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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 31 janvier 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Le Fur

1. Coprésidence paritaire pour les groupes politiques

Présentation

Mme Barbara Pompili, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Discussion générale

M. François de Rugy

M. Marc Dolez

M. Dominique Raimbourg

M. Lionel Tardy

Rappels au règlement

M. Patrick Hetzel

M. Bruno Le Roux

M. Lionel Tardy

M. Noël Mamère

Discussion générale (suite)

Mme Sonia Lagarde

M. Gilbert Collard

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Barbara Pompili, rapporteure

Vote sur les conclusions de la commission

M. François Vannson

M. Noël Mamère

M. Bruno Le Roux

Discussion des articles

Article 1

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Amendement no 1

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

Amendement no 4

Article 2

Amendement no 2

Suspension et reprise de la séance

2. Indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et protection des lanceurs d’alerte

Présentation

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Discussion générale

Mme Véronique Massonneau

M. Jacques Krabal

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Coprésidence paritaire
pour les groupes politiques

Discussion d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de Mme Barbara Pompili tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale afin d’instaurer la faculté, pour les groupes politiques, de se doter d’une coprésidence paritaire. (nos 484, 651)

Présentation

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Barbara Pompili, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministredélégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution visant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, co-signée par l’ensemble des membres du groupe écologiste.

Ce faisant, nous souhaitons simplement que la décision que le groupe écologiste a prise dès sa constitution, en juin 2012, de porter à sa tête M. François de Rugy et moi-même, soit reconnue comme légitime, et que la liberté d’organisation des groupes, censée fonder notre fonctionnement collectif, soit reconnue pleinement, et non pas seulement tolérée car, dans sa rédaction actuelle, le règlement de l’Assemblée ne connaît qu’un seul et unique président. La conséquence est double.

D’une part, le fonctionnement de cette coprésidence informelle n’est possible en pratique qu’en « bricolant », en marge du règlement – ce qui n’est pas très satisfaisant et pourrait un jour être source d’incertitude juridique. D’autre part, en droit strict, les groupes qui souhaitent être coprésidés sont contraints de s’en remettre à un pis-aller : la présidence alternée. Ainsi, au plan juridique, seul François de Rugy a été président du groupe écologiste jusqu’au 14 janvier 2013, date à partir de laquelle je lui ai succédé.

Notre proposition de résolution, qui reconnaît un droit nouveau aux groupes, sans rien imposer, permettrait donc de remédier à cette situation et, au-delà du seul groupe écologiste, de promouvoir, pour ceux qui le souhaiteront à l’avenir, une culture plus collective de l’exercice du pouvoir.

Il s’agit donc de permettre aux groupes parlementaires de se doter d’une coprésidence paritaire – j’insiste bien sur chacun de ces termes, sur lesquels je vais revenir.

J’ai entendu des collègues de l’opposition avancer que cette proposition serait de convenance, taillée sur mesure, si j’ose dire, pour une composante de l’Assemblée, comme si, finalement, les écologistes étaient des êtres politiques un peu originaux, aux modes de fonctionnement bizarres, pour ne pas dire suspects. (Sourires sur les bancs du groupe écologiste.)

Eh bien, au risque de paraître bizarre, je vous le dis : pour les écologistes, la collégialité dans les fonctions d’animation d’un groupe d’élus n’est pas une attitude de convenance, mais bien une pratique que nous souhaitons voir reconnue comme naturelle. Présider un groupe ou une organisation, c’est avant tout animer, réguler, concerter. À deux, c’est plus efficace, à deux, c’est plus apaisé. (Sourires.) Croyez-moi, chers collègues, notamment du groupe UMP, cela évite aussi bien des psychodrames et des compétitions assassines.

Au risque de paraître bizarre, je vous dis également que la parité, qui fait que notre groupe comporte autant de députés hommes que de députées femmes, n’est pas pour nous une réalité de convenance ou d’affichage, c’est la réponse à un impératif démocratique et social.

Et, pour tout vous dire, ce qui me semble franchement bizarre, c’est que, cinquante-cinq ans après la fondation de la Ve République, je sois la première femme présidente en titre d’un groupe politique à m’exprimer devant vous. Une présidente qui ne vient pas vous faire la leçon, qui ne tire aucun titre de gloire de cette bizarrerie, bien au contraire : non, une présidente qui vient demander que ce statut puisse être, pour ceux qui en feront le choix, tout simplement partagé, et que la parité puisse ne pas être une simple option résultant de situations successives mais bien une réalité permanente.

Nous ne sommes donc pas ici pour exiger de l’Assemblée qu’elle exerce une contrainte quelconque sur ses groupes et nous ne prétendons pas, nous, écologistes, donner l’exemple. Nous sommes ici simplement pour permettre à notre assemblée de démontrer qu’elle est capable d’innovation et de modernité en reconnaissant à ses groupes la liberté dans leur organisation.

Ce texte tend en effet à permettre, non à imposer. La coprésidence serait donc une simple faculté, un droit supplémentaire offert aux groupes parlementaires sur le fondement de la première phrase de l’article 51-1 de la Constitution, laquelle prévoit que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein ».

Cette proposition de résolution ne contraint donc personne et ne remet pas en cause la liberté d’organisation des groupes. Ceux-ci peuvent parfaitement continuer à être dirigés par un seul président ou – ce n’est pas interdit, à défaut d’être une réalité – par une seule présidente.

J’ajoute que cette modification du règlement ne créerait aucune différence de situation entre les groupes puisque ceux qui opteront pour la coprésidence n’obtiendront aucun droit supplémentaire par rapport aux groupes qui ne compteraient qu’un seul président. Par exemple, la coprésidence n’offrira aucun temps de parole supplémentaire, aucun droit de tirage supplémentaire.

L’avantage de ce texte est de préciser ce qu’est une coprésidence. Concrètement, chacun des deux députés à la tête de cette coprésidence aurait les mêmes prérogatives que tout président de groupe.

M. Lionel Tardy. C’est bien ce qui pose problème !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Dans mes amendements, je vous proposerai d’ailleurs de les qualifier tous deux de « président », et non de « coprésident » comme le prévoit le texte initial, cela pour bien montrer qu’il ne s’agit aucunement de « demi-présidents ».

Surtout, le texte de la proposition de résolution organise une véritable solidarité entre les deux présidents, en affirmant qu’ils « sont réputés exercer conjointement les prérogatives attachées à la présidence de groupe ». En conséquence, chacun des deux présidents de groupe sera réputé agir avec l’accord de l’autre. Et cette présomption ne pourra être renversée.

Cette proposition de résolution assure à notre fonctionnement commun la sécurité juridique indispensable, et évite le piège de l’usine à gaz. Je précise à cet égard que l’amendement à l’article 2, qui peut sembler à première vue un peu complexe, est rédactionnel.

Une seule exception à ce principe de solidarité devrait, à mon sens, être réservée : celle qui touche à la composition même du groupe. C’est pourquoi je vous proposerai dans mes amendements de prévoir que l’accord des deux présidents est expressément requis pour l’application de l’article 21 du règlement qui régit les adhésions et les apparentements à un groupe et les radiations d’un groupe.

Pour l’exercice de toutes les autres prérogatives, la présomption irréfragable de l’accord de l’autre président de groupe s’appliquerait. Je vous proposerai en effet, dans mon amendement, de supprimer les exceptions qui avaient été prévues pour tout ce qui concerne les commissions spéciales – article 31 – et pour le droit de tirage visant à créer une commission d’enquête – article 141, alinéa 2. La suppression de ces deux références permettrait d’aller jusqu’au bout de la logique de la proposition de résolution.

J’entends déjà l’objection : que se passerait-il en cas de désaccord entre les deux présidents d’un même groupe ? De notre point de vue, ce désaccord ne pourrait être réglé que par la voie politique. Il n’appartient pas au règlement de l’Assemblée de s’immiscer dans le fonctionnement interne des groupes pour prétendre, à l’avance, faire face à d’éventuels différends.

M. Lionel Tardy. Alors tirez-en les conséquences et abandonnez votre proposition !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Si jamais un président faisait usage d’une prérogative attachée à la présidence de groupe en dépit de l’opposition de l’autre président, il va de soi que c’est le groupe lui-même qui serait amené à trancher le conflit.

Troisième et dernier point : cette coprésidence serait paritaire. Le texte qui vous est proposé prévoit en effet que la coprésidence serait exercée « par une députée et un député ». Cette proposition de résolution participe d’une volonté plus générale, d’ailleurs largement partagée par le Gouvernement et sa majorité, qui consiste à étendre la parité homme-femme au maximum d’échelons de décision.

La semaine dernière, la commission des lois a rejeté cette proposition de résolution.

MM. François Vannson et Lionel Tardy. Eh oui !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. J’ai compris de cette position qu’elle portait avant tout sur des défauts de clarté et de précision. Ces défauts, nous en prenons notre part, même si je ne néglige pas également le poids des conservatismes qui se sont exprimés la semaine dernière, à la surprise, je le sais – car ils, et surtout elles, me l’ont dit – de nombre de nos collègues de la majorité. Toujours est-il que ces derniers jours, ces dernières heures, nous les avons mis à profit pour préciser, pour clarifier.

Nous avons notamment, François de Rugy et moi-même, et nous n’étions pas trop de deux pour le faire,…

M. François Vannson. À quatre, c’eût été peut-être mieux !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. …expliqué que l’on ne pouvait pas considérer que la coprésidence pouvait réellement fonctionner, en pratique, sans modification du règlement.

S’il est vrai que le président de l’Assemblée, assisté par les services, a cherché à faciliter le fonctionnement de notre groupe, reste que, juridiquement, il ne peut y avoir qu’un président de groupe et un seul. C’est vrai dans tous les documents officiels et institutionnels portant la signature du président. C’est vrai également pour la mise en œuvre des dispositions du règlement : seul le président peut, par exemple, demander une vérification du quorum ou s’opposer, une fois par session, au temps législatif programmé.

M. Lionel Tardy. C’est vrai qu’il s’agit là d’une priorité !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Enfin, nous avons expliqué en quoi la présidence alternée n’est pas la coprésidence. La présidence alternée ne garantit ni la parité, ni l’exercice collectif des responsabilités. Elle n’est donc pas, à nos yeux, une réponse à la hauteur des enjeux.

En conclusion, mes chers collègues, permettre aux groupes d’être dirigés par un binôme constitué d’une femme et d’un homme constituerait à la fois une réalisation supplémentaire de l’objectif de parité en politique et une nouvelle avancée démocratique, dans la droite ligne des travaux engagés par le président de l’Assemblée. Pour ces deux raisons, je vous demande de ne pas suivre les conclusions de la commission des lois…

M. François Vannson. Quel désaveu !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. …et d’adopter cette proposition de résolution, ainsi que les amendements que je vous ai présentés. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Lionel Tardy. C’est vraiment la priorité en ce moment ! Incroyable, surréaliste !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission, chers collègues, nous sommes la majorité de la diversité et de la complémentarité – de la complémentarité entre des familles politiques différentes, qui ont décidé d’unir leur action. Nous sommes la majorité du changement – nous avons placé notre action sous le signe du changement, du changement dans les politiques publiques et leurs contenus, c’est naturellement le plus important, du changement dans la manière même de faire de la politique.

La première niche – puisque l’on continue à employer cette expression, un peu désagréable pour les députés que nous sommes – du groupe écologiste, qui nous verra aujourd’hui examiner trois textes, est la traduction de cette réalité.

Tout à l’heure, mes collègues Laurence Abeille et Jean-Louis Roumegas présenteront deux textes portant sur des problématiques émergentes, qui sont au cœur des préoccupations de nombre de nos concitoyens. Il s’agira de concrétiser le principe de précaution, ce qui, de la part d’élus écologistes, ne devrait surprendre personne. Voilà un exemple de changement dans les contenus de nos politiques publiques.

Pour l’heure, nous examinons une proposition de résolution qui a été brillamment présentée par notre collègue Barbara Pompili, et qui vise à adapter le règlement de l’Assemblée nationale à deux impératifs qui nous sont chers : la collégialité dans l’animation des groupes politiques et la parité entre les hommes et les femmes. Voilà un élément du changement dans nos manières de faire de la politique.

Depuis le mois de juin dernier, nous avons enregistré sur ce point des avancées importantes, que nous voudrions, au travers de cette modeste proposition, compléter et renforcer.

Par la volonté du Président de la République, François Hollande, et pour la première fois dans l’histoire de notre République, le Gouvernement de la France comporte aujourd’hui autant de femmes que d’hommes.

Mme Catherine Coutelle. C’est très bien !

M. François de Rugy. Pour la première fois dans l’histoire de notre République, des responsables politiques, au plus haut niveau de l’État, ont décidé de faire la transparence sur les revenus qu’ils tirent de l’exercice de leur mandat, et même de les réduire.

Pour la première fois dans l’histoire de l’Assemblée, une réflexion a été engagée sur le statut des députés et sur la transparence de leurs revenus, mais aussi de leurs moyens de fonctionnement, lesquels – et il s’agit là encore d’une première – ont été réduits.

Pour la première fois dans l’histoire de l’Assemblée, la pratique opaque de la réserve parlementaire a fait l’objet d’une réforme salutaire : l’égalité a été instaurée entre les groupes, au prorata de leurs effectifs, et le président de l’Assemblée nationale s’est engagé à publier les attributaires des subventions concernées. Nous tenons d’ailleurs à saluer, à l’occasion de ce débat, l’action patiente et déterminée du président Bartolone.

Il reste encore beaucoup à faire, dans notre pays, pour rétablir les conditions de la confiance entre les citoyens et les élus et pour rendre, si j’ose dire, la politique plus désirable. Pour cela, il faudra progresser dans la transparence et dans la lutte contre les conflits d’intérêt et permettre un accès plus juste de nos concitoyens à la représentation politique.

La majorité, dans toutes ses composantes et à tous les échelons de responsabilité, s’est fortement engagée dans ce sens lors des dernières élections. À la suite du Président de la République, le Premier ministre a confirmé que le Gouvernement déposerait un projet de loi de réforme et de démocratisation de notre constitution. Il a également confirmé ses engagements sur la fin du cumul des mandats. À ce rendez-vous, les écologistes seront présents.

Le président de l’Assemblée a engagé une réflexion inédite sur la procédure législative et sur la façon de concevoir le Parlement à l’ère du non-cumul des mandats. Un groupe de travail, sous la responsabilité du Bureau de l’Assemblée, est déjà à l’œuvre. À ce rendez-vous aussi, les écologistes seront bien entendu présents.

Il y a encore beaucoup à faire en matière de représentativité politique et sociale, comme en matière de démocratisation des circuits de décision.

Comme je l’ai dit au début de mon propos, notre majorité est diverse, et cette diversité nous conduit à proposer des solutions et à adopter des comportements qui sont parfois différents. Ces différences sont le résultat de ce que nous sommes, de nos parcours et de nos identités politiques. Mais nous avons un point commun : chacune et chacun d’entre nous entend contribuer, au sein du groupe politique auquel il appartient, à la modernisation de la vie politique.

Le texte que nous vous proposons d’adopter, après l’avoir rétabli dans son esprit initial, répond à cet objectif, aussi bien par son contenu que par ses modalités, les deux aspects étant liés. La réforme que nous voulons introduire dans notre fonctionnement, Barbara Pompili l’a dit, a pour but de rendre commune, à défaut de la rendre unique, une pratique adoptée par les écologistes depuis le début de cette législature, celle de la coprésidence d’un groupe politique.

Pourquoi la coprésidence ? Tout simplement pour rendre collective une fonction qui, en elle-même, est essentiellement collective, puisqu’elle consiste, à nos yeux, à animer plus qu’à régenter, à écouter, tout autant qu’à parler, à réguler, plus qu’à faire régner la discipline. Je sais parfaitement qu’en disant cela, je ne traduis pas une conviction unanimement partagée sur ces rangs…

M. Lionel Tardy. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. François de Rugy. …mais c’est notre conception de la vie d’un groupe politique. En commission, un de nos collègues, M. Devedjian, a ironisé sur notre proposition : il ne s’agissait, selon lui, que de régler une question interne aux écologistes.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. François de Rugy. Quelle caricature !

Nous avons clairement indiqué dans notre proposition que, précisément, la coprésidence suppose, sans exception, que toute décision de l’un des coprésidents engage l’autre. La coprésidence, n’en déplaise à M. Devedjian, n’est pas une manière de régler, par un partage du pouvoir à la Yalta, un conflit interne, puisqu’elle oblige, précisément, les coprésidents à être d’accord.

Si j’étais taquin, je conseillerais même à nos collègues de l’UMP de tenter l’exercice : la conception bonapartiste qu’ils ont de la présidence de leur organisation, les enjeux de pouvoir qui en découlent et le douloureux spectacle qu’ils ont donné aux Français il y a quelques semaines devraient peut-être les rendre plus modestes, et plus ouverts aux innovations démocratiques que nous leur proposons. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Paul Molac. C’est juste !

M. François de Rugy. Je tiens également à dire qu’en ce qui nous concerne, cette coprésidence est aussi le prolongement logique de l’organisation de notre groupe, qui compte très exactement autant d’hommes que de femmes. C’est, à ma connaissance, un cas unique dans notre assemblée et dans l’histoire de notre République.

M. Lionel Tardy. C’est facile, quand on est si peu nombreux !

M. François de Rugy. Mais je ne voudrais pas donner l’impression de délivrer une quelconque leçon ou de faire du prosélytisme, précisément parce que notre proposition tourne le dos à cette volonté, trop souvent rencontrée en politique, d’imposer aux autres ses propres règles.

En adoptant notre proposition, vous ne ferez pas du mode de fonctionnement choisi par le groupe écologiste une règle à laquelle chaque groupe devrait se plier : vous vous contenterez d’ouvrir un droit que les uns et les autres auront, s’ils le souhaitent, l’opportunité d’envisager un jour, au besoin pour ne pas le retenir. Faire de cette ambition de la collégialité et de la parité assurées une règle conforme à nos règlements, sans la rendre unique et obligatoire pour tous, bref, inscrire l’innovation dans notre fonctionnement, c’est cela que nous vous demandons aujourd’hui. Est-ce la meilleure manière de régler la vie d’un groupe ? Est-ce un facteur de modernisation politique ? Nous le croyons, pour notre part, mais nous ne prétendons l’imposer à personne.

En écoutant tout à l’heure la rapporteure, Barbara Pompili, je me suis fait cette réflexion : entendre la première femme officiellement présidente d’un groupe politique de la Vème République nous dire, en substance, que la parité impose d’assurer aussi la représentation des hommes, c’est peut-être le signe le plus abouti, et le plus convaincant, de l’efficacité de ce fonctionnement. (Sourires)

En votant cette proposition, vous ne prendrez, pour vous-mêmes, aucun engagement. Vous pourrez même – et c’est parfaitement votre droit – considérer qu’il s’agit là d’une « lubie écologiste de plus », comme je l’ai élégamment entendu dire il y a quelques jours. Après tout, la parité, le non-cumul des mandats, et même le mariage pour tous, ont longtemps été qualifiés, eux aussi, de « lubies des écologistes ».

Nous tenons à l’inscription de cette disposition dans le règlement, non pas tellement pour permettre à notre collègue Mariton, qui n’est pas là, et c’est bien dommage, de faire davantage de rappels au règlement, mais plutôt pour que cette mesure symbolique, qui modifie notre fonctionnement, soit reconnue et inscrite dans notre règlement. Au moins rendrez-vous ce mode de fonctionnement pleinement légitime, au moins lui assurerez-vous une stabilité réglementaire et juridique, utile à tous, et en premier lieu à l’administration de notre assemblée. Toutes les préventions en la matière ont désormais disparu et je sais que les doutes exprimés en commission des lois ont obtenu des réponses qui doivent lever les dernières craintes qui pouvaient subsister.

C’est la raison pour laquelle je vous demande de dépasser les conclusions de la commission des lois et d’engager la discussion sur cette proposition d’adaptation du règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, notre groupe est engagé depuis longtemps dans le combat pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Il comprend donc très bien l’esprit du texte dont nous débattons ce matin et qui propose, à l’initiative de nos collègues du groupe écologiste, d’inscrire dans le règlement de notre assemblée la possibilité, pour les groupes qui le souhaitent, de se doter d’une coprésidence constituée d’un homme et d’une femme.

Nous comprenons aussi que les auteurs de la proposition de résolution veuillent remédier à une difficulté à laquelle ils se heurtent et faire reconnaître pleinement la coprésidence de leur groupe, alors qu’ils sont contraints, depuis le début de la législature, de fonctionner avec ce qui, en pratique, s’apparente à une présidence alternée.

Cette proposition s’appuie aussi sur des exemples pris dans d’autres parlements, comme le Bundestag, où nous étions la semaine dernière, ou le Parlement européen, où deux groupes sur sept ont déjà une coprésidence, laquelle, du reste, n’est pas nécessairement paritaire.

Ceci étant précisé, nous constatons néanmoins que ce texte se heurte à un certain nombre de difficultés pratiques, notamment en ce qui concerne l’exercice des prérogatives dévolues aux présidents de groupe dans cette assemblée.

M. Patrick Hetzel et M. François Vannson. Oui !

M. Marc Dolez. Je pense d’ailleurs que les auteurs de la proposition en sont conscients, puisque le texte initial a beaucoup évolué, notamment après son passage en commission, pour prendre en compte ces difficultés. Le texte propose aujourd’hui d’aller jusqu’au bout d’une logique qui a été exposée par la rapporteure : il s’agit de présumer l’accord entre les deux présidents et de privilégier le règlement politique d’éventuels différends, l’accord conjoint n’étant plus requis que pour l’adhésion, l’apparentement ou la radiation du groupe.

Pour résumer, même si nous comprenons la démarche qui l’a inspiré, nous avons, sur ce texte, un certain nombre de réserves : sa portée est limitée et il ne règle évidemment pas la question de la parité dans cette assemblée. En outre, même s’il ne s’agit que de donner la faculté aux groupes de cette assemblée de se doter d’une coprésidence, nous ne voudrions pas que cette faculté puisse, à l’avenir, servir de prétexte pour ne pas élire, de manière exclusive, une femme à la tête d’un groupe politique. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Noël Mamère. Voilà un raisonnement bien jésuitique !

M. Marc Dolez. On ne se refait pas !

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, comme l’ont dit avec justesse M. de Rugy et Mme Pompili, nous formons une famille, dont les membres sont partisans d’un effort en direction du changement.

Nous sommes partisans d’un effort en direction du changement, pour moderniser notre vie politique et pour l’adapter aux exigences du temps. Malgré les difficultés qu’impose le respect de la Constitution, malgré le fait que notre régime n’est pas parlementaire, ou du moins pas totalement, malgré, enfin, le poids très important de l’exécutif, nous faisons cet effort.

Cet effort est commun aux différentes familles politiques de la majorité, qui y ont d’ores et déjà pris part. Mais, comme François de Rugy l’a souligné avec justesse, il arrive que des divergences apparaissent entre ces familles. Ces divergences se sont exprimées lors de l’examen de ce texte en commission des lois : au terme de celui-ci, et par ma voix, le groupe SRC avait décidé de voter contre cette proposition de résolution. J’avais cependant laissé la porte ouverte, en notant que le texte pouvait parfaitement évoluer, et cette évolution a eu lieu.

Pourquoi nous étions-nous opposés à cette proposition ? D’abord parce que nous avions le sentiment que les élus écologistes avaient parfaitement trouvé leur place, que les deux coprésidents écologistes étaient bel et bien perçus comme des coprésidents, et que les textes existants ne s’opposaient pas à ce mode de fonctionnement. Nous n’avions pas mesuré, madame la rapporteure, combien il vous fallait, au quotidien, bricoler pour faire concorder les textes avec votre effort de coprésidence.

Nous avions réfléchi à partir de notre position, celle du groupe le plus important numériquement au sein de la majorité, dans lequel il est parfois difficile de trouver des positions unanimes. Les discussions entre les majoritaires et les minoritaires peuvent s’y éterniser pendant des heures, s’arrêtant parfois longuement sur une virgule ou un point d’interrogation sans jamais déboucher sur un consensus. Il y a toujours une opinion minoritaire qui, bien évidemment, intéresse plus la presse que l’opinion majoritaire, ce qui nous oblige ensuite à préciser quelle est l’opinion majoritaire, à démentir toute cacophonie entre le Gouvernement et le Parlement, et à préciser que ce n’est parce que tel député a tenu tels propos que la majorité s’est fracturée.

Ce sentiment, peut-être un peu rapide, a emporté notre position et nous a amené à nous opposer à cette proposition, à moins d’une évolution.

Cette évolution s’est faite, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, des discussions entre Europe Écologie – Les Verts et le groupe SRC se sont tenues et ont permis d’éclaircir les choses, rappelant qu’il n’y avait pas d’obligation, et que cette proposition pouvait s’appliquer à un groupe, et pas à un autre. En conséquence, notre position a évolué. Par ailleurs, des discussions générales sur notre fonctionnement vont avoir lieu, et ce texte y aura sa place.

Enfin, cette réflexion nous a incités à réfléchir sur nos méthodes de travail. Il est parfois difficile de travailler dans l’urgence comme nous le faisons, et de se prononcer sur un texte lorsqu’il arrive devant la commission des lois, où les positions sont déjà acquises. Nous savons tous ici que c’est au sein de nos groupes que nous discutons des textes. Celui qui porte la parole du groupe en commission a mission d’exposer une position qui est d’ores et déjà acquise. Modifier une position en commission est extrêmement difficile.

Nous avons donc intérêt à réfléchir à la façon dont nous travaillons, et peut-être avoir des échanges de groupe à groupe plus étoffés pour éviter d’aboutir à ces changements de pied. (Applaudissements sur certains bancs du groupe écologiste.)

Cela m’amène à la conclusion suivante : nous proposons de rejeter les conclusions de la commission des lois et d’adopter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.) Nous ferons ainsi la preuve que le changement, c’est maintenant !(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bon !

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, cette proposition de résolution est le tout premier texte issu du tout nouveau groupe écologiste de notre assemblée que nous sommes amenés à examiner en séance publique. C’est en quelque sorte leur baptême du feu.

Ce tout premier texte devrait donc être un texte symbolique mais il est plutôt révélateur des priorités et manières de travailler de ce tout nouveau groupe écologiste. Avec cette proposition de résolution le contrat est rempli au-delà même de nos espérances. C’est vraiment un texte dans lequel les Verts, parfois inconsciemment, se dévoilent.

C’est un texte que l’on peut qualifier d’audacieux, voire de culotté.

Mme Catherine Coutelle. De l’audace, toujours de l’audace !

M. Lionel Tardy. Voilà de nouveaux députés qui, débarquant à peine dans une institution pluri-centenaire, demandent que le fonctionnement de cette institution s’adapte à leur propre mode de fonctionnement, quand bien même ils ne sont que 18 députés sur 577, soit tout juste de quoi constituer un groupe autonome.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Et bien ! Chaque député est aussi respectable que les autres !

M. Lionel Tardy. Il fallait oser pour un premier texte, chapeau bas mesdames et messieurs !

Une telle proposition est bien dans le style des écologistes et peut faire sourire, comme les adultes peuvent sourire des audaces d’un enfant. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

M. François-Michel Lambert. C’est méprisant ! Apprenez à nous respecter !

M. Lionel Tardy. L’amusement n’aura qu’un temps car il va falloir rapidement apprendre, mes chers collègues écologistes, à vous couler dans les règles existantes et à accepter, si vous voulez qu’elles évoluent, de le faire en tenant compte de toutes les composantes de l’institution.

Il n’y a pas que vous dans cette assemblée. Vous êtes ici dans une institution de la République avec son histoire et ses traditions. On ne peut pas débarquer et prétendre tout changer, c’est tout simplement un manque de savoir-vivre. (Protestations sur certains bancs du groupe écologiste.) Je sais qu’il n’est pas évident de s’assagir, mais vos amis allemands de Die Grünen y sont bien arrivés. Il faut juste un peu de temps, et les débats autour de cette proposition de résolution sont une première étape.

Le deuxième élément remarquable dans ce texte est qu’il s’agit d’un texte de mécano institutionnel qui porte sur la manière dont s’exerce le pouvoir.

M. Patrick Hetzel. Bien sûr !

M. Lionel Tardy. C’est un formidable aveu de ce qui intéresse avant tout Les Verts : la conquête, puis l’exercice du pouvoir, avec une volonté affirmée de modifier la manière dont le pouvoir s’exerce.

Le pouvoir, c’est un sujet sur lequel en interne, au sein de votre parti, vous semblez passer beaucoup de temps.

Mme Danielle Auroi. Et à l’UMP ?

Mme Catherine Coutelle. Venant d’eux, ce sont paroles d’experts !

M. Lionel Tardy. Les modalités d’exercice du pouvoir sont un sujet parfaitement légitime sur lequel Les Verts ont des idées parfois originales qui constituent un apport enrichissant pour le débat public.

Dans le cas présent, cet apport est en lien avec une dimension sociétale puisqu’il s’agit d’un texte visant à permettre le développement de la parité. Sur la nécessité de faire avancer la parité nous vous rejoignons.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. En théorie, peut-être, mais pas dans la pratique !

M. Lionel Tardy. En cela le débat que nous avons aujourd’hui est intéressant car – et c’est là un avis personnel qui n’engage que moi – nous avons encore beaucoup à faire…

Mme Catherine Coutelle. Oh oui !

M. Lionel Tardy. …pour que notre manière de faire de la politique et de diriger soit en phase avec l’évolution des mentalités et des attentes de nos concitoyens.

Mais encore faut-il proposer des textes réellement opérationnels, techniquement solides, et non pas des tracts politiques qui attirent les médias sur le moment et qui ne débouchent sur rien de concret.

Malheureusement vous vous êtes fait une spécialité des textes et des amendements bâclés et juridiquement mal ficelés. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Denis Baupin. Pas vous !

M. Lionel Tardy. Et ce texte n’échappe pas à la règle.

Il suffit de comparer le texte initial et les amendements déposés par la rapporteure en commission pour mesurer le gouffre qui sépare l’amateurisme du professionnalisme en matière de rédaction de textes juridiques. (Mêmes mouvements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous écoutons l’orateur, évitons les excès que nous avons connus hier !

M. Noël Mamère. On pourrait faire comme eux, et demander un rappel au règlement !

M. Lionel Tardy. Écrire la loi ne s’improvise pas et l’on n’écrit pas une proposition de loi sur un coin de table comme on peut écrire une motion pendant un congrès du parti.

Vous avez déjà démontré depuis le début de la législature que ces questions ne vous effleuraient pas. Pendant l’examen de la loi de finances, vous avez déposé un amendement relatif au financement des partis politiques. Tout le monde vous a dit en séance qu’il s’agissait d’un cavalier budgétaire qui n’avait pas sa place dans ce texte. Je m’en rappelle très bien puisque je faisais partie de ceux qui vous ont prévenu que cette disposition serait censurée par le Conseil constitutionnel.

Résultat : elle a été effectivement censurée, mais en attendant, vous vous êtes donnés le beau rôle devant les caméras sans pour autant faire avancer ce dossier, puisqu’il ne reste rien de votre amendement.

C’est facile de s’attribuer les mérites d’une initiative en faisant porter sur les autres députés la responsabilité d’un éventuel échec, alors même que vous savez dès le départ que votre proposition n’a techniquement aucune chance d’aller au bout.

Dans cette proposition de résolution, c’est la même chose.

Vous proposez de modifier le règlement de l’Assemblée nationale mais cela ne sera pas suffisant. Il faudra aussi changer la loi organique qui mentionne toujours le président de groupe au singulier. Voilà encore une erreur technique que vous n’avez pas vue.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Mais quelle condescendance !

M. Lionel Tardy. Si par le plus grand des hasards, cette proposition de résolution était adoptée, elle ne passerait pas le cap du Conseil constitutionnel, et je prends date ce matin.

Votre texte, même amendé, ne tient donc pas la route. Ce n’est pas comme cela que l’on doit envisager le travail du législateur. La loi doit être applicable et nécessaire.

Non seulement votre texte n’est pas applicable, mais en plus il n’est pas nécessaire.

Si votre but est d’arriver à ce que votre groupe fonctionne suivant un principe de parité il vous suffit, comme vous l’avez d’ailleurs fait, de changer régulièrement de président en alternance entre un homme et une femme.

Pour ce qui est de la prise de décision au sein de votre groupe, cela ne regarde que vous. Vous êtes parfaitement libres de choisir que toutes les décisions internes relevant du président de groupe soient exercées conjointement par un homme et une femme en considérant que celui qui est officiellement président de groupe n’est que le messager du binôme auprès de la conférence des présidents et du service de la séance.

Certes, en termes d’affichage, c’est moins sexy, mais c’est certainement bien plus opérationnel. On voit qu’entre l’affichage et l’efficacité, votre choix est vite fait.

Il y a tout de même un point intéressant dans ce texte : le choix que vous avez fait de favoriser la parité par le dédoublement d’une fonction publique.

Le Gouvernement a suivi la même voie que vous dans sa réforme des élections locales avec le binôme homme-femme pour représenter un canton au conseil général. Le groupe UMP, et je ne pense pas que mes collègues de droite présents dans l’hémicycle me démentiront, est très hostile à ce choix du dédoublement des fonctions.

L’histoire nous a enseigné que le pouvoir ne se partage pas et les régimes qui ont tenté de mettre en place un pouvoir collégial n’ont pas tenu longtemps, et n’ont pas laissé un souvenir impérissable.

Sous la Révolution, le Directoire, au sein duquel se côtoyaient jusqu’à cinq cotitulaires du pouvoir, a surtout eu pour effet, par la désorganisation du pays qu’il a provoqué, de permettre l’accession au pouvoir de Napoléon.

M. Bruno Le Roux. Il y a quelques semaines, ils dédoublaient la direction de l’UMP, et il nous dit cela aujourd’hui !

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Ce n’est pas un discours, c’est un témoignage !

M. Lionel Tardy. Un pouvoir collégial qui fonctionne nécessite une culture politique de la délibération et du consensus que nous n’avons pas en France. Au contraire, nous avons une culture de la lutte politique, du clivage. L’actualité parlementaire de cette semaine en est une parfaite illustration.

On peut le déplorer mais ce n’est malheureusement pas près de changer, donc autant élaborer des textes qui tiennent compte de cette culture politique française.

Avec des binômes à toutes les fonctions on va droit vers un alourdissement de l’exercice du pouvoir. Il faudrait que tout soit cosigné par les deux cotitulaires de la charge. Quand on voit le temps que mettent certains décrets à être signés, si vous multipliez cela par deux, je vous laisse imaginer l’engorgement et les retards !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Justement non, vous n’avez pas bien lu le texte !

M. Lionel Tardy. Je parle des autres élections, madame la rapporteure, pas de votre texte.

Mais le principal problème, auquel aucune solution n’est apportée, est celui du risque de mésentente au sein du binôme. Comment faire si les deux titulaires d’un poste, que ce soit des coprésidents de groupe parlementaire ou des conseillers généraux, se font la guerre ?

M. Bruno Le Roux. Nous irons consulter Fillon et Copé !

M. Patrick Hetzel. Ne confondez pas l’Assemblée nationale et un parti politique !

M. Lionel Tardy. Connaissant le caractère et le tempérament des élus il y aura des problèmes, c’est certain. On ne met pas deux crocodiles dans le même marigot !

L’idée, qui peut apparaître séduisante sur le papier, se révèle dès que l’on creuse un peu totalement irréaliste et impraticable. D’ailleurs aucun pays démocratique n’a mis en place un tel dispositif.

Mme Danielle Auroi. Et l’Allemagne ?

M. Lionel Tardy. Vous comprendrez donc aisément que le groupe UMP votera contre cette proposition de résolution qui veut résoudre un problème qui ne se pose pas en suivant une mauvaise piste, juste pour soigner la communication politique d’un groupe parlementaire.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le président Le Roux vient d’interpeller l’orateur en faisant référence à certains événements qui ont eu lieu au sein de notre mouvement politique.

Nous sommes dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. J’affirme fermement et clairement que vous n’avez pas à confondre cette enceinte avec un mouvement politique. Un peu de respect !

M. Philippe Bies. Et le Rassemblement-UMP, c’était quoi ?

Mme Barbara Pompili, rapporteure. C’est vous qui avez utilisé le règlement de l’Assemblée pour régler vos problèmes internes !

M. Patrick Hetzel. Je suis extrêmement surpris de ce que vous êtes en train de faire ! Nous sommes dans une enceinte démocratique ! Nous demandons à ce que l’opposition soit respectée dans l’ensemble de ses prérogatives, vous semblez l’oublier. Vous êtes majoritaires, et c’est normal, mais si vous êtes majoritaires, il n’en demeure pas moins que vous devez respecter l’expression de l’ensemble des députés. Nous avons un mandat, et notre mandat est aussi légitime que le vôtre !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour un rappel au règlement.

M. Bruno Le Roux. Les partis politiques sont reconnus dans notre Constitution et forment ici les groupes politiques. Je note la finesse de l’intervention précédente, mais je voudrais vous dire, monsieur Hetzel, que lorsqu’il s’est agi de régler un problème de parti, c’est au règlement de l’Assemblée nationale que vous vous êtes attaqués en créant un groupe à la durée de vie limité pour vous permettre de régler vos problèmes de parti ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Ça ne s’est jamais passé, et devrait figurer au Guiness book des records.

M. Lionel Tardy. C’était prévu par le règlement, ça ne posait pas de problèmes !

M. Bruno Le Roux. Ne venez pas nous faire la leçon aujourd’hui ! Quand M. Tardy est monté à la tribune pour dire tout le mal qu’il pense du doublement des responsabilités, me venait en tête cette photo à la tribune de MM. Fillon et Copé, où l’on voyait deux responsables sur chacune des thématiques, pour essayer de régler un problème politique.

Vos arguments sont aujourd’hui en contradiction avec votre pratique, je vous renvoie à vos turpitudes. Nous respectons votre mandat, mais vous n’avez pas montré beaucoup de capacité à l’assumer dans l’opposition depuis quelques mois. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour un rappel au règlement.

M. Lionel Tardy. Créer des groupes politiques différents est prévu par le règlement de l’Assemblée. Ici, il est proposé de modifier le règlement de l’Assemblée. Il ne faut pas confondre les choses ! Tout groupe politique peut se créer à tout moment pour une durée de vie qui le concerne,…

M. Bruno Le Roux. C’est bien la première fois !

Mme Catherine Coutelle. Et ça a coûté de l’argent.

M. Lionel Tardy. …c’est faire utilisation du règlement de l’Assemblée. Ici, vous proposez une modification du règlement de l’Assemblée et d’une loi organique. Ce n’est pas du tout la même problématique.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour un rappel au règlement.

M. Noël Mamère. Je souhaite évidemment conforter les propos tenus par le président du groupe SRC.

Pourquoi ce rappel au règlement ? Parce que notre collègue Lionel Tardy a traité d’enfants ce groupe de représentants du peuple que sont les écologistes.

M. Patrick Hetzel. Non ! Ce n’est pas ce qu’il a dit ! Vous relirez son intervention !

M. Noël Mamère. Que je sache, la résolution que Barbara Pompili propose en notre nom n’est pas une proposition d’enfants gâtés, ni d’utopistes, mais d’hommes et de femmes attachés à la parité et à la juste représentation de chacun d’entre nous.

Notre Assemblée nationale est en train de rattraper son retard…

M. Lionel Tardy. Quel retard ? Il n’y a pas de retard !

M. Noël Mamère. …grâce à la proposition que défend pour nous Barbara Pompili. Je comprends que vous vous accrochiez à de vieux schémas, et que vous vouliez toujours une surreprésentation des hommes.

Vous avez affirmé des contrevérités : nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen de l’article 1er. Par exemple, quand vous dites que cette disposition n’existe dans aucune démocratie, vous oubliez que le groupe vert du Bundestag est coprésidé par un homme et une femme depuis déjà plusieurs décennies. On pourrait citer également le Parlement européen et même, beaucoup plus près de nous, à quelques encablures de cette maison,…

M. le président. Mon cher collègue, nous ne sommes plus dans le rappel au règlement !

M. Noël Mamère. …le Conseil de Paris, où le groupe vert est coprésidé par un homme et une femme.

S’il vous plaît, ne nous donnez pas de leçons ! Nous sommes aussi légitimes que vous !

M. le président. Merci, mon cher collègue.

M. Noël Mamère. Notre parti est plus jeune, mais vraiment moins coincé que vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

Discussion générale (suite)

M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde.

Mme Sonia Lagarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, il aura fallu bien des années pour que la présence des femmes au sein des instances politiques, leur accès à des responsabilités équivalentes à celles des hommes et l’idée même d’une véritable gouvernance paritaire soient reconnus par tous comme les conditions nécessaires à l’exercice d’un pouvoir équilibré. Cet équilibre, fondé sur un partage équitable des responsabilités, doit permettre aux femmes, qui constituent 52 % de la population française, d’être réellement représentées, d’être entendues, de défendre leurs idées et d’imposer leur propre vision de la société. Aujourd’hui, chacun semble d’accord sur le fond et reconnaît que les femmes doivent pouvoir peser, au même titre que les hommes, dans la prise des décisions qui concernent l’avenir de nos concitoyens.

Pourtant, malgré cette apparente prise de conscience collective, la parité en politique n’est pas toujours une réalité. Elle n’est encore qu’un idéal vers lequel on devrait tendre. Elle est d’ailleurs souvent considérée comme un sujet accessoire, que l’on reléguerait au second plan.

En faisant ce constat, je ne renie pas les avancées significatives réalisées ces dernières années, sous l’impulsion de gouvernements et de parlements de droite comme de gauche. Je pense à l’introduction dans notre Constitution, en 1999, du principe de l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

Mme Catherine Coutelle. C’est la gauche !

Mme Sonia Lagarde. Je pense à la loi du 6 juin 2000 sur la parité des candidatures politiques.

Mme Catherine Coutelle. Toujours la gauche !

Mme Sonia Lagarde. Je pense encore aux lois de 2007 et 2008 qui ont étendu l’obligation de parité aux exécutifs régionaux et municipaux.

Si nous sommes aujourd’hui 155 femmes à siéger sur les bancs de cet hémicycle – c’est un record historique dans notre assemblée ! –, c’est en partie grâce à ces lois qui ont permis d’amorcer une féminisation des instances décisionnaires.

M. Philippe Doucet. Ce n’est pas grâce à l’UMP ni à l’UDI !

Mme Catherine Coutelle. Ils préfèrent payer des amendes !

Mme Sonia Lagarde. Si les femmes représentent, dans les conseils régionaux, 48 % des élus alors qu’elles n’étaient que 9 % en 1986, c’est encore en partie grâce à ces lois.

Malheureusement, les chiffres sont aussi là pour attester de la lenteur de cette progression. Si nous nous en tenons à ce rythme de progression, la parité à l’Assemblée nationale ne sera effective que dans quinze ans,…

M. Bruno Le Roux. Très bien !

Mme Sonia Lagarde. …et nous ne pouvons que le déplorer.

Les femmes sont encore moins nombreuses dans les conseils généraux, où elles ne représentent que 12 % du total des élus, un chiffre à peu près semblable à la proportion de femmes maires. En outre, la progression est loin d’être assurée puisque le Sénat a connu, pour la première fois de son histoire, un recul de la part des femmes qui le composent par rapport à 2008.

Ces constats révèlent que la parité n’est pas uniquement une question de législation. Au fond, l’un des principaux obstacles à l’égalité – non pas seulement formelle, mais aussi réelle – entre les sexes est bien une question de mentalité. S’il est aisé d’édicter des règles, rien n’est plus difficile que de modifier en profondeur le comportement de nos contemporains voire de certaines formations politiques.

De par ses traditions, de par la famille politique à laquelle elle appartient, l’UDI est un mouvement humaniste, progressiste, écologique, européen, social, et un grand défenseur de la parité. Créée après les élections législatives, elle est un parti neuf, qui peut de ce fait progresser là où les autres connaissent encore des défaillances, et qui entend dès maintenant travailler à l’émergence d’une nouvelle génération de femmes en politique.

La proposition de résolution du groupe écologiste a pour objectif d’étendre le principe de parité au sein même de la présidence des groupes en favorisant une pratique plus collégiale du pouvoir. On a pu entendre, ici ou là, l’opposition de parlementaires qui craignent que le texte ne provoque une rupture avec notre système traditionnel dans lequel une personne représente un groupe. Pour d’autres, cette proposition de résolution nous obligerait à remettre en question tout le fonctionnement de nos instances politiques, en étendant le principe de coprésidence à la présidence de l’Assemblée nationale, aux vice-présidents, voire à la présidence de la République, aux maires et aux présidents de conseil général ou régional.

À mon sens, l’adoption de cette proposition serait plutôt l’occasion de développer une pratique du pouvoir différente, qui fasse davantage place à la collégialité et au partage des responsabilités entre les hommes et les femmes.

Mme Catherine Coutelle. Très bien !

M. Paul Molac. Excellent !

Mme Sonia Lagarde. C’est justement de ce type d’innovation dans la gouvernance de notre régime représentatif dont nous avons besoin pour étendre la parité à un maximum d’échelons de décision. Le renouvellement de la classe politique par l’émergence des femmes est nécessaire à la respiration de la vie démocratique. C’est la raison pour laquelle je suis, à titre personnel, favorable à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

En revanche, les députés du groupe UDI émettent plusieurs réserves sur cette proposition de résolution.

La première réserve, que je partage, est qu’une coprésidence paritaire aurait plus de force si elle était assortie d’une obligation et non d’une faculté pour les groupes de s’en doter.

M. François de Rugy. Déposez un amendement, alors !

Mme Sonia Lagarde. Le fait que chacun des groupes soit présidé par un homme et une femme permettrait par ailleurs de lever tous les doutes sur le risque d’inégalité entre les groupes que cette mesure pourrait susciter.

Dans la même logique, une coprésidence des groupes n’aurait de sens réel que si la parité était effective au sein de notre assemblée. Or, mesdames, nous ne sommes actuellement que seulement 26,6 %.

M. Dominique Raimbourg et M. Marc Dolez. Il faut adopter la proportionnelle !

Mme Sonia Lagarde. Pour l’ensemble de ces raisons, les députés du groupe UDI ne participeront pas à ce vote.

M. Noël Mamère. Courage, fuyons !

Mme Sonia Lagarde. Cependant, en tant que femme, je sais l’importance et la nature des combats qu’il nous reste à mener pour qu’un jour, enfin, nous ayons la fierté de voir dans cet hémicycle autant d’hommes que de femmes. Quand nous y serons parvenus, la représentation nationale prendra tout son sens. Cette reconnaissance, il nous appartient de la conquérir. C’est tout le travail qu’il nous reste à accomplir !

Je conclus en vous disant qu’il ne faut jamais désespérer de rien, car je sais que la combativité est en chacune de nous. J’ai même envie de dire que c’est notre lot quotidien !

Comme je l’ai déjà indiqué, j’émets un avis favorable et solidaire sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Monsieur le président, mes chers collègues, quand j’entends les mots « parité » et « juste représentation », je ne peux qu’être touché par cette belle musique démocratique, d’autant que je regarde votre groupe écologiste et que je me dis que vous avez beaucoup de chance d’être aussi nombreux avec aussi peu d’électeurs ! (Rires sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe écologiste.)

Nous, avec beaucoup plus d’électeurs, nous ne sommes que deux,…

M. Christophe Cavard. C’est deux de trop !

M. Gilbert Collard. …mais il y a un homme et une femme : la parité est donc respectée ! (Sourires.) J’espère que vous n’avez aucun doute là-dessus.

La parité est un principe pour lequel nous devons tous lutter. Notre démocratie comporte indiscutablement des failles : la parité n’existe pas, et il y a un combat à mener pour obtenir une vraie parité.

Cependant, pensez-vous vraiment que c’est le souci magnifique de la parité qui anime cette proposition de résolution ?

Plusieurs députés du groupe écologiste. Oui !

Mme Catherine Coutelle. Bien sûr !

M. Gilbert Collard. J’attendais votre réaction !

Ici, une fois encore, vous cherchez tout simplement à occuper une petite place de plus. C’est tout ce que vous cherchez, et c’est effectivement une manière d’exercer le pouvoir, d’occuper des places.

Mme Véronique Massonneau. Procès d’intention !

M. Gilbert Collard. Finalement, vous réussissez le prodige de démultiplier des petits pouvoirs en ne représentant que très peu de monde. Vous êtes de l’ordre du miracle électoral. N’étant rien, vous voulez être tout ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

C’est admirable ! C’est extraordinaire ! Il faut admettre que vous avez à votre disposition une rhétorique multiplicatrice confondante ! Il vous suffit de dire « parité » – mais attention, il ne s’agit pas là d’une vraie parité, car vous voulez en réalité une petite place de plus – pour que d’un seul coup, ceux qui oseraient vous contredire soient traités de réactionnaires. (Protestations sur les bancs du groupe écologiste.)

M. François de Rugy. Vous n’avez rien à dire !

M. Gilbert Collard. Non ! Nous voulons la parité, mais pas celle du strapontin !

Pour faire court et ne pas occuper inutilement cette tribune, je vous annonce que nous allons nous abstenir, parce que ce texte est absolument déplacé. Il s’agit d’un texte de circonstance.

M. Paul Molac. Votez contre, alors !

M. Gilbert Collard. Non, je ne voterai pas contre, pour une raison très simple : je ne veux pas voter contre l’idée de parité. Je ne voterai jamais contre l’idée de parité, que cela vous dérange ou non.

En revanche, je considère qu’on ne doit pas utiliser l’idée de parité pour se faire des petites places. Restez à votre place : elle petite et noble, gardez-la,…

M. Christophe Cavard. Ce n’est pas encore fini ?

M. Gilbert Collard. …mais n’essayez pas de la démultiplier en jouant avec les instances démocratiques de ce Parlement. Restez verts, et restez à votre place !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. « Applaudissements nourris » !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom de la commission des lois, dont les propos ont été évoqués à de multiples reprises par la rapporteure – ce qui est bien normal –, puis par le représentant du groupe socialiste au sein de cette commission, lequel a expliqué que la commission avait rejeté la proposition de résolution mais qu’il convenait de l’adopter en séance publique.

Il me revient donc d’intervenir, non pas pour me poser comme le garant de quoi que ce soit, mais en me présentant comme l’héritier d’une tradition qui est celle du droit parlementaire. Ce dernier s’est toujours caractérisé par une très grande souplesse d’adaptation. Nous en avons d’ailleurs un exemple depuis hier : nous avons désormais des rappels au règlement au cours des discussions générales, ce qui est une nouveauté car je n’ai jamais vu cela lors de la précédente législature. Le président de l’Assemblée l’a permis hier et notre président de séance vient de le permettre aujourd’hui : il est donc maintenant possible de faire des rappels au règlement pendant la discussion générale, ce que le règlement de l’Assemblée nationale ne prévoit absolument pas.

Le règlement s’est donc toujours caractérisé par une très grande souplesse : c’est la raison pour laquelle la commission des lois était réticente à l’idée de le modifier pour y introduire une pratique qui s’est installée dans notre assemblée sans qu’elle ne crée d’ailleurs aucun trouble dans son fonctionnement. Je donne évidemment crédit à notre rapporteure, qui a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une démarche à la convenance du groupe écologiste, mais d’un problème de fonctionnement et d’un problème politique posé par son groupe. Il est bien légitime que l’Assemblée nationale puisse en discuter.

Pourquoi la commission des lois n’a-t-elle pas suivi cette proposition de résolution ? Pour cinq raisons que je vais essayer d’exposer le plus clairement possible.

Premièrement, nous avons estimé que le moment n’était pas opportun. Le Président de la République a en effet annoncé une révision constitutionnelle. Le Parlement devrait être convoqué en Congrès avant l’été, ce qui suppose des changements dans la loi fondamentale qui, ipso facto, entraîneront des modifications dans le règlement de l’Assemblée nationale comme cela a été le cas en 2008 et à la suite des précédentes révisions constitutionnelles. Il faudra bien que notre Assemblée s’adapte à ces nouvelles règles. Nous ouvrirons donc à ce moment-là le chantier de la modification du règlement. Pour l’heure, la commission des lois a estimé que la modification proposée par nos collègues écologistes pouvait attendre d’être traitée à la fin de l’année.

La deuxième raison pour laquelle la commission des lois a émis des réticences au point de voter contre la proposition de résolution, c’est que la coprésidence paritaire dont s’est doté le groupe écologiste fonctionne d’ores et déjà – au prix d’un bricolage selon Barbara Pompili. Pour ma part, je considère que ce fonctionnement s’inscrit dans la tradition de la convention parlementaire. À partir du moment où un groupe prend des initiatives et que les autres ne s’y opposent pas, cela a force de loi au sein de notre Assemblée. Je n’ai du reste noté aucune critique quant au fonctionnement du groupe écologiste avec deux co-présidents, même si aucun groupe n’a ressenti le besoin de l’imiter. Les deux coprésidents sont reconnus au sein de notre institution.

M. Lionel Tardy. Bien sûr.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Ils sont reconnus par l’exécutif. Lorsque le Premier ministre invite les groupes parlementaires à Matignon, il invite les deux co-présidents du groupe écologiste. Et lorsque le Président de la République a présenté ses vœux au Parlement il y a quinze jours, il a invité les deux coprésidents. Cela n’a nécessité aucune modification du règlement de l’Assemblée.

La commission n’a pas été convaincue par l’idée que la modification du règlement vise à pallier des carences qui n’ont pas été explicitées, si ce n’est que le site de l’Assemblée nationale ne prévoit pas pour le moment la possibilité de faire figurer deux co-présidents ; mais cela pourrait être réglé sans pour autant modifier le règlement de l’Assemblée nationale.

Troisièmement, nulle part au monde le règlement d’une assemblée n’a été modifié pour permettre une coprésidence. Le Bundestag et le Parlement européen recourent à la coprésidence, mais aucune de ces deux assemblées n’a estimé devoir modifier son règlement pour autant.

M. Lionel Tardy. Exactement. C’est la loi organique qu’il faut modifier.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Les deux règlements prévoient que les groupes aient un président et c’est par convention que dans ces deux assemblées, les deux coprésidences sont autorisées, qu’elles soient paritaires ou non. Au Bundestag par exemple, le groupe libéral est coprésidé par deux hommes.

L’Assemblée nationale pourrait évidemment être originale. Elle le serait au regard de notre bicaméralisme puisqu’au Sénat, le groupe écologiste n’a pas fait la demande de coprésidence.

M. Jacques Myard. M. Placé y règne en maître !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Jean-Vincent Placé est le seul président du groupe écologiste et personne ne le lui reproche.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. C’est la liberté des groupes.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Quatrièmement, au regard du droit, la proposition de résolution présente un risque d’engrenage préjudiciable au fonctionnement des groupes.

M. François Vannson et M. Lionel Tardy. Tout à fait.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. À titre personnel, je pense que l’Assemblée nationale n’a pas à s’immiscer dans le fonctionnement des groupes.

M. Jacques Myard et M. Lionel Tardy. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. La coprésidence est une démarche interne au groupe écologiste et cela apparaît dans sa déclaration politique constitutive. C’est une liberté profondément respectable que personne n’envisage de contester. Pour autant, faut-il que l’Assemblée régisse le fonctionnement interne d’un groupe ? Sincèrement, je ne le crois pas. (Murmures sur les bancs du groupe écologiste.)

M. François Vannson. Très bien.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Ce qui aujourd’hui est une faculté deviendra demain une opportunité, après-demain une incitation et plus tard, une obligation.

Très honnêtement, mes chers collègues, au regard de l’article 4 de la Constitution, il n’appartient pas au règlement de l’Assemblée nationale de régir le fonctionnement interne des groupes, prolongements des partis politiques dont l’indépendance et la liberté sont garanties par la Constitution.

M. Lionel Tardy. Tout à fait.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Demain, selon votre logique, le règlement de l’Assemblée nationale pourrait imposer aux groupes parlementaires des obligations que nous condamnerions unanimement. Il ne faut donc pas monter la première marche de cet escalier périlleux.

M. Sylvain Berrios. M. Placé en rêve !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Cinquièmement, la coprésidence introduirait une grande complexité dans le fonctionnement d’un groupe.

Aujourd’hui, elle est réclamée par un groupe homogène et cohérent au plan politique dans lequel les deux coprésidents s’entendent parfaitement.

M. Lionel Tardy. Avec les élections qui arrivent, cela risque de se gâter.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Si la coprésidence devenait le ciment de la constitution d’un groupe, que se passera-t-il en cas de mésentente ? Une dizaine de collègues pourrait s’unir avec une dizaine d’autres avec pour seul objectif la constitution d’un groupe pour disposer des moyens d’un groupe. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

Entre 1997 et 2002, le groupe RCV était composé de trois partis politiques.

M. Jacques Myard. Mamère était le président.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Il y aurait donc eu deux coprésidents. On imagine les difficultés qui auraient surgi sur des sujets sensibles.

Vous nous dites qu’il n’y aura pas de désaccords et, si tel était le cas, ils seraient réglés au plan politique. Mais je prends l’exemple de la constitution d’une commission mixte paritaire. Si la proposition de résolution prévoit que chaque président est réputé agir avec l’accord de l’autre, que se passe-t-il concrètement si, par exemple, chacun d’entre eux envoie à la présidence de l’Assemblée nationale sa propre liste de candidats à une CMP ? Quelle est la liste qui sera retenue ? Voici une difficulté objective, qui risque de devenir un point de blocage dans l’institution parlementaire. Cela ne se produira pas durant cette législature, j’en donne acte au groupe écologiste. Mais que se passera-t-il demain lorsque dix collègues constitueront un groupe avec dix autres, quand on sait ce qu’est la puissance d’un groupe ? Des droits spécifiques et des prérogatives sont accordés aux présidents de groupe, notamment un temps de parole dans le temps législatif programmé. Si les deux présidents ne devaient pas s’entendre, …

M. Jacques Myard. Ce serait « règlement de comptes à OK Corral ! »

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. …on aboutirait à un blocage de l’Assemblée nationale, car il ne reviendrait pas à la présidence de l’Assemblée de trancher.

Une telle proposition ne va pas dans le sens d’un progrès de l’institution. Elle risque de générer des dysfonctionnements, qui pénaliseront un fonctionnement tout à fait fluide que nous observons depuis huit mois.

M. Sylvain Berrios. Ce serait créer de la complexité.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Que le groupe écologiste s’organise comme il l’entend ne pose aucun problème. Mais transposer cette organisation dans le règlement ne paraît pas utile.

Étant en mission, je n’étais pas présent à la commission des lois lorsqu’elle a rejeté cette proposition. Mais je porte ici la voix de la majorité de la commission même si j’ai compris que cette majorité allait s’inverser dans un instant.

M. Lionel Tardy. Tout est dit ! Brillant !

M. Jacques Myard. Très bien.

M. le président. Je rappelle que les rappels au règlement durant les discussions générales sont courants. Ils sont interdits lors d’explications de vote.

Moi-même, comme notre président, hier, n’avons fait qu’appliquer l’usage.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Cela ne figure pas dans le règlement de l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

M. Lionel Tardy. On attend la réponse sur la loi organique.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Ne soyez pas impatient, mon cher collègue.

Je tiens à remercier l’ensemble de mes collègues pour leurs interventions, la plupart très riches, quelques-unes soulevant des questions. Merci, mon cher coprésident, d’avoir éclairé l’hémicycle sur les raisons pour lesquelles notre proposition de modification du règlement n’est pas un gadget…

M. Jacques Myard. Si.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. …et n’est pas le seul sujet sur lequel nous allons nous exprimer aujourd’hui. Parmi nos priorités figure notamment le principe de précaution.

Monsieur Dolez, j’ai entendu vos encouragements quant au principe de la résolution. J’ai également entendu vos questionnements. Comme je l’ai déjà dit, il n’y a aucune obligation. Il ne faut pas avoir peur des facultés qui sont données. Chaque groupe aura la sagesse de s’en saisir ou non selon ses modes de fonctionnement, sa culture. Les partis politiques ont tous une culture différente, et celle-ci doit pouvoir s’exprimer. Tel est l’objet de notre proposition de résolution.

Monsieur Raimbourg, merci d’avoir expliqué à quel point il est important d’avoir des débats. Par rapport au grand nombre de textes qui arrivent en commission, il est parfois difficile de s’en saisir en même temps. Il faut que nous prenions le temps d’en discuter entre nous pour lever les légitimes interrogations qui se posent sur les textes, notamment sur celui-ci et je regrette à cet égard que nous n’ayons pas eu suffisamment de temps en commission. Je me félicite donc que cette discussion vous ait conduit à vous rallier à notre proposition.

Monsieur Tardy, je me permets de vous rappeler ainsi qu’à mon collègue M. Collard, que nous sommes tous des élus de la nation…

M. Gilbert Collard. Cela ne nous a pas échappé !

M. François Vannson. Quelle découverte ! Comme si nous l’avions oublié !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. …et que nous sommes également respectables. Je ne me permettrais pas de vous traiter d’enfants, même si parfois les attitudes de certains membres de votre groupe relevaient de l’enfantillage.

M. Jacques Myard. Parlez pour vous, jeune fille ! (Exclamations sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mme Barbara Pompili, rapporteure. La première phrase machiste de la journée !

M. Jacques Myard. J’assume !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Devrais-je vous appeler « vieil homme » ?

M. Jacques Myard. Vous pouvez même m’appeler « jeune homme » ! (Sourires.)

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Votre interrogation sur la loi organique était la seule qui méritait une réponse.

La loi organique du 15 avril 2009 définit certaines prérogatives des présidents de groupe. Ce point ne m’a pas échappé contrairement à ce que vous avez dit, mon cher collègue. J’y fais référence dans mon rapport à la page 9, que je vous invite à lire car manifestement, vous n’en avez pas eu le temps.

La loi organique ne dit en aucune façon qu’il ne peut y avoir qu’un seul président de groupe. Elle se contente de décrire les pouvoirs des présidents de groupe. Il n’appartient pas à la loi organique de définir ce qu’est un président de groupe, cette question relevant du seul règlement de l’Assemblée nationale. La proposition de résolution est donc parfaitement compatible avec la loi organique du 15 avril 2009.

Monsieur Collard, « occuper une petite place de plus », dites-vous, serait l’unique visée de notre proposition. Nous avons à cet égard des cultures différentes. Cette petite place supplémentaire correspond seulement à un partage des pouvoirs. Nous n’envisageons pas le partage des pouvoirs de la même manière, semble-t-il. Cette petite place de plus ne coûte d’ailleurs pas un sou au contribuable puisque les prérogatives sont partagées et non multipliées par deux. Il fallait le préciser

M. Franck Gilard. Le principe de précaution coûte plus cher !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Monsieur le président de la commission, vous avez fait part des réserves de la commission sur ce texte.

Le moment n’est pas opportun, dites-vous. Il est vrai que d’autres échéances vont arriver et je me réjouis, comme du reste l’ensemble de mon groupe, de l’annonce d’une prochaine modernisation en ce domaine. Mais nous avons aussi besoin de montrer que les choses avancent. Attendre la fin de l’année si ce n’est l’année prochaine nous paraissait trop tardif. Nous considérons que cette modification du règlement s’inscrit dans le mouvement enclenché par le Président de la République et par notre président de l’Assemblée nationale et qu’elle constitue notre apport.

Je ne reviendrai pas sur notre fonctionnement interne, je m’en suis déjà expliqué.

« Nulle part ailleurs dans le monde », on ne modifie le règlement sur ce sujet, avez-vous également objecté, monsieur le président de la commission. Tant mieux ! Nous serons une nouvelle fois novateurs et précurseurs.

M. Lionel Tardy. Comme d’habitude…

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Au cours de son histoire, la France a montré qu’elle pouvait être à l’avant-garde dans les grandes avancées démocratiques.

M. Lionel Tardy. Occupez-vous plutôt de l’économie !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Avec la Révolution française ! Nous n’avons pas à rougir d’être les premiers.

M. Lionel Tardy. Est-ce vraiment la priorité en ce moment ?

Mme Barbara Pompili, rapporteure. J’en viens aux arguments concernant l’engrenage et l’immixtion dans le fonctionnement interne des groupes. Tout d’abord, je précise que pour que la coprésidence devienne obligatoire, il faudrait une nouvelle réforme du règlement. Pour nous, il est très important de respecter la liberté de fonctionnement des groupes, voilà pourquoi nous avons pris soin d’indiquer que cette coprésidence était une faculté dont ils sont libres de faire ou non usage. Chaque groupe a une culture propre qu’il doit pouvoir exprimer. Nous aurions refusé que cela soit une obligation, comme l’un de nos collègues l’a proposé.

Certains ont insisté sur la complexité que cela engendrerait : qu’est-ce qu’un coprésident ? quelles seraient ses fonctions ?

Pour la constitution d’une CMP, si deux listes de candidats étaient envoyées à la présidence, seule la première vaudrait. Cela prouverait qu’il y a un problème dans la coprésidence et ce problème, nous estimons que ce n’est pas au règlement de le régler. Il revient au groupe de constater un éventuel dysfonctionnement dans sa coprésidence et d’en tirer les conséquences en revenant à une présidence unique. Les choses sont simples : il s’agit de questions politiques qui doivent être réglées politiquement. Le règlement a simplement à prendre acte des instructions données par un président ou un coprésident. S’il existe des contradictions, c’est au groupe de les résoudre.

Pour ce qui est des carences, je citerai un exemple : actuellement, seul le président en titre peut s’opposer au temps législatif programmé. Ainsi M. de Rugy ne peut s’opposer à cette procédure à la conférence des présidents puisque c’est moi qui suis présidente en titre de notre groupe en ce moment.

Enfin, madame Lagarde, je tiens à vous adresser mes plus vifs remerciements pour vos encouragements. En tant qu’unique députée de votre groupe, j’imagine que vous devez parfois vous sentir très seule.

M. Jacques Myard. Quel sexisme !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Vous avez insisté sur le fait que l’on ne pouvait pas tout régler par la loi ou le règlement et que la place des femmes était aussi une question de mentalités. Celles-ci ont encore beaucoup à évoluer, comme nous venons de le constater.

Les modalités actuelles de la vie politique ne sont pas adaptées aux femmes, aux personnes jeunes ayant à s’occuper d’enfants. Les horaires des réunions ou des émissions de télé, la durée des séances du soir qui peuvent se prolonger très tard dans la nuit font qu’il est beaucoup plus facile d’être député lorsque l’on a une soixantaine d’années et que l’on est un homme, avec une femme derrière soi pour assurer l’intendance et s’occuper des enfants. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sylvain Berrios. J’ai des enfants et je m’en occupe : vos propos sont scandaleux !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. En tant que femme ayant un enfant – François de Rugy, qui copréside notre groupe, a aussi des enfants –, je peux vous dire que les conditions de la vie politique actuelle sont très difficiles. La coprésidence apporterait une souplesse d’organisation qui permettrait précisément d’allier plus facilement travail de législateur, présence dans la circonscription et échanges avec les associations.

M. Lionel Tardy. Vous voulez surtout une carte de visite officielle !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Se partager les tâches, c’est aussi se partager les emplois du temps difficiles que nous avons tous à gérer.

M. Sylvain Berrios. Vous êtes en train de vous partager les postes, oui !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Moderniser la vie politique, c’est aussi faire en sorte qu’elle ne soit plus uniquement adaptée aux hommes libérés de leurs obligations familiales. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. Jacques Myard. Ca va !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Je n’ai pas pu répondre à toutes les questions, mes collègues du groupe écologiste s’en chargeront. Pour terminer, je tiens à préciser qu’en tant que rapporteure, je suis opposée aux conclusions de rejet de la commission des lois sur lesquelles nous nous apprêtons à nous prononcer. Je vous invite donc à voter contre.

Vote sur les conclusions de la commission

M. le président. La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ayant conclu au rejet de la proposition de résolution, l’Assemblée, conformément à l’article 82, alinéa 3, du règlement, est appelée à voter sur ces conclusions de rejet.

Si ces conclusions sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée.

Au titre des explications de vote, la parole est à M. François Vannson, pour le groupe UMP.

M. François Vannson. Cela fait vingt ans que je siège dans cette assemblée : j’ai pu voir un certain nombre de choses mais, ce matin, je dois dire que je suis pour le moins surpris …

Mme Catherine Coutelle. Par de tels changements !

M. François Vannson. …de voir la position de la commission des lois balayée d’un revers de main. Nous avons le sentiment que ce sont des petits arrangements dans les couloirs qui sont à l’origine de cet état de fait. Dans ma vie de parlementaire, j’ai rarement connu de telles situations.

Je veux expliquer les raisons qui me poussent à adopter les conclusions de la commission.

Tout d’abord, ce texte, comme l’a très bien dit Lionel Tardy, n’est pas juridiquement stable. Il faudrait une loi organique. Je pense qu’il ne pourra pas franchir le seuil de la porte de cet hémicycle.

M. Patrick Hetzel. On ne peut pas jouer ainsi aux apprentis sorciers.

M. François Vannson. Ensuite, ce qui me dérange énormément, c’est que voter de telles modifications de notre règlement, c’est mettre le doigt dans l’engrenage, comme l’a très bien rappelé M. le président de la commission des lois, que je remercie pour avoir défendu la position de sa commission. Demain, pourquoi pas un coprésident de l’Assemblée nationale ?

M. Sylvain Berrios. Eh oui !

M. François Vannson. Pourquoi pas deux coprésidents du Sénat ? Pourquoi pas aussi deux coprésidents de la République ! (Exclamations sur les bancs des groupes écologiste et SRC.) Ce serait s’engager dans une évolution pour le moins scabreuse.

Même si le groupe écologiste est « co-proactif », il semble donner dans la multiplication des pains, comme le soulignait Gilbert Collard.

M. le président. La parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe écologiste.

M. Noël Mamère. Monsieur le président, mes chers collègues, nous écoutons toujours avec beaucoup d’attention l’excellent juriste qu’est notre président de la commission des lois. Les arguments qu’il a invoqués sont des arguments d’ordre juridique. Or, nous nous plaçons du point de vue politique.

M. Jacques Myard. Sexiste, oui !

M. Noël Mamère. La proposition de résolution présentée en notre nom par Barbara Pompili repose sur une double démarche.

Premièrement, contrairement à ce qui a été dit, ce texte intervient au bon moment puisqu’il s’inscrit dans la conquête de l’égalité des droits. Et, comme vous le savez, depuis mardi, nous sommes en train de débattre d’une question essentielle concernant l’égalité des droits.

Deuxièmement, il vient renforcer la parité, dans le droit fil de la loi de 1999 que Mme Lagarde a eu l’obligeance de citer. En 1999, quelques écologistes siégeaient sur les bancs de l’Assemblée, en particulier Marie-Hélène Aubert, qui a largement contribué à l’inscription de la parité dans la Constitution.

Mais cette résolution n’aurait pas de sens politique si elle ne s’inscrivait pas dans d’autres réformes que nous réclamons pour que le personnel politique reflète enfin la diversité de la société. Je pense à la limitation du cumul des mandats et à l’introduction massive de la proportionnelle, comme c’est le cas, par exemple, dans le système parlementaire allemand. Tant que nous ne lierons pas la modification du règlement à ces deux réformes, nous ne parviendrons pas à ce que la parité devienne une réalité dans notre assemblée.

Voilà pourquoi nous considérons que cette résolution n’a rien d’une coquetterie du groupe écologiste visant à étendre à tous les groupes la parité qu’il pratique en son sein. Vous avez dit tout à l’heure, monsieur le président de la commission des lois, qu’il s’agissait de conventions passées entre nous et que ces conventions conduisaient au bricolage. Les résistances qui se sont exprimées en commission – et je sais gré au groupe socialiste d’avoir changé de position sur ce point –, montrent l’ampleur du décalage entre le temps politique et le temps de la société.

François de Rugy a souligné combien les écologistes que nous sommes ont été en avance sur certains sujets, en avance par rapport à une certaine forme de conservatisme qu’expriment nos collègues. Dans quelques années, nous en sommes persuadés, il sera tout à fait naturel que des groupes soient coprésidés : la parité sera une réalité.

Mme Lagarde – et j’en termine – a rappelé que notre assemblée comptait 155 femmes. Mais la proportion de femmes que comptent les institutions de pays que nous considérons comme moins démocratiques que nous montre que nous sommes encore très retard. La proposition de notre groupe vise non seulement à rattraper ce retard mais aussi à tourner notre société politique définitivement vers le XXIe siècle et à l’empêcher de regarder avec nostalgie le XIXe. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe SRC.

M. Bruno Le Roux. Le président de la commission des lois a avancé un certain nombre d’arguments sur lesquels je n’ai rien à redire. Je tiens toutefois à indiquer que depuis nos réunions en commission des lois, les discussions se sont poursuivies…

M. Sylvain Berrios. Sans l’opposition ! On s’arrange.

M. Bruno Le Roux. …entre les différents groupes de la majorité. Nous avons abouti à une position qui, comme vient de le dire Noël Mamère, est une position politique. Elle se manifeste d’abord par la volonté du groupe majoritaire de maintenir cette proposition.

Nous avons ouvert la discussion sur tous les textes, le reste de la journée va le montrer. Sur celui-ci, le groupe écologiste avait la volonté d’un affichage fort se traduisant par une modification du règlement de notre assemblée. Nous avons pensé que politiquement, ce serait un mauvais signe que de refuser un tel affichage en faveur de la parité, d’autant que le texte ne prévoit aucune obligation en la matière et laisse le choix à chaque groupe d’user ou non de la faculté qui lui est donnée.

Par ailleurs, nous ne voulons pas que le rejet de ce texte permette d’avaliser de quelque manière que ce soit le regard que certains dans l’opposition portent parfois. À cet égard, je regrette l’expression d’ « enfants gâtés » qui a pu être employée ou encore les insinuations sur le manque d’électeurs. Je veux le dire ici, l’accord que nous avons passé fait qu’aujourd’hui le groupe socialiste et le groupe écologiste représentent la très grande majorité des électeurs de ce pays. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Franck Gilard. Vous vous êtes bien fait avoir !

M. Bruno Le Roux. Je ne suis pas en train de faire des comptes : les socialistes ont peut-être été élus par beaucoup plus d’électeurs écologistes qu’ils ne le pensent et inversement.

M. Jacques Myard. C’est la IVe République !

M. Bruno Le Roux. Nous formons aujourd’hui une majorité. C’est dans ce cadre que je souhaite soutenir cette proposition de résolution.

M. Sylvain Berrios. Vous humiliez la commission !

M. Bruno Le Roux. Enfin, pour amener certains dans l’opposition à un vote positif, pour les rassurer, peut-être aurions-nous dû déposer un amendement prévoyant la possibilité d’exclure de la mise en œuvre de cette coprésidence paritaire les groupes faisant chuter la proportion de femmes dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Car en matière de parité, c’est toujours la même chose : quelle distance chez certains entre les discours et les travaux pratiques ! Le groupe UMP en est la parfaite illustration : il ne compte ce matin aucune députée dans ses rangs. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme Sonia Lagarde. Très bien !

M. Sylvain Berrios. Vous vous reniez ! Vous aviez voté contre en commission !

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix les conclusions de rejet de la commission.

(Les conclusions de la commission ne sont pas adoptées.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de résolution.

Article 1

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Je pense que la représentation du groupe UMP ce matin sur ces bancs manque un peu de parité. Je ne sais pas ce que vous avez fait des femmes, mais il n’y en a plus aucune à l’UMP ! Elles ne sont pourtant pas nombreuses… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. C’est lamentable !

M. François Vannson. Ce n’est guère mieux chez vous !

M. Patrick Hetzel. C’est une approche sexiste !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Vous devriez utiliser les mots à bon escient !

Étant présidente de la délégation aux droits des femmes, j’apprécie particulièrement, vous vous en doutez bien, que le premier texte examiné aujourd’hui traite de parité.

Cette proposition de résolution s’inscrit dans une option facultative – les deux présidents de groupe ont bien souligné ce point, que je tiens à rappeler – de modernisation, de transparence et d’innovation de la vie politique.

M. Sylvain Berrios. Alors ça, comme innovation !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous pouvons partager ces objectifs.

Elle s’inscrit aussi dans la lignée des gestes forts, que mènent le Gouvernement et le Président de la République depuis mai 2012,…

M. Sylvain Berrios. Quelle est la priorité ? Mobiliser l’Assemblée, c’est votre priorité !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. …tels que la mise en place d’un gouvernement paritaire, la nomination d’une ministre aux droits des femmes – et des hommes –, et également, vous l’avez indiqué dans votre proposition de résolution, la volonté d’améliorer la représentation des femmes en politique.

Mme Lagarde a du reste parfaitement souligné l’ampleur de notre retard puisque l’Assemblée nationale, qui n’autorise les femmes à siéger que depuis 1945, ne comptait à une époque pas plus de huit députées femmes ! Voilà l’exploit que nous avons accompli au début de la Ve République, je me permets de vous le rappeler, chers collègues de l’UMP !

La parité reste donc un combat, que vous souhaitez inscrire dans le règlement de l’Assemblée, non pas comme une obligation sur ce point précis, mais comme une faculté.

Elle s’inscrit en outre dans la modernisation de l’Assemblée nationale voulue par le président Bartolone puisque, pour la première fois, les présidences des commissions sont réparties de façon paritaire : il y a autant de femmes que d’hommes présidents de commission.

Pour toutes ces raisons, la délégation aux droits des femmes se réjouit de cette proposition de résolution et la soutiendra, car nous devons continuer ce combat.

Je vois mal comment les députés de l’UMP pourraient nous donner des leçons…

M. Jacques Myard. Et vous donc !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. …quand on constate l’absence de représentation féminine parmi eux ce matin ; mais peut-être n’est-ce qu’un accident. De plus, la lutte pour la parité dans ce parti politique, telle qu’elle rejaillit dans l’Assemblée, se limite à une lutte entre deux hommes – MM. Copé et Fillon – et entre deux groupes.

Nous avons une autre vision de la parité : les femmes doivent être représentantes du peuple dans cette assemblée à égalité avec les hommes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. Lionel Tardy. Dans votre parti, il n’y pas d’élection : comme ça, c’est plus simple !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Quant à vous, vous avez cherché à faire des primaires, mais cela n’a pas réussi !

M. Lionel Tardy. Mais vous, vous n’en faites même pas, des primaires !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n° 1.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, qui substitue au terme de « coprésidents » le terme de « présidents ».

Je ne m’étendrai pas sur ce sujet, que j’ai déjà évoqué lors de mon intervention liminaire.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, vous avez bien compris que, compte tenu de la nature de la discussion, le Gouvernement s’abstiendra de toute intervention.

M. Lionel Tardy. Oui, cela vaut mieux !

M. Jacques Myard. Vous n’étiez pas dans les pourparlers de couloir !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. C’est la loi, monsieur Myard !

(L’amendement n° 1 est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n° 4.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Cet amendement vise à restreindre l’accord exprès des présidents à la seule composition des groupes, c’est-à-dire aux nouvelles adhésions et aux apparentements.

(L’amendement n° 4 est adopté.)

(L’article 1, amendé, est adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n° 2.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Cet amendement tire les conséquences, dans tout le règlement, de la présence de deux présidents par groupe.

Il précise également que les deux coprésidents ne pourront siéger simultanément ni à la Conférence des présidents, ni au Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

M. Lionel Tardy. C’est incroyable !

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Je souhaite rappeler à Mme Pompili – cela a déjà été dit lors de la discussion générale – que ce texte pose un problème de fond concernant la hiérarchie des normes. Ce texte créera très vite une difficulté institutionnelle. Il est surprenant qu’un groupe politique qui, par ailleurs, se montre assez allant pour défendre le principe de précaution, ne l’applique absolument pas dans ce texte.

M. Lionel Tardy. Bravo !

M. Patrick Hetzel. Nous ne pouvons évidemment pas adopter un tel amendement car, si nous tirons ce fil, nous risquons de nous trouver dans une difficulté institutionnelle majeure.

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Laquelle ?

M. Patrick Hetzel. C’est la raison pour laquelle ce texte ne devrait pas être adopté.

(L’amendement n° 2 est adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

M. Jacques Myard. C’est ringard !

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de résolution.

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble de la proposition de résolution auront lieu le mardi 12 février, après les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à onze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Indépendance de l’expertise
en matière de santé et d’environnement
et protection des lanceurs d’alerte

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi adoptée par le Sénat relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. (nos 432, 650, 384)

Présentation

M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les défis posés par les risques émergents demandent une structuration adaptée, fiable et transparente de la recherche et de l’expertise. Il s’agit de les traiter selon une procédure traçable et de leur apporter une réponse satisfaisante.

La ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, Delphine Batho, a eu l’occasion au Sénat, en octobre dernier, de souligner l’utilité de l’initiative parlementaire sur ces questions et l’attachement du Gouvernement à faire avancer ces sujets.

La richesse des échanges parlementaires montre d’ailleurs l’importance du sujet. Ils avaient permis d’aboutir à un texte équilibré, renforcé par le dialogue parlementaire mais dont une partie devait être rediscutée, notamment en raison de la négociation sur la sécurisation de l’emploi qui était alors en cours.

Nos débats aujourd’hui, je le souhaite, s’inscriront dans cette dynamique, complétant les travaux menés par les commissions des affaires sociales et du développement durable de l’Assemblée. Je tiens d’ailleurs, au nom du Gouvernement, à saluer la qualité du travail accompli par les deux rapporteurs, M. Jean-Louis Roumegas et Mme Marie-Line Reynaud.

Comme l’indique son nouvel intitulé, modifié au Sénat, la proposition est relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement, et vise à créer non plus une nouvelle agence, dénommée « Haute autorité », mais une commission, structure plus légère et mieux à même d’assurer cette mission transversale.

Il a été décidé que son indépendance par rapport aux ministères serait assurée par sa composition, incluant non seulement des représentants de l’État, mais également des parlementaires, des membres du Conseil économique, social et environnemental et des experts.

Par ailleurs, l’ouverture de la possibilité de saisine de la commission au-delà des seuls membres du Gouvernement apparaît comme un gage de son indépendance.

Elle aura vocation non pas à se substituer aux instituts et agences existants, mais à être un lieu de dialogue pour harmoniser les principes déontologiques et partager les bonnes pratiques de l’expertise.

L’ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail s’est par exemple dotée, en avril 2011, d’un comité de déontologie et de prévention des conflits, d’un code de déontologie de l’expertise et d’une cellule d’audit interne.

M. Gérard Bapt. Le Parlement y a contribué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. L’INERIS, Institut national de l’environnement industriel et des risques, dispose depuis 2004 d’une charte de déontologie et d’un comité de déontologie.

La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement aura pour mission d’émettre des recommandations générales afin d’harmoniser les différents codes de déontologie existants dans les établissements publics et de diffuser les bonnes pratiques à l’ensemble des établissements intervenant dans les domaines de la santé et de l’environnement.

Elle pourra également donner un avis consultatif à un établissement public qui ne dispose pas d’un comité de déontologie et qui s’interroge sur le respect des principes déontologiques dans le cadre d’une procédure d’expertise.

Il ne s’agit pas de venir imposer une nouvelle strate de réglementation aux établissements, mais de conduire à un effet d’entraînement entre ceux qui ont déjà largement engagé ce mouvement et ceux qui doivent encore y travailler.

Cette posture permettra à cette commission de travailler rapidement et de rencontrer une grande adhésion de la part des organismes concernés. In fine, c’est bien l’efficacité qui est visée.

Cette commission œuvrera enfin à diffuser les bonnes pratiques d’ouverture à la société civile des organismes publics, telle qu’elle est pratiquée notamment à l’ANSES, l’INERIS et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Il s’agit de procédures de consultation et d’auditions ouvertes aux parties prenantes, notamment aux ONG, ou alors de mise en place de comités de dialogue thématiques et de comités d’orientation.

Ces bonnes pratiques de consultation et d’auditions ouvertes participent d’une meilleure compréhension réciproque entre la société et les chercheurs et experts. Elles permettent également une meilleure appréhension de la teneur des expertises, ainsi qu’une meilleure prise en compte des préoccupations sociétales dans le choix des orientations de recherche.

Enfin, la Commission nationale de la déontologie et des alertes se verra confier un rôle général de suivi des alertes : d’une part, elle transmettra les alertes qu’elle recevra aux ministres compétents, complétant ainsi les dispositifs de prise en compte des alertes dans les établissements et sur le terrain ; d’autre part, elle assurera un suivi des procédures d’enregistrement des alertes dans les établissements.

Il s’agit bien, sans alourdir un processus qui deviendrait stérile, de s’assurer que l’ensemble des alertes trouvent à être portées.

La proposition de loi vise à éviter que des alertes ne soient perdues ou ignorées. Elle oblige les organismes publics à créer et tenir des registres de ces alertes, lesquels indiqueront les suites qui y sont données, et notamment si l’alerte a donné lieu à une expertise ou à un avis spécifique.

Un tel dispositif est gage d’une traçabilité qui est un facteur clé dans la bonne prise en compte des signaux et dans l’instruction ultérieure des alertes.

Il s’agit, là encore, de généraliser les bonnes pratiques déjà mises en œuvre dans certaines agences et établissements publics de recherche. Une charte nationale de l’expertise scientifique, élaborée en mars 2010 par le ministère de la recherche, assure un premier niveau de traitement de l’alerte au sein des organismes de recherche. Ainsi, en cas de signalement d’un risque en leur sein, ces établissements devront rendre un avis sur les suites à donner en termes d’expertise. En mai 2012, la charte avait été adoptée par treize établissements d’enseignement supérieur et de recherche et par quarante universités.

À l’Assemblée, la discussion s’est principalement poursuivie sur le titre II visant à « sécuriser le lancement de l’alerte ». Les propositions du rapporteur M. Roumegas, ont ainsi permis d’apporter les pierres manquantes à l’édifice législatif. Ces propositions vont dans le bon sens, celui de reconnaître un droit d’alerte à l’intérieur de l’entreprise et de fixer les modalités concrètes permettant sa mise en œuvre.

Ce droit sera reconnu non seulement à tout travailleur de toute entreprise, mais aussi à chaque représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et même, en application des articles L. 4611-2 et 3 du code du travail, aux délégués du personnel dans les conditions fixées par ces articles.

Ce point est important car, en complément des mesures de protection prévues par le titre V, le représentant du personnel bénéficie d’une protection spéciale en cas de licenciement.

Ce droit s’exercera en cas de risque grave, ce qui se justifie par la nécessité de ne pas utiliser ce droit pour des risques anodins et pour rester en cohérence avec les dispositions déjà prévues par le code du travail sur la santé au travail.

Une procédure est organisée pour répondre à l’alerte et un retour pour information est prévu devant le CHSCT après une alerte, tout en laissant la possibilité, ici rappelée, de saisir le représentant de l’État en cas de divergence sur le bien-fondé de l’alerte ou en l’absence de suite de la part de l’employeur.

Le Gouvernement est aussi d’accord pour étendre l’obligation d’information des salariés à la santé publique et à l’environnement sur un même plan que la santé au travail.

Il appuie de même la proposition de ne pas étendre, à ce stade, les missions et attributions des CHSCT à la santé publique et environnementale. La compétence du CHSCT, c’est la santé au travail, la protection de la santé des travailleurs, l’amélioration des conditions de travail. En l’étendant à la santé publique et à l’environnement, on transformerait le CHSCT, qui ne serait plus seulement une instance représentative du personnel. Une telle évolution nécessiterait une modification de ses moyens d’action : consultations, droit d’enquête, formation de ses membres, recours à l’expertise… Il ne se serait pas agi, vous l’avez bien compris, d’une réforme mineure du CHSCT.

Une telle évolution n’aurait pu ou ne pourrait se faire sans que les partenaires sociaux en aient débattu. La voie de la négociation collective devrait être privilégiée. C’est un principe auquel nous sommes très attachés de démocratie sociale, que nous voulons enraciner dans notre pays. C’est la voie que le Gouvernement a prise en organisant la grande conférence sociale au mois de juillet dernier, et le Président de la République a d’ailleurs annoncé qu’une nouvelle conférence sociale se tiendra à partir de juillet 2013.

Nous sortons d’une négociation importante sur la sécurisation de l’emploi, avec l’accord du 11 janvier.

M. Michel Issindou. Bel accord !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Cet accord a suivi celui, signé par toutes les organisations, sur le contrat de génération. Les négociations sur les instances représentatives du personnel et celles sur la qualité de vie au travail doivent reprendre leur cours normalement.

Le Gouvernement entend laisser aux partenaires sociaux l’initiative de faire évoluer le CHSCT en ayant une vision globale de cette instance : l’extension des attributions du CHSCT au champ de la santé publique et environnementale ne sera d’ailleurs pas la seule question à traiter dans cette optique.

Lors de la grande conférence sociale de juillet prochain, au plus tard, le Gouvernement dira les suites qu’il entend donner aux négociations sur la qualité de vie au travail et sur les instances représentatives du personnel et en tirera les conséquences pour l’évolution du CHSCT.

S’agissant du titre III sur la responsabilité sociétale des entreprises en revanche, le Gouvernement ne souhaite pas que cette question soit traitée dans le cadre de la proposition de loi.

Lors de la grande conférence sociale de juillet 2012, des engagements ont été pris avec les partenaires sociaux pour avancer sur la notation sociale. La feuille de route prévoit d’inclure cette problématique de la qualité de vie au travail ainsi que d’autres dimensions constitutives de la responsabilité sociale des entreprises dans la négociation. À l’issue de la conférence environnementale de septembre 2012, les liens entre responsabilité sociale des entreprises et investissement socialement responsable ont été précisés dans l’atelier dédié à cette question.

Une mission confiée à trois personnalités est chargée actuellement de préciser le champ et les enjeux de la responsabilité sociale des entreprises, au niveau international comme national. Ses analyses et propositions seront présentées cet été, lors de la grande conférence sociale, à partir de juillet.

Enfin, concernant la protection juridique des lanceurs d’alerte, nul ne doit pouvoir être inquiété parce qu’il aurait révélé un danger sanitaire ou environnemental.

La protection des lanceurs d’alerte contre toute forme de discrimination dans l’entreprise est déjà prévue par le code du travail pour ce qui concerne spécifiquement les faits de corruption. Elle est également prévue dans le code de la santé publique en matière de sécurité des produits de santé, du fait de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

Néanmoins, aucune protection des lanceurs d’alerte n’existe aujourd’hui en matière environnementale. À cette fin, l’article 17 de la proposition de loi étend le dispositif de protection des lanceurs d’alerte mis en place par la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé à l’ensemble du champ de la santé et de l’environnement.

Dans ce cadre, les personnes qui sont victimes de discrimination parce qu’elles ont relaté des faits relatifs à des atteintes à la santé publique ou à l’environnement pourront saisir le Défenseur des droits.

L’article 17 modifie la charge de la preuve et la fait porter sur la personne accusée d’avoir pris une mesure discriminatoire, et non sur le lanceur d’alerte. C’est là un renversement de la charge de la preuve qui paraît opportun.

L’article 19 est le pendant de l’article 17. Il permet la poursuite d’un abus éventuel de ce droit d’alerte au titre de la dénonciation calomnieuse. Ces deux articles constituent les deux bornes du dispositif, c’est-à-dire son équilibre.

Voici détaillées les dispositions de la proposition de loi de Mme Blandin, à laquelle je souhaite rendre hommage pour son travail. Nous sommes à une nouvelle étape du parcours de ce texte. Il s’agit maintenant d’entériner la démarche entreprise au Sénat à l’automne et de nourrir le débat parlementaire des éléments nécessaires pour rétablir la confiance de nos concitoyens dans les autorités et les procédures scientifiques d’évaluation des risques. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux et fier de vous présenter aujourd’hui la présente proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte.

Cette proposition de loi du groupe écologiste du Sénat me paraît tout à fait en phase avec les attentes des Françaises et des Français. Vous le savez, les questions de sécurité sanitaire sont devenues un sujet de préoccupation majeur pour nos concitoyens et ne peuvent plus, aujourd’hui, être confinées dans des débats d’experts qui laisseraient de côté la société civile. Nous sommes dans ce que les sociologues appellent une société du risque scientifique et technologique, et ce risque s’accentue au rythme de progrès toujours plus rapides. Évidemment, il ne s’agit pas d’être contre le progrès et l’innovation technologique, mais simplement de s’assurer que ce progrès ne s’accompagne pas d’un recul en matière de santé publique et d’environnement.

Notre système d’expertise ne peut plus fonctionner en vase clos. Les scandales sanitaires et environnementaux qui ont émaillé l’actualité de ces vingt dernières années ont grandement contribué à émousser la confiance des Français dans notre dispositif de sécurité sanitaire. On peut d’autant moins leur donner tort que l’actualité est aujourd’hui marquée par cette nouvelle affaire concernant les pilules de troisième et quatrième générations.

Notre système d’agences sanitaires a su se rénover une première fois après les crises du sang contaminé et de la vache folle. Depuis le Grenelle de l’environnement, une réflexion sur la déontologie de l’expertise est à l’œuvre. Elle a pu se traduire par de nouveaux modes de gouvernance, par exemple au sein de l’ANSES qui s’est dotée d’un comité de déontologie.

Les organismes publics de recherche et d’expertise sont toutefois loin de tous appliquer le même modèle de gouvernance, ouvert à la société civile, ni les mêmes principes de déontologie et d’expertise.

Combien de scandales auraient pu être évités, ou du moins anticipés et limités dans leurs conséquences – je vous renvoie notamment aux différents rapports parlementaires sur l’amiante – si les signaux d’alerte lancés par des individus, des chercheurs, des médecins, parfois de simples salariés ou de simples citoyens, avaient été correctement pris en compte et analysés ?

Que dire des intimidations, des poursuites judiciaires ou des sanctions disciplinaires auxquelles ces lanceurs d’alerte ont, en outre, dû faire face alors qu’ils n’avaient pour horizon que le bien commun ? Bien sûr, on pourra nous rétorquer que de fausses alertes existent, que les paranoïaques courent les rues, que ce texte va encourager les dérives. Nous répondrons à ces objections. Mais que dit la loi aujourd’hui ? Rien.

Nous devons donc affronter ces questions et y apporter des réponses, nous donner collectivement les moyens de faire en sorte que le « plus jamais ça » que l’on entend inévitablement après une catastrophe sanitaire ou environnementale ne soit pas un vœu pieux mais se traduise concrètement : par un dispositif efficace de recueil et d’analyse des alertes ; par une protection des lanceurs d’alerte, afin qu’aucune mesure discriminatoire ne puisse être prise à leur encontre ; et par une meilleure diffusion des principes déontologiques de l’expertise, notamment en ce qui concerne les conflits d’intérêts.

Cette proposition de loi est donc à la fois le fruit d’une réflexion de longue date et d’une expérience, celle des lanceurs d’alerte, que nous avons beaucoup écoutés, ainsi que des chercheurs, des juristes et des sociologues qui ont travaillé sur cette notion.

En cet instant, je ne peux m’empêcher d’évoquer quelques exemples. Je pense au parcours exemplaire d’Irène Frachon, pneumologue, isolée face au mépris des institutions alors qu’elle a alerté sur les risques du Mediator pendant des années, avant d’être finalement reconnue en 2010. Je pense à Pierre Meneton, chercheur à l’INSERM, qui avait dénoncé les dosages trop importants en sel dans les aliments de base et fut attaqué en justice par le lobby du sel : il a gagné son procès en 2008. Et j’ai une pensée particulière pour Jean-Jacques Melet, que j’ai connu personnellement. Il avait dénoncé les intoxications par les vapeurs de mercure émanant des plombages dentaires. Attaqué de toutes parts, il a fini par se suicider. La liste est longue, trop longue.

Pour nous convaincre du bien-fondé de ce texte, il suffit de se plonger dans le tout récent rapport de l’Agence européenne pour l’environnement : ces 700 pages, publiées le 23 janvier dernier, permettent de mesurer l’impact du développement de nouvelles technologies ayant eu des effets néfastes pour l’homme et pour son environnement. Je le cite : « Les études de cas historiques montrent que les avertissements ont été ignorés ou mis à l’écart jusqu’à ce que les dommages pour la santé et l’environnement ne deviennent inéluctables. »

Comment expliquer ces négligences ? L’Agence relève que « les entreprises ont privilégié les profits à court terme au détriment de la sécurité publique, en cachant ou en ignorant l’existence de risques potentiels. Dans d’autres cas, les scientifiques ont minimisé les risques, parfois sous la pression de groupes d’intérêts. »

Il est temps de faire l’économie de ces erreurs et de ces atermoiements. En 2011, le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante a déjà engagé 3 milliards d’euros de dépenses. Dans les vingt prochaines années, on estime que les dépenses d’indemnisation se situeront dans une fourchette comprise entre 26 et 37 milliards.

En tout état de cause, pour nous, parlementaires, il est temps de rétablir le devoir de protection pour tous les citoyens, en garantissant une expertise fiable et détachée des conflits d’intérêts. Nous donnerons suite, ainsi, à des engagements pris par les gouvernements successifs. Je pense à la loi Grenelle 1, dans laquelle un vote unanime, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, avait permis d’insérer les phrases suivantes : « La création d’une instance propre à assurer la protection de l’alerte et de l’expertise, afin de garantir la transparence, la méthodologie, la déontologie des expertises, sera mise à l’étude. Elle pourra constituer une instance d’appel en cas d’expertise contradictoire et pourra être garante de l’instruction des situations d’alerte. ». Malheureusement, le précédent gouvernement n’a jamais donné suite à cette promesse – ce n’est pas la seule qu’il ait reniée, alors que c’est lui qui avait pourtant lancé l’opération du Grenelle de l’environnement.

Aujourd’hui, c’est par une initiative parlementaire issue du groupe écologiste, et sur laquelle l’ensemble de la majorité actuelle s’est rassemblée, que nous allons passer aux actes. Cette proposition de loi est le fruit d’un travail parlementaire minutieux, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Je veux commencer par saluer, bien sûr, le travail de nos amis sénateurs, en particulier Marie-Christine Blandin, auteure du texte, Ronan Dantec et Aline Archimbaud. Je tiens également à saluer le travail de Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de notre commission du développement durable, avec qui j’ai travaillé en parfaite intelligence, en ayant pour seul objectif d’améliorer la proposition de loi. Je voudrais aussi remercier l’ensemble des collègues qui ont contribué à ce travail, parmi lesquels Gérard Bapt, Bernadette Laclais, Fanny Dombre-Coste, Véronique Massonneau, mais également le professeur François-Bernard Michel. Je salue enfin l’excellent travail des administrateurs de l’Assemblée.

Nous avons mené pas loin d’une vingtaine d’auditions sur ce texte, et nous avons, autant que faire se pouvait, tenu compte des remarques de chacun afin d’aboutir à un texte cohérent et constructif.

Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales qui vous est soumis aujourd’hui prévoit, en premier lieu, une définition du droit d’alerte, placée en exergue du texte, sous la forme d’un article 1er A. C’est une initiative de la commission du développement durable, qui a souhaité déplacer et toiletter les dispositions figurant initialement à l’article 8, permettant ainsi de consacrer entièrement le titre II à l’alerte en entreprise.

Cette définition du droit d’alerte met l’accent sur le critère tout à fait essentiel de bonne foi et a pour corollaire l’absence de toute imputation diffamatoire ou injurieuse.

En deuxième lieu, la présente proposition de loi prévoit la création d’une commission nationale chargée d’émettre des recommandations en matière de déontologie de l’expertise, afin de garantir : qu’un même niveau d’exigence s’applique quels que soient les organismes d’expertise et de recherche ; que tous accordent une attention particulière à la question des conflits d’intérêts ; et que la société civile soit mieux intégrée à cette réflexion.

Cette commission se verra, en outre, confier un rôle de supervision des alertes, avec pour mission principale de veiller aux procédures d’enregistrement de ces alertes et, le cas échéant, de transmettre celles dont elle serait saisie aux ministres compétents.

Ces dispositions, qui figurent dans le titre Ier, ont été précisées par plusieurs amendements. L’un d’entre eux a confié à cette commission la tâche de définir les critères de recevabilité des alertes. Il a également été précisé que, après la transmission d’une alerte, les décisions des ministres ou des agences devront être motivées et que la commission devra informer la personne qui l’avait saisie des suites données à l’alerte. Enfin, le rapport annuel de la commission devra comprendre une évaluation des procédures d’enregistrement des alertes mises en œuvre par les organismes publics de recherche et d’expertise.

S’agissant des personnes habilitées à saisir la commission, l’article 2 a été modifié afin d’insérer dans cette liste les ordres professionnels intervenant dans les secteurs de la santé et de l’environnement. Nous répondons par là, entre autres, à une demande de l’Ordre des pharmaciens, ainsi que de celui des architectes, lesquels sont concernés par la salubrité dans les bâtiments.

En ce qui concerne la composition de la commission, un amendement de Mme Reynaud a été adopté afin de faire en sorte qu’elle ne soit pas figée dans la loi. Votre rapporteur a, pour sa part, proposé que des experts en sciences sociales fassent également partie de la commission. Un amendement du groupe écologiste, qui a été adopté, a prévu que la composition serait paritaire.

M. Michel Issindou. Voilà une bonne idée. Une de plus.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Enfin, les règles de prévention des conflits d’intérêts au sein de la commission ont été renforcées à l’article 5.

Comme je l’ai indiqué précédemment, le titre II est désormais entièrement consacré à l’exercice du droit d’alerte dans l’entreprise. Il a en outre fait l’objet d’un remaniement important. En effet, après avoir reçu l’ensemble des partenaires sociaux et entendu leurs arguments, ainsi que ceux du ministère du travail, il nous est apparu difficile de maintenir l’ensemble du dispositif tel qu’adopté au Sénat, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, des négociations sont en cours, comme M. le ministre vient de le rappeler, entre les partenaires sociaux sur les institutions représentatives du personnel. Il nous a donc semblé prématuré de décider d’une extension des missions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Ensuite, il nous est apparu clairement, lors des auditions, qu’en l’absence de moyens nouveaux dévolus aux CHSCT, il leur serait de toute façon très difficile d’exercer de nouvelles prérogatives.

Enfin, et surtout, votre rapporteur a considéré que l’alerte ne pouvait, en tout état de cause, être confinée à l’entreprise…

M. le président. Merci de conclure, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. …et que si le CHSCT, ou le représentant du personnel qui y siège, devait pouvoir venir en appui du salarié lanceur d’alerte, il ne pouvait être responsable de la gestion de l’alerte. C’est en effet non seulement le rôle de l’employeur et sa responsabilité, mais c’est aussi celui des pouvoirs publics.

C’est ainsi que la commission des affaires sociales a adopté un amendement de rédaction globale de l’article 9 créant un chapitre spécifique au sein du code du travail pour traiter de la question des alertes en matière de santé publique et d’environnement.

Cette nouvelle rédaction permet de séparer…

M. le président. On a compris, monsieur le rapporteur. Veuillez conclure.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Je termine très rapidement, monsieur le président.

Cette nouvelle rédaction permet de séparer le droit d’alerte en matière sanitaire et environnementale du droit d’alerte et de retrait accordé aux salariés en cas de « danger grave et imminent » pour leur santé ou leur sécurité.

Nous avons voulu conserver une dimension collective à la prise en charge de l’alerte…

M. le président. Merci. Mme Reynaud se prépare.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Je peux terminer, monsieur le président ? En une minute ?

M. le président. Mais oui, c’est ce que je vous demande.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Je conclus, donc, en me félicitant du travail ainsi accompli en commission, qui a reçu une large approbation de la majorité.

L’idée sous-jacente de la proposition de loi est de faire en sorte qu’il n’y ait plus d’alertes perdues ou ignorées. Nous devrions tous, majorité et opposition, nous retrouver dans cet objectif.

Les dispositions prévues par le texte sont simples et pragmatiques : elles visent à créer des conditions favorables au lancement de ces alertes mais aussi à leur prise en compte et à leur traitement par les organes d’expertise de l’État.

La reconnaissance du rôle des lanceurs d’alerte et leur protection constituent aujourd’hui un élément essentiel dans l’équilibre des rapports entre science et démocratie. À cet égard, la proposition de loi se borne à introduire un dispositif de protection des lanceurs d’alerte.

Il n’y a pas de crainte à avoir sur d’éventuels débordements : l’alerte est précisément définie.

Comme je l’ai dit en commission, il n’est pas question de limiter la liberté d’expression. L’objectif du texte n’est pas non plus de créer une société de l’alerte permanente, qui serait délétère : il s’agit de bien orienter ces alertes et de faire en sorte qu’elles soient adressées aux bonnes personnes pour être in fine traitées, expertisées et, si c’est nécessaire, qu’une solution soit trouvée.

Je vois mal comment on pourrait s’opposer à un tel objectif. C’est pourquoi j’invite tous les députés de cet hémicycle à apporter leur soutien à ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai tout d’abord une pensée pour Mme Françoise Garandeau, décédée lundi, élue verte de mon département et médecin du travail, qui était très heureuse que ce texte arrive enfin à l’Assemblée nationale.

Le jour même où la commission des affaires sociales, saisie au fond, examinait la présente proposition de loi, l’Agence européenne pour l’environnement publiait un rapport sur la prise en compte tardive des alertes. Intitulé Signaux précoces et leçons tardives : science, précaution, innovation, il recense sur 700 pages l’ensemble des failles du système sanitaire et environnemental dans l’Union européenne ainsi que dans d’autres régions du monde.

L’intérêt de ce rapport est qu’il constitue la suite d’un travail dont la première partie a été publiée en 2001, et tout semble indiquer que les leçons du passé n’ont été tirées qu’à la marge, comme s’il était inéluctable de vivre dans un monde de plus en plus nocif pour la santé et l’environnement, avec des lanceurs d’alerte qui ne sont pas écoutés et des industriels qui cherchent à influencer les responsables politiques.

Le rapport de M. Roumegas et le mien ont été rédigés préalablement à la publication de celui de l’Agence européenne, mais ils opèrent le même constat : depuis plus de trente ans, notre histoire est émaillée de scandales dont nous tirons rarement les leçons.

Deux points sont à mettre en lumière : d’une part, quand des lanceurs d’alerte se font connaître, leur parole est ignorée ; d’autre part, les effets de la dangerosité d’un produit sont souvent niés pendant des années avant d’être finalement reconnus. Le sel dans l’alimentation, le plomb dans les carburants, les hormones de synthèse dans les contraceptifs oraux, le bisphénol A sont autant d’exemples. Or, l’inaction a un coût, tant en termes de vies humaines que de dépenses de santé.

C’est avec intérêt que la commission du développement durable s’est saisie pour avis de cette proposition. Je tiens à remercier notre président, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Roumegas, rapporteur de ce texte, avec qui l’entente a été très bonne, et ma collègue Fanny Dombre Coste pour son aide lors de mes réflexions préparatoires. Il s’agit en effet d’un véritable problème de société. Nous avons travaillé avec un objectif très précis, améliorer le dispositif de ce texte afin d’en préserver l’essence. Pour la majorité de la commission, l’initiative de Mme Blandin porte deux questions fondamentales : il s’agit de savoir, d’une part, si la parole de citoyens de bonne foi peut être prise en considération et, d’autre part, si les expertises auxquelles recourent des organismes publics s’entourent de toutes les garanties d’indépendance.

Comme je l’ai dit, nous avons tous en mémoire différents scandales sanitaires. La plupart d’entre eux auraient pu être d’une moindre ampleur si les pouvoirs publics avaient écouté, à un moment donné, les personnes qui les ont avertis d’un danger pour la santé ou l’environnement.

M. Gérard Bapt. C’est vrai !

Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis. Ces personnes étaient pour la plupart des scientifiques, mais l’on relève aussi parmi elles des personnes sans qualification particulière, qui ont suivi leur conscience en accomplissant un acte citoyen. Or, au lieu d’être soutenues, toutes ces personnes ont subi des pressions de leur hiérarchie, ont été privées de crédits de recherche et ont fait face à des procès, qu’elles ont gagnés la plupart du temps. Ces pressions se sont déroulées dans le secteur privé mais également dans le secteur public.

La commission du développement durable a estimé qu’il fallait lancer un signal clair en faveur des lanceurs d’alerte. Voilà pourquoi elle a donné un avis favorable aux titres Ier et III, compte tenu de quelques amendements repris par la majorité de la commission des affaires sociales, que je remercie pour son soutien. Elle ne s’est en revanche pas prononcée sur le titre II.

Grâce à cette proposition de loi, la France suivra l’exemple de pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Autriche ou l’Afrique du Sud, qui ont reconnu la valeur des lanceurs d’alerte dans leur société. Plus largement, ce texte pose que les questions de santé et d’environnement ne sont pas l’apanage des pouvoirs publics ou des spécialistes et reconnaît à chacun le droit minimal de soulever un problème, en lui assurant une protection juridique dès lors que son action n’a pas un caractère diffamatoire.

J’insiste sur ce dernier point – s’assurer que l’alerte n’est pas le prétexte d’une diffamation masquée. C’est pour cette raison que nous avons introduit la notion de bonne foi dans le texte. Pour des raisons que je ne saisis pas, nos collègues de l’opposition ont estimé que cette notion était fragile et sujette à caution, alors qu’elle est solidement inscrite dans notre code civil et correspond à la croyance qu’a une personne de se trouver dans une situation conforme au droit, avec la conscience d’agir sans léser les droits d’autrui. C’est exactement la situation des lanceurs d’alerte. C’est en toute bonne foi et, précisons-le, avec un total désintéressement qu’ils signalent à la société des éléments considérés comme dangereux pour la santé et l’environnement.

J’en arrive brièvement au second volet de ce texte : l’indépendance de l’expertise.

Assurer une expertise indépendante et impartiale est l’autre objectif de la proposition de loi. Sans cela, en effet, les alertes resteraient vaines. La plupart des scientifiques lanceurs d’alerte ont souligné que les objectifs de profit des industriels, toujours à court terme, étaient peu compatibles avec les évaluations sanitaires et environnementales, qui exigent plus de temps.

Il ne s’agit évidemment pas, par cette affirmation, de couvrir d’un voile de suspicion le monde de la recherche, notamment celui du secteur privé, qui est indispensable tant pour le progrès scientifique que pour notre économie. Il s’agit de doter notre pays de mécanismes afin que les agences en charge de l’expertise sanitaire ou environnementale puissent œuvrer selon des règles déontologiques.

La déontologie est en effet une garantie d’indépendance. Nous ne pouvons, et ne devons d’ailleurs pas, empêcher les liens que les chercheurs nouent avec des organismes privés. Il convient en conséquence d’établir des procédures contradictoires et de soumettre les travaux de nos agences sanitaires à des règles déontologiques.

Le titre Ier de la proposition de loi vise à satisfaire cette exigence en instituant une commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement. Là encore, après Jean-Louis Roumegas, je tiens à rassurer l’Assemblée sur le fait qu’elle ne constituera pas une autorité nouvelle, dotée d’une personnalité morale et d’une autonomie budgétaire. Il s’agira d’une commission administrative, fonctionnant avec les moyens budgétaires existants et disposant de personnel fourni par l’administration. Sa mission essentielle sera de suivre et de faire progresser les pratiques déontologiques dans les agences et organismes, mais elle ne se substituera en aucun cas à ces agences dans l’accomplissement de leur mission.

Le texte qui est soumis à notre débat n’a donc rien de révolutionnaire, rien qui puisse inquiéter le monde de la recherche ou celui de l’économie. Il pose les bases de règles qui rassureront nos concitoyens quant à la qualité des expertises et met en place un circuit administratif pour garantir que les alertes ne resteront pas sans réponse. Les agences sanitaires et environnementales doivent pour leur part poursuivre la mise en place de leurs règles déontologiques. Je peux vous assurer qu’elles seront satisfaites de disposer, avec la nouvelle commission, d’un appui supplémentaire pour leur réflexion.

Compte tenu des éléments que je viens d’évoquer, la commission du développement durable a donné un avis favorable aux articles figurant aux titres Ier et III de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le contenu précis de cette proposition de loi puisque le ministre et nos deux rapporteurs l’ont fait excellemment. Je voudrais d’ailleurs commencer par saluer l’excellence du travail de Jean-Louis Roumegas, et l’étroite collaboration qu’il a nouée avec la rapporteure pour avis de la commission du développement durable Marie-Line Reynaud. Plus globalement, cette proposition de loi a été, je crois, l’occasion d’une concertation exemplaire entre nos deux groupes de la majorité.

Avant d’en venir au fond du débat, je voulais parler de la forme. Si nous en venons aujourd’hui à discuter de telles propositions de loi, c’est qu’au fur et à mesure des années, l’État s’est désengagé de son devoir d’expertise indépendante. La nature ayant horreur du vide, nous, parlementaires, nous retrouvons face à des lobbies qui nous apportent des expertises clés en main. Quand on ne connaît pas bien le sujet, on a tendance à penser qu’ils ont sans doute raison… Qu’il s’agisse du lobby de l’agroalimentaire, du lobby de l’industrie pharmaceutique, de celui de l’armement ou de tous les autres, soyons vigilants. Nous avons déjà eu de nombreuses alertes. Quelles que soient les règles déontologiques que nous déciderons, chaque parlementaire doit vraiment avoir conscience de la raison pour laquelle il est là, et ne pas considérer ces expertises clés en main comme la seule vérité.

Il y a deux ans, nous étions réunis dans cet hémicycle pour débattre de la réforme de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, débat que le scandale du Médiator, levé par Gérard Bapt, avait rendu indispensable. Or, nous le savons tous, ce scandale sanitaire n’aurait jamais éclaté sans le courage et l’opiniâtreté d’un médecin, d’abord très seule pendant de nombreuses années, qui a subi de nombreuses pressions. Je veux saluer encore une fois l’action d’Irène Frachon.

Depuis quelques semaines, un autre dossier sanitaire s’installe dans l’actualité, avec une place grandissante : celui des pilules de troisième ou de quatrième génération. Là aussi, c’est une jeune fille profondément marquée dans sa chair qui, avec l’aide de sa famille, a contribué à faire éclater la vérité.

Profitant de chaque tribune qui m’est donnée, j’ouvre une parenthèse pour dire qu’il ne faut pas arrêter la pilule. Nous ne sommes pas devant un scandale sanitaire, et je ne voudrais pas que le taux des interruptions volontaires de grossesse, autrement appelées avortements, soit en forte augmentation l’année prochaine.

M. Lionel Tardy. C’est bien l’un des problèmes !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. La ministre de la santé a pris les décisions qu’il fallait prendre, alerté les autorités sanitaires européennes et bien dit à tout le monde de continuer sa pilule. S’il y a un doute, on va voir tranquillement son médecin et on en change mais, surtout, on ne l’arrête pas ! Puisqu’un jeune public nous écoute, il fallait le rappeler.

Que nous enseignent ces deux exemples, empruntés au domaine de la santé – que, je le reconnais, je connais mieux que celui de l’environnement ? Que, dans notre pays, en dépit des multiples agences et des procédures minutieusement mises au point, ce sont des hommes ou des femmes isolés, sans crainte des conséquences sur leur carrière ou leur vie personnelle, qui sont à l’origine des alertes ayant fait progresser la protection de la santé publique et de l’environnement. C’est donc hors du « système », et parfois hélas contre lui, que ces alertes sont trop souvent nées dans le passé.

Par cette proposition de loi, nous entendons mettre en place un mécanisme innovant pour créer les conditions favorables au lancement des alertes mais aussi à leur prise en compte et à leur traitement par les organismes publics œuvrant dans le domaine de la santé et de l’environnement, les deux étant étroitement liés.

Il y va, j’en suis convaincue, de la vigueur de notre démocratie et de la confiance indispensable que nos concitoyens doivent avoir dans notre système d’expertise publique, confiance qui ne peut être assurée que par le renforcement de l’indépendance de nos agences, par la transparence des liens d’intérêts de leurs experts et par celle de leur fonctionnement.

Cette confiance est fragile. Le moindre soupçon de connivence ou de confusion entre science ou expertise d’une part, et intérêts économiques d’autre part, peut lui porter un coup fatal.

Soyons aussi vigilants en matière sectaire – je parle des sectes qui profitent de tout cela pour s’immiscer dans le débat public avec des vitrines « acceptables ».

Nous ne le savons que trop, si cette confiance est ébranlée, les peurs, les fantasmes, les malveillances, les désinformations et autres bobards se diffusent d’autant plus vite.

Nous avons tous en tête des exemples de telles dérives contre lesquelles il est essentiel de nous prémunir : la persistance des mouvements hostiles à la vaccination, le succès en librairie d’un pseudo-« guide » qui jette la suspicion sur une grande partie de notre pharmacopée et des médicaments sur le marché – j’en suis d’autant plus accablée que c’est un parlementaire, de l’opposition, médecin de renom, qui a coécrit ce livre…

Finalement, cette proposition de loi ne fait qu’étendre sur un champ plus vaste ce que nous avons collectivement élaboré en matière de pharmacovigilance et de médicaments. D’ailleurs, je veux saluer notre collègue Arnaud Robinet, qui a le premier introduit dans le code de la santé publique la protection des lanceurs d’alerte en matière de produits de santé, soutenu en cela par l’opposition de l’époque, à laquelle beaucoup d’entre nous appartenions.

C’est pourquoi, je l’avoue, j’ai du mal à comprendre l’attitude de l’opposition lors de l’examen du texte en commission. Elle nous dit comprendre et partager nos intentions. Elle nous dit que nous partons d’un constat juste et qu’elle ne conteste pas ce texte sur le fond, mais – il y a toujours un « mais » quand il s’agit de passer à l’acte – il y aurait un risque pour le développement de notre recherche, pour la compétitivité de notre industrie et de nos entreprises.

J’étais, vendredi dernier, avec Arnaud Montebourg, Frédéric Cuvillier et Geneviève Fioraso face à toute la filière aéronautique, qu’Arnaud Montebourg a appelée « l’antidépresseur industriel en France » car c’est l’une des filières dont nous pouvons être fiers. Airbus, qui est dans ma circonscription, m’a questionnée sur ce texte. Nous les avons rassurés tout de suite, en leur parlant des modifications intervenues en commission.

Ainsi, les dispositions de l’article 17 sur la protection du lanceur d’alerte s’appliquent uniquement à ceux qui ont respecté la procédure et alerté soit l’employeur, soit les autorités publiques ou judiciaires. La notion de risque grave a été retenue pour le lancement d’une alerte en entreprise. Le critère de bonne foi, par exemple, est essentiel, et l’article 19 renvoie aux peines prévues par l’article du code pénal relatif à la dénonciation calomnieuse pour toute alerte lancée de mauvaise foi avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits dénoncés.

Autre point sur lequel il fallait rassurer les industriels : le rapporteur a entièrement réécrit l’article 9 sur l’alerte en entreprise. Rassurer Airbus n’est pas une mince affaire ; eh bien, nous y sommes parvenus. Merci, monsieur le rapporteur !

Il n’y aura pas d’extension des prérogatives des CHSCT, ce qui était une autre inquiétude des grandes entreprises. Et elles ont aussi une responsabilité environnementale : dans les discussions que nous avons eues avec les têtes de pont de l’aéronautique, a notamment été abordée la question de savoir comment remplacer le kérosène par le biocarburant sans pour autant, par exemple, affamer l’Amérique du Sud qui se mettrait à ne cultiver que pour le biocarburant… Tout cela, les grandes entreprises l’ont bien en tête.

Je voudrais donc rassurer nos collègues de l’opposition, toujours prompts à défendre le marché – et c’est normal : nous aussi, nous voulons protéger nos entreprises.

M. Bertrand Pancher. C’est une bonne nouvelle !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Ce texte institue un bon équilibre : il rassure nos concitoyens quand ils sont lanceurs d’alerte, les rassure quand des experts parlent, en toute indépendance, y compris lorsqu’ils ont travaillé pour des groupes d’intérêts développant de nouvelles technologies, et je pense qu’il rassure également les entreprises. Et je le redis, rassurer Airbus n’est pas une mince affaire : 50 000 salariés sur un seul département, ce n’est pas rien ! L’intersyndicale était également présente et n’a rien trouvé à redire.

En conclusion, le Sénat a, à très juste titre, je crois, renoncé à instituer une Haute autorité en charge de la déontologie de l’expertise, proposition peu opportune puisqu’elle ajoutait une structure à toutes celles qui existent et que l’on courait le risque paradoxal de voir les agences existantes quelque peu déresponsabilisées dans un des éléments essentiels de leur mission et de leur fonctionnement.

À nouveau, je félicite nos rapporteurs pour la qualité de leur travail et pour avoir su conjointement nous proposer un texte équilibré, qui, je crois, devrait tous nous rassembler ici et devrait rassurer tout le monde, y compris le monde de l’environnement et le monde de l’entreprise. Et encore une fois, chers collègues parlementaires, attention aux groupes de pression et à leurs expertises clés en main qui ne servent que leurs propres intérêts. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Michel Issindou. Vous avez raison !

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure pour avis, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire n’a pas été saisie au fond de cette proposition de loi adoptée par le Sénat et elle a par conséquent décidé de se saisir pour avis. En effet, les sujets abordés – indépendance de l’expertise scientifique et technique, et protection des lanceurs d’alerte – sont parmi ceux qui ressortent périodiquement de ses débats.

Les auditions que nous avons menées récemment avec les responsables de l’ANSES ou du Haut conseil des biotechnologies, comme celle conduite en commun avec la commission des affaires sociales à propos de l’étude du professeur Gilles-Éric Séralini sur un maïs transgénique, ont soulevé plusieurs points qui méritent toute notre attention. D’une part, comment protéger les lanceurs d’alerte de toute mesure discriminatoire et faire en sorte qu’une suite soit donnée à leur action ? D’autre part, comment garantir au mieux l’indépendance de l’expertise scientifique et technique et éviter les conflits d’intérêts ? Ces deux points sont liés et l’un des mérites du texte dont nous débattons est justement de les prendre tous les deux en considération.

Il y va évidemment de la crédibilité de toute expertise à l’égard de l’opinion publique. La crainte de nos concitoyens, voire leur suspicion, naît bien souvent d’une mauvaise connaissance, mais également de doutes sur l’indépendance des chercheurs ou des scientifiques. Il ne serait pas sain de laisser s’instaurer la méfiance, voire la défiance de la société civile à l’encontre des experts.

Les travaux récents de la commission du développement durable ont également souligné la difficulté de concilier les enjeux industriels, qui relèvent du court terme et suivent avant tout une logique économique, et les évaluations sanitaires et environnementales, dont certaines exigent, nous le savons, beaucoup plus de temps. Dans certains cas, notamment lorsqu’il s’agit de santé environnementale, repérer les effets à long terme de substances nécessite de prolonger les protocoles d’expertise et de recherche au-delà des délais habituellement envisagés par les laboratoires.

Les personnes auditionnées ont également montré qu’il fallait prendre en compte à la fois la quasi-impossibilité pour les chercheurs de ne pas entretenir des relations avec des organismes privés, ne serait-ce qu’au long de leur carrière, et l’impact de leurs propres idées sur les sujets traités. Le directeur général de l’ANSES nous a d’ailleurs rappelé que l’indépendance de l’expertise reposait sur trois piliers : le respect de la déontologie, un cadre d’expertise collective et contradictoire et enfin la diversité des sources scientifiques et des organismes de recherche.

Les exemples rappelés par les rapporteurs des deux commissions concernent essentiellement des questions sanitaires pour lesquelles les alertes ont longtemps été négligées ; je n’y reviendrai pas.

À travers des organismes pathogènes, des substances chimiques ou des agents physiques, de nombreux dangers peuvent affecter la santé humaine et animale, voire la qualité des végétaux utilisés dans l’alimentation. Le récent rapport de l’Agence européenne pour l’environnement, Signaux précoces et leçons tardives, reconnaît que les risques pour la santé ou l’environnement ont été ignorés dans une dizaine de cas et que les lanceurs d’alerte n’ont pas été écoutés.

La recherche en matière d’environnement est tout aussi importante à nos yeux, car l’exposition aux risques passe par tous les milieux – l’air, l’eau, les sols – qui véhiculent des pollutions. Les risques ne concernent pas que les substances dangereuses, éthers de glycol, polluants de l’air ou de l’eau, ou les radiofréquences et les ondes électromagnétiques ; ils concernent également les valeurs limites d’exposition et les niveaux de concentration pouvant se révéler toxiques. C’est donc tout un champ de recherche qui reste à approfondir.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui cherche à apporter deux types de réponses, l’un de nature institutionnelle, avec la création d’une commission nationale de la déontologie et des alertes, l’autre juridique, concernant la protection des lanceurs d’alerte, et parmi eux, je souhaiterais le souligner, des scientifiques qui ont souvent été stigmatisés, même par leur propre camp.

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable. Bien entendu, le succès de la nouvelle commission dépendra des moyens qui lui seront accordés, de la qualité de son rattachement administratif et des modalités pratiques d’application du dispositif que nous envisageons.

Prolongeant les propos de la rapporteure pour avis et du rapporteur, j’indique que la commission du développement durable soutient la démarche ainsi engagée. Les travaux des deux commissions ont cherché à améliorer la définition de la notion de lanceur d’alerte, l’encadrement des règles de déontologie, le dispositif de saisine de la commission nationale, le suivi des alertes et une meilleure information tant des organismes de contrôle que du public en général.

Pour toutes ces raisons, j’invite l’Assemblée à adopter la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure pour avis, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons en séance aujourd’hui une proposition de loi très importante. Importante et symbolique.

Symbolique, tout d’abord, en ce qu’elle est représentative de la volonté des parlementaires écologistes, au Sénat et à l’Assemblée nationale, d’intégrer les problématiques de santé publique et d’environnement dans le débat et de porter des réponses à ces problématiques.

Symbolique ensuite car elle marque une nouvelle étape dans la voie tracée par le Gouvernement et la majorité sur ces problématiques de santé environnementale. Il y a eu une loi de financement de la sécurité sociale ; puis une loi majeure interdisant la fabrication, l’importation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire comportant du bisphénol A ; et aujourd’hui cette proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte. Ces différentes étapes conduisent notre pays à rattraper son retard dans ce domaine, et même à prendre les devants.

Pour autant, tout ne fut pas simple pour faire parvenir cette proposition de loi à notre ordre du jour. L’idée d’inscrire dans la loi des mécanismes garantissant l’indépendance de l’expertise et protégeant les lanceurs d’alerte est défendue depuis de nombreuses années par les réseaux associatifs, en particulier la Fondation Sciences citoyennes. Elle a été reprise plusieurs fois dans le cadre des travaux parlementaires.

C’est finalement la sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin qui a déposé le 28 août 2012 cette proposition de loi, que le groupe écologiste du Sénat a inscrite à l’ordre du jour de l’une de ses séances réservées le 15 octobre suivant. Rejeté par la commission du développement durable du Sénat, mais approuvé par la commission des affaires sociales, le texte a fait l’objet d’une discussion générale animée mais n’a pu être voté dans sa première version. Il a fallu attendre le 21 novembre pour que les discussions se poursuivent et que la proposition de loi soit finalement adoptée, de justesse. Fort de cette victoire au Sénat, le groupe écologiste de l’Assemblée nationale a décidé de l’inscrire à son tour à l’ordre du jour d’une de ses séances réservées.

Suite aux importants travaux menés, avec beaucoup de sérieux, par les rapporteurs, le texte que nous examinons aujourd’hui a subi plusieurs modifications par rapport à la version adoptée au Sénat, mais qui n’en changent pas l’essence.

Il était bien évidemment nécessaire de contribuer à améliorer le texte, mais sans en bouleverser les fondements. Car ces fondements se trouvent dans les différentes affaires qui ont ponctué ces dernières années. Les affaires du sang contaminé et de la vache folle, qui ont considérablement marqué les années 90, ont provoqué un profond remaniement de notre système de sécurité sanitaire. Ainsi, les décisions politiques et les expertises techniques subissent un principe de séparation indispensable dans l’organisation des agences sanitaires.

Mais ne nous trompons pas, ce principe de séparation n’a pas été une barrière imperméable, hermétique à tous problèmes. En effet, les remous causés tout récemment par les prothèses PIP ou par le Mediator des laboratoires Servier, et plus récemment encore l’affaire des pilules de troisième et quatrième générations, nous démontrent l’importance de légiférer pour réduire le plus possible les risques d’événements échappant à la vigilance.

J’évoquais la loi sur le bisphénol A ; le cheminement ayant amené au vote de son interdiction est particulièrement symptomatique. En effet, après le polycarbonate et ses usages alimentaires, dès 1953, les résines polyépoxy sont utilisées comme revêtements à l’intérieur des boîtes de conserve dès 1970. Les bienfaits annoncés de cette innovation justifient, pour certains, l’urgence de son autorisation. S’ensuit alors une bien mauvaise évaluation des risques. Dès le début des années quatre-vingt-dix, les premières alertes sont lancées : cancérogénicité, perturbations endocriniennes, notamment. Des premières sanctions sont alors prises… mais contre les lanceurs de ces alertes ! Le professeur Frederick Vom Saal, qui dénonçait la dangerosité du bisphénol A, a subi en 1997 une véritable campagne de calomnies de la part de l’industrie chimique.

Face à des expertises scientifiques faisant état de dangers pour la santé, les industriels ont financé et publié quelques études dont le seul but était de diffuser un message selon lequel les chercheurs n’auraient rien trouvé. Tout cela dans l’unique objectif de gagner du temps. Il aura ensuite fallu attendre plus de dix ans pour voir adoptée l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires.

Il aura ainsi fallu vingt longues années entre les premières alertes et le retrait de la substance : vingt ans marqués par les manquements dans l’évaluation des risques sanitaires et l’absence de protection des scientifiques qui nous alertaient sur les dangers pour la santé ; vingt ans durant lesquels l’industrie chimique a pu librement jouer avec la santé de nos concitoyens.

Le présent dispositif permet d’assurer une réelle protection à ces femmes et ces hommes qui contribuent à rendre publics les risques de scandale sanitaire – car le bisphénol n’est pas un exemple isolé.

En 1994, après avoir identifié et dénoncé des éthers de glycol dangereux au sein de l’INRS, le professeur André Cicolella est licencié. Il ne sera rétabli dans ses droits qu’en 2000, par un arrêt de la Cour de cassation.

En 2003, pour avoir lancé une alerte sur des approvisionnements d’intestins de porcs en provenance de Chine et destinés à fabriquer un anticoagulant, Jacques Poirier, immunobiologiste, est licencié par Sanofi.

Pour avoir alerté sur les dangers du sel dans l’alimentation, Pierre Meneton, chercheur à l’INSERM, est traîné en justice. Sans aucune aide de son organisme employeur, il est néanmoins acquitté.

Je ne dispose pas du temps suffisant pour dresser une liste exhaustive de tous ces cas de dysfonctionnement de notre dispositif de sécurité sanitaire, qui ont des conséquences désastreuses, aussi bien pour les lanceurs d’alerte que pour l’état de santé de nos concitoyennes et nos concitoyens.

Le rapporteur Jean-Louis Roumégas expliquait en commission des affaires sociales les deux objectifs de cette proposition de loi. Le premier est de renforcer les critères déontologiques de l’expertise grâce à la création d’une commission nationale chargée d’émettre des recommandations en la matière : la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement.

Cette commission est définie au titre Ier de la proposition de loi : ses prérogatives, ses modalités et ses moyens de saisine sont précisés. Elle garantira que tous les organismes d’expertise et de recherche répondent à un degré d’exigence défini, que tous veillent aux conflits d’intérêts et que la société civile est associée à ces réflexions. De plus, elle sera assurée du bon suivi des alertes. Cela consistera notamment à veiller à leur enregistrement et à saisir les ministres compétents le cas échéant.

Le second objectif est d’éviter que certaines alertes ne soient perdues ou ignorées. Il s’agit d’assurer la sécurisation de la phase de lancement des alertes, puis celle de leur prise en compte et de leur traitement par les organismes d’expertise de l’État, qui seront obligés de tenir des registres.

En outre, un véritable droit d’alerte est créé et encadré. Cela se traduit par une protection réelle des lanceurs d’alerte. Ces hommes et ces femmes ne doivent pas craindre de représailles, de discriminations, en raison de leur acte citoyen. Telle est la perspective dans laquelle s’inscrit ce texte.

Enfin, au-delà de sa qualité intrinsèque, cette proposition de loi tient compte du travail mené par le Gouvernement, et particulièrement par le ministre du travail M. Michel Sapin. Nous savons que des négociations sont en cours, entre les partenaires sociaux, sur les institutions représentatives du personnel, et notamment les CHSCT. Le rapporteur a pris ces discussions en considération et a fait preuve de sagesse en se rangeant aux avis développés lors des auditions. Les écologistes soutiennent totalement ce positionnement, en tant que partenaires et membres actifs de la majorité.

Aussi ne vous surprendrai-je pas en vous annonçant que l’ensemble du groupe écologiste votera pour cette proposition de loi innovante et indispensable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Krabal.

M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi que nous sommes amenés à examiner aujourd’hui relève d’une véritable exigence démocratique, propre aux sociétés complexes.

Les récents scandales sanitaires et environnementaux, qu’il s’agisse des affaires du Médiator, de l’amiante ou des prothèses mammaires PIP, mettent au jour des lacunes relatives à la prévention et à la gestion des risques, aux conflits d’intérêts et à la protection des experts qui alertent sur la dangerosité de certains produits ou procédés.

La problématique est d’autant plus d’actualité que plusieurs études scientifiques médiatisées abordent de façon croissante les risques sujets à controverses : motorisation diesel, perturbateurs endocriniens, nanotechnologies, OGM, ondes électromagnétiques, sur lesquelles nous allons revenir cet après-midi…

Il est donc nécessaire de réfléchir à un encadrement juridique progressif de l’indépendance de l’expertise scientifique. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à améliorer le partage des connaissances scientifiques entre les experts et la société civile.

L’exposé des motifs explique que « le manque de procédures claires de gestion de l’alerte favorise l’éparpillement des réactions » et provoque une perte de temps entre l’alerte et les réactions qui visent à limiter les dommages sur la santé ou sur l’environnement.

À la suite des affaires du sang contaminé et de l’amiante a été votée la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme. Elle a permis la mise en place d’un dispositif de veille, de surveillance et d’évaluation des risques, avec la création d’agences sanitaires chargées de ces compétences.

Ce dispositif a été encore amélioré par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Toutefois, il n’a pas permis d’éviter les scandales sanitaires et environnementaux récents, échouant à allier expertises indépendantes et réaction rapide.

La loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé propose une réponse qui oblige les membres des agences et des organismes publics en matière de santé à produire publiquement une déclaration d’intérêts. Les laboratoires pharmaceutiques doivent également rendre publics les avantages versés aux professionnels de santé et aux établissements de santé.

L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, AFSSAPS, qui est devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM, bénéficie d’un renforcement de ses prérogatives. Par exemple, elle est en mesure d’évaluer les bénéfices et les risques des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et de prononcer des sanctions financières, ou d’alerter l’opinion publique et les professionnels de santé au sujet de ces produits. Les patients peuvent également déclarer des effets indésirables. L’ANSM a également mis en place un service de déontologie de l’expertise.

Par ailleurs, l’ANSES apporte déjà son expertise de manière transversale et émet des avis. Elle peut être saisie par les associations agréées, représentantes de la société civile, par les ministères ou les établissements publics. Elle dispose également d’un comité de déontologie et de prévention des conflits d’intérêt.

Mais ces dispositifs d’alerte ne suffisent pas à éviter les suspicions à l’égard des experts ou des pouvoirs publics. Il convient dès lors d’améliorer la transparence et de permettre de distinguer les faits avérés de la calomnie.

La proposition de loi vise donc à compléter ces mécanismes sans les remplacer, en créant un traitement et un suivi systématique des alertes.

Les lanceurs d’alerte sont apparus dans les années 1990 pour répondre aux risques associés au domaine professionnel. Le lanceur d’alerte est une catégorie bien définie : il s’agit de toute personne physique ou morale de bonne foi, qui rend publique ou diffuse une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que leur méconnaissance lui paraît dangereuse pour la santé publique ou pour l’environnement.

Le Grenelle 1 du 10 février 2009, s’il avait entrepris cette réflexion, a toutefois délaissé la question du cadre juridique de protection du lanceur d’alerte : il nous revient aujourd’hui de le construire ensemble.

Le décret du 12 juillet 2011, pris sous le précédent gouvernement, n’est pas sans m’inquiéter, car il a limité fortement la participation des petites associations environnementales, quand certaines possèdent des compétences d’expertise avérées.

Monsieur le ministre, vous représentez le Gouvernement dans nos débats et je me permets de vous interpeller particulièrement sur ce décret. Il doit être modifié, afin de donner toute la place qu’elles méritent aux associations qui témoignent de réelles compétences d’expertise, de façon qu’elles puissent peser pleinement sur les décisions publiques en matière environnementale.

Cette proposition de loi est volontariste : les modifications apportées, après les ajustements effectués au Sénat, ont permis de la renforcer.

Au Sénat, le rapporteur, M. Ronan Dantec, a convenu qu’il fallait que la proposition aboutisse dans une logique de simplification et de moyens constants, en dotant la nouvelle commission nationale de déontologie d’une structure moins lourde et de compétences plus précises pour ne pas dégrader un peu plus nos comptes publics.

En ces temps de rigueur budgétaire, nous sommes parvenus là à un bon accord pour satisfaire à l’exigence d’une meilleure application des grandes règles de l’expertise.

Les spécialistes de ces questions semblent unanimes sur la nécessité de ce type de structure et sur la rationalisation des critères d’impératifs concernant l’expertise et le traitement des alertes.

S’agissant des lanceurs d’alerte, la proposition de loi initiale avait pour intention de garantir leur droit à diffuser des informations « sans subir de mesures de rétorsion discriminatoires ou d’atteintes disproportionnées à leur liberté d’expression ».

La proposition de loi visait aussi à instaurer, dans les entreprises de plus de onze salariés, des « cellules d’alerte sanitaire et environnementale » avec un « droit d’enquête » et un droit de saisine de la Haute autorité sur la base des informations transmises par un salarié qui « estime de bonne foi que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser des risques sur la santé publique ou l’environnement ».

Pour aboutir à un texte de loi consensuel et efficace, nous avons réussi à trouver des compromis sur les points qui faisaient encore débat ou qui demeuraient imprécis.

Les syndicats ont fait valoir leurs arguments en audition pour amender le texte issu du Sénat.

D’abord, le calendrier n’était pas très heureux : valider dans la loi l’extension des missions du CHSCT au moment même où des négociations importantes à ce sujet étaient en cours n’était pas opportun. De même, s’agissant du financement, décider de nouvelles compétences sans moyens supplémentaires aurait posé de nouveaux problèmes.

Les travaux en commission ont toutefois permis d’atteindre un bon équilibre, s’agissant tant de la préservation de la dimension collective de l’alerte que du circuit qu’elle doit suivre.

La commission nationale de la déontologie et des alertes a également connu des améliorations significatives en commission : elle sera désormais compétente pour définir les critères de recevabilité d’une alerte. Ses missions, sa composition et le spectre des personnes habilitées à la saisir ont également été précisés.

Le texte qui nous est soumis prévoit ainsi la motivation des décisions prises par les ministres compétents suite à la transmission d’une alerte par la commission, ainsi qu’une information en retour de l’individu qui l’a saisie.

Je tiens à manifester également mon soutien à l’effort paritaire qui a été mené, aboutissant à une représentation équilibrée des femmes et des hommes.

Ces étapes franchies, le texte issu des travaux en commission devenait plus cohérent, plus précis, moins coûteux et plus efficace. Cette proposition de loi perfectionnée vient clairement combler un manque important sur les règles déontologiques, sur l’expertise et sur la protection des lanceurs d’alerte. Nous avions déjà un arsenal juridique, mais tous s’accorderont pour dire que ses défaillances témoignaient de la nécessité de son amélioration.

Les députés du groupe RRDP sont profondément attachés à la rationalité, à la science et au progrès. Mais depuis deux siècles, et plus particulièrement depuis quelques dizaines d’années, nous sommes également convaincus que nous devons inventer de nouveaux modes de gouvernance.

Face à l’accroissement des risques sanitaires et environnementaux, les élus ont une responsabilité particulière pour satisfaire à l’obligation impérieuse de protéger nos concitoyens. Pour répondre à cette exigence, nous saluons le travail constructif du Parlement et nous voterons cette proposition de loi.

Pour conclure, je ne résiste pas à la tentation de citer Jean de la Fontaine, dans sa fable Les Deux taureaux et une grenouille : « Hélas, on voit que de tout temps Les petits ont pâti des sottises des grands ».

Au nom du groupe RRDP, je forme le vœu que l’adoption de cette proposition de loi invalidera pour tous les lanceurs d’alerte cette morale de l’illustre fabuliste de Château-Thierry. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte ;

Proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures trente.)