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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 6 décembre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Le Fur

1. Encadrement des grands passages et procédure d’évacuation forcée

Présentation

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative

Discussion générale

M. Jacques Lamblin

M. Charles de La Verpillière

M. Gilles Bourdouleix

M. Paul Molac

Mme Elisabeth Pochon

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Guy Geoffroy

M. Dominique Raimbourg

M. Didier Quentin, rapporteur

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée

Discussion des articles

Article 1er

M. Jacques Lamblin

M. Guy Geoffroy

M. Dominique Raimbourg

Après l’article 1er

Amendements nos 1, 13

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

Articles 3 à 5

Après l’article 5

Amendement no 2

Article 6

M. Jacques Lamblin

Amendement no 3

Article 7

Article 8

Amendement no 4

Article 9

M. Jacques Lamblin

Suspension et reprise de la séance

2. Conditions de l’usage légal de la force armée par les représentants de l’ordre

Présentation

M. Guillaume Larrivé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

M. Julien Aubert

M. Philippe Goujon

M. Philippe Folliot

M. Matthias Fekl

Mme Marietta Karamanli

M. Pascal Popelin

M. Guillaume Larrivé, rapporteur

M. Alain Vidalies, ministre délégué

Discussion des articles

Article 1er

M. Julien Aubert

Amendements nos 3, 1

Après l’article 1er

Amendement no 2

Article 5

Amendements nos 4, 5

Article 6

Articles 8 et 9

Suspension et reprise de la séance

3. Création d’une médaille d’honneur du bénévolat

Présentation

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative

Discussion générale

Mme Isabelle Le Callennec

M. Laurent Furst

M. Pierre Léautey

Mme Brigitte Bourguignon

M. Michel Pouzol

Mme Colette Langlade

Mme Valérie Fourneyron, ministre

Discussion des articles

Article 1er

Amendement no 21

Article 2

Amendement no 2

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Encadrement des grands passages
et procédure d’évacuation forcée

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Didier Quentin visant à encadrer les grands passages et à simplifier la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée (nos 330,461).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin., rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Didier Quentin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, mes chers collègues, la France est l’une des rares nations à avoir adopté une législation consacrée à l’accueil des gens du voyage sans doute parce que, pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer, ceux-ci sont beaucoup plus nombreux dans notre pays que chez nos voisins européens.

La loi du 5 juillet 2000, relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, dite loi Besson, a cherché à établir un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des gens du voyage et des collectivités territoriales afin de favoriser la cohabitation harmonieuse de différentes populations sur le territoire national.

Cette loi oblige les collectivités territoriales à organiser l’accueil des gens du voyage tout en leur permettant, en contrepartie, de recourir à des mesures renforcées de lutte contre leurs stationnements illicites.

Cependant, la mission d’information de la commission des lois chargée, sous la précédente législature, d’évaluer ce dispositif, et que j’ai eu l’honneur de conduire avec nos collègues Charles de La Verpillière et Dominique Raimbourg, a constaté que la loi du 5 juillet 2000 n’était plus vraiment adaptée aux réalités évolutives des modes de vie de la population concernée.

Comme l’avait rappelé, devant cette mission, M. Louis Besson lui-même, secrétaire d’État au logement dans le gouvernement de M. Lionel Jospin et initiateur de ladite loi, deux questions ne se posaient pas avec la même acuité en 2000 : celle des grands passages et celle des terrains familiaux.

Tel est l’objet de cette proposition de loi. Elle n’a pas pour ambition de réactualiser l’intégralité de la loi Besson, ce qu’il faudra sans doute faire bientôt. Il s’agit seulement, en dehors de tout esprit partisan, avec le souci de l’intérêt général et sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, de répondre à l’urgence de situations concrètes rencontrées sur le terrain par les élus locaux, et notamment par les maires. Ceux-ci sont de plus en plus souvent confrontés, notamment durant la période estivale, à l’arrivée intempestives de centaines de caravanes, entraînant des tensions avec les populations riveraines et aboutissant parfois à des situations anarchiques.

En outre, ce texte tire les conséquences d’une importante évolution des pratiques de déplacement. Une part croissante des gens du voyage tend en effet à se sédentariser, partiellement ou complètement, et à ne plus se déplacer qu’à l’occasion de rassemblements traditionnels ou cultuels massifs, généralement au cours de la saison estivale. De plus, cette sédentarisation s’opère dans des conditions précaires et sur des terrains qui, pour la plupart, n’ont pas été aménagés à cette fin.

Notre proposition de loi s’appuie sur le constat établi, et approuvé à l’unanimité, par notre mission d’information de 2011, ainsi que sur les deux rapports remis, en 2008 et en 2011, par le sénateur Pierre Hérisson, président de la commission nationale consultative des gens du voyage, et sur les rapports du conseil général de l’environnement et du développement durable, en octobre 2010, et de la Cour des comptes, en octobre 2012.

Avec Charles de La Verpillière, Jacques Lamblin, Christian Jacob et une cinquantaine de nos collègues, votre rapporteur estime qu’il est urgent d’adapter sur deux points la loi du 5 juillet 2000 aux réalités de 2012.

Tout d’abord, il convient que les grands passages soient clairement encadrés par la loi. Je rappelle que la loi du 5 juillet 2000 a prévu l’obligation, pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants, de créer des aires permanentes d’accueil selon des implantations planifiées dans le cadre d’un schéma départemental. Cependant, elle n’a pris en compte que de façon partielle la problématique des grands passages. Or ceux-ci sont distincts des grands rassemblements qui regroupent plusieurs dizaines de milliers de personnes, soit plusieurs milliers de caravanes, pour des manifestations essentiellement cultuelles. La plus connue se déroule aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

En application de la loi du 5 juillet 2000, l’État a la responsabilité des grands rassemblements, organisés en coordination avec les responsables des associations concernées. Ces grands rassemblements ne soulèvent généralement pas de difficultés majeures.

En revanche, les grands passages sont d’une nature différente, même s’ils ont souvent un lien avec les grands rassemblements, en servant notamment de préparation et de convergence vers les rassemblements de l’été. En 2009, ils ont représenté 80 à 85 groupes d’environ 200 caravanes ou plus, qui ont traversé, de juin à septembre, entre 800 et 1 000 villes. Ces déplacements sont également liés à des motivations commerciales, telles que les ventes sur les marchés. Or cette charge devient de plus en plus difficile à supporter pour les collectivités territoriales.

Ce n’est qu’en 2006 que les grands passages ont reçu une définition législative et que la loi a prévu l’existence d’aires spécifiques définies par les schémas départementaux. Cette solution s’est, à la longue, révélée inéquitable, impraticable et inefficace.

Inéquitable, car elle fait supporter à certaines communes ou intercommunalités une charge disproportionnée. Impraticable, car elle nécessite des équipements coûteux dans des aires très vastes pour une utilisation limitée à quelques semaines par an. Inefficace, car à peine 35 % des aires de grand passage ont été financées aujourd’hui, contre 68 % des places prévues en aires d’accueil. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à consacrer une distinction claire, plus ou moins établie déjà dans la pratique.

Les collectivités territoriales auraient pour responsabilité de proposer des solutions d’accueil aux gens du voyage pratiquant un nomadisme individuel ou par petits groupes, les conduisant à se déplacer régulièrement. L’État, lui, devrait superviser les grands rassemblements traditionnels ou religieux ainsi que les grands passages regroupant plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de caravanes en route sur des terrains que lui seul peut choisir et aménager, et dont certains pourraient être des terrains domaniaux, par exemple des terrains militaires désaffectés.

Cette formule favoriserait une rotation annuelle des emplacements permettant de ne plus faire supporter les contraintes par un seul territoire et facilitant l’acceptation des grands passages par les populations résidentes.

Mais l’État ne pourra davantage s’impliquer dans la gestion des grands passages que grâce à un régime de déclaration préalable obligatoire par les organisateurs, compte tenu notamment de l’impact sur l’ordre public de l’arrivée de plusieurs centaines de véhicules et de caravanes. Par ailleurs, l’existence d’un réfèrent permettra de développer les pratiques locales de médiation.

En second lieu, il nous faut prendre en compte la tendance à la sédentarisation des gens du voyage en dépit de l’apparente contradiction des termes. Depuis plusieurs années, les gens du voyage se déplacent moins et s’ancrent territorialement pour des périodes de plus en plus longues.

Ainsi, entre la moitié et les trois quarts d’entre eux ne se déplaceraient plus ou peu. Mais leur sédentarisation se produit souvent dans deux types de lieux inadaptés : des terrains qu’ils ont achetés ou loués, et dont l’utilisation n’est pas toujours conforme aux règles de l’urbanisme ; les aires d’accueil, où les durées de séjour s’allongent alors qu’elles n’ont pas été conçues comme un habitat permanent.

Ces nouveaux sédentaires bloquent la rotation au détriment des gens du voyage encore nomades, provoquant un effet de thrombose et engendrant même parfois la création de bidonvilles.

Devant ce phénomène, l’offre d’habitat adapté reste insuffisante, les collectivités ne mettant que rarement en place un tel habitat dont l’existence doit pourtant être prévue par les documents d’urbanisme.

Aussi, le présent texte vise-t-il à obliger l’État à proposer une solution de relogement adaptée aux personnes sédentarisées sur des terrains inadaptés, qu’il s’agisse d’aires d’accueil ou de terrains non destinés à l’habitat depuis une durée supérieure à dix-huit mois. Ces dispositions peuvent se rapprocher de celles de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable.

Enfin, il importe de restaurer les conditions spécifiques de mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée des terrains publics.

En contrepartie de l’obligation de création d’aires d’accueil, la loi du 5 juillet 2000 a posé comme principe que seules les collectivités locales ayant satisfait à leurs obligations légales d’aménagement d’aires d’accueil bénéficient de moyens renforcés de lutte contre les stationnements illicites.

La rédaction initiale de la loi du 5 juillet 2000 avait prévu que, pour demander l’évacuation d’un terrain appartenant à la commune, la condition d’atteinte à l’ordre public n’était requise que lorsque le maire saisissait la justice pour une occupation d’un terrain appartenant à un autre propriétaire, c’est-à-dire, le plus souvent, un propriétaire privé. Dans certains cas, cependant, le juge administratif a refusé l’expulsion forcée d’un terrain public au motif que le trouble à l’ordre public n’était pas établi. L’article 6 de la présente proposition de loi vise donc à ne maintenir la condition d’atteinte à la sécurité, la tranquillité et la salubrité publique que lorsque la demande d’évacuation forcée concerne l’occupation irrégulière d’une propriété privée. Cette condition ne sera plus exigée lorsque la demande concernera une propriété appartenant à la commune, à l’État ou à une autre personne publique.

La présente proposition de loi a donc pour objet, non pas de durcir ou de remettre à plat la loi Besson du 5 juillet 2000, mais bien d’adapter celle-ci à l’évolution des modes de vie des gens du voyage. Elle contient des solutions qui ont fait l’objet d’un consensus de la mission d’information constituée sous la législature précédente et qui vise principalement à mieux impliquer l’État dans l’accueil des grands passages et à responsabiliser davantage les gens du voyage par une préparation de leur arrivée aussi en amont que possible.

Si la commission des lois n’a pas jugé utile d’adopter ce texte, je m’en remets à la sagesse de notre Assemblée pour trouver un consensus sur des mesures de bon sens qui répondent à l’attente de nombreux élus de toutes sensibilités et des populations confrontés à ce problème récurrent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, l’accueil des gens du voyage et la politique à tenir à leur égard sont une question ancienne, qui concerne de nombreux élus et municipalités.

La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage a naturellement marqué un tournant décisif. Chacun peut en mesurer les apports indéniables, notamment les schémas départementaux qui sont au cœur du dispositif. L’État a pris sa part en accompagnant les investissements municipaux nécessaires à la réalisation et au fonctionnement des aires d’accueil.

Au fur et à mesure, le délai de réalisation des aires a été allongé afin d’aider les communes dans le respect de leurs obligations légales. Malgré ce dispositif incitatif, force est de constater que les résultats sont en demi-teinte.

Nous sommes face à un sujet complexe qui, par ailleurs, est mouvant. De nombreux élus constatent, comme vous l’avez fait, monsieur le rapporteur, la sédentarisation totale ou partielle des gens du voyage, notamment afin de permettre la scolarisation des enfants. Cette réalité doit être prise en compte, que ce soit du fait du blocage permanent des aires qu’elle entraîne ou du fait des nouveaux besoins qu’elle engendre.

À cette question des aires permanentes s’ajoutent celle des grands passages qui est au centre de votre proposition de loi et celle des grands rassemblements dont l’État a la responsabilité.

Cette organisation de l’accueil s’accompagne d’un dispositif de réponse à l’installation illégale de caravanes, qui préoccupe souvent les autorités. La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a ouvert la voie à une procédure administrative d’évacuation, alors que la loi de 2000 avait confié au juge judiciaire la totalité du contentieux. À titre personnel, je trouve que la loi sur la prévention de la délinquance n’est pas le bon véhicule législatif. Toujours est-il que cette nouvelle possibilité est soumise à une double condition : que le terrain occupé illégalement se trouve dans une commune ayant respecté ses obligations au regard du schéma départemental et que l’occupation soit de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique. Ce double critère répond au souci de proposer un dispositif équilibré entre responsabilité des communes et pouvoirs d’intervention.

Évidemment, je ne nierai pas les insatisfactions récurrentes, qu’elles soient le fait des gens du voyage ou des élus. Chacun voit les inconvénients et les insuffisances du dispositif, tout en reconnaissant le plus souvent les bienfaits de la loi française qui encadre et sécurise. Le dernier rapport de la Cour des comptes émet des critiques qu’il faut entendre.

Monsieur le rapporteur, vous travaillez depuis longtemps sur ces questions. Vous avez émis des préconisations, notamment dans votre rapport du 9 mars 2011, et l’on peut se demander pourquoi vous n’avez pas soutenu cette proposition de loi alors que vous étiez dans la majorité. Peut-être n’êtes-vous pas alors parvenu à convaincre le gouvernement que vous souteniez ?

M. Didier Quentin, rapporteur. Ce n’est pas tout à fait faux…

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je comprends votre souhait d’avancer aujourd’hui mais chacun doit aussi réfléchir à son propre bilan.

Vous proposez donc trois types de mesures : les premières visant à mieux encadrer les grands passages, les secondes à simplifier la mise en œuvre d’évacuation forcée en cas d’occupation illégale de terrains appartenant à des personnes publiques, les troisièmes à assurer le relogement des gens du voyage en voie de sédentarisation.

Je crains malheureusement qu’il ne s’agisse de fausses bonnes idées. L’idée générale qui guide votre proposition de loi est simple : organiser le transfert à l’État des compétences en matière d’accueil des gens du voyage, ainsi que la responsabilité des aires de grands passages.

M. Guy Geoffroy. Non !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Or, il faut le rappeler, l’accueil des gens du voyage relève d’une logique d’habitat organisée dans le cadre de schémas départementaux. Le choix de l’emplacement des aires d’accueil comme celui des aires de grand passage supposent l’élaboration d’un diagnostic complet et précis, intégrant une connaissance fine des ressources et des contraintes des territoires concernés, autant que de sa population. Ce diagnostic, seules les communes sont fondées à le dresser.

Comme vous le soulignez, les circulaires du 28 août 2010 et du 8 juin 2011 chargent le représentant de l’État dans le département de pallier les insuffisances des aires de grand passage mises en place. De ce point de vue, la Cour des comptes, dans son rapport de juillet 2012, relève que seulement 29,4 % des aires de grand passage ont été réalisées et 52 % des places prévues en aires d’accueil.

Ce constat de carence ne saurait paradoxalement constituer, comme vous le soutenez, un argument pour substituer la compétence étatique à celle de la collectivité territoriale, au moment même, de surcroît, où nous allons poursuivre le chantier de la décentralisation.

C’est sans doute cela, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, qui explique que vous n’ayez pas, au cours de ces dix dernières années, pris les décisions dont vous demandez aujourd’hui le vote. En effet, vous avez préféré la voie d’une aide, d’un soutien et d’un accompagnement de l’État, comme en témoignent les circulaires précitées. On relève aussi une présence affirmée au titre du maintien de l’ordre public car cette carence est source de troubles, faute d’organisation de l’accueil des gens du voyage.

De ce point de vue, l’État est effectivement le garant du bon déroulement des grands rassemblements. Ce rôle, il l’a assumé sans discontinuer, comme le montrent les circulaires mentionnées ou bien l’organisation pragmatique de ces grands rassemblements par l’État et certaines associations de gens du voyage.

Nous sommes parvenus à un équilibre, sans doute perfectible mais à peu près acceptable, dans la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales en matière d’accueil des gens du voyage. Cet équilibre est menacé par ce même constat que vous dressez vous-mêmes, à la suite d’ailleurs de nombreux rapports.

Reste que nous devons avancer sans précipitation, avec le souci de ne pas créer de dispositif législatif spécifique pour une population qui n’a de spécifique que son mode de vie itinérant, et qui est pour l’essentiel constituée de citoyens à part entière, tout à fait respectables.

Pas de dispositif spécifique, donc, a fortiori de dispositif qui serait douteux du point de vue constitutionnel : la modification proposée de l’article 9 de la loi de 2000, qui vise à supprimer la condition d’existence d’un trouble à l’ordre public pour autoriser l’expulsion administrative d’un terrain illicitement occupé, encourt clairement la censure du Conseil constitutionnel.

M. Guy Geoffroy. Justement, votons ce texte pour vérifier ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Voilà qui est original ! Surtout de la part d’un aussi fin juriste que vous ! (Sourires.)

M. Guy Geoffroy. Chiche !

M. le président. Veuillez poursuivre, madame la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. J’ai relu, monsieur le rapporteur, votre rapport d’information du 9 mars 2011. Vous y écrivez : « Si la procédure d’évacuation entrée en vigueur en 2007 peut être modifiée à la marge, notamment en ce qui concerne les “grands passages”, son équilibre global semble satisfaisant. » Vous ajoutiez que, « sur un plan juridique, la mission d’information estime que le législateur est probablement allé en 2007 aussi loin qu’il était possible d’aller. Il a en effet été très attentif à créer une procédure conforme aux principes constitutionnels ». Selon le Conseil constitutionnel, en effet, « l’évacuation forcée des résidences mobiles instituée par les dispositions contestées ne peut être mise en œuvre par le représentant de l’État qu’en cas de stationnement irrégulier de nature à porter une atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques ». Vous concluiez – avec raison, je crois – que « la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, qu’il serait donc constitutionnellement périlleux d’assouplir ». Vous avez donc changé d’avis sans qu’on sache pourquoi.

Le Gouvernement, en ce domaine comme dans d’autres, a le souci de l’ordre, mais d’un ordre républicain fondé sur le respect des textes et du droit. Nous ne pouvons donc pas suivre la voie que vous proposez.

Je vous l’ai dit, des avancées sont nécessaires, mais dans le cadre d’une réflexion plus globale, dépassant la seule vision gestionnaire de régulation des flux privilégiée par ce texte. Les constats riches et précis effectués par la Cour des comptes nous y invitent. Le Gouvernement a donc choisi de conduire une réflexion sur la base des préconisations de ce rapport.

M. Didier Quentin, rapporteur. De qualité ! (Sourires.)

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je note enfin que le sujet important du statut des gens du voyage n’est pas ici abordé. Nous avons pourtant tous pris acte de la décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012 abrogeant partiellement la loi du 3 janvier 1969. Sur ce point aussi le Gouvernement entend aller plus loin. Des parlementaires de la majorité, dont M. Dominique Raimbourg, travaillent actuellement à une proposition de loi. Le Gouvernement suit avec intérêt cette démarche.

Le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique passe certes par le respect de la propriété privée et publique, comme vous le soulignez dans votre proposition de loi.

M. Didier Quentin, rapporteur. Certes !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Cependant, pour être durable, le maintien de l’ordre passe aussi par la restauration de la dignité des gens du voyage, par le refus de l’amalgame et de la stigmatisation d’une population…

M. Guy Geoffroy. Nous sommes bien d’accord !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. …qui a su organiser, peu à peu, sa représentation, enfin par le respect des droits élémentaires.

M. Didier Quentin, rapporteur. Il ne faut pas oublier les devoirs !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. De cela, il n’est pas question dans votre texte, ce qu’on ne peut que regretter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Guy Geoffroy. Tout cela est très alambiqué !

Discussion générale

M. le président.Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Lamblin.

M. Jacques Lamblin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à encadrer les grands passages et à simplifier la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée a un énoncé laborieux et, pourtant, le problème que nous voulons en partie régler – car notre objectif n’est pas de tout régler – est relativement simple, et 70 députés issus de toutes les régions de France l’ont cosignée.

La plupart sont ou ont été élus locaux, confrontés à ce titre aux problèmes liés à la loi du 5 juillet 2000 ou, plus exactement, aux problèmes que cette loi ne règle pas. Les présentes propositions, dont je répète qu’elles ne sont pas exhaustives, ont néanmoins été longuement mûries et éclairées par l’expérience vécue et, de plus, elles se trouvent confortées par les conclusions de différents travaux déjà évoqués : le rapport de la mission d’information dirigée par Didier Quentin ; les rapports du sénateur Hérisson qui préside la commission nationale de consultation des gens du voyage ; enfin, et vous l’avez évoqué, madame la ministre, le rapport thématique de la Cour des comptes qui est, disons-le, particulièrement sévère.

Le texte ne stigmatise absolument pas les gens du voyage. Il cherche seulement, je le répète, à régler certains problèmes. Notre démarche est pragmatique et, si nous devions avoir une morale, ce serait celle de la fable Le lion et le rat de La Fontaine : « Patience et longueur de temps / Font plus que force ni que rage. » Nous voulons avancer pas à pas pour régler les problèmes, mais en aucun cas stigmatiser qui que ce soit.

La situation concernant les grands passages est absolument intenable. Pour des raisons locales, d’abord, vous l’avez dit, la commission départementale consultative des gens du voyage détermine les obligations des communes et établit un plan départemental. Elle applique en cela la loi du 5 juillet 2000 complétée par celle du 13 juillet 2006. Cela sur quels critères ? Cette commission – à laquelle je participe – établit la réalité des passages, de la demande, si vous préférez, en s’appuyant sur les déclarations des organismes qui représentent les gens du voyage, sur les constats faits sur les années antérieures ; elle applique également la loi de juillet 2000 et choisit donc, parmi les communes de plus de 5 000 habitants, celles qui devront mettre en place des aires de grand passage.

Quand, dans un territoire où l’on a besoin d’aires de ce type, on compte une seule commune de plus de 5 000 habitants – fût-elle une commune au territoire réduit –, c’est elle qui doit répondre à la demande, même si elle n’en a pas les moyens physiques. D’ailleurs, madame la ministre, vous avez rappelé, comme Didier Quentin, que les aires d’accueil, qui relèvent – ce que nous ne contestons pas – de la responsabilité communale et intercommunale, sont aujourd’hui réalisées à environ 70 % alors qu’elles ne sont subventionnées que partiellement par l’État. À l’inverse, seulement 30 % des aires de grand passage sont réalisées, alors qu’elles peuvent être financées jusqu’à 100 % par l’État. Nous sommes là confrontés, non à un problème de volonté politique, mais bien à un problème physique, puisque les mêmes élus acceptent de mettre en place les aires d’accueil et ne peuvent pas réaliser les aires de grand passage.

Le deuxième problème est lié aux personnes qui occupent temporairement ces aires de grand passage. Je saluerai les efforts remarquables réalisés par les préfets et leurs équipes – les sous-préfets notamment – pour préparer en amont les grands passages. Tout est parfaitement bien organisé et, en pratique, deux cas se présentent à nous. La plupart du temps tout se passe bien. Les quelques responsables d’un groupe respectent les dates d’arrivée et de départ et le groupe s’implante sur le lieu prévu. Un seul point noir cependant, le plan financier : j’affirme sans crainte d’être démenti que jamais la totalité des indemnisations demandées par les communes n’est réglée. Il n’est même pas question de location, il s’agit de faire payer simplement les fluides, le coût du traitement des ordures ménagères. C’est l’objet de négociations qui se terminent en général par un don au centre communal d’action sociale, laissé à la bonne volonté du groupe. Voilà la réalité, madame la ministre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Tout à fait !

M. Jacques Lamblin. Ensuite, à côté de cette immense majorité de cas – c’est donc dire s’il ne saurait être question pour moi d’une quelconque stigmatisation –, certains groupes, et beaucoup d’entre-nous l’ont vécu, se comportent comme en pays conquis.

M. Didier Quentin, rapporteur. Très juste !

M. Jacques Lamblin. Ils méprisent toutes les règles, savent que leur force, c’est leur nombre.

Lorsque deux ou trois cents caravanes arrivent sur une bretelle d’autoroute un dimanche après-midi de juillet, les pouvoirs publics doivent céder et les personnes qui prennent part à ce rassemblement peuvent s’installer où bon leur semble. Les pouvoirs publics, la gendarmerie, la police et le maire sont ridiculisés – il n’y a pas d’autre mot.

Pourquoi les pouvoirs publics sont-ils impuissants ? Parce que, comme il n’y a pas de responsable dans le groupe, ni d’organisation en amont – ces personnes ne s’étant pas annoncées –, il n’y a aucun recours possible. Et même si l’on tente un recours, celui-ci est si long à mettre en œuvre que les gens ont tout le temps de partir avant qu’on soit intervenu. Ceux qui agissent de la sorte ont parfaitement connaissance de tout cela, et ils ne sont pas près de changer d’attitude avec les dispositions actuelles. Voilà pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi.

Son premier objectif, Didier Quentin l’a déjà exposé : tous les rapports convergent pour dire que l’État doit avoir la responsabilité des grands passages. Il y a en effet un problème de disponibilité foncière, que j’ai déjà évoqué, mais sur lequel je veux insister ; l’État doit définir les aires dédiées à la fonction de grand passage et en assumer la gestion.

Le sénateur Hérisson a clairement montré, dans l’un de ses rapports, que la superficie nécessaire aux grands passages impose que les aires d’accueil soient situées à l’écart des centres urbains. Toutes les communes de plus de 5 000 habitants ne disposent pas d’une surface de terrain suffisante, située à proximité de la voirie, reliée au réseau, capable de supporter la circulation de véhicules relativement lourds, et non dévolue à des activités agricoles. D’autres secteurs du territoire sont davantage susceptibles de disposer de telles surfaces.

L’État, en outre, doit s’entendre avec les responsables de l’organisation de ces déplacements : c’est déjà très largement le cas, car les préfets, je l’ai dit, jouent déjà un rôle important en la matière. Par ailleurs, les responsables de ces groupes ont bien entendu l’obligation de respecter les calendriers auxquels ils se sont eux-mêmes astreints.

Le deuxième objectif de cette proposition de loi est de renforcer les moyens d’action de la puissance publique. Nous voulons, au travers de ce texte, rectifier une erreur de plume survenue dans la rédaction de la loi DALO du 5 mars 2007 – ce qui ne créera aucun problème constitutionnel. Notre proposition de loi vise à rétablir le principe selon lequel l’atteinte à la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques n’est pas une condition nécessaire pour obtenir l’évacuation forcée d’un terrain public situé dans une commune répondant aux obligations d’équipement en aire d’accueil.

En d’autres termes, lorsque quelques personnes se réclamant de la communauté des gens du voyage arrivent dans une commune qui possède une aire d’accueil et s’installent en dehors de celle-ci, les règles de police administrative doivent s’appliquer. C’était déjà prévu par la loi du 5 juillet 2000 et il convient donc de corriger l’erreur de plume contenue dans la loi du 5 mars 2007.

Le dernier objectif de ce texte, enfin, est de tirer les conclusions du fait que la loi Besson est en retard sur la réalité sociale d’aujourd’hui. En effet, la tendance, chez la plupart des familles appartenant à la communauté des gens du voyage est à la semi-sédentarisation, voire à la sédentarisation. Je crois en effet qu’au fil du temps, ces familles ont compris que la scolarisation de leurs enfants était un fait extrêmement important, et que, par conséquent, la semi-sédentarisation ou la sédentarisation allait dans le sens du progrès de leur condition sociale.

Nous estimons donc que le fait de construire des aires d’accueil pour des gens qui sont de moins en moins nomades et qui cherchent de plus en plus à se sédentariser, n’est pas une réponse tout à fait adaptée au problème posé. Il faut répondre à cette demande de sédentarisation et, dans l’esprit de la loi DALO, il nous semble qu’il est de la responsabilité de l’État, par l’intermédiaire du préfet, de proposer un relogement aux populations qui sont en voie de sédentarisation.

En conclusion, madame la ministre, c’est l’expérience et la lucidité qui nous amènent à faire cette proposition de loi, et en aucun cas une volonté d’ostraciser une communauté que nous respectons. Nous voulons seulement clarifier les rôles de chacun, répartir les responsabilités entre l’État et les communes ou l’intercommunalité, en fonction des moyens, et en particulier des moyens physiques, de chacun.

Cette proposition de loi, nous la faisons avec une certitude,…

M. le président. Merci, cher collègue.

M. Jacques Lamblin. …celle de proposer un système plus juste et plus efficace. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Didier Quentin, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Charles de La Verpillière.

M. Charles de La Verpillière. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que la Constitution, ont consacré deux droits fondamentaux : en premier lieu, la liberté, pour tous les Français, d’aller et de venir sur le territoire de la République ; en second lieu, le droit de propriété, qualifié d’inviolable et de sacré.

S’agissant des gens du voyage, qui sont pour la plupart, et même pour la totalité d’entre eux, de nationalité française – et donc des citoyens –, c’est la loi du 5 juillet 2000, dite loi Besson, qui met en œuvre les deux principes que je viens de rappeler. En premier lieu, elle confie aux communes et aux intercommunalités le soin de mettre à la disposition des gens du voyage des aires permanentes d’accueil pour les petits groupes et des terrains plus sommairement aménagés pour les grands passages. En second lieu, et en contrepartie de cet effort demandé aux collectivités territoriales, la loi du 5 juillet 2000 permet aux préfets, sur demande des maires, d’ordonner l’évacuation forcée des caravanes qui stationnent en dehors des aires permanentes d’accueil et des terrains de grands passages, et qui occupent donc illégalement des propriétés publiques ou privées.

Force est de constater, mes chers collègues, que cet équilibre voulu par le législateur entre les droits et les devoirs des gens du voyage n’est pas respecté. J’ai pu le vérifier une fois de plus, cet été, dans le département de l’Ain. Tout d’abord, il est clair que les communes et les intercommunalités n’ont pas la capacité d’organiser et d’accueillir les grands passages, qui comptent parfois jusqu’à plusieurs centaines de caravanes, comme notre collègue Jacques Lamblin vient de le rappeler. En effet, alors que le programme d’aménagement des aires permanentes d’accueil pour les petits groupes se poursuit normalement, on constate que les maires et les présidents d’intercommunalités ont souvent le plus grand mal à désigner, à acquérir et à aménager les terrains destinés aux grands passages.

Avec mes collègues Didier Quentin et Jacques Lamblin, nous demandons par conséquent que ce soit l’État qui se charge des grands passages. C’est l’État qui a l’autorité et les moyens d’agir. ; c’est l’État qui a une vue d’ensemble du problème, à l’échelle de tout le territoire ; c’est donc à lui d’en prendre la responsabilité complète.

M. Guy Geoffroy et M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. Charles de La Verpillière. Le transfert des grands passages à l’État est ainsi la principale mesure de la proposition de loi que nous vous présentons, mes collègues et moi-même.

En second lieu, nous vous proposons de simplifier, pour la rendre plus efficace et plus opérationnelle, la procédure d’évacuation forcée. Dans la rédaction actuelle de la loi du 5 juillet 2000, l’évacuation forcée ne peut être ordonnée par le préfet que si trois conditions cumulatives sont remplies. Il faut d’abord que le territoire soit équipé en aires permanentes d’accueil et en terrains de grands passages ; il faut ensuite que les caravanes stationnent en dehors de ces emplacements, sur des terrains publics ou privés, sans l’accord des propriétaires ; il faut enfin, c’est la troisième condition, qu’il y ait un trouble à l’ordre public. Pour nous, cette troisième condition, très difficile à démontrer, est de trop, et c’est pourquoi nous proposons de la supprimer.

Nous pensons que le stationnement illégal est en lui-même, parce qu’il y a violation de la loi, un trouble à l’ordre public, qui suffit à justifier l’évacuation forcée.

M. Jacques Lamblin. Bien sûr !

M. Charles de La Verpillière. Contrairement à ce que vous avez dit, madame le ministre, la disposition que nous proposons est conforme à la Constitution. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Jacques Lamblin. Il a raison !

M. Charles de La Verpillière. Je vous rappelle d’abord que les préfets ne sont jamais tenus d’ordonner l’évacuation forcée, même lorsque les conditions légales sont remplies : il y a un pouvoir d’appréciation du préfet. Il n’y a pas – et vous m’excuserez d’employer un terme de technique juridique – de compétence liée.

Surtout, lorsque le préfet ordonne une évacuation forcée, il existe toujours, madame le ministre, la possibilité d’un recours devant le tribunal administratif. Dans ce cas, même si nous supprimons, dans le texte, la condition relative à l’atteinte à l’ordre public, le juge pourra – et devra, du reste – exercer ce que l’on appelle, en matière de police, un contrôle de proportionnalité. L’évacuation forcée restera donc placée sous le contrôle d’un juge, et celui-ci pourra l’annuler, s’il l’estime nécessaire.

En conclusion, je m’adresse encore à vous, madame le ministre…

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Madame la ministre !

M. Charles de La Verpillière. …pour regretter que le Gouvernement et sa majorité s’apprêtent, semble-t-il, à rejeter cette proposition de loi. Pour justifier votre refus, vous n’avez trouvé outre ce prétendu motif d’inconstitutionnalité, qu’un seul prétexte : notre proposition de loi, selon vous, ne traite pas toutes les questions relatives aux gens du voyage.

Nous savons bien, madame le ministre, qu’il y a d’autres problèmes, comme les titres de circulation, la scolarisation, la fiscalité et la sédentarisation. Mais alors, proposez-nous un texte ! Nous n’avons rien entendu dans votre discours, qui définisse une politique du Gouvernement concernant les gens du voyage…

M. Jacques Lamblin. Bien sûr ! Il a raison !

M. le président. Merci, cher collègue.

M. Charles de La Verpillière. Il est urgent d’agir. Nous vous proposons tout de suite deux mesures pratiques, qui sont attendues par les maires et par la population : il ne vous reste qu’à les accepter. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la problématique de l’accueil et de l’habitat des gens du voyage fait partie des enjeux auxquels les élus locaux sont confrontés chaque jour, lorsqu’il s’agit d’assurer une cohabitation harmonieuse entre les différents modes de vie de populations diverses.

Au moment d’aborder ce sujet, notre action de législateur doit être guidée par deux exigences principales. En premier lieu, nous devons appréhender les évolutions de notre société, afin d’adapter au mieux la législation aux réalités de notre temps. Il s’agit, non pas de nous en tenir à des préceptes théoriques, éloignés des véritables problèmes et préoccupations de nos concitoyens, mais bien d’analyser avec pragmatisme la réalité des situations rencontrées sur le terrain. La plupart d’entre nous connaissent cette réalité, pour exercer ou avoir exercé des mandats locaux.

Phénomène récent, apparu il y a vingtaine d’années environ, le développement des grands passages est la conséquence inévitable d’une évolution du mode de vie des gens du voyage, de l’itinérance vers la sédentarité. Cette semi-sédentarité, que la Cour des comptes qualifie, dans son rapport, d’« ancrage territorial » se traduit, pour une part croissante des gens du voyage, par des déplacements occasionnels, que l’on appelle donc « grands passages », lors de rassemblements traditionnels, ou supposés cultuels, organisés le plus souvent pendant la saison estivale.

Face à ce mouvement de semi-sédentarisation, et ainsi que l’avait observé la mission d’information chargée d’évaluer le dispositif relatif à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, la logique sous-tendant la loi du 5 juillet 2000 apparaît « moins pertinente, dans la mesure où elle vise à développer les aires permanentes d’accueil, afin de répondre aux besoins de familles voyageant tout au long de l’année ». Confondant encore largement aires d’accueil et aires de grand passage, la loi n’a d’ailleurs pris en compte la problématique des grands passages que de façon partielle et progressive. Or, nous sommes tous d’accord pour reconnaître que l’accueil de quelques véhicules et caravanes n’est en rien comparable à l’afflux de plusieurs dizaines ou même centaines de véhicules qui se produit lors de grands rassemblements.

Aujourd’hui, les collectivités territoriales chargées de répondre aux besoins de déplacement des gens du voyage dans le cas de grands passages, sont confrontées à un cadre juridique à la fois complexe et difficile à mettre en œuvre. Il est évident que, pour les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale désignés par les schémas départementaux, la prise en charge de ces événements représente un coût excessif, souvent disproportionné par rapport à leurs moyens financiers et humains.

Le nombre d’aires de grand passage prévu par département étant plus limité que celui des aires d’accueil, la charge d’investissement que représente la création d’une aire adaptée, les contraintes liées à l’afflux des personnes et des véhicules, sont souvent perçues comme une injustice, lorsque des communes de même taille ne sont pas soumises à une telle obligation, dans un même département. Concrètement, cela se traduit par une faible proportion des aires de grand passage réalisées, comparativement aux aires d’accueil ; les chiffres, rappelés tout à l’heure par notre collègue Lamblin, le montraient parfaitement.

Au-delà de l’existence ou non de ces aires spécifiques, toute commune peut se trouver confrontée aux grands passages lorsque des groupes importants stationnent sur son territoire. Là encore, l’installation des gens du voyage, en particulier lorsqu’elle n’a pas fait l’objet d’une réelle préparation en amont, peut être objectivement source de difficultés.

Ainsi, parce que la question des terrains de grand passage pose d’abord et avant tout un problème d’ordre public, le groupe UDI accueille favorablement la proposition des auteurs de ce texte qui vise à mettre un terme à l’ambiguïté des dispositions législatives en matière de grands passages.

Nous partageons cette volonté d’établir une stricte distinction entre l’accueil temporaire, qui doit rester de la responsabilité des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale, et la gestion des grands passages, qui ne peut être assurée que par l’État,…

M. Guy Geoffroy. C’est la seule possibilité !

M. Gilles Bourdouleix. …sur des terrains que lui seul est en mesure de choisir et d’aménager tout en assurant la sécurité et la tranquillité tout à fait légitimes des riverains.

La deuxième exigence devant guider nos réflexions est celle de l’établissement d’un juste équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des collectivités territoriales d’une part, et des gens du voyage d’autre part. Incontestablement, les droits ne peuvent pas aller sans les devoirs. Cet équilibre fut d’ailleurs la ligne d’horizon de la loi du 5 juillet 2000, qui impose aux collectivités territoriales une obligation d’organiser l’accueil des gens du voyage, tout en leur permettant, en contrepartie, de recourir à des mesures renforcées de lutte contre les stationnements illicites.

Le principe est donc simple : les collectivités ayant respecté leurs obligations légales d’aménagement d’aires d’accueil bénéficient de moyens de lutte contre les stationnements illicites. Or, trop souvent, les élus locaux, maires et présidents d’EPCI, ont le sentiment légitime d’être démunis face au stationnement illicite de caravanes, en petit comme en grand nombre. À mesure qu’il se prolonge, ce stationnement suscite très souvent des situations conflictuelles avec les populations riveraines et les populations locales en général.

C’est pourquoi il convient, dans une logique de droits et de devoirs réciproques, de restaurer le plein effet de la procédure d’évacuation forcée d’un terrain public situé dans une commune répondant à ses obligations d’équipement en aires d’accueil. De même, le fait d’imposer une obligation de déclaration préalable répondrait à la nécessité de faire reposer la législation relative aux gens du voyage sur une approche équilibrée entre droits et obligations.

La dernière raison pour laquelle ce texte répond, à notre sens, aux nouveaux défis en matière d’accueil et d’habitat des gens du voyage, c’est qu’il prend en compte le phénomène de sédentarisation, et par conséquent les situations précaires que connaissent parfois les gens du voyage sur des terrains non aménagés, en obligeant l’État à proposer une solution de relogement adaptée à ces personnes.

Les problématiques liées à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ne se limitent évidemment pas aux grands passages et à l’évacuation. Nous avons notamment évoqué en commission la question de l’accès des enfants des gens du voyage à la scolarisation. Il s’agit d’un sujet majeur, qui nous vaut sans doute l’honneur de votre présence cet après-midi, madame la ministre déléguée en charge de la réussite éducative !

M. Guy Geoffroy. Vous êtes taquin ! (Sourires.)

M. Gilles Bourdouleix. Il s’agit d’un sujet essentiel, puisque le mode de vie nomade ne doit pas priver les enfants d’un bagage scolaire nécessaire à tous dans notre société. Mais là encore, nous devons réfléchir aux moyens d’adapter la loi aux réalités du terrain, puisque les grands passages ont lieu le plus souvent pendant la période estivale, c’est-à-dire pendant les vacances scolaires.

Pour autant, le fait que cette proposition de loi ne recouvre pas l’ensemble des problématiques liées aux gens du voyage – je crois que nous en conviendrons tous, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons – ne peut être utilisé comme prétexte pour rejeter un texte qui comporte pourtant de vraies solutions. Avouons-le : ce prétexte devient un leitmotiv de la majorité et du Gouvernement pour condamner toute proposition, fût-elle constructive, de l’opposition. Nous évoquions d’ailleurs déjà ce comportement ce matin, lors d’un autre débat au cours duquel nos propositions étaient également rejetées, tout en étant souvent saluées comme positives…

M. Guy Geoffroy. Ce n’est jamais le moment ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Gilles Bourdouleix. Mais, comme par hasard, on nous dit qu’elles ne sont pas suffisamment complètes pour aboutir à une réforme pertinente de la loi.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Vous savez ce que c’est !

M. Jean-Pierre Maggi. Vous avez eu dix ans pour agir !

M. le président. Mes chers collègues, nous écoutons M. Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. J’en arrive à ma conclusion. L’accueil et l’habitat des membres de la communauté des gens du voyage ont déjà fait l’objet de nombreux études et rapports : rapports de la commission nationale consultative des gens du voyage en 2008 et 2011, rapports d’information divers, rapport de la Cour des comptes plus récemment. Tous s’accordent à dire qu’il est temps d’agir, en adaptant la loi du 5 juillet 2000 aux réalités de la vie des gens du voyage en 2012 et pour les années qui viennent.

Nous considérons que le texte qui nous est soumis aujourd’hui nous donne l’occasion d’avancer, au moins partiellement, pour améliorer les conditions dans lesquelles nous accueillons les gens du voyage, en particulier à l’occasion des grands passages. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI soutient et votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’encadrement des grands passages est un problème réel pour de nombreux élus locaux confrontés à l’arrivée de groupes de plusieurs dizaines – voire plusieurs centaines – de véhicules dans le cadre de rassemblements traditionnels ou occasionnels. L’accueil de ces grands passages peut entraîner les communes ou les EPCI à supporter une charge importante. S’ils ont généralement lieu en période estivale, ces grands passages sont parfois difficiles à prévoir, les dates et les lieux pouvant ne pas être exactement les mêmes d’une année sur l’autre. Les collectivités locales sont donc demandeuses d’un encadrement de ce phénomène, afin de pouvoir gérer de manière plus efficace des flux qu’elles n’ont pas toutes les moyens de gérer.

Cette proposition de loi vise à confier à l’État l’entière responsabilité des aires de grand passage. Or il me semble que son article 2 a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

M. Charles de La Verpillière. Il faut trouver une solution !

M. Paul Molac. Cet article 2 instaurait une distinction entre les aires d’accueil et les aires de grand passage, en mettant ces derniers à la charge de l’État, et non plus des communes bénéficiant d’une subvention de l’État. Sans cet article 2, le reste de la proposition de loi perd donc de son sens.

De plus, cette proposition de loi comporte plusieurs écueils. Nous comprenons la situation parfois ingérable des collectivités locales confrontées à ces phénomènes de grands passages. Toutefois, la proposition d’un encadrement par l’État ne saurait favoriser un sentiment de responsabilisation des collectivités locales.

M. Guy Geoffroy. Mais non, justement !

M. le président. Monsieur Geoffroy, laissez parler M. Molac, s’il vous plaît.

M. Paul Molac. En effet, bon nombre de collectivités locales n’appliquent pas la loi Besson relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui leur confère la charge des aires permanentes d’accueil. Je rappelle qu’il n’existe aujourd’hui que 25 000 places en aires d’accueil, au lieu des 42 000 prévues. Dès lors, on pourra regretter avec force l’arrêt des subventions de l’État au 1er janvier 2010,…

M. Jacques Lamblin. Remettez-les en place, alors !

M. Paul Molac. …notamment dû au retard pris par les collectivités locales dans l’application de la loi. Finalement, l’État n’a financé que les deux tiers des places prévues. Les collectivités locales ont donc une part de responsabilité, d’autant qu’aucun mécanisme de sanction n’est prévu contre les maires réfractaires. Dans ces cas-là, selon la loi, le préfet doit se substituer au maire pour réaliser les aménagements nécessaires aux frais de la municipalité. Cette disposition n’est pourtant jamais appliquée : les préfets et leur ministère de tutelle hésitent à la mettre en œuvre pour des raisons évidentes de bonnes relations avec les élus locaux.

Le rapport d’information de 2011 notait à juste titre que le dispositif relatif au choix et à l’aménagement des terrains de grand passage ne fonctionnait pas. En effet, les collectivités désignées pour installer un tel équipement sur leur territoire ne sont pas du tout incitées à le faire.

M. Guy Geoffroy et M. Axel Poniatowski. C’est vrai !

M. Paul Molac. Elles subissent par ailleurs des charges beaucoup plus importantes que celles qui n’ont pas à gérer ces grands passages. Ainsi, en 2011, sur les 350 aires de grand passage prévues par les schémas départementaux, seules 91 étaient opérationnelles – soit 26 % de l’objectif – et 122 étaient financées – soit 35 % de l’objectif.

Si l’État doit jouer un rôle moteur dans la prise en charge de ces aires de grands passages, il doit toutefois le faire de manière à responsabiliser les communes d’accueil en les associant au processus. Sur le fond, nous sommes donc d’accord : la mise en œuvre de moyens et la charge financière doivent incomber à l’État.

M. Charles de La Verpillière. Ah !

M. Paul Molac. Mais, sur la forme, cela ne doit pas être perçu comme un dédouanement des communes et des collectivités locales dans les responsabilités plus larges qui leur incombent en matière d’accueil des gens du voyage.

M. Guy Geoffroy. Nous sommes d’accord !

M. Paul Molac. J’en suis heureux !

Cette crainte étant exprimée, le principal écueil de cette proposition de loi réside dans le fait qu’elle est incomplète. (Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) Si elle s’appuie sur un rapport d’information adopté à l’unanimité par la commission des lois en 2011, et dont l’auteur est à l’origine du texte dont nous discutons aujourd’hui, elle comprend principalement des dispositions de nature coercitive.

M. Jacques Lamblin. Ce n’est pas un argument !

M. Paul Molac. Les propositions de nature incitative à l’intention des collectivités territoriales et des gens du voyage sont passées à la trappe.

Il en est ainsi de la préconisation de rendre plus systématique l’utilisation par les préfets de leur pouvoir de substitution, lorsque les communes ou les EPCI ne respectent pas leurs obligations relatives aux aires d’accueil.

Il en est ainsi de la préconisation de supprimer la condition de résidence de trois ans pour accéder au droit de vote et faciliter l’obtention de la carte nationale d’identité.

Il en est ainsi de la préconisation de supprimer les titres de circulation, reposant sur une disposition législative censurée en octobre dernier par le Conseil constitutionnel, et d’instituer une carte de résident itinérant au caractère facultatif et conditionnant l’accès aux aires d’accueil et aux droits propres aux gens du voyage.

Il en est ainsi de la préconisation de renforcer les dispositions relatives à l’accès aux droits sociaux dans les schémas départementaux, et d’améliorer la scolarisation des enfants.

Enfin, la préconisation d’une prise en compte des emplacements des aires permanentes d’accueil au titre des obligations en matière de logement social a été incluse dans le projet de loi sur le logement. Nous ne pouvons donc que regretter que ce dernier n’ait pas été voté par l’opposition ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Quitte à alimenter le sentiment de persécution chez nos collègues de droite, le groupe que je représente ne votera pas en faveur de cette proposition de loi.

M. Guy Geoffroy. Ah, c’est vraiment dommage !

M. Didier Quentin, rapporteur. Décidément, que de frustrations ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi qui vous est soumise vise à encadrer les grands passages et à simplifier la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée des gens du voyage. Elle s’appuie sur certaines conclusions d’un rapport d’information – ambitieux – sur le bilan et l’adaptation de la législation relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage, qui fut adopté à l’unanimité le 9 mars 2011.

L’exposé des motifs du texte qui nous est présenté annonce trois objectifs : mieux encadrer les grands passages, simplifier la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée, assurer le relogement des gens du voyage en voie de sédentarisation.

Je souhaite préciser le cadre de cette proposition de loi avant d’en discuter les grands axes, même si beaucoup de choses ont déjà été dites à ce sujet. Tout d’abord, je veux expliquer ce qu’est un grand passage. Les grands passages se différencient des grands rassemblements, auxquels participent des dizaines de milliers de caravanes et qui sont principalement des manifestations à caractère cultuel. Le grand passage le plus connu est celui du mois de mai aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

Les grands passages regroupant environ deux cents caravanes, ils nécessitent de plus petits terrains que les grands rassemblements : quatre hectares en moyenne contre plus de cent hectares.

Le rapport Quentin de 2011 avait permis de faire le point sur le phénomène des grands passages, en plein développement depuis une vingtaine d’années, qui serait directement lié à l’essor du courant évangélique parmi les gens du voyage. En effet, une partie des grands passages est organisée par l’association affiliée au courant pentecôtiste. Soit ils visent à préparer le grand rassemblement de la fin du mois d’août, soit ils répondent à des motivations plus commerciales.

Actuellement, l’État a la responsabilité des grands rassemblements, et le choix du terrain lui revient. Les aires de grand passage et les aires d’accueil adaptées relèvent pour leur part de la compétence des départements et figurent dans le schéma départemental d’accueil des gens du voyage. Ce sont les communes et les intercommunalités qui sont chargées de créer ces aires.

Elles peuvent être subventionnées à 100 % par l’État, qui peut également assurer la maîtrise d’ouvrage de leur réalisation. L’État n’est censé intervenir que lorsque les aires de grand passage prévues par le schéma départemental ne suffisent pas, notamment en mettant des terrains à disposition.

En premier lieu, la proposition de loi qui vous est présentée envisage de confier à l’État l’entière responsabilité des aires de grand passage, et suggère en compensation un gage sur le tabac. On ne peut que s’étonner qu’une si bonne idée à vos yeux n’ait pas été proposée pendant la législature précédente.

M. Guy Geoffroy. Il n’est jamais trop tard !

M. Jacques Lamblin. À tout pécheur, miséricorde !

Mme Elisabeth Pochon. En deuxième lieu, ce texte propose de faciliter la mise en œuvre de la procédure d’évacuation forcée lors de ces grands passages. L’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 dispose : « La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. » Un trouble à l’ordre public doit être constaté pour justifier la mise en demeure de quitter les lieux.

À l’heure actuelle, les préfets ont donc le pouvoir de mettre en demeure les gens du voyage propriétaires de résidences mobiles stationnant irrégulièrement sur des terrains publics ou privés de mettre un terme à cette occupation. Le préfet prend cette décision à la demande du maire ou du propriétaire du terrain.

La proposition de loi qui nous est soumise, afin de simplifier la procédure d’évacuation forcée, supprime la condition d’atteinte à l’ordre public lorsque la demande concerne une propriété publique. La condition d’atteinte à l’ordre public ne sera donc exigée que lorsque la demande d’évacuation concernera une propriété privée.

Enfin, le troisième axe du texte concerne le relogement des gens du voyage en voie de sédentarisation. Le rapport Quentin a constaté que les gens du voyage qui continuent de mener un mode de vie itinérant tout au long de l’année sont de plus en plus minoritaires, mais qu’ils ne s’installent pas pour autant dans des logements en dur : la plupart sont dans une situation de semi-sédentarisation, se déplaçant dans un périmètre limité et continuant à vivre dans leurs caravanes.

Cette situation peut s’avérer problématique, dans la mesure où les aires d’accueil sont inadaptées car prévues pour de courts séjours. Elles sont continuellement occupées du fait de cette semi-sédentarisation, et donc indisponibles au moment de recevoir les gens du voyage véritablement itinérants.

Pour y remédier, l’article 8 de la proposition de loi se contente de disposer : « Lorsqu’une commune a déjà réalisé, ou est engagée dans la construction d’une aire d’accueil permanente au sens de l’article 1er de la présente loi, et que dans le même temps, des personnes dites gens du voyage occupent dans cette même commune, depuis plus de dix-huit mois, un emplacement provisoire, le préfet propose à ces personnes une solution de relogement. »

Étrange remède au vu de la situation actuelle du logement ! Le dispositif prévu est insuffisant pour résoudre la problématique de l’habitat et de la précarité sociale des gens du voyage en voie de semi-sédentarisation.

Il ne s’agit pas de nier les problèmes que peuvent soulever les grands passages, mais je vous demande de rejeter cette proposition de loi, pour deux raisons évidentes : elle envisage la question des gens du voyage de façon trop partielle et elle répond uniquement à une logique coercitive et répressive, rompant l’équilibre indispensable entre les droits des gens du voyage et les obligations des pouvoirs publics.

M. Guy Geoffroy. Mais non !

Mme Elisabeth Pochon. C’est assurément un texte trop partiel. Il prétend se fonder sur le rapport d’information de 2011, qui comprenait quinze propositions, mais il n’en retient que les propositions coercitives qui y figurent.

M. Didier Quentin, rapporteur. C’est parce qu’il y a urgence !

Mme Elisabeth Pochon. Les obligations des collectivités territoriales ou les préconisations visant à mieux reconnaître les droits des gens du voyage sont totalement absentes de la proposition.

Envisager les gens du voyage uniquement comme un problème n’est pas une approche politique que nous soutenons. Certes, des troubles peuvent être constatés, mais lorsque la proposition de loi propose de supprimer la condition de trouble à l’ordre public pour faciliter l’évacuation forcée des terrains publics occupés illégalement, elle rompt un équilibre fondamental que nous nous devons d’assurer, un équilibre que toute société juste assure à ses citoyens : l’équilibre entre les droits et les devoirs, entre la sauvegarde de l’ordre public et les droits fondamentaux garantis à chaque individu.

Le Conseil constitutionnel n’a pas manqué de le rappeler en considérant, dans une décision rendue le 9 juillet 2010 suite à une question prioritaire de constitutionnalité, que le législateur, en modifiant l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000, « a adopté des mesures assurant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés ».

Il est inutile de rappeler que cette décision figure dans le rapport d’information et que la proposition de loi l’a ignorée. Inutile également de rappeler que le même rapport d’information précisait que le système était globalement très répressif, et que tout renforcement du dispositif d’évacuation serait très mal vécu par les gens du voyage et serait source de tensions, ce qui risquerait d’en amoindrir l’efficacité.

Reprise consciemment incomplète d’un rapport consensuel, voilà ce qu’est cette proposition de loi.

M. Charles de La Verpillière. Ce n’est pas gentil, et un peu partisan !

Mme Elisabeth Pochon. Nous ne pouvons oublier une décision rendue il y a tout juste deux mois par le Conseil constitutionnel. Le 5 octobre 2012, les Sages ont déclaré contraire à la Constitution les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 instaurant un carnet de circulation ainsi que celles imposant aux personnes sans domicile ni résidence fixe trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune pour être inscrite sur les listes électorales. Comment ne pas se sentir le devoir d’agir, chers collègues, à la lecture d’une telle décision ?

Mais l’action ne peut se faire en occultant, comme le fait la proposition de loi du député Quentin, les larges implications de la question des gens du voyage.

M. Guy Geoffroy. Nous sommes soixante-dix signataires de cette proposition de loi !

Mme Elisabeth Pochon. En vous demandant de rejeter ce texte, je vous engage aussi solennellement à traiter de façon consensuelle et dans son entier cette question lors de prochains travaux législatifs.

M. Charles de La Verpillière. Donnez-nous une date !

Mme Elisabeth Pochon. Je suis sûre que nous pouvons faire coïncider les exigences républicaines avec les idéaux d’un peuple qui a pour proverbe : « Nous ne voulons qu’une chose : laissez-nous suivre notre route. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne surprendrai pas ma collègue Pochon en lui répondant que je ne partage pas tout à fait son analyse, ni les termes qu’elle a employés.

En référence aux propos de la ministre tout à l’heure, je ne comprends pas que l’on puisse avoir une attitude de stigmatisation lorsqu’il s’agit de mieux faire respecter l’ordre public, dans quelque domaine que ce soit.

Je ne comprends pas cette antinomie, et connaissant les auteurs de cette proposition de loi, l’ayant moi-même cosignée et étant confronté comme beaucoup d’entre vous aux frictions que font naître les relations parfois difficiles entre les gens du voyage et les riverains, je crois au contraire que cette proposition de loi est équilibrée et qu’elle apporterait une solution à des situations difficiles pour tous au quotidien. Je soutiens donc bien sûr cette proposition de loi présentée par notre collègue Didier Quentin.

Je voudrais attirer l’attention de la ministre, ainsi que du président de la commission des lois et de notre collègue Raimbourg, qui préparent visiblement des réflexions à plus long terme, sur certains sujets que j’avais essayé de porter durant la législature précédente, signe que l’on peut parfois faire preuve de constance et ne pas être entendu par les siens, c’est parfois le lot des députés de la majorité.

Se pose tout d’abord le problème des donations de terrains aux personnes faisant partie des gens du voyage qui s’y installent d’une manière parfois non conforme aux règles d’urbanisme en vigueur, et qui finissent par s’implanter dans un lieu où il est interdit de construire, ou de faire quelques travaux que ce soit, je pense aux espaces naturels ou aux espaces agricoles. C’est un problème que l’on connaît très bien dans les zones rurales comme la mienne.

Cette situation soulève deux questions.

Tout d’abord, lorsque ce genre de transaction a lieu, elle passe par une donation devant notaire. La donation échappe évidemment à l’attention du maire, qui n’est informé des déclarations d’intention d’aliéner qu’en cas de cession à titre onéreux. Lorsqu’il s’agit d’une donation, il ne peut donc diligenter une enquête ni se renseigner pour connaître le projet des donataires concernant ces terrains.

De plus, si le maire n’a pas de droit de préemption dans le cas d’une donation, la SAFER, organisme public chargé d’organiser les préemptions des terres agricoles dans nos départements, n’en a pas davantage. Dans l’hypothèse où la donation d’un tel espace agricole ou naturel pourrait représenter un intérêt pour elle, elle ne peut pas davantage, n’étant pas informée de la transmission, maintenir l’intégrité dudit espace.

Nous sommes donc confrontés à des situations ubuesques, dans lesquelles des donations se passent dans des termes que le code général des impôts ne prévoit pas, au point que l’ordre des notaires diligente parfois des enquêtes disciplinaires pour s’assurer de la bonne conformité des donations et vérifier qu’aucune somme n’a échappé à la vigilance des services fiscaux.

Ces situations aboutissent à ce que des terrains sont donnés – pour ainsi dire – à des personnes qui veulent se sédentariser. Personne ne peut aller à l’encontre de cette volonté, mais les conditions de construction des bâtiments sont illicites, et concernent des terres qui ne permettent pas de s’y implanter, d’y construire ou d’y habiter.

Il y a deux manières de régler cette question, et un certain nombre de maires de communes rurales confrontés à ce problème attendent impatiemment des solutions. La première solution serait que les maires soient informés des intentions d’aliéner sous forme de donation, c’est-à-dire à titre gracieux, comme ils le sont pour les cessions à titre onéreux. Cela leur permettrait de diligenter les enquêtes qu’ils souhaitent sur ces donations.

La seconde solution serait de donner cette même compétence aux SAFER, qui détiennent un droit de préemption sur les cessions de terres agricoles. Ainsi, ces organismes censés préserver l’espace agricole dans nos départements seraient destinataires des mêmes informations, et la puissance publique pourrait examiner cela de très près afin d’éviter toute forme de construction illégale, qui placerait les gens dans des situations difficiles.

Le problème posé par ces installations ne relève pas de la sédentarisation des gens du voyage. Le problème est l’incapacité, pour les maires, de justifier une application stricte du droit des sols sur les autres parcelles de leur propre commune après avoir constaté l’installation d’un certain nombre de personnes dans des conditions illégales sur lesquelles il est impossible de revenir.

Pour éviter ces difficultés, je suis parfaitement d’accord pour déployer les mécanismes de sédentarisation développés par certains de nos collègues, et la ministre de la réussite scolaire que vous êtes devrait se féliciter de voir les enfants retourner à l’école. Mais cela ne doit pas se faire dans des conditions qui remettent en cause le pouvoir du maire sur le droit des sols, et donc son pouvoir de police.

Je remercie le Gouvernement et la commission des lois de veiller à ce que ces deux sujets soient traités dans le texte qui ne devrait pas manquer de nous être soumis prochainement. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons aujourd’hui fait appel à la fois à la hauteur de vues que doivent avoir les parlementaires, mais aussi à la vraie expérience de terrain qu’un grand nombre d’entre nous retirons, non d’une histoire passée, mais d’une réalité que nous vivons encore aujourd’hui.

Cette question des gens du voyage, que je vis de manière extrêmement intense depuis de nombreuses années, je voudrais vous la résumer telle que nous sommes nombreux à la partager sur le territoire dont je suis l’élu.

Je suis depuis dix-sept ans élu en tant que maire d’une commune située dans une agglomération de huit communes, à quarante kilomètres d’ici. Elle regroupe cinq maires de gauche, trois maires de droite, qui travaillent ensemble depuis dix-sept ans, que le Président de la République s’appelle Chirac, Sarkozy ou Hollande, et que le Premier ministre s’appelle Jospin, Raffarin, Villepin, Fillon ou Ayrault. Ils tiennent tous le même langage, et le langage que nous tenons aujourd’hui, députés de l’opposition, est identique à celui que nous tenons dans nos territoires. Je n’ai pas la certitude qu’il en soit totalement de même sur les bancs de la majorité, que je sens prête à comprendre notre intention, mais peut-être en difficulté pour démontrer qu’elle n’est pas valide.

Si j’évoque tout cela, c’est pour vous dire que ce texte n’est pas une attaque contre le Gouvernement maquillée derrière une demande envers l’État. C’est à l’État dans sa continuité et dans ses responsabilités, tout comme aux collectivités dans leur continuité et leur responsabilité, que nous nous adressons.

M. Didier Quentin, rapporteur. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Ce que nous constatons dans notre agglomération, située sur de grands axes de passage, c’est que nous avons des obligations légales à satisfaire – je vous dirai dans quelles conditions nous l’avons fait – et que l’État doit, à nos côtés, nous aider à assumer l’ensemble de nos responsabilités conjointes.

Qu’avons-nous fait, en particulier dans la commune dont je suis le maire ?

La loi fait obligation de créer une aire de trente places ; j’en ai créé soixante. Pourquoi ? Parce que je voulais être solidaire de mes collègues et tenir compte de la géographie. Ma commune est située au nord de l’agglomération. Le maire de la commune située au sud a suivi la même démarche. Tous les deux, nous avons, au nom des huit communes, créé l’ensemble des places que chaque commune aurait dû créer.

L’État étant notre partenaire dans le cadre du plan départemental, il a financé, dans ce beau département de Seine-et-Marne, la création du terrain de grand passage, situé au centre de l’agglomération. Nous sommes solidaires : nul ostracisme de notre part, ni rien qui puisse s’apparenter à la caricature inutile qui a été évoquée.

Comme beaucoup ici, je connais la confrontation avec nos amis les gens du voyage. Leur première question est de savoir si nous appliquons la loi. Si la réponse est oui, leur seconde observation est de faire remarquer qu’ils sont français. Nous ne le contestons pas, et nous faisons valoir à nos concitoyens que nous faisons cet effort tous ensemble, dans le cadre de la loi, afin que, protégés par la loi, ils puissent comprendre l’égalité de droits et de devoirs de la part de citoyens français qui ont choisi des modes de vie différents.

La politique de nombreux élus locaux, responsables de communes ou d’intercommunalités, ce n’est pas l’affrontement, c’est la responsabilité assumée, dans un cadre défini et concerté avec l’État, pour mettre en place des aires d’accueil ordinaires. Mais comment voulez-vous demander à des collectivités, surtout dans de grands départements, le long de grands axes, d’assumer seules les aires de grand passage, qui ne sont pas de même nature, dont les équipements ne peuvent ni ne doivent être les mêmes, et dont la gestion ne peut relever que d’une autorité supérieure, en termes géographiques, à celle des communes ou des regroupements intercommunaux ?

C’est dans cet esprit que nous avons, avec Didier Quentin, présenté cette proposition de loi. Il n’est nullement question, comme je l’ai entendu, d’ostraciser une partie de la population de notre pays. Nous avons mené un long combat et nous nous respectons, même si ce n’est pas toujours facile avec les gens du voyage ; c’est un combat pour la solidarité entre l’ensemble des pouvoirs publics. Les élus locaux doivent assumer leurs responsabilités, je le dis à tous les maires de ma circonscription qui trouvent toujours le bon argument pour ne pas faire ce que la loi leur commande de faire. De son côté, l’État doit aider les communes à assumer leurs responsabilités et doit prendre les siennes. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi devait être présentée et devrait être adoptée.

La majorité qui vous soutient, madame la ministre, se prépare à voter contre ce texte, ou plutôt à faire en sorte qu’il n’y ait pas d’explications de vote mardi prochain en séance publique. Je vous donne rendez-vous le jour où votre Gouvernement présentera un texte de loi sur ce sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Charles de La Verpillière. On ne sera plus là !

M. Guy Geoffroy. Si ce texte va dans le bon sens, s’il permet à l’ensemble des républicains que nous sommes de nous faire respecter tout en respectant les gens du voyage, nous vous soutiendrons et nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Didier Quentin, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, le groupe socialiste ne votera pas ce texte.

M. Guy Geoffroy et M. Jean-Frédéric Poisson. Quel dommage !

M. Didier Quentin, rapporteur. Ô rage, ô désespoir ! (Sourires.)

M. Dominique Raimbourg. Non pas parce qu’il émane de l’opposition (Rires sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP),…

M. Jacques Lamblin et M. Charles de La Verpillière. Mais si !

M. Dominique Raimbourg. …, mais parce que nous le trouvons mauvais.

M. Guy Geoffroy. Alors, améliorez-le ! On vous aidera.

M. Dominique Raimbourg. Il n’est pas améliorable. (Rires.)

M. Jean-Luc Laurent. Il faut tout refaire !

M. Dominique Raimbourg. Il faut en effet tout reprendre. Les textes les plus désespérés ne sont pas forcément les plus beaux, monsieur le rapporteur… (Sourires.)

Nous avions travaillé ensemble, monsieur le rapporteur, sur la situation des gens du voyage et publié un rapport consensuel.

M. Didier Quentin, rapporteur. Un excellent rapport ! (Sourires.)

M. Dominique Raimbourg. Vous étiez à l’époque dans la majorité alors que nous étions dans l’opposition.

Ce rapport tournait autour de trois idées : l’égalité des droits ; l’égalité des devoirs ; parvenir à un vivre-ensemble satisfaisant.

L’égalité des droits consiste à aligner la situation des gens du voyage sur celle de l’ensemble des citoyens français en leur accordant un titre d’identité semblable à la carte d’identité de tout un chacun. Jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel de septembre dernier, les gens du voyage devaient justifier de leur identité en présentant l’un des trois livrets de circulation ; désormais, ces trois livrets n’en font plus qu’un. Mais ils continuent de devoir être présentés afin d’être visés tous les trois mois ou tous les ans à l’autorité de gendarmerie, sous peine de sanction pénale. L’égalité des droits suppose que nous alignions le régime des gens du voyage sur le régime des citoyens ordinaires et que nous leur donnions la possibilité de disposer d’une carte d’identité comme tout le monde. Votre texte n’aborde pas cette question.

M. Didier Quentin, rapporteur. Ce n’est pas son objet !

M. Guy Geoffroy. Il ne l’interdit pas pour autant !

M. Dominique Raimbourg. Au titre de l’égalité des devoirs, nous avions prévu de demander aux gens du voyage de stationner dans les endroits prévus à cet effet.

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Dominique Raimbourg. Aux élus locaux et nationaux, nous demandions d’appliquer la loi Besson du 5 juillet 2000, qui prévoit la création d’aires de stationnement pour les gens du voyage dans chaque commune de plus de 5 000 habitants, ainsi que la création de terrains de grand rassemblement.

Ainsi que Mme la ministre l’a rappelé à juste titre, les aires d’accueil sont construites à hauteur de 70 % à peine, les aires de grand passage à hauteur de 30 %, et ce douze ans après l’entrée en vigueur de la loi. Il n’est pas possible de prétendre durcir les conditions d’évacuation si la loi n’est pas appliquée dans les faits. Si nous voulons un texte consensuel et donner un signe à la communauté des gens du voyage, dont je concède que les comportements sont parfois assez difficiles à supporter,… (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP

M. Didier Quentin, rapporteur. Enfin, un peu de réalisme !

M. Dominique Raimbourg. …eux-mêmes peuvent objecter à bon droit que peu de chose, en douze ans, a été fait pour leur accueil.

Si nous voulons aboutir à un texte équilibré, il doit viser la totalité des situations. Or tel n’est pas le cas, monsieur le rapporteur, puisqu’il renvoie, pour la création des terrains de grand passage, à la responsabilité de l’État. J’ai l’impression que cela relève de l’incantation, compte tenu des difficultés de leur mise en place. C’est pourquoi il nous faut un texte visant la totalité des situations.

Notre rapport insistait délibérément sur l’harmonie et vous aviez eu, monsieur Geoffroy, une expression particulièrement heureuse : « vivre ensemble en bonne intelligence ». Cette notion prend en considération l’évolution sociologique dont parlait M. le rapporteur, à savoir que les gens du voyage ont de plus en plus tendance à se sédentariser et que, ce faisant, ils s’installent sur des terrains non constructibles ou, de façon pérenne, dans des aires d’accueil destinées à recevoir des gens qui voyagent. Nous avions envisagé ensemble la possibilité de faire évoluer les plans locaux d’urbanisme, les plans locaux d’habitat de façon à permettre la sédentarisation, la création de terrains familiaux, l’installation plus ou moins pérenne sur des terrains qui, au départ, n’étaient pas constructibles.

Las, la proposition ne tient pas compte de cette évolution et renvoie à la responsabilité de l’État, qui devrait donc, selon ses auteurs, loger des gens dont la situation n’est plus celle de gens du voyage à proprement parler.

Comme, par ailleurs, l’État doit loger les bénéficiaires de la loi DALO et qu’il y a dans notre pays des millions de personnes mal logées, autant dire que la solution envisagée n’en est pas une.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes opposés à votre texte, monsieur le rapporteur. Nous avions, me semble-t-il, travaillé ensemble de façon satisfaisante et étions parvenus à élaborer un rapport consensuel. Je souhaite évidemment que nous retrouvions cet état d’esprit et réfléchissions ensemble à une évolution de la situation, mais le texte, tel qu’il est rédigé, ne correspond pas à la qualité du rapport que vous aviez signé à l’issue de la mission que vous aviez présidée. Nous voterons donc contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Didier Quentin, rapporteur. J’ai apprécié ce qu’il était convenu d’appeler chez les orateurs antiques la captatio benevolentiae de mon ancien co-rapporteur, rendant hommage à la qualité du rapport que nous avions rédigé ensemble avec Charles de La Verpillière.

Avec cette proposition de loi, nous n’avions pas l’ambition de refaire un monument législatif comparable à la loi Besson de juillet 2000. Nous avions simplement le projet de répondre à un problème que nous estimons urgent et que beaucoup d’élus, de maires – nous en avons entendu un certain nombre tout à l’heure –, rencontrent chaque été. Dès qu’arrivent les beaux jours, on assiste à des arrivées massives. Certaines sont parfaitement bien organisées et sont prévues plusieurs mois à l’avance. Dans ma petite ville de Royan, j’ai déjà reçu sept ou huit lettres du groupe « grand passage », M. Vermersch m’annonçant des arrivées successives de la fin mai jusqu’à la fin août. Je pourrais aussi citer Vie et Lumière et d’autres associations. Mais il arrive également que certains, sans avoir prévenu, débarquent à l’improviste alors que les terrains sont déjà occupés par d’autres gens du voyage. C’est à ce moment-là que surviennent des tensions et se produisent des heurts et des troubles à l’ordre public.

Notre motivation répond à une urgence parce que nous voulons éviter de retrouver, durant le printemps et l’été 2013, ce type de problèmes que connaissent des municipalités, je m’empresse de le dire, de toutes sensibilités politiques.

M. Guy Geoffroy et M. Jean-Frédéric Poisson. Tout à fait.

M. Didier Quentin, rapporteur. Tel était l’objet, bien circonscrit, de cette proposition de loi. L’idée étant que l’État pouvait, sur des terrains domaniaux – j’ai même fait allusion à des terrains militaires désaffectés –, fournir de quoi accueillir ces groupes arrivant à l’improviste.

Je viens d’être nommé à la commission nationale des gens du voyage, présidée par le sénateur Pierre Hérisson. Nous essayons de responsabiliser les associations représentatives des gens du voyage. Lorsque les choses sont annoncées plusieurs mois à l’avance, on peut les organiser. C’était le but de notre proposition.

Mme la ministre est intervenue tout à l’heure, j’espère, cher collègue et ancien co-rapporteur, que, le moment venu, vous nous présenterez ce grand texte…

M. Charles de La Verpillière. Il faudra être patient !

M. Charles de La Verpillière. Ce n’est pas gagné !

M. Didier Quentin, rapporteur. J’avais compris que « le changement, c’est maintenant ». Là aussi, il faut sans doute se hâter lentement, mais chi va piano va lontano, ma chi va lontano va alla morte ! (Sourires.)

J’espère que nous verrons ce texte. Mais vous pouvez être sûrs que nous y apporterons notre pierre…

M. Guy Geoffroy. Nous !

M. Didier Quentin, rapporteur. …dans un esprit constructif. Je le répète, il ne s’agit absolument pas pour nous de stigmatiser tel ou tel. Il se trouve que, personnellement, je suis membre de l’Association pour la promotion des gens du voyage. Je ne crois pas que l’on puisse être soupçonnés de je ne sais quelles mauvaises intentions. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Mesdames, messieurs, je vous remercie tous de vos contributions à ce débat. J’aimerais apporter quelques précisions à leur suite.

Tout d’abord, monsieur Quentin, sachez que je me réjouis de vos propos et de ceux de certains de vos collègues : vous avez souligné votre volonté d’apporter, en vous appuyant sur une majorité de personnes responsables, des solutions adéquates pour les gens du voyage. Vous avez redit aussi qu’il ne s’agissait pas de les stigmatiser. De tels propos ont leur importance pour nous, compte tenu de ce que nous avons pu entendre à certains moments, notamment lors d’un certain discours de Grenoble.

M. Guillaume Larrivé. C’est hors sujet !

M. Charles de La Verpillière. Ce discours concernait les Roms !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Je dois dire que je préfère de loin la tonalité de vos interventions d’aujourd’hui.

Vous avez affirmé, monsieur de La Verpillière, que l’État serait mieux placé que les maires et les présidents d’intercommunalité pour choisir les terrains susceptibles d’accueillir ces grands passages.

M. Guy Geoffroy. C’est très vrai !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Permettez-moi d’en douter. Rien ne nous permet de penser que l’État pourrait disposer de terrains suffisamment grands, à des distances suffisamment échelonnées, pour rendre possibles les déplacements dans des conditions satisfaisantes. Il m’apparaît au contraire que nous pouvons faire confiance aux élus locaux, qui connaissent mieux leurs territoires, d’autant qu’ils sont répartis sur tout le territoire national.

M. Jean-Frédéric Poisson. Les préfets connaissent eux aussi très bien les territoires !

M. Guy Geoffroy. Et disposent de davantage d’autorité !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Il n’y a pas de raisons manifestes de leur enlever des responsabilités en ce domaine.

Vous affirmez également que l’évacuation administrative serait conforme à la Constitution : permettez-moi là encore d’en douter. Je ne vois pas à quel titre le préfet pourrait décider par lui-même d’évacuer un terrain s’il ne se fonde pas sur une raison spécifique. Dois-je vous rappeler qu’en 2011, dans la LOPPSI 2, vous aviez introduit une facilité en matière d’évacuation et que l’article en question a été annulé le 10 mars 2011 par le Conseil constitutionnel, considérant que les mesures de police administrative devaient être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public ? Il est tout de même singulier que vous prétendiez passer outre cette décision très claire et vous affranchir des critères qu’elle a établis.

M. Guy Geoffroy. Nous proposons un nouveau cadre juridique !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Monsieur Geoffroy, je ne vous ai pas interrompu, je vous prie donc de m’écouter.

Mme Elisabeth Pochon. Vous remarquerez que c’est seulement lorsque ce sont des femmes qui parlent !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Effectivement !

Vous dites qu’il y a urgence à sauvegarder l’équilibre nécessaire entre maintien d’un ordre durable et obligations mais aussi droits des gens du voyage. C’est également notre volonté. Nous considérons simplement qu’il ne s’agit pas de s’appuyer uniquement une intelligence locale, mais qu’il importe d’aller au-delà et de travailler dans un esprit consensuel et responsable.

Je suis sûre que la proposition de loi que prépare M. Raimbourg, à l’instar du rapport précédemment publié, sera élaborée dans un esprit d’ouverture et de concertation avec tous les groupes de l’Assemblée. Il n’y a donc pas lieu de vous inquiéter, mesdames, messieurs de l’opposition, de ce qui pourra sortir de cette réflexion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin, inscrit sur l’article 1er.

M. Jacques Lamblin. Je tiens à souligner tout d’abord que cette proposition de loi est dictée par la volonté de mettre en place une gestion saine du problème. Elle repose sur l’idée qu’il faut une vision d’ensemble, géographique, des mouvements des gens du voyage, surtout lorsqu’il s’agit de grands déplacements. Je me permets d’insister sur le fait qu’une commune ou une intercommunalité ne peuvent pas disposer d’une telle vision d’ensemble.

Ensuite, j’aimerais appeler l’attention de mes collègues et du Gouvernement sur l’une des conséquences de la législation actuelle : les quelques hectares de terrain que les communes doivent consacrer à la mise en place des aires de grand passage en pleine zone urbaine sont en quelque sorte mis en jachère, en dehors des quelques semaines par an où ces surfaces sont utilisées. Alors qu’elles pourraient être utilisées à d’autres fins, elles sont gelées, ce qui donnera à réfléchir aux adeptes, que je sais nombreux ici, du respect des espaces naturels.

Enfin, parmi les arguments que vous avez développés, monsieur Raimbourg, je dois dire qu’il y en a un qui m’a particulièrement surpris. Vous dites en substance qu’il n’est pas nécessaire de faire évoluer les choses au motif qu’il y a seulement 28 % à 30 % d’aires réalisées. Or le problème ne se résume pas à une statistique nationale : c’est au plan local que nous y sommes confrontés. En fait, à ceux qui respecteraient scrupuleusement leurs obligations, vous dites : ce n’est pas de chance, mais nous n’allons quand même pas vous aider en cas d’installations intempestives. C’est un curieux raisonnement, permettez-moi de vous le dire.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Madame la ministre, j’aimerais tout d’abord vous remercier de nous avoir donné acte qu’il n’y avait dans nos intentions et nos propos aucune volonté discriminatoire à l’égard de nos concitoyens gens du voyage. Malgré tout, permettez-moi de m’interroger : pourquoi, puisque désormais vous seriez rassurée, avoir manifesté à notre égard une suspicion a priori ? Je trouve cela assez déplacé. Les élus que nous sommes n’ont aucune raison d’être stigmatisés comme si leur volonté de voir mieux traitée la question des gens du voyage revenait à pratiquer une forme d’ostracisme à l’égard de ces populations dont les déplacements, il faut le dire, posent certains problèmes, que cette proposition de loi vise précisément à résoudre.

En outre, et toujours en écho à vos propos, madame la ministre, j’aimerais préciser qu’il ne s’agit pas de transférer à l’État une responsabilité en lui demandant de l’assumer à la place des collectivités locales. Pas du tout. S’agissant des grands passages, tous ceux qui sont confrontés concrètement à ces questions dans le cadre de leurs responsabilités d’élu local savent bien que pour déterminer, à l’échelle d’un département, où se trouvent les emplacements les plus pertinents pour installer les aires, compte tenu de la nature et de l’ampleur des déplacements, ils ne disposent ni de la vue d’ensemble nécessaire ni surtout de l’autorité suffisante pour que des décisions soient prises, notamment à l’égard des propriétaires de terrain, contrairement aux préfets.

Dans mon département, l’État accepte de faire un bout de chemin aux côtés des élus locaux, dans le cadre de ses responsabilités. Cet exemple montre bien qu’il ne s’agit pas de transférer la responsabilité sur les autres, mais de travailler solidairement et de la manière la plus efficace possible pour que des solutions meilleures soient trouvées. C’est le seul objectif de cette proposition de loi. Elle mérite bien mieux que le qualificatif de « mauvaise » que j’ai entendu. Dominique Raimbourg ne m’en voudra pas si je lui dis que je l’estime quelque peu disgracieux. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg.

M. Dominique Raimbourg. Je vous le concède, monsieur Geoffroy, le mot n’était peut-être pas approprié. Disons que nous n’avons pas une appréciation favorable de cette proposition de loi…

M. Guy Geoffroy. Dont acte !

M. Dominique Raimbourg. Deuxièmement, le groupe SRC étant opposé à ce texte, il est par là même opposé à chacun des articles qui le composent et votera contre.

Troisièmement, monsieur Lamblin, sachez que je n’entends pas paralyser la situation. J’ai dit simplement que, compte tenu du fait que la totalité des aires d’accueil n’était pas réalisée à l’échelon national, il y avait un blocage : la situation n’évolue désormais qu’extrêmement peu. Les communes qui n’ont pas réalisé d’aires d’accueil ne touchent en effet plus de subventions et ne peuvent pas accueillir les gens du voyage.

Nous devons sortir de ce blocage, et je suis heureux de constater que, sur tous ces bancs, se manifeste la volonté d’accueillir les gens du voyage dans de meilleures conditions, ce qui implique aussi de déplacer ceux qui violeraient les règles. Pour cela, il importe de relancer le processus. Le ministère a été contacté et doit prendre en compte toutes les dimensions de ce sujet complexe, ce qui demandera du temps.

Quatrièmement, vous dites que la proposition de loi n’a pas pour but de permettre aux élus locaux de se défausser de leurs responsabilités sur l’État. Toutefois, le texte ne prévoit pas la méthode par laquelle l’État va intervenir pour réaliser les aires de grand passage.

J’ajoute que, participant à la mission d’information, j’ai été amené à faire des visites, en l’occurrence en Ille-et-Vilaine qui a l’avantage significatif de se situer tout près de mon département. Sans vouloir faire la promotion de ce département en particulier – il y en a sans doute d’autres où les choses fonctionnent parfaitement –, je soulignerai que le groupement d’intérêts publics qu’il a créé pour s’occuper de l’accueil des gens du voyage a permis que les grands rassemblements se déroulent dans de bonnes conditions. Il a un seul inconvénient : c’est son coût, que le conseil général doit prendre en charge.

(L’article 1er n’est pas adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour soutenir l’amendement n° 1 portant article additionnel après l’article 1er.

M. Didier Quentin, rapporteur. La commission n’a pas adopté cet amendement mais j’y suis favorable à titre personnel.

L’article 2 de la présente proposition de loi, dans sa rédaction initiale, a été déclaré irrecevable par M. le président de la commission des finances, qui a considéré qu’il aggravait une charge publique. Il visait à clarifier le statut juridique des aires de grand passage en précisant les responsabilités des différents acteurs, en particulier celles de l’État, à qui il revient, selon nous, de prendre la responsabilité du choix des terrains, d’assumer la charge de l’aménagement de ses aires, de s’impliquer dans l’organisation et le bon déroulement de ces grands passages.

Le présent amendement est un amendement de repli, qui se contente de préciser que le schéma départemental doit prendre en compte la distinction existante et inscrire, de façon séparée, les trois types d’emplacement : aires permanentes d’accueil, à la charge des communes ou des collectivités, aires de grand passage, de la responsabilité de l’État, au même titre que les terrains destinés aux grands rassemblements. Il importe de rappeler que, dans les deux derniers cas, ledit schéma doit préciser les conditions dans lesquelles l’État intervient pour assurer le bon déroulement de ces manifestations.

Nous devons être pragmatiques et nous rendre à l’évidence : notre proposition de loi va être rejetée et nous devrons attendre le grand monument législatif que vous nous préparez, cher monsieur Raimbourg.

M. Charles de La Verpillière. Il faudra de la patience !

M. Didier Quentin, rapporteur. Mais pourquoi ne pourrait-on pas, d’ici à l’été, faire en sorte que M. le ministre de l’intérieur donne instruction à Mmes – je le dis à l’intention de Mme Pochon – et MM. les préfets de répertorier, dans les départements où il y a possibilité, pour ne pas dire risque, de grands passages un peu intempestifs, des terrains domaniaux afin que, le moment venu, si les communes, les collectivités territoriales et les EPCI ne peuvent pas faire face, il y ait une solution de repli ? Car tel est bien le problème concret auquel nous sommes confrontés.

Dans ma commune, stationnent 200 ou 300 caravanes. Il en arrive 150 ou 200 autres : où les installer ?

On disposerait, dans le département, d’une carte des éventuels emplacements et terrains domaniaux.

C’est la raison pour laquelle je me permettais de suggérer de recourir à des terrains militaires désaffectés. L’année dernière, dans mon département, 300 hectares d’anciens terrains militaires ont été affectés au Conservatoire du littoral ; je m’en réjouis, ayant été pendant six ans président de cet établissement. Mais sur ces 300 hectares, une dizaine aurait pu servir à la réalisation d’une aire d’accueil de grand passage, au cas où. Voilà une suggestion concrète et pragmatique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. La loi du 5 juillet 2000 a donné compétence aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale pour la réalisation des aires de grand passage pour l’accueil des gens du voyage.

L’État n’a pas vocation à se charger de l’accueil des gens du voyage, car il s’agit d’une problématique de logement qui relève par nature de la compétence des collectivités locales – communes ou EPCI.

L’article 1er de la loi du 5 juillet 2000 limite l’intervention de l’État à la gestion des grands rassemblements. En effet, le schéma départemental définit les conditions dans lesquelles l’État intervient pour assurer le bon déroulement des grands rassemblements traditionnels ou occasionnels ; or, il ne lui confère pas de compétence en matière d’accueil et de gestion dans le cadre des grands passages.

J’ajoute que, concrètement, si l’État possède des terrains comme ceux auxquels vous faites allusion, monsieur le rapporteur, le préfet est parfaitement en mesure de le savoir et de juger s’il peut y autoriser le stationnement. Je pense donc que, en pratique, les problèmes peuvent se résoudre sans qu’il soit nécessaire de prévoir ces situations dans la loi.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

(L’amendement n° 1 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n° 13.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. À la suite de témoignages d’un certain nombre de maires de petites villes, j’ai décidé de déposer cet amendement puisque, comme vous le savez, les aires de grand passage sont mises en place temporairement pour accueillir les gens du voyage lors de grands rassemblements, notamment en été. Ces aires sont définies par le schéma départemental d’accueil des gens du voyage.

En l’état actuel, il faut bien le dire, elles sont le plus souvent imposées aux communes contre leur gré. Or, lesdits terrains peuvent être situés sur des communes de moins de 5 000 habitants, qui se trouvent ainsi soumises à des obligations d’accueil supérieures et plus contraignantes que celles pesant sur les communes de plus de 5 000 habitants, ce seuil déclenchant les obligations relatives aux aires permanentes.

Les conséquences de l’afflux de gens du voyage, même temporaire, sont en effet souvent difficiles à gérer pour les petites communes, tout comme l’est la charge de l’entretien de ces aires.

Le présent amendement donne à ces petites communes, compte tenu de leurs spécificités, la possibilité de s’opposer par une délibération du conseil municipal à ce qu’un terrain situé sur leur territoire soit retenu comme aire de grand passage au sein du schéma départemental.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Didier Quentin, rapporteur. La commission a repoussé cet amendement, auquel je suis également défavorable à titre personnel.

Il convient en effet de rappeler que si la loi Besson n’a pas créé d’obligation de création d’une aire d’accueil pour les communes de moins de 5 000 habitants, celles-ci peuvent cependant connaître l’implantation d’une aire au titre de la solidarité intercommunale qui serait réalisée par un EPCI exerçant la compétence d’accueil des gens du voyage.

Dans tous les cas, il subsiste toujours un principe d’accueil, applicable à toutes les communes. J’émets donc un avis défavorable, car ce dispositif est inapplicable, les communes de moins de 5 000 habitants ne disposant d’une aire que dans le cadre d’un établissement public de coopération intercommunale. De plus, il va à l’encontre de l’idée de solidarité entre les sédentaires et les nomades, d’une part, et entre les communes dans l’organisation de l’accueil des gens du voyage, d’autre part.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 13.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. La procédure d’élaboration du schéma qui débouche sur le choix des emplacements des aires de grand passage associe déjà très étroitement les communes, dont celles de moins de 5 000 habitants, qui sont inscrites au schéma.

La loi prévoyant déjà l’avis obligatoire du conseil municipal, exiger un avis conforme risquerait, dans certaines situations, de rendre le dispositif totalement inopérant. La réponse apportée par le schéma est fondée sur une étude des besoins à l’échelle départementale, et non pas communale.

L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je souhaite profiter de l’examen de cet amendement d’appel pour aborder le sujet de la gestion de ces aires dans les petites communes rurales.

En effet, si j’ai bien compris, un texte nous sera soumis au printemps prochain. J’aimerais savoir s’il retiendra une approche plus directement centrée sur les petites communes rurales.

Vous avez soulevé la question de la solidarité, mais on sait qu’elle pose un vrai problème pratique. Il serait bon de profiter de la modernisation du droit pour prendre en compte toutes les spécificités de l’accueil de ces populations du voyage en territoire rural.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien ! Excellente intervention !

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. J’adhère totalement à l’argumentaire juridique, qui me semble bien posé et incontestable, de M. le rapporteur.

Je pense toutefois que cet amendement a le mérite de poser la question telle que les élus locaux des communes rurales se la posent, et telle que les habitants de ces communes la posent aux élus, ainsi qu’à nous, parlementaires.

Puisqu’un texte, réputé d’une valeur supérieure à celui que nous étudions aujourd’hui, nous sera bientôt soumis, nous sommes tout à fait disposés à apporter notre concours et notre réflexion afin de rendre ce dispositif plus compréhensible et plus lisible pour nos concitoyens.

Je souhaite également revenir sur le propos explicatif de M. le ministre concernant cet amendement. Il a dit, à sa manière, ce que je ne cesse de dire depuis le début de nos travaux sur ce texte : il convient, pour déterminer où doivent se situer les terrains de grand passage, d’avoir un regard qui se porte au-delà du territoire de chaque commune.

Dans les départements où ce choix est fait, au travers du schéma départemental et en relation solidaire et concertée avec les collectivités, l’État a toujours réussi à s’impliquer et à mettre son autorité dans la balance pour obtenir la mise en place de ces aires.

Tel est l’objet de ce texte : les collectivités ne doivent pas se défausser sur l’État, ce qui serait inacceptable, mais l’État ne doit pas, lui non plus, se défausser sur les collectivités, car il est seul capable de mettre effectivement en place les terrains de grand passage.

(L’amendement n° 13 n’est pas adopté.)

M. le président. L’article 2 a été déclaré irrecevable par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

Articles 3 à 5

(L’article 3 n’est pas adopté.)

(L’article 4 n’est pas adopté.)

(L’article 5 n’est pas adopté.)

Après l’article 5

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 2 portant article additionnel après l’article 5.

M. Didier Quentin, rapporteur. La commission des lois a repoussé cet amendement, mais j’y demeure favorable à titre personnel, et je tiens à donner quelques explications.

En application de l’article 9 de la loi Besson, seules les communes ayant réalisé l’ensemble de leurs obligations peuvent faire appel à l’évacuation administrative, dont il a été beaucoup question cet après-midi.

Or, les préfets refusent souvent d’accéder à une demande de mise en demeure faite par un maire dont la commune respecte ses obligations de création d’une aire permanente d’accueil, mais qui n’a pas encore réalisé un terrain de grand passage.

De même, en cas de transfert de compétence des communes au profit d’un établissement public de coopération intercommunale, aucune commune membre ne peut prendre un arrêté d’interdiction de stationner en dehors des aires d’accueil sur son territoire si l’EPCI n’a pas satisfait à l’ensemble de ses obligations.

Cette situation suscite l’incompréhension de la part des communes membres de l’EPCI sur le territoire desquelles une aire d’accueil a été implantée.

Suivant une recommandation de la Cour des comptes, le présent amendement vise à permettre à ces communes de bénéficier également de la procédure d’évacuation forcée.

Nous avons déjà abordé cette question tout à l’heure, notamment avec Jacques Lamblin et Guy Geoffroy, et nous maintenons notre position sur ce sujet. J’émets donc un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. L’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 donne au préfet le pouvoir de mettre en demeure les propriétaires de résidences mobiles qui stationnent irrégulièrement sur des terrains publics ou privés, et de mettre un terme à ces occupations.

Le préfet prend cette décision à la demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain, sans recours préalable au juge judiciaire.

Lorsque l’EPCI dispose de la compétence de création et de gestion des aires, la procédure de l’article 9 n’est applicable que lorsque les obligations prévues par le schéma ont été réalisées. Si une ou plusieurs aires font défaut, aucune commune membre de l’EPCI ne peut demander l’application de l’article 9, même celles qui disposent d’une aire sur leur territoire.

Si l’EPCI est compétent, le respect des obligations du schéma départemental lui incombe ; ce n’est pas commune par commune qu’il faut l’apprécier. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

(L’amendement n° 2 n’est pas adopté.)

Article 6

M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin, inscrit sur l’article 6.

M. Jacques Lamblin. Je reviens à la question de la procédure d’évacuation forcée, car ce sujet est extrêmement important. Les combats désespérés sont les plus beaux, et il faut semer pour espérer récolter un jour.

Je me permets d’insister car, au-delà du problème des gens du voyage, nous devons également, en tant qu’élus, gérer les prises de position des sédentaires, c’est-à-dire des habitants des communes dont nous avons la responsabilité et qui ont quelquefois à souffrir d’installations intempestives.

Tout d’abord, je trouve curieux que notre proposition soit aujourd’hui considérée comme inconstitutionnelle, alors qu’elle ne l’était pas le 5 juillet 2000. Les dispositions antérieures ont en effet été annulées par la loi du 5 mars 2007, par une erreur de plume, rappelons-le ; mais elles ont néanmoins été appliquées entre 2000 et 2007. Or, la Constitution n’a vraisemblablement pas changé sur ce point.

Par ailleurs, monsieur Raimbourg, nous nous sommes expliqués à plusieurs reprises sur ce sujet, mais je répète qu’il existe de nombreux cas où une date butoir s’impose aux communes pour la mise en œuvre de certaines dispositions, concernant par exemple l’accessibilité des locaux publics ou l’assainissement. Dans ces cas-là, la date butoir a été repoussée, les subventions initialement prévues ont disparu au fil du temps, et nous nous trouvons parfois dans l’impasse. Ce n’est donc pas forcément un problème d’argent.

Mais indépendamment de la question de l’argent, si, en dépit de tous les efforts réalisés, certaines personnes peuvent s’installer de façon intempestive et en toute impunité, c’est à n’y plus rien comprendre. Je souhaite alors bon courage aux maires pour s’expliquer avec leurs concitoyens ; pour ma part, je leur expliquerai que c’est vous qui avez refusé !

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Didier Quentin, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je ne suis pas sûr que cet amendement mérite la qualification de « rédactionnel », car il vise en réalité à ajouter le mot « État » dans la proposition de loi, qui elle-même vise à supprimer la condition d’existence d’un trouble à l’ordre public pour les terrains appartenant aux communes ou à une autre personne publique.

Cet amendement ajoute donc « ou à l’État », ce qui pose une question de fond : en effet, cette mesure, dans sa rédaction initiale et encore plus avec votre amendement, pose un problème de constitutionnalité.

Le Conseil constitutionnel a en effet, dans sa décision du 10 mars 2011, rappelé dans son considérant n° 53 que les « mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d’aller et venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnées à cet objectif ».

Ce considérant exclut clairement la possibilité d’utiliser une procédure administrative d’expulsion – cadre dans lequel nous nous trouvons – pour une occupation illicite, pour un autre motif que le trouble à l’ordre public.

L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je répondrai à M. le ministre que je n’ai pas l’impression qu’il parle du même amendement que celui que j’ai sous les yeux. En effet, l’amendement n° 3 n’a pas pour objet d’ajouter le mot « État ». Il propose, après le mot « État », d’insérer le mot : « à ». Ce n’est pas tout à fait la même chose. Que vous teniez cet argumentaire, monsieur le ministre, à propos de l’alinéa 2, je le conçois, car nous ne sommes pas d’accord sur le contenu de l’alinéa, mais ne le tenez pas à propos de cet amendement. Vous conviendrez de la légère erreur d’appréciation que vous venez de faire : il s’agit bel et bien d’un amendement rédactionnel.

Cela me donne l’occasion de répéter ce que j’ai dit ce matin, lorsque nous examinions un autre texte : je n’arrive pas à comprendre le raisonnement selon lequel, puisqu’on est opposé à un texte, on vote contre tous les amendements déposés sur ce texte. Si un amendement rédactionnel permet d’améliorer la rédaction d’un texte que par ailleurs on ne souhaite pas voter, je ne comprends pas que l’on vote contre cet amendement. Il ne prive personne du droit, ensuite, de rejeter l’article en question ou le texte dans son ensemble. Inversement, je le disais également lors du débat de ce matin, on peut très bien avoir présenté un amendement qui a été rejeté par l’Assemblée, et malgré tout voter l’article auquel cet amendement se rapportait.

Vous voulez nous démontrer que vous faites preuve du maximum de bonne volonté dans l’examen de nos propositions de loi. Vous nous avez dit ce matin que vous ne vouliez pas faire ce que nous avons fait pendant cinq ans. Dès lors, acceptez les amendements rédactionnels, cela prouvera que vous n’avez pas un langage contraire à ce que malheureusement nous constatons jusqu’ici.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Juste un mot pour dire que ce qui serait incongru, ce serait d’accepter des amendements rédactionnels à des articles que nous combattons. Je pense qu’il y aurait là une logique assez redoutable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(L’amendement n° 3 n’est pas adopté.)

(L’article 6 n’est pas adopté.)

Article 7

(L’article 7 n’est pas adopté.)

Article 8

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Didier Quentin, rapporteur. Cet amendement est vraiment rédactionnel, sans contestation possible !

M. le président. Monsieur le ministre, vous allez nous le confirmer, n’est-ce pas ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je le confirme et je reprends mon raisonnement : comme le Gouvernement est favorable à la suppression de l’article 8, cela lui évitera de se prononcer sur sa rédaction.

M. Didier Quentin, rapporteur. C’est la partie pour le tout, monsieur le ministre !

(L’amendement n° 4 n’est pas adopté.)

(L’article 8 n’est pas adopté.)

Article 9

M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin, inscrit sur l’article 9.

M. Jacques Lamblin. En lui-même, l’article 9 n’a pas un grand intérêt. Mais avant que l’examen du texte ne soit achevé, je voudrais vous faire part de ma déception devant les arguments que nous avons entendus.

Premier argument : « Ce que vous proposez de faire, que ne l’avez-vous fait du temps où vous étiez aux affaires ? » On peut dire cela, bien sûr. Mais la vérité est que nous avons fait d’autres choses, y compris sur ce sujet.

M. Philip Cordery. Pas grand-chose !

M. Jacques Lamblin. Des textes ont été votés en 2006, en 2007 et en 2009, qui ont pesé sur la gestion de ce problème. Le législateur a donc pris en compte l’évolution du phénomène sous les deux précédentes législatures. Cet argument n’est donc pas recevable.

Le deuxième argument, nous l’avons déjà entendu ce matin à propos du texte sur les IGP : « Le texte proposé est incomplet, donc il faut le rejeter. ». À cette cadence-là, on n’est pas prêt d’arriver à bon port !

Troisième argument : la proposition de loi serait anticonstitutionnelle. Eu égard aux arguments développés par Charles de La Verpillière, qui est infiniment plus compétent que moi en ce domaine, et des constats que j’ai rappelés tout à l’heure, il reste à démontrer que le texte est anticonstitutionnel. Et la meilleure façon de le montrer, c’est déjà de le voter (Rires sur les bancs du groupe SRC)

M. Guy Geoffroy. J’allais le dire !

M. Jacques Lamblin. …et puis de voir ce qu’en dit le Conseil constitutionnel.

Bref, tout cela me laisse la sensation que cet après-midi, vous avez surtout parlé pour ne rien faire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Guy Geoffroy. Très juste !

(L’article 9 n’est pas adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, ainsi que les articles additionnels, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Conditions de l’usage légal de la force armée
par les représentants de l’ordre

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Guillaume Larrivé, précisant les conditions d’usage légal de la force armée par les représentants de l’ordre dans l’exercice de leur mission et renforçant la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes (nos 191, 462).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, chaque nuit, les hommes et les femmes qui servent au sein de la police et de la gendarmerie nationales risquent leur vie pour protéger nos compatriotes. Chaque jour, chaque nuit, ils sont confrontés à des criminels et des délinquants extrêmement violents, totalement résolus qui n’hésitent pas à porter atteinte à leur intégrité physique.

Notre devoir de législateur est de mieux protéger celles et ceux qui protègent les Français. C’est pourquoi, avec Éric Ciotti, Philippe Goujon et cinquante et un autres députés membres de l’UMP, j’ai souhaité soumettre à l’examen de l’Assemblée nationale cette proposition de loi.

D’abord, j’ai la conviction que nous devons progresser vers un rapprochement des conditions d’emploi des armes à feu par les policiers et les gendarmes. Ce rapprochement nécessaire s’inscrit dans celui des deux forces de sécurité intérieure, qui a été engagé par le législateur avec la loi du 3 août 2009. Dans le respect de leur identité propre, les deux forces sont placées sous une même autorité opérationnelle, celle du ministre de l’intérieur. Pour l’essentiel, les fonctionnaires de la police et les militaires de la gendarmerie exercent, dans nos villes et nos campagnes, les mêmes missions.

Mais lorsqu’il s’agit de faire usage de leurs armes à feu, les policiers et les gendarmes ne sont pas soumis aux mêmes règles. Il y a là une particularité, héritée de l’histoire, qui n’est satisfaisante ni au plan juridique ni au plan opérationnel.

Dans la police nationale, les conditions d’emploi des armes à feu sont régies par le seul code pénal, c’est-à-dire par le droit commun. Un policier faisant usage de son arme est soumis, ni plus ni moins, aux mêmes règles que toute autre personne. Un policier n’est donc autorisé à faire feu qu’en réponse à une agression de même nature, dans le strict cadre de la légitime défense défini par les articles 122-5 et suivants du code pénal.

Il n’en va pas de même des gendarmes, qui sont soumis, eux, à un double régime. D’une part, les dispositions du code pénal relatives à la légitime défense leur sont applicables. D’autre part, les gendarmes bénéficient d’une loi spéciale, définie par un décret de 1903 récemment inséré dans la partie législative du code de la défense.

Ces dispositions permettent de faire feu après des sommations verbales, dans des conditions limitatives précisément énoncées par la loi. Du reste, elles sont fréquemment appliquées par les gendarmes. Si l’usage des armes par les gendarmes a globalement diminué – de l’ordre de 22 % au cours de l’année 2011 –, il a été fait, dans un tiers des cas, en application des dispositions du code de la défense et non pas dans le cadre de la légitime défense prévue par le code pénal.

Cette différence de régime constitue pour les policiers une situation d’insécurité juridique qui les amène, au péril de leur vie, à hésiter à se défendre en cas d’agression violente, par crainte de poursuites administratives ou judiciaires.

Je ne citerai qu’un exemple : en avril dernier, un policier de Seine-Saint-Denis a été mis en examen pour homicide volontaire après le décès, lors d’une intervention à Noisy-le-Sec, d’un délinquant multirécidiviste, armé d’un revolver, recherché après onze condamnations, notamment criminelles, pour des faits de vol à main armée, en fuite, faute d’avoir regagné la prison de Châteaudun après une permission de sortie délivrée, bien imprudemment, par un juge d’application des peines.

Il n’appartient certes pas aux parlementaires de porter une appréciation ni sur les faits ni sur les décisions de l’autorité judiciaire, mais il est de notre devoir de comprendre combien cette mise en examen pour homicide volontaire a suscité une très vive émotion dans les rangs de la police nationale.

Les policiers ont été très profondément et très légitimement heurtés que l’un des leurs, qui a risqué sa vie face à un criminel armé et qui a fait usage de son arme dans le cadre d’une opération, soit soupçonné d’avoir commis le crime d’homicide volontaire.

Fallait-il, en vérité, que ce policier attende d’être lui-même frappé d’une balle, tirée par ce délinquant armé d’un revolver ? Y a-t-il vraiment quelqu’un, parmi nous, qui serait prêt à dire à ce policier, les yeux dans les yeux, qu’il mérite d’être traduit devant une cour d’assises ? En conscience, je ne le crois pas.

La vérité, mes chers collègues, est que le strict cadre de la légitime défense ne répond pas aujourd’hui aux nécessités opérationnelles auxquelles les policiers doivent faire face. Le statu quo n’est pas acceptable, car il reviendrait à s’accommoder d’une situation d’insécurité juridique dont les policiers continueraient à payer seuls le prix.

Faut-il, dès lors, aller jusqu’à modifier le code pénal, pour créer une présomption de légitime défense, à raison du statut des représentants des forces de l’ordre ? Je comprends l’intention qui guide une telle proposition, mais je ne pense pas que cela serait pertinent car une telle présomption serait de nature à créer, en quelque sorte, l’illusion d’une irresponsabilité pénale générale. Cette illusion n’empêcherait aucunement tel ou tel juge de retenir demain une qualification d’homicide. Je crois que la présomption de légitime défense serait, au total, source d’une nouvelle insécurité juridique.

Aussi, plutôt qu’une modification du code pénal, je crois préférable de proposer un alignement du régime juridique de l’emploi des armes par les policiers sur celui, bien connu, d’ores et déjà applicable aux gendarmes.

Il s’agit de progresser vers une unification de la doctrine et des pratiques d’emploi des armes à feu, en écrivant dans le code de la sécurité intérieure applicable aux policiers ce qui est aujourd’hui applicable aux gendarmes au sein du code de la défense.

Au demeurant, ce processus est déjà en marche, puisqu’en ce moment même, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale travaillent de concert à l’élaboration d’un code de déontologie commun.

Cet alignement des régimes d’emploi des armes à feu que j’appelle de mes vœux devra nécessairement conduire à rapprocher les policiers des gendarmes et non pas les gendarmes des policiers. J’ai relevé, lors de nos débats au sein de la commission des lois, que M. Daniel Vaillant, l’ancien ministre de l’intérieur, s’était montré favorable à un alignement des conditions d’usage des armes par les gendarmes sur celles applicables aux policiers.

M. Philippe Goujon. Il a eu tort !

M. Matthias Fekl. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Un tel alignement par le bas serait évidemment le contraire de l’objectif recherché par cette proposition de loi.

Pour autant, il ne s’agit évidemment pas d’accorder aux policiers, pas plus qu’aux gendarmes, je ne sais quel permis de tuer. Personne ne le réclame, personne ne le propose. Chaque coup de feu doit et devra continuer à être justifié et justifiable. C’est le critère de l’absolue nécessité, exigé par la Cour de cassation.

Il paraît, en tout état de cause, légitime que tous les acteurs de la sécurité intérieure – policiers et gendarmes, mais aussi autorité préfectorale et autorité judiciaire – disposent d’une doctrine commune permettant de savoir dans quels cas est autorisé l’usage des armes à feu par les fonctionnaires de la police nationale comme par les militaires de la gendarmerie nationale. C’est l’objet de l’article 1er.

J’en viens au second volet de la proposition de loi, qui comporte des avancées pratiques très attendues par les policiers et les gendarmes. Les mesures que je propose sont la traduction législative, consensuelle, d’un important travail de réflexion engagé cet été à l’initiative du ministre de l’intérieur par une commission présidée par un conseiller d’État.

J’invite le Gouvernement à reprendre par amendement, comme il en a la faculté, les articles 2, 3, 4 et 7, que le président de la commission des finances a déclaré irrecevables au regard de l’article 40 de la Constitution. Il s’agit de mesures de bon sens, très protectrices pour les policiers, les gendarmes et leurs familles.

Je ne comprendrais pas que les articles qui restent en discussion ne fassent pas l’unanimité, mes chers collègues, tant ils sont attendus par les représentants des forces de l’ordre que nous avons auditionnés.

Personne, je crois, ne pourra légitimement s’opposer à l’instauration d’un délai de prescription d’un an pour les réclamations présentées devant le Défenseur des droits. De même, tous les parlementaires devraient pouvoir s’accorder sur l’article 5 qui revêt une importance toute particulière, en créant, à la charge de l’administration, une obligation de reclassement provisoire de l’agent bénéficiaire de la protection ayant fait l’objet d’une mesure de suspension.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois n’a pas cru devoir approuver cette proposition de loi. Je le regrette. J’ai cru percevoir, dans le vote négatif de certains de nos collègues de la majorité, non pas un désaccord de fond mais bien le rejet de principe d’une proposition venant des bancs de l’opposition parlementaire.

M. Matthias Fekl. Mais non !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Aussi, j’appelle l’ensemble des députés, sur tous les bancs, au-delà de l’appartenance à la majorité ou à l’opposition du moment, à mieux entendre les attentes des policiers et des gendarmes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. En adoptant le texte que nous vous soumettons, vous ferez œuvre d’intérêt général, au service de la sécurité des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les fonctionnaires de la police nationale comme les militaires de la gendarmerie nationale accomplissent une mission de service public à la fois exigeante et difficile au service de la sécurité de nos concitoyens.

À une époque où il est parfois de bon ton de critiquer l’implication professionnelle des agents de l’État, il convient d’observer et de rappeler que chaque jour des milliers de fonctionnaires s’acquittent de leur tâche avec professionnalisme, détermination et loyauté, dans le plus grand respect de la loi, parfois au prix de leur vie ou de graves blessures.

Le ministre de l’intérieur le rappelle souvent : les fonctionnaires des deux forces de sécurité intérieure méritent l’estime et le soutien de la nation qu’ils sont appelés à servir.

Dépositaires de la force publique, ils concourent à la sécurité intérieure du pays. Soumis au devoir d’intervention, ils sont quotidiennement confrontés à des difficultés et exposés à des risques professionnels.

Dans ce cadre, il serait donc souhaitable que nous puissions, dans cet hémicycle, débattre de façon dépassionnée des mesures réellement applicables et utiles pour améliorer leur protection et sécuriser leur action.

Policiers et gendarmes ont droit, comme tout citoyen, au respect effectif, y compris matériel, de la présomption d’innocence, comme l’a rappelé François Hollande pendant la campagne électorale.

Voilà l’esprit républicain qui anime le Gouvernement. Voilà, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les orientations du ministre de l’intérieur en ce domaine.

Cette proposition de loi est discutée en cette fin d’année 2012 alors que, chacun peut bien l’admettre, le sujet a été largement débattu pendant la dernière campagne électorale.

Mme Claudine Schmid. Ce n’est pas la même chose !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Les promoteurs de cette proposition de loi ne peuvent ignorer, à cet égard, qu’il peut y avoir quelque paradoxe à soutenir un emploi facilité des armes à feu alors que les entraînements au tir ont été réduits durant les dernières années, sous l’effet de la révision générale des politiques publiques, et ce dans un contexte où 10 700 postes de policiers et de gendarmes ont été supprimés depuis 2008.

Faire en sorte qu’ils soient plus nombreux, mieux formés et mieux équipés, voilà probablement une meilleure mesure de protection et de sécurisation dans l’exercice de la mission de sécurité républicaine.

Depuis lors, ce sujet important, porté avec exigence par les organisations professionnelles, a été pris en charge dès la prise de fonctions du nouveau Gouvernement. Le ministre de l’intérieur a voulu que le dispositif de protection juridique et fonctionnelle soit très rapidement renforcé. À cette fin, il a missionné une commission, présidée par le conseiller d’État Guyomar, qui a proposé, le 13 juillet dernier, vingt-sept recommandations.

Après audition de toutes les parties, notamment syndicales, cette commission s’est efforcée de dresser un état des lieux complet et objectif du cadre juridique de la protection fonctionnelle ainsi que de l’organisation administrative chargée de sa mise en œuvre, et d’établir un diagnostic approfondi de la situation.

Elle a, enfin, formulé des propositions qui lui paraissent susceptibles de renforcer l’efficacité de l’intervention de l’administration au profit des agents de la police et de la gendarmerie nationales pour l’exercice de leurs fonctions.

Ces propositions permettront d’offrir une meilleure sécurité juridique aux agents mis en cause sans nuire au respect de la déontologie professionnelle, dont le ministre est un garant exigeant. Elles ont, je crois, été accueillies avec intérêt.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui s’en inspire grandement d’ailleurs, sans reprendre malgré tout certains éléments intéressants, certes, mais déjà mis en œuvre par le ministère, en réalité. Il s’ouvre par des propositions de modifications de la doctrine d’emploi des armes pour ensuite envisager des dispositions, d’ailleurs déclarées irrecevables au titre de l’article 40, relatives à la protection fonctionnelle des agents.

Dans le sens du rapport Guyomar, j’envisagerai tout d’abord ces derniers éléments car ce sont eux qui sont de nature à améliorer très sensiblement et concrètement la situation des fonctionnaires. Ils attirent moins l’œil et l’attention des médias que les facilités rhétoriques sur la légitime défense. Ils sont pourtant essentiels.

Comme tous les fonctionnaires, les policiers et les gendarmes bénéficient à l’occasion de leurs fonctions d’une protection organisée par la collectivité publique. Qu’ils soient victimes ou mis en cause dans le cadre professionnel, cette protection fonctionnelle est une garantie essentielle pour les agents publics, qui manifeste le rapport de solidarité qui unit l’agent à son administration, dans l’intérêt du service et « pour en assurer le bon fonctionnement et la continuité », comme le rappelle à raison le rapport Guyomar.

La protection fonctionnelle, autrement appelée protection juridique, se définit comme la garantie statutaire accordée par l’administration aux agents publics à raison de leur mise en cause par des tiers dans l’exercice de leurs fonctions. Ce principe est aujourd’hui rappelé s’agissant de l’ensemble des agents publics régis par le statut général de la fonction publique.

S’agissant des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie, cela implique que la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle. Les caractéristiques des missions des agents des forces de police et de gendarmerie nationales ont justifié non seulement une extension à leur profit des mécanismes de protection fonctionnelle applicables à l’ensemble des agents publics mais aussi un certain nombre d’adaptations qu’appelaient les spécificités inhérentes à l’exercice de leurs fonctions.

Renforcer la protection fonctionnelle des hommes et des femmes qui servent au sein des deux forces de sécurité intérieure est légitimement perçu par les agents comme un signe de reconnaissance institutionnelle dont la charge symbolique est d’autant plus forte qu’il intervient dans un contexte de grande vulnérabilité.

C’est là une préoccupation du Gouvernement et un des objectifs du ministre de l’intérieur.

La dimension humaine de la question de la protection fonctionnelle s’impose aussi par le simple rappel que depuis le début de l’année, sept fonctionnaires de police sont décédés et sept militaires de la gendarmerie morts en service, notamment lors du drame de Collobrières dans le Var le 17 juin. À ces chiffres dramatiques s’ajoutent les milliers de blessés que nous déplorons chaque année.

Le nombre de décisions d’octroi de la protection fonctionnelle au bénéfice d’agents de la police nationale illustre l’importance du sujet, puisqu’il est en augmentation constante depuis cinq ans. Plus de 20 000 mesures de protection ont ainsi été accordées, toutes causes confondues, en 2011, contre près de 18 000 en 2007.

La puissance publique est aux côtés de ses agents, puisque 98 % des demandes ont été satisfaites. En l’état du droit et des pratiques, le dispositif de protection fonctionnelle ne parvient toutefois pas complètement à atteindre les objectifs qui lui sont assignés. Des améliorations sont souhaitables et nécessaires.

Le ministre de l’intérieur s’est saisi de ce chantier.

C’est ainsi que nombre de recommandations ne nécessitant pas d’intervention législative ont été engagées sans tarder. On peut citer la proposition n° 13 tendant à mettre en place une phase d’instruction disciplinaire et un droit à assistance dans la phase d’enquête administrative. Dans la gendarmerie nationale, un projet de circulaire sur l’accompagnement du personnel en matière de protection fonctionnelle sera soumis à un processus de concertation interne. Au sein des administrations, il sera par ailleurs mis en place un réseau de référents en matière de protection fonctionnelle, afin d’améliorer l’information des agents et de l’autorité hiérarchique sur le sort réservé aux demandes formulées par ses agents. L’instauration d’un système de référencement des avocats spécialisés en matière de protection fonctionnelle et le développement de la communication institutionnelle seront promus.

Le recours moins fréquent aux suspensions de plus de quatre mois fait, en outre, d’ores et déjà l’objet d’un travail d’élaboration d’instructions et de directives au sein des directions compétentes. Elles seront mises en œuvre sans tarder.

Il s’agit là d’avancées réelles et concrètes dont les agents pourront constater la mise en œuvre à leur profit, et très rapidement. En matière de reclassement provisoire de l’agent bénéficiaire de la protection fonctionnelle, une circulaire relative à la procédure de mutation d’office dans l’intérêt du service est ainsi entrée en vigueur le 1er décembre 2012.

D’autres recommandations du rapport nécessitent, par contre, une intervention du législateur. Certaines ont d’ailleurs été reprises dans votre proposition et figurent dans les articles qui ont été déclarées irrecevables au titre de l’article 40.

À ce sujet, la position du Gouvernement est claire, sur l’objectif et la méthode : oui, des modifications sont souhaitables. Elles interviendront lorsque seront connues, dans les semaines qui viennent, les conclusions de la mission interministérielle menée par le ministère de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Ces modifications concernent notamment les dispositions envisagées aux articles 2 et 3 de votre proposition de loi : l’extension de la notion d’ayant droit aux concubins et partenaires de PACS et l’extension du bénéfice de la protection fonctionnelle des agents victimes d’infractions involontaires donnant lieu à des poursuites pénales.

Ces éléments de réforme seront pris en compte dans le chantier de la modernisation et de l’amélioration du statut des agents de l’État. Songez ainsi que, parce qu’elles modifient l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, dite loi Le Pors, relative à la protection de tout fonctionnaire, les dispositions des articles 4 et 7 intéressent tous les fonctionnaires et pas seulement les policiers et les gendarmes.

Pour ces raisons de cohérence, le Gouvernement n’approuve donc pas à ce stade une adoption isolée et partielle des dispositions du rapport Guyomar qui figurent dans cette proposition de loi.

Ce n’est pas une démarche partisane qui nous anime, comme j’ai entendu le M. le rapporteur l’évoquer. Mais probablement n’était-il pas là lors de la dernière journée réservée à l’opposition, où la proposition de loi sur le vote blanc qu’elle avait défendue a été adoptée avec le soutien du Gouvernement.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Je l’ai votée !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Vous étiez donc frappé d’amnésie lorsque vous expliquiez il y a quelques minutes que nous nous opposions de manière systématique à tout ce qui vient de l’opposition : il y a à peine deux semaines, nous avons fait la démonstration inverse !

M. Julien Aubert. C’est l’arbre qui cache la forêt !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Notre position est celle de la clarté et de la cohérence dans la mise en œuvre de l’essentiel des préconisations Guyomar. Elles doivent faire l’objet d’indispensables concertations interministérielles et syndicales. Ce travail est actuellement en cours. L’engagement du ministre de l’intérieur comme du Gouvernement est entier pour le voir aboutir.

Monsieur le rapporteur, l’article 1er de votre proposition, en écho à une actualité récente et tragique, revient sur la question récurrente des contours de l’utilisation des armes à feu. Vous avez écarté l’instauration d’une présomption de légitime défense en cas d’ouverture du feu.

Je tiens à vous dire combien il est satisfaisant pour le Gouvernement de constater cette évolution de la part des parlementaires de l’UMP alors qu’en avril dernier, Nicolas Sarkozy, alors candidat à sa succession, s’était fermement prononcé en sens contraire. Le Gouvernement ne veut plus de lois de circonstances, votées sous le coup de l’émotion et qui ne sont jamais appliquées, comme l’a rappelé le Premier ministre lors de son discours de politique générale.

Les fonctionnaires ont le droit de bénéficier pleinement, et j’ose ajouter dans la sérénité, de la présomption d’innocence et de procédures d’enquêtes, tant administratives que judiciaires, équilibrées et rapides.

Chacun doit être conscient que l’établissement d’une présomption de légitime défense entraînerait de fait, et de façon systématique, un renversement de la charge de la preuve dont les conséquences sont lourdes sur le plan juridique et humain. J’aurai, je pense, l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen des amendements.

Les travaux de la commission des lois vous ont conduit à vous interroger sur l’efficacité du cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre chargées de missions de sécurité intérieure et sur la pertinence du maintien de régimes différents entre policiers et gendarmes.

Monsieur le rapporteur, vous affirmez que les policiers et les gendarmes ne sont, aujourd’hui, pas soumis aux mêmes règles et que ce serait donc le droit commun du code pénal qui s’appliquerait aux policiers et non une loi spéciale.

D’un point de vue juridique, le code pénal s’applique indifféremment aux militaires et aux fonctionnaires de police. Les mêmes présomptions, d’innocence, par exemple, ou les mêmes faits justificatifs s’appliquent à tous sans distinction ou discrimination, sauf à méconnaître le principe d’égalité devant la loi.

Ce sont les raisons de l’histoire comme du statut militaire qui expliquent que ces agents sont soumis à des droits et des devoirs spécifiques.

En l’occurrence, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, le droit en vigueur dispose que les policiers sont soumis au droit commun de l’article 122-5 du code pénal, selon lequel « n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».

Les gendarmes, quant à eux, doivent respecter l’article L. 2338-3 du code de la défense, issu d’un texte du début du siècle précédent, qui autorise les officiers et sous-officiers à déployer la force armée « lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de "Halte gendarmerie" faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ».

Aligner un régime civil sur un régime militaire ne me semble pas, à ce stade, la bonne méthode pour sécuriser les policiers et gendarmes dans l’exercice de leur mission. Ce fut également le sens des conclusions de la commission Guyomar. Je rappelle d’ailleurs qu’il n’existe pas de véritable consensus au sein des organisations professionnelles sur ce sujet.

Je tiens en outre à souligner que la différence historique des régimes juridiques trouve son origine dans la différence des situations auxquelles sont confrontés les policiers et les gendarmes. Ces derniers, en zone rurale, ne sont pas dans la même situation que des policiers en zone urbaine, où chacun peut comprendre que l’emploi des armes à feu soit régulé du fait de la densité de population.

Cette différence a toujours sa pertinence si vous songez par exemple aux missions complexes menées par la gendarmerie nationale en Guyane dans le cadre de l’opération Harpie, en pleine forêt amazonienne.

Enfin et surtout, il m’apparaît que l’alignement envisagé, fondé sur une comparaison littérale des textes applicables, fait fi de l’importante et décisive jurisprudence, tant nationale qu’européenne, qui est venue éclairer l’application de ces dispositions, notamment sur l’exigence de l’état de nécessité et de proportionnalité dans l’usage des armes à feu.

C’est un point très important, souligné par le rapport Guyomar et relativement absent de votre texte comme de vos explications. Les dispositions spécifiques aux gendarmes sont ainsi, aujourd’hui, appréciées par les juridictions à l’aune des standards européens qui s’appliquent à l’ensemble des forces de sécurité intérieure de l’Europe.

Il nous semble dès lors, ainsi que de nombreux parlementaires l’ont fait valoir en commission, qu’il convient de repousser les dispositions de cet article 1er.

Le Gouvernement est parfaitement conscient de l’importance du sujet qui nous occupe aujourd’hui, car il n’y a pas d’ordre sans respect des forces de l’ordre. Les mesures réglementaires pour améliorer la protection des fonctionnaires et des militaires en exercice sont d’ores et déjà engagées. Les mesures d’ordre législatif seront prochainement annoncées, une fois qu’elles auront été discutées, concertées et chiffrées.

Ce travail préparatoire s’achevant, le Parlement en sera informé et saisi rapidement. Aussi le Gouvernement est-il, à ce stade, défavorable à l’adoption de la présente proposition de loi.

M. Philippe Goujon. C’est bien dommage !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en préambule de mon intervention, de me féliciter que le groupe UMP…

M. Pascal Popelin. Lequel ?

M. Julien Aubert. …ait inscrit à l’ordre du jour la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, qui a pour objet d’améliorer la protection fonctionnelle des forces de l’ordre. Face à l’explosion des actes violents à leur égard – embuscades, barrages forcés, tirs à l’arme de guerre... –, la représentation nationale se doit de prendre cette question à bras-le-corps et d’offrir à celles et ceux qui donnent leur vie au service de la sécurité de celle des autres les moyens et assurances juridiques de mener à bien leur action.

Au cours de ces dernières années, plusieurs facteurs sociétaux ont modifié les conditions d’exercice des policiers, notamment sur le terrain, qui peuvent susciter chez eux des craintes légitimes : la gestion des conflits intercommunautaires dans les grands ensembles urbains ; l’emprise de la drogue intergénérationnelle ; la fascination des armes à feu faciles à acquérir ; le total irrespect pour toute forme d’autorité, a fortiori pour les policiers ; l’évolution des droits de la défense. Tous ces changements doivent conduire à renforcer une certaine sécurité juridique de l’action policière, notamment dans les hypothèses les plus extrêmes.

Au mois d’avril dernier, un fait divers qui avait conduit à l’incompréhensible mise en examen pour homicide volontaire d’un policier ayant tiré sur un homme lors d’une intervention à Noisy-le-Sec avait suscité un émoi sans précédent. Le malfaiteur, recherché pour vols à main armée, multirécidiviste, avait jeté une réplique d’une grenade quadrillée avant de pointer son arme sur le policier qui n’avait eu d’autre choix que de tirer pour sauver sa vie.

Le candidat Nicolas Sarkozy avait alors proposé d’améliorer la protection pénale des forces de l’ordre, en instaurant, pour celles-ci, une présomption de légitime défense. De prime abord, l’idée était très séduisante. Le renversement de la charge de la preuve supposait que nous ne connaîtrions plus de telles situations ubuesques, où celui qui tire pour sauver sa vie est mis en cause. Mais, j’y reviendrai, cette mesure n’aurait pas eu l’effet escompté, et la protection aurait été moindre que celle offerte par le paquet législatif que nous examinons aujourd’hui.

Le présent texte est fondé sur trois principes : l’égalité, la confiance et la justice sociale.

L’égalité tout d’abord, avec l’harmonisation des conditions d’utilisation des armes à feu, celles applicables aux policiers étant alignées sur celles des gendarmes. La confiance, ensuite, car on responsabilise à l’identique policiers et gendarmes vis-à-vis de l’arme qu’on les oblige à porter.

Mme Claudine Schmid. Très juste !

M. Julien Aubert. La justice sociale, enfin, par une meilleure prise en compte des agents et de leurs proches dès lors qu’ils ont été victimes ou mis en cause dans une affaire pénale. Il s’agit donc bien de renforcer la protection pénale de nos forces de l’ordre, et non d’instaurer une impunité pour celles-ci. Il s’agit pour la représentation nationale d’acter la reconnaissance due à nos policiers par une présomption de confiance à leur égard.

S’agissant tout d’abord de légitime défense, la proposition que nous vous soumettons aujourd’hui apparaît, à mes yeux, comme celle qui couvrirait au mieux les besoins de protection juridique des policiers.

Outre leurs différences de formation, d’activité, de traitement et de statut par rapport aux gendarmes, les policiers ne se voient pas appliquer les mêmes règles en matière d’usage de leur arme de service. Comme tout un chacun, les policiers sont soumis au régime général de la légitime défense régi par les articles 122-5, 122-6 et 122-7 du code pénal. Ceux-ci prévoient que l’irresponsabilité pénale pour cause de légitime défense ne peut être retenue que si l’utilisation de son arme à feu par un agent est strictement nécessaire et proportionnée à la gravité du crime ou délit constaté par celui-ci.

Les gendarmes, quant à eux, en tant que militaires, sont soumis à l’article L. 2338-3 du code de la défense, qui définit comme situations d’usage légitime de leur arme à feu, les situations suivantes : celles où des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou dans lesquelles ils sont menacés ; celles où les gendarmes ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes confiés ; celles où les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « halte gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leurs surveillance ; celles où ils ne peuvent immobiliser autrement un véhicule, une embarcation ou tout autre moyen de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt. Ces conditions d’usage de la force armée sont offertes aux gendarmes parce qu’ils interviennent dans le cadre de situations de crise ou de guerre, notamment sur des territoires étrangers, mais les gendarmes peuvent aussi se prévaloir de ces conditions d’usage lors des procédures de sécurité publique classiques, identiques à celles menées par la police, sur le territoire national.

Il en résulte des cas aberrants à l’heure où l’on encourage la coopération entre police et gendarmerie. Ainsi, en cas de missions communes, comme par exemple la mise en place d’un barrage routier, seul le gendarme peut faire usage de son arme si une voiture se dirige vers ce barrage sans s’arrêter. En d’autres termes, le gendarme peut protéger le policier en tirant, mais pas l’inverse. Est-ce que c’est normal ?

Mme Claudine Schmid. Non !

M. Julien Aubert. Pourquoi un policier, agent assermenté à qui l’État fait confiance en mettant à sa disposition un port d’arme, ne pourrait-il pas défendre ses collègues et sa propre vie en faisant usage de son arme, alors qu’un gendarme, qui effectue pourtant les mêmes missions de sécurité publique que lui, est en mesure de le faire ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Julien Aubert. Le policier n’est pas seulement un citoyen avec une arme. Ce n’est pas un chasseur ou un licencié de ball-trap. Il suit une formation et est confronté quotidiennement au danger.

La différence de statut ne distingue pas non plus les missions de sécurité publique qui sont menées, a fortiori lorsque celles-ci sont exactement identiques. Il faut donc harmoniser le droit applicable aux uns et aux autres, mais pas comme certains de nos collègues de la majorité le propose, c’est-à-dire en nivelant par le bas, en désarmant les gendarmes.

M. Pascal Popelin. Personne n’a parlé de les désarmer !

M. Julien Aubert. L’excellent rapport de notre collègue Guillaume Larrivé met en exergue certains chiffres sur l’usage des armes lors de l’année 2011. Ceux-ci sont très intéressants. Ils montrent notamment que l’utilisation de la force armée au titre de la seule légitime défense concerne 58 cas sur les 80 constatés en 2011.

J’entends déjà certains membres de la majorité nous dire, à la suite de M. le ministre, que le régime applicable à la gendarmerie date de 1903 et définit l’usage des armes à feu en milieu rural. Mais je leur répondrai que dans ma circonscription, très rurale, j’ai une zone police et une zone gendarmerie, et qu’en milieu rural, la gendarmerie doit faire face aux mêmes problèmes qu’en zone urbaine. Dans mon village de Sault, qui compte 1 200 habitants, sur le plateau d’Albion, la gendarmerie a arrêté un trafiquant de drogue, pas de cannabis, mais d’héroïne. La plus grosse ville de ma circonscription, Pertuis, qui compte 20 000 habitants, est en zone gendarmerie, et la ville de Carpentras, dont ma circonscription couvre la moitié du territoire, est en zone police. Or, dans ces deux villes, les forces de l’ordre ont à faire face à la même délinquance, aux mêmes problèmes et visent les mêmes objectifs. Arrêtons les clichés sur les rats des champs et les rats des villes.

M. Pascal Popelin. Arrêtez les caricatures !

M. Julien Aubert. On a dépassé depuis longtemps le mythe de la bonne gendarmerie courant derrière les voleurs de poules et arrêtant les braconniers en état d’ébriété.

Au cours des dix premiers mois de l’année 2012, les agressions contre les forces de 1’ordre ont progressé de 5 %. Les armes utilisées par les malfaiteurs sont de plus en plus lourdes, et l’usage d’armes de guerre dans la rue se banalise. Il n’y a qu’à se pencher sur le cas de Marseille, qui connaît une vague sans précédent de règlements de comptes entre voyous.

Face à ce constat, il faut envoyer un signal fort de confiance à l’égard de nos forces de l’ordre.

Instaurer une présomption de légitime défense ne permettra pas de mieux protéger les policiers, au contraire.

D’abord, soulignons que, par principe, cela présuppose que les forces de sécurité soient contraintes de se faire tirer dessus, au risque d’être tuées, pour pouvoir légitimement se défendre. La simple présomption de légitime défense limiterait donc les possibilités d’action des forces de l’ordre alors que nous proposons d’encadrer et de mieux former ces dernières. Cela reviendrait à niveler par le bas les possibilités offertes à nos forces de l’ordre de sauver la vie d’autrui comme la leur. Cela mènerait à une inégalité de droit face à des situations égales : 42 % des usages d’armes à feu par les gendarmes ne seraient – à juste titre – pas couverts par cette présomption, et ce n’est pas acceptable.

La vraie question, derrière ce texte, est la suivante : lorsqu’un policier, que l’administration oblige à détenir une arme, tire sur un individu avec son arme de service, sauf à démontrer le contraire, veut-il pour autant le tuer ou le blesser ? Sans entrer dans le sujet, largement balayé par la jurisprudence, de la légitimité et de la proportionnalité de l’usage de la force, le plus simple est d’encadrer un usage large de l’arme à feu, de manière à permettre aux forces de l’ordre d’exercer, en leur âme et conscience, leur métier, plutôt que de donner une fausse exonération juridique ex ante aux policiers en la limitant au seul domaine de la riposte, d’autant que cette innovation juridique d’une présomption d’innocence ne serait pas efficace. La présomption de légitime défense n’efface pas la procédure, la mise en examen, l’inculpation et le procès. C’est à la fin du processus judiciaire que cette présomption entrerait en compte. On ne réglerait donc pas le fond du problème.

En outre, la légitime défense exclut de facto la réparation du préjudice, et donc renforce la dimension pénale du travail des forces de l’ordre, alors que les notions, distinctes, de responsabilité et de culpabilité pénale offrent un gisement intellectuel à creuser.

L’UMP préfère donc à une présomption de légitime défense une présomption de légitime confiance offerte à l’agent assermenté. Rien ne remplacera l’intelligence humaine de nos forces de l’ordre face à l’adversité.

Les policiers et gendarmes n’étant pas des justiciables ordinaires, ce texte propose ensuite de renforcer et d’élargir la protection fonctionnelle aux proches.

Lors de son examen en commission des lois, plusieurs articles de cette proposition de loi ont été déclarés irrecevables au motif qu’ils créaient de nouvelles charges. Nous ne comprendrions pas que le Gouvernement ne les reprenne pas à son compte car ils ont pour vocation de mieux protéger les policiers et leurs familles. En un mot, il s’agit bien de faire œuvre de justice sociale, en protégeant le plus grand nombre.

Il y quelques semaines, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, répondant à une question posée à la garde des sceaux, m’avait invité à être aux côtés de la majorité pour voter plus de moyens financiers pour les forces de l’ordre. J’avais été très déçu par le budget proposé et j’avais exprimé mon point de vue à cette même tribune devant le ministre. Aujourd’hui, au nom du groupe UMP, j’invite en retour la majorité à soutenir ce texte, qui offre plus de sécurité, d’égalité et de justice sociale à celles et ceux qui se battent jour après jour pour les citoyens de notre pays.

Je vous en supplie, monsieur le ministre, je vous en supplie, chers collègues : ayons un débat sur le fond. C’est le troisième texte dont nous débattons aujourd’hui, c’est le troisième texte pour lequel on nous explique qu’il y a un problème de procédure car vous voudriez présenter un autre texte plus tard. Nous sommes ravis d’être en avance sur notre temps, mais je vous propose de discuter du fond et pas uniquement de problèmes de rédaction ou de procédure. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Pascal Popelin. C’est précipité, ce n’est pas en avance !

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Villiers-le-Bel, 2007 : des délinquants brandissent des armes à feu contre des policiers qui n’osent riposter et sont blessés. Chambéry, avril 2012 : un policier décède après avoir été délibérément renversé par une voiture contre laquelle il a préféré pointer son flash-ball plutôt que son arme. Corse : un policier se sert de son arme comme projectile au lieu d’appuyer sur la gâchette face à une voiture qui lui fonce dessus. Une policière tuée d’un coup de sabre à la préfecture du Cher, ne sachant si elle pouvait ou non réagir…

À toutes ces situations, un dénominateur commun : le doute, sinon la crainte, ressentis par les défenseurs de la sécurité publique quant aux conséquences juridiques de l’emploi de leur arme dans une situation de légitime défense, une crainte qui peut leur coûter la vie dans une confrontation avec des délinquants armés de kalachnikovs, ou qui n’hésitent pas, au volant, à leur foncer dessus. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi déposée par nos collègues Larrivé et Ciotti et moi-même est d’un très grand intérêt, et qu’elle est urgente, surtout.

Onze mille policiers et gendarmes blessés ces six derniers mois –chiffre en hausse, comme notre collègue Aubert l’indiquait à l’instant –, nous confèrent une obligation morale. Est-il juste que ceux qui risquent leur vie pour assurer notre sécurité exercent leurs fonctions dans cette crainte permanente ? Est-il équitable, notamment depuis la loi du 3 août 2009 qui rattache les deux forces au ministère de l’intérieur, que les policiers ne bénéficient pas de la même protection juridique en matière de légitime défense que les gendarmes, bien que, les plus exposés au feu, ils exercent pour 80 % en zone sensible et qu’ils assurent les mêmes missions et soient confrontés aux mêmes situations ?

Alors, il y a ceux qui, comme Daniel Vaillant, veulent au contraire retirer le droit de légitime défense aux gendarmes, prétextant qu’en zone rurale ils n’ont affaire qu’à des tirs de fusil de chasse en rase campagne – je reprends ses termes – et omettant leur déploiement en zone périurbaine, qui vient d’être rappelé. Il y a ceux qui, comme Dominique Raimbourg, partant au contraire de cette évolution – les gendarmes qui passent des zones rurales aux zones périurbaines – en tirent pourtant la même conclusion ! Loin d’accorder, notre rapporteur l’a excellemment dit, un blanc-seing législatif qui permettrait aux policiers d’user de leur arme en toute liberté, nous pensons quant à nous que le statu quo est totalement inadapté, maintenant une différence là où la convergence est souhaitable.

Certes, l’article du code de la défense concerné est un héritage du début du XXe siècle et les jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme en ont réduit la portée par l’obligation de justifier l’absolue nécessité du tir. Il n’en demeure pas moins qu’il constitue un cadre plus protecteur que celui de l’article 122-5 du code pénal qui, c’est vrai, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, s’applique aux policiers comme à tout citoyen.

Telle est la raison qui nous a poussés à prévoir, à l’article 1er de cette proposition de loi, non pas une présomption de légitime défense, qui ne serait pas acceptable dans un État de droit, mais la définition d’une doctrine d’emploi de la force armée par la police dans le cadre de l’exercice de la légitime défense.

En ce qui concerne la partie de cette proposition de loi consacrée à la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes, puisque le rapport Guyomar fait consensus, permettons, pour une fois, à l’initiative parlementaire de s’imposer au Gouvernement plutôt que l’inverse, sans tirer prétexte de problèmes de forme. Cela nous était d’ailleurs assez régulièrement conseillé sur vos bancs, avouez-le, lorsque vous siégiez dans l’opposition, chers collègues de gauche ! Les articles 2, 3 4 et 7 ayant été jugés irrecevables, le couperet un peu trop tranchant de l’article 40 de la Constitution renvoie chacun à ses responsabilités : là où le législateur ne peut intervenir, c’est au ministre de s’impliquer.

La suspension administrative à laquelle est condamné le fonctionnaire le temps de vérifier les circonstances de la légitime défense, dans un métier où l’essentiel de la rémunération est composé de primes, le prive en réalité de 30 % à 50 % de son salaire.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Exactement !

M. Philippe Goujon. C’est une véritable double peine qui le frappe. Elle affecte durablement sa carrière en l’écartant de son poste, et est très douloureuse à vivre sur le plan social comme psychologique. Un fonctionnaire auquel cette procédure est appliquée n’est même pas assuré de bénéficier de la protection fonctionnelle pour couvrir les frais liés à l’éventuelle phase de poursuites judiciaires dont il peut parallèlement faire l’objet. Cela vaut dans tous les cas, soit qu’il ait eu à se défendre dans l’exercice de ses fonctions, soit qu’il ait été visé en raison de sa qualité.

Monsieur le ministre, les fonctionnaires de police ont besoin de se sentir épaulés par leur autorité hiérarchique. L’assignation de l’agent judiciaire de l’État doit être facilitée. Comment comprendre qu’un policier n’ait pu bénéficier de la protection fonctionnelle et ait été condamné à verser de sa poche 60 000 euros de dommages et intérêts au délinquant sur lequel il a tiré avec son flash-ball en obéissant aux ordres de son supérieur dans une situation d’émeute urbaine ?

À l’heure où les gardés à vue et même les terroristes ont droit à l’assistance d’un avocat, ce qui est bien légitime, il serait particulièrement injuste et incompréhensible que les policiers et gendarmes soient les seuls justiciables à être privés du droit d’être accompagnés d’un conseil lors de leurs interrogatoires, comme de présenter des observations écrites à leur issue.

Des solutions de reclassement fonctionnel doivent permettre aux policiers, comme cela existe pour les gendarmes, de continuer à exercer pendant la phase d’enquête, à un poste déterminé en concertation avec l’autorité administrative et judiciaire concernée. Les policiers doivent encore recevoir, comme leurs collègues gendarmes, une préparation renforcée au tir et aux situations de stress. À cet effet, d’ailleurs, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, si une amélioration de cette formation au tir est envisagée ? Un remplacement des cibles de tir par des cibles à pieds est-il prévu ? Par ailleurs, comment répartir sur toute l’année, de façon équilibrée, les formations au tir, qu’il faut revaloriser, pour éviter que les objectifs chiffrés fixés aux unités soient réalisés en un temps restreint ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il serait pertinent d’établir un réseau de psychologues offrant aux agents visés par une enquête administrative ou judiciaire pour des faits relevant de légitime défense, de consulter un spécialiste, afin de gérer les situations de détresse dans lesquelles ils se trouvent plongés, souvent sans aucune préparation, du jour au lendemain ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Tout à fait !

M. Philippe Goujon. L’adoption de cette proposition de loi constituera un signal très fort donné aux forces de l’ordre, les sortant de l’insécurité juridique qui les paralyse autant qu’elle les expose. Nous vous appelons à la compléter par des initiatives gouvernementales concernant leur protection fonctionnelle.

Si policiers et gendarmes se doivent bien sûr d’être irréprochables, l’État se doit, en retour, de garantir la protection de ceux dont il exige de risquer jusqu’à leur vie pour assurer la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours délicat pour une société comme la nôtre, soucieuse de réglementer strictement le port et le transport des armes, d’aborder le sujet de l’usage légal de la force armée.

La question de l’ouverture et de l’encadrement par notre droit de la possibilité d’utiliser une arme, fût-elle destinée à des représentants de l’autorité publique, n’est pas anodine. Elle a trait à l’essence même de notre pacte républicain, qui veut que la puissance publique dispose du monopole de la violence légitime. C’est quelque chose de particulièrement important. Nous pouvons nous féliciter de cette spécificité. S’il y a un contre-modèle, c’est bien le modèle américain,…

M. Pascal Popelin. Tout à fait !

M. Philippe Folliot. …caractérisé par un usage personnel, assurément abusif, des armes à feu, avec tout ce que cela représente. Je crois que cette opinion est partagée sur l’ensemble des bancs de cette assemblée.

Aucun d’entre nous ne le contestera, les policiers et les gendarmes exercent, avec un courage, un professionnalisme et une disponibilité avérés, un métier particulièrement difficile, dans des conditions souvent périlleuses. Il convient à ce titre de leur rendre l’hommage qui leur est dû. Les forces de l’ordre mettent parfois leur vie en danger pour assurer la sécurité de tous sur l’ensemble du territoire. En 2011, 14 policiers et gendarmes ont perdu la vie dans l’exercice de leurs missions, et plus de 1 000 ont été blessés. La représentation nationale se doit de rendre un hommage appuyé à leur dévouement et leur professionnalisme.

Ils attendent de la société qu’elle leur accorde un cadre protecteur digne de ce nom, qui les prémunisse des dangers auxquels ils peuvent être exposés lors d’interventions opérationnelles. Nous avons tous en mémoire le drame qui s’est produit au soir du 21 avril 2012, lorsque, après avoir ouvert le feu sur un délinquant suspecté d’un vol armé, un policier fut mis en examen pour homicide volontaire. Cette décision avait d’ailleurs donné lieu à de nombreuses manifestations de soutien de la part des forces de police, comme de l’ensemble de la population. Nous ne devons pas pour autant en tirer des conséquences hâtives, sans prendre un minimum de précautions.

Ces faits démontrent avant tout que la frontière peut être bien mince, bien difficile à identifier, entre la protection des forces de l’ordre d’un côté et la sécurité collective de l’autre, entre la légitime défense et ce que l’on appelle les « bavures ». Dans quelles limites l’usage de la force armée peut-il être toléré et considéré comme acceptable ? À quelles conditions peut-on estimer qu’un acte a été commandé par la nécessité de la légitime défense, en réaction à une atteinte injustifiée ? Telles sont les questions que ce texte nous amène à nous poser et que nous devons prendre le temps d’étudier.

Nos collègues, auteurs de cette proposition de loi, partent du constat suivant : le code de la défense prévoit expressément, pour les gendarmes, la possibilité de déployer, dans des conditions limitatives et après des sommations verbales, la force armée. Il énumère les situations permettant aux officiers ainsi qu’aux sous-officiers de gendarmerie de déployer la force armée, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative. Les gendarmes doivent respecter les dispositions de l’article L. 2338-3 du code de la défense, qui décrit les cas dans lesquels ils peuvent utiliser leur arme, lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux, ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés.

À l’inverse, les policiers sont soumis au droit commun et ne peuvent recourir à la force armée qu’en cas de légitime défense. Cela est précisé à l’article 122-5 du code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense. »

Ils sont donc ainsi soumis aux mêmes règles que tout un chacun. Plus que de l’acte de tir, c’est de leur aptitude à discerner les conditions de la légitime défense que dépendent les poursuites dont ils peuvent faire l’objet. Le présent texte propose d’aligner les conditions d’emploi de la force armée de la police sur celles de la gendarmerie. Sur le principe, l’objectif est louable puisqu’il s’agit de donner aux forces de police les moyens nécessaires à leur défense, eu égard aux situations exceptionnelles auxquelles elles peuvent parfois avoir à faire face.

À tout prendre, cette proposition nous semble préférable à celle d’un alignement par le bas que nous avons pu entendre ici ou là, et qui consisterait à placer les gendarmes dans la même situation d’insécurité juridique – très relative mais quand même réelle – que celle où se trouvent actuellement les policiers.

Pour autant, l’adoption de cette proposition de loi aurait des conséquences que nous ne pouvons pas éluder. Avant toute chose, je tiens à faire remarquer qu’un alignement des conditions d’emploi aurait pour effet d’estomper la différence, qui est pourtant essentielle, entre police et gendarmerie.

À plusieurs reprises, depuis cette tribune, j’ai exprimé mon attachement au dualisme sur lequel est fondée l’organisation des forces publiques de sécurité françaises. La force publique de certains pays est organisée sur la base d’un dualisme entre des polices territoriales et une police d’État, toutes les deux civiles. La tradition française – et même méditerranéenne – repose sur un dualisme entre une force de police à statut civil et une force de police à statut militaire. J’avais d’ailleurs fait part de mes réserves, lors des débats sur la loi du 3 août 2009, quant aux conséquences d’un rapprochement trop étroit entre les deux forces de sécurité intérieure, qui sont si différentes. L’une, la police, est civile et syndiquée ; l’autre, la gendarmerie, est militaire et soumise au devoir de réserve.

Il est donc primordial que la gendarmerie puisse conserver sa spécificité au regard des caractéristiques propres à la mission qui lui est dévolue. Je ne parlerai pas, bien entendu, des opérations extérieures. Mais M. le ministre a fait tout à l’heure allusion à la situation très spécifique de la Guyane et à la lutte contre l’orpaillage, qui mérite des conditions d’emploi de la force publique adaptées. Il est tout autant primordial que la gendarmerie puisse conserver son statut militaire, auquel est lié en grande partie l’usage de la force armée.

En outre, contrairement à ce qu’évoquent les auteurs de la proposition de loi, la différence de réglementation entre gendarmes et policiers ne place pas ces derniers, dans les faits, dans des situations réellement plus difficiles. Précisons, par ailleurs, que cette proposition de loi nous amènera inévitablement, un jour ou l’autre, à aborder le cas de la police municipale armée.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Ce n’est pas le sujet ! Ce n’est en rien l’objet de ma proposition de loi.

M. Philippe Folliot. Or, nous n’avons pas encore le recul nécessaire, et les conditions de formation des policiers municipaux ne sont pas les mêmes que celles des effectifs de la police nationale.

Pour le groupe UDI, l’urgence serait plutôt de garantir aux forces de police une formation adéquate, essentiellement fondée sur l’analyse des situations et sur l’apprentissage de réponses adaptées. C’est ainsi que nous pourrons améliorer la capacité des fonctionnaires à faire face aux réalités opérationnelles.

Lorsqu’il s’agit de légiférer sur des questions aussi fondamentales qui touchent à notre sécurité, nous devons éviter plusieurs écueils : celui qui consisterait à créer un sentiment d’impunité tant chez les forces de l’ordre que chez les délinquants, et celui qui consisterait à banaliser l’usage des armes à feu alors même que notre législation a su l’encadrer strictement, à l’image de la loi récemment adoptée relative à l’établissement d’un contrôle simplifié et préventif des armes modernes.

Les actes de tir doivent donc rester confinés à des situations exceptionnelles. L’équilibre est fragile mais il est pourtant nécessaire car c’est de lui que dépend le lien de confiance entre nos forces de sécurité et la population.

Mes chers collègues, parce que voter ce texte reviendrait à mettre en cause les spécificités de la gendarmerie nationale, auxquelles nous sommes très attachés ; parce qu’un sujet aussi sensible requiert que nous puissions prendre tout le temps – il s’agit notamment d’attendre la publication des rapports qui ont été commandés – nécessaire à l’établissement d’un juste équilibre entre la protection des forces de l’ordre, et celle de l’ensemble de nos concitoyens, le groupe UDI s’abstiendra sur cette proposition de loi.

Mme Claudine Schmid. C’est courageux !

M. Laurent Furst. Vous tirez à blanc ! (Sourires.)

M. Pascal Popelin. En tout cas, cette position est sérieusement argumentée !

M. le président. La parole est à M. Matthias Fekl.

M. Matthias Fekl. Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a deux objets : l’usage de la force armée par les représentants de l’ordre, en l’espèce, les membres de la police nationale, et la protection fonctionnelle due aux agents assurant des missions de force de l’ordre.

Le sujet est extrêmement sérieux, car il implique les forces de l’ordre de la nation, qui remplissent des missions périlleuses et qui, au péril de leur vie et de leur intégrité physique, assurent notre sécurité. Leur action relève des missions régaliennes de l’État, et le ministre a rappelé la gravité de ce qui est en jeu quand des blessés ou des morts sont à déplorer. Nous pensons à eux, et nous pensons aussi aux familles et aux proches en deuil.

Le sujet est sérieux car il touche à la question de la protection due aux agents publics par la République.

Enfin, le sujet est sérieux car il concerne le rapport entre la nation et ses forces de sécurité.

Sur tous les bancs de l’Assemblée, des orateurs ont rappelé avant moi qu’un certain nombre de faits divers – je parlerai plutôt d’« événements tragiques » –, avaient mis en lumière la gravité de la situation.

C’est parce que le sujet est sérieux qu’au groupe SRC nous l’avons pris très au sérieux. Nous l’avons pris au sérieux en assistant à de nombreuses auditions organisées par le rapporteur. Nous l’avons pris au sérieux en procédant à un examen très détaillé et, je crois, très scrupuleux de ce texte en commission des lois. Et puis, nous l’avons pris au sérieux puisqu’une bonne partie de la proposition de loi s’inspire du rapport Guyomar, demandé avant l’été par le ministre de l’intérieur, M. Manuel Valls.

Cette proposition de loi traite, d’une part, de l’emploi des armes à feu, d’autre part, de la protection fonctionnelle. Mais, quand j’écoute nos débats, j’ai tout de même l’impression que le véritable sujet de ce texte est l’emploi des armes. Pour le reste, quelques éléments ont été piochés dans le rapport Guyomar, un bout par ci, une idée par là. Quelques propositions ont été prises à gauche et à droite – surtout à droite, d’ailleurs. Mais tout cela a plutôt eu pour objet de servir d’habillage permettant de faire un coup politique avec l’article 1er.

Pourquoi sommes-nous contre l’adoption de cet article ? Contrairement à ce qui a été dit, ce n’est ni par idéologie ni par simple refus de voter un texte issu des rangs de l’opposition. Tout au long des auditions, nous avons écouté très attentivement ce que nous ont dit les premiers intéressés : les représentants des policiers, les syndicats qui ont été entendus à l’initiative du rapporteur. Nous en retirons l’idée qu’il y a sur cette proposition une absence totale de consensus : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne fait pas l’unanimité. Elle est contestée par plusieurs organisations syndicales…

M. Julien Aubert. Ce n’est pas ce qu’elles écrivent !

M. Matthias Fekl. …et elle est rejetée par d’autres.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Elle est approuvée par de nombreuses organisations syndicales !

M. Matthias Fekl. Sur ce sujet, il y a une grande réticence.

C’est parce que nous avons constaté qu’il n’y avait pas d’unanimité du côté des syndicats, et que les positions étaient extrêmement différentes – toutes respectables, mais toutes différentes –, que nous estimons que l’article 1er n’a pas sa place dans la loi. Il pose des questions de fond, des questions en matière de charge de la preuve, des questions fondamentales, qui ne sont pas traitées dans ce texte.

En ce qui concerne la protection fonctionnelle, environ la moitié de la proposition de loi a été déclarée irrecevable, non par la commission des lois, mais par le président de la commission des finances, M. Gilles Carrez, à qui revient la charge de faire respecter l’article 40 de la Constitution. Nous n’avions que des bouts du rapport Guyomar ; nous n’en avons plus que quelques lambeaux !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Demandez au Gouvernement de déposer des amendements !

M. Matthias Fekl. Pour autant, sur la question de la protection fonctionnelle, de nombreux points intéressants sont évoqués dans la proposition de loi.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ah !

M. Matthias Fekl. J’ai déjà dit cela devant la commission des lois ; je le répète très volontiers dans l’hémicycle.

Sur les vingt-sept recommandations contenues dans le rapport Guyomar présenté le 13 juillet dernier, nombreuses sont celles qui vont dans le bon sens, qui répondent à des préoccupations concrètes et légitimes des forces de l’ordre, et qui appellent des mesures de transposition. Le problème, c’est que le texte qui nous est présenté aujourd’hui est largement irrecevable et qu’il comporte des articles qui sont de nature réglementaire, et qui relèvent parfois plus de la pratique administrative que de la loi.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Lesquels ?

M. Matthias Fekl. Or le rapport Guyomar doit être transposé de manière sérieuse, précise, cohérente, globale,…

M. Julien Aubert. Comme le rapport Gallois ?

M. Matthias Fekl. …et non morceau par morceau.

M. Julien Aubert. N’est-ce pas le cas pour tous les rapports ?

M. Matthias Fekl. C’en est fini, aujourd’hui, de la méthode consistant à prendre un élément par ci, un élément par là pour retoucher un texte.

M. le président. Monsieur Aubert, nous écoutons l’orateur !

M. Matthias Fekl. M. le ministre nous a indiqué quelles étaient les perspectives sur le sujet. Un travail ministériel est d’ores et déjà engagé. Nous avons compris que des premières décisions avaient été prises et que d’autres allaient suivre rapidement.

Nous sommes très attachés à ce que les propositions du rapport Guyomar puissent être rapidement traduites dans la réalité, de manière cohérente et globale, dans le cadre d’une réflexion d’ensemble sur ce que doit être aujourd’hui le régime de la protection fonctionnelle due aux forces de l’ordre. De nombreuses pistes sont à étudier ; elles doivent l’être dans le cadre d’une concertation approfondie avec les syndicats, les représentants des forces de l’ordre et avec les principaux intéressés, et d’une réflexion globale sur une possible refonte du régime de la protection fonctionnelle due aux agents publics.

Après avoir mené des auditions et réfléchi à la question de l’usage des armes à feu, je rappelle que le rapport Guyomar, rapport d’experts, rapport indépendant, a écarté la création d’un nouveau cas de présomption de légitime défense, comme celle d’un nouveau cadre légal pour l’usage des armes. En revanche, le rapport a suggéré l’ouverture d’une réflexion sur l’usage des moyens de force intermédiaires. Il préconise également la codification des conditions jurisprudentielles d’un usage légal des armes à feu.

En matière de protection fonctionnelle, il me semble urgent d’agir. Il faut poursuivre ce qui a déjà été engagé pour améliorer les pratiques institutionnelles, les pratiques internes au ministère de l’intérieur, la circulation de l’information, la communication auprès des agents afin qu’ils connaissent leurs droits et puissent les faire systématiquement valoir.

Il faut également creuser les pistes relatives à l’extension du bénéfice de la protection fonctionnelle à de nouvelles catégories d’agents, comme cela est suggéré dans le rapport Guyomar.

Il faut encore regarder de très près toutes les pistes qui sont évoquées concernant l’évolution de la procédure disciplinaire et son articulation avec les procédures judiciaires qui peuvent être engagées. Il s’agit à la fois de renforcer les garanties procédurales, et d’éviter tout ce qui est inutilement vexatoire pour des agents qui ont accompli leur mission.

Monsieur le président, mes chers collègues, au terme des travaux que nous avons conduits et des réflexions engagées sur cette proposition de loi, je crois qu’il peut y avoir entre nous des convergences sur les objectifs, notamment concernant la protection fonctionnelle. Cependant, si aujourd’hui nous votons contre ce texte, ce n’est pas pour prendre une posture, ce n’est pas par facilité ; c’est parce que nous avons attentivement écouté ce qui nous a été dit tout au long de la procédure d’examen de cette proposition de loi. Je note d’ailleurs que le clivage ne se fait pas simplement entre la droite et la gauche : l’attitude de l’UDI prouve que les choses sont complexes et que ce texte est compliqué…

M. Julien Aubert et Mme Claudine Schmid. Ils sont au milieu : ils s’abstiennent !

M. Matthias Fekl. Il est vrai qu’ils sont au centre et qu’en ce moment tout est un peu compliqué de votre côté de l’hémicycle !

Nous voulons une transposition rapide des propositions du rapport Guyomar. Elle doit se faire, selon les cas, par la voie réglementaire, par la voie législative, ou par les pratiques. Nous voulons une transposition globale et cohérente, et non par petits bouts, en cédant à la facilité.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. C’est vous qui cédez à la facilité !

M. Matthias Fekl. C’est pourquoi le groupe SRC votera contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, beaucoup de choses viennent d’être dites par M. Matthias Fekl.

La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui vise, d’une part, à préciser les conditions de l’usage légal de la force armée et, d’autre part, à renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes.

Pour faire simple, l’article 1er de la proposition vise à aligner le régime d’utilisation des armes à feu par les policiers sur celui applicable pour les gendarmes.

Pour le policier ou le gendarme, l’usage de l’arme est une décision vitale. Il peut tout aussi bien sauver une vie – peut-être la sienne –, éviter un drame pour une personne innocente ou extérieure à un délit ou un crime, ou tuer un délinquant dont le délit ou le crime peut être de nature diverse.

Il faut dénoncer avec la plus grande fermeté les actes de violence dont sont victimes les forces de police et s’insurger contre leur répétition.

Les autres dispositions, issues pour l’essentiel d’un rapport officiel, ont à la fois leur intérêt et leur cohérence, mais elles supposent, en amont, une évaluation des moyens utiles à leur mise en œuvre, et des crédits conditionnant leur réalisation. Elles visent pour l’essentiel à étendre la notion d’ayant droit, à augmenter le périmètre de la protection fonctionnelle, ou à créer une obligation de reclassement provisoire. Leur mise en œuvre dépend bien sûr de la volonté du Gouvernement, qui a la maîtrise de l’adoption des crédits budgétaires. Il s’agit là d’une prérogative du pouvoir exécutif sous la Ve République, confirmée par la réforme de 2008 votée par la précédente majorité.

Quelles sont les dispositions applicables en matière d’usage des armes à feu ?

Le point de départ est l’existence de dispositions différentes entre la police et la gendarmerie. Les gendarmes peuvent faire usage de leur arme en bénéficiant, depuis 1903, d’un texte réglementaire qui les autorise à ouvrir le feu après les injonctions d’usage. Les policiers, eux, n’ont le droit d’utiliser leur arme que pour se défendre ou défendre quelqu’un d’autre, et en aucun cas pour stopper la fuite d’un suspect.

La proposition de loi vise à rapprocher le régime applicable aux policiers du système en vigueur chez les gendarmes. Mais, en droit appliqué, cette distinction a évolué du fait de la jurisprudence. Les juridictions pénales et la Cour de cassation ont progressivement restreint la possibilité pour les gendarmes d’utiliser leur arme. Délaissant un texte qui a plus de cent ans, elles exigent désormais que la force ne soit utilisée qu’en tout dernier recours. Ainsi, dans une affaire récente où un gendarme avait fait feu après les injonctions sur une personne gardée à vue et qui s’enfuyait, elle a considéré qu’il n’y avait pas eu « état de nécessité ».

Parallèlement, les mêmes juridictions admettent qu’un policier puisse ouvrir le feu sur un véhicule afin de le stopper, à condition que le conducteur dudit véhicule mette en danger une vie humaine, par exemple en fonçant sur le fonctionnaire ou l’un de ses collègues. La voiture est alors assimilée à une arme par intention.

À présent que les gendarmes sont sous la tutelle du ministre de l’intérieur, leur mission civile étant affirmée, il serait assez logique que l’on assiste à une harmonisation des conditions légales entre les deux corps dans le sens de cet état de nécessité et non du seul respect des injonctions.

Dans ces conditions, le rapprochement que vous proposez ne présente pas véritablement d’intérêt sur le plan juridique mais sert probablement à envoyer un message.

Certaines dispositions qui pourraient être utiles ne figurent pas dans la proposition, et l’on pourrait ouvrir la réflexion pour préparer un projet que nous présenterait le Gouvernement.

Si les autres dispositions du texte visent à mieux protéger les agents, une question aurait mérité d’être abordée, celle des garanties offertes aux agents dans le cadre des enquêtes dites administratives et des procédures disciplinaires.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. C’est déjà fait par circulaire !

Mme Marietta Karamanli. Celles-ci devraient respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense. Il n’est pas acceptable, par exemple, qu’un agent entendu par un corps d’inspection ne puisse pas être assisté par le défenseur de son choix.

Il serait également utile de revenir sur la possibilité dont dispose aujourd’hui l’autorité disciplinaire de statuer définitivement sur le sort de l’agent avant la fin de la procédure pénale le concernant. Ainsi, il est pour le moins étrange qu’un agent puisse être révoqué pour des faits par ailleurs objet d’une procédure pénale dans laquelle il est présumé innocent et à l’issue de laquelle il sera peut-être mis hors de cause. Ce point ne figure pas dans le texte.

Ainsi au final, cette proposition apparaît décalée par rapport à l’évolution du droit et à la complexité des situations, ne traite nullement des moyens nécessaires à sa mise en œuvre et n’évoque qu’imparfaitement les droits des policiers. Vous comprendrez donc aisément, mes chers collègues, que nous ne puissions pas la soutenir. Les questions posées mériteront à coup sûr d’être revues dans le cadre d’un texte d’origine gouvernementale auquel nous pourrons, tous ensemble travailler. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Fekl l’a souligné, le sujet que nous évoquons est sérieux. Il mérite d’être traité en dehors de tout esprit partisan. Nos collègues de l’opposition ont souhaité à de multiples reprises que cette exigence de neutralité soit respectée. Aussi, je souhaiterais entamer mon propos par une remarque positive.

Dans l’intention, cette proposition de loi est respectable.

M. Julien Aubert. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Merci !

M. Pascal Popelin. Je ne veux prêter d’autres ambitions à ses auteurs que celle de vouloir améliorer, en toute sincérité, un cadre légal qui peut être jugé insuffisamment protecteur pour les forces de l’ordre.

M. Jean-Frédéric Poisson. Laissez parler votre cœur, monsieur Popelin !

M. Pascal Popelin. Chacun s’accorde ici à penser que la singularité des missions qui incombent aux policiers et aux gendarmes, les risques qu’elles comportent, la lourde responsabilité qu’ils doivent endosser au quotidien exigent que l’État leur garantisse des conditions d’exercice à la fois sereines et sécurisantes.

Si la démarche de nos collègues est respectable, les seules bonnes intentions ne font pas forcément les meilleurs textes de loi.

Sur la forme d’abord, monsieur le rapporteur, je regrette que votre texte renoue avec cette mauvaise habitude qui a consisté au cours des dix dernières années à vouloir produire une loi en réponse à chaque fait divers suscitant une émotion et un écho médiatique particuliers.

Cette proposition n’est déconnectée ni d’une histoire, ni d’un contexte. Elle fait directement écho au drame qui s’est déroulé au début de cette année dans le département dont je suis l’élu, à Noisy-le-Sec. Elle constitue une réaction aux suites judiciaires qui en ont découlé pour le gardien de la paix ayant fait usage de son arme à l’encontre de l’individu qu’il pourchassait.

De tels événements difficiles doivent nécessairement interroger le législateur, mais nous sommes un certain nombre ici à avoir suffisamment combattu la méthode du recours systématique aux lois de circonstance, à en avoir pointé les dérives, pour ne pas aujourd’hui tomber nous-mêmes dans un travers identique. Notre mission de législateur, telle que je la conçois, ne consiste pas à imprimer dans la loi l’émotion et les traumatismes soulevés par l’actualité.

Toujours sur la forme, on peut déplorer que les auteurs du texte n’aient pas porté l’attention qu’il convient à la recevabilité de l’essentiel des dispositions qu’ils proposent.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. C’est un appel au Gouvernement !

M. Pascal Popelin. Entre celles qui relèvent du domaine du règlement et celles qui ont été d’emblée frappées d’irrecevabilité au titre de l’article 40 de notre Constitution, la mouture que nous examinons aujourd’hui s’est singulièrement réduite, à la manière d’un hommage à Honoré de Balzac et à sa peau de chagrin.

Sur le fond maintenant, je rappelle qu’il n’y a aucun consensus sur l’évolution des règles d’emploi des armes auxquelles sont soumises les forces de police.

L’article 1er de la proposition prévoit un alignement par le haut de la doctrine de tir appliquée aux gendarmes et aux policiers. Cette uniformisation est loin de faire l’unanimité, y compris dans les rangs de la police nationale. Indépendamment du fait que les modes de commandement, de déploiement sur le terrain et de mise en œuvre de l’usage de la force armée ne sont pas identiques au sein de la gendarmerie et de la police, un tel alignement est jugé inopportun, précipité, voire dangereux par de nombreux experts. Le rapport Guyomar sur la protection fonctionnelle, qui semble faire autorité parmi nos collègues de l’opposition, émet de très fortes réserves sur l’instauration de règles de tir moins restrictives.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Ce n’est pas non plus l’Évangile !

M. Pascal Popelin. Lors des échanges que nous avons eus sur ce texte, ses auteurs ont souligné que son adoption sonnerait comme un message fort de confiance et de reconnaissance à l’égard de ceux qui assurent notre sécurité. Ce message, nous le faisons nôtre, mais nous sommes porteurs d’une plus grande ambition. Plus qu’un message, nous voulons être capables de répondre concrètement et durablement aux dysfonctionnements et aux failles auxquels est confrontée la police nationale dans l’exercice de ses missions.

Pour bâtir les outils adéquats, conformes aux besoins et aux attentes des fonctionnaires, pour définir les financements qui permettront de concrétiser ces évolutions, il est utile d’accorder le temps nécessaire à la réflexion et à la concertation. Dès sa prise de fonction, le ministre de l’intérieur a souhaité engager ce travail. Tel était le sens de la mission interministérielle dont il a confié la présidence à Mattias Guyomar. Je ne doute pas que les suites législatives et réglementaires qui seront réservées aux vingt-sept propositions formulées par cette commission pour améliorer le régime juridique dont bénéficient déjà les agents lorsqu’ils sont victimes dans l’exercice de leur mission ou mis en cause par des tiers, vaudront mieux que celles qui auraient pu découler des neuf articles de cette proposition de loi, dont il ne reste plus que cinq, avant qu’il n’en subsiste plus aucun puisque les élus socialistes, républicains et citoyens, vous l’avez compris, ne voteront pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Non, monsieur le ministre, l’objectif n’est pas de faciliter l’emploi des armes à feu. Il ne s’agit pas d’augmenter le nombre de tirs pour augmenter le nombre de tirs, nous voulons sécuriser l’emploi des armes à feu lorsqu’il est nécessaire pour protéger les policiers. Je crains qu’en préférant le statu quo, vous ne vous enfermiez dans une sorte de silence préjudiciable aux policiers, qui, en tout cas, ne répond en rien à leurs attentes.

Monsieur Folliot, notre proposition de loi respecte pleinement l’identité militaire de la gendarmerie nationale. Je le dis en tant que député, je le dis aussi en tant que petit-fils de gendarme. Il n’est évidemment pas dans nos intentions d’affecter de quelque manière que ce soit le statut militaire de la gendarmerie nationale, que les députés de la précédente majorité ont précisément conforté lorsqu’ils ont voté, en dépit de l’opposition de la gauche, la loi de 2009 relative à la gendarmerie nationale. Si nous insérons dans le code de la sécurité intérieure des dispositions relatives à l’emploi des armes par les policiers s’inspirant de celles des gendarmes, nous n’affaiblissons en rien le statut militaire des officiers et des sous-officiers servant au sein de la gendarmerie nationale.

S’agissant des articles 2 et suivants, j’ai noté avec un grand intérêt, monsieur le ministre, que, pour vous, le texte proposé améliorait sensiblement la situation des fonctionnaires de la police nationale. Las, vous renvoyez pour partie le problème à des discussions interministérielles et vous refusez de reprendre par amendement les dispositions déclarées irrecevables. L’attitude du Gouvernement relève d’une forme de procrastination quelque peu regrettable. Nous aurions préféré, mesdames, messieurs, que vous fassiez preuve d’un peu d’audace. La navette parlementaire, que vous allez interrompre puisque vous avez la majorité, aurait permis de répondre aux attentes des policiers et des gendarmes. C’est sans doute, hélas, une occasion manquée.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je ne sais pas si le Gouvernement peut être taxé de procrastination, monsieur le rapporteur, mais votre cas est alors encore plus grave puisque vous avez remis à plus tard pendant dix ans ce qui vous semble être une impérieuse nécessité. Vous partagerez donc pour le moins avec nous le fardeau de votre démonstration.

Beaucoup d’entre vous ont évoqué un fait divers, ou plutôt un fait tragique qui, nous le savons très bien, a été pour partie à l’origine du débat. Il est toujours difficile, dans un débat de cette nature, de parler de faits pour lesquels une instruction est en cours. Il y a un principe de séparation des pouvoirs. Tout événement peut naturellement inspirer le législateur, mais un tel rapprochement entre les circonstances de cet événement, dossier confié à l’autorité judiciaire, et la formulation des motivations de la proposition de loi ne me paraît pas très convenable. À ce stade, la défense n’a pas usé des voies de droit pour contester la mise en examen et l’intéressé, fort heureusement, est toujours présumé innocent.

Le débat s’est focalisé sur l’article 1er et on le comprend bien. Il ne faut pas se tromper d’enjeu. Beaucoup pensent qu’il s’agit simplement d’aligner les dispositions légales dont bénéficient les policiers sur celles des gendarmes. Le débat, vous le savez parfaitement, est juridique et d’une complexité beaucoup plus subtile et, si vous ne vous êtes pas emparés de cette question, c’est parce que la modification que vous appelez de vos vœux n’aurait absolument pas la portée que vous voulez lui donner, y compris dans le débat médiatique.

La jurisprudence européenne est passée par là et toutes les dispositions concernant les gendarmes comme celles concernant les policiers ont en réalité été harmonisées par les décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’Homme notamment, qui, en matière d’usage d’armes par les forces de police, prend en considération « non seulement les actes des agents ayant effectivement eu recours à la force mais également l’ensemble des circonstances les ayant entourés, notamment le cadre juridique ou réglementaire en vigueur, ainsi que leur préparation et le contrôle exercé sur eux ». À l’évidence, le fait d’imposer la nécessité et la proportionnalité a pratiquement entraîné une harmonisation des dispositions que vous voulez harmoniser uniquement en droit interne.

Ce qu’il faudrait plutôt faire, monsieur le rapporteur – et le Gouvernement y réfléchit – c’est codifier la jurisprudence issue de la législation européenne afin que le droit positif corresponde au droit en réalité appliqué dans les circonstances que vous évoquez.

De ce point de vue, il me semble que l’objectif que vous visez est déjà très largement rempli par une harmonisation. Je ne sais pas si je pouvais légitimement vous reprocher de la procrastination, mais en tout cas, sur le seul terrain juridique, vous avez un certain temps de retard.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté ce texte.

Article 1er

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert, inscrit sur l’article 1er.

M. Julien Aubert. Peut-on véritablement parler de loi de circonstance, alors que plusieurs mois se sont écoulés depuis les faits évoqués, et que nous faisons face actuellement à une série d’actes commis avec des armes à feu ? Dans certaines parties du territoire l’accélération de la violence est visible, qui met en danger nos forces de l’ordre. La précipitation est sans doute mauvaise, mais l’absence d’adaptation l’est tout autant. Parler de loi de circonstance, c’est faire un mauvais procès au rapporteur et à la majorité ; nous cherchons simplement, après plusieurs années d’analyse,…

M. Matthias Fekl. Dix ans d’analyse !

M. Julien Aubert. …à corriger une situation de droit.

Un second argument qui m’apparaît fallacieux, c’est qu’il n’y aurait pas de consensus entre les organisations syndicales. Tout d’abord, un point de principe : si, chaque fois que les syndicats étaient divisés, le législateur s’interdisait d’agir, peu de sujets seraient tranchés dans ce pays ! Je suis allé voir les communiqués de presse. L’UNSA, qui représente 10 % des policiers, explique qu’elle regrette le statu quo concernant la légitime défense et surtout l’absence de proposition sur l’harmonisation de l’usage des armes. Alliance, qui représente 38 % des policiers, dit que « les forces de sécurité sont contraintes d’attendre de se faire tirer dessus, au risque d’être tuées, pour pouvoir légalement se défendre ». Enfin, sur le site de FO figure une analyse extrêmement intéressante qui se conclut ainsi : « L’idée serait de faire bénéficier au policier, compte tenu de la dangerosité de son métier, de son exposition, un champ de dispositions qui permettrait d’étendre au caractère involontaire de l’acte les dispositions et les conditions de la légitime défense », en d’autres termes d’élargir les conditions d’utilisation des armes à feu. Ainsi, les trois syndicats qui représentent 100 % des sièges ont, je suis au regret de vous le dire, des positions plutôt convergentes.

Enfin, il ne faut pas faire des policiers des juristes. Le problème de cette fameuse jurisprudence, c’est qu’elle demande au policier de voir, en un quart de seconde, s’il applique bien le droit de la légitime défense. En harmonisant, nous simplifierons aussi le travail sur le terrain, ce qui devrait être notre principal objectif à tous.

M. le président. Nous en venons aux amendements à l’article 1er.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Permettez-moi tout d’abord une remarque à l’intention du ministre, à la suite de ses propos. En poussant votre raisonnement à son terme, monsieur le ministre, on aurait presque le sentiment que les actuelles dispositions du code de la défense applicables aux gendarmes sont un ensemble vide, au sens où la jurisprudence de la Cour européenne et de la Cour de cassation les aurait vidées de leur contenu au point que seul le régime de la légitime défense prévu par le code pénal s’appliquerait. En réalité, ce n’est pas le cas. Les statistiques qui m’ont été transmises par la direction générale de la gendarmerie nationale, lors des auditions, montrent que l’emploi de leurs armes à feu par les gendarmes se fait à 49 % du nombre total des usages dans le cadre de la légitime défense, à 18 % dans le cadre de l’état de nécessité prévu à l’article 122-7 du code pénal, et de 33 % – un tiers – dans le cadre du régime complémentaire du code de la défense. Et les situations sont bien distinctes.

Mon amendement a deux objets. Il est pour partie rédactionnel : il s’agit de préciser que l’article 1er ne s’appliquera qu’aux fonctionnaires de la police nationale. Son second objet est d’introduire, à des fins de précision, la notion d’absolue nécessité, énoncée par la Cour de cassation. Puisque c’est mon amendement, j’y suis naturellement favorable, monsieur le Président, mais si vous me demandez l’avis de la commission des lois, je serai obligé de reconnaître qu’elle l’a repoussé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je me suis déjà largement expliqué en répondant à la discussion générale. L’avis est défavorable.

(L’amendement n° 3 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard, pour soutenir l’amendement n° 1.

M. Gilbert Collard. La réalité de la violence, nous la constatons tous, tous les jours. La rue, hélas, n’est pas la faculté de droit. Dans le Var, deux gendarmes ont été tués dans les conditions que vous savez. À Bourges, on l’a un peu oublié, une policière a été tuée à coups de sabre. C’est la réalité, une réalité sanglante, violente. Dans les deux cas, ce que l’on a constaté, c’est que les fonctionnaires de police ou de gendarmerie étaient obligés de passer en revue, comme s’ils étaient devant un examinateur et non devant un assassin, les conditions de la légitime défense : « Est-ce que je suis dans le temps de la riposte ? Est-ce que je suis dans une réaction proportionnée ? Est-ce que la gravité de l’atteinte justifie que je me défende, c’est-à-dire que je tire ? »

On aura beau tourner les textes dans tous les sens, chaque fois qu’un policier ou un gendarme sera confronté à une situation de violence, s’il doit, avant de réagir, passer en revue les critères légaux, ce sera trop tard ! Le seul moyen de permettre aux fonctionnaires de l’ordre, qui sont respectables à ce titre et à l’égard desquels on ne peut articuler aucun préjugé de violence innée, comme lié à l’uniforme, c’est d’accepter une fois pour toutes d’établir une présomption de légitime défense à leur bénéfice. Cette présomption, évidemment, pourra être battue en brèche au vu des éléments de l’affaire, des circonstances, mais tant que nous ne déciderons pas que le policier ou le gendarme, quand il prend le matin son arme avec lui, n’est pas un assassin en puissance qui la sortira pour tuer sans raison ou dans la précipitation, nous exposerons nos représentants de l’ordre à la mort, qui les frappe au coin des rues, ou au coin de l’inattendu.

Nous avons donc, me semble-t-il, le devoir de simplifier la loi en acceptant d’établir au profit des gendarmes et des policiers une présomption d’innocence, parce qu’aujourd’hui ils ont plutôt une présomption de décès !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Notre droit connaît depuis longtemps la notion de présomption de légitime défense dans certains cas : c’est l’article 122-6 du code pénal. Il s’agit d’une présomption qui repose sur des circonstances de fait : la nuit, pour défendre un lieu d’habitation ou repousser un vol avec violence. Mais elle ne repose pas sur la qualité de l’auteur des faits. C’est pourquoi l’amendement de M. Collard et plus encore celui que présentera par la suite Mme Maréchal-Le Pen sont particulièrement novateurs.

Faut-il considérer, comme M. Collard le propose, que les tirs d’armes à feu par les policiers, sous l’empire des dispositions nouvelles du code de la sécurité intérieure, ou par les gendarmes, sous l’empire des actuelles dispositions du code de la défense, devraient être couverts par la présomption de légitime défense ? Je ne le crois pas, car cela me semble introduire une incertitude dommageable.

Il y a d’abord une incertitude à mêler le régime de la légitime défense défini par le code pénal et celui, complémentaire, des cas d’usage des armes définis par le code de la sécurité intérieure ou par le code de la défense. Les dispositions du code de la sécurité intérieure prévoient des cas de figure qui ne sont pas sous l’empire de la légitime défense : il peut s’agir, par exemple, d’immobiliser les véhicules dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt. Ce n’est pas un cas de légitime défense et je comprendrais mal que nous y appliquions une présomption de légitime défense, car ce sont deux notions différentes.

La seconde incertitude tient au fait que cette présomption, comme j’ai essayé de le dire en présentant ce texte, introduirait une sorte d’illusion d’irresponsabilité pénale, qui n’empêcherait aucunement de retenir une qualification d’homicide. La présomption que vous proposez, monsieur Collard, est une présomption légale, donc réfragable, et le juge, demain, pourra la contourner, la dépasser.

Si je suis amené, en mon nom et au nom de la commission des lois, à émettre un avis défavorable, ce n’est pas tant que je ne partage pas les intentions que vous exprimez,…

M. Eduardo Rihan Cypel. C’est bon à savoir !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. …intentions protectrices à l’endroit des policiers, mais c’est parce que je pense que, techniquement, l’option que vous proposez n’est pas la plus pertinente.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. La démonstration qui vient d’être faite mérite d’être reprise. Cet amendement change complètement la nature de la proposition de loi puisque nous inscririons une présomption dans notre code pénal. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce serait novateur.

Ceux qui pensent que, par là même, nous accorderions une protection aux policiers ou aux gendarmes se trompent. Dès lors que cette présomption existerait, il faut en effet bien comprendre que, de par son caractère très large et novateur, elle générerait soit des dérives soit, comme le rapporteur l’a dit, un rééquilibrage par l’intervention des autorités judiciaires, et je ne suis pas sûr que les gendarmes ou les policiers pourraient nous en féliciter. Dans une société de droit – si l’objectif n’est pas de changer de société –, avec des règles démocratiques, une autorité dépositaire de la force publique ne peut en aucune façon être en situation d’impunité. Or c’est ainsi que cela serait vécu par les justiciables et il y aurait forcément un rééquilibrage. Ce serait un très mauvais service rendu aux représentants de l’ordre. De ce point de vue, la démonstration manque d’efficacité, et la solution préconisée risquerait d’avoir des résultats pires que la situation actuelle, pouvant poser de très gros problèmes à nos policiers et gendarmes.

Nous venons d’échanger des arguments sur l’opportunité de cette proposition de loi. N’oublions pas la partie fonctionnelle, les questions de protection juridique. Nous avons besoin de forces de l’ordre qui agissent dans la sérénité, dans la sécurité juridique. Des questions sont posées par le rapport Guyomar. Les orateurs de la majorité ont rappelé qu’un certain nombre de ces questions avaient trouvé ou trouveraient une réponse réglementaire. D’autres réponses, je l’ai dit, seront apportées par le biais d’un support législatif, certaines à l’issue du travail ministériel en cours. Le message de sécurisation, reconnu et voulu par le Gouvernement pour nos forces de police et de gendarmerie, sortira renforcé dès lors qu’il s’inscrira dans un cadre juridique consolidé plutôt que dans une opération qui n’aurait que les apparences de la protection.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Soyez rassuré monsieur le ministre : il ne s’agit pas de changer la société en lui mettant des bottes et des casques ! Vous êtes libres de le penser, mais telle n’est pas mon opinion.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je n’ai rien dit de tel !

M. Gilbert Collard. En revanche, diminuer le nombre de policiers tués est un changement de société que je peux appeler de mes vœux.

Il y a un mot que vous n’avez pas pu vous empêcher de prononcer, celui de dérive. Pourquoi voulez-vous qu’un policier, un gendarme, un représentant de l’ordre soit potentiellement capable de dérive ? Pour ma part, je préfère dire qu’il est potentiellement dans une présomption de légitime défense. Bien évidemment, cela n’organise aucune impunité puisqu’elle est réfragable. Si le contexte ne permet pas l’instauration de la présomption, elle tombe.

Les policiers et les gendarmes ont besoin de savoir qu’on ne les présuppose pas comme étant capables, chaque fois qu’ils utilisent leur arme dans un contexte de dangerosité, de se livrer à l’envie de tirer, simplement pour tirer ou pour tuer. Parce qu’ils sont les représentants de l’État, ils doivent bénéficier de ce statut qui fait qu’au nom de l’État, quand ils sont hélas ! obligés de tirer, on considère qu’ils le font a priori pour le bien de l’État. Croyez-moi, cela les réconforterait !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je souhaite répondre très précisément à M. Collard.

J’ai parlé de changement de société, mais si, pour vous, cela fait référence à des casques et des bottes, vous voudrez bien reconnaître que ce n’est pas moi qui ai évoqué cet aspect des choses. À chacun l’image qu’il met derrière les mots.

M. Matthias Fekl. Très bien !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je ne vous permets pas de travestir mes propos. J’ai parlé des dérives dont vont être victimes les policiers vis-à-vis de la procédure. Dès lors qu’il y aura une protection absolue, il faudra rechercher dans des batailles judiciaires ce qui est actuellement résolu par la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Monsieur Collard vous avez raison sur un point : la rue est dangereuse pour nos concitoyens, pour les policiers et les gendarmes. Mais vous avez ajouté que la rue, ce n’est pas la faculté de droit. Ce n’est pas non plus le prétoire, ni le Conseil d’État.

Votre amendement, même s’il est pavé de bonnes intentions – et le Gouvernement était même prêt à le reconnaître – viendrait compliquer l’état du droit. Ce serait en fait une espèce de faux bouclier offert aux policiers et aux gendarmes. Un faux bouclier, c’est un bouclier qui ne protège pas et qui, au contraire, expose.

Je maintiens donc l’avis défavorable que j’ai exprimé tout à l’heure.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. J’ai été moi-même, par le passé, un fervent défenseur de la présomption de légitime défense avant de me rendre aux arguments développés par le rapporteur.

Monsieur Collard, je comprends très bien l’analyse que vous faites de la société. J’y souscris…

M. Eduardo Rihan Cypel. Tiens, tiens…

M. Julien Aubert. …dès lors qu’il s’agit de soutenir nos policiers. La légitime défense suppose l’usage d’une arme en riposte à un problème. Or cela ne couvre pas l’intégralité des dangers auxquels les policiers peuvent être confrontés. La proposition de loi qui nous est proposée va plus loin car elle permet une approche modulable. Vous savez bien que, lorsque l’on parle de légitime défense, il est très compliqué de concilier la logique de défense et celle de prévention.

J’ajoute que, s’agissant des faits dramatiques qui ont eu lieu au printemps dernier, les policiers se sont indignés notamment parce que le policier en question a été inculpé pour homicide. Or, comme l’a dit le rapporteur, il est certain que la présomption d’innocence ne le couvrira pas. In fine, on retiendra peut-être la présomption d’innocence, mais en attendant il aura subi les mêmes avanies que ce à quoi il est confronté aujourd’hui.

Je préfère donc le dispositif proposé parce qu’il permet de simplifier les choses. De plus, il est indigne pour un policier qui fait son travail d’être considéré comme un vulgaire malfaiteur.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. La présomption de légitime défense n’a pas pour effet de placer le policier dans l’impunité, mais de modifier son statut moral à l’intérieur de la pénalité. De toute manière, c’est vrai, il y aura débat et mon collègue a raison dans son intervention, mais la justification de son propos s’arrête à l’idée que le policier ou le gendarme se fait lorsqu’il est mis en examen. S’il est présumé avoir agi, ce n’est pas la même chose sur le plan criminologique, juridique et, surtout, moral.

(L’amendement n° 1 n’est pas adopté.)

(L’article 1er n’est pas adopté.)

Après l’article 1er

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, pour soutenir l’amendement n° 2.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il est défendu.

(L’amendement n° 2, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Les articles 2 à 4 ont été déclarés irrecevables par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

Article 5

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. C’est un amendement de précision qui a été, hélas ! repoussé par la commission des lois.

(L’amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Même chose que pour l’amendement précédent.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Je voudrais savoir pourquoi le ministre est défavorable à un amendement de précision.

Mme Brigitte Bourguignon, Mme Valérie Corre et M. Jean-Pierre Maggi. Le ministre l’a dit tout à l’heure !

M. Julien Aubert. Depuis ce matin, tous les amendements ont été repoussés, y compris les plus anodins. Je regrette que nous nous heurtions à un tel mur, surtout quand il y a des convergences sur le fond, y compris sur les bancs les plus éloignés.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. J’ai déjà expliqué tout à l’heure pourquoi nous étions défavorables à ces amendements.

Être favorable à des amendements rédactionnels alors que l’on est contre un texte est d’une logique dont la démonstration reste à faire ! Voilà pourquoi le Gouvernement préfère s’en tenir à la cohérence de sa position de fond.

M. Matthias Fekl. Très bien !

(L’amendement n° 5 n’est pas adopté.)

(L’article 5 n’est pas adopté.)

Article 6

M. le président. L’article 6 ne fait l’objet d’aucun amendement.

Je le mets aux voix.

(L’article 6 n’est pas adopté.)

M. le président. L’article 7 a été déclaré irrecevable par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

Articles 8 et 9

M. le président. Les articles 8 et 9 ne font l’objet d’aucun amendement.

Je les mets successivement aux voix.

(Les articles 8 et 9, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi ainsi que les articles additionnels, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Création d’une médaille d’honneur du bénévolat

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean-Charles Taugourdeau visant à créer une médaille d’honneur du bénévolat (nos 222, 464).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Monsieur le président, madame la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, benoîtement, je pensais que le sujet qui nous réunit aujourd’hui était de ceux qui transcendaient les clivages politiques. En effet, chacun des députés ici présents a certainement vécu une expérience personnelle d’engagement bénévole dans le monde associatif ou dans un autre cadre ; pour certains, le bénévolat a même été une porte d’entrée dans la vie publique. Il peut donc sembler que nous sommes tous bien placés pour savoir l’utilité, l’intérêt et la nécessité du bénévolat dans notre pays. Il me semblait aussi que nous pouvions nous retrouver sur un objectif simple : mieux reconnaître l’engagement bénévole.

C’était sans compter sur certains réflexes politiciens qui, je dois l’avouer, heurtent ma conception du débat parlementaire. Les échanges que nous avons eus en commission n’ont pas toujours été, me semble-t-il, à la hauteur de l’idée que je me fais de la portée de ce texte.

Mme Brigitte Bourguignon. C’est à espérer…

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Je le regrette d’autant plus que, à cause d’arguments souvent mal fondés, la proposition de loi dont nous allons débattre a été rejetée le 28 novembre dernier.

Avant d’en venir au texte lui-même, il me paraît nécessaire de rappeler un certain nombre de points. Les premiers sont politiques puisqu’ils ont été soulevés en commission où l’on a pu entendre que « les subventions de l’État au monde associatif ont connu une baisse constante et drastique » ; je sais bien que, depuis six mois, c’est l’ancienne majorité qui est responsable de tout mais arrêtons la politique politicienne, mes chers collègues, et ne confondons pas tout. C’est une proposition qui devrait faire l’unanimité pour reconnaître des gens de l’ombre. Il ne s’agit pas de déterminer une politique associative à venir : il ne faut pas confondre honorer l’action, l’engagement du bénévole, et juger et jauger la politique associative de tel ou tel gouvernement.

Lorsque j’entends, en commission toujours, qu’il s’agit « d’une médaille bling-bling » ou « d’un gadget », lequel d’entre nous n’a jamais remis une médaille de l’Assemblée en circonscription ?

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Moi !

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Croyez-vous que les médailles que vous offrez sont jetées à la poubelle, qu’elles ne sont montrées à personne ?

Je crois que remettre une médaille a une valeur symbolique, qu’elle est importante aux yeux de celle ou celui qui la reçoit. Même si c’est sympathique de nous mettre en valeur en tant que députés lorsque nous offrons une médaille de l’Assemblée, ne pensez-vous pas qu’il serait plus humble de notre part de remettre une médaille du bénévolat ? Je ferais d’ailleurs la même réponse à l’un de nos collègues qui rappelait en commission, encore, que « les pionniers bénévoles de l’éducation populaire ont pris la pelle et la pioche pour construire des colonies de vacances ». Ne croyez-vous pas que ces pionniers qui se sont donnés, notamment, pour construire des centres de loisirs seraient fiers de montrer la médaille qu’ils auraient reçue après la construction du centre dans lequel leurs enfants et petits enfants passent leurs vacances ?

Quant au statut du bénévole, doit-on encore et toujours figer les choses ? Les bénévoles, lorsqu’ils donnent de leur temps, le font généreusement. Qui dit statut dit certes avantages, mais également contraintes : à tout droit, correspondent en retour des devoirs mes chers collègues. Doit-on se montrer rigide au point d’exiger que le bénévole prouve à son employeur le temps consacré au bénévolat ? Soyons sérieux, laissons leur la liberté d’agir dans l’ombre, selon leurs disponibilités, leurs souhaits ; mais reconnaissons, par cette médaille d’honneur, leur générosité.

On me disait également qu’un responsable d’association doit pouvoir passer le flambeau. J’ai entendu l’argument et c’est pour cela que j’ai déposé un amendement visant à reconnaître le bénévolat accompli dans plusieurs associations tout au long de la vie du bénévole.

Par ailleurs, à défaut de définition légale ou conventionnelle, il convient de considérer, comme le Conseil économique et social dans un avis rendu le 24 février 1993, que « le bénévole est celui qui s’engage librement pour mener à bien une action non salariée, non soumise à l’obligation de la loi, en dehors de son temps professionnel et familial ». Il n’est pas précisé s’il s’agit d’un engagement au sein d’une association ou d’un engagement libre.

On dénombre actuellement plus de 16 millions de bénévoles en France. La valorisation de ces heures effectuées atteint une fourchette de 12 à 17 milliards d’euros, soit 1 % du produit intérieur brut. Le bénévolat pèse quelque 935 000 emplois équivalents temps plein.

Bien sûr, les motivations des bénévoles ne les conduisent pas à la recherche d’honneurs ou de gratifications. Il n’en demeure pas moins que leur apport au « vivre-ensemble » est essentiel à l’heure où les gens ont plutôt tendance à se replier sur eux-mêmes – on vogue sur internet, on croit connaître tout le monde alors qu’on est tout seul chez soi.

Or, actuellement, aucune distinction officielle civile ne permet de reconnaître l’engagement bénévole en tant que tel. Certes, des bénévoles figurent régulièrement dans les promotions des ordres nationaux de la Légion d’honneur ou du Mérite national. Ce sont le plus souvent, avouons-le, des responsables associatifs plus que les anonymes agissant auprès de ces mêmes responsables, même si une instruction du Premier ministre datant du 24 septembre 2008 a infléchi les choix ministériels, à la demande de Nicolas Sarkozy, que la représentativité des promotions à ces deux ordres soit plus large.

Et même, pour sortir du cadre national, lorsqu’on offre une médaille de la ville, du département ou de la région, c’est rarement pour une autre personne que pour le responsable de l’association, c’est rarement pour la personne qui, depuis dix, vingt ou trente ans, balaye les salles mises à disposition des Restos du cœur.

La médaille d’honneur de la jeunesse et des sports permet, quant à elle, de reconnaître davantage les bénévoles qui agissent dans le cadre d’associations sportives ou d’éducation populaire que l’ensemble des bénévoles.

Parmi les médailles non officielles figurent les palmes du bénévolat, créées en décembre 2 000 par la Fondation du bénévolat. Environ 350 distinctions sont ainsi attribuées chaque année, sur proposition des maires ou de responsables associatifs, à des bénévoles particulièrement méritants, justifiant d’un certain nombre d’années passées au service des autres. Il n’en reste pas moins que ces palmes ne constituent pas une récompense officielle, susceptible d’être arborée comme telle.

La proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter devant l’Assemblée vise à remédier à ce qui me semble constituer une carence et, pour tout dire, une injustice flagrante pour la très grande majorité des bénévoles qui donnent de leur énergie et de leur temps à la collectivité. Elle instaure, à l’article 1er, une médaille d’honneur spécifique comme il en existe actuellement une trentaine.

La question de l’opportunité d’instituer une telle distinction n’est pas nouvelle puisqu’elle a été soulevée par de nombreux parlementaires soit par voie de questions écrites au Gouvernement, soit par le dépôt de propositions de loi depuis les années 1980. Jusqu’à présent, face aux velléités d’agir, il a toujours été rétorqué que le monde bénévole n’attendait pas un tel geste. Peut-être, mais nul ne peut nier qu’une récompense symbolique et officielle de l’engagement bénévole, en tant que tel, aurait valeur d’exemplarité et de reconnaissance collective à l’égard de celles et ceux qui, au quotidien, contribuent à la vie associative, sociale, publique et même économique du pays – je rappelle que les groupements d’employeurs sont gérés par des bénévoles.

Pour faire bref, la médaille d’honneur du bénévolat viserait à récompenser tout à la fois l’ancienneté des services honorables effectués à titre bénévole et la qualité exceptionnelle des initiatives prises à titre bénévole. Elle serait décernée, sans considération de nationalité, sous la forme de quatre échelons récompensant des durées passées au service des autres oscillant de vingt à trente-cinq années. Sur ce dernier point, toutefois, il me semble qu’un raccourcissement s’impose pour mieux tenir compte de la spécificité du bénévolat, le parallèle avec la médaille d’honneur du travail étant sans doute inadapté ; je soutiendrai donc un amendement ramenant ces durées respectivement à dix et vingt-cinq années.

L’autorité compétente pour attribuer la médaille d’honneur du bénévolat serait le ministre chargé de la vie associative, qui désignerait par arrêté deux promotions, à l’occasion des 1er janvier et 14 juillet de chaque année. Les préfets joueraient eux aussi un rôle décisionnel, sur délégation ministérielle.

Je n’ignore pas que le support législatif pour instituer cette nouvelle distinction peut donner lieu à débat car la plupart des médailles officielles actuelles reposent sur un fondement réglementaire. J’estime néanmoins qu’on ne saurait dénier au Parlement toute capacité d’initiative en la matière.

J’ai cru comprendre que le Gouvernement envisagerait d’élargir le champ des récipiendaires de la médaille d’honneur de la jeunesse et des sports. Si cette intention est officiellement confirmée aujourd’hui dans l’hémicycle de l’Assemblée, j’ai la faiblesse de penser que notre initiative et nos débats n’auront pas été inutiles.

Contrairement à ce qui a pu être dit, notre objectif, avec ce texte, n’est pas de faire adopter une loi étiquetée à tout prix « Taugourdeau, député UMP », mais bien d’avancer sur la question de la reconnaissance symbolique de l’engagement bénévole. Personnellement, bien que je regrette le rejet de cette proposition de loi par la commission des affaires culturelles et de l’éducation, je me satisferai de tout progrès que, madame la ministre, vous serez en mesure d’annoncer devant nous et de mettre en œuvre rapidement. En effet, la générosité et le dévouement des bénévoles ne sont ni de gauche ni de droite mais d’intérêt national et c’est dans cet esprit que nous abordons ce débat. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative.

Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative. Monsieur le Président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, résultat d’une implication personnelle, libre et volontaire au service d’intérêts collectifs, le bénévolat est ce socle indispensable à la dynamique associative. Il en constitue le fondement, il en est l’expression première.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur : la France compte aujourd’hui plus de 16 millions de bénévoles. Ils donnent généreusement de leur temps et de leur énergie au service de l’intérêt général au sein de près d’un million d’associations. Ils sont 1,7 million à consacrer plus de seize heures par mois à leurs activités associatives. Ils apportent ainsi une contribution irremplaçable à la vie démocratique, à la cohésion sociale et à la richesse économique. Génératrices d’emploi, d’innovations sociales, parties prenantes incontournables du jeu social et politique, les associations et leurs bénévoles méritent une reconnaissance individuelle et collective. Chacune, chacun sur nos territoires, nous avons toujours à cœur de les soutenir et de les remercier pour leur engagement auprès de nos concitoyens, dans leur vie quotidienne, en particulier auprès des populations les plus fragilisées.

Permettez-moi tout d’abord de vous le rappeler, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, même si vous n’êtes pas très nombreux ce soir : le bilan du précédent gouvernement en matière de reconnaissance des bénévoles et, globalement, de soutien au développement de la vie associative est particulièrement négatif.

Je retiens avant tout ce mépris affiché des corps intermédiaires. Dans un discours prononcé pendant la campagne pour l’élection présidentielle, le président sortant avait critiqué leur influence négative, évoquant les syndicats, les partis, les groupes de pression, les experts, les commentateurs qui font écran entre le peuple et le Gouvernement. Nicolas Sarkozy a également mis en cause les associations de défense des droits de l’homme en les qualifiant à plusieurs reprises de « droit-de-l’hommistes ». Enfin, je ne peux pas ne pas mentionner la création, contre des bénévoles qui venaient en aide aux sans-papiers, d’un délit de solidarité qui permettait de poursuivre toute personne ayant « facilité » le séjour d’étrangers en situation irrégulière, en France.

Je rappelle aussi l’absence de mise en œuvre de la charte des engagements réciproques adoptée en 2001 à l’occasion du centenaire de la loi de 1901, alors qu’elle était considérée comme le pacte de confiance entre l’État et les acteurs associatifs, tout comme la diminution des crédits, eh oui, monsieur le rapporteur, de soutien aux têtes de réseau de la vie associative dans le champ et de la jeunesse et de l’éducation populaire : 30 % en moins entre 2008 et 2012.

M. Jean Launay. Eh oui !

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Pour finir, on ne peut que s’interroger sur l’absence de stabilité institutionnelle de la vie associative. Nommer cinq ministres en cinq ans, répartis dans cinq ministères différents n’a pas permis de bâtir une politique publique durable concernant la vie associative. Ces orientations ont été vécues par toutes les grandes coordinations associatives comme le symbole d’une absence de considération politique. Et pourtant, l’engagement des bénévoles et la richesse de la vie associative de notre pays sont sans équivalent pour donner une réalité, vous l’avez rappelé, au « vivre-ensemble ».

La proposition de loi que vous présentez propose la création d’une médaille d’honneur du bénévolat. Vous le savez, dans le cadre de certaines distinctions honorifiques, l’engagement associatif des bénévoles fait déjà l’objet d’une reconnaissance officielle par l’État. Ainsi, depuis 2008, il existe une promotion du bénévolat associatif dans les ordres nationaux de la Légion d’honneur et du Mérite.

De plus, les médailles d’honneur, au nombre de vingt-deux actuellement, qui s’attachent à un secteur d’activité déterminé, permettent aussi de distinguer l’engagement bénévole. Je pense en particulier à la médaille d’honneur de la santé et des affaires sociales qui a pour vocation de récompenser les personnes qui ont œuvré dans les domaines de la cohésion sociale, de la santé, de l’emploi, de la protection sociale, de l’insertion professionnelle, de la formation professionnelle, de l’économie sociale et solidaire, de la lutte contre la pauvreté, des seniors, des personnes handicapées, de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité. Je pense aussi à la médaille de la sécurité intérieure qui peut, entre autres, récompenser un engagement dans une action humanitaire. On peut encore citer les trophées des jeunes bénévoles, qui ont pour objectif d’encourager et de valoriser l’engagement bénévole des jeunes intervenant dans une association et qui sont organisés par certaines directions départementales de la cohésion sociale et par l’association France Bénévolat.

Cependant, le constat d’un décalage entre la contribution sociétale des associations et des bénévoles et leur faible reconnaissance, nous le partageons. Parce que le besoin de redonner confiance aux associations et aux bénévoles passe par une reconnaissance supplémentaire de l’engagement, le Gouvernement propose l’extension, dans le cadre d’un décret, de la médaille de la jeunesse et des sports, qui récompense les personnes qui se sont distinguées d’une manière particulièrement honorable au service de l’éducation physique et des sports, des mouvements de jeunesse et des activités socio-éducatives ou des colonies de vacances et œuvres de plein air, à tout le champ associatif.

Cette extension à tous les acteurs de la vie associative a d’ailleurs été préconisée par la conférence nationale de la vie associative de 2006. Des démarches avaient alors été faites auprès de la chancellerie de l’ordre du Mérite pour créer une médaille de la vie associative, mais le projet n’a pas eu de suite. L’extension que je vous propose sera mise en œuvre après consultation du grand chancelier de la Légion d’honneur, comme le prévoient les textes : elle permettra que tout le périmètre de l’activité bénévole soit reconnu, au-delà des champs de la jeunesse, de l’éducation populaire et des sports. Un accroissement du contingent annuel sera par ailleurs nécessaire, afin que cette mesure ne pénalise pas les autres catégories de bénéficiaires de cette décoration. Le contingent annuel est actuellement fixé à 8 000 médailles, dont 1 700 attribuées au niveau ministériel, le reste au niveau des services déconcentrés.

Dans ce cadre, une révision des critères d’attribution de la médaille sera par ailleurs effectuée, en vue de valoriser l’engagement bénévole des jeunes. La reconnaissance de l’action bénévole ne peut pas se fonder sur le seul critère de l’ancienneté, comme c’est actuellement le cas pour l’attribution de la médaille de la jeunesse et des sports. Un certain nombre de vos amendements essayaient, du reste, de revenir sur la première rédaction du texte, s’agissant de la prise en compte de l’ancienneté. Lui accorder trop d’importance serait extrêmement pénalisant pour l’engagement de notre jeunesse. D’autres critères, de nature qualitative, doivent aussi être envisagés.

Cependant, et c’est le cœur de mon propos, je voudrais réaffirmer que la reconnaissance de l’engagement bénévole ne passe pas uniquement par un système de gratification. Les politiques d’encouragement du bénévolat pèchent souvent par méconnaissance des ressorts de l’engagement bénévole et votre proposition de loi ne fait pas exception. L’engagement bénévole est à lui-même sa contrepartie. Lorsqu’il fait don de son temps, de ses compétences et de son empathie, le bénévole n’attend rien d’autre, en retour, que le sens donné à son action par le projet associatif. La reconnaissance du bénévolat ne passe pas seulement par l’octroi de médailles ; elle se joue d’abord au sein des associations.

D’ailleurs, en 2006, le président de la conférence permanente des coordinations associatives affirmait que « les bénévoles n’attendent pas de médailles, mais des débats sur le renouvellement des dirigeants et la politique d’égalité, la formation, l’appui à la gestion des ressources humaines, l’aménagement du temps de représentation ».

Je souhaite donc inscrire l’extension de la médaille de la jeunesse et des sports dans un projet gouvernemental plus global, afin de soutenir, reconnaître et conforter l’engagement des bénévoles dans notre pays. Les bénévoles ont en effet beaucoup d’autres besoins, autrement plus importants, auxquels il convient de répondre : l’accès à l’information et à la formation, la simplification des démarches administratives, l’accompagnement de leur engagement, ou encore la mise en place effective de la valorisation des acquis de l’expérience bénévole. C’est dans ce sens que le Gouvernement veut agir, puisqu’il entend développer une politique globale de soutien à la vie associative et à l’engagement bénévole.

Dans ce but, divers chantiers ont d’ores et déjà été lancés. Tout d’abord, pour encourager le bénévolat, en particulier celui des dirigeants bénévoles, nous avons décidé de créer un congé d’engagement à destination des responsables associatifs salariés. Il donnera aux responsables associatifs la possibilité de disposer, pour l’exercice de leurs missions, d’un congé dont les modalités seraient proches de ce qui existe pour le congé de représentation. J’avais sollicité en juillet dernier le Haut conseil à la vie associative, instance d’expertise placée auprès du Premier ministre, et celui-ci a déjà fait des propositions. Il propose, soit d’octroyer un certain nombre de jours par an au salarié, que celui-ci pourra consacrer à l’exercice de ses responsabilités associatives, soit d’étendre le périmètre du congé de solidarité internationale à la solidarité nationale. Un dialogue va maintenant s’ouvrir avec les organisations syndicales d’employeurs et de salariés, pour définir les contours opérationnels possibles de la mise en œuvre de ce congé.

Il convient aussi de rappeler que plusieurs dispositifs et outils existent déjà pour favoriser la reconnaissance de l’engagement bénévole, qu’il s’agisse de la valorisation des acquis de l’expérience bénévole, de la valorisation comptable du bénévolat dans les documents financiers des associations, ou encore de la possibilité, pour les bénévoles, de bénéficier de la réduction d’impôts relative aux dons, en cas de renonciation aux remboursements de leurs frais. Ces dispositifs et ces outils doivent être davantage promus et simplifiés ; de même, les lieux d’information et de soutien à l’engagement doivent être davantage articulés et, surtout, plus lisibles.

Il est aujourd’hui nécessaire d’engager une nouvelle réflexion sur les leviers et les freins à l’engagement, afin d’adopter des mesures susceptibles de favoriser durablement l’engagement bénévole, en particulier au niveau local.

Ma deuxième ambition est de poser les fondations d’un partenariat renouvelé avec l’ensemble des composantes associatives. Dans sa déclaration de politique générale devant le Parlement en juillet dernier, le Premier ministre a redonné aux associations la place qu’elles méritent : celle de corps intermédiaires à part entière. J’ai déjà mentionné la charte des engagements réciproques, signée par l’État et le secteur associatif en 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin : elle fixait les conditions du partenariat entre l’État et le monde associatif. Le Gouvernement considère que cette charte doit être la boussole de l’action gouvernementale et qu’elle doit, à ce titre, être réactivée.

Une nouvelle charte verra le jour en 2013 : élaborée avec l’appui de mes services durant le premier semestre, elle associera, pour la toute première fois l’État, les associations et les collectivités. En 2001, ces dernières n’avaient pas pris part à ce travail, mais elles sont devenues, depuis cette époque, des interlocuteurs incontournables des associations sur les territoires. Cette charte aura pour objet, d’abord de réaffirmer les principes généraux de concertation entre la puissance publique et le secteur associatif, ensuite de définir des principes en matière de contractualisation entre l’État, les regroupements de collectivités territoriales et la conférence permanente des coordinations associatives.

La sécurisation des modèles de contractualisation entre la puissance publique et les associations est un axe de travail primordial : mon ministère et le ministère délégué chargé de l’économie sociale et solidaire viennent d’ouvrir des travaux sur ce sujet. Une concertation interministérielle approfondie, associant les collectivités territoriales et le secteur associatif, pourrait déboucher sur l’adoption de dispositifs législatifs dans le cadre du projet de loi ESS, qui devrait être présenté au cours du deuxième semestre de 2013, mais aussi sur une révision de la circulaire du 18 janvier 2010, ou encore sur l’élaboration d’une procédure d’appel à initiatives juridiquement sécurisée.

Vous le voyez, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nos ambitions pour soutenir et reconnaître davantage l’engagement bénévole sont nombreuses, et elles vont au-delà de la médaille. Je vous propose néanmoins l’extension de la médaille de la jeunesse et des sports à toute la vie associative. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Bloche, président de la commission. Très bien !

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, être « benevolus » ou « bienveillant », comme nous l’ont enseigné nos cours de latin, voici un objectif que nous partageons tous sur les bancs de cet hémicycle. En tant que députés et, pour certains d’entre nous, qu’élus locaux, nous louons le bénévolat à chaque fois que nous en avons l’occasion.

À quoi, en effet, ressemblerait notre France, sans ses bénévoles, et particulièrement sans ses bénévoles anonymes ? Assurément, à un pays qui tourne le dos au plus noble des engagements, le don gratuit : don de temps, don de compétences, et parfois don tout court, au nom de l’altruisme. Dans une société décrite comme toujours plus individualiste, les bénévoles sont suffisamment rares pour nous être chers. Les valoriser et les considérer, tel est l’objectif de la proposition de loi de notre collègue Jean-Charles Taugourdeau, que le groupe Rassemblement-UMP votera sans aucun état d’âme.

Consacrer du temps à des engagements d’intérêt collectif et aller à la rencontre de l’autre, ce sont deux des trente-deux engagements du pacte civique, auquel je ne doute pas que vous souscrivez, chers collègues de la majorité. À cet égard, nous avons eu la chance d’accueillir à Vitré, jeudi dernier, les « ateliers du vivre-ensemble et de la fraternité ». Jean-Baptiste de Foucauld a eu l’occasion de nous rafraîchir la mémoire et de saluer les actions concrètes menées par de nombreuses associations dans ma circonscription, ainsi que dans d’autres.

Quelle est la réalité du bénévolat aujourd’hui ? S’il constitue une vraie force pour notre société, particulièrement en cette période de crise, il présente aussi des faiblesses, auxquelles il convient de remédier. Le bénévolat, le rapporteur l’a rappelé, ce sont 16 millions de personnes et 1,3 milliard d’heures d’intervention par an, qui, si elles étaient valorisées, représenteraient 12 à 17 milliards d’euros, soit 1 % du PIB.

Les menaces, nous les connaissons : le vieillissement des bénévoles et le risque de non-renouvellement, le « zapping associatif », la difficulté, à certains moments de la vie, de concilier engagements professionnel et personnel.

La question qui est donc posée au législateur – parce que la représentation nationale est tout à fait fondée à se saisir de cette question – est la suivante : comment faire pour pérenniser le bénévolat, d’abord, puis pour le conforter et, si possible, l’amplifier ? Considérons l’état de nos finances publiques, nos débats sur le financement de la protection sociale, notre besoin sans précédent de lien social, et affirmons que c’est une chance pour notre pays que de pouvoir compter sur la générosité des Français, et particulièrement des jeunes. Toute initiative tendant à reconnaître l’engagement bénévole devrait bénéficier de notre soutien collectif. Si ces initiatives sont nombreuses, vous l’avez rappelé, madame la ministre, elles ne revêtent pas toujours la même force symbolique.

En tant que membre de la commission des affaires sociales, je n’ai pas pu participer aux débats que vous avez menés, chers collègues, au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation le 28 novembre dernier. J’ai néanmoins pris connaissance de vos déclarations respectives. Alors que je m’attendais à un débat consensuel, j’ai été frappée par la teneur de certains propos. Prendre prétexte d’une proposition de loi visant à valoriser le bénévolat pour fustiger, voire caricaturer une nouvelle fois et sans fondement, le bilan de la majorité qui vous a précédés…

M. Patrick Bloche, président de la commission. C’était tentant !

Mme Isabelle Le Callennec. …ce n’était pas à la hauteur ! Pour ma part, en revanche, il m’a semblé beaucoup plus constructif de profiter de cette occasion pour proposer d’aller plus loin encore. Chacun se reconnaîtra, et les bénévoles apprécieront.

Trois arguments ont plus particulièrement retenu mon attention.

Le premier concerne le financement des associations : celui-ci, comme chacun sait, émane de l’État pour les associations nationales, mais surtout des collectivités locales, pour la majorité des associations. En la matière, je ne sais pas si vous pouvez vous permettre de nous donner des leçons ! À ceux qui accusent l’ancienne majorité d’avoir fait si peu de cas du monde associatif pendant dix ans, je rappellerai les coupes claires opérées dans les subventions aux associations, qu’ont décidées les conseils généraux dirigés par vos amis politiques. En 2010, accusant l’État de désengagement, certains prenaient en otage les associations pour diminuer les aides, parfois jusqu’à 20 %. Il y a de meilleures manières de témoigner son soutien aux associations ! Par ailleurs, dois-je vous rappeler que le budget pour 2013 du sport et de la vie associative, que vous avez voté, est en diminution de 5 % ?

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Eh oui !

Mme Isabelle Le Callennec. Deuxième argument : cette médaille ne serait qu’un gadget. Jeune élue, je me souviendrai toujours de ce retraité du bâtiment, à qui j’ai eu l’honneur de remettre une médaille…

Mme Brigitte Bourguignon. Pas celle-là !

Mme Isabelle Le Callennec. …du travail et un diplôme. Avec l’immense émotion qu’on pouvait lire dans ses yeux, il m’a avoué que c’était le seul diplôme et la première médaille qu’il recevait de toute sa vie.

Mme Brigitte Bourguignon. C’est la médaille du travail, ça n’a rien à voir !

Mme Isabelle Le Callennec. Son épouse, ses enfants et toute sa famille étaient fiers.

La médaille du bénévolat, madame la ministre, chers collègues, s’adresse en priorité à ceux-là,…

Mme Brigitte Bourguignon. À des travailleurs du bâtiment ?

Mme Isabelle Le Callennec. …aux oubliés, aux discrets endurants, à ceux qui ne peuvent accéder à la Légion d’honneur, à l’ordre du Mérite, à la médaille de la jeunesse et des sports, ni à aucune autre décoration, mais qui ont tant de mérite, et qui peuvent être un exemple pour la jeune génération.

Cette proposition de loi, dont nous rappelons qu’elle ne coûtera pas un centime – si ce n’est le prix d’achat de la médaille par celui qui l’aura demandée pour le récipiendaire – se voit opposer un dernier argument par ceux qui ont décidé de la moquer : il serait urgent, selon eux, d’attendre les propositions de madame la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Je les ai faites !

M. Patrick Bloche, président de la commission. Mais oui !

Mme Isabelle Le Callennec. Vous les avez rappelées, soyez-en remerciée. Mais, si je puis me permettre, nous trépignons d’impatience et nous ne croyons que ce que nous voyons.

Le Gouvernement nous a annoncé une grande loi sur les contrats de génération : nous l’attendons toujours ! Une grande loi sur le logement : ça devient urgent. Une grande loi de santé publique : pour quand ? Une grande loi sur l’autonomie : pas avant 2014 !

Mme Brigitte Bourguignon. De toute façon, vous ne les voterez pas !

Mme Isabelle Le Callennec. Bref, comme sœur Anne, nous ne voyons rien venir, et cette proposition de loi a au moins le mérite de poser un jalon supplémentaire vers la reconnaissance du bénévolat.

Nous ne voulons pas croire un seul instant que c’est parce que ce texte n’émane pas de la majorité qu’il ne trouve pas grâce à vos yeux. Nous n’imaginons pas un seul instant qu’il y ait des voix pour voter contre ce texte, alors même que nous admettons collectivement, vous l’avez rappelé, madame la ministre, que nous pouvons aller plus loin pour le statut du bénévole, la formation, l’ouverture de nouveaux droits.

Rien n’empêche, en définitive, la création de cette médaille d’honneur du bénévolat, dont le rapporteur a rappelé les finalités claires, les conditions souples, les modalités simples et l’application immédiate. Parce qu’ils le valent bien, tous ces bénévoles, et que nous militons pour une société de la considération et de l’engagement, notre groupe Rassemblement-UMP réaffirme qu’il soutient et qu’il votera la proposition de loi créant une médaille d’honneur du bénévolat, maintenant.

Mme Colette Langlade. Aucun applaudissement !

M. le président. La parole est à M. Laurent Furst.

M. Laurent Furst. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, si sujet devrait faire l’unanimité au sein de la représentation nationale, c’est bien la défense et la promotion de la vie associative.

C’est donc avec une certaine surprise que j’ai entendu la ministre se livrer à une attaque en règle de l’action de l’ancienne majorité et de l’ancien président. Je n’ai qu’une seule explication : il nous manque, il vous manque ! (Sourires)

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Visiblement, c’est à vous qu’il manque le plus !

M. Laurent Furst. C’est sûr, mais à vous quand même peut-être un peu…

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles. Avant, la baraque était tenue ! (Sourires)

M. Laurent Furst. Dans nos communes, dans nos territoires, nous sommes nombreux à nous rendre aux manifestations, aux rencontres sportives, culturelles, sociales, voire cultuelles, organisées par nos associations. J’en suis certain, chacun d’entre nous participe à plusieurs assemblées générales par an.

Nous pouvons tous témoigner de ce que la société doit à la vie associative : le fait d’être ensemble, de permettre à des millions de Français de se socialiser, de partager, d’apprendre aux plus jeunes générations à respecter une règle, un arbitre, notamment à travers la vie sportive.

Nous avons du mal à nous entendre sur les chiffres, les données sont un peu éparses, mais notre beau pays compterait 1,3 million d’associations en activité relevant de la loi de 1901, mais aussi de la loi d’Empire de 1908 pour les départements d’Alsace et de Moselle, et ce nombre ne cesse, semble-t-il, de s’accroître.

Cette vitalité associative fédère plus de 18 millions de Français qui, de façon désintéressée, consacrent régulièrement du temps pour animer les associations. Aujourd’hui, quatre associations sur cinq fonctionnent exclusivement avec des bénévoles. Mais il ne faut pas oublier les salariés des associations, qui représentent près de 8 % de l’emploi en France et qui, par leur professionnalisme, participent au développement de ce monde si important.

La vie associative est une richesse. Elle constitue aussi le creuset de notre démocratie : parmi les plus de 500 000 élus que comptent nos assemblées municipales, nombreux sont celles et ceux choisis à la base pour la qualité de leur engagement associatif. Les associations sont essentielles à l’exercice de la démocratie et au développement des solidarités.

Pourtant, cette richesse est en danger. Certes, le nombre d’associations ne diminue pas, le nombre de membres d’associations non plus, mais le problème est ailleurs.

Aujourd’hui, et cela n’est qu’un constat personnel très empirique, le nombre de bénévoles dirigeants ou encadrants décline, et leur âge moyen augmente. En clair, beaucoup de gens adhèrent mais de moins en moins s’engagent pour prendre des responsabilités au sein de ces structures.

Je n’ai, à titre personnel, pas de solution et je ne crois pas, comme cela a déjà été évoqué, à l’hypothèse de l’instauration d’un crédit d’impôt ou d’un avoir fiscal pour les bénévoles associatifs. En revanche, améliorer la sécurité juridique de celles et ceux qui s’engagent dans la vie associative me semble être un impératif.

Le texte de notre collègue Jean-Charles Taugourdeau s’inscrit dans une logique de soutien nécessaire à la vie associative. Il s’agit d’un texte simple, qui laisse la main au Gouvernement pour l’attribution des distinctions. Il complète, par un dispositif nouveau, un véritable manque au regard de la liste des principales médailles civiles officielles en France.

Aujourd’hui les bénévoles associatifs sont peu distingués. Ils sont les grands oubliés de l’Ordre national du Mérite ou de la Légion d’honneur. En instaurant une médaille de même rang que la médaille du travail, la représentation nationale soulignerait l’intérêt qu’elle porte à la vie associative en mettant en exergue son rôle fondamental pour la société. Elle le ferait à un moment où la vie associative a du mal à se renouveler face à la montée de l’individualisme. Elle le ferait à un moment où, face à la crise économique, les relais sociaux sont plus nécessaires que jamais.

Le dispositif proposé est également très peu onéreux pour la collectivité.

Pour toutes ces raisons, je tiens ici à remercier notre collègue, Jean-Charles Taugourdeau, pour la qualité de son travail et pour la proposition de loi qu’il nous soumet. Elle est de nature à soutenir et à valoriser celles et ceux qui s’engagent le plus : responsables associatifs, encadrants, éducateurs et formateurs. Qui peut s’opposer à ce qu’un bénévole, ayant consacré vingt, trente, trente-cinq ou quarante ans à un engagement, puisse être honoré par la République ?

Ces concitoyens ne sont ni de droite, ni de gauche. Ils sont utiles à notre société. Ils sont l’honneur de notre société. Ils sont les fantassins du nécessaire et les grognards du quotidien.

Mes chers collègues, faisons fi des polémiques. Nous pouvons ici, dans cet hémicycle, nous faire mille reproches les uns aux autres. Mais est-il bien utile aujourd’hui de relancer les débats sur des subventions versées à telle ou telle association pendant la précédente législature ? Nous verrons bien ce qu’il en est au terme de celle-ci.

Le débat n’est pas là et la vie associative ne se réduit certainement pas à cela. En revanche, le débat peut se résumer ainsi : comment honorer celles et ceux qui donnent tant ? Comment faire en sorte qu’ils puissent être des modèles reconnus par la République ? Comment encourager celles et ceux qui pourraient avoir envie de baisser les bras ? Comment pousser à s’engager celles et ceux qui ne l’ont pas encore fait ? Voilà des questions simples.

La proposition de notre collègue n’est pas un aboutissement. Elle est un temps, elle est une étape, elle est une marche de l’escalier que nous devons construire pour soutenir, encourager et porter la vie associative.

La France n’a pas à rougir de l’engagement de ses citoyens. Ils sont généreux de leur temps au service de la vie associative comme ils sont généreux de leur argent pour les dons aux associations caritatives.

Nous souhaitons simplement, face à mille dangers, que ces engagements se poursuivent et – pourquoi pas ? – se renforcent demain. C’est cet esprit que nous essayons de souligner : un esprit simplement républicain, un esprit auquel nous sommes toutes et tous attachés.

Au nom de notre groupe, je ne peux qu’apporter et exprimer notre soutien au texte et notre reconnaissance à notre collègue pour le travail accompli. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Léautey.

M. Pierre Léautey. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous partageons avec le rapporteur le constat de la nécessité d’agir en faveur des bénévoles, et je m’en félicite.

En effet, comme cela a été rappelé, les bénévoles contribuent de façon importante à la vie démocratique et à la construction du lien social. Ils sont de véritables vecteurs de cohésion sur nos territoires.

La promotion de l’engagement bénévole est nécessaire afin de préserver cet esprit associatif, fait de désintéressement, de générosité et de citoyenneté active, qui permet de conserver hors du champ du secteur marchand un grand nombre d’activités.

Cependant, la motivation politique de l’opposition nous interpelle. Pourquoi proposer un tel texte alors que pendant les cinq dernières années, l’ancienne majorité a diminué de 30 % les crédits aux réseaux associatifs de jeunesse et d’éducation populaire, comme l’a rappelé Mme la ministre. Plus globalement, la réalité a été un mépris généralisé pour les corps intermédiaires, en particulier pour les associations qui ont été très mal traitées pendant cette période.

À notre sens, trois points méritent aujourd’hui d’être discutés : la procédure adoptée, l’opportunité de la création d’une nouvelle médaille d’honneur du bénévolat, enfin, plus globalement, les réponses à apporter aux attentes très fortes des bénévoles et du monde associatif, au-delà de la médaille.

En ce qui concerne la procédure, la création d’une nouvelle décoration nationale aussi bien que l’élargissement du champ d’une décoration relève par nature du domaine réglementaire, quel que soit le type de la décoration.

De plus, le grand chancelier de l’ordre national de la Légion d’honneur, garant de la cohérence du dispositif national des décorations civiles et militaires, doit être préalablement consulté. Il convient de noter à cet égard l’attachement constant de la chancellerie, tant au respect de la procédure qu’au souci d’éviter une inflation de décorations.

Aussi, il apparaît clairement que la procédure législative est inadaptée en l’espèce.

S’agissant de l’opportunité de créer une nouvelle médaille pour les associations et leurs membres, la véritable reconnaissance du bénévolat ne passe pas uniquement par une distinction honorifique. Le bénévolat c’est avant tout une action à plusieurs, avec la volonté de porter collectivement un projet. La reconnaissance de l’engagement bénévole se joue donc d’abord au sein de l’association.

Plus spécifiquement, s’agissant des critères que propose le rapporteur, la reconnaissance de l’action bénévole ne peut pas se traduire exclusivement par l’ancienneté comme le fait votre proposition de loi. Comment valoriser l’engagement des jeunes, par exemple, qui sont les plus à même d’être stimulés par une reconnaissance de leurs investissements personnels ? D’autres critères doivent être mis en avant, comme la qualité de l’engagement, tout en sachant qu’un parcours associatif n’est jamais complètement linéaire et qu’il existe des temps d’investissement différents en fonction de l’âge ou de la disponibilité de chacun. Les amendements que vous avez déposés, monsieur le rapporteur, témoignent à l’évidence de la justesse d’un tel propos.

De plus, il existe actuellement un certain nombre de distinctions honorifiques des bénévoles, réparties en trois grandes familles.

Tout d’abord les ordres nationaux, dont l’ordre national de la Légion d’honneur et l’ordre national du Mérite, pour lesquels une promotion du bénévolat associatif a été instaurée en 2008 par l’ancien Président de la République.

En outre, les ordres ministériels et les médailles d’honneur, au nombre de vingt-deux actuellement, s’attachent à un secteur d’activité particulier ou à une administration. Trois de ces médailles valorisent des qualités personnelles en soi, qu’il s’agisse d’acte de courage ou de dévouement, ce sont les médailles d’honneur du travail, la médaille de la famille et la médaille d’honneur de la santé et des affaires sociales.

Enfin, Mme la ministre vient de s’engager à étendre le périmètre de la médaille de la jeunesse et des sports à l’ensemble du secteur associatif. Mme la ministre a toutefois rappelé à la représentation nationale qu’elle souhaitait inscrire cette mesure dans un projet plus ambitieux, à la portée plus large et plus globale. En effet, une simple médaille semble peu de chose vis-à-vis de l’engagement bénévole, et le Gouvernement nous a donné à l’instant un certain nombre de garanties dont nous nous félicitons.

Je ne reviens pas sur les annonces développées par Mme la ministre : elle a su tracer les grandes perspectives dans lesquelles elle souhaite engager son ministère afin de valoriser pleinement l’engagement bénévole.

Par conséquent, cette proposition de loi ne nous apparaît pas opportune pour trois raisons : d’une part, la création ou la modification d’une médaille relève du domaine réglementaire et non législatif ; d’autre part, la ministre s’est à nouveau engagée à étendre le périmètre de la médaille jeunesse et sports à l’ensemble du secteur associatif, ce qui répond à la préoccupation exprimée par le rapporteur dans son intervention. Enfin, au-delà de la simple médaille, c’est bien un projet de portée plus large et plus globale qui répondra aux besoins des bénévoles et du monde associatif : c’est l’ambition du Gouvernement.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe SRC votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Bourguignon.

Mme Brigitte Bourguignon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui par l’opposition parlementaire part d’une intention respectable et aura au moins le mérite de nous permettre d’évoquer les bénévoles, qui œuvrent chaque jour dans notre pays, à travers leurs actions, au lien social et au bien-être de nos concitoyens.

Mais les actes valent toujours mieux que les paroles. Pourquoi donc avoir tant attendu pour rendre hommage à l’importance du bénévolat ? Ces dix dernières années, lorsque vous exerciez le pouvoir, vous avez eu l’occasion de rendre hommage à l’importance du bénévolat plutôt que de sabrer les budgets et de traiter les associations comme des acteurs sociaux de seconde zone.

Aucune leçon ne saurait nous être donnée quant à la valeur que nous accordons au bénévolat. Personne ici ne doute de la valeur du bénévole. Nous aussi, nous souhaitons lui apporter une juste reconnaissance, mais d’une manière radicalement différente et plus respectueuse de son engagement.

Si je ne remets pas en cause les intentions louables du rapporteur, je trouve que ce texte n’en relève pas moins de l’affichage politique et qu’il apparaît trop restrictif. En tant que bénévole investie dans la vie associative depuis de longues années, comme certains d’entre nous sur ces bancs, je peux vous affirmer que les bénévoles ne cherchent pas une médaille mais une véritable reconnaissance du combat qu’ils mènent jour après jour, du travail qu’ils accomplissent et de la cause qu’ils servent.

On peut regretter aussi que le dispositif présenté exclue de fait les jeunes, puisqu’une médaille ne peut être accordée qu’à partir de vingt années d’activité. C’est d’autant plus dommage que l’on a beaucoup de mal, aujourd’hui, à recruter des jeunes bénévoles. Nous devrions faire davantage pour reconnaître et valoriser leur action. Le service civique pourrait être une des voies à emprunter pour renouveler les générations de bénévoles. Le travail engagé par le ministère des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative va donc dans le bon sens.

De plus, les bénévoles ne sont pas des entités abstraites à l’action non identifiée. Les domaines dans lesquels ils rendent une mission de service public sont variés. À côté du sport, il faut mentionner l’économie sociale et solidaire, l’agriculture, la culture, la santé et l’action humanitaire. Je pense donc que la meilleure des reconnaissances doit être l’octroi des décorations existantes dans chacun de ces domaines.

Cette reconnaissance passe surtout, et avant tout, par un travail plus large et plus respectueux sur le statut du bénévole, débouchant sur la validation des acquis professionnels. En effet, je souhaite souligner combien le parcours d’accès au bénévolat a progressivement emprunté des logiques d’organisation et des techniques managériales, à tel point que, dans certaines grandes associations, le candidat bénévole peut être soumis à un questionnaire de motivation, à un entretien, à un processus d’intégration et à des sessions de formation ou de mise en situation, comme pour un véritable emploi. Dans cette nécessaire et indispensable réflexion sur le futur statut, on peut également inclure une formation accrue dans le cadre du Fonds pour le développement de la vie associative, un contrat d’engagement bénévole pour les salariés du privé,…

Mme Claudine Schmid. Mais un bénévole n’est pas salarié !

Mme Brigitte Bourguignon. …l’élaboration d’une nouvelle charte d’engagement entre l’État, les collectivités et les associations : autant de chantiers en cours ou qui seront ouverts par le ministère au cours de l’année 2013. À titre personnel, j’ajouterai même la question suivante : pourquoi ne pas envisager, un jour, le bénéfice de points de retraite ?

Bref : compte tenu de toutes ces perspectives et de ces ambitions, cette médaille, fût-elle d’or, fût-elle aussi brillante que possible, ne me semble pas à la hauteur des attentes des bénévoles de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Bloche, président de la commission. Très bien !

Mme Claudine Schmid. Il faut bien commencer par quelque chose !

M. le président. La parole est à M. Michel Pouzol.

M. Michel Pouzol. Madame la ministre, mesdames et messieurs, chers collègues, nous le savons tous : les associations qui œuvrent dans notre pays contribuent fortement à faire vivre notre citoyenneté. Elles participent au premier titre à la vie de nos villes, de nos territoires et de nos quartiers. Ceux qui les animent bénévolement y mettent énergie, enthousiasme, engagement et passion.

Avec 12 à 14 millions de bénévoles qui font vivre plus d’un million d’associations dans des domaines aussi variés que la solidarité, le sport ou la culture, notre pays ne peut que s’enorgueillir de cette vitalité. Celles et ceux qui s’engagent dans ces associations doivent en effet être reconnus pour leur travail quotidien. Ils doivent aussi en être remerciés. Comme la plupart d’entre vous, je peux constater chaque semaine dans ma circonscription l’inventivité, la détermination et l’abnégation dont ils font preuve. À bien des égards, ils remplissent aussi une mission de service public. Au plus près de nos concitoyens, ils tissent un lien social fort, ils dispensent un savoir, et ils savent faire rêver les plus jeunes par le sport ou la culture. Dans certains de nos quartiers, ils sont parfois la seule fenêtre qui reste ouverte sur le monde pris dans sa grande diversité, un lieu d’entraide, une école de la solidarité qui transmet et fortifie nos valeurs républicaines. Dans un monde marqué par la marchandisation et les rapports monétisés, nous sommes tous d’accord pour nous en réjouir.

Cependant, la proposition de loi déposée par le groupe UMP visant à instaurer une médaille des bénévoles ressemble plus à un hochet qu’à l’aboutissement d’une véritable réflexion sur les attentes des associations. Je pense à bien des égards qu’une telle mesure est avant tout et définitivement une fausse bonne idée. Cette fausse bonne idée n’est pas pour autant anodine, puisqu’on sent bien qu’elle vise à masquer le bilan de l’ancienne majorité dans ce domaine. (« Ah ! » sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Mme Claudine Schmid. Cela faisait longtemps !

M. Michel Pouzol. Vous l’avez rappelé, madame la ministre !

Il faut aussi rappeler qu’entre 2008 et 2012, le précédent gouvernement a réduit de 36 % les crédits alloués au secteur associatif.

Mme Claudine Schmid. Mais vous êtes aux responsabilités, maintenant !

M. Michel Pouzol. Je sais que la mémoire vous manque parfois. Mais que dire du sort qui a été réservé à des associations aussi fondamentales que le planning familial ou aux centaines de structures œuvrant dans le domaine médico-social ? Le bilan reste à faire.

Ne nous mentons pas : les acteurs du monde associatif ont moins besoin d’une médaille que de moyens pour faire vivre leurs associations. Ce sont des femmes et des hommes engagés, animés par une vraie flamme et qui veulent avant tout des moyens pour mener à bien les projets collectifs qu’ils portent et essaient de pérenniser, année après année. Force de constater que vous ne les avez pas toujours aidés.

Mme Isabelle Le Callennec. Pas toujours ? Donc de temps en temps ?

M. Michel Pouzol. La meilleure reconnaissance que l’on puisse offrir aux bénévoles, ce sont des ressources renforcées pour leurs projets, du respect pour leur investissement et de l’attention pour leur engagement.

M. Laurent Furst. Et un budget en baisse de 5 % !

M. Michel Pouzol. Par ailleurs, je m’étonne des critères proposés pour l’attribution de cette médaille, qui semblent méconnaître le fonctionnement associatif et la nature même de l’engagement bénévole. Selon quelle étrange logique peut-on réduite la qualité d’un engagement bénévole au seul critère de l’ancienneté ? Comment mettre en valeur la jeunesse bénévole ? Comment la stimuler ? Comment valoriser la qualité de l’investissement qui n’est pas toujours linéaire ? Bref, pour bien connaître le monde associatif, je serais tenté de vous dire que cette idée n’est tout simplement pas opératoire.

Enfin, je vous avouerai que je ne vois pas l’opportunité de cette loi alors même que Mme la ministre s’est engagée à élargir le périmètre de la médaille de la jeunesse et des sports aux bénévoles, ce qui est une excellente nouvelle. Comme le disait Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».

M. Laurent Furst. Vous trouvez ?

M. Michel Pouzol. Alors, plutôt que ces propositions de façade, menons ensemble une politique qui réponde véritablement aux attentes des associations. C’est ce que le Gouvernement et la majorité veulent pour le tissu associatif et ses bénévoles. D’abord, il faut renforcer le partenariat entre l’État et les associations, pour répondre au plus près aux attentes des acteurs associatifs. Ensuite, il convient d’étudier la création d’un congé d’engagement bénévole pour permettre à ceux qui le souhaitent de s’engager dans une association.

M. Laurent Furst. Cela va développer l’emploi !

M. Michel Pouzol. Vous le voyez, les associations seront largement mises à l’honneur au cours de cette législature – soyez-en assurés –, pas simplement pour nous faire plaisir, mais parce que pour nous, elles sont essentielles et au cœur de beaucoup de nos valeurs républicaines.

Nous agirons sans démagogie, dans un esprit de concertation, dans une démarche respectueuse visant à chaque fois à l’accompagnement des projets, à l’encouragement des bénévoles et à la facilitation des tâches qu’ils ont choisi d’assumer. Vous pouvez compter sur nous pour y être très attentifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Bloche, président de la commission. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Colette Langlade.

Mme Colette Langlade. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons ce soir une proposition de loi visant à créer une médaille d’honneur du bénévolat. Ce texte déposé par nos collègues du groupe UMP a au moins un mérite : il nous apprend que les députés de l’opposition portent un intérêt à la vie associative.

Mme Claudine Schmid. Cela a toujours été le cas !

Mme Colette Langlade. Le bilan des dix dernières années ne nous l’avait pas laissé comprendre.

M. Laurent Furst. Quelle bêtise ! Ce n’est pas possible de dire des âneries de ce genre ! C’est ridicule !

Mme Colette Langlade. Entre 2008 et 2012, le budget de la mission « Jeunesse et vie associative » a diminué de 30 %.

En 2010 a été votée la loi relative au service civique. Au lieu de servir cette belle idée, vous l’avez tuée dans l’œuf.

Mme Isabelle Le Callennec. On ne peut pas dire cela !

Mme Colette Langlade. Je ne reviendrai pas sur vos choix budgétaires en ce domaine. Nous avions compris que votre objectif n’était pas de servir le monde associatif.

M. Laurent Furst. Mon dieu !

Mme Colette Langlade. Je vous invite à relire les conclusions du rapport d’application de nos collègues Bernard Lesterlin et Jean-Philippe Maurer, qui avaient pointé l’imperfection de la mixité sociale, l’absence de contrôle, le manque d’impulsion pour la formation et le tutorat des jeunes, et l’opacité de ce dispositif.

Mesdames et messieurs, depuis six mois…

M. Laurent Furst. La lumière est venue !

Mme Colette Langlade. …le changement est là.

Chers collègues de l’opposition, le projet de loi de finances pour 2013, contre lequel vous avez voté, porte un coup d’arrêt à la baisse du budget de la mission « Jeunesse et vie associative » enclenchée en 2008. C’est aussi notre majorité qui a mis en place les emplois d’avenir dont bénéficient déjà les associations.

Si cette proposition de loi vise à reconquérir le cœur du monde associatif, j’ai bien peur qu’elle ne soit encore inefficace. Après ces dix dernières années placées sous le signe de l’autorité, des mesures ont été prises : je peux vous dire que le monde associatif ne l’oublie pas. Le texte qui nous est soumis tente une manœuvre de séduction à destination du monde associatif, mais personne n’est dupe. En effet, ce texte méconnaît les bénévoles. Il propose de les décorer sous l’unique critère de l’ancienneté.

M. Laurent Furst. Mais non !

Mme Colette Langlade. Ne faut-il pas plutôt favoriser l’intensité de l’investissement personnel ?

M. Laurent Furst. Mais bien sûr !

Mme Colette Langlade. Un bénévole utile à une association n’est pas forcément un bénévole qui en est membre depuis longtemps.

En outre, ce texte est inutile. Il existe des médailles qui récompensent le bénévolat. En 2008 a été créée une promotion du bénévolat associatif dans la Légion d’honneur et dans l’ordre national du Mérite.

M. Patrick Bloche, président de la commission. Ça, c’est la reconnaissance du mérite dans l’intensité de l’engagement !

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Les bénévoles qui travaillent dans l’ombre n’ont pas la Légion d’honneur !

Mme Colette Langlade. Existent également la médaille d’honneur non officielle du bénévolat associatif, les palmes du bénévolat, la médaille pour les bénévoles dans le domaine de la sécurité intérieure, la promotion du bénévolat associatif dans les deux grands ordres nationaux, la médaille de la jeunesse et des sports, la médaille d’honneur de la santé et des affaires sociales. Le monde associatif est-il vraiment en attente d’autres médailles ? Je n’en suis pas sûre.

De vous à moi, chers collègues de l’opposition, pensez-vous sérieusement que les bénévoles qui donnent du temps, de l’énergie et parfois de l’argent attendent vraiment une médaille ? Je pense que non.

Mme Claudine Schmid. Mais cela n’empêche pas de les récompenser !

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Et quand vous leur offrez une médaille de l’Assemblée nationale, ils la refusent ?

M. Laurent Furst. Il faut donc supprimer toutes les médailles ?

Mme Colette Langlade. Si nous voulons aider le bénévolat, il faut le faire en lui donnant des moyens, en formant les bénévoles, en accompagnant les nouvelles formes d’engagement comme le service civique, en valorisant les acquis, en reconnaissant les compétences acquises, et non en remettant une médaille.

Madame la ministre, nous le savons : c’est dans ce sens que vous travaillez, et les députés de la majorité vous apportent tout leur soutien. Vous l’avez compris, mes chers collègues : comme l’ensemble des députés socialistes, républicains et citoyens, je suis convaincue qu’il faut rejeter cette proposition de loi. Mais nous sommes aussi convaincus que le monde associatif mérite d’être davantage reconnu et accompagné.

C’est pourquoi, madame la ministre, nous serons à vos côtés quand vous œuvrerez à la création d’un congé d’engagement bénévole à destination des actifs qui s’engagent dans le bénévolat.

Mme Isabelle Le Callennec. Dans combien de temps ?

Mme Colette Langlade. Il s’agit d’un engagement de notre Président de la République, François Hollande.

Nous vous accompagnerons pour mener le chantier du financement de la vie associative. Nous serons là, madame la ministre, pour réfléchir à la sécurisation des modalités de contractualisation entre la puissance publique et les associations, ainsi qu’aux relations entre l’État, les collectivités et les associations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Bloche, président de la commission. Très bien !

Mme Isabelle Le Callennec. Mais vous avez gelé les crédits !

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Sans reprendre point par point les éléments développés par les orateurs de l’opposition, je souhaite apporter quelques réponses. Il me semble que vous oubliez un certain nombre de choses. Il faut prendre en compte la situation de notre pays aujourd’hui. En cinq ans, vous avez augmenté l’endettement de 30 %.

Mme Isabelle Le Callennec. Il y a eu une petite crise !

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Oui, 30 % d’endettement public supplémentaire ! Pendant la même période, le soutien au réseau de la vie associative et de l’éducation populaire a diminué de 30 %. Pour la première fois en 2013, la mission budgétaire consacrée à la jeunesse, à la vie associative et à l’éducation populaire connaît une augmentation de 7 %. Pour la première fois, l’augmentation du budget consacré au service civique ne se fait pas au détriment de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative. J’aurais aimé faire plus, mais aujourd’hui, il existe bien une médaille que l’on peut d’emblée vous décerner : c’est celle de l’endettement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Laurent Furst. Ah oui ?

Mme Isabelle Le Callennec. Cela n’a rien à voir !

M. Laurent Furst. Et la médaille du ridicule, on sait à qui elle va !

M. le président. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous vous exprimer ?

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Je le ferai à l’occasion de l’examen de l’amendement du Gouvernement.

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Article 1er

M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l'amendement n° 21 tendant à supprimer l’article 1er.

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Cet amendement fait suite à mon intervention liminaire.

Au regard de l’importance de l’engagement bénévole dans notre pays, sa valorisation ne doit pas être limitée à la médaille, nous en convenons tous ; elle doit s’inscrire dans une politique plus globale de confiance à l’égard de l’ensemble des réseaux associatifs, par des mesures visant tous ceux qui s’engagent bénévolement dans différents secteurs.

Aussi, je propose que nous élargissions le champ des personnes susceptibles de bénéficier de la médaille de la jeunesse et des sports à l’ensemble de la vie associative. Je prends devant vous l’engagement, dans le cadre d’un décret, – nul besoin de texte législatif – de prendre en compte, avant l’été 2013, l’extension du champ de la médaille à la vie associative, d’y ajouter un contingent supplémentaire, de ne pas uniquement tenir compte de l’ancienneté dans la délivrance de la médaille et de reconnaître la qualité de l’engagement des jeunes dans la vie associative.

Mme Marietta Karamanli. Très bien !

Mme Valérie Fourneyron, ministre. L’Observatoire des inégalités a montré que la situation des jeunes dans notre pays s’était aggravée en matière d’emploi, d’accès à la santé ou aux loisirs éducatifs. Il est à noter que l’engagement des jeunes dans la vie associative n’a pas régressé. Nous devons prendre en considération leur engagement bénévole. La nation doit valoriser de telles initiatives. C’est pourquoi je souhaite que soient pris en compte non seulement les critères d’ancienneté, mais également la qualité de l’engagement. Le décret sera pris après consultation du grand chancelier de la Légion d’honneur, comme l’imposent les textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. L’amendement du Gouvernement n’a pas été examiné en commission. Je donnerai donc un avis à titre personnel.

Je voudrais, madame la ministre, saluer votre engagement de faire évoluer la médaille de la jeunesse et des sports en l’élargissant au monde associatif. N’en déplaise à mes collègues socialistes, mon objectif est atteint ce dont je ne peux que me féliciter. Dans le texte de la proposition de loi, j’ai fait allusion, pour l’attribution de la médaille, à des circonstances exceptionnelles en dehors de toute considération de durée. L’initiative du groupe UMP a obtenu satisfaction. Peu importe que cela soit estampillé UMP. Ce qui m’importe, c’est la reconnaissance de tous ceux qui travaillent dans l’ombre. L’objet de la proposition n’est pas de débattre de la politique de la vie associative de votre gouvernement ou de l’ancien.

Mes chers collègues, lorsque vous remettrez une médaille de l’Assemblée nationale, vous penserez à cette proposition de loi.

Mme Brigitte Bourguignon. Non !

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. En général, personne ne la refuse, en tout cas pas celui qui travaille humblement dans l’ombre.

J’émets néanmoins un avis défavorable à cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

M. Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Très logiquement, le rapporteur a donné un avis défavorable à l’amendement de suppression du Gouvernement. Comme il l’a indiqué, la commission ne l’a pas examiné. Au nom des députés de la majorité, je me réjouis de l’initiative du Gouvernement. Certes, l’amendement supprime l’article 1er de la proposition de loi, mais les députés de la majorité ont voté contre l’article 1er en commission.

Nous sommes dans le domaine réglementaire qui relève de votre compétence, madame la ministre. Si nous voulons légiférer dans le domaine de la vie associative et de la reconnaissance de l’engagement bénévole, la meilleure façon de témoigner notre reconnaissance est de voter de bons budgets. La première loi de reconnaissance de l’engagement bénévole, c’est une loi de finances qui accorde à la vie associative les crédits auxquels elle a droit.

Je souhaite saluer, madame la ministre, votre désir de relancer la Charte de l’engagement bénévole adopté en 2001 sous le gouvernement de Lionel Jospin, il y a plus de onze ans, à l’occasion du centenaire de la loi du 1er juillet 1901, ainsi que votre initiative, dès le premier semestre 2013, après saisine et avis du grand chancelier de la Légion d’honneur, d’élargir le champ des bénéficiaires de la médaille de la jeunesse et des sports, qui deviendra la médaille de la jeunesse, des sports et de la vie associative. C’est le témoignage de la reconnaissance de la République à celles et ceux qui donnent de leur disponibilité, de leur temps, de leur énergie et qui, avec passion se consacrent à une cause d’intérêt général sans attendre l’âge de la retraite. Certes, il y a des retraités actifs, il faut le saluer, très engagés dans la vie associative, mais il y a aussi cette belle jeunesse qui consacre beaucoup de son temps et qui, avec passion, quelquefois hors de France, s’engage pour de nobles causes. Je pense traduire l’opinion des députés de la majorité présents dans cet hémicycle en indiquant que nous voterons l’amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Claudine Schmid.

Mme Claudine Schmid. Madame la ministre, j’ai, pendant quelques minutes, espéré que nous arriverions à un consensus. Vous avez en effet indiqué que le bénévolat était le socle indispensable à la vie associative, une contribution indispensable, et que les bénévoles méritaient une reconnaissance individuelle et collective. J’avoue avoir espéré quelques instants que vous iriez dans le sens de notre proposition de loi. Tel n’est pas le cas.

Dans l’exposé des motifs de votre amendement, vous indiquez que vous partagez l’objectif des auteurs de la proposition de loi et que la médaille de la jeunesse et des sports deviendrait la médaille de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

Je me permets de vous faire une proposition, à savoir remplacer « de la vie associative » par « du bénévolat » car tous les bénévoles ne font pas partie de la vie associative.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Le mérite de ce débat est de faire avancer les choses. Nous prenons acte, madame la ministre, de ce décret que vous annoncez prendre avant l’été 2013, qui élargira le champ des personnes susceptibles de bénéficier de la médaille de la jeunesse et des sports. Je souscris complètement aux propos de ma collègue. Il faut en effet que le mot « bénévolat » apparaisse à un moment ou à un autre. Nous voulons croire que c’est précisément parce que cette proposition de loi a été déposée par notre collègue Taugourdeau que vous vous êtes penchée sur la question et que vous avancez avec nous sur l’idée de valoriser le bénévolat.

Madame la ministre, vous êtes, comme moi, une sportive. Il serait fair-play que les collègues de la majorité votent notre proposition de loi car elle n’est pas du tout incompatible avec le décret que vous nous annoncez. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Cela n’est absolument pas incompatible, nous allons tous dans le même sens. Il y a de multiples de façons d’avancer et de valoriser les bénévoles.

Je fais donc appel à votre fair-play de sportive !

M. Jean-Pierre Maggi. On n’est pas chez les Anglais !

M. le président. La parole est à M. Laurent Furst.

M. Laurent Furst. Le nouveau député que je suis est très surpris.

Mme Brigitte Bourguignon. Mais il n’y a aucune surprise !

M. Laurent Furst. Voilà un texte qui pouvait être consensuel et qui a donné lieu à un règlement de comptes avec le passé et à des critiques incroyables.

Je vous en donne acte, madame la ministre, votre proposition est plutôt positive même si elle ne va pas aussi loin que ce que nous aurions souhaité. J’admets aussi que des efforts sont réalisés en matière budgétaire dans ce domaine. Il n’y a pas de raison de nous opposer sur de tels éléments.

En revanche, j’ai été froissé qu’à chaque instant vous nous rappeliez que nous avions cinq ans et qu’en cinq ans, nous aurions dû tout faire.

M. Jean-Pierre Maggi. C’est vrai !

M. Laurent Furst. La vie continue, chers collègues. Vous aussi, vous avez été au pouvoir pendant des années, avec François Mitterrand, Lionel Jospin. La vie continue, les idées évoluent, le travail législatif se poursuit, vous ne pouvez pas constamment recourir à cet argument, très faible de mon point de vue.

S’agissant de l’aspect budgétaire, le budget de l’État soutient une infime partie de la vie associative dans notre pays. Qui, sinon les communes, les intercommunalités, les départements ou les régions apportent leur soutien à la vie associative dans les territoires ? Or à quel régime les collectivités sont-elles soumises ? Elles verront leurs dotations baisser, elles ont vu les pénalités multipliées par cinq sur le logement social.

M. Jean-Pierre Maggi. Quel est le rapport ?

M. Laurent Furst. Les mesures frappant les collectivités s’additionnent et sont rudes. Les budgets locaux seront plus resserrés et le financement de la vie associative en pâtira.

Mme Isabelle Le Callennec. Exact.

M. Laurent Furst. Un peu de modestie, chers collègues, et un peu de réalisme dans vos analyses !

M. le président. La parole est à Mme Colette Langlade.

Mme Colette Langlade. Les années passent en effet, cher collègue. Et si l’on n’oublie pas le fair-play sportif, on n’oublie pas non plus le fair-play politique. On n’oublie pas la casse due au précédent gouvernement, qui a particulièrement malmené le milieu associatif.

Mme Claudine Schmid. Prenez vos responsabilités maintenant. Il serait temps de commencer !

Mme Colette Langlade. Je rappellerai la baisse de 30 % des crédits, le mépris généralisé pour les corps intermédiaires, en particulier les associations.

M. Laurent Furst. C’est reparti !

Mme Colette Langlade. Un peu de respect, chers collègues. Lorsque vous parlez, nous vous écoutons. Nous respectons comme vous le monde associatif. Le bénévolat est une richesse, un élément de cohésion et de richesse sociale et économique, contribuant au vivre-ensemble. On ne peut que remercier les bénévoles.

S’agissant des collectivités territoriales, je vous renvoie à quelques fondamentaux. Les compétences générales, les compétences obligatoires des conseils généraux, ont été aussi malmenées. Dans le processus de transfert des compétences, l’État a oublié pendant de nombreuses années de procéder aux compensations à l’euro près et ce sont malheureusement les associations qui en ont le plus souffert. Nous pourrons en discuter plus longuement.

Mme Isabelle Le Callennec. Vous reconnaissez donc que vos amis politiques ont contribué à la diminution des financements des associations.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre. L’association est le lieu naturel de l’engagement bénévole. Comment reconnaître cet engagement bénévole s’il ne passe pas par un engagement au sein d’une association ?

Mme Claudine Schmid. Cela nécessite de payer des cotisations.

Mme Valérie Fourneyron, ministre. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez indiqué que vous vous prononceriez contre mon amendement. Mais en votant contre, vous et les groupes UMP et Rassemblement-UMP allez voter contre l’élargissement de la médaille de la jeunesse et des sports à la vie associative.

M. Laurent Furst. Pas du tout !

Mme Isabelle Le Callennec. C’est un décret qui permettra cet élargissement !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Madame la ministre, ce n’est pas tout à fait ce que vous avez indiqué dans votre discours liminaire. Cet élargissement, vous en avez pris l’engagement.

Mme Valérie Fourneyron, ministre. C’est écrit, en effet !

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Mais je suis à la fois rapporteur et auteur de la proposition de loi, je ne vais pas accepter de voter contre, cela n’aurait aucun sens... Or, supprimer l’article 1er revient à supprimer ce texte.

Cette journée du 6 décembre, je la marque d’une pierre blanche et prends date. Sachez, madame la ministre, que nous attendons avec impatience la première promotion des récipiendaires de la médaille de la jeunesse, des sports et de la vie associative, le 14 juillet 2013.

(L’amendement n° 21 est adopté et l’article 1er est supprimé.)

Article 2

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 2, qui vise à supprimer l’article 2.

M. Jean-Charles Taugourdeau, rapporteur. Il s’agit simplement de tirer les conséquences de l’adoption de l’amendement de suppression de l’article 1er.

(L’amendement n° 2, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’article 2 est supprimé.)

M. le président. Enfin un amendement accepté par le Gouvernement… (Sourires.)

Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.

L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la conférence des présidents.

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Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, vendredi 7 décembre 2012 à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente cinq.)