et sans travail.

Quel sens peut avoir un système où plus de 350 juges d’application des peines, près de 5 000 agents et conseillers d’insertion et de probation, consacrent du temps chaque année à aménager des dizaines de milliers de peines d’incarcération ferme alors que pourrait être prononcée une peine – une vraie peine – autre que l’incarcération, mais soumise à des contrôles et à des suivis ? Il faut redonner du sens au travail de tous ces professionnels, d’abord à celui des services enquêteurs, mais aussi à celui des magistrats, des personnels de justice, des personnels pénitentiaires, des conseillers d’insertion et de probation, et ce en redonnant du sens à la peine, à la sanction, et donc au processus pénal auquel concourent tous ces métiers.

Voyons un peu ce que disent les statistiques. Le nombre d’incarcérations au 1er mars vient de m’être communiqué : 66 995 personnes détenues contre 66 746 au 1er février, soit une augmentation de 0,4 % d’un mois sur l’autre. À ceux qui passent leur temps à dire que nous vidons les prisons, je réponds que l’incarcération n’a cessé d’augmenter depuis plusieurs mois.

J’ai fait mettre en place un dispositif statistique qui n’existait pas et qui permet dorénavant de connaître les entrées et les sorties des établissements, ainsi que le stock de peines à aménager confié aux juges d’application des peines. Ceux-ci, au nombre de 385 environ, ont dû aménager en 2010 plus de 145 000 peines, sachant que la moitié est traitée en moins de cinq mois, la moyenne générale étant de neuf moi. Je répète : 145 000 peines à aménager en une année ! Ces chiffres montrent clairement que l’incarcération n’est pas le résultat d’une nécessité sociale mais bien celui d’un système pénal et carcéral qui dysfonctionne en raison de toute une série de dispositifs incohérents et contradictoires, celui d’un système en échec. Il faut donc une nouvelle approche, assumons-le.

À cet effet, j’ai tenu à ce que nos politiques publiques soient fondées sur une connaissance rigoureuse de la réalité. Voilà pourquoi j’ai mis en place un comité d’organisation pour préparer une conférence de consensus. Installé le 18 septembre, des sénateurs de la majorité et de l’opposition y ont participé – je rappelle qu’il était composé, outre ces parlementaires, d’une vingtaine de personnalités : universitaires français et étrangers, magistrats, membres du personnel pénitentiaire, policiers de niveau commissaire et gendarmes de niveau colonel, représentants d’associations, y compris d’associations de victimes, et professionnels de l’insertion. Ce comité, présidé par Nicole Maestracci, l’ancienne Première présidente de la cour d’appel de Rouen, a fait un travail considérable sur l’état des savoirs en France et à l’étranger s’agissant de la prévention de la récidive, auditionné plus de soixante-dix représentants d’organisations professionnelles, rassemblé plus de 120 contributions individuelles, toutes placées sur le site du ministère de la justice. Ce travail a été mis à disposition du jury de consensus.

Ce dernier était présidé par Françoise Tulkens, vice-présidente à la Cour européenne des droits de l’homme, et il était composé d’une vingtaine de personnalités aussi diverses et divergentes que celles du comité d’organisation. Ce sont ces personnalités diverses et divergentes, au nombre desquelles on trouvait encore des représentants de la police et de la gendarmerie, qui, à l’unanimité, ont élaboré douze préconisations, remises au Premier ministre le 20 février, au terme de deux journées d’auditions publiques ayant rassemblé plus de 2 300 personnes.

Ces travaux nous ont été présentés. Je vous remercie, monsieur le député Raimbourg, d’avoir mis à la disposition du jury de consensus les travaux de la mission d’information que vous avez conduite et dont certaines préconisations recoupent celles de la mission d’information. Manifestement, vous avez tenu à faire un travail exhaustif, si l’on en juge par le nombre de personnes qui ont été auditionnées dans le cadre de la mission.

Ces travaux, monsieur le député Huyghe, font l’objet, depuis près de trois semaines, d’un cycle de consultations que j’ai ouvert. Contrairement à ce que vous avez affirmé à la tribune, je n’ai pris aucune décision.

M. Sébastien Huyghe. Vous avez fait des annonces aujourd’hui même !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela fait dix mois que vous me reprochez de vouloir supprimer les peines planchers.

M. Sébastien Huyghe. Ou l’a encore entendu hier !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela fait dix mois que vous me le reprochez lors des questions au Gouvernement, ce n’est donc plus de l’actualité.

Les consultations ont lieu, non pas sur les peines plancher mais sur la base des douze préconisations sur lesquelles je n’ai encore pris aucune décision.

M. Georges Fenech. On garde les peines plancher alors !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous ne venez donc pas dans le débat après la messe, pour reprendre l’une de vos expressions – d’ailleurs quelque peu étonnante en ce lieu.

M. Sébastien Huyghe. En cette période papale ?

M. Alain Tourret. Pontificale !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il y a manifestement de grandes grâces pour certains.

Ce travail de très grande qualité va continuer à nous éclairer. Il s’agit, une fois que nous aurons changé d’approche, de savoir quelle direction prendre pour rendre efficace la politique de prévention de la récidive.

Trois grandes directions se dessinent.

Premièrement : la prison. Il ne s’agit pas de l’abolir mais il faut rappeler qu’elle est une institution républicaine qui doit respecter la dignité mais surtout permettre le travail de réinsertion. Pour cette prison républicaine, nous imposons le respect de la dignité mais aussi l’efficacité qui suppose des méthodes.

Qu’avons-nous fait en attendant ? Nous avons déjà lancé un programme immobilier. Certes, vous pouvez évoquer constamment les 20 000 places qui n’étaient absolument pas financées : il n’y avait pas un euro en face de ces 20 000 places.

M. Sébastien Huyghe. Si, sous forme de partenariats public-privé !

Mme Catherine Coutelle. Ils coûtent cher aux contribuables vos partenariats public-privé !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons choisi de construire 6 300 places supplémentaires, mais la grande différence, c’est que tout ce qui est annoncé est financé.

M. Sébastien Huyghe. Les trois programmes précédents ont été financés !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par ailleurs, nous avons augmenté la dotation qui permettra la rénovation du parc pénitentiaire.

M. Sébastien Huyghe. Celle que nous avons lancée ! Il n’y a rien de nouveau !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous l’avons augmentée de 20 % parce que ce parc pénitentiaire est considérablement dégradé. Les constructions pénitentiaires que nous ferons permettront déjà de fermer 1 082 places dans des établissements extrêmement vétustes.

Nous devons travailler également sur les problèmes de santé dans les établissements pénitentiaires. Avec Marisol Touraine, j’ai mis en place deux groupes de travail pour faire des propositions et prendre des décisions.

Nous devons aussi travailler à éviter les sorties sèches car toutes les études et les statistiques, élaborées en France, en Europe et ailleurs, démontrent qu’elles génèrent de graves risques de récidive. Nous devons également favoriser les activités dans nos établissements et faire en sorte que la préparation à la réinsertion soit plus efficace.

Deuxièmement, nous nous interrogeons évidemment sur l’importance de créer les conditions de l’individualisation de la procédure, de la peine et de ses modalités d’exécution. L’individualisation est tout simplement un principe constitutionnel.

M. Guillaume Larrivé. Que nous avons toujours respecté !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La création de peines plancher, voilà bien la façon de respecter l’individualisation ! Pour notre part, nous voulons restituer aux magistrats leur liberté d’appréciation…

M. Alain Tourret. Très bien !

M. Sébastien Huyghe. Il n’y a pas de souci, il leur suffit de motiver leur décision pour déroger aux peines plancher !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …parce que nous leur faisons confiance. Nous estimons qu’ils sont capables – c’est leur métier et la grandeur même de leur mission – d’apprécier, dans chaque situation, les faits, les circonstances, la personnalité de l’auteur, la peine à prononcer et les modalités de son exécution.

M. Sébastien Huyghe. Rien ne s’y oppose !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Concernant la récidive, personne ne dit qu’il faut alléger les peines des récidivistes. Le principe d’appliquer des peines plus lourdes aux récidivistes est inscrit dans notre droit depuis 1791.

M. Alain Tourret. Exact !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Personne ne demande son abrogation. Nous disons simplement qu’il faut mettre un terme au dispositif qui impose le prononcé de peines minimales et contrarie la création de mesures d’individualisation, susceptibles d’aider à la réinsertion.

M. Alain Tourret. Très bien !

M. Guillaume Larrivé et M. Sébastien Huyghe. C’est faux ! Le juge peut s’en affranchir !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Depuis leur création par la loi d’août 2007, les peines plancher ont provoqué le prononcé de plus de 4 000 années d’emprisonnement supplémentaires par an. Pour quoi ? Pour des atteintes aux biens. Pour qui ? Des personnes mal insérées, des toxicomanes qui auraient davantage besoin de soins.

M. Sébastien Huyghe. Ces peines sont prononcées par des magistrats indépendants !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous revenons donc au principe constitutionnel d’individualisation.

M. Sébastien Huyghe. Faites confiance aux magistrats !

M. Sergio Coronado. Pas en leur demandant d’appliquer des peines plancher !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Troisièmement, les préconisations du jury de consensus et les recommandations de la mission d’information, en ce qui concerne l’efficacité de la peine, se rejoignent autour de l’idée de créer une peine en milieu ouvert. Provisoirement baptisée peine de probation – peut-être gardera-t-elle ce nom –, cette peine fait l’objet d’échanges très approfondis au cours des consultations que je conduis.

Une douzaine de consultations ont déjà eu lieu avec des représentants des magistrats, de toutes les professions de justice, d’associations de victimes et d’aide aux victimes, de tous les syndicats de policiers. Le dialogue est franc, ouvert et loyal. Nous nous reverrons régulièrement car le travail se fait ensemble sur le terrain par les policiers et les magistrats, conformément aux dispositions du code de procédure pénale.

Nous étudions donc cette peine de probation et nous essayons de voir comment elle peut s’inscrire dans l’architecture et le régime des peines.

M. Georges Fenech. Elle existe déjà !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, il existe une peine de probation dont vous connaissez toutes les dispositions mais ce n’est pas de cela dont nous parlons. Que cela ne vous intéresse pas, c’est votre droit, monsieur le député Fenech,…

M. Georges Fenech. Cela m’intéresse !

M. Jean-Frédéric Poisson. Quelle agressivité !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …mais nous faisons un travail sérieux, notamment avec des parlementaires de l’opposition qui réfléchissent à ces questions depuis des années.

Nous devons donner un contenu à cette peine en milieu ouvert et faire en sorte qu’elle soit crédible aux yeux de ceux qui commettent des actes répréhensibles, des victimes et de la société. Cette crédibilité, nous la construisons avec sérieux et rigueur.

S’agissant du numerus clausus, monsieur le député Raimbourg, j’ai déjà eu l’occasion de vous exprimer nos réserves. Dans le cadre des consultations, de manière étonnante, certains proposent de retenir cette disposition. Pour ma part, je m’interroge sur les risques d’inégalités territoriales que comporte un tel mécanisme. Nos réflexions sont en cours.

Nous avons à construire ensemble une œuvre de justice. C’est un travail qui relève du ministère de l’intérieur et Manuel Valls s’y atèle sans faillir. C’est une responsabilité qui relève du ministère de la justice, je viens de le démontrer. Mais, et je rappelais comment les maires se battent à la fois contre les voyous et contre la désertion des services publics, cette responsabilité relève aussi du ministère de la ville, du ministère du logement, du ministère de la formation et du ministère des affaires sociales et de la santé. Il relève aussi des collectivités, qui prennent leur part, des associations et de leurs militants bénévoles.

Il nous faudra du courage pour le faire. Nous n’en manquons pas et nous saurons additionner nos courages. Le courage, disait Jaurès, c’est d’aller vers l’idéal et de comprendre le réel. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mme la présidente. Dans la discussion, la parole est à M. Serge Bardy.

M. Serge Bardy. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, j’ai choisi de m’exprimer aujourd’hui dans ce débat sur le rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, suite à deux activités que j’ai eu à cœur de mener sur ce thème au titre de mon mandat parlementaire.

Tout d’abord, dès juillet dernier, j’ai signé au même titre que plus de 300 d’entre nous, l’appel en faveur d’une transparence renforcée du milieu pénitentiaire, par deux journées annuelles qui permettraient aux journalistes d’accompagner un parlementaire lors de l’exercice de son droit de visite des prisons.

M. Sergio Coronado. Très bien !

M. Serge Bardy. J’ai d’ailleurs fait usage récemment de ce droit de visite en me rendant à la maison d’arrêt d’Angers, afin de rencontrer le personnel pénitentiaire et les détenus, et de prendre connaissance des conditions de détention dans lesquelles sont placés les détenus qu’accueille ce centre.

J’aurais pu ce soir vous parler des questions que m’inspirent cette visite et la lecture de ce rapport. Je m’appliquerai cependant à concentrer mon intervention sur un thème qui m’est apparu à la fois riche de sens et de perspectives, au vu notamment des expérimentations qui pourraient être mises en œuvre pour moderniser nos prisons et les rendre davantage vivables pour les personnes incarcérées : la démocratie en prison.

Spontanément, on pense qu’il s’agit d’un oxymore. Dans une même phrase, ces deux mots se télescopent, l’un renvoyant à la version enchantée du système dans lequel nous vivons, et l’autre à notre pire cauchemar : la privation de liberté, l’enfermement et son cortège de représentations violentes. Pourtant, je souhaite vous parler de cet oxymore que vivent au quotidien les détenus et leurs familles et qui régit les maisons d’arrêt et établissements pour peine qui, au nombre de 191, maillent notre territoire.

Ce souci de l’exigence démocratique en prison est d’ailleurs celui des trois premières propositions que formule ce rapport et qui sont regroupées dans une catégorie intitulée « Favoriser l’évolution du regard de la société sur la justice pénale ». À mon avis, ce titre retranscrit de façon fidèle le défi premier du système carcéral contemporain : tenter de rénover dans la pratique le pont entre démocratie et univers carcéral. Ce pont, nous réussirons à le construire en renforçant la démocratie et les pratiques démocratiques dans l’univers carcéral.

Trois propositions supplémentaires sont formulées dans cet excellent rapport et nous donnent à réfléchir sur les méthodes de mise en œuvre de cette exigence démocratique.

La première, d’ordre général, met l’accent sur la nécessité d’instaurer un débat annuel sur la politique pénale au Parlement. Cette proposition permettrait de s’affranchir du seul débat budgétaire portant sur les crédits affectés à la justice, et de réfléchir ensemble et de façon régulière sur les véritables orientations de fond que nous souhaiterions donner au système carcéral.

La deuxième proposition porte, quant à elle, sur la place à donner aux citoyens dans le fonctionnement de la justice. Les expérimentations décidées par la précédente majorité concernant la mise en place de citoyens assesseurs auprès des cours d’appel de Dijon et de Toulouse ne nous ont pas séduits – c’est notamment la raison pour laquelle, madame la garde des sceaux, vous avez abrogé leur extension.

Cependant, il nous semble nécessaire, voire indispensable, d’associer les citoyens au fonctionnement des centres pénitentiaires. Il s’agit de casser le mur qui s’est érigé entre citoyens et prisonniers, et de réhabiliter ce lien entre deux univers que tout oppose. Cette proposition s’inspire à la fois, sur le principe, des conseils de surveillance mis en place dans les établissements publics de santé et du Conseil d’évaluation des établissements pénitentiaires.

La troisième proposition que formule ce rapport pose le principe d’accorder aux détenus un droit d’expression collective, principe qui est d’ailleurs une exigence si l’on s’en tient à la règle 50 des règles pénitentiaires européennes, rappelée à juste titre dans le rapport.

Voilà en quelques minutes les réflexions qui m’ont été inspirées par l’excellent rapport de Dominique Raimbourg. J’en suis persuadé, faire avancer la démocratie en prison et insérer pleinement les prisons dans notre réflexion démocratique pourrait constituer une avancée majeure pour notre système carcéral. Si la prison est le lieu de privation de la liberté et d’accomplissement d’une peine, elle ne doit pas pour autant être un no man’s land démocratique qui rendrait au final d’autant plus difficile, voire impossible la réintégration des personnes ayant purgé leur peine. La démocratie ne devrait en effet pas trouver de rempart infranchissable à la porte des maisons d’arrêt et autres lieux de détention. Je sais pouvoir compter sur vous, madame la garde des sceaux, pour œuvrer en ce sens et nous indiquer les orientations que vous comptez prendre pour remédier à ce déficit démocratique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est vrai que ce débat semble quelque peu incongru, à propos d’un rapport qui se situe très exactement dans le droit fil de la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012 et préfigure sans aucun doute les décisions qui seront prises par la conférence de consensus.

Ce rapport introduit une rupture exceptionnellement grave, mais que vous revendiquez, monsieur Raimbourg, dans notre politique pénale, en ce sens qu’il est dicté par un refus de punir dans lequel vous vous enfermez par pure idéologie. Au-delà de l’évitement de la prison, c’est de l’évitement de la sanction même qu’il s’agit. Cela privera la justice de tout moyen d’action, provoquera – nous prenons date – un appel d’air sans précédent pour la délinquance et rendra caduc l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen relatif au droit à la sûreté.

La lutte contre la surpopulation carcérale est un objectif légitime mais, d’un constat que nous partageons tous, vous tirez un mauvais diagnostic et donc de mauvaises solutions.

Pour ce qui est du diagnostic, ma première critique portera sur la méthode. Vous ne distinguez pas, par exemple, les personnes sous écrou de celles placées sous bracelet électronique ou en semi-liberté, ni les condamnés des prévenus. Les chiffres de la violence sont extrapolés des seules données de deux établissements, alors que l’administration pénitentiaire publie des statistiques nationales. Par ailleurs, prétendre que la violence provient du surpeuplement, c’est tout simplement, même si ce n’est pas entièrement faux bien sûr, oublier qu’un tiers des détenus souffrent de troubles psychiatriques. Quant au taux de suicide, les chiffres de la CGT sont bizarrement préférés aux sources officielles.

Venons-en aux mauvaises solutions. Soigner ces personnes tout en protégeant la société est nettement préférable à une libération automatique avant la fin de peine, ou même après la peine. La rétention de sûreté, appliquée aux Pays-Bas et au Québec, concilie ces objectifs, notamment pour les criminels et violeurs en série. Et s’il y a moins de récidive sous liberté conditionnelle, c’est aussi parce que ne sont placés sous ce régime que les condamnés les moins dangereux.

L’objectif européen de parvenir à l’encellulement individuel ne sera pas atteint si les programmes de construction de nouvelles prisons sont réduits. L’humanisation même des conditions de détention sera impossible si les établissements vétustes ne sont pas fermés, ce que permettrait un parc pénitentiaire de 70 000 places, pas de 63 500.

Améliorer les conditions de détention et faire de la prison une étape vers la réinsertion est notre souhait commun. Vos prédécesseurs – vous ne le reconnaissez pas, c’est pourquoi il faut en dire quelques mots –, ont beaucoup agi depuis 2002 : établissements pénitentiaires pour mineurs…

Mme Elisabeth Pochon. Tellement efficaces !

M. Philippe Goujon. Établissements publics d’insertion de la défense ; parloirs familiaux (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) – les contesteriez-vous ? ; unités hospitalières spécialement aménagées ; plans de prévention du suicide de 2002 et de 2007 ; institution d’un contrôleur des lieux de privation de liberté, en 2008, dont j’étais d’ailleurs le rapporteur ; loi pénitentiaire de 2009, qui était attendue depuis des décennies et dont la vision est particulièrement humaniste : elle organise déjà l’expression collective des détenus ou encore l’assignation à résidence sous surveillance électronique que vous proposez à nouveau. De même votre proposition 28 de réduire de moitié le quantum de peine encourue en cas d’altération du discernement existe déjà dans l’article L. 122-1 du code pénal – je regrette à ce propos que votre rapport n’évoque même pas le bilan de la loi pénitentiaire réalisé par le Sénat.

Votre aveuglement idéologique vous conduit à revenir à de vieilles lunes qu’on croyait disparues : les politiques de déflation carcérale, dont d’ailleurs Lionel Jospin a fait les frais, entraînent mécaniquement une augmentation de la délinquance, on l’a vu à cette époque.

Nombre de propositions naïves, irréalistes, inopérantes et non évaluées émaillent par ailleurs ce rapport.

Vouloir construire de petites prisons est sans doute un objectif louable, mais restera un vœu pieux en raison de l’impératif d’économies d’échelle qui se pose lors de toute construction !

L’extension de l’ajournement du prononcé de la peine, la « césure », aux majeurs de 18 à 21 ans ne prend aucunement en compte les contraintes de l’audiencement et du temps de travail du juge ni l’évolution de la dangerosité des mineurs, qui devrait plutôt conduire à élaborer un code pénal qui leur soit spécifique.

Votre idée d’une première audience obligatoire du détenu avec le juge des libertés un mois après le placement en détention provisoire suppose des extractions coûteuses et un temps de disponibilité du juge qui rajoutera à l’encombrement actuel des tribunaux.

La proposition 25 de comparution immédiate dans un délai d’un mois n’est assortie d’aucune étude d’impact : quels moyens lui seront consacrés ? La proposition 56 d’assouplir les conditions d’entrée et de sortie ou d’implanter des points phone dans les quartiers de semi-liberté pose le problème de la perméabilité avec les autres détenus.

Autoriser les directeurs de prisons à accorder des permissions de sortir aux condamnés revient à concurrencer les juges d’application des peines, dont vous faites pourtant grand cas, à raison. On ne sait pas à qui incombera la responsabilité en cas de problème.

Faire évoluer le contenu du rapport de personnalité en s’inspirant du rapport pré-sentenciel anglais constitue une piste intéressante, à condition de préciser quels moyens y consacrera l’État. Et si l’on ne peut être que favorable au renforcement des services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui l’ont déjà beaucoup été, confier l’action sociale aux institutions de droit commun ne les allégera pas vraiment, car ils ne traitent pas cette mission. Enfin, la nouvelle peine de contrainte pénale mériterait sans doute de commencer par une expérimentation…

En réalité, votre catalogue de mesures souvent impraticables dissimule assez mal votre véritable intention : le rejet de la sanction encore plus que de la prison, comme en atteste par exemple votre solution miracle du tête à tête entre la victime et son agresseur : on attend avec impatience…

Une de vos préconisations les plus symboliques à cet égard, mais qui n’est pas encore entièrement acceptée par la garde des sceaux, est celle du numerus clausus, qui revient là encore à contourner le juge en libérant les condamnés en fonction de la disponibilité des places et non plus de la gravité de leur délit ou de leur dangerosité, en rupture avec le principe d’individualisation des peines.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est un vrai problème !

M. Philippe Goujon. Il y a une autre mesure d’affaiblissement de la sanction, qui rejoint l’analyse de la conférence de consensus selon laquelle la récidive « fait partie intégrante du processus de sortie de délinquance » – de quoi méditer ! Les victimes apprécieront… Bref, vous prônez donc l’automaticité de la libération conditionnelle aux deux tiers de la peine, et ce quel que soit le profil du condamné, y compris pour les récidivistes. Vous supprimez d’ailleurs l’ensemble des restrictions aux aménagements de peine qui existaient pour ces derniers ! Les effets en seront désastreux, conjugués en outre à l’abrogation de la rétention de sûreté et des peines plancher, dont je rappelle qu’elles sont prononcées par les juges dans 40 % des cas, preuve s’il en était besoin de leur indépendance et de leur discernement.

Vos hésitations nouvelles sur les peines plancher sont-elles le début d’une prise de conscience salutaire ? Peut-être. Pour notre part, nous vous demandons de faire examiner la proposition de loi déjà votée en première lecture que j’ai déposée avec MM. Ciotti et Garraud afin d’étendre les peines plancher aux réitérants.

Comment expliquer autrement que par votre mauvaise conscience de punir vos propositions de dépénaliser les délits de masse et les circonstances aggravantes ? Mais que répondrez-vous aux associations de victimes de la route, je les entends d’ici, pour justifier la dépénalisation de la conduite sans permis, en état d’ivresse ou sous l’empire de stupéfiants ? C’est la première fois aussi – vous êtes un précurseur, mais il sera intéressant de voir si vous serez suivi par le Gouvernement ! – qu’un rapport parlementaire préconise la dépénalisation de l’usage de stupéfiants. J’attends impatiemment l’avis du garde des sceaux et du ministre de l’intérieur…

Vous renoncez de surcroît à endiguer la petite délinquance de proximité, qui altère pourtant la vie quotidienne de nombreux quartiers : racolage passif, vente à la sauvette, occupation des halls d’immeubles, mendicité agressive… Ces délits sont très peu suivis d’emprisonnement, vous le savez bien. Vous faites donc preuve là aussi d’idéologie, alors qu’ils constituent un outil utile aux forces de l’ordre pour intervenir.

Enfin, quant à la déclassification des circonstances aggravantes… Lesquelles supprimerez-vous ? Celles concernant une personne vulnérable ? Des infractions commises au sein du couple, ou encore à l’encontre d’un mineur ou d’un dépositaire de l’autorité publique ? À l’heure où le ministre de l’intérieur veut au contraire les renforcer et dénonce d’ailleurs l’invraisemblable loi d’amnistie sociale qui assure l’impunité de tous les casseurs à venir.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est clair !

M. Philippe Goujon. Vade-mecum de mesures irréalistes, illustrant le retour à l’idéologie de l’impunité généralisée (Protestations sur les bancs du groupe SRC), ce rapport qui ignore totalement les victimes et ouvre tout simplement la voie à la déstructuration de la justice et au refus de la sanction, générateurs d’une très prochaine explosion de la délinquance que nous pouvons vous annoncer dès ce soir. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. À l’occasion de la publication du rapport d’information de Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe, nous abordons un sujet extrêmement préoccupant : celui de la surpopulation carcérale, qui n’a cessé, depuis de longues années, de détériorer tant les conditions d’application des peines prononcées par la justice que celles dans lesquelles les personnels de l’administration pénitentiaire remplissent leur mission.

C’est, au-delà de toute polémique, un problème unanimement dénoncé, maintes fois abordé et auquel nous voulons tous remédier.

Promiscuité, insalubrité, violence, maladies, isolement… Nous connaissons les effets néfastes, parfaitement décrits par le rapport, de ce phénomène sur les conditions de vie en détention. Nous savons aussi que la surpopulation carcérale se traduit par une remise en cause des fondements même de notre politique pénale, encore récemment affirmés par la loi pénitentiaire – encellulement individuel, travail, maintien des liens familiaux, droit à la santé… – et qu’elle a motivé les condamnations dont la France a fait plusieurs fois l’objet.

Le rapport d’information repose sur deux axes principaux : repenser la place de la prison dans le système répressif et passer d’une culture de l’enfermement à une culture du suivi et du contrôle en faveur de la réinsertion et de la prévention de la récidive. Si globalement nous partageons ces objectifs ambitieux, une grande part des propositions nous paraissent insatisfaisantes.

La manière dont on aborde la lutte contre la surpopulation carcérale dépend étroitement de la conception qu’on se fait de la prison et du rôle qu’on lui attribue.

En premier lieu, il est important de rappeler que la peine de prison est une privation de liberté. Elle n’est en aucun cas une privation d’hygiène, de soins, de parole ou de dignité.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exact !

M. Gilles Bourdouleix. Dans un souci de protection de la société, la prison se doit d’être un lieu de lutte contre la récidive, un lieu qui favorise la réinsertion car tout détenu sera un jour appelé à sortir et à réintégrer la société. La question des conditions de détention est donc indissociable de la prévention de la récidive. À ce titre, nous devons améliorer le suivi des détenus et mettre en place des moyens leur permettant de se former et de travailler. En somme, nous devons leur donner un cadre de vie social quotidien qui favorisera leur réinsertion.

Plusieurs propositions du rapport vont en sens et recueillent notre approbation : le fait d’accorder un droit d’expression collective aux personnes détenues, l’augmentation des moyens humains alloués aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, le renforcement du suivi et de l’accompagnement des personnes placées sous main de justice par exemple. De même, les mesures qui visent à aménager les méthodes d’accompagnement des personnes suivies en milieu fermé et en milieu ouvert peuvent être de bons moyens de lutte contre la récidive.

En outre, nous sommes tous d’accord pour reconnaître que l’emprisonnement ne peut être l’unique peine envisageable. L’aménagement des peines, auquel la loi pénitentiaire de 2009 a beaucoup contribué, les peines alternatives à la détention, font partie intégrante d’une politique de prévention de la récidive et de réinsertion sociale.

Sur le plan des alternatives à la détention, l’élargissement du recours à la composition pénale et à l’ordonnance pénale, la sanction des infractions au droit du travail et de la sécurité sociale sur le modèle des amendes administratives belges, peuvent être de bonnes solutions.

En revanche, la généralisation de l’aménagement des peines dans le parcours de leur exécution, préconisée par le rapport, ne serait acceptable que si elle était strictement encadrée, si elle s’accompagnait de dispositifs de protection de la société, d’une prise en compte de la dangerosité et de l’exécution réelle des peines. On ne peut envisager de développer ces différents mécanismes dans la seule optique de remédier au problème de la surpopulation carcérale.

Or certaines des mesures que contient ce rapport, et notamment la suppression des peines plancher et des restrictions imposées aux récidivistes et aux condamnés à de longues peines, nient toute prise en compte de la dangerosité. Elles priveraient la société des dispositifs de protection qu’elle est en droit d’attendre.

Pour les mêmes raisons, l’instauration d’un dispositif de libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine ne semble pas pertinente. Ce serait même une erreur car, chacun le sait, alors que plus de la moitié des 100 000 peines d’emprisonnement prononcées chaque année n’est jamais exécutée, la priorité doit au contraire aller à la pleine application de l’ensemble des peines prononcées par les juges.

L’application réelle des peines, la nécessaire sanction de ceux qui ont commis des crimes ou des délits, constituent de véritables exigences. Une justice efficace est une justice rapide, lisible, et avant tout une justice dont les décisions sont suivies d’effet. De ces impératifs dépendent non seulement la crédibilité de nos institutions judiciaires mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays.

Le rapport propose de faire de la modernisation du parc pénitentiaire une priorité et de poursuivre la construction d’établissements destinés à la prise en charge de publics spécifiques mais il se félicite de l’abandon de la loi qui visait à porter notre parc carcéral à 80 000 places à l’horizon 2017. Cette mesure répondait pourtant à un réel besoin d’accroissement du parc carcéral.

Enfin, la dernière proposition du rapport évoque la possibilité de recourir, si nécessaire, à un dispositif de numerus clausus pour résorber la surpopulation carcérale d’ici à 2017. Cette mesure pourrait conduire à la sortie anticipée d’un condamné en cas de nouvelle incarcération à la suite d’un placement en détention provisoire ou de la mise à exécution d’une condamnation à une peine d’emprisonnement. Elle tendrait à soumettre l’application d’une décision de justice au degré de remplissage des prisons. Autrement dit, condamnés pour des faits identiques, deux criminels se trouveraient placés dans des situations différentes en voyant le régime d’application de leur peine soumis à de seules considérations matérielles. Immanquablement, un tel mécanisme constituerait une rupture majeure du principe d’égalité, tournant en cela le dos à l’ensemble de nos traditions juridiques.

Mes chers collègues, la surpopulation carcérale est un vrai problème qui appelle de vraies réponses. Le rapport souligne que la prison aurait une mauvaise image auprès des Français. Cela est incontestable. Nous ne devons pas pour autant nier son utilité, mettre en œuvre des réformes qui auraient pour unique objectif de contourner le recours à l’emprisonnement. En matière carcérale, l’accent doit être mis sur la réalité de l’exécution de la peine tout en assurant les efforts nécessaires pour moderniser les prisons, tout en prenant en compte la dangerosité.

Il faut rechercher en permanence la conciliation entre les exigences d’humanité et celles de fermeté qui protègent la société sans rien renier des libertés et des droits fondamentaux que la République garantit à l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, je commencerai par remercier Dominique Raimbourg : son rapport est une contribution indispensable au débat sur la surpopulation carcérale – j’ai eu l’occasion de le souligner en commission des lois. Qu’il s’agisse du constat ou des propositions avancées, son travail rompt avec des années d’une politique de la peur où chaque fait divers donnait lieu à un projet de loi, où la prison était présentée comme la solution à l’ensemble des maux de notre société. J’espère donc que ce rapport permettra une réorientation de la politique pénale et carcérale.

La question carcérale est une vieille histoire : dès 1876, notre droit posait le principe de l’encellulement individuel. L’article 716 du code de procédure pénale disposait que « les inculpés, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit. Il ne peut être dérogé à ce principe qu’en raison de la distribution intérieure des maisons d’arrêt ou de leur encombrement temporaire ou, si les intéressés ont demandé à travailler, en raison des nécessités d’organisation du travail ». On est loin du respect de ces principes.

M. Alain Tourret. Très juste !

M. Sergio Coronado. Quand, en juin 2000, le législateur a souhaité revenir sur cette exception, il s’est laissé un moratoire de trois ans. En juin 2003, un amendement a été introduit dans la loi sur la lutte contre les violences routières pour prévoir un nouveau moratoire de cinq ans. Quand ce moratoire prit fin en juin 2008, l’administration pénitentiaire a publié une circulaire dont les principes d’application étaient pour le moins flous. Un an plus tard, l’article 100 de la loi pénitentiaire prévoyait un nouveau moratoire de cinq ans qui arrivera à échéance le 25 novembre 2014.

Dans le même temps, nous n’avons cessé de multiplier les programmes de construction pénitentiaires : 13 000 places décidées en 1986, 4 000 autres en 1995, plus de 13 000 places en 2002, nouveau programme immobilier, plan de restructuration du parc immobilier, enfin la loi votée il y a un an par l’ancienne majorité pour porter à 80 000 places de prison notre parc pénitentiaire en 2017, sans qu’un seul financement n’ait été prévu – loi que nous avons heureusement abrogée. Mais nous devrions tout de même compter environ 70 000 places en 2017.

Cet élargissement du parc pénitentiaire s’est fait à crédit – et je pèse mes mots – dans des conditions honteuses : les partenariats public-privé sont un véritable scandale d’État…

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Sergio Coronado. …et vous avez eu raison de les dénoncer, madame la garde des sceaux. Je regrette qu’en ce qui concerne l’affaire du palais de justice de Paris, vous n’ayez pas eu le pouvoir de conviction nécessaire pour être totalement suivie.

Le montant des autorisations d’engagement qui restent à couvrir par des crédits de paiement est de 5,446 milliards d’euros. Le contribuable français va payer pendant des années les cadeaux faits à Bouygues et Vinci par l’ancienne majorité.

Ces programmes n’ont jamais réglé le problème de la surpopulation carcérale. Ils en ont au contraire entretenu l’illusion en augmentant indéfiniment le nombre de places en prison. En 1982, il y avait 31 551 détenus. Depuis, à chaque décennie, nous gagnons environ 10 000 détenus, pour arriver au 1er février 2013 à plus de 77 000 personnes sous écrou, 66 746 personnes détenues et plus de 12 000 détenus en surnombre.

Cette hausse suit celle de l’augmentation du parc pénitentiaire. Depuis trente ans, si la justice a gagné en sévérité, je ne suis pas sûr qu’elle ait gagné en efficacité avec des peines de plus en plus longues, et des incarcérations de plus en plus nombreuses pour de petits délits.

La hausse du parc pénitentiaire explique aussi en partie la stagnation des mesures d’aménagement de peine ou d’alternatives à la prison comme le travail d’intérêt général ou la libération conditionnelle.

On ne sortira pas de la surpopulation carcérale en construisant sans cesse de nouvelles prisons à remplir. Toutes les études montrent en effet que, notamment pour les courtes peines, les alternatives à l’incarcération sont souvent plus efficaces pour lutter contre la récidive, car ces peines sont plus individualisées et permettent un meilleur suivi des détenus.

Deux des principales causes de l’inflation carcérale sont connues : les peines planchers et la comparution immédiate. Faire le choix d’une politique pénale responsable, c’est refuser les peines planchers. La loi sur les peines planchers avait été mise en place, officiellement, pour lutter contre la récidive criminelle.

Dans les faits, elle n’a touché que les délits, en particulier les délits mineurs, les peines en cours d’assises étant souvent largement supérieures aux minima prévus, même pour les primo-délinquants. L’aggravation la plus importante parmi les peines prononcées concerne les vols, les dégradations et les infractions à la législation sur le séjour.

Comme l’a noté le magistrat Jean-Paul Jean, le niveau de peines y est six fois plus élevé après la loi qu’avant. Ont été particulièrement concernés les toxicomanes, les alcooliques, les personnes atteintes de troubles psychiatriques, les personnes sans qualification, en échec scolaire ou en rupture familiale. Si l’on voulait parler de justice de classe, on ne trouverait pas de meilleur exemple.

Faire le choix d’une politique pénale responsable, c’est aussi lutter contre la justice d’abattage que représentent les comparutions immédiates.

La Ligue des droits de l’homme a mené une étude à Toulouse qui démontre le lien étroit entre la durée d’audience et la condamnation à une peine de prison. Cette justice d’abattage, intransigeante avec les petits délits, a abouti à des drames humains qui ont parfois fait la une de nos quotidiens.

Il y a trente ans, on ne voyait pas tant de personnes en prison pour des délits mineurs ; on ne voyait pas tant d’incarcération pour des défauts de permis ; on ne voyait pas de perpétuité réelle ; on ne voyait pas non plus autant de malades psychiatriques.

M. Éric Straumann. Ce n’est pas vrai et il y a trente ans on avait aboli la peine de mort !

M. Sergio Coronado. À cause de l’abandon de certains patients – question sur laquelle j’étais intervenu en commission –, de l’absence de réelle enquête de personnalité en comparution immédiate, phénomènes aggravés par les peines plancher, sont envoyées en détention des personnes malades. Détenus, personnels pénitentiaires, administration, tous soulignent la gravité du problème.

Dès lors un programme de construction d’unités d’hospitalisation spécialement aménagées, chargées d’accueillir les détenus souffrant de maladies psychiatriques graves a été mis en place.

Avant la loi du 9 septembre 2002, la règle était que les détenus gravement malades étaient placés dans les unités pour malades difficiles qui sont aujourd’hui au nombre de dix, soit 656 lits. Or le programme de construction de dix-sept unités d’hospitalisation spécialement aménagées, dont la première tranche devrait s’achever fin 2014, comportera à terme 705 lits.

Il est selon nous risqué d’attendre l’incarcération pour que le malade soit correctement pris en charge. Cela conduit à faciliter l’incarcération pour les personnes gravement malades mettant à mal et nos principes et les conditions de détention et de travail des personnels pénitentiaires qui doivent « gérer » ces détenus très difficiles. Il faut s’interroger sur un basculement éventuel des unités d’hospitalisation spécialement aménagées vers les unités pour malades difficiles.

Le problème de la surpopulation carcérale est complexe. Je proposerai plusieurs pistes.

Il faut mettre un terme au scandale des peines planchers,…

M. Éric Straumann. Vous faites erreur !

M. Sergio Coronado. …qui engorgent les prisons de petits délinquants et en revenir à l’individualisation des peines.

Il faut en finir avec les courtes peines qui encombrent nos prisons, avec des effets néfastes sur la récidive, comme le montrent toutes les études publiées depuis plusieurs années. Mieux vaudrait contraindre une personne à suivre des soins en addictologie et à faire des travaux d’intérêt général, que la mettre en prison pour conduite en état alcoolique. C’est aussi tout l’intérêt de la peine de probation proposée par la conférence de consensus.

Il faut également réformer la comparution immédiate et notamment mettre fin au mandat de dépôt quasi automatique, même pour de très courtes peines. Si, dans un tribunal correctionnel, le mandat de dépôt est impossible pour ces courtes peines, pourquoi l’est-il en comparution immédiate ?

Il faut renforcer les moyens alloués pour les peines alternatives. Tous nous souhaitons que la prison reste une peine parmi d’autres ; mais cela nécessite que ces autres peines soient correctement financées et prises en charge par la collectivité.

Il faut systématiser la libération conditionnelle qui donne de bons résultats. Pour rappel, les risques de nouvelle condamnation des libérés n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine demeurent 1,6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle. Une peine de prison, pour être efficace, doit s’effectuer en partie en milieu ouvert afin de permettre la réinsertion.

Arrêtons donc de mettre des moyens pour créer de nouvelles places de prison, et utilisons ces moyens pour renforcer les SPIP et les aménagements de peine, moins coûteux et plus efficaces. Instaurons un moratoire sur la construction de nouvelles places.

Madame la garde des sceaux, je souhaiterais que vous confirmiez le calendrier et le périmètre de votre grande loi pénale. Vous avez dit votre désaccord tout à l’heure avec le numerus clausus. Je voudrais savoir comment, néanmoins, vous pensez enrayer l’explosion carcérale. Pour conclure, je réitère, à cette tribune, le soutien des écologistes à la réforme de la politique pénale que vous nous annoncée dès votre entrée en fonction et que nous espérons examiner très bientôt. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la garde des sceaux, un peu d’histoire. Le 14 juillet 1789, la Bastille tombe, détruite par le peuple de Paris. Qu’y trouve-t-on ? Certes M. de Launay qui y perdra la vie, mais simplement sept prisonniers dont trois fils indignes et prodigues. Le XIXe siècle, au contraire, sera celui de l’incarcération et du bagne. Et le XXe sera le siècle de la réflexion. Nous sommes au terme de cette réflexion, nous demandant, avec Mme Lazerges, si une peine de prison n’est pas une peine perdue.

Au 1er décembre 2012, en effet, la France comptait 67 674 détenus alors même qu’elle ne dispose que de 57 408 places de prison, soit un taux moyen d’occupation de 133 % pour les seules maisons d’arrêt. Cette situation n’est pas nouvelle : ceux qui ont siégé dans cette assemblée entre 1997 et 2002 l’ont connue. Vous étiez là, madame la garde des sceaux. Nous avions, à l’époque, pris un certain nombre de mesures pour restreindre, avec succès, le recours à la détention et à l’incarcération. Au cours de ces vingt ou trente dernières années, cette période a été la seule où une baisse très importante du nombre de personnes en prison a été enregistrée.

Nous félicitons aujourd’hui notre collègue Dominique Raimbourg pour l’exceptionnelle qualité de son travail, qui a permis la rédaction de ce rapport d’information enrichi de soixante-seize propositions souvent audacieuses, toujours judicieuses.

Les radicaux sont des humanistes. Leur foi en l’homme est inébranlable. Ils sont persuadés que la prison n’a de sens que si elle permet la réinsertion et – pourquoi pas ? – la rédemption des individus. Ils rappellent par ailleurs avec force que, même en prison, l’homme garde toute sa dignité, et que nous autres, hommes et femmes politiques, pouvons avoir honte de l’état des prisons françaises. La récidive est d’autant plus forte que l’insalubrité est prégnante et que l’hygiène la plus élémentaire n’est pas respectée, car sans respect de la dignité, il n’y a pas de réinsertion possible.

Madame le garde des sceaux, il n’est pas loin le jour où le juge administratif français, lassé du non-respect par l’État – c’est-à-dire par l’administration pénitentiaire – des règles essentielles en matière de droits de l’homme, ordonnera sous astreinte – comme il en a la faculté – la remise en liberté de centaines, voire de milliers de personnes, et la fermeture pendant un certain délai des établissements pénitentiaires. Je vous garantis que c’est ce qu’il fera ! Voilà ce qui nous attend.

Les juges connaissent en effet toutes les propositions qui ont déjà été faites dans le passé pour améliorer la situation des détenus alors même que des principes de base comme le droit à une cellule individuelle ne sont pas respectés. Les tribunaux administratifs condamnent de manière systématique l’État, à commencer par ceux que je connais bien, les tribunaux de Rouen et de Caen en particulier. Pourquoi le condamnent-ils ? Parce qu’un certain nombre de principes de base ne sont pas respectés, au premier rang desquels celui du droit à une cellule individuelle.

Nous devons rappeler avec force un certain nombre de choses qui font frémir. Le taux des suicides en prison est inadmissible : il est la conséquence de la surpopulation carcérale, tant il est vrai que l’encellulement des individus avec des personnages peu recommandables entraîne dès les premiers jours de prison des gestes de désespoir. Notre collègue Joaquim Pueyo connaît parfaitement bien cette question. Il serait très intéressant de l’entendre à ce sujet.

Nous savons également que les soins, notamment dans le domaine psychiatrique, restent très insuffisants. Madame la garde des sceaux, je suis persuadé, pour avoir travaillé pendant deux années sur la loi relative à la présomption d’innocence, qu’il convient, dans l’analyse du problème de la surpopulation carcérale, de distinguer les maisons d’arrêt des maisons centrales. Il faut donc rappeler avec force que les présumés innocents ne doivent pas aller en prison.

En 1998 et 1999, nous avons fait évoluer la loi en fonction des quantums de peine, mais par la suite le législateur a aggravé la plupart des peines. C’est une réalité ! En ce qui concerne ce problème des quantums, il faut donc tout reprendre en rappelant un certain nombre de principes et d’abord le fait que les infractions commises par les non récidivistes ne doivent pas permettre la détention lorsqu’elles ne constituent pas des crimes.

M. Éric Straumann et M. Laurent Furst. N’importe quoi !

M. Alain Tourret. On est passé d’un an pour les atteintes aux biens et de deux ans pour les atteintes aux personnes à respectivement trois et cinq ans. Il convient à présent que les délits commis par des personnes non récidivistes ne puissent donner lieu à une mise en détention provisoire. La question peut même se poser en matière criminelle. Aux États-Unis, la liberté reste le principe même en cas de crime, sauf en matière de crime organisé ou de terrorisme. Nous pourrions ainsi lutter contre la détention provisoire, qui reste un moyen raffiné de torture à la fois physique et morale, ordonnée par des magistrats.

M. Jean-Marie Sermier. Quel manque de respect pour la justice !

M. Éric Straumann. C’est une injure envers les magistrats !

M. Alain Tourret. J’assume totalement ma remarque !

Pour les non-récidivistes, le principe ne doit pas être l’enfermement, mais l’assignation à résidence ou le bracelet électronique. De plus, le juge devrait dans ce cas avoir l’obligation de proposer un travail d’intérêt général à titre de peine principale. Or, ainsi que l’excellent rapport de Dominique Raimbourg le rappelle, les magistrats n’ont pas la culture du travail d’intérêt général. Permettez-moi de vous en donner un exemple. Maire de la commune de Moult depuis trente-deux ans, j’ai proposé à de multiples reprises d’accueillir des travaux d’intérêt général. Au début, j’ai été entendu mais cela s’est vite arrêté. J’ai eu beau écrire à l’ensemble des magistrats de la cour d’appel de Caen, je n’ai pas eu de réponse.

J’ai par ailleurs proposé que les magistrats soient invités à participer aux réunions annuelles de maires pour échanger avec les associations des élus et proposer des mesures. Cela sensibiliserait à la fois les magistrats et élus au problème des travaux d’intérêt général, et serait plus utile que les réunions solennelles de rentrée, toutes plus compassées les unes que les autres.

Je voudrais également mener avec vous, madame la garde des sceaux, une réflexion sur le sort des femmes détenues. En la matière, on ne peut traiter les hommes et les femmes de la même manière. Les femmes, lorsqu’elles sont mères d’enfants mineurs, en particulier mères d’enfants âgés de moins de dix ans, ne devraient jamais être incarcérées. Elles accomplissent leur peine en éduquant leurs enfants : c’est ce qui se passe en Italie. Je m’étais battu pour cela lors de l’examen du projet de loi sur la présomption d’innocence. J’ai manqué de peu y arriver : je reprends à présent ce combat. Je ne pense pas que des mamans doivent aller en prison. Je me suis rendu à la maison d’arrêt de Rennes, que vous connaissez. Voir, dans les couloirs, ces mamans avec leurs bébés, cela nous a serré le cœur, à Catherine Tasca, Élisabeth Guigou et moi-même, ainsi qu’à notre ami Jacques Floch. C’était effrayant ! Plus jamais ça, madame la garde des sceaux !

On a l’habitude de dire que la prison est l’école du crime, que les petits délinquants qui y entrent en sortent caïds. C’est sans doute exagéré. Quoi qu’il en soit, il convient d’éviter cette confrontation terrible entre le primo-délinquant et le criminel endurci. Et qu’en est-il de toutes ces atteintes à la dignité, tels ces viols commis en prison et qui restent le plus souvent impunis ?

Nos rapporteurs ont mené une réflexion sur les comparutions immédiates. J’appelle l’attention sur le fait que les peines prononcées en comparution immédiate sont infiniment plus lourdes que celles prononcées six mois ou un an plus tard, lorsque la procédure ordinaire a été suivie. On me répondra que c’est la rançon de la rapidité. Mais si cette rançon revient à des centaines d’années de prison en plus, alors je ne suis pas persuadé que cela soit nécessaire. Cela ne permet pas de prendre en compte la personnalité de chaque individu.

Madame la garde des sceaux, le problème du numerus clausus est posé. Je sais que vous n’y êtes pas favorable, mais peut-on le rejeter sans une véritable réflexion ? Ce mécanisme a le mérite d’être clair. Aller au-delà du nombre de places réservées à l’incarcération, c’est violer des principes simples et essentiels comme le droit à une cellule individuelle. Je ne pense pas que l’on puisse écarter cette solution si rapidement, sans une réflexion approfondie. Je vous le dis très franchement : c’est l’un des points sur lesquels nous sommes en désaccord avec vous. Il faudrait une véritable analyse, un véritable audit de ce qui pourrait être obtenu avec la mise en place d’un numerus clausus.

Madame la garde des sceaux, le rapport d’information réalisé par nos deux collègues Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe est remarquable, mais il ne sera utile que si un rapport annuel fait le point sur l’application de ses propositions : il faut les tester. Certaines seront abandonnées, d’autres seront renforcées.

En tout cas, tout cela restera vain si nous ne sommes pas persuadés que la prison ne doit être qu’une privation de liberté et jamais une atteinte insupportable à la dignité de la personne humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. Pas un mot pour les victimes ?

M. Laurent Furst. Pour M. Tourret, il n’y a plus de victimes en France !

M. Hugues Fourage. Scandaleux ! Ces critiques sont trop faciles !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, une situation « effroyable » : c’est en ces termes que le contrôleur général des lieux de privation de liberté décrivait, en octobre dernier, l’état de la prison des Baumettes, à Marseille. La surpopulation, l’insalubrité et les conditions de vie indignes dans cette prison correspondent, malheureusement, à l’état général des prisons françaises. Le constat est sans appel et les chiffres particulièrement éloquents.

Comme le soulignait notre rapporteur, entre 2002 et 2012, le nombre de personnes détenues a augmenté de 34 %, alors que dans le même temps, le nombre d’habitants a progressé de 7 %. Au 1er janvier 2013, 66 572 personnes se trouvaient en détention dans les prisons françaises, dont 12 194 détenus en surnombre. À cette même date, le nombre de détenus dormant sur un matelas posé à même le sol est de 639. Un constat édifiant qui n’est, hélas, pas nouveau.

Il y a plus de dix ans, en 2000, les conclusions convergentes des commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat sur la situation dans les prisons françaises dénonçaient déjà la surpopulation carcérale ainsi que les conditions de détention attentatoires à la dignité et qualifiaient les prisons d’« humiliation pour la République ». Depuis, la situation ne s’est pas améliorée, en dépit des critiques et des recommandations, qu’elles soient nationales ou internationales : l’ONU, la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil économique et social, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Comité européen pour la prévention de la torture, tous condamnent implacablement l’état des prisons françaises depuis des années.

La surpopulation carcérale est la principale cause des conditions de vie déplorables dans les prisons. Elle complique aussi le développement des activités et de l’emploi en détention et constitue donc un obstacle majeur à toute stratégie efficace de réinsertion.

Face à une situation aussi dramatique qu’inacceptable, il aura fallu attendre 2009 pour que le Parlement puisse enfin débattre d’une réforme du système pénitentiaire. Mais les espoirs fondés sur cette réforme ont été vite déçus. En effet, même si elle a inclus le principe de l’encellulement individuel, cette réforme est restée bien en deçà des règles pénitentiaires européennes, pourtant adoptées par la France. L’application de la loi pénitentiaire de 2009 n’est pas satisfaisante : les décrets d’application ont été pris avec retard et les moyens alloués sont insuffisants, notamment en ce qui concerne le développement des aménagements de peine.

Surtout, l’augmentation du nombre des personnes détenues au cours des dernières années a contrarié les orientations de la loi pénitentiaire.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est juste.

M. Marc Dolez. La politique menée depuis 2002 n’a d’ailleurs fait qu’accentuer la surpopulation carcérale par une approche ultra-sécuritaire, marquée par la succession de lois pénales toujours plus répressives, avec notamment les peines plancher et l’alourdissement général des condamnations.

Lutter contre la surpopulation carcérale ne peut consister avant tout à augmenter sans cesse les capacités du parc pénitentiaire. Pour notre part, si nous jugeons bien sûr nécessaire de remettre aux normes les établissements pénitentiaires afin qu’ils soient conformes aux réglementations européennes, il nous semble en revanche absurde de se focaliser sur l’accroissement constant des places de prison.

C’est pourquoi, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, nous nous sommes réjouis de votre décision, madame la garde des sceaux, de suspendre tous les projets annoncés par la précédente majorité, qui n’avaient pas encore été financés. Nous nous sommes en particulier félicités de voir que vous n’avez pas retenu la formule du partenariat public-privé pour les futurs projets immobiliers.

À mon tour, au nom du groupe GDR, je salue bien sincèrement la grande qualité du rapport d’information de notre collègue Dominique Raimbourg. Il dresse un état des lieux limpide de la surpopulation carcérale, tout éclairant ses causes et ses conséquences.

Notre groupe approuve l’esprit de ce rapport et reconnaît la pertinence de ses propositions. La prison devrait en effet être réservée aux peines lourdes, destinées à mettre à l’écart des individus dangereux. Dans les autres cas, il est impératif de développer les peines alternatives et tout ce qui permet la réinsertion.

Nous soutenons en particulier les propositions tendant à éviter autant que possible les incarcérations, conformément à notre législation qui prévoit que la peine de prison doit être, en matière correctionnelle, le dernier recours ; celles visant à faire de l’emprisonnement une sanction utile pour le condamné dans la perspective de sa réinsertion ; celles visant à garantir aux personnes condamnées à des peines ou mesures en milieu ouvert un véritable accompagnement pour rendre celles-ci efficaces et effectives ; celles tendant à favoriser la réinsertion et à lutter contre la récidive.

Plus spécifiquement, nous soutenons pleinement la suppression des mécanismes qui favorisent l’emprisonnement : les « peines plancher » et la limitation pour les récidivistes de l’accès aux aménagements de peine. Nous sommes également favorables au développement des alternatives à la détention provisoire, des peines non privatives de libertés et du travail d’intérêt général.

Nous encourageons aussi la volonté de faire bénéficier de la libération conditionnelle davantage de condamnés et approuvons la création de la contrainte pénale, qui met l’accent sur un suivi global de la personne.

Le numerus clausus enfin, en cas de nécessité, constitue une piste intéressante. En tout état de cause, il paraît logique qu’on ne puisse plus accueillir de détenus supplémentaires une fois la capacité d’un établissement atteinte.

Pour conclure, si nous sommes soucieux du respect des principes fondamentaux des droits de l’homme et cherchons à mieux garantir la sécurité publique par une approche pragmatique, nous souhaitons développer et surtout crédibiliser les mesures alternatives à la peine d’emprisonnement et la liberté conditionnelle. C’est incontournable pour rendre la peine de prison plus utile et nos prisons plus acceptables ; c’est incontournable pour apporter enfin une réponse au problème de la surpopulation carcérale ; c’est incontournable pour faire respecter dans les prisons de la République l’exigence de dignité de la personne humaine. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Fourage.

M. Hugues Fourage. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, permettez-moi tout d’abord de remercier Dominique Raimbourg,…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. À juste titre !

M. Hugues Fourage. …co-rapporteur de cette mission d’information, à laquelle j’ai eu le plaisir de participer.

Mme Elisabeth Pochon. Excellent travail !

M. Hugues Fourage. Tout à fait, chère collègue !

Je voudrais revenir sur les propos que notre collègue Philippe Goujon a tenus tout à l’heure. Affirmer que nous sommes opposés à l’idée de punir, au principe de la sanction et partisans d’une impunité généralisée, et tirer de cette assertion la conséquence que la délinquance va augmenter,…

M. Éric Straumann. C’est déjà le cas !

M. Hugues Fourage. …c’est une vision…

M. Éric Ciotti. Réaliste !

M. Hugues Fourage. …démagogique, populiste, et certainement irrespectueuse de la réalité des faits. Il faut remettre les choses à leur place : rappelons notamment les suppressions de postes dans les forces de police sous le précédent gouvernement.

M. Éric Ciotti. En tout cas, aujourd’hui, tout va bien !

M. Hugues Fourage. Comment pouvez-vous affirmer que nous sommes contre la sanction et pour l’impunité généralisée alors que vous-mêmes avez baissé les effectifs des forces de police et de gendarmerie ?

M. Éric Straumann. Cela n’a rien à voir !

M. Hugues Fourage. Vous nous avez accusés d’aveuglement idéologique. On pourrait vous opposer que vous faites preuve d’un dogmatisme dépassé, suranné, inefficace : la seule réponse que vous avez apportée à une décennie d’inflation carcérale se résume à un programme immobilier, comme si pour vous la prison était la seule solution et qu’il était impossible de croire en la capacité de l’homme à s’améliorer et à se réinsérer.

M. Philippe Goujon. Il n’y a jamais eu d’alternative !

M. Hugues Fourage. C’est d’ailleurs sur ce point que nous sommes si différents vous et nous, la droite et la gauche : nous, nous croyons en l’homme et en ses capacités de réinsertion et d’amélioration.

M. Éric Straumann. Quel angélisme !

M. Hugues Fourage. C’est une différence fondamentale que nous revendiquons et que nous revendiquerons toujours.

M. Philippe Goujon. Nous, nous défendons les victimes !

M. Hugues Fourage. Je ne peux vous laisser dire cela, cher collègue ; nous soutenons les victimes tout autant que vous !

Je ne reprendrai pas les chiffres, mais cette décennie d’inflation carcérale fait suite à vingt années de forte augmentation de la population carcérale. Nettement plus marquée que celle de la population dans son ensemble, l’augmentation du nombre de personnes sous écrou, détenues ou non, est le résultat d’une vision considérant la prison comme unique réponse et dont le corollaire était le programme immobilier pénitentiaire des années 2002 à 2012. Le nouvel objectif fixé cette année-là était de porter la capacité du parc pénitentiaire à 80 000 places en 2017. Rappelons que ce programme n’était pas financé : on était dans une sorte de fuite en avant.

Ce programme se voulait apporter trois types de réponses. La première a déjà été évoquée par plusieurs de mes collègues : c’était une réponse à la surpopulation fondée sur un scénario d’évolution de la population carcérale qui découlait de l’augmentation des peines privatives de liberté et qui semblait traduire – c’est le point fondamental – un renoncement à mettre en place une réelle politique de prévention de la délinquance et de l’aménagement des peines. Du coup, on entrait dans une logique infernale : davantage de peines, davantage de prisons,…

M. Marcel Bonnot. Il faut toutes les supprimer, dans ce cas !

M. Éric Ciotti. Supprimons-les !

M. Éric Straumann. Fermons les prisons !

M. Hugues Fourage. … davantage de programmes immobiliers.

Une question parmi d’autres se pose, qui est également abordée dans le rapport, celle du type de prisons. Madame la garde des sceaux, je voudrais appeler votre attention sur ce qu’ont dit les personnes entendues par la mission dans les prisons. Elles ont fréquemment mis en avant les aspects négatifs des établissements pénitentiaires construits au cours des dernières années : les représentants des syndicats les ont qualifiés « d’usines carcérales ». Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a notamment insisté sur le sentiment de déshumanisation provoqué par les nouvelles prisons, qui serait en partie lié à leurs grandes dimensions et à l’omniprésence de la technologie. Il a en conséquence souligné la nécessité de bâtir des établissements à taille humaine au sein desquels le lien entre les personnes détenues et les surveillants ne serait pas rompu. Il a également rappelé aux membres de la mission les témoignages recueillis par ses équipes à l’occasion de leurs visites régulières, qui attestent du sentiment d’isolement et d’insécurité ressenti par les personnes incarcérées comme par les surveillants. Le fait que certains disent regretter les anciens établissements pourtant vétustes et insalubres prouve que les conditions de détention sont loin d’être optimales dans les nouvelles prisons.

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Hugues Fourage. J’en viens à ma conclusion, madame la présidente. Lors de leur audition par la mission, les représentants syndicaux ont confirmé l’absence de contacts entre les personnes détenues et les surveillants. Dès lors, il convient de prévoir une expansion raisonnée du nombre de places de prison plutôt que de construire des prisons tous azimuts, et de veiller à ce que ces établissements ne soient pas non plus implantés à l’écart des villes : cet isolement, vous le savez comme moi, pose problème pour le transport et la réinsertion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur, je tiens d’abord à saluer à mon tour le travail que vous avez fourni. Je n’oublie pas que notre collègue Sébastien Huygue était co-rapporteur de votre mission d’information et je le salue.

Mme Laurence Dumont. Où est-il ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Il m’entend sûrement, madame la vice-présidente, de là où il est ! (Sourires.)

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur. Espérons que ce n’est pas une oraison funèbre ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Je commencerai par rappeler quelques éléments historiques récents. Comme l’a dit notre collègue Marc Dolez, voilà maintenant treize ans, dans le courant de l’année 2000, le Sénat, sous l’impulsion de nos collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, puis l’Assemblée nationale, sous la direction de notre collègue Jacques Floch, ont remis un rapport sur l’état des prisons. Ces deux rapports étaient tout à fait convergents – ce qui, n’étant pas si fréquent, mérite d’être signalé – et pointaient exactement les mêmes types de difficultés.

On aurait pu croire que cette belle unanimité, rare dans la vie politique, conduirait à des décisions rapides en la matière sur tous les plans : rénovation des établissements, valorisation des personnels, aide au système de réinsertion, insertion des victimes dans le système pénitentiaire – même si c’est très compliqué parce qu’on ne sait pas très bien comment s’y prendre. C’était sans compter sans doute avec des arbitrages politiques pris en très haut lieu à cette époque de cohabitation : en dépit de la volonté de votre collègue Marylise Lebranchu, à l’époque garde des sceaux, assez allante pour traiter de cette affaire, on a considéré qu’à deux ans d’une élection présidentielle qui promettait d’être serrée, le sujet n’était pas populaire et qu’il serait malvenu d’avancer dans la direction préconisée par les deux rapports. Nous avons collectivement raté une occasion d’améliorer significativement les conditions des détenus et donc de résoudre une partie des problèmes que, treize ans plus tard, nous sommes amenés à examiner ce soir.

Cet échec est collectif. M. le rapporteur disait tout à l’heure depuis cette tribune que la question dont nous traitions avait sans doute trois dizaines d’années d’âge ; je pense qu’elle est probablement un peu plus ancienne, même si la population carcérale était il y a quarante ou cinquante ans beaucoup moins nombreuse qu’aujourd’hui.

Ce problème est difficile à porter devant l’opinion publique parce que personne ne se rend réellement compte que plus de 98 % des détenus ont vocation à sortir un jour de prison et qu’à l’évidence leur sortie doit être préparée. Personne ne se rend compte qu’une sortie mal préparée a toutes les chances de ramener en prison celui qui en sort, signant ainsi l’échec non seulement du circuit pénitentiaire, mais aussi de la société tout entière.

Reste que tout le monde a encore en tête cette vieille rémanence de la prison comme un lieu d’exil, sinon de bannissement, tel qu’on l’entendait dans le monde antique, c’est-à-dire une forme de peine de mort déguisée ; du moins était-ce la tradition chez les Grecs. À la limite, moins on voit les prisonniers, mieux on se porte. Ce à quoi vient certainement s’ajouter une forme de volonté expiatoire projetée par la société sur les détenus : il faut bien réparer ses fautes, si possible dans la souffrance… Ineptie certes, mais assez répandue. Autant d’éléments qui rendent difficile le fait de porter un tel sujet devant l’opinion publique : la fameuse expression de « prisons trois étoiles », que l’on entend encore trop souvent et qui ne perdure que dans l’esprit de ceux qui n’ont jamais visité d’établissement pénitentiaire, en est probablement un signe ou une preuve.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. Près de quinze ans après la publication de l’ouvrage du docteur Vasseur sur les conditions de détention à la prison de la Santé, les choses n’ont pas beaucoup changé. La situation matérielle n’a pas suffisamment évolué dans nombre d'établissements – quand bien même certains ont fait l’objet de rénovations. Beaucoup reste à faire pour le traitement normal des droits des prisonniers et de leur dignité. Beaucoup reste à faire sur le statut et la reconnaissance des personnels pénitentiaires, pour lesquels votre rapport ne contient aucune proposition, monsieur le rapporteur ; c’est d’ailleurs l’objet d’une de mes questions. Beaucoup reste à faire quant aux moyens qui sont dévolus à l’insertion des détenus, en particulier à l’aide des détenus sortis qui, à leur tour, s’occupent de ceux qui quittent le système pénitentiaire. Sur ce point précis, nous sommes clairement démunis, à tout le moins en retard.

Au fond, ce qui apparaît comme un problème d’investissement, un problème de politique pénale ou une question statutaire pour les fonctionnaires de la pénitentiaire est à mes yeux avant tout un problème culturel. Comme pour le handicap dans une large mesure, comme pour les personnes âgées, les malades en fin de vie ou un certain nombre d’autres personnes isolées ou faibles de notre corps social, ce qui est en cause, c’est notre capacité à changer collectivement la manière dont nous regardons les détenus.

Madame la garde des sceaux, tel est le contexte dans lequel ce rapport intervient. Certaines des mesures proposées par ses auteurs mériteraient véritablement d’être appliquées. Je pense notamment, au premier bloc de la liste, c’est-à-dire aux trois premières propositions, qui portent précisément sur l’évolution du regard de la société sur la justice pénale, ainsi qu’à la proposition n° 30 relative à des campagnes d’information sur les peines alternatives, qui répond exactement à la préoccupation que je viens d’exprimer.

La majorité des propositions du cinquième bloc sur la généralisation de l’aménagement dans le parcours d’exécution des peines doivent évidemment être soutenues et, moyennant quelques ajustements, voir le jour. Le sixième bloc de propositions, qui concerne le suivi des personnes placées sous main de justice, doit également faire l’objet, sous réserve qu’on effectue le travail nécessaire, d’un consensus parmi nous. Enfin, je suis ravi de la proposition n° 40, qui consiste à fermer des établissements vétustes pour construire des établissements neufs, même si – je vous le dis en souriant, monsieur le rapporteur – elle m’a quelque peu interpellé : encore faudrait-il savoir combien de places seraient concernées et selon quel calendrier, mais je suppose que cela sera précisé ultérieurement…

Il est souhaitable que ces différentes mesures s’appliquent et nous pouvons tous en être d’accord.

Néanmoins, j’ai trois interrogations à ce stade sur vos propositions.

Premièrement, je ne comprends pas pourquoi votre proposition n° 12 sur le durcissement des conditions de demande d’audience à huis clos figure dans le bloc de mesures visant à faire de l’emprisonnement le dernier recours en matière correctionnelle.

Deuxièmement, je ne pense pas que votre proposition n° 33, sur l’obligation faite aux collectivités territoriales d’accueillir des postes dédiés aux travaux d’intérêt général, soit totalement conforme à la Constitution : il y a, sur ce point, un problème technique.

Troisièmement, comme je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, je ne trouve pas de mention de la revalorisation des personnels de l’administration de la pénitentiaire, ce qui me gêne s’agissant d’un rapport sur la surpopulation carcérale.

Au-delà de ces interrogations, il y a des problèmes de principe, dont certains ont été soulevés par les orateurs précédents. Je comprends mal la méthode qui revient à considérer que le seul moyen de traiter la surpopulation carcérale est de diminuer le « flux entrant » – pardon de parler trivialement, mais cette expression a le mérite de la clarté.

Je comprends mal que l’on puisse avoir comme seul principe d’action opérationnel celui qui donne son titre à votre quatrième bloc de propositions : « Ajuster le parc pénitentiaire à l’évolution des politiques pénales ». Évidemment, on peut interpréter ce principe de la façon suivante : en fonction des évolutions de la politique pénale et de la manière dont elles se traduisent dans les procédures qui conduisent des criminels en prison, on adapte le parc. Cela dit, tout le monde peut s’accorder sur le fait que la brutalité et la violence prennent une part de plus en plus importante dans notre société. Qu’on le veuille ou non, et quelles qu’en soient les causes – dont nous ne débattrons pas ce soir –, ce phénomène nous oblige à nous poser la question du fonctionnement de la justice et de la nécessité de la réparation. Qui doit aller en prison et pour quelle raison ? Pour les victimes aussi, il faut que les coupables soient sanctionnés. Dans une société où la violence s’accroît de toutes parts, il convient de se demander si un des remèdes n’est pas un accroissement du nombre de places disponibles dans le parc pénitentiaire. En tout cas, pour moi comme pour mes collègues, c’est une évidence.

On constate également une volonté d’affaiblir les sanctions. Vos propositions nos 4, 6 et 7, mentionnées tout à l’heure – je n’y reviens pas –, visent à dépénaliser un certain nombre d’actes, ce qui n’est pas sans poser problème. En effet, elles consistent à limiter les conséquences d’un certain nombre de fautes objectivement graves, non seulement pour ceux qui les commettent, mais également pour l’ensemble du corps social. Atténuer leur gravité aura, par définition, un effet sur la surpopulation carcérale, mais une telle décision ne me paraît pas juste, ni pour ceux-là mêmes qui ont commis ces actes ni pour leurs victimes.

Enfin, puisque Mme la garde des sceaux nous a elle-même invités dans son discours à élargir notre regard à l’ensemble de la politique de sécurité, je vous dirai quelques mots d’un sujet sur lequel je me suis beaucoup interrogé et qui fait partie – et ce n’est pas de votre fait, madame la garde des sceaux, ni du vôtre, monsieur le rapporteur – de notre débat de ce soir : je veux parler de la fameuse proposition de loi d’amnistie votée par le Sénat il y a quelques jours. Je ne prétends pas d’ailleurs que le groupe socialiste en soit responsable – en tout cas celui de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Pas encore !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je prends des précautions pour en parler parce que je me doute que le sujet fait débat chez vous. Connaissant les difficultés que vous rencontrez pour parvenir à des équilibres, je n’en rajouterai pas, même si je n’en pense pas moins !

Au fond, que dit cette proposition de loi ? On croit qu’elle a pour seule fin d’amnistier les délits commis sur des biens matériels dans le cadre de mouvements sociaux – appelons cela ainsi pour aller vite. Or, quand on la lit bien, on s’aperçoit que son champ est beaucoup plus vaste. L’article 1er adopté par le Sénat dispose : « Sont amnistiés de droit […] les contraventions et les délits prévus au livre III du code pénal » Que dit le livre III du code pénal ? Sont mentionnés dans son titre Ier, les différents types de vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie, l’abus de confiance ou encore le détournement de gage – je vous accorde que ce dernier délit doit être assez rare dans le cadre de mouvements sociaux. Seul le titre II traite des autres atteintes aux biens.

On voit, dès lors, que le champ de cette proposition de loi adoptée par le Sénat est très large : elle amnistie de plein droit des fautes qui figurent dans le titre Ier du livre III et qui n’ont rien à voir avec un mouvement social et qui ne doivent pas être amnistiées – c’est en tout cas mon point de vue. Quoi qu’il en soit, reconnaissez que l’adoption d’un pareil texte par une assemblée parlementaire – il va d’ailleurs venir sans doute en discussion chez nous dans un délai assez bref –,…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. …conforte le sentiment dont je parlais tout à l’heure : on procède à un affaiblissement général des sanctions dans le but de diminuer la population carcérale.

Au fond, trois problèmes doivent être traités ; le rapport les aborde de façon assez différente. Il y a d’abord celui de l’investissement pour la rénovation et la construction de bâtiments. Ensuite, celui de la politique pénale : qui doit aller en prison, pourquoi l’incarcération est-elle parfois nécessaire, voire juste du point de vue des victimes ? Enfin, et surtout, le problème du changement culturel, posé à l’ensemble de notre société, sur le sens de la peine, de la dignité, inamissible, des personnes et de la réinsertion tout court.

Pour toutes ces raisons, monsieur le rapporteur, j’attends quelques explications – que vous nous donnerez sûrement – et je vous remercie à nouveau pour le travail que vous avez accompli avec notre collègue Sébastien Huyghe.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Madame le président,…

Mme la présidente. « Madame la présidente », monsieur Collard ! Vous faites systématiquement l’erreur.

M. Gilbert Collard. Non ; moi, je respecte la grammaire !

Mme la présidente. Respectez les règles : je suis « Mme la présidente », vous êtes « M. le député ».

M. Gilbert Collard. La grammaire m’impose, de même que l’Académie française…

Mme la présidente. Respecter le règlement de l’Assemblée relève de la plus simple des courtoisies, monsieur Collard !

M. Gilbert Collard. Que fait-on s’il y a un conflit entre le règlement de l’Assemblée et la grammaire ?

Mme Laurence Dumont. Vous respectez le règlement de l’Assemblée, point !

M. Gilbert Collard. Vous ne m’imposerez aucun point. Personne ne m’imposera rien. Je dis : « madame le président » parce que c’est la grammaire.

Mme la présidente. Et moi, je vous rappelle à l’ordre sur ce point, monsieur Collard.

M. Gilbert Collard. Madame le président, disais-je, ou madame la présidente, pour faire plaisir à Mme le président qui est Mme la présidente, puis-je m’exprimer ?

M. Michel Ménard. Pouvez-vous nous la refaire ? Nous n’avons pas tout compris ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Gilbert Collard. Monsieur le rapporteur – si je ne me trompe pas –,

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Très drôle !

M. Gilbert Collard. …je voudrais d’abord vous dire que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre rapport. Les observations rapides que je vais faire s’inscrivent dans un esprit de discussion et non pas de contestation systématique, parce que j’ai apprécié votre travail.

La question de la surpopulation carcérale remonte à bien plus de trente ans. Antonin Besson évoquait déjà cette question dans Le Mythe de la justice, ouvrage que vous connaissez. C’est l’époque où est apparue la défense sociale, avec De Greeff : on nous expliquait alors qu’il fallait trouver une solution à la question des prisons. C’est dire si tout cela ne date pas d’aujourd’hui !

Ce qui est en revanche un peu nouveau, c’est l’apparition d’une certaine forme de culture que je ne définirai pas comme le refus de punir : ce serait vous faire injure que de prétendre que vous êtes des hommes et des femmes refusant de punir, ce que d’ailleurs je ne pense pas. Reste qu’il y a toute cette culture, qui remonte peut-être à François Villon – « Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis » –, qui veut que l’on s’intéresse plus à l’assassin qu’à la victime. Je ne le dis pas pour critiquer d’un point de vue humain cette position, mais parce que c’est une caractéristique culturelle et sociologique de votre mouvement de pensée.

Mme Laurence Dumont. Cela dérape toujours avec Collard !

M. Gilbert Collard. Je le vois à travers un élément central de ce rapport. Passons sur le tête-à-tête que vous envisagez entre la victime et l’agresseur – c’est Alice venant se promener au pays des horreurs – pour en venir à la question du numerus clausus. Là encore, puisque l’on parle français, de quoi s’agit-il ? Le numerus clausus consiste à discriminer pour la réussite à certains concours, notamment dans l’administration, ou pour l’obtention de titres universitaires. Je vous en prie : si vous devez garder le principe, changez au moins de terme, car la prison n’est pas l’académie. N’employez pas ce terme de numerus clausus : le français se doit d’être respecté.

En même temps, et c’est tout le fond du débat, cela revient à dire que, si le juge décide d’incarcérer alors qu’il n’y a pas de place, l’incarcération provoquera la libération d’un autre homme qui ne devrait pas être libéré.

Disons les choses simplement : il n’y a qu’une seule solution à la surpopulation carcérale : construire des prisons, dignes, parce que l’homme qui est incarcéré a droit au respect de sa dignité, de la même manière que la victime a droit à ce que l’on s’intéresse à elle, avec le même souci que celui que l’on témoigne à l’assassin, au criminel, au meurtrier.

On voit, à travers toutes vos propositions, à quel point vous avez le souci de dépénaliser, de faire en sorte que l’on ait moins de possibilité d’incarcérer. Mais le seul moyen acceptable d’incarcérer moins, c’est qu’il y ait moins d’actes de délinquance. On ne peut pas les supprimer d’un coup de baguette magique. Ce n’est pas en modifiant la loi que l’on modifie le comportement des gens ; ce n’est pas parce que l’on dit que le coup de poing ne fait pas mal que celui qui le reçoit ne souffrira pas. C’est une réalité et, malheureusement, elle ne date pas d’hier et tous peuvent se donner la main : cela fait trente ans que l’on abandonne l’univers carcéral. Jean-Marc Varaut se posait déjà la question dans un livre : La Prison pour quoi faire ? Aujourd’hui, on arrive à l’instant décisif où l’on dit : « la prison, pour ne pas y enfermer de détenus ». Quelle folie ! Il est nécessaire, d’abord pour la victime, de répondre à l’agression : c’est la sanction pénale.

Je comprends que, de votre côté, vous vouliez éviter la surpopulation des prisons. Essayez de vous demander s’il ne faudrait pas éviter aussi la surpopulation des cimetières, et pourquoi pas la surpopulation des victimes de blessures et de violences. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Marc Dolez. C’est n’importe quoi !

Mme Laurence Dumont. Avec M. Collard on n’est jamais déçu : c’est toujours pathétique !

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les co-rapporteurs, ce débat nous permet de réfléchir ensemble et posément à une autre politique pénale plus efficace et de repenser sans démagogie aucune la place de la prison.

La loi Dati sur les peines plancher a indéniablement provoqué une augmentation de la population carcérale depuis sa mise en application. Inspiré des législations américaines, qui réévaluent elles aussi ce dispositif aujourd’hui, le système des peines plancher est une effroyable machine à remplir des prisons déjà surchargées. Il est totalement contre-productif pour lutter contre la récidive et assurer la prise en compte et l’indemnisation des victimes.

Ce mécanisme s’est en effet révélé totalement inefficace, voire injuste. Outre le discrédit que ce dispositif réducteur jette sur le juge pénal, il transforme les tribunaux en distributeurs automatiques de peines de prison. Il est l’émanation directe de la défiance de l’exécutif vis-à-vis des juges, de la volonté de se passer complètement du judiciaire, qui est pourtant l’un des contre-pouvoirs essentiels de notre démocratie.

Or le principe d’individualisation des peines est déduit de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, selon laquelle « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Si la fonction de juger est l’un des piliers de la démocratie, elle exige que tout citoyen soit jugé en tant que sujet de droit et non comme un simple objet ou comme une abstraction.

Cela signifie très clairement et très directement que le juge doit prendre en compte la nature et les circonstances de l’infraction poursuivie, mais aussi et surtout la personnalité de l’auteur dans toutes ses composantes, pas exclusivement son casier judiciaire.

Une étude publiée par le ministère de la justice en octobre 2012 a conclu qu’en 2010 les peines minimales ont été prononcées dans 38 % des cas éligibles et que, si l’on n’a pas davantage eu recours aux peines d’emprisonnement dans ces cas, la durée des peines prononcées a augmenté, passant en moyenne de 8,2 mois à 11 mois entre l’entrée en vigueur de la loi et 2010. Cela correspond à une augmentation d’environ 4 % des années de détention prononcées. Comme vous l’avez dit tout à l’heure, le résultat est encore plus impressionnant si l’on parle en heures de prison.

La peine plancher porte atteinte au principe d’égalité du citoyen devant la justice, car la loi autorise le juge – si tant est qu’il motive sa décision – à déroger à la peine minimale, à condition que le délinquant offre des « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ».

Cette expression, définie nulle part et appréciée différemment en fonction des juridictions, rompt avec le principe d’égalité des justiciables, puisque les plus précaires ont de plus grandes difficultés à apporter la preuve de ces garanties. Un sans domicile fixe, un chômeur ou un étranger ont évidemment plus de mal à justifier de leur capacité d’insertion – ou, encore mieux, de réinsertion – que le justiciable en col blanc qui s’est donné les moyens d’une défense efficace et bénéficiera d’une application plus modérée de la loi pénale.

Revenons enfin aux principes cardinaux de notre droit pénal !

Les juges, d’ailleurs, ne s’y trompent pas, qui ont commencé à détourner les dispositions de la loi Dati. Le précédent exécutif, sans le crier sur les toits, en catimini, a pris des mesures pour tenter de réduire la durée des condamnations et d’adoucir les conditions carcérales liées à la surpopulation carcérale.

Enfin, grâce à votre circulaire de politique pénale prescrivant aux parquets un recours limité aux peines plancher, ces dernières finissent par tomber en désuétude dans nos juridictions.

Laissons donc aux magistrats le soin d’apprécier à leur juste mesure les faits délictueux. Leur décision ne doit être contrainte en aucune manière, particulièrement par une peine plancher qui ne tient a priori nul compte du parcours global de l’individu, de la nature des infractions et de la nécessaire individualisation de la peine. Laissons les juges faire leur métier de juge !

La politique du tout carcéral est un échec cinglant dans le combat que nous menons tous contre la récidive. La prison est criminogène, notamment lorsque les sorties sont sèches. Les discours binaires, radicaux, réducteurs et caricaturaux de la droite et de l’extrême droite n’apportent aucune solution pour lutter efficacement contre la délinquance, sauf s’il s’agit de flatter les bas instincts et de jouer sur les peurs, aussi légitimes puissent-elles être.

Ce dispositif électoraliste, on l’a vu, démagogique et populiste à souhait, dogmatique et même tape-à-l’œil, n’a pas fait baisser la délinquance, pas plus qu’il n’a eu d’effet direct sur la récidive – qui a considérablement augmenté –, aidé les victimes ou réconcilié le corps social.

Il est certes plus facile d’être démagogue que pédagogue. Le jury de la conférence de consensus recommande d’abandonner les peines automatiques, ainsi que le préconise l’excellent rapport, pragmatique et volontariste, de notre collègue Dominique Raimbourg.

À votre tour, madame la garde des sceaux, vous avez annoncé la suppression des peines plancher. Nous nous félicitons de cette convergence de vues, qui nous permettra de travailler efficacement dans ce sens, et sans délai. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Bonnot.

M. Marcel Bonnot. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qu’il me soit permis, dans le délai contraint qui m’est imparti, de concentrer mon propos sur un des points majeurs du rapport, la surpopulation carcérale, plutôt que de survoler le flot de propositions qu’il recèle.

Le problème de la surpopulation carcérale n’est pas nouveau. Il y a plus de quarante ans, un chef de cour, lors d’une audience solennelle de rentrée, s’exprimait en ces termes : « la justice doit s’efforcer d’apporter une réponse rapide, une peine juste et adaptée ; la peine d’emprisonnement doit être rapidement exécutée et la sortie du détenu doit être préparée ». Il dépeignait là un tableau idéal. Force est de constater que cette déclaration a traversé les décennies sans trouver son légitime prolongement et qu’elle revêt toujours la même acuité.

Les propositions formulées dans ce rapport pour parvenir à la maîtrise de la population carcérale comportent, certes, des éléments intéressants, mais trop de demi-remèdes, qui risquent d’affaiblir l’impact et l’intérêt de la peine d’emprisonnement comme juste sanction.

Ma première remarque porte d’ailleurs sur l’intitulé de la mission, quelque peu inadéquat. Le rapport traite de la surpopulation carcérale, alors même que la population carcérale en France reste assez comparable à celle d’autres pays européens. En revanche, ce qui est indiscutable, c’est le manque de places. On parlera donc plutôt d’une « inadaptation carcérale ».

Le fond du problème réside en réalité dans le manque de moyens financiers et matériels lié à notre système pénal et pénitentiaire. Nos prisons, lieux de rétention, devraient permettre d’ouvrir des perspectives de réinsertion, mais tel n’est pas le cas. En effet, les places manquent et l’organisation de la prison est très critiquable. Il est faux de prétendre qu’il existe des « prisons trois étoiles ». Un président de la République disait en substance il y a quelques décennies que la privation de liberté est une sanction suffisante en elle-même pour qu’elle ne s’entoure pas de vicissitudes supplémentaires. Les dernières révélations illustrent le caractère pour le moins dégradé de nos structures carcérales.

De surcroît, les autorisations d’engagement consacrées à la politique carcérale dans la loi de finances pour 2013 ne sont pas faites pour rassurer, si l’on veut bien considérer qu’elles ont baissé de 38 %. Les crédits de paiement eux aussi subissent une diminution inquiétante.

Les aménagements de la politique pénale ne peuvent à eux seuls être considérés comme une réponse acceptable et suffisante. Inéluctablement, il faudra construire des places de prison nouvelles. La précédente majorité avait décidé de porter notre parc carcéral à 80 000 places, soit 24 000 places supplémentaires à l’horizon 2017, afin de répondre aux besoins, de donner à nos concitoyens confiance dans l’exécution des décisions de justice – confiance qu’ils sont en droit d’exiger – et d’améliorer les conditions de vie des détenus.

Un premier plan de construction de nouveaux établissements vient d’être acté. Cette mesure va dans le bon sens ; néanmoins, elle demeure insuffisante. Il faudra consentir nécessairement à de nouveaux investissements dans les années qui viennent, afin de construire des lieux pénitentiaires adaptés.

Par ailleurs, si je ne suis pas hostile au fait que l’on modifie la politique pénale, ni défavorable par principe à un aménagement des peines qui conduirait aux peines de substitution telles que le port du bracelet électronique, je pense que cette démarche doit être particulièrement ciblée et non systématique.

Au prétexte d’apporter une réponse à la surpopulation carcérale, comme tente de le faire le rapport, tout en s’affranchissant de la construction d’entités carcérales nouvelles, on ne saurait, sous peine d’enregistrer une inflation alarmante et dangereuse de la récidive, banaliser ainsi la peine de privation de liberté. La remplacer par quelques subterfuges à l’aspect prétendument pédagogique enrichirait à terme le terreau de la délinquance et de la criminalité.

Le caractère singulier de la logique de ce rapport m’interpelle quelque peu. Les réponses qu’il apporte laissent à penser, comme le relevait Philippe Houillon, que l’on adapte les peines à l’outil – les prisons, avec leur capacité actuelle –, alors qu’il conviendrait plutôt d’adapter l’outil aux peines. Ainsi, tandis que les peines plancher sont remises en cause, des peines plafond sont imaginées : aux deux tiers de l’exécution de la peine, il serait mis fin automatiquement à la détention, sauf décision contraire du juge. Voilà qui interroge sur l’efficacité de la peine et sur la crédibilité des décisions prononcées. Une telle démarche risque de conduire à un résultat inverse à celui qui est recherché.

Mes chers collègues, si ce rapport procède d’une bonne intention et ouvre des réflexions dignes d’intérêt, les solutions qu’il préconise sont souvent trop éloignées des réalités. Oui, madame la garde des sceaux, construisons ensemble l’œuvre de justice, mais pas sur les fondations de la tiédeur et de l’approximation !

Mme la présidente. La parole est à M. Joaquim Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au-delà des moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, ce débat interroge aussi le sens de la peine d’emprisonnement. Si l’incarcération doit avoir pour objectif d’infliger une sanction, elle doit également prévenir le risque de récidive.

Rapporteur du comité de jurisprudence criminelle, le député Louis-Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau se demandait déjà, le 30 mai 1791 : « Ne saurait-on concevoir un système pénal qui opérât ce double effet, et de punir le coupable, et de le rendre meilleur ? ».

L’enfermement est utile, sur un temps donné. Le problème consiste à savoir comment préparer la sortie des détenus. La plupart des personnes qui entrent dans les maisons d’arrêt y restent moins d’un an, et souvent moins de six mois. Mais nombre d’entre elles en sortent dans des conditions qui ne favorisent ni leur réinsertion, ni l’absence de récidive.

Une peine de prison ne peut être efficace que si un sens lui est donné, grâce à la prise en charge, qui doit être individualisée, grâce au respect des règlements, qui doivent être appliqués avec discernement mais fermeté, grâce au projet d’exécution de la peine, qui permet au personnel de développer la socialisation, de préparer la sortie et de favoriser la réinsertion.

Or la surpopulation carcérale, que l’on retrouve exclusivement dans les maisons d’arrêt, impliquant bien souvent promiscuité et violence, va à l’encontre de ces exigences. Lorsque plusieurs détenus occupent une cellule individuelle, les problèmes de cohabitation surgissent, la violence, les rackets, le caïdat font leur apparition, les viols, même, surviennent. Les victimes sont souvent les personnes les plus vulnérables. Au fil des mois, les relations humaines et la dignité se fragilisent.

Par ailleurs, le taux d’occupation excessif entraîne des conditions de travail et d’intervention très difficiles pour les personnels pénitentiaires, au premier rang desquels les surveillants. Il ne permet pas une surveillance fine des personnes détenues et crée plus facilement des tensions et des violences.

Que peuvent faire les surveillants lorsqu’ils se trouvent face à trois détenus dans une cellule ? Pas un jour ne se passe sans qu’ils se fassent insulter, menacer et même agresser. Dans de telles conditions, leur travail, fait d’observation, de conseils, de surveillance, d’encadrement et d’aide à la socialisation, a moins d’impact.

Cette situation ne peut plus perdurer car elle est contraire aux règles pénitentiaires européennes, qui doivent être la doctrine de l’administration pénitentiaire.

La surpopulation pénale est un obstacle majeur à l’efficacité de la peine. Pour résorber la pression de la surpopulation carcérale, deux axes me semblent devoir être privilégiés : la modernisation du parc immobilier pénitentiaire et la mise en œuvre renforcée d’une politique d’aménagement des peines.

La construction de nouveaux établissements permettra en partie l’encellulement individuel. C’est dans cette perspective que vous avez annoncée, madame la garde des sceaux, votre volonté de porter à 63 500 le nombre de places de prison à la fin de l’année 2018, contre environ 57 400 actuellement. Cependant, il faudrait privilégier dans ces constructions nouvelles les centres pour peines aménagées, qui comprennent des places de semi-liberté et des quartiers réservés aux courtes peines. Il est manifeste que le nombre de places de semi-liberté n’est pas à la hauteur des enjeux d’une politique portant sur les modalités d’aménagement des peines.

Par ailleurs, je salue la décision que vous venez de prendre, madame la garde des sceaux, quant à la rénovation des établissements pénitentiaires vétustes, un travail initié par Élisabeth Guigou dans les prisons de la Santé, de Fresnes et de Fleury-Mérogis. Il faut beaucoup de temps pour rénover de tels établissements.

Au-delà de la construction de nouvelles places de prison, il est nécessaire, pour lutter efficacement contre le risque de récidive, de mieux préparer la sortie des personnes détenues. Aussi, madame la garde des sceaux, faudrait-il généraliser les projets d’insertion. Ceux-ci pourraient commencer en prison et trouver leur terme à l’extérieur, dans le cadre d’une libération conditionnelle, d’une mesure de semi-liberté, d’un placement extérieur, ou d’un travail d’intérêt général. Cela donnerait du sens à la peine de prison et aux aménagements de peine.

Personne ne prétend que le développement de ces dispositifs fera disparaître la récidive ; en revanche, tout démontre qu’il sera de nature à la réduire.

Le rapport de Dominique Raimbourg est de qualité : il analyse la situation et propose des solutions. Celles-ci ne sont peut-être pas réalisables du jour au lendemain, mais les questions posées sont les bonnes.

Madame la garde des sceaux, prévenir la surpopulation carcérale participe du double objectif d’une peine respectueuse des droits et des devoirs des détenus et d’une peine efficace pour lutter contre la récidive. Pourriez-vous nous préciser quels sont les principaux leviers qui peuvent être mobilisés et les dispositifs que vous comptez mettre en œuvre pour résorber le nombre de sorties sèches, propices à la récidive, sans encadrement ni contrôle ni prise en charge individualisée ?

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en application de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait de la sûreté un droit naturel et imprescriptible, notre pays doit tout mettre en œuvre pour protéger nos concitoyens. Cette exigence passe par une politique pénale reposant sur deux piliers : la prévention et la répression.

Hélas, nous devons déplorer que vos annonces de projets de réforme, plus particulièrement dans leurs volets répressifs, ne soient pas à la hauteur de la montée de la délinquance : déjà quarante-cinq mille victimes supplémentaires depuis le changement de majorité, alors qu’entre 2002 et 2012, ce ne sont pas moins de cinq cent mille victimes qui ont été épargnées. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Drapeau. Ben voyons !

Mme Laurence Dumont. C’est ridicule !

M. Georges Fenech. Inutile de se faire des illusions : cette courbe ne s’inversera pas, car vos projets, ou vos annonces de projet, s’inspirent d’une idée fausse : le crime ne serait qu’un sous-produit de la misère et les actes individuels de délinquance, comme les rebellions collectives des quartiers difficiles, une réponse légitime à l’injustice sociale.

Pour votre majorité, la véritable insécurité serait économique et non criminelle. Il suffirait donc de lutter contre les inégalités pour faire disparaître les violences. Ce courant de pensée rousseauiste se réfère historiquement à la guerre des farines, annonçant la révolution de 1789, à la révolte des canuts lyonnais de 1831, à la Commune de 1871.

Mme Elisabeth Pochon. C’est aujourd’hui, l’anniversaire de la Commune !

M. Georges Fenech. En 2002 – époque contemporaine –, Lionel Jospin, alors Premier ministre, ne faisait-il pas publiquement cet aveu : « J’ai péché par angélisme ; j’ai cru qu’en faisant reculer le chômage, on lutterait contre la délinquance. »

J’ai également retrouvé un écrit de notre ancien collègue du parti socialiste, Julien Dray, datant de 1999 : « Je dois reconnaître que j’ai également commis cette erreur, en affirmant moi aussi, au début des années 1990 : “La vraie insécurité, c’est le chômage.” »

C’est aussi l’époque du slogan lancé par le Syndicat de la magistrature : « Chassons la prison de la tête des juges », slogan malheureusement toujours en vogue sur les bancs de votre majorité et que les coups de menton du ministre de l’intérieur, auxquels nous avons encore assisté tout à l’heure, lors des questions d’actualité, ne remettront pas en cause. D’ailleurs, quelle que soit leur bonne volonté pour faire reculer la criminalité, on ne peut pas tout demander aux forces de l’ordre. Il est nécessaire en effet que les délinquants, une fois identifiés et interpellés, soient poursuivis, condamnés, et que leur peine soit effectivement exécutée : c’est aujourd’hui loin d’être une réalité.

La place Beauvau ne fera jamais reculer l’insécurité si, place Vendôme, on continue à faire preuve de mansuétude à l’égard du criminel. Je note d’ailleurs qu’entre vous, madame la garde des sceaux, et votre collègue de l’intérieur règne plutôt la cacophonie. Tandis que vous vous prononcez pour l’abolition des courtes peines de prison, Manuel Valls s’y déclare favorable : « La prison et l’enfermement sont utiles aussi, déclare-t-il, pour les petites peines. » On serait tenté de vous demander s’il y a encore une ligne gouvernementale en matière de politique pénale…

Regardez, s’il vous plaît, la réalité en face : ce sont les têtes de nos concitoyens qui sont aujourd’hui brouillées sur la finalité d’une justice pénale, qui prône une vision toujours angélique d’un monde libéré de tout crime. Ne cessez-vous pas en effet, madame la garde des sceaux, de nous répéter que la prison est l’école du crime et de la récidive ? C’est une contre-vérité !

Je prendrai l’exemple des États-Unis même si, j’en conviens, il ne faut pas importer en France le tout-carcéral américain. Les États-Unis sont devenus, grâce à une volonté politique sans faille, un pays deux fois plus sûr qu’il y a vingt ans. Les homicides, les violences et les vols y ont été divisés par deux depuis 1993.

Que vous le vouliez ou non, le risque de récidive est inversement proportionnel à la longueur de la peine infligée au délinquant. La prison, même courte, n’encourage pas à la délinquance ; au contraire elle en dissuade. Elle possède un aspect curatif et préventif pour le délinquant occasionnel, à la différence du délinquant d’habitude, et tous les criminologues s’accordent à considérer que la prison revêt, dans un état démocratique, une fonction sociale décisive.

Reste la question qui nous intéresse aujourd’hui de la surpopulation carcérale. Cinquante-sept mille places de prison pour soixante-sept mille détenus, c’est, dites-vous, la conséquence d’un taux d’incarcération exagérément élevé, dû aux politiques pénales ultra-répressives de la précédente majorité. C’est encore une contre-vérité, véhiculée une fois de plus pour les besoins d’une thèse purement idéologique.

Comparons plutôt la situation de notre pays à celle des autres états de l’Union européenne. La moyenne du taux de détention est de 122 pour 100 000 habitants dans l’Union européenne. La France se situe en dessous, avec un taux de 100, derrière par exemple l’Espagne – 130 –, le Royaume-Uni – 150 – ou la Pologne – 210 –, et à quasi-égalité avec l’Italie, la Belgique, le Portugal ou les Pays-Bas.

À cet égard, le contrôleur général des lieux de privation de liberté considère que la France se situe déjà dans la moyenne européenne et qu’il serait difficile de réduire davantage ce taux d’incarcération.

En vérité, si nos prisons sont surpeuplées, ce n’est pas parce que le nombre de détenus est excessif ; c’est parce que le nombre de places de prison est notoirement insuffisant. En abandonnant le programme prévoyant vingt mille places de prison supplémentaires, décidé par la précédente majorité, non seulement vous ne vous attaquez pas à cette surpopulation carcérale, mais vous envoyez du même coup un message d’impunité, en annonçant tout de go l’abrogation des peines plancher, de la surveillance et de la rétention de sûreté, des tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes. Vous allez jusqu’à proposer la dépénalisation de certains délits, la mise en libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine et la règle du numerus clausus !

Et, sans attendre l’arrivée de vos projets de réforme sur le bureau des assemblées, tout comme Robert Badinter, en 1981, abrogeait implicitement et contre tous les usages, par une simple circulaire, la loi « Sécurité et Liberté », quelque trente ans plus tard, dans une manière de remake, vous vous inspirez des mêmes méthodes et tentez d’infléchir à court terme, par voie de simple circulaire, la politique pénale actuellement en vigueur. Vous demandez ni plus ni moins aux magistrats de ne plus appliquer les peines plancher et de recourir systématiquement aux aménagements de peine comme alternative à l’incarcération !

La gauche serait-elle à nouveau frappée d’amnésie ou de ce mal incurable qu’est l’idéologie permissive et la culture de l’excuse quand, dans une sorte de culpabilisation collective, les beaux esprits expliquent que le crime est le produit, non pas du libre arbitre de l’individu, mais des injustices sociales ? Ce faisant, madame la garde des sceaux, vous vous détournez de Thémis pour revêtir les atours de Pénélope : non seulement vous vous apprêtez à détricoter minutieusement tout le travail de la précédente majorité, qui avait pourtant porté ses fruits, avec une baisse de la délinquance générale de 16 % entre 2002 et 2012, mais, de surcroît, pour éviter les courtes peines d’emprisonnement, censées être plus criminogènes que rédemptrices, vous élargissez la panoplie des sanctions par la création d’une peine dite de « probation », issue de la réflexion de la « conférence de consensus », qui n’a de consensus que le nom, permettez-moi de vous le dire ! Cette conférence, je le rappelle, fut dirigée par la magistrate Nicole Maestracci, tout acquise à la cause et qui, à peine sa mission remplie en bon soldat, se voyait propulsée membre du Conseil constitutionnel sur proposition du Président de la République…

À y regarder d’un peu plus près, cette trouvaille, la peine de probation, n’est qu’un habillage de l’existant : sursis avec mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général, et j’en passe. Il s’agit en réalité d’un leurre, sans effet majeur sur la récidive, de la simple poudre aux yeux, en définitive !

Au final, la mission d’information parlementaire dirigée par notre estimable et excellent collègue Dominique Raimbourg, émet soixante-seize préconisations. Certaines font l’objet d’un consensus (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) – un vrai, cette fois.Je citerai à titre d’exemple le débat annuel de politique générale devant le Parlement, ou bien encore le renforcement du suivi des personnes placées sous surveillance électronique. J’approuve d’autant plus cette préconisation que j’avais moi-même conduit une mission sur ce mode alternatif à l’incarcération : je ne puis donc qu’encourager sa montée en puissance.

En revanche, d’autres propositions doivent être dénoncées avec force. L’une d’elle me paraît particulièrement dangereuse en effet en termes de signal adressé aux délinquants, mais également contraire au principe de l’individualisation des peines : la libération conditionnelle prononcée automatiquement aux deux tiers de la peine. De même, l’instauration de ce numerus clausus, qui n’existe nulle part en Europe : outre qu’il serait contraire au même principe de l’individualisation de la peine, il constituerait une rupture d’égalité des détenus dans l’ensemble de nos prisons françaises.

En conclusion, vous l’aurez compris, notre groupe désapprouve ce rapport parlementaire, comme j’en suis convaincu une large majorité des Français. Madame la garde des sceaux, vous seriez bien inspirée de relire Tocqueville, lorsqu’il écrivait : « Il faut que le détenu ne souffre pas physiquement en prison, mais il faut aussi qu’il s’y trouve assez malheureux des suites de son crime pour que la peur l’empêche à nouveau de violer la loi et arrête d’avancer ceux qui veulent l’imiter. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, je survolerai à grands traits la question de la santé en prison, abordée actuellement par la mission d’information sur la santé mentale de l’Assemblée et qui sera bientôt au programme de travail du groupe d’études que préside notre collègue Joaquim Pueyo.

Deux idées simples en préambule. La première : ne pas rendre malade une personne entrant en prison en bonne santé. La seconde : faire de la prison un lieu où les soins, le dépistage et la prévention prennent tout leur sens.

La situation pénitentiaire de notre pays a été dépeinte sans concessions dans plusieurs rapports parlementaires, et la France a même été montrée du doigt par le Comité du Conseil de l’Europe pour la prévention de la torture sur les lieux de détention.

Pourtant, s’agissant de la santé les choses avancent ; lentement certes, mais elles avancent. La loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a intégré les personnes détenues dans le droit commun, avec l’affiliation au régime général d’assurance maladie et l’accès aux soins.

La création des unités de consultation et de soins ambulatoires, les UCSA, dans les établissements pénitentiaires a constitué un progrès pour l’accès aux soins médicaux et infirmiers et le respect du secret médical. On peut encore progresser sur la permanence des soins en cas d’urgence nocturne ou le week-end, la prise en charge des malades mentaux, le dépistage et la prévention ou le suivi médico-social à la sortie.

Depuis 2000, les détenus nécessitant une hospitalisation médico-chirurgicale supérieure à quarante-huit heures sont hospitalisés dans des unités hospitalières sécurisées interrégionales. Je n’ai pas le temps de développer, même si ces unités ont fait l’objet de certaines critiques.

En 2010, la précédente majorité a ouvert les premières unités hospitalières spécialement aménagées permettant la prise en charge des malades détenus, avec ou sans leur consentement. L’effort se poursuit, et le taux d’occupation de ces UHSA est élevé : il atteint 95 % au Vinatier à Lyon. La première tranche de 440 places devrait être terminée en 2014, et il convient désormais d’évaluer ces unités.

Aujourd’hui, la personne qui entre en maison d’arrêt est un homme dans 95 % des cas ; il est jeune et doit exécuter une peine de quelques mois. Il est considéré en « bonne santé » dans 77 % des cas, selon des enquêtes déjà anciennes de la DREES et du Haut Comité de santé publique en 2003, et dans un état de santé qualifié de mauvais dans seulement 1,6 % des cas.

La précarité et les addictions majorent cependant les risques et augmentent la vulnérabilité. On parle de « choc carcéral » pour les primo-arrivants et du risque suicidaire qui s’y rattache. Le taux de suicide en prison est cinq à six fois supérieur à celui de la population générale du même âge. Il faut tout de même reconnaître que l’on ne constate pas cependant d’évolution parallèle mécanique entre surpopulation carcérale et suicide. Enfin, je n’oublie pas, s’agissant du suicide, les personnels pénitentiaires, eux aussi confrontés à un surrisque suicidaire du fait de l’extrême pénibilité de leur travail.

Les maisons d’arrêt surpeuplées ont des effets négatifs sur les conditions de vie des détenus et donc sur leur santé. On peut citer la vétusté des locaux, des sanitaires et des douches, en dénonçant les restrictions d’accès interne à celles-ci, contraires à toutes les règles d’hygiène, ou encore la promiscuité, la surconsommation de tabac et de psychotropes, l’usage de stupéfiants, voire les pratiques sexuelles à risque.

En détention, la prévention du risque infectieux est nécessaire pour lutter notamment contre le sida ou les hépatites. Or cette prévention n’est pas chose aisée, qu’elle passe par la distribution de préservatifs ou par la prise en charge des toxicomanes. Selon l’Institut de veille sanitaire, la prévalence du VIH est en prison trois fois supérieure à la moyenne, celle du virus de l’hépatite C quatre à cinq fois supérieure.

Les personnels pénitentiaires gèrent difficilement les détenus présentant des troubles du comportement, voire des troubles psychiatriques avérés. Les UHSA ont vocation à répondre à l’hospitalisation sécurisée des malades. Dans le même temps, il convient de s’interroger sur le rapport la Cour des comptes de décembre 2011 sur l’organisation des soins psychiatriques. La sous-utilisation des personnels psychiatriques en consultation serait liée à une organisation défaillante. Elle attendrait 54 % dans le Limousin et 28 % dans le Nord-Pas-de-Calais.

Dernier point important de ce survol, mais qui n’a rien d’anecdotique : le mauvais état de la dentition de plus d’un entrant sur deux en détention. C’est un véritable enjeu de santé et un marqueur social qui a fait l’objet d’une recommandation du contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport 2012. Il y rappelle d’ailleurs les instructions sur ce sujet du ministère de la santé d’août 2011, en s’appuyant sur une étude de la direction générale de la santé qui révèle que cet examen n’est, hélas ! réalisé qu’une fois sur deux à l’arrivée du détenu.

Je conclurai en m’inspirant du serment d’Hippocrate qui impose aux soignants de ne pas nuire pour mieux soigner : mettre un terme à la surpopulation carcérale interroge notre responsabilité collective de respecter la dignité des personnes afin de mieux servir la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Le débat de ce soir aura au moins une utilité, et il faut en remercier notre excellent collègue, même si ses conclusions le sont beaucoup moins : il présente surtout l’intérêt, madame la garde des sceaux, de vous permettre, pour la première fois je crois, d’exposer à la représentation nationale votre politique pénale.

Vous avez, depuis votre accession place Vendôme, modifié radicalement la politique pénale de notre pays. Votre circulaire du 19 septembre dernier en est l’illustration : comme vient de le rappeler M. Fenech, vous avez procédé à des changements extrêmement profonds sans en soumettre ni le contenu ni l’esprit à la représentation nationale. Je le déplore avec force.

Ce débat est à cet égard utile, car il permet de confirmer ce que nous entendons chaque jour dans les médias, ce qu’annonçaient les commissions plus ou moins opportunes que vous avez installées et dont les conclusions étaient rédigées par avance. Ce débat, avec les propositions issues du rapport de Dominique Raimbourg, met clairement en lumière une divergence radicale entre la politique pénale que vous prônez et celle que nous défendons.

Ce débat, tout à fait légitime et finalement sain dans une démocratie, oppose en effet deux conceptions fondamentalement, radicalement différentes. Vous avez tout à l’heure exprimé votre pensée de façon très claire : pour vous, l’incarcération n’est pas une nécessité sociale.

M. Gérard Sebaoun. Heureusement !

M. Éric Ciotti. Tout est contenu dans cette phrase.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez transformé mes propos.

M. Éric Ciotti. Pas du tout, j’étais dans mon bureau, et j’ai noté cette phrase. Vous avez dit très exactement que l’incarcération n’est pas une nécessité sociale. Cette phrase est grave et sera lourde de conséquences. Nous en mesurons d’ailleurs chaque jour la gravité car s’il est un mot qui est absent de votre discours, de votre propos, comme des propositions de notre collègue, c’est celui de « victime ». (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Pas une fois, madame la garde des sceaux, vous n’avez rappelé la finalité de toute politique pénale : protéger la société et éviter la récidive.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est faux !

Mme Elisabeth Pochon. Mensonges !

M. Éric Ciotti. Ce rapport est basé sur un postulat biaisé : la surpopulation carcérale – surpopulation, on l’a dit, somme toute relative, même si, bien entendu, je la déplore comme vous : nous devons tous ensemble mettre en œuvre des moyens pour la combattre. Cette surpopulation est de l’ordre de 18 %...

Mme Laurence Dumont. N’importe quoi !

M. Éric Ciotti. Dès lors, deux solutions se présentent. Ou bien nous suivons vos propositions qui consistent toutes, systématiquement, à affaiblir la réponse pénale, la sanction, la peine et par là même, progressivement, insidieusement, dangereusement, à installer une forme d’impunité dans notre pays.

Ou bien nous choisissons la voie tracée par le précédent Gouvernement, notamment dans la loi de programmation sur l’exécution des peines dont j’avais été l’un des auteurs avec notre collègue Philippe Goujon et Jean-Paul Garraud, et qui prévoyait d’augmenter la capacité carcérale de notre pays en créant 24 000 places de prison supplémentaires. Là est le vrai problème, là est la solution que nous devons suivre. Tout le reste ne fera, madame la garde des sceaux, qu’aggraver l’insécurité dans notre pays. Nous voyons bien depuis quelques semaines, depuis quelques mois, et cruellement depuis quelques jours, combien la situation se dégrade tragiquement.

Mme Elisabeth Pochon. C’était tellement mieux avant !

M. Éric Ciotti. J’y vois un lien direct avec la politique pénale que vous avez mise en place. Cette politique est dangereuse. Les propositions de ce rapport vont dans le même sens et sont tout aussi dangereuses ; c’est pour cette raison que nous les condamnons et que nous vous invitons à changer radicalement de politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. Lutter contre la surpopulation carcérale, c’est aussi faire en sorte que des personnes condamnées et incarcérées à un moment de leur vie ne reviennent pas en détention.

Pour cela, leur enfermement doit être utile, leur peine doit avoir un sens.

Le sens de la peine, affirmé par la loi pénitentiaire de 2009, passe par un traitement digne ; c’est incontournable. Mais cela passe aussi par une préparation à la sortie, par un suivi social pour une réinsertion ou plutôt une intégration dans la société.

Pour atteindre cet objectif, la prison est confrontée à une problématique complexe. Pour lutter contre la récidive, il faut préparer la sortie et mettre en œuvre un accompagnement effectif à la réinsertion ; mais aujourd’hui, la surpopulation carcérale ne permet pas d’assurer un accompagnement efficient.

C’est pourquoi notre mission - et je salue le travail de l’excellent président Dominique Raimbourg – a élaboré des propositions pour désengorger nos prisons, sans éluder l’exécution de la peine, mais aussi pour permettre d’améliorer les conditions de réinsertion des personnes détenues. Ces propositions ont d’ailleurs trouvé écho dans les conclusions de la conférence de consensus relative à la lutte contre la récidive, signe de leur cohérence et de leur nécessité.

Afin d’assurer un meilleur suivi et un accompagnement effectif à la réinsertion, notre mission soumet plusieurs propositions visant les moyens humains à mettre en œuvre, mais aussi l’organisation des différents services.

Tout le monde en convient, la surpopulation carcérale compromet la qualité du travail du personnel pénitentiaire et rend difficile la mise en place de formations et l’organisation du travail en détention.

C’est pourquoi, comme nous le demandons depuis plusieurs années, les moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation doivent être augmentés afin qu’ils soient réellement en mesure d’assurer leur mission. Vous reconnaîtrez que suivre 130 personnes pour un seul conseiller relève de l’impossible.

M. Marc Dolez. Très juste !

Mme Laurence Dumont. De même, une organisation et une coordination de l’ensemble des intervenants sont indispensables à la mise en place d’un suivi en détention et à la sortie.

Dans ma circonscription, conscientes des limites existantes, les associations ont lancé un groupe de travail destiné à sortir un livre blanc de la réinsertion, avec trois objectifs : redonner un sens à « la sortie de prison », construire une culture commune de la réinsertion, prendre en compte la personne dans sa globalité. Une vingtaine d’institutions, de pôle emploi aux visiteurs de prison, en passant par les SPIP, le Conseil régional, le médecin psychiatre, l’ARS, et j’en passe, y sont représentées pour identifier les passerelles à créer entre les différents services, les obstacles à surmonter et les ruptures existantes dans le parcours de la personne sous main de justice ou libérée.

C’est dans cette direction que nous devons concentrer nos efforts pour une coordination effective des intervenants au bénéfice de la personne et des services qui verront leur mission mieux ciblée.

Nous devons aussi encourager et soutenir les initiatives existantes en matière d’emploi et de formation afin d’enrichir notre offre d’accompagnement. Notre mission propose à ce sujet de s’inspirer des pratiques étrangères. Je propose également de conforter et de transposer des expériences françaises qui ont porté leurs fruits.

À titre d’exemple, le centre pénitentiaire de Caen, qui abrite une zone d’activité très importante, a en son sein un atelier imprimerie associatif ARTEC qui, au-delà de fournir un travail à des personnes détenues, les forme aux métiers de l’imprimerie.

En cinq ans ont été obtenus en détention vingt-huit BEP, cinq diplômes du baccalauréat, une VAE licence professionnelle d’édition. À la sortie, un BTS d’informatique, trois certificats de qualification professionnelle métiers de l’imprimerie, un doctorat d’informatique ont été poursuivis et validés. Le 15 mars dernier, j’ai reçu un courrier d’un détenu, formé à l’ARTEC, qui me faisait part de son projet de créer une entreprise dès sa sortie prévue dans quelques semaines.

Mais les chiffres sont têtus. Le taux d’emploi est en baisse constante depuis 1974, les formations en détention restent très insuffisantes.

Il est donc urgent et essentiel de mettre en œuvre nos propositions pour que les personnes détenues puissent bénéficier d’un accompagnement et d’un suivi coordonné dans et hors la prison, ainsi que d’une offre de formation et d’activité adéquate et correspondant au marché du travail.

En un mot, les personnes détenues doivent pouvoir utiliser le temps d’exécution de leur peine dans et hors les murs, pour construire leur intégration dans une société qui aura enfin mis en œuvre les moyens de leur retour en son sein. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Drapeau.

M. Jean-Luc Drapeau. Le problème de la surpopulation carcérale n’est pas un sujet nouveau. Le rapport Bonnemaison remis en 1982 à Pierre Mauroy avait, parmi d’autres, donné l’alerte, même s’il n’avait guère dépassé l’enceinte de notre Parlement. Le rapport Floch de 2000, sur la situation dans les prisons françaises, constatait cette surpopulation. Le rapport de Dominique Raimbourg, sur lequel nous débattons aujourd’hui, est remarquable en ce qu’il passe à une étape suivante : il ne se contente pas de décrire, il propose.

Qu’avons-nous fait jusqu’à aujourd’hui ? Rien de suffisant, voire pire. Que pouvons-nous faire ? Soixante-seize propositions.

La lutte contre la surpopulation carcérale est une nécessité impérieuse pour maintenir les droits mais aussi la dignité des détenus. Il n’est pas acceptable que notre pays soit condamné par les instances internationales ou européennes, en raison des conditions de détention. C’est un déshonneur pour la France.

Monsieur Ciotti, nous nous soucions autant que vous des victimes…

M. Éric Ciotti. Prouvez-le !

M. Jean-Luc Drapeau. …à une différence près : vos propos, indignes et inexacts, méprisent les victimes d’anciens détenus mal ou pas accompagnés, mal ou non insérés.

La question de la surpopulation carcérale nous interpelle tous et ce rapport doit être le point de départ d’une vaste réflexion que nous devons mener. Celle-ci doit prendre en compte l’intégralité du parcours judiciaire, du début à la fin.

Au bout de ce parcours, il y a la réinsertion. Et entre la réinsertion définitive et la sortie de prison, la phase de « probation » qui est, par nature, privative de liberté, et s’effectue la plupart du temps sous écrou.

C’est sur cette réinsertion que je souhaiterais axer mon propos. Cette phase fait appel à une multitude d’acteurs, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les élus locaux, mais aussi les associations. Il est nécessaire de faire interagir tous ces acteurs. Pour être efficace, le cursus de réinsertion, dont la probation, doit assurer un accompagnement qui réponde aux besoins de reconstruction des personnes condamnées. La prison est, par nature, de nos jours, un lieu qui renforce l’exclusion au détriment de la réinsertion des détenus les plus précarisés.

À ce titre, les SPIP accomplissent un travail essentiel en prison et hors de la prison. Il leur revient d’assurer un suivi continu pour aider notamment à la préparation de la sortie en facilitant l’accès des personnes incarcérées aux dispositifs d’insertion et de droit commun. Leur champ d’intervention est vaste : emploi, logement, soins, lien avec les administrations. Néanmoins, ils font face aujourd’hui à un manque criant de moyens humains et financiers. Je prendrai l’exemple du SPIP des Deux-Sèvres, département dont je suis élu, qui accueille près de 800 personnes en milieu ouvert avec seulement sept équivalents temps plein.

Il existe aujourd’hui, dans notre pays, un large tissu associatif, cité par Laurence Dumont, dont le rôle est aussi complexe qu’incontournable.

Complexe, car il leur revient de travailler avec et pour les SPIP, de prendre en charge les condamnés à leur sortie de prison.

Incontournable, parce que ce sont des réseaux d’action sociale peu connus, mais indispensables pour aider les détenus qui sortent de prison à effectuer toutes les démarches, de la sortie réussie à l’insertion complète : recherche d’un emploi, d’une formation, d’un logement, maintien des liens familiaux…Les associations sont un appui sans faille aux principaux intervenants que sont le juge d’application des peines et les SPIP.

Je souhaite ici rendre un réel hommage à ce tissu associatif, et je sais, madame la garde des sceaux, combien vous êtes attachée à la présence d’associations qui concourent à la mission de service public de la justice sur le champ de l’exécution des peines, gage du maintien d’une intervention citoyenne, parfois et souvent bénévole.

À mon sens, les associations font preuve d’un réel savoir-faire en la matière et doivent être tout naturellement représentées dans la commission de l’exécution des peines que le rapport propose de mettre en place dans chaque département. Cette commission permettra d’assurer un dialogue régulier entre les différents acteurs de l’exécution des peines en milieu ouvert. Je reste pleinement convaincu que la collaboration est un réel outil d’efficacité.

Finalement, c’est tout l’enjeu de ce rapport : quelle importance voulons-nous accorder au tissu associatif, un des maillons qui permet à la peine d’avoir tout son sens ?

Il serait absurde de s’en priver. Les associations ont aujourd’hui un savoir-faire connu et reconnu ; leur proximité avec les élus, par exemple, leur permet d’être des acteurs fondamentaux pour drainer les projets et agir concrètement sur le terrain. Ils permettent en quelque sorte de finaliser l’action de la justice en permettant la réinsertion des anciens détenus.

À l’heure où l’on demande aux collectivités de faire de plus en plus d’efforts, nous devons collectivement nous interroger sur la place que nous voulons accorder à ces associations. Dès lors qu’elles sont incontournables, qu’elles travaillent avec les SPIP, mais aussi en raison de leurs qualités propres, et qu’elles participent au succès de la peine, il est souhaitable qu’elles soient prises en compte à leur juste valeur.

Pour conclure, je remercie Dominique Raimbourg pour son excellent rapport, ainsi que Mme la garde des sceaux pour sa volonté de réformer une politique pénale qui a échoué. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il m’échoit de conclure après toutes les interventions sur le rapport présenté par la mission d’information sur la surpopulation carcérale.

Les intervenants précédents nous ont tous apporté la preuve qu’il existe une réelle surpopulation carcérale dans notre pays et présenté les multiples causes et incidences de ce phénomène.

En résumé, la surpopulation carcérale a des causes multiples qui vont de la croyance en la seule vertu de la prison – véritable culture punitive de notre société française, qui fait de la prison sa seule peine de référence – à des causes plus objectives, comme l’allongement des peines prononcées, directement lié aux politiques pénales en vigueur, l’absence de lit en hôpital psychiatrique qui pousse les magistrats à enfermer en prison des malades dangereux pour eux et pour les autres, et surtout l’insuffisance des personnels en charge de l’exécution des peines, les JAP et les SPIP, pour le suivi des personnes sous écrou.

Beaucoup a été dit, mais le sujet est inépuisable.

L’intérêt de ce rapport est de rechercher des solutions concrètes et applicables aux problèmes. Très vite, il est apparu à la mission d’information sur la surpopulation carcérale qu’elle devait aller au-delà des recherches mécaniques pour désengorger les prisons.

Remplir les prisons n’a en rien fait chuter la délinquance, la violence et le sentiment d’insécurité des Français. La récidive est le cancer de nos prisons, la prévention de la récidive un axe majeur des prochaines années.

C’est par la rénovation des modalités de suivi des personnes placées sous main de justice, pour préparer leur insertion ou leur réinsertion, que nous préviendrons la récidive. Le système de probation, assez mal connu des Français, doit devenir un maillon essentiel de la chaîne pénale.

À maintes reprises, les personnes entendues par la mission ont mis l’accent sur le déficit de moyens humains dont souffrent les services, ainsi que sur l’insuffisance qui en découle en termes d’accompagnement et de contrôle, notamment en milieu ouvert. Il arrive fréquemment que les conseillers pénitentiaires et de probation ne puissent, faute de temps, contrôler le respect des obligations et interdictions prononcées dans le cadre d’un sursis de mise à l’épreuve.

La norme européenne a trouvé pertinent de confier cinquante individus à un agent ; la norme rencontrée sur le terrain en France tourne davantage autour de cent dix. Il n’y a pas grand commentaire à faire sur l’efficacité à attendre de telles conditions, mais on ne peut que saluer les personnels de probation qui font vaille que vaille leur travail, à la merci d’un dérapage d’un de leurs nombreux clients dont la responsabilité leur sera strictement imputée.

Alors, parce qu’il n’est pas possible, pour des raisons budgétaires, d’augmenter considérablement les personnels, la mission a exploré d’autres pistes pour améliorer ces services.

Il apparaît, au travers des nombreuses auditions, qu’il est urgent de recentrer l’activité des services de probation au cœur de leur mission et de leur métier, et donc d’impliquer les services publics d’action sociale dans la prise en charge des personnes placées sous main de justice – la CAF, Pôle emploi, la sécurité sociale – pour laisser les agents de probation exercer leur contrôle et le suivi de la peine.

Il apparaît également que notre programme de probation gagnerait à faire l’objet d’études scientifiques et à adapter ou intégrer des expériences menées dans d’autres pays

Enfin, il faudrait associer de nouveaux acteurs à l’exécution des peines en milieu ouvert, qui auraient pour mission d’améliorer le contrôle du respect de certaines obligations ou interdictions pesant sur les personnes placées sous main de justice non incarcérées.

Les auditions ont permis de constater qu’il était parfois extrêmement difficile, compte tenu de leur charge de travail, de vérifier que les personnes placées sous contrôle judiciaire ou à une peine de sursis avec mise à l’épreuve respectent scrupuleusement les obligations et interdictions qui pèsent sur elles, comme celle de ne pas quitter un territoire délimité, de ne pas entrer en contact avec certaines personnes ou de ne pas fréquenter certains lieux. Ces mesures n’ont de sens que si elles sont respectées et l’impact de la peine dépend de leur stricte observance.

Le rapporteur souhaiterait que les forces de police et de gendarmerie nationale soient davantage impliquées dans le contrôle et le respect des obligations et interdictions imposées aux personnes suivies par les services pénitentiaires d’insertion et de probation et il les développe dans les propositions 73 et 74 du rapport de la mission.

Cela devrait impliquer la mise en place d’un système de partage des informations plus performant. Cela pourrait être réalisé par l’inscription systématique au fichier des personnes recherchées – dit FPR – des obligations et interdictions pesant sur les personnes pour lesquelles un risque de non-respect des décisions du juge aurait été considéré comme élevé.

Il ne s’agit pas de transférer la totalité du contrôle des personnes condamnées. Les forces de police devraient pouvoir user de prérogatives coercitives et être autorisées à interpeller et, si nécessaire, à déférer devant le procureur les individus ne respectant pas leurs obligations.

Ces mesures apporteraient une plus grande cohérence et une meilleure efficacité pour réformer et améliorer notre système de probation. Ce serait un préambule à la création de la contrainte pénale et cela donnerait du crédit à cette sanction d’abord aux condamnés, puis aux yeux des victimes et de nos concitoyens.

Je terminerai cette intervention par la proposition 75 du rapport, qui évoque une corrélation totale entre l’efficacité des peines en milieu ouvert et l’implication de l’ensemble de la communauté autour de ces questions. Aux États-Unis, en Irlande, en Angleterre – des pays anglo-saxons, me direz-vous, souvent encore plus « emprisonneurs » que nous –, la concertation entre tous les acteurs impliqués auprès des personnes ayant affaire à la justice a permis de faire aboutir des modèles de justice radicalement différents.

Les auditions ont montré dans notre pays que le besoin se faisait sentir d’un travail de concertation entre tous les acteurs chargés de trouver des alternatives au « tout prison » et à la récidive.

D’autres pistes vous ont été présentées par tous les parlementaires qui se sont impliqués dans cette mission ; elles devraient nous réunir, quelles soient nos appartenances politiques, car il y va d’un système de protection de tous nos concitoyens, de règles et de sanctions qui doivent permettre de vivre ensemble.

Rappelons que la surpopulation carcérale est présente seulement dans les maisons d’arrêt de courtes peines, et qu’il s’agit majoritairement de détenus ou de condamnés amenés à reprendre assez rapidement place au milieu de la société et que, de ce fait, la question du suivi, de l’insertion et de la réinsertion est la question majeure à associer à la sanction.

Mme la présidente. Merci de conclure, madame la députée.

Mme Elisabeth Pochon. Cette mission d’information, conduite sous la présidence de l’honorable rapporteur Dominique Raimbourg (Sourires), est terminée ; je veux saluer tous les parlementaires qui y ont participé, et remercier les administrateurs et les administratrices. La mission est terminée, mais elle augure qu’au commencement du chemin qui s’ouvre devant nous, la nécessaire réforme pénale devra progresser tant dans nos esprits que dans nos institutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à à l’honorable Dominique Raimbourg, co-rapporteur de la mission d’information. (Sourires.)

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi de dire quelques mots forcément aimables après ce florilège de compliments qui m’ont été adressés !

Des mots aimables pour remercier tous ceux qui se sont intéressés à ce rapport. Des mots aimables pour remercier les parlementaires de la majorité qui s’y sont intéressés et les parlementaires de l’opposition qui ont eu la gentillesse de rester assez tardivement pour écouter quelques brèves explications. Explications aimables, mais non dénuées de conviction, car derrière l’amabilité, peut se cacher une certaine fermeté de conviction. (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. N’est-ce pas !

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur. Commençons par la soi-disant « culture de l’excuse » : je ne vois pas dans le rapport quelque éloge ou reprise d’une culture de l’excuse. Au contraire, nous nous sommes penchés sur les questions de surpopulation carcérale, sans essayer d’excuser quiconque ou de donner des explications sociologiques qui auraient voulu que la réponse à la délinquance se trouvât en dehors du processus pénal. Nous sommes restés à l’intérieur de ce processus, sans chercher à donner des solutions qui seraient passées par l’extérieur – quand bien même, sur le plan sociologique, nous avons pu constater que certaines populations, notamment celles qui faisaient l’objet de comparutions immédiates, appartenaient plutôt aux catégories socialement défavorisées. Mais nous n’en avons pas tiré de conséquences extraordinaires : nous nous sommes contentés de nous concentrer sur l’analyse d’un flux et sur l’analyse de la façon dont les choses se sont passées.

Parlons ensuite de l’efficacité : cela a été dans le rapport notre préoccupation constante. Je veux bien reconnaître à l’actuelle opposition – autrement dit la précédente majorité – une qualité dans le domaine du discours d’autorité. Malheureusement, ce discours d’autorité n’a rien produit en termes d’efficacité.

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous ne pouvez pas dire cela !

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur. Tout au long des cinq dernières années, nous avons entendu en permanence les mêmes complaintes : la justice ne fonctionnait pas bien, des peines n’étaient pas exécutées. Autrement dit, l’efficacité n’a pas été le complément de ce discours d’autorité. C’est si vrai que, et plusieurs orateurs l’ont relevé, les peines planchers que l’on brandit comme un symbole, ont été prononcées à l’issue d’un crime de viol sur un jeune garçon, autrement dit en matière criminelle, où elles sont totalement inutiles : or elles se sont appliquées là où on ne les attendait pas, et où elles n’étaient d’ailleurs pas attendues, c’est-à-dire en matière délictuelle. D’où une difficulté, sur laquelle nous nous sommes penchés : nous avons préconisé qu’à côté de la culture de l’enfermement, se mette en place une culture du contrôle. C’est une nouveauté, me semble-t-il, au moins une révolution dans notre façon d’appréhender les choses. Et cette culture du contrôle n’est pas qu’une culture du suivi ; c’est un point important et c’est pour cela que nous avons proposé – je n’y suis pas revenu dans mon intervention – que soient associés aux SPIP les services de police et de gendarmerie : du point de vue de la culture du suivi et de l’excuse, c’est là une véritable révolution culturelle.

M. Jean-Frédéric Poisson. Quel aveu, monsieur le rapporteur !

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur. Il est toujours temps de faire des révolutions !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur. Troisièmement, ce n’est pas la sévérité de la peine qui dissuade le condamné, c’est la certitude de la sanction. Et c’est à la certitude de la sanction qu’il faut parvenir, non à la recherche permanente de la sévérité de la sanction.

Quatrième observation, sur la question des chiffres. Vous ne pouvez pas affirmer que 50 000 ou 60 000 délits de moins, ce sont 60 000 victimes de moins. À chaque délit ne correspond pas une victime. Qui plus est, nous n’avons aucune mesure chiffrée fiable des phénomènes de délinquance en général, seulement des données partielles, par type de délinquance…

M. Jean-Frédéric Poisson. Et le corps social, n’est-ce pas une victime, monsieur le rapporteur ?

M. Dominique Raimbourg, co-rapporteur de la mission d’information. Le corps social est très certainement une victime, mais pas dans le sens où vous l’entendez, et nous avons toujours essayé de distinguer la réponse au trouble social de la réponse à la victime.

En posant trois niveaux de réponse : un niveau de réponse symbolique, un niveau de réponse efficace et un niveau de réponse en direction de la victime, nous dessinons un programme qui pourrait être celui de la justice de demain. Et cet effort doit être fait pour nous doter de la justice dont notre pays a besoin. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je ne dirai que quelques mots puisque le Gouvernement n’est qu’un invité dans ce débat. Je répète tout l’intérêt que le Gouvernement a pris à y participer, et moi-même tout particulièrement au titre de mes responsabilités en tant que garde des sceaux.

Dominique Raimbourg vient de redire l’essentiel : il s’agit d’une réflexion exigeante, parce que nous avons un souci d’efficacité.

Parmi les parlementaires de l’opposition qui se sont exprimés, je retiens notamment la volonté de M. Jean-Frédéric Poisson de réfléchir, d’interroger et, sur la base de principes que nous partageons, en tout cas ceux qu’il a énoncés tout à l’heure, de trouver les réponses les plus adaptées.

À ceux qui choisissent de camper dans la nostalgie immuable d’un passé qui a démontré l’inefficacité quasi-absolue des mesures prises jusqu’alors, je réponds que c’est leur choix, et leur droit. J’apporterai simplement une nuance à l’appréciation qu’a portée Dominique Raimbourg.

Je ne crois pas que l’ancienne majorité ait fait preuve d’autorité. Des discours à caractère martial et une très grande virilité dans le choix des mots et dans le ton, sans doute ; mais d’autorité, je n’en ai pas vu l’ombre. L’autorité, cela s’impose, mais en aucun cas par une cascade de mesures mécaniques, automatiques, inadaptées et aboutissant à des résultats totalement contraires aux objectifs que les responsables politiques dans une République doivent se fixer, du moins peut-on le supposer. Ce que nous posons, nous, c’est l’autorité en tant que telle : nous réaffirmons les valeurs de la République, en rappelant que ce sont elles qui fondent notre réflexion, notre action, nos décisions. Nous disons que c’est au nom de ces valeurs que l’État a le droit de sanctionner, notamment en privant de liberté. C’est cette autorité-là que nous choisissons.

L’état de suroccupation de nos établissements pénitentiaires n’est pas d’à peine 10 %, comme je l’ai entendu : certaines de nos maisons d’arrêt sont occupées à 200 %, et l’on atteint 328 % outre-mer ! Soutenir le contraire relève de la dénégation pure et simple. Tous les défauts qui nous sont reprochés sont en fait illustrés par des discours figés et des attitudes qui consistent à refuser de voir et d’entendre. Nous avons choisi notre voie.

M. Éric Ciotti. C’est une impasse !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le débat de ce soir a été d’un très grand intérêt. La qualité du rapport, amplement saluée, est indiscutable : nous l’avons attentivement étudié à la chancellerie, et de façon très méthodique. Les interventions entendues ce soir auront été d’une grande utilité, car elles nourrissent la réflexion de la chancellerie. Je suis en effet engagée dans un cycle de consultations que j’entends poursuivre afin de prendre des décisions aussi éclairées et efficaces que possible pour la société.

Je conclurai en répondant aux parlementaires de l’opposition sur deux points.

Les victimes, tout d’abord. Vous avez instrumentalisé les victimes. Vous n’avez eu que ce mot à la bouche, alors que vous avez rogné le budget des associations d’aide aux victimes qui leur viennent en aide et les accompagnent. Vous avez fragilisé le réseau d’aide aux victimes en mettant en péril 60 % des associations.

M. Philippe Goujon. Nous avons surtout réduit le nombre de victimes !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez en outre une vision conceptuelle de la victime que vous avez figée dans une sorte de statut définitif.

M. Jean-Frédéric Poisson. Qu’est-ce à dire ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous, nous considérons la victime comme une personne et comme un sujet de droit à même de prendre en main volontairement sa situation. Et ce sont les associations d’aide aux victimes qui prennent des initiatives, en particulier en matière de justice restauratrice.

À vous entendre, en substance, monsieur le député Goujon, nous jouerions un jeu dangereux en mettant la victime en face du criminel. Mais il ne s’agit pas de cela : jamais, dans la justice restauratrice, la victime ne se retrouve en face du criminel. Il s’agit d’une expérience menée de façon rigoureuse par des associations de victimes dans plusieurs pays, et chez nous dans un établissement à Poissy.

M. Éric Ciotti. Eh oui ! Même chez nous, cela existe !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est nécessaire de l’évaluer. Elle consiste, dans l’intérêt des victimes et seulement lorsque celles-ci sont volontaires, à établir une relation avec des criminels qui ne sont pour rien dans leur affaire, mais qui ont tout simplement fait l’objet d’une condamnation. Dans les pays où elle a été conduite de façon rigoureuse, cette expérience a donné des résultats.

M. Philippe Goujon. De là à en faire l’alpha et l’oméga…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne s’agit pas de l’imposer à personne, mais simplement de constater que le réseau d’associations des victimes qui à l’origine de cette démarche. Les acteurs de ce réseau, qui vivent avec les victimes au quotidien et qui leur rendent service, constatent que les victimes traitées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des personnes responsables et sujets de droit, choisissent parfois d’affronter leur souffrance et leur douleur, aller vers le dialogue, d’interroger et de comprendre. D’autres s’y refusent : j’ai pu m’en rendre compte en rencontrant les associations de victimes que j’ai rencontrées. L’une d’elles m’a expliqué qu’elle n’était pas dans une démarche de pardon et qu’il n’était pas question pour elle de rencontrer des criminels. Mais personne ne demande à quiconque de pardonner quoi que ce soit, personne ne demande à personne d’aller rencontrer personne. Ce sont les associations de victimes qui prennent cette initiative.

Permettez-moi d’ailleurs, très sérieusement, très profondément et même très posément, de penser que les victimes sont les mieux placées pour savoir ce qui est bon pour elles. Ce n’est pas en les utilisant comme une incantation après les avoir fragilisées par des réductions budgétaires que vous pouvez légitimement vous en réclamer plus que d’autres, nous en particulier, qui faisons des efforts, les recevons, les écoutons, travaillons avec elles et mettons en place des dispositifs pour rendre leur action efficace !

M. Jean-Frédéric Poisson. Terminer le débat par des questions budgétaires, voilà qui est regrettable, madame la garde des sceaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Enfin, j’aimerais que vous m’expliquiez comment vous construisez des places de prison par une loi d’exécution des peines votée en avril 2012, dans laquelle vous annonciez la construction de 80 000 places de prison.

M. Éric Ciotti. De vingt-quatre mille places, de façon à porter leur nombre à 80 000.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En effet : en comptant les 57 000 places disponibles, cela fait même 23 000, et non 24 000. Mais n’allons pas chipoter : de toute façon, il n’y a même pas un quart d’euro de financement ! Disons entre 23 000 et 24 000 et n’allons pas nous disputer cette nuit !

M. Jean-Frédéric Poisson. Certes, pas cette nuit ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’observe simplement une chose : c’est la gauche qui a mis œuvre le plan 4 000.

M. Georges Fenech. Mais ce n’est pas la gauche qui l’a décidé !

M. Philippe Goujon. Le plan 13 000 moins encore !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai le sentiment que, voyant venir l’alternance, vous avez voté en avril 2012 des plans de construction de prisons. Vous avez voté, et vous vous en réclamez, vous le revendiquez et vous vous y référez sans cesse, ce programme de 23 000 places de prison. Mais vous n’avez même pas déboursé un euro ; vous n’avez même pas essayé, comme vous l’avez fait ailleurs, de mettre en place des partenariats public-privé.

M. Éric Ciotti. Si, en partie !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vos 23 000 places sont donc intégralement virtuelles. Dès lors, ne nous donnez pas de leçons en matière de construction de places de prison. Nous avons eu quelques bâtisseurs d’établissements pénitentiaires : ainsi M. Chalandon, mais aussi Mme Guigou. Pour le reste, en fait de constructeurs de prisons, la plupart des gardes des sceaux et quelques parlementaires en sont restés au stade des faiseurs de promesses !

Quoi qu’il en soit, je remercie l’ensemble des intervenants de la qualité des débats. Ils nourrissent une réflexion dont sortira un projet de loi pénale présenté en conseil des ministres très probablement au mois de juin et devant cette assemblée quelques semaines plus tard, en fonction de l’encombrement du calendrier parlementaire. Il sera adapté à la situation que nous voulons combattre et portera, loin des automatismes et des mécanismes, un regard sur la société digne de la République et de ses exigences. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mercredi 20 mars 2013 à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Motion de censure déposée en application de l’article 49 alinéa 2 de la Constitution.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 20 mars 2013, à zéro heure cinquante-cinq.)