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N° 629

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 janvier 2013.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES SUR l’application du dispositif relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour légalité professionnelle

PAR Mme CÉcile Untermaier

Députée.

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Edith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Huguette Bello ; M. Jean-Louis Borloo ; Mme Brigitte Bourguignon ; M. Malek Boutih ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Sophie Dessus ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; M. Guénhaël Huet ; Mme Valérie Lacroute ; Mme Sonia Lagarde ; M. Serge Letchimy ; Mme Geneviève Levy ; Mme Martine Lignières-Cassou ; M. Jacques Moignard ; Mme Dominique Nachury ; Mme Ségolène Neuville ; Mme Maud Olivier ; Mme Barbara Pompili ; Mme Josette Pons ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Philippe Vitel

INTRODUCTION 5

I.– AVANT LA PUBLICATION DU DÉCRET DU 18 DÉCEMBRE 2012 : LA PREMIÈRE COMMUNICATION DE LA RAPPORTEURE, LE 14 NOVEMBRE 2012 5

1. L’égalité professionnelle, une construction progressive 5

2. Une nouvelle avancée législative en 2010, limitée par son volet réglementaire 7

3. Un dispositif à parfaire 9

II.– APRÈS LA PUBLICATION DU DÉCRET DU 18 DÉCEMBRE 2012 : LA SECONDE COMMUNICATION DE LA RAPPORTEURE, LE 15 JANVIER 2013 14

1. Le point de vue des organisations syndicales et du patronat ; le regard d’une praticienne de la vie en entreprise 14

2. Le décret dans sa version définitive: la recherche d’une position équilibrée, qui prend en compte certaines des recommandations de la Délégation 16

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 19

1. Compte rendu de la réunion du 14 novembre 2012 19

2. Compte rendu de la réunion du 15 janvier 2013 27

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE 33

MESDAMES, MESSIEURS,

Dans le cadre du programme de travail qu’elle avait arrêté au mois de juillet 2012, lors de sa constitution, pour le second semestre de l’année en cours, la Délégation aux droits des femmes avait décidé qu’elle se saisirait de la question de l’application du « fameux » article 99 de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites, article qui sanctionne financièrement les entreprises de plus de 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle ou de plan d’action.

La Délégation, depuis l’adoption de cette loi, n’avait pas relâché sa vigilance quant à la mise au point des modalités d’application de cet article. Elle n’avait d’ailleurs pas manqué, lors de la publication du décret du 7 juillet 2011 portant application de l’article 99, de faire part de ses critiques sur le texte et d’appeler de ses vœux une nouvelle version du dispositif retenu.

Lorsqu’à l’été 2012, le Gouvernement a annoncé son intention de réformer le décret de 2011, la Délégation a estimé que le moment était venu de rappeler les enjeux du débat et de faire entendre sa voix.

C’est pourquoi elle a chargé la rapporteure de faire le point sur l’état de la législation et de la réglementation en vigueur, ainsi que sur les perspectives d’évolution qu’il était possible de dessiner.

Compte tenu du calendrier prévisionnel annoncé pour la publication d’un nouveau décret d’application de l’article 99, aux environs de la mi-décembre, la rapporteure a décidé d’adopter une démarche en deux temps : avant la parution du texte, un bilan du droit existant et des problèmes qu’il pose, accompagné de propositions susceptibles de corriger les insuffisances constatées ; après la publication du décret, une évaluation du nouveau dispositif.

Elle a donc présenté à la Délégation une première communication, le 14 novembre 2012, puis une seconde, le 15 janvier 2013, le décret attendu ayant été publié entre temps, le 19 décembre 2012. Elle a aussi dressé devant la Délégation un bilan des entretiens qu’elle avait eus au cours du mois de novembre avec les représentants des organisations syndicales et du patronat, qu’elle avait tenu à rencontrer pour éclairer sa réflexion. Elle a fait également état des observations d’une praticienne de la vie en entreprise qu’elle avait entendue. L’ensemble de ces travaux sont retracés dans le présent rapport.

I.– AVANT LA PUBLICATION DU DÉCRET DU 18 DÉCEMBRE 2012 : LA PREMIÈRE COMMUNICATION DE LA RAPPORTEURE,
LE 14 NOVEMBRE 2012

Lors de la présentation de sa première communication, le 14 novembre 2012, la rapporteure a d’abord rappelé les étapes de la construction du dispositif législatif actuel tendant à garantir l’égalité professionnelle, avant d’insister sur l’avancée significative qu’a constituée le vote de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2012 sur les retraites, puis de terminer sur les modifications qu’il y aurait lieu d’apporter au décret d’application de cet article.

1. L’égalité professionnelle, une construction progressive

L’égalité professionnelle entre hommes et femmes est aujourd’hui en France un objectif assez unanimement partagé et bien peu sans doute contestent sa légitimité. Car le constat est implacable : d’après les données de la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail, (1) les salaires des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes, tous temps de travail confondus.

Il pourrait d’ailleurs sembler paradoxal de parler d’objectif en 2012 alors que depuis 40 ans, de nombreuses lois sont venues s’ajouter les unes aux autres qui, toutes, visaient précisément l’égalité professionnelle et salariale.

Un bref rappel s’impose car en ce domaine, on pourrait évoquer véritablement un arsenal législatif.

Dès 1972, grâce à la loi n°72-1143 du 22 décembre, le principe de l’égalité de rémunération est inscrit dans le code du travail. C’est la transcription juridique de l’ancienne revendication : « à travail égal, salaire égal ».

En 1983, la loi n°83-635 du 13 juillet 1983 dite « loi Roudy » a précisé que l’égalité s’applique en matière de recrutement, de rémunération, de promotion et de formation. C’est cette même loi de 1983 qui crée l’obligation pour les entreprises de rédiger un rapport de situation comparée (RSC) des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans l’entreprise et de le transmettre pour avis au comité d’entreprise ou à défaut au délégué du personnel, puis pour information aux délégués syndicaux et à l’inspecteur du travail.

Ce rapport doit comporter, aux termes de la loi, « une analyse chiffrée permettant d’apprécier, pour chacune des catégories professionnelles de l’entreprise, la situation respective des hommes et des femmes en matière d’embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, des conditions de travail et de rémunération effective ». Le rapport doit également indiquer les mesures prises au cours de l’année écoulée et les mesures prévues pour l’année qui vient, accompagnées d’une définition qualitative, quantitative et financière des actions à mener.

Par la suite, la loi n°2001-397 du 9 mai 2001 dite « loi Génisson » a précisé que le RSC doit inclure une analyse fondée sur la base « d’indicateurs pertinents, reposant notamment sur des éléments chiffrés, définis par décret et éventuellement complétés par des indicateurs qui tiennent compte de la situation particulière de l’entreprise » (article L-2323-57 du code du travail). Dans les entreprises de plus de 300 salariés, les indicateurs doivent être affichés afin d’informer les salariés.

Pourtant, comme le constatait la Délégation aux droits des femmes en 2011 dans son rapport d’information (2) sur l’application des lois sur l’égalité professionnelle au sein des entreprises, plus de la moitié des entreprises ne réalisent pas de RSC malgré l’obligation mentionnée dans la loi de 1983 et, lorsque c’est le cas, le rapport est souvent une collection de tableaux ne présentant aucune analyse et dont l’exploitation est assez peu compréhensible.

Il faut ajouter à cela que la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 portant mesures de simplification en faveur des citoyens et des usagers de l’administration a supprimé l’obligation faite aux entreprises de remettre les RSC à l’inspection du travail. Le rapport doit seulement être tenu à la disposition de l’autorité administrative, quinze jours après la consultation des représentants du personnel.

Il convient de citer aussi la loi n°2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, qui comporte plusieurs éléments. Ses dispositions obligent les employeurs des entreprises de moins de 50 salariés à « prendre en compte les objectifs en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’entreprise et les mesures permettant de les atteindre » (article 1142-5 du code du travail).

Cette même loi comportait encore deux éléments essentiels : d’une part, la suppression, avant le 31 décembre 2010, des écarts de rémunération existant au niveau de la branche par une négociation spécifique, et d’autre part, la suppression dans le même délai des écarts de rémunération dans les entreprises d’au moins 50 salariés par l’adoption de mesures définies et programmées au cours des négociations annuelles sur le salaires.

Les accords sur les salaires ne peuvent être déposés auprès de l’autorité administrative compétente que s’ils sont accompagnés d’un procès-verbal attestant que l’employeur a ouvert sérieusement et loyalement des négociations sur la résorption des écarts de rémunération.

Lorsque cette négociation n’a pas eu lieu, les peines du délit d’entrave au bon fonctionnement du comité d’entreprise peuvent être encourues par l’employeur.

2. Une nouvelle avancée législative en 2010, limitée par son volet réglementaire

C’est dans ce contexte qu’est intervenu le vote de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites. Son article 99 institue une sanction financière d’un montant maximum de 1 % des rémunérations et des gains à l’encontre des entreprises d’au moins 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, qui n’auraient pas défini les objectifs et les mesures constituant le plan d’action de leur RSC.

Les entreprises d’au moins 50 salariés ont donc désormais l’obligation formelle d’être couvertes par un accord collectif ou à défaut, par un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et cela indépendamment de l’existence d’un accord de branche.

A défaut d’accord, un plan d’action pluriannuel comportant des objectifs et des mesures fixés annuellement doit être adopté. Une synthèse du plan d’action comprenant les objectifs de progression ainsi que les indicateurs chiffrés est publiée sur le site Internet de l’entreprise et portée à la connaissance des salariés par voie d’affichage ou par tout autre moyen adapté aux conditions d’exercice de l’activité de l’entreprise.

De surcroît, l’article 99 aligne le RSC inclus dans le rapport de situation économique (RSE) des entreprises de moins de 300 salariés, institué en 1993, sur le RSC des entreprises de plus de 300 salariés.

Selon cet article, le montant de la sanction applicable peut être modulé par l’autorité administrative dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État en fonction des efforts de l’entreprise en matière d’égalité ou des motifs de sa défaillance.

Cependant, en contrepartie de ces avancées, la loi du 9 novembre 2010 supprimait la date butoir du 31 décembre 2010 prévue par la loi de 2006 pour mener à bien les négociations de rattrapage des écarts salariaux au sein des entreprises.

Le décret d’application de l’article 99 était donc d’autant plus attendu. La Délégation aux droits des femmes, dans le rapport d’information sur l’application des lois sur l’égalité professionnelle présenté en juillet 2011 par Mme Marie-Jo Zimmermann, avait appelé à la vigilance quant au contenu et à l’impact de ce décret.

Un projet de décret d’application, présenté au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle début mai 2011, avait été rejeté par l’ensemble des représentants syndicaux tant son contenu leur semblait s’éloigner des intentions du législateur.

Finalement, c’est le 9 juillet 2011 qu’a été publié le décret n° 2011-822 du 7 juillet 2011 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il procède à une modification du code travail pour y introduire les dispositions suivantes : « L’accord collectif ou, à défaut, le plan d’action prévu à l’article L.2242-5-1 fixe les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre portant sur au moins deux des domaines d’actions mentionnés au troisième alinéa de l’article L.2323-47 pour les entreprises de moins de 300 salariés et sur au moins trois des domaines mentionnés au deuxième alinéa de l’article L.2323-57 pour les entreprises de 300 salariés et plus. Ces objectifs et ces actions sont accompagnés d’indicateurs chiffrés. »

Les domaines d’action sur lesquels doivent porter les accords ou les plans sont donc précisés dans le code du travail. Il s’agit de : l’embauche, la formation, la promotion professionnelle, la qualification, les conditions de travail, la rémunération effective et l’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. On notera que cette liste laisse une marge assez large à l’entreprise et aux partenaires sociaux. Aucun domaine d’action obligatoire n’est prévu.

Par ailleurs, le décret prévoit qu’en l’absence d’accord ou de plan, l’inspecteur ou le contrôleur du travail met l’entreprise en demeure de combler cette carence. L’entreprise dispose d’un délai de six mois pour se mettre en conformité. Si elle ne le fait pas, elle encourt alors une pénalité et l’administration dispose d’un mois pour la notifier, la pénalité s’appliquant à partir de la notification. Il en résulte que l’entreprise n’est sanctionnée qu’après un éventuel contrôle et non à partir de la date d’entrée en vigueur du dispositif, soit le 1er janvier 2012. On peut donc craindre que l’entreprise n’attende le constat pour réaliser alors un plan d’action, d’où un risque d’attentisme de la part des employeurs.

Ce dispositif pose également de manière sous-jacente la question des moyens dévolus à l’inspection du travail, en nombre insuffisant. A cet égard, l’ancienne ministre des Solidarités et de la cohésion sociale, Mme Roselyne Bachelot reconnaissait devant la Délégation lors d’une audition en mars 2011, qu’une entreprise est contrôlée en moyenne tous les dix ans…

Le montant de la pénalité maximum a été fixé à 1 % de la masse salariale. Le directeur régional du travail décide de son taux en appréciant l’importance des obligations non respectées et les autres mesures qui ont été prises en matière d’égalité professionnelle.

Les entreprises « fautives » peuvent mettre en avant des motifs de défaillance pour justifier de leur impossibilité à se mettre en conformité avec la loi, au rang desquelles on trouve la survenue de difficultés économiques ou les restructurations ou fusions en cours.

En conclusion, l’application de la sanction n’est donc ni immédiate, ni automatique.

Il faut également souligner que le décret met sur le même plan l’absence d’accord consécutif à une négociation collective et le plan d’action unilatéral, qui doit pourtant rester une solution par défaut. Il ne donne pas de précision sur les modalités de vérification quant au fait que la voie de la négociation a bien été privilégiée avant d’adopter un plan d’action.

Ainsi, Mme Françoise Milewski, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences-Po, auditionnée en mai 2011 par la Délégation, remarquait : « Il aurait été souhaitable que le décret d’application soit plus explicite et précise la formule : « un accord avec les partenaires sociaux ou, à défaut - constaté par un procès-verbal de désaccord - un plan d’action ». »

La Délégation aux droits des femmes, dans son rapport n°3621, en juillet 2011, sur l’application des lois sur l’égalité professionnelle au sein des entreprises critiquait alors « ce manque manifeste de volonté politique qui ne saurait être cautionné par la Délégation ».

Une circulaire d’application en date du 28 octobre 2011 a complété le dispositif réglementaire résultant du décret du 7 juillet 2011, avec pour objet la présentation du champ et des conditions d’application de la pénalité financière prévue à l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010.

Pour toutes les raisons mentionnées plus haut, le décret d’application du 7 juillet 2011 a donc déçu les partisans d’une volonté politique exemplaire en matière de lutte pour l’égalité professionnelle. Aussi, le nouveau Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, ainsi que Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, ont-ils annoncé, dès le mois de juin 2012, qu’une nouvelle version du décret d’application de l’article 99 serait rapidement proposée.

3. Un dispositif à parfaire

Dès le mois de septembre, et alors même que le projet de nouveau décret était en cours d’élaboration, l’Assemblée nationale s’est saisie de la question à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la création des emplois d’avenir. A l’initiative de notre Présidente, Mme Catherine Coutelle, elle a, en effet, adopté un amendement, ayant pour objectif de remédier à certains défauts décrits plus haut.

Cet amendement prévoyait que « dans les entreprises d’au moins 300 salariés, ce défaut d’accord est attesté par un procès-verbal de désaccord », redonnant ainsi la priorité à la négociation avec les partenaires sociaux sur le plan unilatéral.

Parallèlement, l’amendement prévoyait que « ce plan d’action est déposé auprès de l’autorité administrative ». L’obligation de dépôt du plan avait pour but d’éviter que la voie unilatérale ne permette à l’employeur de ne répondre que formellement à ses obligations. Elle permettrait également la centralisation auprès des services de l’inspection du travail des accords et plans d’action, d’où la possibilité d’effectuer un recensement exhaustif des plans effectivement mis en œuvre.

Cet amendement est devenu l’article 6 de la loi n°2012-1189 du 26 octobre 2012, marquant donc un réel progrès mais il ne réglait pas la question du contrôle. Il restait, en effet, à préciser le délai de dépôt des plans et accords, ainsi que les modalités du contrôle lui-même : que doivent exactement contrôler les inspecteurs du travail et comment ? Le décret de juillet 2011 comme la circulaire d’octobre avaient laissé ces points en suspens.

Parallèlement au débat qui se tenait au Parlement, le Gouvernement préparait donc un nouveau projet de décret. Il devait imposer aux entreprises de déposer leurs plans d’action auprès des Directions régionales du travail, obligation jusqu’alors réservée aux accords et renforcer ainsi la disposition adoptée dans la loi sur les contrats d’avenir.

Ce projet de décret aurait également imposé que les indicateurs sur la place des femmes (salaires, promotions..) inclus dans les rapports de situation comparée (RSC), se déclinent par catégories professionnelles.

Le délai de six mois de mise en demeure était maintenu, ce que certains syndicats considéraient comme trop accommodant.

Ce projet a été présenté le 9 octobre devant le Conseil supérieur de l’égalité et devait être remanié.

De fait, une seconde version du projet de décret a été soumise au Conseil supérieur de l’égalité le 12 novembre, reprenant les avancées contenues dans la première version : obligation de déposer les plans d’action auprès des directions régionales du travail, ce qui devrait contraindre les entreprises à établir le rapport de situation comparée, mise en place d’indicateurs sur la place des femmes par catégories professionnelles.

Devant la Délégation, la Rapporteure a indiqué que, selon ses informations, cette nouvelle version procèderait aussi à l’élargissement du nombre des domaines d’action sur lesquels doivent porter les accords ou les plans. Ce nombre serait porté de deux à trois pour les entreprises de moins de 300 salariés, et de trois à quatre pour les entreprises de plus de 300 salariés.

De surcroît, la rémunération figurerait obligatoirement dans les domaines d’action retenus par l’accord collectif ou le plan d’action. Cette obligation nouvelle serait particulièrement bienvenue si l’on se souvient que la date butoir du 31 décembre 2010 fixée par la loi de 2006 sur les négociations de rattrapage salariale avait été supprimée par l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010.

Lors de son audition devant la Délégation le 23 octobre 2012, la ministre des droits des femmes avait annoncé que le projet de décret prévoirait de remplacer le contrôle sur place des entreprises par le contrôle sur pièces, pour remédier au risque d’attentisme des entreprises déjà évoqué plus haut. Cette mesure était une des préconisations de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui, à la demande de la ministre, avait produit une note d’évaluation du dispositif lié à l’article 99. La centralisation des accords et des plans d’action auprès des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) devrait en effet permettre d’effectuer ce contrôle sur pièces.

Le projet de décret, en revanche, ne devait pas comporter de disposition quant au délai suivant lequel les entreprises verraient s’enclencher le dispositif de sanction. La ministre avait néanmoins annoncé, au cours de son audition, que, dès la parution du décret, le service déconcentré du ministère du travail adresserait aux entreprises concernées un courrier leur demandant de renvoyer, dans un délai précis, leur plan d’action ou les accords qu’elles ont négociés. Une fois ce délai écoulé, les entreprises qui n’ont pas répondu feraient l’objet d’une procédure de sanction.

Une circulaire d’application devrait venir compléter le décret en préparation.

Au terme de son exposé, la rapporteure a insisté sur l’impérieuse nécessité de préciser la procédure de contrôle de la mise en œuvre de la politique d’égalité : objectifs, fréquence, modalités, contenu, accompagnement des acteurs.

Elle a soumis à l’approbation de la Délégation un certain nombre de recommandations qui, si la délégation les retenait, pourraient être transmises à Madame la ministre des Droits des femmes, Mme Najat Vallaud-Belkacem, et au ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, M. Michel Sapin.

Recommandations de la rapporteure

1. -Prévoir des domaines d’action obligatoires pour les accords négociés ou les plans d’entreprise, au premier rang desquels la rémunération

S’il est bon de laisser une large marge à la négociation entre les partenaires sociaux, il est également légitime pour le Gouvernement, s’il veut établir des priorités et guider ces partenaires, de prévoir des domaines obligatoires au sein de cette négociation. L’obligation de conduire une négociation en vue du rattrapage salarial ayant été supprimée, il est indispensable d’inclure la rémunération parmi les domaines de négociation obligatoires.

2. -Considérer la question des moyens dévolus à l’inspection du travail et celle de la formation de ces inspecteurs, indissociable de la question de la sanction

Les inspecteurs du travail se trouvent au premier plan pour mener à bien les procédures de contrôle. Cela implique logiquement qu’ils soient en nombre suffisant pour effectuer tous les contrôles nécessaires et aussi qu’ils reçoivent une formation adéquate pour appréhender la situation de chaque entreprise. Parallèlement, la sensibilisation et la formation des chefs d’entreprise doit être mise en œuvre.

3. –Améliorer les procédures de mise en œuvre de la sanction : délai de mise en application de la sanction, caractère automatique, modulation par l’autorité administrative, caractère dissuasif de la sanction

Le délai de six mois octroyé aux entreprises pour se mettre en conformité avec la loi semble bien magnanime à l’égard d’entreprises qui ne respectent pas des prescriptions législatives édictées il y a plus de trente ans. Un délai de deux mois pourrait être considéré comme suffisant. Cette observation vaut également pour l’automaticité de la sanction : à partir du moment où l’entreprise est en infraction, si elle ne se met pas en conformité dans le délai imparti, la sanction doit alors intervenir. Cela est d’autant plus vrai que la sanction financière peut être modulée par l’autorité administrative. Il conviendrait également de préciser le délai imparti aux entreprises pour déposer leurs accords ou leurs plans d’action auprès de l’autorité administrative dès lors que ceux-ci ont été négociés ou adoptés.

La sanction doit avoir un effet dissuasif sur l’entreprise, afin d’éviter que les entreprises ne préfèrent verser des pénalités financières plutôt que de respecter la loi, comme c’est le cas par exemple pour l’obligation légale relative aux quotas de travailleurs handicapés au sein des entreprises.

4. -S’assurer par des dispositions appropriées que la voie de la négociation sera bien privilégiée par rapport au plan unilatéral de l’entreprise

Cette nécessité semble être prise en compte par la disposition adoptée dans la loi sur les emplois d’avenir, cependant il appartiendra à la direction générale du travail (DGT) de vérifier, par la mise en place d’outils statistiques, que la voie de la négociation a bien été privilégiée par rapport au plan unilatéral de l’entreprise.

5. – Formaliser la procédure du contrôle laissée en suspens par le décret du 9 juillet 2011 : cerner les objectifs du contrôle, en préciser la fréquence et les modalités, accompagner les acteurs et mettre au point une méthodologie

La DGT doit accompagner les acteurs en mettant au point une méthodologie efficace. Ces éléments pourraient faire l’objet d’une circulaire ministérielle. Les inspecteurs mandatés pour contrôler les entreprises ont besoin de lignes d’analyse harmonisées au plan national, ils doivent pouvoir mettre en lien la nature des insuffisances constatées et le niveau de la sanction. La fréquence ou la régularité des contrôles pourrait aussi être précisée. Pour cette action d’accompagnement, l’administration doit pouvoir s’appuyer également sur les Déléguées régionales aux droits des femmes. Un bilan annuel d’exécution devrait être dressé.

*

* *

Après l’exposé de la rapporteure, une discussion s’est engagée. On en trouvera le compte rendu à la fin de ce rapport dans les travaux de la délégation.

* *

II.– APRÈS LA PUBLICATION DU DÉCRET DU 18 DÉCEMBRE 2012 : LA SECONDE COMMUNICATION DE LA RAPPORTEURE,
LE 15 JANVIER 2013

Conformément au calendrier qu’elle avait retenu pour mener à bien la mission que lui avait confiée la Délégation aux droits des femmes, la rapporteure a présenté une seconde communication, dont l’objectif était double : d’une part, faire part à la Délégation des observations qu’elle avait recueillies des organisations syndicales et du patronat au cours des entretiens qu’elle a eus avec leurs représentants ; d’autre part, évaluer le nouveau décret, publié le 19 décembre 2012.

1. Le point de vue des organisations syndicales et du patronat ; le regard d’une praticienne de la vie en entreprise

Dans l’attente de la parution du décret, la rapporteure a voulu entendre les représentants des organisations syndicales et du patronat, afin de recueillir leur point de vue sur le projet de nouveau décret tel qu’on pouvait alors en avoir connaissance. Dans le courant du mois de novembre, elle a ainsi rencontré les représentants de la CFTC, de FO, de la CGPME et du Medef. En réponse à son invitation pour une rencontre, la CGT lui a adressé la déclaration qu’elle avait faite à l’issue de la réunion du Conseil supérieur de l’égalité le 12 novembre 2012. Quant à la CFDT, elle n’a pas donné suite.

La rapporteure a également entendu une praticienne de la vie en entreprise, Mme Hélène Sabatier, pour enrichir d’un regard complémentaire son analyse des problématiques concrètes de l’égalité professionnelle en entreprise.

a) La position des syndicats et du patronat

Les remarques et attentes des différents représentants entendus s’articulent autour de trois points principaux: le délai de mise en conformité, l’institution d’une sanction financière et la procédure de contrôle.

• Le délai de mise en conformité

Ce délai est fixé à six mois dans le projet de décret. Les représentants de la CGPME l’ont jugé satisfaisant, le considérant comme un délai pédagogique, permettant aux entreprises de « se retourner ». Les représentants du Medef, sont plus circonspects : ce délai leur parait trop court et sur ce point, le Medef aurait souhaité que le gouvernement attende la fin des négociations en cours sur la qualité de vie au travail qui couvrent la question de la réduction des inégalités professionnelles.

A l’inverse, parmi les représentants syndicaux entendus, une certaine unanimité est apparue pour trouver ce délai trop long. Les représentants de la CFTC et de FO notamment, craignent que ce délai ne favorise l’attentisme des entreprises : un délai de deux mois leur semblerait suffisant.

• L’institution d’une sanction financière

Ce point marque une ligne de séparation entre les syndicats et le patronat.

En effet, les représentants patronaux se sont montrés très réservés quant à l’institution d’une sanction frappant les entreprises qui n’ont pas rempli leurs obligations. Les représentants de la CGPME comme ceux du Medef ont exprimé leur préférence pour une démarche de sensibilisation et d’accompagnement des entreprises, avec la mise au point et la généralisation de bonnes pratiques : le Medef, par exemple, a édité à l’intention de ses adhérents un guide pratique sur l’égalité professionnelle, pour les sensibiliser à cette problématique. Tous ont admis qu’il convenait de privilégier une logique d’incitation, à visée pédagogique. A cet égard, la création d’un site Internet dédié, annoncée par le gouvernement a paru une bonne initiative, le lancement d’une campagne d’information prévue en janvier également.

Les représentants du Medef ont fait observer que les PME risquaient de manquer de moyens pour se doter d’un accord collectif ou d’un plan d’action dans le temps imparti, et ce sans aucune mauvaise volonté. La CGPME pour sa part, a craint que la mise en place d’une sanction financière pour les entreprises de plus de cinquante salariés n’accentue les effets de seuil.

Concernant le montant de la sanction, fixé au maximum à 1% de la masse salariale, il est apparu tout à fait excessif aux yeux des représentants patronaux, pouvant même mettre en péril l’existence de l’entreprise. De ce point de vue, le caractère modulable de la sanction est donc plutôt rassurant.

Tout au contraire, les représentants syndicaux ont considéré que l’application d’une sanction était nécessaire pour contrôler le caractère dissuasif du dispositif proposé : dès lors que les obligations légales ne sont pas respectées, la sanction doit pouvoir s’appliquer. Les représentants de la CFTC comme ceux de FO convergent dans leur analyse pour affirmer que la sanction doit être la norme, quitte à prévoir des éléments dérogatoires. Il s’agirait pour eux, en quelque sorte, « d’inverser la charge de la preuve », en conservant un cadre général pénalisant, avec une sanction rapide et automatique.

La CGT observe, en le regrettant, dans sa déclaration au Conseil supérieur de l’égalité du 12 novembre 2012 que les motifs de défaillance admis pour échapper à la pénalité financière ne sont pas supprimés dans le projet de décret.

• La procédure de contrôle

Les représentants syndicaux se sont interrogés sur le suivi du dépôt des accords collectifs et plans d’action et sur le contrôle effectué : à quel moment, dans quel délai et à quel rythme s’effectueront les contrôles ? Certains ont fait remarquer que le contrôle effectué par les inspecteurs du travail était surtout formel alors que souvent, les accords, dans leur contenu, ne font que répéter ce qui est déjà dans la loi.

Ils ont par ailleurs observé que les procédures de contrôle n’étaient pas clairement définies dans le projet de décret : il a semblé nécessaire que la Direction générale du travail adresse des consignes précises en la matière. La CGT, dans sa déclaration, pointe le manque de moyens et se demande combien de contrôles sur site seront possibles, compte tenu des moyens alloués aux Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

Enfin, les syndicats ont insisté sur la nécessité d’un contrôle à la fois quantitatif et qualitatif visant à évaluer les progrès réels sur le plan de l’égalité professionnelle.

b) Les observations d’une praticienne de la vie en entreprise

La rapporteure a rencontré Mme Hélène Sabatier, juriste d’entreprise et animatrice d’un réseau de femmes dans le secteur de la banque et de l’assurance.

Mme Sabatier a considéré que la sanction était nécessaire, la simple incitation n’étant pas suffisante pour faire évoluer la situation. Mais selon elle, la principale faiblesse du dispositif réside dans le fait que la sanction n’a pas d’objet qualitatif : il faudrait imaginer un mécanisme d’évaluation qui tienne compte des améliorations apportées d’une année sur l’autre par les plans d’action. Le contrôle des plans d’action ou accords collectifs devrait avoir toujours en vue l’amélioration avec une sorte d’obligation de résultat. Car la vraie question est : comment contrôle-t-on l’efficacité du dispositif? Les accords aboutissent-ils à une plus grande égalité professionnelle entre hommes et femmes ?

On pourrait aussi imaginer des experts dédiés à l’égalité professionnelle dans les entreprises. Ainsi, l’égalité professionnelle pourrait être traitée en même temps que les conditions de travail par un seul expert au sein du CHSCT qui aurait aussi compétence sur l’égalité professionnelle.

Mme Sabatier a fait remarquer que les réseaux de femmes en entreprise pourraient être utilisés comme espace d’échange dans l’entreprise, en faisant le lien entre les différents acteurs.

2. Le décret dans sa version définitive: la recherche d’une position équilibrée, qui prend en compte certaines des recommandations de la Délégation

Le nouveau décret paru le 19 décembre 2012 (n°2012-1408), conformément aux informations annoncées lors de la première communication de la rapporteure, augmente le nombre des domaines d’action sur lesquels devront porter les accords et les plans d’action. Ce nombre est porté de deux à trois pour les entreprises de moins de 300 salariés et de trois à quatre pour les entreprises de plus de 300 salariés.

Comme annoncé également, « la rémunération effective doit obligatoirement être comprise dans les domaines d’action retenus par l’accord collectif ou, à défaut, le plan d’action ».

Cette disposition satisfait ainsi la recommandation n°1 de la Délégation.

Le nouveau décret met en place des indicateurs sur la place des femmes, déclinés par catégories professionnelles, et qui doivent figurer dans la synthèse du plan d’action.

Il impose aux entreprises de déposer leurs plans d’action auprès des Directions régionales du travail (DIRECCT) dans les conditions de droit commun prévues par le code du travail pour les conventions et accords, permettant en conséquence de mettre en œuvre un contrôle sur pièce.

S’agissant du délai laissé aux entreprises pour la mise en conformité, et contrairement au souhait de la Délégation aux droits des femmes de le voir ramené à deux mois (recommandation n°3), le décret le maintient à six mois.

La rapporteure regrette que l’application de la sanction ne soit pas automatique mais reste soumise à l’appréciation de l’inspecteur du travail.

Le montant maximum de la pénalité financière, toujours modulable, reste fixé à 1% de la masse salariale.

Concernant la date d’application du décret, il convient de noter que les nouvelles dispositions, qui s’appliquent aux accords collectifs ou plans d’action en cours à la date de publication du décret, n’entreront en vigueur que lors du renouvellement de ces accords collectifs ou plans d’action et, au plus tard, en ce qui concerne les accords à durée indéterminée, à l’échéance triennale suivant la publication du décret.

Ce choix s’explique par les contraintes de la négociation collective, mais il conduit, de fait, à accorder un délai supplémentaire aux entreprises pour se mettre en conformité avec les exigences légales en matière d’égalité professionnelle et salariale.

Selon les informations dont dispose la rapporteure, les entreprises de plus de mille salariés devraient faire l’objet d’un contrôle systématique en 2013, les autres faisant l’objet de contrôles plus ponctuels.

En conclusion, la rapporteure a estimé que le nouveau dispositif proposé par le gouvernement devrait permettre de faire progresser l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes en France, même si certains, parmi les syndicats entendus, ont regretté l’adoption d’un cadre insuffisamment pénalisant. Le gouvernement a cherché un point d’équilibre entre les différentes positions exprimées, notamment au sein du Conseil supérieur de l’égalité, avant de finaliser un mécanisme qui, fruit d’un dialogue constructif avec les partenaires sociaux, aura pour effet de corriger les imperfections du précédent, lequel ne pouvait, à l’évidence, demeurer en l’état.

Le décret appelle des circulaires d’application, actuellement en cours de préparation, et qui devraient traduire très concrètement les principes arrêtés, s’agissant de la priorité donnée à la négociation collective sur l’initiative unilatérale de l’employeur, l’obligation pour l’entreprise d’être couverte par un accord ou un plan d’action, l’accompagnement des entreprises pour une démarche volontaire, la sanction n’étant jamais un moyen suffisant pour aboutir au résultat escompté.

Sur ce point de vue, la rapporteure a noté que le Comité de pilotage national (COPIL) créé par la Feuille de route de la grande conférence sociale de juillet dernier, a prévu d’expérimenter huit territoires d’excellence pour l’égalité professionnelle en partenariat avec les Conseils régionaux. Ces programmes sont destinés à tous les acteurs de l’entreprise, mêlant des actions de sensibilisation et d’information, des actions de formation, des actions d’accompagnement et de contrôle. Ce cadre ne peut qu’être favorable à la sensibilisation des entreprises aux nouvelles mesures en faveur de l’égalité professionnelle.

La rapporteure s’est donc félicitée des progrès enregistrés, et a invité à la poursuite de ce travail de suivi d’un dossier que la Délégation a, depuis tant d’années, placé au cœur de ses préoccupations.

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* *

Après l’exposé de la rapporteure, un débat s’est engagé. On en trouvera le compte rendu à la fin de ce rapport dans les travaux de la délégation.

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La Délégation aux droits des femmes a ensuite adopté le présent rapport.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

1. Compte rendu de la réunion du 14 novembre 2012

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu une première communication de Mme Cécile Untermaier, rapporteure, sur l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes : la réforme du décret d’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le 2 octobre dernier, dans le cadre de notre programme de travail, nous avons décidé de faire le point sur la question de l’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites, article qui sanctionne financièrement les entreprises de plus de 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle ou de plan d’action.

Je rappelle que la Délégation aux droits des femmes, depuis l’adoption de cette loi, n’a pas relâché sa vigilance quant à ce sujet essentiel. Mme Zimmerman, notre ancienne présidente, et moi-même avions suivi avec une grande attention ce dossier, et la délégation avait fait part de ses critiques lors de la publication du décret du 7 juillet 2011 portant application de l’article 99, en appelant de ses vœux une nouvelle version du dispositif.

Au début de la présente législature, Mme Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, avait annoncé dès le mois de juillet devant la Délégation qu’un nouveau projet de décret serait élaboré, visant à remplacer celui de 2011.

La rédaction de ce nouveau décret progresse, mais il semble qu’une première version n’ait pas reçu l’avis favorable du Conseil supérieur de l’Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, auquel le projet de décret a été transmis en octobre.

Mme Cécile Untermaier. Depuis 40 ans, de nombreuses lois ont porté sur l’égalité professionnelle. Je mentionnerai seulement ici dans un souci de concision la loi dite « Roudy » qui en 1983, a instauré l’obligation pour les entreprises de rédiger un Rapport de situation comparée (RSC) des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes.

Plus récemment, l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a institué une sanction financière d’un montant maximum de 1 % des rémunérations et des gains à l’encontre des entreprises d’au moins 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, qui n’auraient pas défini les objectifs et les mesures constituant le plan d’action de leur RSC.

Selon cet article, le montant de la sanction applicable peut être modulé par l’autorité administrative dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État en fonction des efforts de l’entreprise en matière d’égalité ou des motifs de sa défaillance.

En contrepartie de ces avancées, la loi de 2010 supprimait la date butoir du 31 décembre 2010 fixée par la loi de 2006 sur l’égalité salariale pour les négociations de rattrapage des salaires.

Un projet de décret d’application de l’article 99 a été présenté au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle début mai 2011, dont la teneur a été rejetée par l’ensemble des représentants syndicaux tant son contenu leur semblait s’éloigner des intentions du législateur.

Finalement, le décret n° 2011-822 du 7 juillet 2011 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes procède à une modification du code du travail pour y introduire les dispositions suivantes : « L’accord collectif ou, à défaut, le plan d’action prévu à l’article L.2242-5-1 fixe les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre portant sur au moins deux des domaines d’actions mentionnés au troisième alinéa de l’article L.2323-47 pour les entreprises de moins de 300 salariés et sur au moins trois des domaines mentionnés au deuxième alinéa de l’article L.2323-57 pour les entreprises de 300 salariés et plus. Ces objectifs et ces actions sont accompagnés d’indicateurs chiffrés. »

Les domaines d’action sur lesquels doivent porter les accords ou les plans sont donc précisés dans le code du travail. Il s’agit de : l’embauche, la formation, la promotion professionnelle, la qualification, les conditions de travail, la rémunération effective et l’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. On notera que cette liste laisse une marge assez large à l’entreprise et aux partenaires sociaux. Aucun domaine d’action obligatoire n’est prévu.

Par ailleurs, le décret prévoit qu’en l’absence d’accord ou de plan, l’inspecteur ou le contrôleur du travail met en demeure l’entreprise de combler cette carence. L’entreprise dispose alors d’un délai de six mois pour se mettre en conformité. Si elle ne le fait pas, elle encourt une pénalité et l’administration dispose d’un mois pour la notifier, la pénalité s’appliquant à partir de la notification. Il en résulte que l’entreprise n’est sanctionnée qu’après un éventuel contrôle et non à partir de la date d’entrée en vigueur du dispositif, soit le 1er janvier 2012. On peut donc craindre que l’entreprise n’attende un constat de l’inspection pour élaborer un plan d’action, avec le risque d’attentisme de la part des employeurs.

Le montant de la pénalité maximum a été fixé à 1 % de la masse salariale par l’article 99. Le directeur régional du travail décide de son taux en appréciant l’importance des obligations non respectées et les autres mesures qui ont été prises en matière d’égalité professionnelle.

Les entreprises « fautives » peuvent mettre en avant des motifs de défaillance pour justifier de leur impossibilité à se mettre en conformité avec la loi, au rang desquelles on trouve la survenue de difficultés économiques ou les restructurations ou fusions en cours.

En conclusion, l’application de la sanction n’est ni immédiate, ni automatique. On notera qu’à ce jour, aucune entreprise n’a été sanctionnée sur la base de l’article 99 et de son décret d’application.

Par ailleurs, le décret ne donne pas de précision sur les modalités de vérification quant au fait que la voie de la négociation a bien été privilégiée avant d’adopter un plan d’action.

Avant même tout projet de nouveau décret, l’examen du projet de loi sur la création des emplois d’avenir par l’Assemblée nationale, en septembre 2012, a été l’occasion d’ajustements législatifs. Ainsi, un amendement présenté par Mme Catherine Coutelle et adopté par l’Assemblée tendait à remédier à certains des défauts que j’ai décrits.

L’amendement prévoyait que « dans les entreprises d’au moins 300 salariés, ce défaut d’accord est attesté par un procès-verbal de désaccord », redonnant ainsi la priorité à la négociation sur le plan unilatéral.

Parallèlement, l’amendement prévoyait que « ce plan d’action est déposé auprès de l’autorité administrative ». Cette obligation permettra la centralisation auprès des services de l’inspection du travail des accords et plans d’action, d’où la possibilité d’effectuer un recensement exhaustif des plans effectivement mis en œuvre.

Cet amendement est devenu l’article 6 de la loi n° 2012-1189 du 26 octobre 2012, marquant donc un réel progrès mais laissant entière la question du contrôle.

Un nouveau projet de décret d’application de l’article 99 de la loi de 2010 est donc en cours d’élaboration. Il imposerait aux entreprises de déposer leurs plans d’action auprès des Directions régionales du travail, obligation jusqu’alors réservée aux accords, et renforcerait ainsi la disposition adoptée dans la loi sur les contrats d’avenir.

Ce projet de décret imposerait également que les indicateurs sur la place des femmes (salaires, promotions, par exemple) inclus dans les rapports de situation comparée (RSC), se déclinent par catégories professionnelles.

Une version remaniée du projet de décret a été présentée le lundi 12 novembre au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. Il semblerait que cette nouvelle version procède à l’élargissement du nombre des domaines d’action sur lesquels doivent porter les accords ou les plans. Ce nombre serait porté de deux à trois pour les entreprises de moins de 300 salariés et porté de trois à quatre pour les entreprises de plus de 300 salariés.

De surcroît, ce nouveau projet, d’après les informations obtenues, imposerait que la rémunération figure obligatoirement dans les domaines d’action retenus par l’accord collectif ou le plan d’action. Cette obligation nouvelle serait particulièrement bienvenue si l’on se souvient que la date butoir du 31 décembre 2010 fixée par la loi de 2006 sur les négociations de rattrapage salarial avait été supprimée par l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010.

En tout état de cause, la question de la procédure de contrôle de la mise en œuvre de la politique d’égalité par les entreprises doit être impérativement précisée : objectifs, fréquence, modalités, contenu, accompagnement des acteurs.

Dans ce contexte, je vous propose cinq recommandations qui pourraient être transmises au Gouvernement avec l’objectif de voir élaborer une réglementation garantissant l’effectivité du droit à l’égalité professionnelle et salariale.

Mme Conchita Lacuey. L’obligation de transmission des rapports de situation comparée et des plans introduite par la loi sur les emplois d’avenir, comme les procédures que vous recommandez, constitueraient des avancées, mais l’on peut se demander si les services de l’inspection du travail disposent d’assez de moyens pour examiner l’ensemble des documents qui seront déposés et de donner suite. Il faudrait accompagner ces dispositions de moyens supplémentaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Notre amendement a prévu que le plan d’action soit déposé auprès de l’autorité administrative, ce qui permettra la centralisation auprès des services de l’inspection du travail de tous les accords et plans d’action. Les services pourront effectuer un recensement exhaustif des plans mis en œuvre. Ce contrôle sur pièces sera déjà plus aisé à réaliser que le contrôle sur place actuel, qui semble-t-il n’a pas été mis en œuvre, et pour lequel l’administration ne disposait pas d’instructions quant aux entreprises à contrôler en priorité et quant au constat qu’il convenait de faire. Le travail des DIRECTE devrait s’en trouver facilité.

Mme Cécile Untermaier. Si la réglementation qui sera adoptée prochainement est suffisamment complète et fait siennes nos recommandations, le dispositif sera efficace ; de plus, la sanction qui existe déjà, c’est-à-dire l’amende portant sur 1 % au plus de la masse salariale, est réellement dissuasive, comme les représentants de syndicats patronaux auditionnés nous l’ont bien souligné.

Mme Pascale Crozon. Je m’interroge sur la complexité du rapport de situation comparée et je crains que les entreprises, surtout celles de petite taille, n’aient des difficultés à l’établir. Il est certain que les directions du travail manquent de moyens : elles devront prendre connaissance de tous les rapports qui seront déposés. C’est pourquoi, à mon sens, les rapports devraient être simplifiés afin que les services en aient une lecture rapide. D’ailleurs, il serait important de préciser ce que les inspecteurs devront prendre en considération, les points sur lesquels ils devront se montrer plus exigeants. Il semble qu’il y ait pour le moment obligation de dépôt mais aucune précision sur les modalités de suivi du dépôt. La préoccupation de la simplification concerne tant l’entreprise que l’inspection du travail.

Nous examinons en ce moment les méthodes de travail des déléguées régionales aux droits des femmes : certaines participent à des actions de sensibilisation et de formation auprès des entreprises. Ne serait-il pas utile de les faire intervenir de manière régulière dans cette définition par l’entreprise de son rapport de situation comparée, ou de son plan, et de même ensuite au moment de la mise en œuvre du plan ? Ces plans peuvent être des leviers importants d’action, comme le sont les contrats de mixité.

Mme Cécile Untermaier. Il est vrai que l’obligation d’établir un rapport de situation comparée fait partie des obligations significatives pour une entreprise petite ou moyenne, de même que l’obligation d’avoir un comité d’hygiène et de sécurité par exemple.

Pourtant, la politique menée par le Gouvernement doit aller jusqu’à la sanction, or aujourd’hui on reste encore dans la sensibilisation. Le dispositif d’avertissement et de mise en œuvre de la sanction doit être clair et efficace. L’une des recommandations que je propose concerne ce dispositif.

Il existe déjà des actions d’appui réalisées sur le terrain par les déléguées régionales aux droits des femmes.

Je prends acte de votre préoccupation de simplification.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je remercie Mme Untermaier pour son analyse et ses propositions, que je transmettrai au nom de la Délégation au ministre du Travail ainsi qu’à la ministre des Droits des femmes.

Au sujet de la teneur du RSC, je souligne que Mme Marie-Jo Zimmermann, qui avait suivi ce dossier à l’époque de la rédaction du premier décret d’application, a regretté la suppression des critères retenus par la loi « Génisson » de 2001, car cette loi formulait une liste précise et exhaustive des indicateurs relatifs à la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise. Cette liste incluait notamment la répartition des embauches par type de contrat de travail et par catégorie professionnelle.

Il serait selon moi souhaitable que la répartition des embauches par type de contrat de travail (temps partiel ou temps plein) figure dans le RSC, car cela compléterait utilement le tableau de la situation de l’entreprise tel qu’il ressort de ce rapport.

Il conviendrait également que soit dressé un véritable bilan des accords conclus et de préciser les modalités du contrôle effectué par les inspecteurs du travail. S’agit-il de contrôler l’existant –plans ou accords négociés- ou s’agit-il déjà d’une évaluation de la qualité de ces accords ? Ce contrôle doit-il cibler en priorité les grandes entreprises ou au contraire doit-il être effectué de manière aléatoire ? Ce sont là des questions à approfondir.

Ainsi que l’avait souligné la ministre des Droits des femmes auditionnée par la Délégation le 23 octobre, il serait aussi très souhaitable que la négociation au sein de l’entreprise soit obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés. Aussi le futur décret doit-il le prévoir clairement.

L’administration doit être très attentive à la lisibilité du décret, qui procède peut-être de manière inévitable, à de nombreux renvois au code du travail. Sa lecture autonome en est rendu très difficile et la critique portée par la CGPME, auditionnée par la rapporteure, du caractère incompréhensible du décret seul, doit être entendue.

Je demande en conclusion à la rapporteure de poursuivre son travail de suivi, afin de nous faire part de la teneur du décret lorsqu’il sera publié et si besoin est, de renforcer nos recommandations. Ensuite, nous resterons informés de l’impact du décret sur la mise en œuvre de l’égalité professionnelle et salariale, souhaitant qu’il soit plus rapide et plus efficace que le texte réglementaire actuellement en vigueur.

À l’issue de ce débat, la Délégation a adopté les recommandations suivantes :

1. - Prévoir des domaines d’action obligatoires pour les accords négociés ou les plans d’entreprise, au premier rang desquels la rémunération

S’il est bon de laisser une large marge à la négociation entre les partenaires sociaux, il est également légitime pour le Gouvernement, s’il veut établir des priorités et guider ces partenaires, de prévoir des domaines obligatoires au sein de cette négociation. L’obligation de conduire une négociation en vue du rattrapage salarial ayant été supprimée par la loi du 9 novembre 2010, il est indispensable d’inclure la rémunération parmi les domaines de négociation obligatoires.

2. - Considérer la question des moyens dévolus à l’inspection du travail et celle de la formation de ces inspecteurs, indissociable de la question de la sanction

Les inspecteurs du travail se trouvent au premier plan pour mener à bien les procédures de contrôle. Cela implique logiquement qu’ils soient en nombre suffisant pour effectuer tous les contrôles nécessaires et aussi qu’ils reçoivent une formation adéquate pour appréhender la situation de chaque entreprise. Parallèlement, la sensibilisation et la formation des chefs d’entreprise doit être mise en œuvre.

3.– Améliorer les procédures de mise en œuvre de la sanction : délai de mise en application de la sanction, caractère automatique, modulation par l’autorité administrative, caractère dissuasif de la sanction

Le délai de six mois à compter de la notification, octroyé aux entreprises pour se mettre en conformité avec la loi, semble bien magnanime à l’égard d’entreprises qui ne respectent pas des prescriptions législatives édictées il y a plus de trente ans. Un délai de deux mois pourrait être considéré comme suffisant. Cette observation vaut également pour l’automaticité de la sanction : à partir du moment où l’infraction a été constatée, si l’entreprise ne se met pas en conformité dans le délai imparti, la sanction doit alors intervenir. Cela est d’autant plus vrai que la sanction financière peut être modulée par l’autorité administrative. Il conviendrait également de préciser le délai imparti aux entreprises pour déposer leurs accords ou leurs plans d’action auprès de l’autorité administrative dès lors que ceux-ci ont été négociés ou adoptés.

La sanction doit avoir un effet dissuasif sur l’entreprise, afin d’éviter que les entreprises ne préfèrent verser des pénalités financières plutôt que de respecter la loi, comme c’est le cas par exemple pour l’obligation légale relative aux quotas de travailleurs handicapés au sein des entreprises.

4. –S’assurer par des dispositions appropriées que la voie de la négociation sera bien privilégiée par rapport au plan unilatéral de l’entreprise

Cette nécessité semble être prise en compte par la disposition adoptée dans la loi sur les emplois d’avenir, cependant il appartiendra à la direction générale du travail (DGT) de vérifier, par la mise en place d’outils statistiques, que la voie de la négociation a bien été privilégiée par rapport au plan unilatéral de l’entreprise.

5. – Formaliser la procédure du contrôle laissée en suspens par le décret du 9 juillet 2011 : cerner les objectifs du contrôle, en préciser la fréquence et les modalités, accompagner les acteurs et mettre au point une méthodologie

La DGT doit accompagner les acteurs en mettant au point une méthodologie efficace. Cette méthodologie pourrait faire l’objet d’une circulaire ministérielle. Les inspecteurs mandatés pour contrôler les entreprises ont besoin de lignes d’analyse harmonisées au plan national, ils doivent pouvoir lier la nature des insuffisances constatées et le niveau de la sanction. La fréquence ou la régularité des contrôles pourrait aussi être précisée. Pour cette action d’accompagnement, l’administration doit pouvoir s’appuyer également sur les Déléguées régionales aux droits des femmes.

2. Compte rendu de la réunion du 15 janvier 2013

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a entendu une seconde deuxième communication de Mme Cécile Untermaier, rapporteure, sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

La présidente Catherine Coutelle : Nous allons maintenant entendre la deuxième communication de Mme Cécile Untermaier sur l’égalité professionnelle et salariale. Je vous rappelle qu’à la suite de sa première communication sur le sujet, qui nous a été présentée le 14 novembre 2012, il a été convenu qu’elle informerait la Délégation à nouveau, lors de la parution du décret relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, au sujet duquel nous avions adopté des recommandations, qui ont été adressées au Gouvernement. Ce décret a été publié le 19 décembre 2012.

Mme Cécile Untermaier, Rapporteure : Après la présentation de ma première communication, qui faisait le point sur le décret d’application de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010, j’ai poursuivi l’audition des représentants syndicaux et du patronat, pour recueillir leur avis sur le nouveau projet de décret du gouvernement. Mon intervention rappellera l’essentiel des remarques faites par les personnes entendues (syndicats et patronat) et indiquera la teneur du décret de décembre.

Les remarques et attentes des différents représentants s’articulent autour de trois points principaux: le délai de mise en conformité, l’institution d’une sanction financière et la procédure de contrôle.

Le premier point concerne donc le délai de mise en conformité des entreprises qui n’ont pas rempli leurs obligations en matière d’égalité professionnelle et salariale.

Ce délai est fixé à six mois dans le projet de décret. Les représentants de la CGPME l’ont jugé satisfaisant, le considérant comme un délai pédagogique, permettant aux entreprises de « se retourner ». Les représentants du Medef sont plus circonspects : ce délai leur paraît trop court et le Medef aurait souhaité que le gouvernement attende la fin des négociations en cours sur la qualité de vie au travail, qui couvrent la question de la réduction des inégalités professionnelles.

À l’inverse, parmi les représentants syndicaux entendus, une certaine unanimité est apparue pour trouver ce délai trop long. Les représentants de la CFTC et de FO, notamment, craignent que ce délai ne favorise l’attentisme des entreprises : un délai de deux mois leur semblerait suffisant. A vrai dire, nous aussi nous trouvons que deux mois seraient suffisants, rappelons nous que le RSC a été instauré en 1983, par « la loi Roudy » !

Le deuxième point concerne la sanction financière instituée à l’article 99 de la loi de 2010, et marque sans surprise une ligne de séparation entre les syndicats et le patronat.

Les représentants patronaux se sont montrés très réservés quant à l’institution d’une sanction frappant les entreprises qui n’ont pas rempli leurs obligations. Les représentants de la CGPME comme ceux du Medef ont exprimé leur préférence pour une démarche de sensibilisation et d’accompagnement des entreprises, avec la mise au point et la généralisation de bonnes pratiques : le Medef, par exemple, a édité à l’intention de ses adhérents un guide pratique sur l’égalité professionnelle, pour les sensibiliser à cette problématique. Tous ont admis qu’il convenait de privilégier une logique d’incitation, à visée pédagogique. A cet égard, la création d’un site Internet dédié, annoncée par le gouvernement, leur a paru une bonne initiative, le lancement d’une campagne d’information prévue en janvier également.

Les représentants du Medef ont fait observer que les PME risquaient de manquer de moyens pour se doter d’un accord collectif ou d’un plan d’action dans le temps imparti, et ce sans aucune mauvaise volonté. La CGPME a craint que la mise en place d’une sanction financière pour les entreprises de plus de cinquante salariés n’accentue encore les effets de seuil.

Concernant le montant de la sanction, fixé au maximum à 1% de la masse salariale, il est apparu tout à fait excessif aux yeux des représentants patronaux, pouvant même mettre en péril l’existence de l’entreprise. De ce point de vue, le caractère modulable de la sanction est donc plutôt rassurant.

Au contraire, les représentants syndicaux ont considéré que l’application d’une sanction était nécessaire pour garantir le caractère dissuasif du dispositif: dès lors que les obligations légales ne sont pas respectées, la sanction doit pouvoir s’appliquer. Les représentants de la CFTC comme ceux de FO convergent dans leur analyse pour affirmer que la sanction doit être la norme, quitte à prévoir des éléments dérogatoires. Il s’agirait pour eux, en quelque sorte, « d’inverser la charge de la preuve », en conservant un cadre général pénalisant, avec une sanction rapide et automatique.

La CGT observe, dans sa déclaration au Conseil supérieur de l’égalité du 12 novembre 2012 en le regrettant, que les motifs de défaillance admis pour échapper à la pénalité financière ne sont pas supprimés dans le projet de décret.

Le troisième point sur lequel se concentrent les remarques est la procédure de contrôle.

Les représentants syndicaux se sont interrogés sur le suivi du dépôt des accords collectifs et plans d’action et sur le contrôle effectué : à quel moment, dans quel délai et à quel rythme s’effectueront les contrôles ? Certains ont fait remarquer que le contrôle effectué par les inspecteurs du travail était surtout formel alors que souvent, les accords, dans leur contenu, ne font que répéter ce qui est déjà dans la loi.

Ils ont observé que les procédures de contrôle n’étaient pas clairement définies dans le projet de décret : il a semblé nécessaire que la Direction générale du travail adresse des consignes précises en la matière. La CGT, dans sa déclaration, pointe le manque de moyens et se demande combien de contrôles sur site seront possibles, compte tenu des moyens alloués aux Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE)

Enfin, les syndicats ont insisté sur la nécessité d’un contrôle à la fois quantitatif et qualitatif visant à évaluer les progrès réels sur le plan de l’égalité professionnelle.

En complément des auditions des syndicats et du patronat, j’ai entendu le point de vue d’un praticien confronté aux problèmes concrets de l’égalité professionnelle en entreprise et j’ai choisi d’entendre Mme Hélène Sabatier, juriste d’entreprise et animatrice d’un réseau de femmes dans le secteur de la banque et de l’assurance. Mme Sabatier a considéré que la sanction était nécessaire, la simple incitation n’étant pas suffisante pour faire évoluer la situation. Mais selon elle, la principale faiblesse du dispositif réside dans le fait que la sanction n’a pas d’objet qualitatif : il faudrait imaginer un mécanisme d’évaluation qui tienne compte des améliorations apportées d’une année sur l’autre par les plans d’action.

Le contrôle des plans d’action ou accords collectifs devrait avoir toujours en vue l’amélioration, avec une sorte d’obligation de résultat. Car la vraie question est : comment contrôle-t-on l’efficacité du dispositif ; Les accords aboutissent-ils à une plus grande égalité professionnelle entre hommes et femmes ?

On pourrait aussi imaginer des experts dédiés à l’égalité professionnelle dans les entreprises. Ainsi, l’égalité professionnelle pourrait être traitée en même temps que les conditions de travail, par un seul expert, au sein du CHSCT qui aurait aussi compétence sur l’égalité professionnelle. Les réseaux de femmes en entreprise pourraient être utilisés comme espace d’échange dans l’entreprise, en faisant le lien entre les différents acteurs.

J’en viens maintenant au contenu du nouveau décret du 18 décembre dernier.

Le décret augmente le nombre des domaines d’action sur lesquels devront porter les accords et les plans d’action. Ce nombre est porté de deux à trois pour les entreprises de moins de 300 salariés et de trois à quatre pour les entreprises de plus de 300 salariés.

Par ailleurs, la rémunération effective doit obligatoirement être comprise dans les domaines d’action retenus par l’accord collectif ou, à défaut, le plan d’action.

Cette disposition satisfait ainsi la recommandation n°1 de la DDF.

Le nouveau décret met en place des indicateurs sur la place des femmes, déclinés par catégories professionnelles, et qui doivent figurer dans la synthèse du plan d’action.

Il impose aux entreprises de déposer leurs plans d’action auprès des Directions régionales du travail (DIRECCTE) dans les conditions de droit commun prévues par le code du travail pour les conventions et accords, permettant en conséquence de mettre en œuvre un contrôle sur pièce.

S’agissant du délai laissé aux entreprises pour la mise en conformité, et contrairement au souhait de la Délégation de le voir ramené à deux mois -c’était la recommandation n°3-, le décret le maintient à six mois. On peut regretter que l’application de la sanction ne soit pas automatique mais reste soumise à l’appréciation de l’inspecteur du travail. Le montant maximum de la pénalité financière, toujours modulable, reste fixé à 1% de la masse salariale.

Les nouvelles dispositions n’entreront en application dans les entreprises, que lors du renouvellement de ces accords collectifs ou plans d’action et, au plus tard, en ce qui concerne les accords à durée indéterminée, à l’échéance triennale suivant la publication du décret.

J’observe que ce choix s’explique par les contraintes de la négociation collective, mais il conduit, de fait, à accorder un délai supplémentaire aux entreprises pour se mettre en conformité avec les exigences légales. Selon mes informations, les entreprises de plus de mille salariés devraient faire l’objet d’un contrôle systématique en 2013, les autres faisant l’objet de contrôles plus ponctuels.

Le décret devrait s’accompagner de deux circulaires, actuellement en cours d’élaboration.

Pour conclure, je dirais que la parution du décret est une chose, son application en est une autre. Il faudrait prévoir d’en mesurer les effets et les avancées s’agissant de l’égalité professionnelle et salariale, dans un an.

Ce décret s’inscrit dans une démarche globale de lutte contre la précarité professionnelle et les inégalités. Les RSC sont des indicateurs et acteurs de cette politique que nous poursuivons. Ils doivent faire l’objet d’une véritable analyse.

La présidente Catherine Coutelle. Il sera utile de faire une évaluation de la mise en œuvre du dispositif ainsi mis en place un an après son entrée en vigueur. Il faudra suivre la progression du nombre des accords et plans déposés dans les directions régionales du travail et de l’emploi. Il serait bon que les inspecteurs du travail puissent à cette occasion contrôler aussi l’existence et le contenu des RSC. Jusqu’à aujourd’hui, les inspecteurs du travail, lorsqu’ils se rendaient dans les entreprises, ne demandaient pas le RSC ; il faut souhaiter que dorénavant, toute visite en entreprise porte aussi sur l’existence et la teneur du RSC.

Il est difficile d’évaluer les progrès de l’égalité salariale ; cette évaluation ne sera probablement possible que dans plusieurs années. On entend actuellement s’exprimer une crainte que la progression de l’égalité salariale ne conduise à retirer aux hommes ce qui devra être donné aux femmes. Enfin, les organisations professionnelles devront mettre ce sujet de l’égalité au cœur de leur action et de leurs négociations.

Mme Ségolène Neuville. Qu’en est-il des associations qui emploient du personnel, comme des associations gérant des établissements accueillant des personnes âgées, par exemple, et des administrations, en ce qui concerne les obligations d’égalité professionnelle et salariale ?

Mme Catherine Coutelle. La loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire des agents contractuels dans la fonction publique, dite loi Sauvadet, a prévu que les administrations aient à rendre des rapports de situation comparée et se voient infliger des pénalités en cas de non-application de la loi. Il est vrai que la question se pose pour les associations recourant à des métiers de service : nous devons être vigilants sur cette question, que nous pourrions poser au ministre du Travail et au ministre des Affaires sociales.

Mme Cécile Untermaier. La disposition relative au procès-verbal de désaccord, qui a été introduite par la loi du 26 octobre 2012 sur les emplois d’avenir, peut jouer un rôle très important aussi. J’estime que les entreprises, surtout les petites et moyennes, devraient aussi être davantage guidées, pour l’élaboration de leur RSC, par des modèles qui seraient mis à leur disposition par l’administration ou par les syndicats représentatifs du patronat.

La Présidente Catherine Coutelle. Je partage cette préoccupation de faciliter l’élaboration des RSC par les entreprises.

Je vous propose donc d’adopter le rapport de Mme Untermaier, qui comportera les deux communications qu’elle nous a présentées.

La Délégation adopte le rapport d’information de Mme Cécile Untermaier, constitué des deux communications successivement présentées et des recommandations adoptées par la Délégation le 14 novembre 2012.

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE

Mercredi 7 novembre 2012

—  Mme Brigitte STEIN, membre de la commission confédérale CFTC équité hommes/femmes

Mardi 13 novembre 2012

—  Mme Anne BALTAZAR, secrétaire confédérale de FO chargée du dossier de l’égalité professionnelle

—  Mme Geneviève BEL, vice-présidente de la CGPME

—  M. Philippe CHOGNARD, conseiller à la direction des affaires sociales de la CGPME

Jeudi 22 novembre 2012

—  M. Benoît ROGER-VASSELIN, président de la commission des relations du travail du Medef

—  Mme Odile MENNETEAU, directrice de mission à la direction des affaires sociales du Medef

—  Mme Laurence DURAND-MILLE, chargée de mission à la direction des affaires publiques du Medef

—  Mme Hélène SABATIER, juriste d’entreprise et animatrice d’un réseau de femmes en entreprises

1 () Étude de la Dares, 2006 (dernières statistiques disponibles).

2 () Rapport d’information (n° 3621) sur l’application des lois sur l’égalité professionnelle au sein des entreprises, présenté par Mme Marie-Jo Zimmermann au nom de la Délégation aux droits des femmes


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