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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 31 janvier 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et protection des lanceurs d’alerte

Discussion générale (suite)

M. André Chassaigne

Mme Bernadette Laclais

M. Alain Gest

M. Bertrand Pancher

Mme Fanny Dombre Coste

M. Lionel Tardy

M. Jean-Yves Caullet

M. Martial Saddier

M. Gérard Bapt

M. Bernard Accoyer

Mme Fanélie Carrey-Conte

M. Arnaud Leroy

M. Gérard Sebaoun

Rappel au règlement

M. Marc Le Fur

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

Rappel au règlement

M. Marc Le Fur

Mme la présidente

Discussion des articles

Avant l’article 1er A

Amendement no 25

Article 1er A

Amendement no 11

Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Amendements nos 40, 39

Avant l’article 1er

Amendement no 38

Article 1er

M. Lionel Tardy

M. Patrick Hetzel

Amendements nos 22, 37, 36, 35, 42, 34

Article 1er bis

Amendement no 33

Article 2

Amendement no 32

Article 3

Amendements nos 31, 30, 24

Article 5

Amendements nos 29, 26, 28, 27

Article 7 bis

Article 9

Amendements nos 1, 4, 5, 6, 7

Article 12

Amendements nos 2, 8

Article 14 bis

Amendement no 9

Article 16 A

Amendements nos 10, 12

Article 17

Amendements nos 23, 41

Article 19

Article 20

Amendement no 3

Après l’article 23

Amendement no 13

Rappel au règlement

M. Lionel Tardy

Explications de vote

M. Patrick Hetzel, Mme Véronique Massonneau, M. André Chassaigne

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

2. Application du principe de précaution aux ondes électromagnétiques

Rappels au règlement

M. Bertrand Pancher

M. François de Rugy

Mme Laure de La Raudière

Suspension et reprise de la séance

Rappel au règlement

M. Marc Le Fur

Présentation

Mme Laurence Abeille, rapporteure de la commission des affaires économiques

Mme Suzanne Tallard, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique

Discussion générale

M. François-Michel Lambert

Rappel au règlement

M. François de Rugy

Discussion générale (suite)

Mme Jeanine Dubié

Présidence de M. Denis Baupin

M. André Chassaigne

Mme Sophie Errante

Mme Laure de La Raudière

Présidence de M. Christophe Sirugue

Rappel au règlement

M. François de Rugy

Suspension et reprise de la séance

Rappel au règlement

M. François de Rugy

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques

Discussion générale (suite)

Mme Michèle Bonneton

Mme Corinne Erhel

M. Lionel Tardy

M. Alain Gest

Rappel au règlement

Mme Isabelle Attard

Discussion générale (suite)

M. Jean-David Ciot

Mme Laurence Abeille, rapporteure

Rappel au règlement

M. François de Rugy

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée

Motion de renvoi en commission

M. François Pupponi

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée, M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques, M. Denis Baupin, Mme Sophie Errante, Mme Laure de La Raudière. , M. André Chassaigne, Mme Jeanine Dubié, M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques

Rappel au règlement

M. François de Rugy

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Indépendance de l’expertise
en matière de santé et d’environnement
et protection des lanceurs d’alerte

Suite de la discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte (nos 432, 650, 584).

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Ce matin, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. La déontologie et l’indépendance de l’expertise ainsi que la protection des lanceurs d’alerte sont devenues une attente forte de nos concitoyens.

L’enjeu est double. C’est d’abord un enjeu de santé publique : protection des consommateurs, des travailleurs, des citoyens contre des risques sanitaires et environnementaux. C’est également un enjeu démocratique et politique : il s’agit en effet de redonner à nos concitoyens confiance dans la prise en compte et le traitement, par la puissance publique, des risques sanitaires et environnementaux avec leurs conséquences, mais aussi de l’impact des conflits d’intérêt en tous genres sur les décisions prises à différents niveaux, parfois sans aucune considération pour l’intérêt général.

Si les attentes sont si fortes, c’est parce que nos dispositifs de sécurité sanitaire, de protection des consommateurs et de l’environnement se sont construits de manière erratique, au gré des affaires et des scandales qui mettaient en exergue d’une part le conflit permanent entre les objectifs désintéressés de la recherche scientifique indépendante, la nécessaire préservation de l’environnement, l’attente citoyenne de sécurité sanitaire face aux innovations technologiques, d’autre part la recherche du profit qui régit l’économie capitaliste de marché.

Plomb, amiante, sang contaminé, vache folle, Médiator, Bisphénol A, voire OGM : chacun de ces épisodes, parfois dramatiques, a fait l’objet de commissions d’enquête, de rapports, de missions d’information qui ont systématiquement mis en évidence les affres de la liberté d’entreprendre, laquelle conduit mécaniquement à la recherche du profit à tout prix, avec pour corollaire l’émergence de conflits d’intérêts majeurs au sein des agences chargées de l’expertise publique et l’insécurité juridique, professionnelle et sociale pour les lanceurs d’alerte.

Chacun de ces épisodes a révélé l’inertie des pouvoirs publics face à des situations intolérables et, il faut le dire, l’absence de volonté politique d’y remédier. L’inscription dans notre droit des principes de prévention et de précaution n’y a rien changé. Et pour cause ! Les divers dispositifs existants en matière de santé publique, de sécurité sanitaire et de protection de l’environnement poursuivent invariablement le même objectif : réduire les délais entre l’apparition d’un risque de dommage, la prise de conscience de ses effets et la réaction au risque ou au dommage, tout en préservant la liberté des acteurs économiques de réaliser le profit pour lequel ils ont investi.

Cet objectif révèle la tare originelle de notre système de vigilance et de protection des consommateurs et de l’environnement : l’expertise scientifique et les mécanismes d’alerte obéissent à une logique de gestion des risques une fois les dommages survenus mais non à une logique de prévention.

Il n’est dès lors pas étonnant de voir de nouveaux scandales défrayer régulièrement la chronique, prothèses PIP, médiator, pilules de troisième et quatrième générations, bisphénol A. Les exemples sont légion.

Un cas d’école, celui de l’amiante. Ce dossier emblématique est révélateur, la lutte exemplaire des anciennes salariées de l’usine Amisol à Clermont-Ferrand en témoigne. Ce n’est qu’à la fermeture de leur usine, en 1974, qu’elles ont appris les risques auxquels elles avaient été exposées en manipulant cette fibre, sans protection, durant plusieurs décennies.

En 1994, en créant le premier Collectif amiante prévenir et réparer – CAPER –, les anciennes d’Amisol ont été les pionnières du mouvement national engagé pour la reconnaissance des droits des victimes de l’amiante en France. Leur détermination a précipité la création de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante mais elles n’ont jamais pu obtenir qu’un procès pénal se tienne pour que soit reconnue la culpabilité des dirigeants de l’entreprise.

Pourtant, dès 1906, un inspecteur du travail, Denis Auribault, sonneur d’alerte avant l’heure, avait rendu un rapport sur les dangers de ce matériau, à la suite de décès successifs dans une usine de textile en Normandie. Comment expliquer alors que l’interdiction de l’amiante ne date que de 1997 ? C’est donc en connaissance de cause que les salariés ont continué à être exposés, au mépris des règles de protection, avec la complaisance du pouvoir politique. Aucun procureur n’a ouvert d’enquête sur cette catastrophe sanitaire et les procédures pénales engagées par les victimes ou leur famille ont été systématiquement freinées, d’abord dans le bureau du juge d’instruction, puis au tribunal de grande instance. Et c’est toujours le cas !

Les attentes de la majorité de nos concitoyens et le fait que l’expertise en matière environnementale, sanitaire et professionnelle puisse désormais être le fruit d’un travail collectif, imposent de changer de paradigme. C’est à cette condition que nous restaurerons la confiance des citoyens dans les avancées de la science, les innovations de l’industrie et la capacité d’intervention du pouvoir politique ou administratif. Or, le texte dont nous débattons aujourd’hui n’est que l’amorce de ce changement.

Bien entendu, nous nous réjouissons des dispositions visant à encadrer et rationaliser l’exercice du droit d’alerte et à protéger les lanceurs. Elles emportent notre vote en faveur de ce texte. Mais restons vigilants : nous le savons tous ici, les salariés qui jouissent d’une protection légale ou d’un statut de salarié protégé sont souvent malmenés par leur direction, discriminés, parfois mis au placard, quand ils ne sont pas licenciés.

En revanche, le rôle de la future commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement nous laisse dubitatifs.

Nous regrettons que des considérations d’ordre budgétaire aient eu raison de la Haute autorité indépendante, au point que celle-ci ne soit plus que le fantôme d’elle-même : une commission nationale sous tutelle des ministres concernés – lesquels ? – et au champ d’action restreint.

J’en donnerai quelques exemples.

Dans le texte initial, la Haute autorité était dotée de la personnalité morale, ce qui lui donnait une latitude plus grande pour intervenir dans le champ de compétences qui lui était assigné que n’en aura la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement, placée sous la tutelle des ministres compétents.

La Haute autorité était chargée d’énoncer les principes directeurs de l’expertise scientifique et technique en matière de santé publique et d’environnement et d’en vérifier l’application. La commission a seulement pour mission de veiller aux règles déontologiques qui s’appliquent à l’expertise scientifique et technique.

La Haute autorité était chargée de garantir la mise en œuvre des procédures d’alerte. La commission veillera seulement aux règles déontologiques applicables aux procédures d’enregistrement des alertes.

La Haute autorité était chargée d’élaborer des règles déontologiques propres à l’expertise scientifique et technique dans le domaine de la santé publique et de l’environnement. La nouvelle commission sera réduite à émettre des recommandations générales sur les principes déontologiques propres à l’expertise scientifique et technique, et à assurer leur diffusion.

M. Gérard Bapt. Jusqu’à maintenant, il n’y avait rien du tout !

M. André Chassaigne. Je parle du texte initial.

Cette édulcoration des prérogatives de l’instance créée par ce texte n’est sans doute pas pour déplaire aux employeurs qui voient rarement d’un bon œil ce qu’ils considèrent comme une atteinte à leur liberté d’entreprendre, laquelle se confond trop souvent avec la recherche du profit. Tout le monde ici se souvient des propos de M. Servier qui souhaitait ouvertement que les pouvoirs publics le laissent vaquer tranquillement à ses occupations industrielles, la règle du minimum de contraintes permettant de réaliser le maximum de profits au mépris de la sécurité sanitaire, de la santé publique ou de l’environnement.

Le texte initial prévoyait que la Haute autorité soit, en quelques sortes, le bras armé et indépendant de la déontologie autant qu’un guide en matière d’expertise scientifique. La commission n’aura quant à elle qu’un rôle de veille, d’autant plus que son action dépendra très concrètement de la volonté de l’État d’accorder, ou non, les financements nécessaires à son fonctionnement. Je ne doute pas que M. le ministre nous éclairera sur ce point.

Le vrai problème est que ce texte fait émerger des conflits d’intérêt entre les acteurs politiques, industriels et la recherche, ces intérêts ne se confondant pas toujours avec l’intérêt général.

Ces conflits d’intérêt se multiplient du fait de l’ouverture de plus en plus large de la recherche au financement privé alors même que, parallèlement, la force des lobbies conduit à faire prévaloir, y compris au niveau de l’expertise, les considérations commerciales sur les conséquences en matière de santé ou d’environnement.

Le seul moyen d’assurer l’équilibre entre l’intérêt général et la recherche du profit est de renforcer les moyens de la recherche publique et de redéfinir le champ et le périmètre du secret industriel, véritable frein à la réalisation d’expertises fiables et transparentes.

En dépit de ces critiques, nous partageons sur le fond les objectifs des auteurs de ce texte et nous soutenons le mécanisme de protection des lanceurs d’alerte. Nous sommes par ailleurs bien conscients que ce texte est une pierre de plus à l’édifice du droit de l’environnement et de la santé publique. C’est la raison pour laquelle nous le voterons, non sans nous poser une question : aurait-il évité le scandale de l’amiante ? J’espère que oui. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Laclais.

Mme Bernadette Laclais. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous offre la possibilité de renforcer nos procédures de sécurité sanitaire et environnementale et, souhaitons-le, d’aider la société civile à faire confiance à notre système de veille sanitaire et à se réconcilier avec lui.

En effet notre système s’est structuré sous l’effet de crises sanitaires qui, depuis plus de vingt ans, ont conduit à créer des agences d’expertise scientifique.

Pourtant, en dépit de l’important travail de qualité que ces agences réalisent, de nouveaux risques, de nouvelles crises émergent. Les commissions d’enquête et les missions d’information constituées après chaque crise sanitaire ont permis de mettre en lumière des problèmes à propos desquels souvent, en amont, des citoyens, des salariés, des chercheurs, des praticiens avaient tiré la sonnette d’alarme bien avant que les pouvoirs publics n’aient seulement envisagé d’agir.

Parfois, ces lanceurs d’alerte ont été confrontés au doute, au déni, pire à l’intimidation voire à la calomnie, ou aux menaces, directes ou indirectes sur leur emploi. Le texte que nous examinons aujourd’hui présente donc un double intérêt.

Tout d’abord, il définit les conditions de l’indépendance de l’expertise et de la déontologie. Ensuite, il protège tous ceux qui auraient connaissance d’un danger pour la santé ou pour l’environnement afin de leur permettre d’en informer les autorités compétentes, en garantissant la reconnaissance et la protection des lanceurs d’alerte, en assurant le suivi des alertes une fois celles-ci lancées.

Le texte initial a été profondément modifié et amendé en commission. De notre point de vue, il va dans le bon sens.

Le rôle de la commission de déontologie a été reprécisé : c’est un rôle consultatif et non plus normatif, un rôle de transmission et non d’instruction des alertes, la saisine de la commission est plus restreinte, il est prévu un rapport annuel au Parlement dans lequel la commission émet des recommandations sur toutes les questions d’expertise. Cela nous semble satisfaisant au regard de l’exigence de transparence constitutive de l’indépendance

S’agissant des lanceurs d’alerte et de leur protection, ce projet de loi témoigne de la volonté de renforcer la démocratie sanitaire et environnementale en protégeant le citoyen « contributif » dès lors qu’il y a bonne foi et non diffamation. Celui qui dépose doit pouvoir le faire sans crainte et en étant protégé. C’est à l’État qu’il appartient d’assurer la protection. À ceux qui craindraient d’éventuels abus, il faut dire tout de suite que la notion d’alerte est précisément définie : celui qui lance une alerte doit agir de bonne foi sous peine de sanctions prévues par le code pénal pour dénonciation calomnieuse. Il s’agit d’entendre les alertes, de les répertorier et de les transmettre aux personnes compétentes afin que les problèmes soulevés soient traités et, si nécessaire, résolus.

Il ne s’agit pas d’assurer la primauté de l’alerte sur l’expertise scientifique. C’est un système complémentaire et important qui permet l’indépendance de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte d’une manière complémentaire. Il ne s’agit pas d’opposer experts et profanes – là n’est pas la question –, encore moins de remettre en cause la parole des experts, mais de renforcer l’indépendance et la transparence de l’expertise et de la compléter utilement par un système pertinent de gestion des alertes. Chacun doit pouvoir trouver sa place, sa juste place.

Le groupe socialiste souhaite donc l’adoption de cette proposition de loi qui pourra encore être enrichie dans le débat par des amendements du rapporteur. Notre groupe proposera pour sa part la suppression de l’article 16, nous y reviendrons. Ce texte est le fruit d’une longue réflexion, engagée de longue date, sur l’expertise scientifique et technique : non seulement sur ces principes mêmes, mais aussi sur les règles déontologiques qui doivent s’y appliquer et sur la nécessaire participation de la société civile pour les valider.

Je tiens à saluer tous ceux qui se sont engagés de longue date pour faire avancer cette réflexion, en particulier mon collègue Gérard Bapt dont beaucoup connaissent la persévérance sur ce sujet, que nous pourrons encore constater dans quelques instants...

Je tiens aussi à saluer la collaboration de nos différents groupes de la majorité pour parvenir à un texte qui, je le crois, marquera une étape importante : enrichi entre sa première version et celle que nous examinons aujourd’hui, il sanctionne les dérives, préserve des excès, mais crée incontestablement les conditions d’une meilleure sécurité sanitaire et environnementale.

Je veux remercier les rapporteurs, Jean-Louis Roumegas et Marie-Line Reynaud, pour le travail constructif qu’ils ont fait, ainsi que ma collègue Fanny Dombre-Coste.

Je voudrais également souligner qu’une meilleure démocratie sanitaire et environnementale est nécessaire pour aller – pourquoi pas, demain, nous l’espérons en tout cas, grâce à ce texte et à d’autres – vers une réconciliation de nos concitoyens avec leur système de veille sanitaire, si souvent mis à l’épreuve. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Gest.

M. Alain Gest. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes propos – je m’adresse à la majorité –, aussi sévères qu’ils pourront parfois vous paraître, ne visent en aucun cas à mettre en doute les convictions profondes de certains d’entre vous sur le sujet que nous traitons aujourd’hui, ni la qualité de la réflexion et du travail que vous avez pu effectuer, je pense notamment aux rapporteurs qui se sont exprimés ce matin.

Mais voilà quand même une proposition de loi dont nous aurions pu sans doute nous dispenser ! D’abord parce que cela aurait allégé l’ordre du jour particulièrement chargé de notre assemblée. Mais, surtout, parce que ce texte d’origine sénatoriale n’est que le fruit de considérations idéologiques de nos collègues du groupe écologiste. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

M. François de Rugy. Mais arrêtez donc !

Mme Barbara Pompili. Idéologiques ?

M. Alain Gest. Son cheminement s’apparente à un bricolage législatif. Rejetée tout d’abord par la commission du développement durable du Sénat, la proposition a été votée par la Haute assemblée parce que le Gouvernement l’avait profondément remaniée. Elle a été confiée à la commission des affaires sociales de notre assemblée, la commission du développement durable n’étant saisie que pour avis. Nos deux commissions, ainsi que le Gouvernement, ont fait subir à ce texte une cure d’amendements qui ont édulcoré le texte initial afin de le rendre compatible avec la pensée du groupe socialiste. Nous sommes donc en présence d’un avatar lié à l’accord électoral entre le parti socialiste et Europe Écologie les Verts. (Protestations sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Gérard Bapt. Ce n’est pas vrai ! Essayez de voir cela d’un peu plus haut !

M. Alain Gest. Chers collègues, laissez-nous nous exprimer ! Pour notre part, nous vous écoutons avec beaucoup d’attention. Merci d’en faire autant !

Comme nos collègues socialistes sont obligés de donner quelques gages à leurs alliés contre nature, pour compenser toutes les couleuvres qu’ils leur font avaler – de ce point de vue, la prochaine proposition de loi sera encore plus savoureuse ! –, les voilà contraints de réaliser des contorsions pour parvenir à un texte largement vidé de sa substance. Mais même dans cette version light, le groupe UMP considère que cette proposition, si elle était votée, aurait des conséquences négatives, en particulier pour les entreprises et la recherche, ce que je vais m’efforcer de vous démontrer.

Bien sûr, la motivation première de ce texte peut parfaitement se comprendre, nous en sommes conscients. Chacun a fait le constat que nos concitoyens sont très demandeurs de davantage de débat public, d’information et de transparence lorsque les décisions des pouvoirs publics concernent la santé publique et l’environnement.

Les crises sanitaires se succèdent : sang contaminé, hormones de croissance, amiante, vache folle, pandémie H1N1, Médiator et, ces jours-ci encore, les interrogations concernant les moyens contraceptifs de troisième et quatrième générations.

Mme Barbara Pompili. Eh oui !

M. Alain Gest. Il n’est pas question pour nous de nier cette réalité. (« Ah ! » sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Danielle Auroi. Mais on ne fait rien ?

M. Alain Gest. Au fil de ces crises, nos concitoyens perdent de plus en plus confiance dans l’expertise publique et mettent en doute les travaux de nos scientifiques. Chacun voudrait croire qu’il existe une expertise indépendante et que ses résultats sont tellement incontestables que les décideurs politiques pourraient s’appuyer sans hésitation sur ces travaux. Il n’en est rien, malheureusement, et le récent débat lancé par le professeur Séralini sur une catégorie d’OGM l’a une nouvelle fois démontré.

Vouloir introduire dans notre droit des innovations visant à renforcer l’expertise publique est légitime, mais le contenu de ce texte n’est pas, à nos yeux, acceptable, et ce pour plusieurs raisons. À l’origine, la proposition de loi de Marie-Christine Blandin préconisait la création d’une Haute autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte. Une de plus, serais-je tenté de dire, tant, mes chers collègues, nous avons pris la désagréable habitude d’en créer un nombre incalculable, ou plutôt un nombre calculable puisque cette instance serait devenue la mille deux cent quarante-cinquième agence de l’État si j’en crois le rapport de mars 2012 de l’Inspection générale des finances.

M. Jean-Yves Caullet. C’est un réquisitoire contre la politique des dix dernières années !

M. Alain Gest. L’IGF considère, à juste titre, que cette stratégie inflationniste, en termes de moyens humains et financiers, n’a pas été suffisamment accompagnée d’un renforcement suffisant de la tutelle de l’État.

J’ajouterai qu’en créant ces organismes, le Gouvernement et le Parlement se délestent de leurs pouvoirs réglementaire ou législatif. Mais pour quelle efficacité ? En matière de santé, il existe déjà au moins dix agences auxquelles il convient d’ajouter quatorze agences rattachées au ministère de l’écologie qui traitent des problèmes environnementaux, eux-mêmes souvent liés à la santé. Et je n’évoque pas les organismes comparables existant au niveau européen dont je n’imagine pas qu’ils ne pourraient pas parfois coordonner leurs travaux et réaliser ainsi des économies d’échelle.

La priorité nous semble donc de rationaliser les missions respectives de ces organismes, voire de regrouper d’un certain nombre d’entre eux et d’en évaluer l’activité,…

M. André Chassaigne. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

M. Alain Gest. …pourquoi pas grâce à des instances parlementaires. Je pense à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou à notre Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Au lieu de cela, la proposition de loi remaniée nous propose la création d’une commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement, sur laquelle notre collègue communiste vient d’exprimer un certain nombre de doutes. Qui dit création de commission nouvelle dit dépenses publiques supplémentaires. Tout cela sous le contrôle de quelle administration ? Question restée sans réponse.

Mes chers collègues, nous n’avons pas besoin de créer un comité Théodule de plus.

M. Bernard Accoyer. C’est évident !

M. Jean-Yves Caullet. Dites-le aux victimes de l’amiante !

M. Alain Gest. En second lieu, le texte nous suggère la création d’une procédure d’alerte sanitaire et environnementale et d’un statut spécifique pour une catégorie de salariés.

Je ferai tout d’abord observer que cette question relève prioritairement du champ de la négociation entre partenaires sociaux, comme l’a rappelé ce matin M. le ministre et qu’il ne nous semble pas qu’ils aient jusqu’alors manifesté la volonté d’inscrire ce sujet à l’ordre du jour des négociations à venir. Une telle procédure aurait comme conséquence un alourdissement des obligations liées aux institutions représentatives du personnel. Nos petites entreprises demandent plutôt un allégement des obligations : on leur propose ici une démarche inverse. Est-ce vraiment le moment ?

Enfin, la création d’une catégorie particulière de salariés qui se qualifieraient eux-mêmes de « lanceurs d’alerte » de profession ne nous semble pas opportune. Tout d’abord parce que la notion de bonne foi évoquée par le texte nous paraît susceptible de créer de réelles incertitudes juridiques, car elle est parfaitement subjective. Je plains les magistrats qui devraient y être confrontés. On peut même imaginer que cela ne débouche sur des abus qui seraient particulièrement préjudiciables aux entreprises concernées.

Nos petites entreprises sont rarement suffisamment armées pour gérer les situations de crise qui pourraient naître de fausses alertes médiatisées. C’est la survie même de ces entreprises que nous mettons en jeu. Ce serait aussi susciter inutilement l’inquiétude de certains de nos concitoyens. L’exposé des motifs de la proposition de loi du Sénat pointait le risque « d’une dérive vers la calomnie ou vers une société de l’alarme permanente ». Ne serait-ce pas, en fin de compte, définitivement décrédibiliser l’expertise scientifique au profit de ces « lanceurs d’alerte » ? Certes, il arrive aux experts de se tromper, et c’est très regrettable ; les lanceurs d’alerte peuvent, dans certains cas, jouer un rôle éminent. Mais cessons de faire croire qui ceux qui s’autoproclament experts sont nécessairement plus pertinents que ceux dont la formation leur a permis d’occuper des postes à responsabilité.

M. Gérard Bapt. Ce n’est pas le problème !

M. Alain Gest. Comme l’a souligné l’Académie nationale de médecine, légitimer l’alerte au détriment de l’expertise risquerait de faire passer la prise de décision politique avant l’évaluation scientifique. Si l’État en arrivait à prendre des décisions majeures sans s’appuyer sur les évaluations conduites par les structures d’expertise dont il dispose, il s’exposerait aux pressions idéologiques, partisanes et lobbyistes.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Gest !

M. Alain Gest. Telles sont les raisons qui nous font douter de la pertinence et de l’opportunité de cette proposition de loi.

Le groupe UMP est en revanche tout à fait favorable à une redéfinition des protocoles d’expertise face aux risques émergents, car ceux qui sont en place ne sont plus adaptés.

Nous souhaitons également une harmonisation des pratiques en matière d’expertise et d’exigence des comités déontologiques des différentes agences pour qu’ils s’efforcent d’élaborer ce qui pourrait être une charte de l’expertise.

M. Gérard Bapt. Voilà, c’est ce dont il s’agit !

M. Alain Gest. Les entreprises ont besoin de plus de lisibilité sur les obligations qui incombent aux employeurs en matière de procédure d’alerte et de veille et d’une meilleure exploitation des données provenant des nombreux réseaux sentinelles existants. Instituer des procédures, c’est aussi ce qu’avec notre ancien collègue Philippe Tourtelier, nous avions proposé…

M. Bernard Accoyer. C’était un excellent travail, remarquable !

M. Alain Gest. …pour une mise en œuvre adaptée du principe de précaution que nous avons inscrit dans notre Constitution. Mais de tout cela, il n’est pas question dans cette proposition de loi. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP s’opposera à ce texte. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur, chers collègues…

M. Gérard Bapt. Il y aura peut-être une autre musique !

M. André Chassaigne. Nous sommes tout ouïe !

M. Bertrand Pancher. …la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui exprime une vérité fondamentale, résumée par Rabelais en une formule célèbre : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

M. Gérard Bapt. Très bien !

M. Bertrand Pancher. Elle concerne une réalité de notre société : la fulgurance du progrès technique, la rapidité de sa traduction économique et de sa diffusion, au risque parfois de la ruine de la santé de nos compatriotes. Elle vient prolonger la Charte de l’environnement qui dispose dans son article 1er que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et ajoute dans son article 2 que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».

De fait, ces dernières années, les grandes crises sanitaires ont secoué l’opinion publique et mis en question l’efficacité ou l’indépendance de l’expertise ainsi que le traitement et la gestion des alertes par les pouvoirs publics. Citons la crise de l’amiante, le scandale du sang contaminé, le débat plus récent sur les OGM, le Médiator dont les effets nocifs furent révélés par Irène Frachon, les risques induits par les ondes électromagnétiques ou encore la nocivité désormais avérée du Bisphénol A dans les contenants alimentaires. Aujourd’hui, c’est l’anti-acnéique Diane 35 qui est sur la sellette.

M. Gérard Bapt. C’est bien une autre musique !

M. Bernard Accoyer. On n’a même plus le droit de respirer !

M. Bertrand Pancher. La question du traitement de l’alerte aux risques émergents se pose. Personne ici ne peut contester sa pertinence. Il est parfois urgent de sonner l’alarme, d’informer la société civile et de demander aux pouvoirs publics de trancher. Il est donc nécessaire de s’interroger systématiquement sur la légitimité et l’intérêt d’une information provenant d’un usager, d’un consommateur, d’une organisation ou d’un spécialiste. Lancer une alerte n’est pas le choix de cassandres paranoïaques, mais de personnes parfois en souffrance personnelle et sociale,

M. Bernard Accoyer. C’est presque la même chose !

M. Bertrand Pancher. Elles ressentent le besoin de dire la vérité, ou du moins la leur. Il convient donc de répondre et de s’informer.

La France ne possède pas actuellement dans son arsenal juridique de système protecteur des lanceurs d’alerte, contrairement aux États-Unis et leur Whistleblower Protection Act ou à la Grande-Bretagne et son Public Interest Disclosure Act, dont la portée est d’ailleurs beaucoup plus étendue que la loi qui nous est proposée. La loi américaine permet ainsi à tout citoyen de dénoncer, sans risque de représailles, ce qu’il considère comme une atteinte à l’intérêt général.

Ce constat établi, on voit bien que c’est un corpus juridique fondamental qu’il convient de constituer, protecteur de la santé et de la liberté de nos concitoyens. D’ailleurs, l’article 52 de la loi « Grenelle I » recommandait une loi instituant la protection des lanceurs d’alerte, tout comme le rapport d’étape des travaux de la Commission Lepage sur la gouvernance, installée à la demande de la précédente majorité. Ce rapport n’avait cependant pas été transformé en projet de loi, le statut des lanceurs d’alerte qu’il préconisait ne faisant pas l’unanimité en raison de sa lourdeur.

C’est la raison pour laquelle l’ancien Président de la République m’avait confié une mission plus large visant à traiter de la question de la démocratie environnementale dans son ensemble. Dans ce cadre, il m’avait semblé nécessaire de ne pas déconnecter l’alerte de l’information, de la participation des acteurs concernés aux décisions, de la gouvernance des agences sanitaires, mais également de l’analyse d’impact. Régler une seule question sans résoudre les autres manquait singulièrement de cohérence. Comment, par exemple, généraliser le suivi d’une alerte si nos concitoyens sont mal informés ? N’est-ce pas créer des goulots d’étranglement et des frustrations et alimenter une machine administrative lourde et inefficace ? La qualité des informations mises à disposition du public pose problème dans notre pays.

De même, il m’a semblé indispensable de travailler à la généralisation de la concertation avec les acteurs et le grand public au cas par cas, lors de décisions sujettes à de grandes controverses sociotechniques, souvent complexes lors de la mise sur le marché de certains produits. L’exemple des vaccins est révélateur : si le risque existe toujours, l’avantage global est avéré, mais que répondre à la famille dont un membre vient de décéder ?

Largement remaniée par nos collègues sénateurs, votre proposition de loi est incontestablement le fruit d’un travail sérieux, même si elle ne répond que très partiellement et de façon un peu trop orientée aux questions posées. Vous suspectez les entreprises et faites porter sur elles seules ce qui pourrait aller mal. C’est votre choix, il peut faire débat. La pertinence de la question n’emporte pas nécessairement celle de la réponse. « Le mauvais choix des moyens, disait Edgar Faure, est le seul véritable choix contre l’idéal ».

Ce texte fait le choix de proposer un statut protecteur pour nos sentinelles citoyennes et de créer une structure nationale pour en assurer le respect, la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement. L’idée de faire participer le public à la vigilance sanitaire et à la contribution aux décisions publiques n’appelle aucune objection de notre part. Il va de soi que c’est la société toute entière qui doit être gagnante si chacun de ses membres devient acteur de son destin.

Nous formulons cependant deux objections majeures au dispositif qui nous est proposé.

La première est celle de la charge liée à l’existence de ce droit. C’est d’abord une charge morale. Elle ne pèse que sur les entreprises, implicitement désignées comme le mauvais objet, celui dont il convient de se protéger, au motif que leurs intérêts économiques feraient nécessairement obstacle à la manifestation de la vérité. Le monde de demain est incontestablement un monde de règles adossées à nos valeurs et il est en effet indispensable de contrôler la qualité des biens et des services. Nous ne croyons pas non plus en la « main invisible » du marché. Cependant, nous ne pensons pas qu’il soit souhaitable de faire peser sur le seul monde du travail des procédures trop draconiennes.

M. Alain Gest. Très bien !

M. Bertrand Pancher. C’est aussi une charge matérielle, qui se traduit de fait par de nouvelles contraintes, notamment sur les CHSCT. Ce poids sera d’autant plus lourd que les entreprises seront de petite taille.

Vous auriez pu reconnaître l’alerte à travers une grande loi sans passer par un statut du lanceur d’alerte. Cela aurait eu le mérite d’expérimenter le traitement du risque potentiel lors de sa découverte, la réactivité des agences d’expertises, l’importance des moyens à engager dans le cadre des contre-expertises mais aussi la capacité à répondre par des arguments simples à des sujets relevant souvent de la controverse. Cela n’aurait pas réglé la question de la cohérence avec les autres problématiques de la démocratie environnementale, mais aurait pu constituer une première étape. Vous ne vous êtes pas engagés dans cette voie.

La seconde objection est relative à la création d’une nouvelle agence, que vous venez de transformer en commission. Dans le rapport commandé par l’ancien Président de la République et remis en octobre 2011, j’avais préconisé une autre solution. Il s’agissait bien de créer une agence, mais avec un objet et des missions plus étendus, ce qui permettait de regrouper des structures aujourd’hui distinctes dont les vocations apparaissent pourtant complémentaires : la Commission nationale du débat public, une partie du Commissariat général au développement durable en charge de l’information environnementale, l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable en charge des analyses d’impact et le Comité de prévention et de précaution. Au moins, on regroupait les agences et on donnait une cohérence à la démocratie environnementale.

M. Alain Gest. Très bien !

M. Bertrand Pancher. Les questions sanitaires doivent être traitées à plusieurs niveaux. Il me semblait vraiment souhaitable de couvrir l’ensemble du champ et d’en profiter pour entrer dans une nouvelle ère, celle d’une véritable démocratie sanitaire et environnementale. C’est bien, au fond, le problème qui nous réunit aujourd’hui.

Une telle agence aurait pu couvrir de façon transversale les missions de prévention et de précaution, mais aussi celles de l’information, de la concertation et de la prospective. Elle aurait dû traiter la question du financement des grandes organisations de la société civile, sans laquelle la démocratie ne peut pas fonctionner convenablement. Elle aurait dû être déconcentrée, non seulement pour favoriser le débat public via des conventions de citoyens mais aussi pour être au plus près du quotidien et des signaux faibles.

C’était un choix de méthode fondamental qui visait à ce que la reconnaissance de l’alerte ne se traduise pas uniquement par un statut rigide, qui nous apparaît à bien des égards inutile et parfois même risqué. Le choix que nous préconisions visait également à rassembler toutes les conditions d’une démocratie environnementale à part entière. Vous avez choisi de réduire un projet de démocratie des savoirs et des choix, qui pouvait couvrir l’ensemble des enjeux et des débats environnementaux, à un outillage ponctuel, sectoriel et, finalement, partiel.

En conclusion, une majorité de mes collègues du groupe UDI ne souhaite pas voter ce texte, qui, en se polarisant sur un statut et sur la création d’une nouvelle institution, a réduit le champ de la réflexion et de l’action au service de la protection écologique et environnementale de nos concitoyens.

M. Gérard Bapt. Ce n’est pas une institution, c’est une commission !

M. Bertrand Pancher. Quant à moi, je reconnais que ce texte comporte des avancées certaines et je m’abstiendrai.

Mme la présidente. La parole est à Mme Fanny Dombre Coste.

Mme Fanny Dombre Coste. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les présidents de commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte est l’occasion pour le Parlement de renforcer notre dispositif de sécurité sanitaire et environnementale et par là même de concourir à réconcilier la société civile avec notre appareil de veille sanitaire.

Depuis le début des années 1990, l’actualité est rythmée par des scandales retentissants, qui ont eu pour conséquence nombre de souffrances pour certains de nos concitoyens et des inquiétudes fort légitimes pour d’autres. Hormone de croissance, amiante, Médiator, Bisphénol A : derrière ces mots, il y a des scandales et derrière ces scandales, il y a des victimes !

La création d’agences de veille n’abolit pas les risques nouveaux. Je pense en particulier aux inquiétudes actuelles au sujet des pilules de troisième et de quatrième générations. Malgré ces garde-fous, la diffusion des alertes sanitaires et environnementales – quand elles sont entendues – est souvent entravée par de multiples pressions auxquelles sont soumis les lanceurs d’alerte potentiels et les risques de conflits d’intérêt restent une réalité.

Ces problématiques ne sont pas nouvelles. Les parlementaires s’y intéressent depuis longtemps. En 2005, une proposition de loi avait été déposée par le sénateur Claude Saunier prévoyant la création d’une haute autorité de l’expertise publique. En 2008, le rapport de Mme Marie-Christine Blandin pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques préconisait « d’élaborer un projet de loi sur l’alerte et l’expertise dans le domaine de la santé environnementale ». Cette même année 2008, dans un rapport sur la gouvernance écologique, Mme Corinne Lepage a formulé des propositions visant à rénover l’expertise et à créer une Haute autorité de l’expertise.

La loi de programmation « Grenelle I » de 2009 devait répondre au besoin de restaurer la crédibilité de l’expertise publique et de protéger les lanceurs d’alerte. Le gouvernement précédent devait présenter un rapport au Parlement au plus tard un an après la promulgation de la loi, afin de traiter de l’opportunité de créer une instance propre à assurer la protection de l’alerte et de l’expertise. Ce rapport n’a jamais été fourni. La question a ensuite été relancée en 2010, à l’occasion d’une commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques au Sénat et, bien sûr, en 2011 lors du rapport de la mission commune d’information sur le Médiator.

Certes, la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a apporté des améliorations notables.

M. Alain Gest. C’est bien de le reconnaître !

M. Martial Saddier. C’est nous qui l’avons fait !

Mme Fanny Dombre Coste. Citons l’obligation de publication par les entreprises de la liste des contrats signés avec les chercheurs, la production de déclarations d’intérêt, l’interdiction de toute discrimination contre les lanceurs d’alerte. Mais ce texte, limité au domaine sanitaire, est manifestement insuffisant.

Aujourd’hui, les expertises sont trop souvent suspectées de compromission avec les lobbies. Si cette réaction est compréhensible après plusieurs crises sanitaires majeures, cette défiance nuit à l’expertise scientifique dont nous avons besoin afin d’assurer notre sécurité sanitaire collective. L’enjeu est donc tout à la fois d’améliorer notre vigilance et de trouver le juste équilibre entre d’une part la protection et la réhabilitation de notre recherche scientifique, publique et privée, d’autre part sa crédibilité. En effet, sans recherche et innovation, pas de progrès humain.

En ce sens, cette proposition de loi a un double intérêt. Elle permet de définir les conditions de l’indépendance de l’expertise et de la déontologie mais aussi de clarifier et préciser le cadre juridique des lanceurs d’alerte.

La création de la commission nationale de la déontologie et des alertes est une avancée notable. À la création d’une autorité administrative supplémentaire, nous avons jugé préférable, notamment pour d’évidentes raisons financières, à l’heure où notre gouvernement s’est engagé de façon ambitieuse et sans précédent dans le redressement de nos finances publiques, d’opter pour une commission rattachée à une instance administrative. Cette commission sera chargée d’établir les principes déontologiques propres à l’expertise scientifique et technique. En effet, si certaines agences ont défini en leur sein un code de déontologie – je pense à l’ANSES –, ces initiatives restent isolées et les codes divergent entre les différentes agences.

En s’inspirant de modèles étrangers, le travail de recherche et d’étude comparative mené par la commission permettra d’unifier les règles de déontologie au sein des différents établissements et organismes publics. La commission sera en mesure de veiller à l’indépendance de l’expertise scientifique et de s’assurer qu’elle repose bien sur les trois piliers rappelés par M. Mortureux lors de son audition : le respect de la déontologie et de l’éthique contre tout risque de conflits d’intérêts ; une expertise collective et contradictoire ; la garantie d’une diversité des sources scientifiques, issues d’organismes de recherche publics ou privés.

Dans un second temps, la commission aura pour rôle de tenir un registre des alertes, de les transmettre aux ministères concernés et d’assurer leur suivi. La transparence nécessaire des travaux de cette commission est formalisée par la publication d’un rapport annuel ayant pour vocation de porter à la connaissance du public le registre des alertes ainsi que les suites qui leur ont été données.

M. Gérard Bapt. C’est très important !

Mme Fanny Dombre Coste. Le deuxième point essentiel de ce texte est la reconnaissance de l’utilité du lanceur d’alerte et, par là même, sa définition ainsi que sa protection. Tout comme le projet de loi sur la participation du public que nous avons voté il y a quelques semaines…

M. Martial Saddier. Un texte, c’était largement suffisant !

Mme Fanny Dombre Coste. …cette proposition de loi est une fenêtre qui s’ouvre en direction de la société civile et témoigne de notre volonté de renforcer la démocratie sanitaire et environnementale en permettant la contribution des citoyens, tout en assurant le suivi de leurs alertes et leur protection. Nous sommes convaincus que l’implication des citoyens est le pendant de la crédibilité de l’action publique.

Dès lors, toute personne de bonne foi qui aurait connaissance d’un danger pour la santé ou l’environnement doit pouvoir être entendue sans crainte et protégée juridiquement. C’est à l’État qu’il appartient d’assurer cette protection face aux intimidations et aux procédures judiciaires auxquelles doivent faire face des citoyens, souvent scientifiques eux-mêmes, qui ont acquis une expertise fort utile à l’intérêt général. Avec ce texte de loi, il nous appartient également de mettre en place un circuit administratif garantissant le suivi et le traitement des alertes. Je crois que l’équilibre que nous avons trouvé, à l’issue de nos travaux en commission, devrait tout à la fois rassurer nos concitoyens, mais également le monde de la recherche et de l’économie, tout en permettant de faire progresser sensiblement notre dispositif de veille sanitaire.

Avant de conclure, je souhaite souligner la qualité des auditions menées par les rapporteurs de la commission des affaires sociales d’une part, du développement durable et de l’aménagement du territoire d’autre part, à savoir nos collègues Jean-Louis Roumegas et Marie-Line Reynaud. Je tiens également à remercier Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, pour la confiance qu’il nous a accordée.

M. Michel Issindou. Il le mérite !

M. Alain Gest. Nous lui faisons également confiance !

Mme Fanny Dombre Coste. Pendant le travail législatif que nous avons entamé en commission, nous avons également apprécié l’accueil et l’écoute que le Gouvernement nous a réservés. J’espère que la discussion permettra de nous rassembler autour de notre ambition commune. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et de protection des lanceurs d’alerte est, a priori, si l’on se réfère à son titre, un bon texte – contrairement au texte que nous avons examiné ce matin.

M. Gérard Sebaoun. Mais oui, c’est un bon texte !

M. Lionel Tardy. À mes yeux, les deux sujets évoqués par le titre de la proposition de loi sont importants et nécessitent que l’on intervienne pour combler les carences qui existent. Malheureusement, autant ce titre est prometteur, autant le contenu du texte est décevant.

Le premier défaut de cette proposition de loi est d’avoir voulu courir deux lièvres à la fois pour, bien entendu, n’en attraper aucun ! L’expertise en matière de santé et la protection des lanceurs d’alertes sont deux thèmes qui posent des problèmes différents et ne peuvent donc être traités dans le cadre d’une réponse commune. Ni dans un cas ni dans l’autre, la réponse ne peut venir de la création d’un énième machin administratif qui ne fera que rajouter une couche de complexité.

M. Martial Saddier. Tout à fait ! Il y en a déjà beaucoup trop !

M. Lionel Tardy. L’expertise scientifique est régulièrement critiquée, parfois à juste titre, souvent en raison de conflits d’intérêts. Les scandales déclenchés par la révélation de liens entre les experts sollicités pour les mises sur le marché de médicaments et l’industrie pharmaceutique se succèdent. Une intervention des pouvoirs publics est donc nécessaire et la solution passe par la transparence et le contrôle. Les déclarations d’intérêts des experts doivent être systématiques, précises et publiques. Les mensonges ou omissions doivent être sévèrement sanctionnés, financièrement ou par la nullité des décisions prises à la suite d’expertises rendues par des experts en situation de conflit d’intérêts non déclaré. Croyez-moi, mes chers collègues, on assainirait déjà bien des choses en procédant de la sorte.

Il faut également que les éventuelles collusions qui s’opèrent après l’expertise soient détectables, afin d’éviter les renvois d’ascenseur. Malheureusement, je ne vois strictement rien dans le texte à ce sujet. C’est pourtant bien là qu’il faut agir, et non pas en créant un nouveau machin administratif sans pouvoirs et sans moyens face à une industrie qui elle, dispose de moyens importants et ne s’embarrasse guère de scrupules déontologiques – ce n’est pas Mme la présidente de la commission qui me démentira !

Croire que la simple édiction de règles déontologiques changera quelque chose, c’est faire preuve d’une naïveté confondante. Pour ce qui est des lanceurs d’alertes, cette proposition de loi est également à côté de la plaque. L’erreur principale réside dans le fait de s’intéresser aux alertes plus qu’aux lanceurs d’alertes, et de se cantonner aux seules alertes sanitaires et environnementales.

M. Michel Issindou. Ce n’est déjà pas si mal !

M. Lionel Tardy. On a l’impression, en lisant cette proposition de loi, mais également le rapport, que vous ignorez l’existence de la loi du 13 novembre 2007 de lutte contre la corruption, qui traite de la protection des lanceurs d’alerte, ainsi que de la résolution 1729 du Conseil de l’Europe et de la recommandation 1916, datant de 2010, qui l’accompagne. En 2011, le G20 de Séoul a également émis des recommandations et l’OCDE a présenté des premières orientations en mai 2011.

Un cadre existe au niveau national comme international. Des procédures étant déjà prévues, il aurait été plus intelligent de les reprendre et de les améliorer, d’autant qu’il y a des besoins criants en la matière. Au lieu de cela, vous prétendez construire un dispositif ad hoc pour la santé et l’environnement qui, parfois, ne concorde pas avec l’existant.

Le principal problème français est la protection des fonctionnaires, qu’ils soient titulaires ou contractuels, une protection très mal assurée. Leur seul rempart est la jurisprudence des tribunaux administratifs, à part quoi il n’y a rien ou presque. Un fonctionnaire qui applique l’article 40 du code de procédure pénale qui l’oblige à dénoncer les crimes et délits dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions peut se retrouver sanctionné pour faute grave ! C’est une question sur laquelle il faudra revenir.

Cette proposition de loi, non seulement ne règle pas les problèmes, mais risque d’en créer davantage en désorganisant le cadre existant. Les règles que vous instituez ne concernent que les alertes en matière sanitaire et environnementale, créant ainsi une différence avec les alertes relatives, par exemple, aux détournements de fond ou aux autres violations du droit. Il faut un traitement unifié et commun à tous les lanceurs d’alertes. Or, on prend ici la direction opposée.

Parmi les critères communs de la recevabilité de l’alerte au niveau international, il y a la bonne foi, que l’on retrouve dans ce texte, mais également un minimum d’expertise de la part du lanceur d’alerte : il faut quand même qu’il sache de quoi il parle ! Or, dans votre texte, pratiquement n’importe qui peut lancer une alerte sur n’importe quoi, même sur un sujet auquel il ne connaît et ne comprend rien. On va ainsi avoir des alertes lancées par des personnes qui n’auront pas eu toute l’information ou qui l’auront comprise de travers.

Après enquête, on va s’apercevoir qu’il n’y avait rien et que c’est le lanceur d’alerte qui s’est trompé. Mais si cette alerte transpire et que la presse s’empare du sujet, le mal sera fait : des entreprises ou des organismes publics pourront déjà avoir subi de gros dégâts. Nous ne sommes pas tous experts et encore moins tous habilités à lancer des alertes sur tout – surtout sur des questions aussi techniques que la santé ou l’environnement, avec des conséquences parfois graves en cas de fausse alerte.

M. Michel Issindou. Donc, selon vous, il vaudrait mieux de rien dire, ne rien faire !

M. Lionel Tardy. Le pire réside dans l’obligation de tenir des registres des alertes – une pratique qui s’apparente à du fichage. Alors que, pour certaines alertes, la discrétion et la confidentialité sont requises, voilà que vous proposez de rendre public le fait que telle personne a alerté sur tel sujet. C’est franchement contre-productif car, si aucun dispositif anti-représailles crédible n’est prévu, on dissuade ainsi clairement les lanceurs d’alertes de se manifester.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Tardy.

M. Lionel Tardy. J’ai pratiquement terminé, madame la présidente.

J’ai vraiment le sentiment que cette proposition de loi, si elle est adoptée en l’état, va dissuader les lanceurs d’alerte, alors qu’il faudrait au contraire les protéger.

Voilà donc un texte plein de bonnes intentions, qui pointe le doigt sur de vrais sujets mais qui, non seulement passe complètement à côté de ses objectifs, mais se révèle nocif.

Si je partage pleinement les préoccupations qui sous-tendent ce texte, je ne suis absolument pas d’accord avec les solutions proposées. À mon grand regret, je voterai donc résolument contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Caullet.

M. Jean-Yves Caullet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis un peu étonné par ce que nous venons d’entendre, qui revient pratiquement à affirmer qu’il faudrait empêcher les lanceurs d’alerte de parler, afin de leur éviter de prendre des risques inutiles.

Vous le savez, il est des lois qui contraignent par l’interdit ou l’obligation et, si nous préférions nous en passer, elles sont malheureusement nécessaires pour préserver l’intérêt général – la nature humaine est ainsi faite. Il est, par ailleurs, des lois qui organisent l’exercice des libertés et protègent : la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est incontestablement de celles-là.

Protection des lanceurs d’alerte pour la protection de la société, de l’environnement. Protection de tous par la protection de l’exercice de la liberté d’alerte de quelques-uns. On peut, bien entendu, comprendre ceux qui craignent une instrumentalisation de cette protection et les dérives auxquelles elle peut donner lieu. Cependant, au regard des risques pris dans la situation actuelle et des dommages réels subis sous le régime du silence contraint, je vous avoue très sincèrement que je préfère prendre ce risque-là plutôt que celui de voir survenir de nouvelles catastrophes !

Je ne ferai pas la liste des scandales passés, mais je crois qu’il vaut décidément mieux la liberté et l’alerte que le silence, qui dissimule souvent une fausse prudence.

Mme Bernadette Laclais. Très bien !

M. Jean-Yves Caullet. L’équilibre ou le déséquilibre est d’ailleurs parfaitement pris en compte par la proposition : même si cela reposera en grande partie sur la jurisprudence, les termes de bonne foi et de diffamation, la notion de limites en cas d’excès sont clairement exposés.

Ce texte repose donc sur un principe de protection, mais aussi d’organisation du traitement des alertes et de contrôle des règles déontologiques de l’expertise dont, à mon sens, la transparence est la principale garantie. Je dois vous dire mon scepticisme en matière d’indépendance : l’indépendance de qui, de quoi ? Comment la compétence et l’indépendance totale pourraient-elles être durablement garanties ? En revanche, je crois que la transparence est indispensable. Si l’on sait qui donne un avis d’expert, si l’on sait comment son expertise a été acquise, si l’on peut croiser les discours et les expertises des uns et des autres, alors l’administration publique et les représentants du peuple que nous sommes pourrons prendre des décisions de manière efficace au vu et au su de tout un chacun.

Nous savons tous que les innovations technologiques vont en s’accélérant, et nous voyons bien le risque du choix répété entre renoncement au progrès et aventure. L’appréciation du progrès et de ses risques ne saurait désormais plus appartenir à quelque cénacle que ce soit : en prenant acte de ce fait de société, la proposition de loi permet de sortir du dilemme que j’ai évoqué et c’est là, me semble-t-il, toute sa modernité.

Cette proposition de loi permet aussi une vigilance partagée vis-à-vis des nouvelles mises en marché, de l’arrivée de nouveaux produits, fabriqués en France ou provenant de l’étranger.

M. Martial Saddier. Il y a déjà des lois en la matière !

M. Jean-Yves Caullet. Cette vigilance constitue un atout économique en même temps qu’une protection de la société : c’est là un argument de nature à rassurer l’ensemble du secteur de la production dans notre pays.

Pour toutes ces raisons, je soutiens ce texte dont je veux saluer l’initiative, ainsi que le travail d’amélioration et de maturation effectué au sein des assemblées et des commissions. Une proposition n’a pas à être parfaite d’emblée – si c’était le cas, à quoi servirions-nous ?

C’est bien un texte travaillé, pondéré et mûri qui vous est soumis et je crois que les débats que nous aurons à la suite de la discussion générale permettront d’aboutir à un texte efficace et attendu.

Mes chers collègues, tout à l’heure, l’un d’entre nous concluait son propos en citant La Fontaine. Je me contenterai pour ma part de rappeler le propos d’un homme moins prestigieux sur la scène publique mais qui m’est beaucoup plus cher, un de mes instituteurs, qui nous avait dit un jour : « vous êtes libres, mais responsables. »

Les lanceurs d’alerte, par le passé, se sont montrés responsables et souvent à leur corps défendant. Il nous appartient de garantir leur liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte.

Je reconnais que le sujet est pleinement d’actualité, mais permettez-moi néanmoins de rappeler que le législateur ne doit légiférer sous le coup ni de l’émotion ni de l’actualité, et encore moins dans la précipitation. Or c’est exactement ce que nous faisons : cette proposition de loi me semble totalement précipitée, insatisfaisante et peu adaptée à l’objectif qu’elle s’est fixé.

En effet, dans ses motifs, il est clairement inscrit qu’elle complète, sans toutefois les remplacer, « les mécanismes institutionnels existants par des procédures permettant à des alertes de voir le jour et d’être instruites, à des conditions et selon des modalités précisément définies ». Pour y parvenir sera donc créée la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement.

Permettez-moi tout d’abord d’émettre une première réserve, et non des moindres, concernant le caractère « précis » des modalités attachées à cette nouvelle commission. En effet, nous examinons une proposition de loi, donc un texte qui, par nature, vous le savez tous, n’est pas assorti d’une étude d’impact. Sur un sujet comme celui-ci, cela mérite d’être souligné, vous en conviendrez. Qu’en est-il donc du volume des dossiers que cette nouvelle structure aura à traiter ? Combien de personnes y seront affectées ? Quel sera le montant de son budget de fonctionnement ? Autant d’interrogations auxquelles aucune réponse n’a été fournie en commission ni ne pourra être avancée au moment où nous examinons le texte.

Le flou artistique qui entoure les modalités de fonctionnement de la commission et sa composition est aggravé par le fait qu’un décret en Conseil d’État devra réglementer ces différents aspects ; un élément qui nous rassure cependant, car nous disposons d’un peu de temps avant qu’un tel décret soit publié. Je doute donc très fortement de la capacité de cette nouvelle instance à traiter efficacement l’ensemble des alertes dont elle sera saisie, et ce d’autant plus qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte.

Ce doute est renforcé – c’est la deuxième réserve que je souhaiterais émettre et dont nous avons déjà longuement débattu en commission – en raison du risque de complexité accrue que ce nouveau dispositif pourrait entraîner au regard des procédures déjà existantes en matière d’expertise et d’alerte.

En effet, la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, que nous avons portée, a déjà permis des progrès notables quant à l’indépendance de l’expertise publique et à la protection des lanceurs d’alerte dans le domaine de la pharmacovigilance.

Ce texte, tout comme la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, visait à réduire le délai entre l’apparition d’un risque et la prise de conscience de ses effets et à apporter à celui-ci une réponse efficace et rapide.

Récemment, la loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la charte de l’environnement, à laquelle l’opposition a pris une part active – ceux qui étaient au Sénat ont pu constater à quel point le rôle de l’opposition a été décisif en commission mixte paritaire –, a largement renforcé l’information et l’association des citoyens aux débats sur l’ensemble des projets ayant une incidence sur l’environnement, à la demande notamment du Conseil constitutionnel.

De plus, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement qui serait créée par cette proposition de loi viendrait se superposer – mes chers collègues, j’espère que vous êtes bien assis – aux 1 244 agences nationales existantes dans notre beau pays.

M. André Chassaigne. C’est la multiplication des pains !

M. Martial Saddier. Dans le domaine sanitaire, pas moins de dix agences sont déjà spécialisées sur ces questions,…

M. André Chassaigne. Vous pouvez nous les citer ?

M. Martial Saddier. …dont l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et l’Institut de veille sanitaire, qui ont largement fait leurs preuves et qui font référence non seulement sur le territoire national, mais aussi en Europe et dans le monde. À celles-ci viennent s’ajouter quatorze agences rattachées au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie qui traitent essentiellement des problèmes environnementaux. Vingt-quatre agences nationales s’occupent donc d’ores et déjà des problèmes environnementaux et sanitaires ; allons-y pour la vingt-cinquième !

La création d’une nouvelle structure en la matière ne simplifierait en aucun cas l’examen et l’instruction des alertes qui pourraient être émises. Au lieu d’ajouter une nouvelle strate au millefeuille des agences sanitaires existantes, il aurait sans doute été préférable que la proposition de loi s’attache avant tout à une rationalisation des agences d’expertise, de leurs missions et de leurs domaines d’intervention.

Enfin, et c’est là ma dernière réserve, je suis persuadé que cette proposition de loi risquerait, au nom du principe de précaution, de nuire gravement à la recherche-développement au sein des entreprises ; permettez-moi d’ailleurs de rappeler à cette occasion qu’en tant qu’ancien rapporteur de la charte de l’environnement, j’avais avec Mme Nathalie Kosciusko-Morizet participé aux discussions sur le principe de précaution inscrit dans la charte, texte à valeur constitutionnelle, et que celui-ci ne s’applique pas aux problèmes de santé. En tout état de cause, tel qu’il est rédigé, l’article 20 entraînerait des conséquences graves pour la recherche : dans l’hypothèse où un produit présenterait un défaut impossible à déceler au moment de la mise sur le marché au vu de l’état des connaissances scientifiques et techniques d’alors, les employeurs ne pourront se prévaloir de cette absence de moyens.

Par ailleurs – et nous n’avons reçu en commission aucune réponse sur ce point, pourtant très important – la création d’un statut particulier pour la catégorie des lanceurs d’alerte soulève de nombreuses incertitudes juridiques en leur conférant une quasi-immunité qui instaure une inégalité vis-à-vis des autres salariés de l’entreprise.

Que dire de la définition juridique du lanceur d’alerte, qui doit être « de bonne foi » ? Sur ce point également, en commission des demandes ont émané de députés de tous les groupes, sans recevoir de réponse.

Chers collègues, vous vous en doutez, je voterai contre cette proposition de loi. Je suis convaincu, comme mes collègues du groupe UMP, qu’il faudra favoriser une expertise pluraliste, contradictoire et transparente. Il faudra nécessairement envisager prochainement une redéfinition des protocoles d’expertise face aux nouveaux risques émergents et prévoir une harmonisation des pratiques de l’expertise ainsi qu’un regroupement des commissions sanitaires déjà existantes. Nous aurons à mener ces travaux, monsieur le ministre, afin de garantir plus de lisibilité aux entreprises sur les obligations qui leur incombent en matière d’alerte, de permettre une meilleure exploitation des données et de renforcer l’indépendance de l’expertise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt. Après les excellentes interventions de mes trois collègues du groupe socialiste quant à l’opportunité et au bien-fondé de ce texte, mais aussi aux espoirs de restaurer la confiance de nos concitoyens dans l’expertise des organismes chargés de porter la parole de l’autorité publique, je pense qu’il est inutile que je m’attarde sur son contenu.

Je dirai toutefois à mon collègue Bertrand Pancher, qui a estimé devoir s’abstenir, que l’adoption d’un certain nombre d’amendements déposés par le groupe socialiste, avec l’accord de M. le rapporteur, pourrait peut-être lui donner satisfaction et l’amener à voter ce texte. Si tel était le cas, il se placerait alors dans la ligne de ce qu’a pu accomplir, au cours de la précédente législature, le groupe centriste auquel a succédé l’actuel groupe UDI : je pense notamment à l’action relative aux perturbateurs endocriniens.

Je ne crois pas, monsieur Gest, qu’il s’agisse là d’un texte « avatar » et que nous perdions du temps. Les quelques heures que nous passerons à discuter de l’expertise et de la protection des lanceurs d’alerte ne dépasseront pas le temps qu’ont pris les incidents qui ont déjà émaillé la discussion d’un autre texte qui occupe notre assemblée plus durablement que celui-ci…

Vous avez, cher André Chassaigne, regretté que ne soit pas constituée une Haute Autorité. Mais, vous le savez bien, ce qui importe, c’est la mission, c’est la finalité : la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement répondra tout à fait à votre préoccupation quant au recueil de l’alerte.

Qui est ce lanceur d’alerte qu’il faudrait protéger et que l’on ne connaît pas ? Nous, qui siégeons sur les bancs socialistes, écologistes et, plus généralement, de la gauche, nous en connaissons. Je connais par exemple l’actuel porte-parole du Réseau environnement santé, M. Cicolella. Parce qu’il avait lancé l’alerte sur les effets cancérogènes des éthers de glycol, ce salarié de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, a été licencié du jour au lendemain alors qu’il travaillait pour un organisme doté d’une fonction publique.

M. Paul Molac, M. Gérard Sebaoun et M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Gérard Bapt. Il n’a été réintégré que par la décision de jurés devant la Cour de cassation.

Aujourd’hui, le problème n’est pas d’ajouter une couche au millefeuille existant mais que les alertes soient entendues, traitées et suivies d’effet. Tel est bien le rôle de cette commission nationale. Il faudrait que les alertes soient prises en considération, et pas seulement lorsque le scandale arrive ou lorsque des femmes admirables tentent de faire entendre leur voix. On a cité Irène Frachon mais je voudrais mentionner une autre femme, qui est aujourd’hui parvenue à faire entendre le message qu’elle voulait diffuser. Elle s’appelle Marion Larat et vit à Bordeaux ; c’est parce qu’elle s’est battue pendant plusieurs années et qu’elle a déposé, en désespoir de cause, une plainte en justice que la question de la prescription de la pilule contraceptive de troisième génération est aujourd’hui prise en considération de la manière la plus large et sérieuse possible.

Quant à l’expertise, elle doit véritablement être dénuée de toute suspicion. Quelqu’un a évoqué l’intérêt de la vaccination pour la population. Qui, dans cet hémicycle, la mettrait en doute ? On sait pourtant qu’un doute s’insinue aujourd’hui dans l’esprit de nos compatriotes quant à l’intérêt du vaccin et ses risques éventuels. Si la gestion très maladroite de la crise déclenchée par la pandémie H1N1 a pu susciter l’inquiétude, la préoccupation de nos concitoyens est surtout le résultat de la présence dans un certain nombre de vaccins d’un adjuvant nocif, le sel d’aluminium.

Il y a quelques années, le centre régional de pharmacovigilance de Bordeaux émettait des doutes sur le sujet et demandait l’expertise de l’ancienne Agence française de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, estimant qu’il y avait lieu de mener des études scientifiques pour déterminer l’utilité de cet adjuvant, sa nocivité et, le cas échéant, l’opportunité de le remplacer par d’autres produits. Le conseil scientifique de l’AFSSAPS s’est saisi de cette recommandation et a conclu qu’il était inutile d’engager des crédits pour de telles recherches. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui s’est substituée à l’AFSSAPS, vient au contraire de décider, avec dix ans de retard, de lancer une étude scientifique publique, dont le comité de pilotage sera ouvert à la société civile, pour trancher définitivement la question. Nous avons perdu dix ans !

Voilà pourquoi il faut protéger les lanceurs d’alerte ; il faudrait même parfois les honorer. Le premier à avoir alerté au sujet des cas de valvulopathie liés à la prise de Mediator, en 1999, était le docteur Chiche, à Marseille. Après avoir subi un certain nombre de pressions à l’époque pour ce qu’il avait osé dire au sujet des capacités amphétaminiques du médicament – il fallait non seulement notifier les éléments, mais également les inscrire dans le Vidal –, cet homme est aujourd’hui sur le point d’être mis en examen parce qu’il est traîné en justice pour diffamation par le laboratoire Servier. Notre société, notre République pourraient aussi honorer ces lanceurs d’alerte-là. En tout cas, aujourd’hui, il s’agit de les soutenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut bien sûr que partager les intentions de cette proposition de loi mais, parce que ce dont il s’agit c’est de la sécurité en matière de santé et d’environnement, seule compte la règle bénéfice-risque de tout produit, de tout procédé, de toute disposition destinés soit à la simple consommation, soit à la protection, soit à l’amélioration de l’environnement ou de la santé.

Or si ce texte était voté dans les termes actuels – il a pourtant été largement allégé par le Gouvernement et le Sénat – il pourrait avoir des effets contreproductifs et même comporter certains dangers.

Sur une question aussi importante, qui a un impact direct sur la recherche, l’industrie, la compétitivité, donc l’emploi de notre pays, la procédure de la proposition de loi est parfaitement inadaptée, Martial Saddier vient de le préciser.

M. Lionel Tardy. C’est évident !

M. Bernard Accoyer. Une proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous le savez, donne des moyens indigents. Ainsi, aucune étude d’impact n’est effectuée. Or, comment aborder un domaine aussi vaste en s’exonérant d’une étude d’impact ? Il aurait été nécessaire d’évaluer les textes qui existent déjà ; car ils existent, comme vient de le démontrer Gérard Bapt, et les procédures finissent toujours par aboutir.

Il y a bien entendu, au sein même de notre institution, l’OPECST, qui n’a pas été consulté, monsieur le rapporteur. Cet office parlementaire est l’émanation de ce que la démocratie a imaginé pour évaluer les choix scientifiques et technologiques. Je pense aussi au Comité d’évaluation et de contrôle qui est, lui aussi, compétent en la matière.

La première partie du texte prévoit la création d’une commission nationale de la déontologie, totalement redondante. Une réforme est nécessaire pour alléger le poids des agences existantes, nombreuses et coûteuses – 2,5 milliards d’euros chaque année –, améliorer leur efficacité et renforcer la sécurité. Mme Touraine, ministre de la santé, a d’ailleurs annoncé cette réforme ; une fois n’est pas coutume, je la soutiens sur ce point.

La deuxième partie du texte crée un conflit frontal avec les comités d’hygiène et de sécurité. Les partenaires sociaux se sont d’ailleurs chargés d’en vider le contenu. Il restera quand même des seuils, des charges, des coûts supplémentaires, des contraintes et des risques juridiques pour nos entreprises, alors que ce n’est pas le moment de charger la barque, si j’en crois ce qui s’est dit ici même ce matin, lors de la réunion de la mission d’information sur la compétitivité de l’économie française.

La troisième partie, qui traite du statut des lanceurs d’alerte, est porteuse d’effets dangereux, pour ne pas dire pervers. L’alerte doit déclencher l’expertise, c’est ce qu’elle fait aujourd’hui. L’observatoire interacadémique de l’expertise, qui regroupe l’académie de médecine, l’académie des sciences morales, l’académie des technologies, l’académie des sciences, alerté – si j’ose dire – par votre texte, s’est exprimé : « les risques de futilité, d’encombrement, de manipulation idéologique, d’invocation abusive du principe de précaution et d’amplification médiatique soulèvent un problème d’intérêt public. »

En effet, vous prévoyez de créer un statut dérogatoire qui permettrait de dire n’importe quoi, sans aucune compétence, autorisé par la seule bonne foi. En face, l’entreprise, le chercheur, devraient prouver objectivement l’innocuité totale du process ou du produit.

Madame la présidente de la commission, vous avez souvent évoqué votre profession – ce qui n’est ni habituel ni souhaitable dans cet hémicycle (Murmures sur les bancs du groupe SRC.) – et vous savez très bien que les produits inoffensifs à 100 % n’existent pas, qu’il est impossible scientifiquement de prouver l’absence totale de dangerosité. Ce déséquilibre crée une situation inextricable, extrêmement dangereuse pour l’avenir.

C’est d’autant plus le cas que l’alerte est devenue un exercice de médiatisation. Je pense notamment à l’opération Séralini, qui mériterait – je l’affirme publiquement à cette tribune – une enquête parlementaire pour en connaître les réseaux de financement et le mécanisme d’élaboration ; vous seriez bien surpris de constater que certains liens aboutissent directement au milieu sectaire ! (Protestations sur les bancs du groupe écologiste.) Il y a lieu de protéger la société de cette très dangereuse dérive.

Puisque notre collègue Gérard Bapt a cité quelques exemples, je voudrais vous parler de soi-disant alertes données sur des vaccins. En 1999, aux États-Unis, des publications erronées, sans fondements et formellement démenties par la suite, ont dénoncé les effets de la vaccination contre la rougeole. Une épidémie de rougeole est survenue l’année suivante en Irlande, faisant passer en un an le nombre de cas de 148 à 1 603 et causant la mort de trois personnes. En France, la campagne a été relayée et en 2011, six personnes sont mortes de la rougeole, une maladie qui était pratiquement éradiquée avant cette polémique.

Nous avons aussi assisté, ici même, dans cet hémicycle, à des interpellations du ministre de la santé de l’époque, mettant en cause le vaccin contre l’hépatite B. Quinze ans après cette soi-disant alerte, la France reste le pays occidental où l’on dénombre le plus de morts par hépatite grave, par cirrhose hépatique et par cancer post-hépatique. Telle est la réalité aujourd’hui. La polémique sur les adjuvants est de la même veine.

Ce texte étant dangereux, nous devons prendre de la hauteur et étudier tous ensemble les moyens d’améliorer l’expertise et l’évaluation, de façon à renforcer véritablement la sécurité alimentaire, sanitaire et environnementale des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, je suis heureuse d’intervenir sur cette proposition de loi qui m’apparaît particulièrement importante.

À mon tour, je tiens à saluer le travail de nos collègues sénateurs et celui des deux commissions saisies à l’Assemblée, qui ont modifié et complété ce texte, notamment en choisissant de ne pas étendre les prérogatives des CHSCT en matière de gestion des alertes, ce qui ne semblait pas pertinent pour les raisons déjà évoquées par le rapporteur.

Ces enrichissements, qui témoignent d’un travail collectif et constructif entre les groupes de la majorité, nous conduisent à examiner une loi complète et équilibrée, marchant sur ses deux pieds : le renforcement de la déontologie de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte.

Je souhaite centrer mon intervention sur le second pilier, celui des lanceurs d’alerte. Cette thématique m’intéresse car elle pose non seulement une question sanitaire et environnementale importante, mais plus largement une question démocratique. Il me semble qu’en ces temps où la confiance de nos concitoyens en un certain nombre d’institutions peut être ébranlée, les problématiques démocratiques au sens large – les questions de participation des citoyens – doivent être plus que jamais au cœur de nos réflexions et de nos actions.

Comme l’ont déjà dit certains de mes collègues, combien de problèmes sanitaires, du médiator au Bisphénol A, auraient pu être évités si les lanceurs d’alerte avaient été entendus ? Comme Gérard Bapt, je voudrais rendre hommage à André Cicolella, président du réseau Environnement Santé, chercheur aujourd’hui à l’INERIS, qui s’était trouvé licencié pour insubordination suite à ses recherches sur les risques liés aux éthers de glycol, solvants classés depuis comme toxiques.

Demain, combien de problèmes nous seront encore révélés ? Je pense notamment aux associations mobilisées sur les dangers des ondes électromagnétiques – je fais habilement le lien avec la suite de l’ordre du jour (Sourires.)

Il était donc indispensable d’agir pour reconnaître les lanceurs d’alerte et encadrer leur rôle. Malgré leur utilité avérée, la France, contrairement à d’autres pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis – où on les appelle joliment les whistleblowers, les souffleurs – n’a pas encore institué de dispositif pour les protéger juridiquement. Or ces personnes peuvent subir d’importantes discriminations et voir leur carrière professionnelle freinée. La crainte de représailles, les pressions exercées par les employeurs, la vulnérabilité des individus face à des intérêts souvent puissants sont autant d’éléments qui peuvent conduire certains citoyens à se taire.

Comme je le disais tout à l’heure, cette proposition est à mes yeux importante car elle nous invite à un changement de paradigme sur l’expertise. Il ne s’agit pas ici d’opposer la société civile aux experts scientifiques, mais de sortir d’une vision exclusive de l’expertise, en considérant que celle-ci peut se constituer de manière collective, à travers les contributions des citoyens, des salariés, des militants associatifs, de tous ceux qui s’engagent de manière désintéressée pour la défense de l’intérêt général, et qui sont autant d’importants contre-pouvoirs.

À cet égard, il me semble important de créer un canal permettant de porter une attention aux alertes qui soit indépendante des relais médiatiques dont celles-ci peuvent bénéficier. Il convient aussi de développer ces contre-pouvoirs afin de se prémunir des expertises toutes faites fournies par les lobbies qu’évoquait Catherine Lemorton ce matin, ou du rôle joué par ces personnalités qui usent de leur notoriété ou de leur position d’autorité morale pour relayer des messages de lobbyistes. Gérard Bapt reviendra, je crois, sur ce point.

Mais ce texte est équilibré et il ne s’agit pas d’ouvrir la voie à la diffamation, aux rumeurs infondées, au sensationnalisme. La proposition de loi prévoit au contraire explicitement l’intervention de la justice pénale en cas de mauvaise foi, d’intention de nuire ou de connaissance de l’inexactitude des faits dénoncés. De plus, en sécurisant la phase de lancement des alertes, en assurant un suivi, un meilleur traitement et un retour sur l’analyse des alertes, on contribue à mettre de l’ordre dans une société de la surinformation, tout en ne passant pas à côté de signaux essentiels pour notre avenir collectif.

Ce texte traite aussi des alertes dans le domaine environnemental. À ce titre, je voudrais mentionner la Charte de l’environnement, texte à valeur constitutionnelle, qui a érigé la protection de l’environnement comme devoir incombant à chaque citoyen. C’est dans ce cadre que s’inscrit la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Nous devons l’expression « lanceurs d’alerte » à des travaux sociologiques qui se sont intéressés à ce concept il y a quinze ans, sous la plume notamment de Francis Chateauraynaud et de Didier Torny. De ce travail a émergé dans le débat public une problématique ; celle-ci finit par trouver son inscription dans la loi, cette trajectoire doit être également soulignée.

La loi protégera désormais les lanceurs d’alerte contre toute atteinte à leur vie privée et professionnelle, tout en renforçant les processus d’examen et de contrôle des alertes. En ce sens, cette proposition de loi permet de renforcer la démocratie sanitaire et environnementale ; elle apparaît donc comme un progrès social très important. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy.

M. Arnaud Leroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure pour avis, monsieur le rapporteur, madame et monsieur les présidents de commission, mes chers collègues, cette proposition de loi, adoptée par le Sénat et dont ma collègue Marie-Line Reynaud a été la brillante rapporteure pour avis de la commission du développement durable, constitue une avancée majeure qu’il s’agit, n’en déplaise à M. Accoyer, de ne pas laisser passer.

Ce texte, qui définit la notion d’alerte en incluant la notion de bonne foi et, par voie de conséquence, de désintéressement, vient combler un vide législatif, particulièrement en matière de pollution et de mise en péril, potentielle ou effective, de la vie d’autrui – j’inclus l’environnement.

De nombreuses associations demandent depuis longtemps que les lanceurs d’alerte soient reconnus et protégés. Le rapport Lepage, élaboré dans le cadre du Grenelle, et le rapport Pancher sur la gouvernance environnementale, commandé en 2011, avaient proposé une reconnaissance et une protection mais, comme souvent sous l’ancienne majorité, ils n’avaient pas été suivis d’effets.

M. Bertrand Pancher. Ça avait bien commencé mais ça se poursuit mal…

M. Arnaud Leroy. On ne peut donc que se féliciter de l’initiative de la sénatrice Marie-Christine Blandin, qui a repris le dossier et en a fait une proposition de loi.

Les lanceurs d’alerte sont devenus indispensables au bon fonctionnement de nos sociétés, où se mêlent, comme l’ont souligné plusieurs orateurs, progrès scientifique et intérêts financiers. Ils ne doivent plus craindre pour leur vie personnelle et professionnelle lorsqu’ils découvrent un danger en matière de santé ou d’environnement et souhaitent en alerter les pouvoirs publics et les médias.

Car c’est bien grâce à ces « dénonciateurs désintéressés » – expression en cours au Québec –, que l’ensemble de la société française a eu connaissance des effets mortels du Médiator – j’ai été étonné de ne pas retrouver ce médicament dans la longue liste évoquée par le président Accoyer –, ou de la pilule Diane 35.

Les effets cancérigènes du tabac ou les risques de santé liés à l’utilisation de l’hormone de croissance bovine ont été dénoncés par des whistleblowers, littéralement « ceux qui donnent des coups de sifflet », reconnus aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Autriche.

Je rejoins nombre de nos collègues pour affirmer qu’il n’est nul besoin d’une énième agence, d’un énième budget…

M. Martial Saddier. Ah ! Très bien !

M. Arnaud Leroy. …et je salue les propositions de simplification qui ont été faites et adoptées par la commission du développement durable. La création d’une commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé et d’environnement répondra aux objectifs de déontologie, de contrôle, de protection, d’accessibilité et de réactivité.

Dans le titre I, article 1er de la proposition de loi, la Commission est positionnée comme la gardienne des pratiques déontologiques des établissements et organismes publics ayant une activité d’expertise ou de recherche dans les domaines de la santé ou de l’environnement.

Elle n’est pas là pour agir à la place des agences, mais bien pour s’assurer que les procédures desdites agences sont respectées et garantir leur indépendance et leur expertise.

Les enjeux environnementaux pour les années à venir sont considérables tant pour la santé publique que pour le développement économique. Les pouvoirs publics avaient l’obligation de réagir ; c’est chose faite avec cette proposition de loi, et je ne peux que m’en réjouir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et monsieur les rapporteurs, les débats – les combats même – autour de la déontologie, de l’expertise et de la notion d’alerte ne sont pas nouveaux.

Pour mieux appréhender les mécanismes qui ont parfois conduit à de véritables scandales sanitaires et environnementaux, il faut nous arrêter quelques instants sur les notions d’incertitude et de controverse en science, sur la notion d’expertise, sur la naissance et le traitement de l’information, étant entendu que tous ces éléments se conjuguent évidemment en temps réel.

L’incertitude scientifique ne pose pas problème. Elle implique et justifie davantage de recherche, afin de la réduire. Il en va différemment de la controverse, qui atteste, elle, d’éléments contradictoires que la science ne semble pas pouvoir résoudre à un instant donné.

Nous savons que certains experts peuvent être réticents à l’idée d’exprimer des avis contradictoires qui pourraient les marginaliser dans leur discipline. En effet, chaque discipline est régie par un cadre théorique ou des écoles de pensée ; elle a ses codes et ses propres relations aux autres acteurs. On court toujours le risque d’une pensée formatée, celui d’une forme de consanguinité disciplinaire.

L’information, elle, autorise, à notre corps défendant, toutes les dérives et toutes les manipulations ; à l’inverse, elle permet l’accès en temps réel à des masses de documents qu’il faut encore savoir trier et décrypter.

Certains considèrent que la controverse scientifique ne devrait jamais être exposée publiquement. D’autres, au contraire, plaident pour l’exposition, afin qu’apparaissent tous les enjeux : enjeux scientifiques certes, mais aussi économiques, sociaux, politiques ou symboliques.

L’absence d’information quand un problème surgit peut être perçue comme de la dissimulation. Au contraire, la communication de crise, exercice complexe, a pour objet de rétablir la confiance, ce qui passe par la délivrance d’une véritable information responsable plutôt que par des éléments de pure communication.

L’alerte et les lanceurs d’alerte sont un chaînon essentiel si l’on veut que des faits potentiellement menaçants pour l’environnement et la santé puissent faire l’objet de signalements, puis d’expertises. Et ce d’autant que la capacité de certains groupes à peser pour retarder l’établissement de preuves scientifiques, notamment par l’information – ou la désinformation devrais-je dire –, n’est plus à démontrer.

Des exemples récents illustrent la nécessité d’une telle loi, et je veux m’arrêter un instant sur l’étude du professeur Séralini, évoquée par le président Chanteguet et largement caricaturée par le président Accoyer. (« Mais non ! » sur les bancs du groupe UMP.) Avec son lot de souris boursouflées de tumeurs exposées face caméra, cette étude a eu l’effet attendu par son auteur, celui d’une bombe qui fit la une des médias pendant quelques jours.

Si la scénarisation était discutable et si l’étude elle-même a été largement critiquée sur le plan méthodologique, elle a eu l’immense mérite de pointer l’absence d’études suffisantes sur le maïs génétiquement modifié, notamment sur l’inconsistance des études produites par la firme Monsanto. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Gérard Bapt et M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Bravo !

M. Gérard Sebaoun. L’audition de l’ANSES par nos deux commissions a été à ce propos très éclairante. En effet, le professeur Séralini a été dans cette affaire un lanceur d’alerte parmi d’autres, et on ne pourra en rester là sur cette question. À nous de demeurer particulièrement vigilants, et je répondrai à M. Accoyer que la mise en place d’une commission travaillant sur le sujet avec Monsanto pourrait être utile.

Je ne vous dirai rien du texte lui-même, qui a été déjà excellemment décrit par les intervenants qui m’ont précédé, mais je veux à mon tour saluer le travail de nos deux rapporteurs.

Je regrette que l’Académie nationale de médecine se soit immédiatement – les dates en font foi – montrée hostile à la loi dont nous débattons lors de sa présentation au Sénat, déclarant : « Légitimer l’alerte au détriment de l’expertise risquerait de faire passer la prise de décision politique avant l’évaluation scientifique. »

Cette déclaration tient davantage de la posture que d’une lecture attentive et objective de la proposition de loi par nos vénérables académiciens. En effet, il ne s’agit nullement de nier l’expertise et encore moins de se substituer à l’évaluation scientifique.

L’alerte a vocation à accroître notre vigilance collective, et je partage l’observation de Francis Chateauraynaud, sociologue et directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales, qui écrivait en 2009 : « Tout processus d’alerte tend à suspendre, au moins quelque temps, l’évidence des routines ordinaires et, ce faisant, nous contraint à l’attention et à la vérification. »

Il nous rappelle aussi qu’il est de notre responsabilité de ne méconnaître aucun signal permettant la détection d’un nouveau risque, quelle qu’en soit la cause initiale, que ce risque découle d’activités anciennes et banalisées ou d’activités liées aux nouvelles technologies. Et c’est parce que les experts et les membres des différentes institutions chargées de la veille sanitaire et environnementale n’ont pas toujours su percevoir les risques, que cette loi était nécessaire.

J’en termine en affirmant qu’elle ne nie en rien les compétences des experts ; au contraire, elle vise à renforcer leur indépendance, elle assure l’écoute des alertes, d’où qu’elles viennent, et protège les lanceurs d’alerte.

Il faut donner tout son sens au principe de précaution, celui qui consiste à stimuler la recherche en acceptant de réviser régulièrement nos jugements et de douter toujours afin de faire reculer l’ignorance. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur, pour un rappel au règlement.

M. Marc Le Fur. Madame la présidente, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58. Je voudrais en effet lancer une alerte sur l’organisation des travaux de notre assemblée.

Nous débattions hier du mariage homosexuel, nous en débattrons demain, et le Sénat se prononcera ensuite à son tour. Le texte, même si nous espérons le contraire, sera finalement adopté, mais pas avant plusieurs semaines. Or nous constatons que certains l’appliquent déjà ! J’en veux pour preuve les formulaires utilisés par la SNCF pour la délivrance des cartes de famille nombreuse : sur ces formulaires, les termes « père » et « mère » ont été remplacés par « parent 1 » et « parent 2 » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de la commission du développement durable. Cela n’a rien à voir avec nos débats !

M. Marc Le Fur. C’est faire preuve de mépris pour l’Assemblée !

M. André Chassaigne. C’est pour les familles recomposées !

M. Marc Le Fur. Nous ne nous sommes pas encore prononcés, mais, au motif que cela figure dans le programme du Président de la République, des services publics zélés, au sens premier du terme, appliquent une loi qui n’est pas encore votée !

Ce n’est pas une première ! La SNCF s’est déjà singularisée en proposant des tarifs très favorables lors de la manifestation des partisans du mariage homosexuel, ce qui n’avait pas été le cas pour la manifestation précédente.

M. Arnaud Leroy. Vous négociez mal !

M. Marc Le Fur. Madame la présidente, je le dis en présence d’un membre du Gouvernement, que je salue à cette occasion : je souhaite que notre président en soit informé, de façon à ce que de tels actes ne se renouvellent pas et qu’il soit mis fin à cette dérive. La loi doit certes s’appliquer, mais pas avant d’avoir été votée et promulguée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Franck Gilard. Voilà une belle démonstration de ce qu’est un lanceur d’alerte !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Je voudrais en premier lieu remercier Mme Reynaud, Mme Lemorton et M. Chanteguet, qui représentent les différentes commissions et ont insisté, au-delà du travail que nous avons fait, sur le caractère équilibré du texte et son importance.

Je voudrais également remercier Mme Massonneau, qui a rappelé l’exigence citoyenne à l’origine de ce texte, dont je suis sûr qu’il répond à une réelle attente de nos concitoyens.

Mes remerciements vont aussi à Jacques Krabal, représentant du groupe RRDP, qui a bien voulu considérer que ce texte n’était pas une marque de défiance à l’égard du progrès scientifique et technologique mais qu’il nous offrait une chance de réconcilier nos concitoyens avec des évolutions parfois trop rapides pour qu’on en mesure bien les dégâts qu’elles causent sur la santé et sur l’environnement.

À André Chassaigne, du groupe GDR, je voudrais assurer que, même s’il était question à l’origine d’une Haute autorité, la Commission nationale instituée par la proposition de loi ne constitue en rien un recul.

M. André Chassaigne. J’en prends acte.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. On ne peut pas dire en effet que cette commission se contentera d’enregistrer l’alerte, puisqu’elle sera chargée de garantir le circuit de l’alerte, en s’assurant que celle-ci sera traitée par les pouvoirs publics et que le lanceur d’alerte obtiendra une réponse. Un rapport annuel sera rendu au Parlement et au Gouvernement sur le suivi de ces alertes. Il s’agit de définir des responsabilités et de garantir à nos concitoyens et aux lanceurs d’alerte que, pour chaque risque soulevé en matière de santé ou d’environnement, des réponses seront fournies.

Le texte renforce enfin – et je pense que vous serez sensible à cet aspect, que dénoncent au contraire nos collègues de droite – la protection des lanceurs d’alerte. Cela ne vaudra pas uniquement pour les salariés de l’amiante que vous avez évoqués, mais pour tous les salariés. L’article 17 protège en effet les salariés du privé mais également les fonctionnaires, en introduisant un nouvel article dans le code de la santé publique, article qui fera lui-même l’objet d’un article de renvoi dans le code du travail.

Je voudrais également répondre aux déclarations contradictoires de nos collègues de l’UMP, qui nous accusent à la fois d’en faire trop et de ne pas en faire assez, expliquant que le texte a été vidé de son sens et qu’il est inutile, mais oubliant au passage les scandales actuels et le rapport de l’Agence européenne de l’environnement que j’ai cité.

M. Alain Gest. On n’oublie rien du tout !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. D’un autre côté, ils affirment que ce texte aura des conséquences catastrophiques sur la compétitivité de nos entreprises. Mes chers collègues, accordez vos violons ! Soit ce texte ne sert à rien, soit il est dangereux, mais vous ne pouvez pas soutenir les deux thèses à la fois.

Je ne m’attendais pas, sur un texte comme celui-ci, à une opposition partisane, puisque le Grenelle de l’environnement, voté sous votre majorité, appelait de ses vœux de telles dispositions. Il me semble que votre discours caricatural procède d’une posture idéologique qui ne tient même pas compte de nos travaux ! Vous n’avez d’ailleurs assisté à aucune des auditions que nous avons organisées…

M. François de Rugy et Mme Suzanne Tallard. Exact !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Si vous aviez fait acte de présence, vous auriez pu constater que les partenaires sociaux, comme les représentants des agences existantes et les chercheurs en sciences sociales saluaient cette proposition de loi. Je pense en particulier à une magistrate, responsable du pôle de santé publique, Mme Bertella-Geffroy, qui nous a expliqué que si un tel texte avait existé auparavant, elle aurait eu beaucoup moins de travail. Nous sommes aujourd’hui dans une société du scandale et du contentieux, et c’est précisément à cela qu’il s’agit de mettre un terme, grâce aux dispositions que nous proposons.

M. Pancher, représentant le groupe UDI, a défendu une position…

M. Franck Gilard. Intermédiaire…

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. …plus en phase avec les attentes de la société.

M. Alain Gest. Mais il votera contre le texte !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Je rappelle que Mme Jouanno, qui connaît bien ces questions, a soutenu le texte au Sénat pour l’UDI. M. Pancher, quant à lui, va s’abstenir, notamment parce qu’il refuse que seules les entreprises soient responsables.

Il me semble toutefois qu’il n’a pas lu le texte. La responsabilité n’incombe pas aux seules entreprises ; au contraire, c’est l’ensemble des acteurs qui se trouvent responsabilisés et, en premier lieu, le lanceur d’alerte lui-même, qui doit se conformer à une procédure précise et ne pas se contenter de provoquer un scandale médiatique. Il doit alerter son employeur, consigner son alerte, alerter les pouvoirs publics et, éventuellement, la commission nationale. Il ne s’agit donc en aucun cas de déresponsabiliser le lanceur d’alerte ni de l’encourager à faire n’importe quoi.

Les pouvoirs publics sont responsabilisés puisqu’ils sont saisis, que l’alerte est consignée, que le suivi de l’alerte appelle une réponse motivée qui elle-même fera l’objet d’un rapport qui vous sera soumis, mes chers collègues, ainsi qu’au Gouvernement. Cette chaîne des responsabilités va inciter à cet acte de prévention et permettre d’éviter le contentieux trop souvent considéré comme la seule issue face aux alertes qui ne trouvent pas de réponse.

Il s’agit donc bien de responsabiliser les pouvoirs publics, justement pour éviter le danger que vous dénoncez. Non, nous n’allons pas créer une société de l’alerte permanente, une société du scandale, non régulée, qui, vous n’avez qu’à lire les journaux, est celle d’aujourd’hui, comme le montre l’exemple des pilules de troisième et quatrième générations. Au contraire, nous voulons proposer un traitement rationnel de l’alerte grâce auquel l’ensemble des acteurs, responsabilisés, feront la part des choses, évitant le scandale et les controverses inutiles – comme celle que vous entretenez à propos du professeur Séralini qui, en effet, n’a pas d’autre choix que de tirer la sonnette d’alarme dans la presse parce que, face à ses objections, vous n’opposez que l’invective –, fidèles en cela à votre position. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Hetzel. C’est inacceptable !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. M. Tardy dénonce la consignation de l’alerte et la tenue de registre comme s’il était question d’un fichage ; il ne s’agit pas de ficher des lanceurs d’alerte mais de consigner une alerte, comme du reste le fait déjà l’Institut national de veille sanitaire.

M. Lionel Tardy. Bien sûr…

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. C’est tout à fait normal. Comment s’assurer que les pouvoirs publics font leur travail si l’alerte n’est pas consignée ? Or c’est la moindre des choses si l’on veut que les responsabilités soient exercées.

Je conclurai en regrettant que vous n’ayez pas lu nos textes, que vous n’ayez pas suivi les auditions…

M. Alain Gest. C’est un procès d’intention !

M. Martial Saddier. Nous étions en commission !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. …et que vous ne voyiez pas que nous proposons simplement l’avènement d’une société qui traitera avec maturité cette question des alertes sanitaires et qui, loin de pénaliser les entreprises, mettra un terme aux scandales sanitaires qui ont coûté très cher aux contribuables : le seul coût des réparations aux victimes de l’amiante est déjà de 3 milliards d’euros. C’est pour éviter ces scandales et ces dépenses inutiles que nous proposons des solutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je laisserai M. le ministre répondre à M. Le Fur au sujet du calendrier parlementaire et en ce qui concerne la SNCF. Je rappellerai néanmoins que nous avons atteint le summum au cours de la précédente législature en légalisant une situation illégale – à Plan-de-campagne, cher à M. Mallié –, en autorisant l’ouverture des magasins le dimanche.

M. Marc Le Fur. Cela n’a rien à voir !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Cela signifie que le législateur – est-ce son rôle ? – a légalisé une situation illégale, voilà qui est quelque peu ironique et montre qu’on peut toujours faire pire…

Je regrette que M. Accoyer soit parti (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) mais ses collègues du groupe UMP lui feront part de mes propos. Il prétend que j’évoque sans cesse ma profession. Je ne vois pas en quoi. Sans doute confond-il deux choses.

J’ai remis en 2008 un rapport qui était déjà, d’une certaine manière, un rapport d’alerte sur la politique du médicament en France. Et l’on aurait mieux fait d’écouter alors les socialistes et d’adopter leurs amendements qui, pendant quatre ans, n’ont jamais été votés. Il a fallu attendre l’affaire du Mediator pour que leur pertinence, d’un seul coup, devienne évidente à vos yeux.

Ainsi nous dénoncions le financement de l’Agence du médicament par les industries pharmaceutiques, nous demandant s’il était bien normal que le contrôleur soit financé par le contrôlé. Jusqu’à la fin 2010, notre amendement sur la question a été rejeté parce que, selon vous, nous étions des adversaires hystériques de l’industrie pharmaceutique. Il a donc fallu attendre l’affaire du Mediator, je le répète, pour que, en 2011, cet amendement soit adopté d’emblée. C’était bien une alerte que nous avions lancée et que, jusque-là, vous n’aviez pas écoutée. Et il vous a fallu ensuite adopter de nombreux autres amendements. La base de données publique du médicament, une idée, selon vous, sortie d’esprits déviants, a finalement été acceptée en 2011 dans la loi « médicament », toujours après le déclenchement de l’affaire du Mediator.

Vous m’en excuserez auprès de M. Accoyer mais je ne fais pas de la politique depuis mon plus jeune âge, j’ai exercé un métier pendant vingt-deux ans.

M. Patrick Hetzel. C’est aussi le cas de M. Accoyer !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Tout parcours est respectable, ce n’est pas la question. Je n’ai été élue qu’en 2007.

M. Accoyer, je l’ai dit, confond deux choses : mon rapport sur le médicament et le fait que je sois pharmacienne, ce qui n’a rien à voir.

Quant à ses critiques concernant le danger que présenterait, pour les entreprises, cette proposition de loi – qui me semble pourtant équilibrée après son examen en commission –, je rappelle que l’article 9 a été récrit. Je regrette que nos collègues de l’opposition ici présents ne l’aient pas été ce matin, à l’exception de M. Tardy, lors de mon intervention dans la discussion générale.

M. Alain Gest. Rassurez-vous, nous vous avons entendue !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je ne prendrai que l’exemple d’Airbus : ses représentants se sont inquiétés de cette proposition de loi. Or la modification de l’article 9 les a rassurés. Je ne vois donc pas en quoi ce texte mettrait en danger, perturberait nos entreprises.

M. Alain Gest. Airbus n’est pas une PME !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je vais justement évoquer le cas d’une PME, mon cher collègue, quittant la dimension « industrielle » d’Airbus pour prendre l’exemple des prothèses PIP qui ont tout de même fait la une des médias pendant très longtemps. Si les salariés, qui s’étaient très vite rendus compte qu’il y avait un problème de fabrication et qu’on n’était plus du tout dans le cadre de l’agrément donné pour la production de ces prothèses, avaient pu librement s’exprimer, la collectivité s’en serait trouvée bien mieux : on aurait évité les réparations d’aujourd’hui.

Le texte concerne donc bien toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Aucune n’a lieu d’en avoir peur : tout a été récrit, j’y insiste, et je félicite le rapporteur et la rapporteure pour avis d’avoir procédé au rééquilibrage du dispositif.

Vous pourrez transmettre mes propos à M. Accoyer qui, peut-être, nous regarde sur son écran.

M. Martial Saddier. Nous pouvons vous organiser un rendez-vous si vous voulez. (Sourires.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Il comprendra qu’il a confondu deux choses : un métier et un rapport.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Je commencerai par répondre à l’intervention du président Le Fur dont je mesure mal le lien avec nos travaux,...

M. Alain Gest. Mais si !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …sauf à propos du lanceur d’alerte. Vous venez dans l’hémicycle, monsieur Le Fur, pour faire un rappel au règlement, vous indignant – sans vouloir travestir vos propos – de ce que la SNCF aurait, dans ses propres documents, anticipé, d’une certaine façon, l’adoption d’un texte de loi et, en indiquant « parent 1 » et « parent 2 », de ce que non seulement elle ne respecterait pas l’ordre républicain mais qu’elle se comporterait d’une manière inacceptable vis-à-vis de la représentation nationale.

M. Marc Le Fur. Il s’agit tout de même d’une entreprise de service public !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Vérification faite, il doit y avoir, au sein de la SNCF, des sortes de devins, des gens qui ont prévu, il y a très longtemps, que la gauche arriverait au pouvoir en 2012… (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Gest. En tout cas ils y ont contribué !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …et que cette gauche, une fois au pouvoir, s’engagerait dans un débat sur l’extension du mariage aux couples de même sexe puisque, renseignements pris, les documents auxquels vous faites référence n’ont subi aucune modification depuis quatre ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Gérard Bapt. Il s’agit d’une alerte bien tardive, poussive même, monsieur Le Fur !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ils ont été établis il y a par conséquent très longtemps et l’explication de cette situation, c’est que le bénéfice de la carte « famille nombreuse » à la SNCF obéit à des règles découlant d’une vision plus large que celle du code civil. Il y a ainsi bien longtemps, sous une autre majorité, avec, donc, votre accord, que la SNCF a pris en compte toutes les familles existantes pour les faire bénéficier de tarifs réduits : les familles recomposées, les enfants sous tutelle… D’où la formulation retenue.

M. André Chassaigne. Évidemment !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Pour faire le lien avec le présent texte, vous vous êtes fait lanceur d’alerte, mais, connaissant vos compétences, je doute que vous ayez été totalement de bonne foi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Chassaigne. C’était un pétard mouillé !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je conçois qu’il ne soit pas très agréable d’être ramené au rang de rapporteur de rumeurs qui circulent sur internet.

M. Alain Gest. Ce ne sont pas des rumeurs, nous parlons d’un formulaire !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Mais ce n’est pas tout de donner des leçons, il vous faut aussi, de temps en temps, accepter qu’on vous rappelle à la vérité.

Je le fais d’autant plus volontiers, pour en venir à la présente proposition de loi, que le positionnement non pas de l’ensemble de la droite mais d’une partie d’entre elle ne me satisfait pas.

Souvenez-vous qu’il s’agissait d’une préoccupation partagée et vous aviez vous-mêmes inscrit dans le Grenelle I ce dont nous discutons. Ce n’est pas nous qui avons inventé les dispositions prévues par l’article 52 du Grenelle I ni non plus écrit le rapport qui portait exactement le même titre que le présent texte – rapport lui aussi relatif aux lanceurs d’alerte et à l’expertise.

Il est vrai – je nuance aussitôt mon propos – que le rapport en question a bien été rédigé mais, curieusement, vous avez omis de le remettre au Parlement.

M. Michel Issindou. Dommage !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ce n’est qu’après le changement de majorité que ces bonnes intentions initiales – vous vous étiez probablement fait peur à vous-mêmes – ont pu être soumises aux parlementaires et nourrir le débat d’aujourd’hui. Je vous rappelle donc à vos bonnes intentions qui devraient vous amener à contribuer d’une manière plus positive à ce débat.

L’essentiel a été exprimé par le rapporteur et par les différents intervenants dont je tiens à souligner la qualité et l’objectivité. Certains témoignages ont été très forts. André Chassaigne a rappelé certains événements qui ont bousculé les consciences sur tous les bancs, événements qui ont fait des victimes et parfois provoqué des situations dramatiques pour des milliers de personnes. On déplore alors souvent – je pense à l’intervention de Gérard Bapt – tout le temps perdu : pourquoi a-t-il fallu attendre tant de temps pour finalement réagir ? J’imagine bien que vous partagez ces préoccupations.

En même temps, tous les orateurs l’ont souligné, il ne s’agit pas de porter une suspicion sur l’expertise, au contraire. Comme l’a indiqué Gérard Sebaoun, à partir du moment où il y a une unification de la déontologie, il s’agit de sécuriser l’expertise. Dès lors que c’est la mission de la commission prévue par le texte d’appliquer cette sécurisation, les experts le vivront bien. Par ailleurs, ils reconnaîtront l’alerte des citoyens – de nombreux exemples ont été donnés. C’est cet équilibre qui a été recherché au cours des discussions menées par la commission, c’est aussi cet équilibre auquel le Gouvernement est attaché.

Pourquoi ne franchissez-vous pas le pas ? Bernard Accoyer estime qu’il y a toujours un risque et qu’il faut essayer de faire la balance entre le risque d’erreur du donneur d’alerte et le bénéfice d’une alerte fondée. C’est bien la question posée par le texte. À quoi sert-il de ne considérer que l’éventualité que le donneur d’alerte se trompe ? C’est bien pour cela que des procédures, des garanties sont prévues. Pourquoi donc ignorer les alertes justifiées qui permettront de sauver des milliers de vies, d’éviter des cataclysmes sanitaires ? Il y a là une forme de peur, de conservatisme qui vous conduit à ne rien vouloir faire.

Nous ne sommes pas des précurseurs ou en avance.

Nous rattrapons plutôt un retard, car beaucoup de pays ont déjà accordé un statut et un cadre juridique de protection aux donneurs d’alerte.

Certains s’inquiètent du renversement de la charge de la preuve, mais il ne s’agit pas là d’une innovation juridique ! Dans notre droit positif, lorsque certains de nos concitoyens méritent d’être protégés du fait de leurs fonctions – je pense par exemple aux représentants du personnel dans un certain nombre de procédures de licenciement –, vous savez parfaitement que l’une des solutions adoptées, que vous n’avez jamais remise en cause, est précisément le renversement de la charge de la preuve. Ils sont les seuls à en bénéficier, parce qu’ils méritent une protection particulière. Au fond, nous n’avons procédé, dans le texte qui vous est proposé, qu’à la transposition de situations juridiques et d’un droit positif qui existent déjà dans le droit français.

J’ai voulu attirer votre attention sur ce point, parce qu’on voit bien que vous ne pouvez pas vous opposer aux objectifs de ce texte et que vous essayez donc, par un positionnement dont je comprends bien qu’il est très politicien, d’ignorer vous-mêmes ce que vous aviez initié.

M. Alain Gest. Et votre accord avec la SNCF, il n’est pas politicien ? Que c’est triste !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il est certains sujets pour lesquels la réponse ne se trouve ni à droite, ni à gauche. Nous devons impérativement apporter une réponse à ce que vivent nos concitoyens, à une histoire partagée, à des catastrophes que l’on voit se produire régulièrement. Le groupe écologiste, qui est à l’initiative de cette proposition de loi, a pensé, tout comme les députés de la majorité, qu’ils ne pouvaient plus se contenter de commenter les faits au Parlement, mais qu’il leur fallait prendre des initiatives.

M. Lionel Tardy. Faire des lois bavardes, c’est sûr que cela fait avancer les choses !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le Gouvernement a accompagné cette initiative et souhaite évidemment que l’ensemble de la majorité, et tous ceux qui voudront se joindre à elle, donnent leur appui à ce texte équilibré, qui correspond à une véritable attente de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur, pour un rappel au règlement.

M. Marc Le Fur. Il s’agit d’un rappel au règlement fondé sur l’article 58, que je fais en réponse au ministre et qui porte sur l’organisation de nos débats.

Monsieur le ministre, cette nouvelle disposition de la SNCF relative aux familles nombreuses, qui mentionne un « parent 1 » et un « parent 2 », est toute récente. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Guy-Michel Chauveau. Vous avez un train de retard ! (Sourires.)

M. Marc Le Fur. Elle ne date pas d’il y a quatre ans ! Vous confondez avec les billets couples, qui existaient effectivement à cette époque-là. Le « masque » que je tiens à la main a été capté par des lanceurs d’alerte ce matin même. Il est intéressant de le comparer avec le « masque » de cet après-midi, sur lequel on retrouve les mentions du père, de la mère et du tuteur : c’est extrêmement intéressant et cela montre que les lanceurs d’alerte qui défendent la famille sont efficaces.

M. Jean-Pierre Dufau. Ils ont mis quatre heures !

M. Marc Le Fur. Ils ont alerté les employés exagérément zélés de la SNCF, qui sont revenus aux termes de père et de mère, alors que ce matin nous avions « parent 1 » et « parent 2 ». (« Non ! » sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Guy-Michel Chauveau. C’est du vent !

M. Marc Le Fur. Je me tiens à votre disposition et, si vous le permettez, madame la présidente, je ferai diffuser par nos huissiers (« Non ! » sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) le masque relatif à la famille nombreuse de ce matin et celui de cet après-midi.

Mme la présidente. Merci, monsieur Le Fur, pour cette intervention qui ne s’apparente en rien à un rappel au règlement.

M. Alain Gest. Mais si ! Il s’agit d’un rappel de bonne foi !

Mme la présidente. Pour l’information de l’ensemble de nos collègues, je vous indique que la SNCF, pour sa carte famille nombreuse, emploie ces termes depuis 2010, sans que cela vous ait jusqu’ici inquiété.

M. Alain Gest. En tout cas, elle est aux ordres, puisque cela a été modifié !

Mme la présidente. Dès avant 2010, il existait, dans certaines familles, des personnes exerçant les fonctions de tuteur ; il y avait aussi des familles monoparentales…

M. André Chassaigne. Bien sûr !

Mme la présidente. Tout cela n’a donc pas le caractère d’une brûlante actualité et me semble avoir peu de rapport avec notre débat.

M. Franck Gilard. C’est tout de même une atteinte aux droits du Parlement !

Mme la présidente. En revanche, j’aimerais vous faire part d’un souvenir extrêmement vif, qui se rapporte à notre débat. Vous avez évoqué, monsieur Le Fur, le problème des dispositions de loi qui s’appliqueraient dans des entreprises publiques, avant même d’avoir été examinées et votées par le Parlement. Je me souviens de la loi supprimant la publicité en soirée dans l’audiovisuel public : cette loi, qui a été longuement débattue dans cet hémicycle, a été appliquée avant même que les sénateurs aient pu s’en saisir, ils s’en sont trouvés fort marris !

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Avant l’article 1er A

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 25.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de conséquence, tendant à proposer pour le titre Ier A, qui a été créé par voie d’amendement, le titre le suivant : « Droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement. » La commission a donné un avis favorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Sagesse, madame la présidente.

(L’amendement n° 25 est adopté.)

Article 1er A

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour soutenir l’amendement n° 11.

M. Lionel Tardy. L’article 1er A est l’exemple parfait de ce que Pierre Mazeaud, lorsqu’il était président du Conseil constitutionnel en 2005, avait appelé les « neutrons législatifs », soit des dispositions bavardes, introduites exclusivement pour des raisons de communication et n’ayant strictement rien de normatif.

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Lionel Tardy. À l’époque, le Conseil constitutionnel censurait ces dispositions. Il semble que cela n’ait eu aucun effet sur le législateur, qui continue à bavarder dans les lois, tout en se plaignant de leur longueur et de leur empilement.

Si je souhaite la suppression de cet article, c’est aussi parce que je suis en désaccord avec son contenu : dire qu’il suffit d’être de bonne foi pour lancer n’importe quelle alerte, c’est de la démagogie. Une alerte ne peut être lancée que par une personne qui sait de quoi elle parle et qui n’est pas susceptible de lancer une fausse alerte, à la suite d’un malentendu ou d’une incompréhension, ou pire, parce que cette personne n’aurait pas toutes les informations nécessaires pour appréhender le problème.

Mes chers collègues, nous ne sommes pas tous des experts ; nous ne sommes pas tous habilités à prendre la parole sur tous les sujets, avec pour seule arme notre bonne volonté et notre bonne foi. C’est une pente glissante sur laquelle je refuse de m’engager, car elle pourrait causer de graves problèmes.

M. Alain Gest. C’est vrai !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Je suis désolé de vous dire, monsieur Tardy que vos arguments ne sont vraiment pas à la hauteur des enjeux dont traite la loi, et je doute vraiment que vous l’ayez lue.

M. Lionel Tardy. C’est du bavardage ! C’est un amendement déclaratif !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Je rappellerai seulement la cohérence du texte : si vous aviez lu le texte, vous auriez vu, monsieur Tardy, qu’il découle de l’article 1er A, non seulement l’organisation de l’alerte en entreprise, qui concerne tout le titre II, mais aussi les dispositions visant à lutter contre les discriminations, prévues à l’article 17. L’organisation du texte est parfaitement limpide.

Loin d’être bavarde et inutile, comme vous le dites, monsieur Tardy, cette loi aura des conséquences très concrètes sur la prise en compte des alertes en matière de santé et d’environnement dans les entreprises, d’une part, sur la protection des lanceurs d’alerte, d’autre part. Il s’agit d’instaurer des droits et des devoirs pour nos concitoyens.

M. Lionel Tardy. Bavardage !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Peut-être ne voulez-vous pas le voir. En tout cas, le fait que vous n’approuviez pas le contenu du texte ne suffira pas à le vider de sa substance, fort heureusement.

Avis défavorable, donc.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avisde la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, je souhaite prendre la parole, car l’article 1er A est issu d’un amendement de la commission du développement durable, que la commission des affaires sociales a bien voulu accepter. Il ne s’agit pas, monsieur Tardy, d’un amendement déclaratif, pas plus que d’un « neutron législatif ».

D’abord, nous avons constaté que la définition du lanceur d’alerte n’apparaissait qu’au titre II du texte, qui est consacré à l’alerte en entreprise. Or l’alerte a un caractère général : elle peut se produire dans l’ensemble de notre société, et non dans les seules entreprises, d’où notre choix de placer cette définition avant l’article 1er, en tête du texte.

M. Lionel Tardy. Mon dieu !

Mme Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis. Par ailleurs, nous avons redéfini l’alerte : en commission du développement durable, plusieurs députés du groupe UMP ont indiqué, avec raison, que la liberté d’expression permettait déjà de lancer l’alerte. Je suis entièrement d’accord avec eux, mais l’existence des libertés individuelles et des libertés publiques n’empêche nullement le législateur de fixer les modalités selon lesquelles elles s’exercent. En l’espèce, nous fixons des règles simples pour l’alerte : celle-ci doit être fondée sur la bonne foi, notion qui existe dans notre code civil. Nous rappelons que l’alerte ne fait qu’exposer un fait et ne doit pas présenter un caractère diffamatoire ou injurieux.

Il s’agit donc d’éléments objectifs qui constituent des critères facilement compréhensibles, aussi bien par les personnes qui lancent une alerte, que par celles qui doivent les instruire et non, comme vous l’affirmez, de dispositions déclaratoires.

La commission a donc rejeté l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué, Avis défavorable.

M. Martial Saddier. Vous auriez pu dire « Sagesse » à nouveau !

(L’amendement n° 11 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 40.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Il s’agit d’harmoniser la rédaction en remplaçant les mots « dangereuse pour la santé publique ou pour » par les mots « faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur ».

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je suis étonnée des réticences de M. Tardy, car cela se fait déjà. Il faut attendre qu’il y ait un scandale pour que cela se fasse.

Je vous signale que c’est sous votre gouvernement qu’on a autorisé tout patient à aller signaler…

M. Alain Gest. Cela n’a rien à voir avec e présent amendement !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Si, cela complète ce que vient de dire le rapporteur !

Aujourd’hui, toute personne qui estime avoir subi les effets secondaires d’un médicament peut, en toute liberté, en faire état sur le site de pharmacovigilance. Aucun professionnel de santé ne fait barrage pour analyser cette alerte.

Faut-il attendre un nouveau scandale pour autoriser cela ? Pour ma part, je dis non. L’article dont nous débattons me paraît tout à fait cohérent, d’autant plus que le dispositif existe déjà en matière de pharmacovigilance.

M. Martial Saddier. On n’a qu’à régler le problème !

(L’amendement n° 40, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement rédactionnel, n° 39, de M. le rapporteur.

(L’amendement n° 39, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 1er A, amendé, est adopté.)

Avant l’article 1er

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement rédactionnel, n° 38, de M. le rapporteur.

(L’amendement n° 38, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Article 1er

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.

La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. J’aurais tendance à dire qu’il n’y a pas une loi qui ne comporte son « comité Théodule », l’adage se confirme une fois de plus. Mes chers collègues de la majorité, alors que le Premier ministre annonce vouloir supprimer les comités inutiles – et je le soutiens pleinement sur ce point, puisque j’en ai fait un de mes combats au cours de la précédente législature –, nous ne cessons d’en créer, sans nous demander si les structures déjà existantes ne pourraient pas jouer le rôle dévolu à l’instance créée dans la loi.

Il ne s’agit même pas d’une création par décret, puisque ce comité Théodule est dans la loi. Nous avons donc une commission nationale de plus – je ne reviendrai pas sur les chiffres qui ont été évoqués par mes collègues –, consacrée à la déontologie et aux alertes en matière de santé et d’environnement. Cela signifie qu’il y aura de nouveaux emplois publics à créer, des locaux à trouver, des frais de fonctionnement à assumer. Si encore ce comité ne servait qu’à rendre des avis, ce serait acceptable, mais cela va plus loin, puisqu’il est habilité à recevoir des alertes !

Est-ce que ce comité sera suffisamment compétent pour gérer ces alertes, trier les bonnes des mauvaises et, surtout, réagir en temps utile – c’est là toute la question – en cas d’alerte grave et avérée ? N’est-on pas en train de créer un maillon supplémentaire dans une chaîne qui doit être la plus courte possible, surtout quand, comme pour les alertes sanitaires, la réponse doit être la plus rapide possible ? A-t-on vraiment besoin de ce nouveau comité Théodule ? Je ne le pense pas, comme beaucoup de collègues sur les bancs de cet hémicycle.

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Lionel Tardy. On pouvait très bien laisser la gestion des alertes aux organismes publics qui s’en chargent actuellement et qui, semble-t-il, le font bien. Quant à la mission sur les règles déontologiques, nous avons suffisamment d’organismes de réflexion : je pense par exemple à l’Académie de médecine ou à l’Académie des sciences.

M. Martial Saddier. Il a raison !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Je voudrais, à l’occasion de la discussion de cet article, revenir sur les propos qu’a tenus à l’instant M. le rapporteur, pour qui le groupe UMP aurait une position contradictoire sur ce texte, puisqu’il lui reprocherait à la fois de ne pas aller assez loin et d’être dangereux.

Je note, moi aussi, une certaine incohérence dans la manière dont a été préparé ce texte, puisque nous disposons déjà, à l’heure qu’il est, d’un office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. Lionel Tardy. Oui, et on se demande bien à quoi il sert !

M. Patrick Hetzel. Or, ce texte va en réalité dessaisir de ses attributions cet office, qui joue un rôle à l’Assemblée nationale comme au Sénat, pour donner des compétences à ces lanceurs d’alerte. C’est assez paradoxal, et ça l’est d’autant plus que, sur un autre texte dont nous débattons actuellement, celui sur le mariage, vous nous dites justement qu’il ne faut surtout pas dessaisir le Parlement pour faire appel au peuple par voie de référendum. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Gérard Sebaoun. Ça n’a rien à voir ! Arrêtez !

M. Jean-Pierre Dufau. Vous mélangez tout !

M. Patrick Hetzel. La majorité n’est pas cohérente. Si dans un cas elle estime que le Parlement doit se prononcer, alors il faut en tirer les conséquences, et le Parlement doit également se prononcer. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques est là pour préparer le travail des commissions, et nous n’avons donc pas besoin de ce qui est proposé aujourd’hui par la majorité.

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements à l’article premier.

La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 22.

M. Patrick Hetzel. Je profite de la défense de cet amendement pour dire à Mme Lemorton que le président Accoyer a dû quitter l’Assemblée en raison d’un engagement en circonscription. D’ailleurs, il m’avait prévenu : « Tu verras, Mme Lemorton va sûrement m’épingler quand je serai parti. » Nous le savions donc… J’ai noté avec beaucoup d’intérêt qu’aucun argument ne permettait de démonter l’argumentation du président Accoyer.

Ce dont il est question ici, c’est de ne pas confondre science et scientisme. Il faut que le travail des scientifiques puisse s’effectuer. Or, avec les lanceurs d’alerte, on veut contrecarrer l’activité scientifique. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) C’est la raison pour laquelle nous proposons cet amendement. (Mêmes mouvements.)

Peut-on s’exprimer au sein de cette Assemblée ? C’est tout de même incroyable, vous avez la majorité, laissez-nous au moins donner nos arguments ! Vous n’êtes pas d’accord, c’est votre droit ! Madame la présidente, pouvez-vous les rappeler à l’ordre s’il vous plaît ? (Exclamations sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mme la présidente. Seul M. Hetzel a la parole. (Sourires.)

M. Patrick Hetzel. J’en reviens à mon argumentation : aujourd’hui nous avons dix-huit agences sanitaires, quatorze agences rattachées au ministère de l’écologie et six académies scientifiques qui exercent une mission fondamentale, qui devrait être renforcée, dans le domaine dont nous débattons.

Si nous poursuivons le raisonnement, donc si nous sommes d’accord avec votre exposé des motifs, il faut alors renforcer ces institutions plutôt qu’en créer une nouvelle.

C’est la raison pour laquelle il convient de supprimer cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Le débat a déjà eu lieu longuement lors de la discussion générale. Rapidement, je dirai que bien évidemment, la commission nationale est une pièce maîtresse du dispositif prévu dans la loi.

Évidemment, cette commission nationale a un rôle que ne pourrait pas jouer l’OPECST. Les remarques précédentes sur ce point trahissent une confusion entre une commission parlementaire et une commission des sages, qui devrait donner des avis indépendants aux différentes agences qui existent. En entendant cela, j’ai du mal à croire que vous ayez lu les textes !

Non, cette commission ne va pas aggraver les charges publiques, puisqu’il ne s’agit pas d’une nouvelle institution, mais d’une commission qui sera adossée à des services existants.

M. Martial Saddier. Ça veut dire qu’elle ne sert à rien !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Le Gouvernement fera des propositions. À mon avis, vu la transversalité du sujet, elle devrait être rattachée au Premier ministre, mais cette question relève de l’exécutif.

Non, il n’y aura pas de doublon avec les agences sanitaires, comme vous le prétendez : il ne s’agit pas d’une agence supplémentaire, qui va mener des expertises, mais d’une commission des sages qui va faire des recommandations et s’assurer que l’alerte est bien traitée.

M. Alain Gest. Ça va coûter de l’argent !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Bien sûr, il faudra un peu de moyens, mais ils ne seront pas excessifs.

M. Alain Gest. Et qui en sera le président ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. D’ailleurs, si vous aviez assisté aux auditions, vous auriez vu, messieurs les députés, que l’ensemble des agences qui ont été consultées ont donné un avis favorable à la création de cette commission, qu’ils ont même appelée de leurs vœux et qui va les aider dans leur travail de réflexion sur la déontologie. L’avis de la commission est donc évidemment défavorable à la suppression de l’article premier.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je voudrais juste rappeler le texte exact de l’article 52 du Grenelle 1, que les députés de l’opposition d’aujourd’hui avaient voté avec enthousiasme : « Le Parlement demande au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de créer une instance propre à assurer la protection de l’alerte et de l’expertise. » Dans un grand esprit républicain de continuité, c’est ce que nous faisons. Les seuls qui aient changé d’avis, c’est vous ! Avis défavorable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le ministre, le texte du Grenelle s’interrogeait sur l’opportunité de le faire. C’est bien de cela dont il s’agit : nous en débattons, et nous sommes en train de dire que cela ne nous semble pas opportun.

Je veux revenir sur les contre arguments que le rapporteur vient d’opposer à mon amendement. Si l’on étudie le fonctionnement de l’OPECST, rien n’empêche ceux qui exerceraient cette fonction de lanceur d’alerte de s’adresser à un parlementaire pour que le travail soit engagé.

D’un côté, vous dites que les parlementaires doivent pleinement exercer leur mission, mais dans ce cas vous voudriez débrancher le rôle des parlementaires.

M. Gérard Sebaoun. Mais non !

M. Patrick Hetzel. C’est paradoxal ! Vous devriez au moins reconnaître qu’il y a là un véritable manque de cohérence. D’un côté vous nous dites que nous devons pleinement exercer notre responsabilité en tant que parlementaire, et là vous voulez confier un certain nombre d’activités à des acteurs extérieurs.

Vous avez évoqué la question de l’indépendance, voudriez-vous sous-entendre que les membres de l’OPECST, sénateurs comme députés, ne seraient pas indépendants ? Je n’ose l’imaginer.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je voulais dire quelques mots à monsieur le docteur en cohérence politique, puisque jouez les donneurs de leçons.

M. Patrick Hetzel. Vous êtes bien placé !

M. André Chassaigne. Vous dites qu’il faut que les agences et les services existants réalisent ce travail d’alerte. Dans ce cas la cohérence politique aurait voulu que vous et vos amis ne votiez pas la révision générale des politiques publiques, qui a eu pour effet de réduire à néant l’expertise publique dans ce pays : partout on se rend compte que les postes ont été supprimés.

M. Sylvain Berrios. Vous soutenez la règle du deux sur trois, c’est encore pire !

M. Alain Gest. Il y a 440 000 agents chez les opérateurs de l’État !

M. André Chassaigne. En fait, ce que l’on vit aujourd’hui, c’est le résultat d’une situation que vous avez créée. Vous parlez de cohérence politique, il faut un peu balayer devant sa porte. D’ailleurs, vous me faites d’ailleurs penser à Alexandre Vialatte qui disait : « L’homme n’est que poussière, c’est dire l’importance du plumeau. » (Sourires.)

(L’amendement n° 22, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements rédactionnels, nos 37, 36, 35, 42 et 34, présentés par M. le rapporteur.

(Les amendements nos 37, 36, 35, 42 et 34, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 1er bis

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement rédactionnel, n° 33, présenté par le rapporteur.

(L’amendement n° 33, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 1er bis, amendé, est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. L’amendement n° 32, présenté par le rapporteur, est rédactionnel.

(L’amendement n° 32, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 2, amendé, est adopté.)

Article 3

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements rédactionnels, nos 31 et 30, présentés par le rapporteur.

(Les amendements nos 31 et 30, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

M. Martial Saddier. Y a-t-il un amendement de fond sur ce texte ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour soutenir l’amendement n° 24, ce qui devrait satisfaire M. Saddier. (Sourires.)

Mme Véronique Massonneau. Comme vous aurez pu le comprendre après l’examen de la proposition de résolution portée par les écologistes ce matin, notre groupe attache une importance toute particulière à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la parité.

Nous devons être vigilants, au sein de cette assemblée, à promouvoir cette parité au sein de toutes les institutions, de toutes les autorités indépendantes, et de toutes les commissions.

En décembre dernier, le ministre chargé des droits des femmes a présenté son plan d’action en faveur de l’égalité entre hommes et femmes dans les administrations publiques. Elle a indiqué que la parité serait étendue à tous les champs de la vie politique, administrative et économique.

C’est dans cet esprit que les écologistes ont défendu la parité au sein du Haut conseil des finances publiques, et dans les instances gouvernantes de la Banque publique d’investissement.

C’est la raison pour laquelle je vous invite à voter cet amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Catherine Coutelle. Très bien !

(L’amendement n° 24, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 3, amendé, est adopté.)

Article 5

Mme la présidente. Les amendements n° 29, 26 et 28, présentés par le rapporteur, sont rédactionnels.

(Les amendements nos 29, 26 et 28, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie d’un amendement de précision, n° 27, présenté par le rapporteur.

(L’amendement n° 27, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 5, amendé, est adopté.)

Article 7 bis

(L’article 7 bis est adopté.)

Article 9

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 1.

M. Patrick Hetzel. À propos d’un amendement précédent, un collègue a établi un lien avec la RGPP. Vous n’avez pas souhaité me redonner la parole, madame la présidente, aussi je profite du présent amendement pour dire que je ne vois absolument pas le lien. Votre argument montre bien que vous n’avez pas saisi que la révision générale des politiques publiques était extrêmement utile à notre pays. Sans doute ne partagez-vous pas ce point de vue, mais nous avons soutenu cette mesure parce qu’elle était de l’intérêt de notre pays !

J’en viens à l’amendement n° 1. La rédaction proposée distingue nettement la procédure d’alerte environnementale et sanitaire introduite par cette proposition de loi du droit de retrait en matière d’hygiène et de sécurité au travail, propre au salarié, et qui constitue à cet égard un droit qui lui est individuel.

Il ne faut pas mettre au même niveau une notion imprécise – le risque pour la santé publique ou l’environnement – et une notion largement définie et étayée, à la fois par la loi, la réglementation et la jurisprudence – le risque grave et imminent d’une situation de travail – qui peut être analysée concrètement et rapidement. D’un côté, nous avons une notion précise, de l’autre une notion imprécise.

Par ailleurs, cet amendement met en cohérence le niveau du risque requis pour l’alerte « environnementale » avec celui prévu pour la sécurité au travail, c’est-à-dire celui d’un risque « grave et imminent ». L’alerte en matière de santé publique ou environnementale ne doit pas être utilisée, à notre sens, pour des risques anodins.

Il semblerait en effet complètement incongru que, pour la santé et la sécurité des salariés, il soit nécessaire que le risque soit « grave et imminent », alors que la procédure d’alerte décrite dans la présente proposition de loi ne présente aucun caractère de gravité ou d’imminence potentielles.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. L’argumentaire développé est incohérent.

Nous avons voulu distinguer le droit de retrait, qui concerne un risque lié à la santé au travail et qui est prévu par le code du travail actuel, et la question de la santé publique et de l’environnement, qui est une tout autre affaire.

La rédaction que vous proposez réintroduit une confusion, et ce faisant, vous créez le problème que vous dénoncez vous-mêmes.

Par ailleurs, votre rédaction abolit toutes les précisions que nous avons instaurées dans cet article 9 qui institue un véritable circuit de l’alerte dans l’entreprise : les suites que l’employeur doit donner à l’alerte, le rôle du représentant du personnel au sein du CHSCT, l’information du CHSCT et surtout la possibilité d’un recours aux pouvoirs publics via le préfet. Mon avis est donc extrêmement défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Cette proposition se caractérise évidemment par une extrême confusion, probablement délibérée. Le risque grave et imminent concerne un droit individuel : selon les conditions fixées par la jurisprudence, il faut que le salarié soit lui-même dans cette situation de risque pour exercer son droit de retrait. Or, en utilisant cette notion dans le cadre du dispositif dont nous discutons, vous videz cette proposition de son sens puisqu’elle concerne la santé publique et un risque général qui n’obéit pas du tout aux mêmes règles. Je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable à cet amendement.

(L’amendement n° 1 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 4.

M. Patrick Hetzel. Il conviendrait de mieux encadrer juridiquement ce dispositif, afin d’éviter un certain nombre d’abus dans cette possible procédure d’alerte. En effet, la rédaction actuelle de l’alinéa 4 reconnaît à tout salarié, quelles que soient ses fonctions dans l’entreprise, un droit d’alerte lorsque les produits ou procédés de fabrication mis en œuvre par l’entreprise présentent un risque sanitaire ou environnemental, et ce quelle que soit la nature ou l’importance du risque en question.

À notre sens, tous les salariés de l’entreprise ou de l’établissement ne sont pas aptes à mesurer de manière précise les risques inhérents à des produits ou à des procédés de fabrication. Seuls le ou les salariés qui interviennent véritablement dans le processus de fabrication sont en mesure de le faire.

M. Martial Saddier. En effet !

M. Patrick Hetzel. C’est pourquoi le présent amendement prévoit de restreindre l’alerte aux seuls salariés concernés. En effet, il est un peu aberrant de demander à des salariés non concernés par le sujet de se prononcer !

En outre, l’alerte ne peut être déclenchée sur la foi de simples rumeurs, ce qui serait préjudiciable à l’activité économique. Il faut que suffisamment d’éléments probants, de nature scientifique, convergent pour établir un lien de causalité entre la fabrication ou les produits utilisés dans le cadre de cette fabrication et le risque en question. Dans le cas contraire, nous risquons d’observer des dérives, et surtout la fragilisation de nos entreprises par rapport à leurs concurrents étrangers, auxquels ces dispositifs ne s’appliqueront pas. Nous risquons donc de mettre en danger la compétitivité de nos entreprises.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Si l’on suit votre raisonnement, monsieur Hetzel, on se demande vraiment à quoi serviraient la commission nationale, mais aussi les agences d’expertise, les instituts de recherche et même les tribunaux. Vous ne demandez plus au salarié de lancer une alerte, mais d’être compétent, c’est-à-dire d’être lui-même capable d’apporter des preuves, d’être un expert scientifique.

M. Patrick Hetzel et M. Martial Saddier. Non !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Vous lui demandez d’apporter des éléments probants et scientifiques. Il faudrait que le salarié produise lui-même une analyse scientifique évidemment incontestable.

M. Martial Saddier. Non, ce n’est pas cela !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Ce n’est plus une alerte !

Vous n’acceptez pas les études de M. Séralini, mais que diriez-vous de l’avis d’un salarié qui viendrait d’emblée avec une expertise ? Il faudrait que le risque soit grave et avéré ! Il ne s’agit plus d’alerter sur un risque potentiel qui mérite une étude, il faudrait que le risque soit déjà là ! Bref, on se demande où est le droit d’alerte.

Finalement, votre amendement illustre assez clairement votre vision des relations entre salariés et employeurs. Vous placez les salariés sous un régime de suspicion généralisée : ils seraient là pour empêcher l’entreprise de fonctionner, ils seraient systématiquement de mauvaise foi…

M. Martial Saddier. Mais non !

M. Patrick Hetzel et M. Philippe Vitel. C’est exactement l’inverse !

M. Sylvain Berrios. Cessez de crier au loup toutes les cinq minutes !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. On ne peut donner qu’un avis défavorable à votre amendement. Ou bien vous n’avez rien compris à ce que nous voulons faire, ou bien vous êtes réellement de mauvaise foi.

M. Martial Saddier. Ce n’est pas une réponse !

M. Philippe Vitel. Ce n’est pas une contre-argumentation !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. On peut partager la préoccupation de ne pas susciter, par ce texte, des alertes infondées qui pourraient nourrir des rumeurs. Cette question a été discutée et je pense que les auteurs de la proposition de loi l’ont prise en compte.

Le texte est équilibré : il donne aux citoyens le droit de lancer l’alerte, mais les soumet aussi à un risque, puisque l’article 19 prévoit clairement des sanctions pénales contre les personnes qui lanceraient des alertes de mauvaise foi. Il s’agit d’une bonne démarche, car la bonne foi doit être protégée. Par ailleurs, les alertes lancées ne seront pas toutes suivies d’effet. L’alerte est destinée à obtenir des réponses, notamment pour l’employeur. Je pense donc que votre préoccupation est légitime, mais que la bonne réponse réside dans l’équilibre entre le droit d’alerte et la sanction pour celui qui serait de mauvaise foi.

M. Martial Saddier. Mais non, il ne sera pas de mauvaise foi !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Avis défavorable, donc.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Monsieur Hetzel, l’amendement que vous proposez vise à introduire une notion de compétence pour les travailleurs en mesure de lancer des alertes, ainsi que la notion d’indices probants et scientifiques.

Le principe de bonne foi est une bonne idée, mais je ne partage pas votre avis. En effet, il ne me semble pas opportun de restreindre le nombre de personnes en mesure de lancer ces alertes qui sont de vrais actes citoyens, des actes de santé publique. Restreindre le dispositif à la compétence du travailleur et lui imposer des indices scientifiques revient à nier l’importance que tout citoyen peut avoir. Je pense notamment à l’exemple de Denise Schneider, habitante de Bourg-Fidèle, qui avait alerté sur la contamination de son village par le plomb de l’usine Métal Blanc. Quel critère de compétence lui auriez-vous attribué ?

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme Véronique Massonneau. Les citoyens doivent être de véritables parties prenantes de notre système de sécurité sanitaire. Trop les encadrer pourrait les dissuader et laisser une voix unique aux agences d’expertise scientifique. Tous nos concitoyens doivent pouvoir jouer leur rôle. Il semble donc inopportun de les réduire à une compétence, difficile à établir préalablement, et de leur imposer de s’appuyer sur des indices scientifiques. C’est pourquoi nous ne voterons pas votre amendement. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)

(L’amendement n° 4 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier, pour soutenir l’amendement n° 5.

M. Martial Saddier. Cet amendement a le même objet que le précédent.

On ne peut pas accepter les propos de M. le rapporteur ; je remercie d’ailleurs notre collègue Véronique Massonneau qui nous a autorisé le principe de bonne foi. Il ne s’agit pas d’interpréter dans le mot « compétent » la capacité pour un salarié d’une entreprise d’analyser la formule chimique d’un produit qui serait à l’expérimentation avant d’être mis éventuellement sur le marché.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Martial Saddier. Il conviendrait simplement, à l’exemple du salarié qui travaille sur une peinture au plomb, qu’il y ait un minimum de lien entre l’activité du salarié au sein de l’entreprise et ce qu’il est susceptible de dénoncer, à juste titre ou non, et plutôt de bonne foi. Notre but est de le protéger, car M. le ministre a évoqué des sanctions pénales lourdes.

Nous sommes d’accord sur la nécessité d’un équilibre entre les droits et les devoirs, mais le législateur n’est pas là pour ouvrir une situation où des salariés seraient tentés de s’engager dans la dénonciation d’un certain nombre de faits…

Mme Michèle Fournier-Armand. Quelle suspicion permanente !

M. Martial Saddier. …qui les exposerait, même s’ils sont de bonne foi, à des condamnations pénales lourdes. Je conviens que le mot « compétent » n’est peut-être pas le plus adapté, mais entre votre proposition qui ouvre très largement toutes les possibilités et la nôtre, fondée sur le mot « compétent », nous pensons véritablement qu’il y a lieu de débattre.

Mes chers collègues, je vous rappelle les dispositions que nous avons inscrites dans notre droit constitutionnel en adoptant la charte de l’environnement. Que dit l’article 5 de la charte, à valeur constitutionnelle, en matière d’application du principe de précaution en droit environnemental ? Il évoque des dommages graves et irréversibles.

Messieurs les administrateurs de la commission, ce n’est pas la peine de relire l’article 5 de la Charte ! J’en étais le rapporteur, avec Nathalie Kosciusko-Morizet, il y a dix ans. L’article 5 dispose – c’était « l’amendement Saddier » – que les pouvoirs publics doivent appliquer le principe de précaution dans leur domaine de compétence.

M. Gérard Sebaoun. La compétence des pouvoirs publics n’a rien à voir !

M. Martial Saddier. J’insiste, monsieur le rapporteur : nous ne sommes pas de mauvaise foi. Nous pensons qu’entre le champ large que vous ouvrez et le mot « compétent », peut-être maladroit, que nous proposons afin d’instaurer un lien minimum entre le salarié et ce qu’il va dénoncer, il y a la place pour un vrai débat de fond.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Dont acte. Monsieur Saddier, j’accepte vos explications qui me paraissent effectivement beaucoup plus recevables. Pour autant, j’émets le même avis défavorable concernant l’amendement que vous défendez maintenant, parce que nous avons une autre vision du salarié dans l’entreprise. Grâce à leur expérience précieuse, à leur sens de l’observation, à leur vie dans l’entreprise pendant des années et à leur sens de l’intérêt de l’entreprise auquel nous croyons, les travailleurs ont une légitimité pour lancer l’alerte. Nous avons reçu l’ensemble des syndicats, l’ensemble des partenaires sociaux. Il existe aujourd’hui au sein de l’entreprise, de la part des travailleurs, une véritable sensibilité à ce thème. Les travailleurs sont aussi des citoyens : ils sont attentifs aux effets que leur activité dans l’entreprise peut avoir sur la santé publique ou l’environnement. Je n’imagine absolument pas que des salariés puissent lancer des alertes de mauvaise foi et de façon légère.

Il existe un seul exemple d’alerte lancée de façon légère. Celle-ci n’est absolument pas issue d’un salarié, mais d’une ministre membre de l’un des précédents gouvernements qui, à propos de la grippe H1N1, nous a mis dans un état de guerre et a dépensé un milliard d’euros d’argent public pour vacciner l’ensemble de la population, ce qui n’a évidemment pas fonctionné.

M. Martial Saddier. Arrêtez ! C’est l’OMS qui est en cause !

M. Alain Gest. Il ne fallait pas faire participer cette ancienne ministre à la commission Jospin !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. C’est le seul cas d’alerte exagérée, inutile et abusive que je connaisse ! Au sein de l’entreprise en général, les salariés sont plutôt soucieux de la bonne réussite de leur entreprise.

Par ailleurs, si un salarié lançait une alerte un peu légère, elle s’arrêterait très vite. N’oubliez pas que le représentant du personnel lui-même sera saisi, et que le CHSCT sera informé. Si le salarié persistait à être en désaccord avec son employeur, les pouvoirs publics – le préfet – seraient saisis. Cela n’irait pas bien loin !

M. Martial Saddier. Et les dégâts causés à l’entreprise ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Cela n’aurait aucune conséquence pour l’entreprise, puisqu’il n’y a pas de droit de retrait à l’instar de ce qui existe pour la santé au travail.

M. Sylvain Berrios. Vous créez de la complexité !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Votre amendement est donc vraiment inutile ; il n’illustre que votre volonté de limiter au maximum le traitement de l’alerte.

M. Martial Saddier. Vous allez envoyer des tas de personnes devant les tribunaux !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Défavorable, pour les mêmes raisons que le rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Il est vrai que le mot « compétent » ne convient absolument pas.

M. Martial Saddier. Je suis d’accord.

M. André Chassaigne. Un regard extérieur, comme celui d’un salarié qui traverse un atelier sans connaître l’acte qui peut comporter un danger, permet généralement de voir quelque chose que le salarié qui accomplit toujours les mêmes gestes, suivant un processus de fabrication, ne verra pas forcément. J’en suis persuadé : l’expertise du quotidien n’est pas forcément apportée par celui qui détient la connaissance scientifique, mais parfois par le regard du bon sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Nous avons parcouru un chemin important. Je remercie M. le rapporteur pour sa deuxième intervention, dont le ton était complètement différent de la première.

Monsieur le rapporteur, je souhaite simplement revenir sur la fin de votre intervention. Si le salarié de bonne foi lance une alerte qui se révèle être une fausse alerte, vous avez dit que le délégué du personnel sera saisi. Cependant, quels seront les impacts de cette alerte sur l’entreprise, en matière commerciale notamment ? Parlons-en ! De plus, le pauvre salarié de retour dans son entreprise aura à supporter les remarques de ses collègues, qui lui reprocheront d’être peut-être parti un peu trop vite,…

M. André Chassaigne. Ce n’est pas cela, la réalité de l’entreprise !

M. Martial Saddier. …parce que le législateur n’a pas su encadrer un peu mieux le dispositif. C’est pourtant l’objet de notre amendement. Nous nous permettons d’insister !

Comme je l’ai dit, et comme M. Chassaigne l’a redit – je l’en remercie –, le mot « compétent » n’est peut-être pas le plus approprié. Cependant, ce dispositif comportera un volet réglementaire. Monsieur le ministre, travaillez sur ce point, pour les lanceurs d’alerte, les entreprises et les salariés de bonne foi qui se retrouveront devant les tribunaux. Nous sommes vraiment préoccupés par le sort des salariés que l’on va renvoyer, au pénal, devant des tribunaux. Je vous en supplie, retravaillez ce point !

(L’amendement n° 5 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 6.

M. Patrick Hetzel. Les débats montrent très clairement que la notion de bonne foi reste extrêmement floue. Encore une fois, ne soyons pas naïfs ! Le contexte économique est aujourd’hui très tendu, et nous devons préserver les emplois en France. Pour ce faire, il faut aussi préserver nos entreprises. Or, avec une écriture aussi large, il existe un risque non négligeable de contribuer à la déstabilisation de nos entreprises. On ne peut pas ignorer cela !

Au-delà de la bonne foi, il faut pouvoir s’appuyer sur des éléments plus probants. C’est pourquoi nous proposons de parler d’« indices ». Et notez bien que nous ne parlons pas de « preuves scientifiques », mais d’indices « probants et scientifiques », la seule bonne foi n’étant pas suffisante…

M. Alain Gest. C’est du bon sens !

M. Patrick Hetzel. …car le risque est grand de fragiliser nos entreprises. Vous-mêmes avez été sensibles à cette question et le rapport Gallois a mis l’accent sur la nécessité d’un équilibre. Or dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi risque de provoquer un déséquilibre et d’amoindrir la compétitivité de nos entreprises par rapport à la concurrence étrangère.

Ne soyons pas naïfs. La guerre économique et la déstabilisation des entreprises, cela existe. Ne négligeons pas cet aspect de la réalité. Avec une telle proposition, nous fragilisons nos entreprises, nous fragilisons le pays. Ne l’oublions pas !

M. Lionel Tardy et M. Alain Gest. Très bien.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Vous ne cessez d’évoquer la notion de bonne foi. Je vous rappelle, mes chers collègues, que vous avez utilisé exactement les mêmes termes dans la loi sur la pharmacovigilance défendue par votre collègue Arnaud Robinet. Nous avons repris ces termes et, que je sache, je ne vous ai pas entendus alors développer ces arguments. Soit le texte de M. Robinet subit les mêmes critiques que le nôtre et alors vous vous êtes trompés, soit nous avons raison comme M. Robinet avait raison en son temps.

S’agissant des éléments probants et scientifiques, je ferai les mêmes remarques que tout à l’heure sur la compétence. Si les éléments sont « probants et scientifiques », il ne s’agit plus d’alerte et il n’y a nul besoin d’expertise. Votre argument est celui qui a toujours été opposé aux lanceurs d’alerte.

M. Gérard Sebaoun. En effet.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. On leur faisait valoir que leurs propos n’étaient pas scientifiques, que rien n’était prouvé et il n’y avait donc jamais d’expertise. Je me demande de quoi vous avez peur. Aucune entreprise ne sera paralysée.

M. Patrick Hetzel. Et la réputation de l’entreprise ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Soit l’employeur donne une réponse satisfaisante – il dispose d’un mois pour le faire – et il y avait une véritable alerte. Soit il y a désaccord, le préfet sera saisi et les pouvoirs publics étudieront l’alerte pour savoir s’il y a oui ou non un risque. Nous sommes dans le cadre d’un traitement rationnel du problème.

Croyez-vous vraiment qu’un salarié va s’exposer aux critiques de ses collègues, de son employeur pour tirer une sonnette d’alarme sans raison ? C’est inenvisageable. La plupart de ceux qui lancent une alerte sont des personnes courageuses, qui l’ont payé dans leur carrière, parfois dans leur vie privée – j’ai cité Jean-Jacques Melet qui a fini par se suicider.

M. Martial Saddier. Ils ont payé parce qu’ils étaient au contact des problèmes.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Comment pouvez-vous imaginer que des gens lancent une alerte à la légère ? Votre vision ne correspond pas à la réalité, mais peut-être avez-vous la volonté de paralyser le processus ? Je ne peux donner qu’un avis défavorable à l’amendement.

M. Patrick Hetzel. Vous allez dans notre sens !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je suis assez étonné que l’on mêle le concept de compétitivité à ce débat, ne serait-ce que parce qu’un certain nombre d’entre vous ont spontanément évoqué le fait que ce droit existe déjà dans des grands pays développés, industriels, au premier rang desquels, les États-Unis et la Grande-Bretagne, et que cela ne gêne pas leur compétitivité.

M. Patrick Hetzel. Non, pas aux États-Unis.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Pas partout en effet.

De ce point de vue, nous avons un vrai désaccord. Si votre ligne de conduite est systématiquement le moins-disant social,…

M. Patrick Hetzel. Ce n’est pas du tout le moins-disant social !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …je ne peux que constater notre désaccord, lequel est politique, et qui fait que vous siégez à droite et qu’il y a une majorité de gauche. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Si vos seuls arguments, monsieur le ministre, sont d’ordre politique, cela en dit long !

Mme Isabelle Attard. Vous n’en avez jamais fait autant ?

M. Alain Gest. C’est du niveau de Quilès en 1981 !

M. Martial Saddier. En appeler à la sagesse comme vous l’avez fait tout à l’heure en dit également long sur votre désarroi et votre absence d’arguments ! Pourtant, il s’agit d’un sujet de fond qui mériterait mieux.

J’ai reconnu que le mot « compétent » n’était pas le plus approprié. En l’occurrence, l’expression « de bonne foi » n’est pas non plus la plus appropriée et il faudrait la compléter.

Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même apporté la réponse en rappelant que des gens avaient payé. Ils ont payé très cher parce qu’ils étaient en contact direct avec les problèmes. Hélas, si je puis dire, ils avaient une compétence, une certaine connaissance.

En refusant tant nos amendements que la discussion, vous ouvrez la porte à un système d’alerte sur n’importe quel sujet. En commission, nous n’avons eu aucune réponse sur la définition juridique des termes « de bonne foi ». Tous les secteurs d’activité peuvent être concernés. Et grâce aux moyens modernes de communication, qui permettent en un seul clic de traverser la planète entière, vous permettez de lancer des alertes sur tout sujet.

M. Lionel Tardy. Avec Twitter, les réactions sont immédiates.

M. Martial Saddier. Ne pensez-vous pas, pour le bien-être de nos concitoyens, pour la protection des personnes qui seraient tentées, influencées, mal informées, manipulées y compris à des fins commerciales,…

Mme Michèle Fournier-Armand. Mais quelle vision avez-vous des salariés ?

M. Martial Saddier. …pour celles qui seraient de bonne foi et qui diraient la vérité, ne pensez-vous, disais-je, que notre débat mériterait mieux que les réponses que vous faites ?

M. Alain Gest. Très bien.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Cher collègue, le problème est culturel : vous portez dans vos gênes une diabolisation de la classe ouvrière.

M. Patrick Hetzel. Mais non !

M. André Chassaigne. Vous imaginez que le salarié n’a pour seul but que de créer des difficultés à son patron.

M. Philippe Vitel. Mais non !

M. André Chassaigne. Mais il existe encore dans ce pays, quand on leur fait confiance, des salariés qui aiment leur travail, qui aiment leur entreprise (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste), qui produisent de la richesse et qui ont droit au respect.

Vous avez des crampes mentales qui vous font réduire la personnalité des salariés de ce pays ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste.)

(L’amendement n° 6 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 7.

M. Patrick Hetzel. Monsieur Chassaigne, il ne faudrait pas que votre approche soit manichéenne. (« Pas vous ! » et rires sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Chers collègues, nous sommes tout aussi soucieux des salariés que vous. Une entreprise sans salariés n’existe pas, nous le savons aussi bien que vous. Mais pour qu’il y ait des salariés, il faut une entreprise. Or nous risquons de fragiliser tout le monde. Pour qu’il y ait du travail, il faut des travailleurs, mais aussi des entreprises. C’est un équilibre. Je vous invite donc à la mesure. Nous sommes aussi soucieux que vous, je le répète, de l’ensemble des Français.

J’en viens à notre amendement, qui tend à préciser que le risque est avéré, afin d’éviter des risques d’insécurité juridique. Notre démarche est une démarche de protection et d’intérêt général.

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Permettez-moi de vous faire part d’un exemple concret. Dans une entreprise de téléphonie mobile de 900 salariés à Toulouse, les salariés ont eu l’impression que la climatisation était infestée par de la légionellose. C’est un fait « grave ». Faut-il attendre qu’il soit « avéré » et qu’ils soient infectés par la légionellose avant d’intervenir ?

M. Patrick Hetzel. Mais non. Vous faites une mauvaise interprétation de nos propos.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. C’est pourtant ce que vous avez dit : en cas de risque grave potentiel, on attend qu’il ait des effets. Et si c’est avéré, on intervient.

M. Martial Saddier. On n’a pas besoin de ce texte pour cela. Il y a le code de la santé publique !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Mais si !

M. Martial Saddier. Mais non !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Avis défavorable à l’amendement.

M. Martial Saddier et M. Patrick Hetzel. Il faut que nous puissions répondre, madame la présidente.

Mme la présidente Vous aurez la parole.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Madame la présidente de la commission, je veux bien, mais le code de santé publique existe ainsi qu’un service de contrôle de la légionellose. On n’a donc pas besoin de ce texte. (« Eh oui ! sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je vous dis ce qui s’est passé. Il a fallu que j’intervienne !

M. Martial Saddier. Monsieur Chassaigne, même si vous êtes probablement de bonne foi, vous avez injustement sonné l’alerte. À ma connaissance, et je le dis avec le sourire, il n’y a pas eu d’enquête sur la taille des cerveaux des parlementaires selon la place qu’ils occupent dans l’hémicycle !

En outre, pour ce qui concerne la qualité des entreprises, il n’y a pas que les salariés. Moi, je parle des salariés, de l’entreprise et des chefs d’entreprises. C’est ce tout qui fait la qualité des entreprises et la capacité d’innovation et d’entreprendre dans notre pays. Et les chefs d’entreprise, l’entreprise et les salariés sont capables d’innover – et dieu sait qu’ils sont nombreux – dans le respect et la protection de l’environnement et de la santé publique.

(L’amendement n° 7 n’est pas adopté.)

(L’article 9 est adopté.)

Article 12

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 2.

M. Patrick Hetzel. Il est proposé de supprimer l’article 12. En effet, l’article L. 4141-1 du code du travail a pour vocation d’informer les salariés de l’entreprise ou de l’établissement des risques éventuels qu’ils encourent eux-mêmes pour leur propre santé ou leur propre sécurité, dans le sens « hygiène sécurité et conditions de travail », à leur poste de travail.

L’employeur n’est pas là pour faire de la « contre-information » ou de la contre-publicité à propos de ses propres procédés de fabrication qui peuvent d’ailleurs être confidentiels, pour des raisons de protection de l’activité de l’entreprise. Le droit de la propriété intellectuelle garantit la confidentialité du processus de fabrication.

Par ailleurs, introduire une telle possibilité risquerait d’entraîner, dans certains cas, une inflation exponentielle des saisines des comités d’hygiène et de sécurité de nos entreprises. Ce n’est pas souhaitable. Nous avons aujourd’hui un dispositif qui fonctionne et cet article 12 n’a donc pas son utilité.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. C’est l’interprétation inverse qu’il faut avoir de cet article. Vous ne voyez que le fait d’imposer à l’employeur une contre-information sur les produits utilisés.

M. Patrick Hetzel. C’est ce qui est écrit.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Vous voyez dans les salariés des traîtres potentiels, à l’affût de la moindre alerte, prêts à dénoncer.

M. Martial Saddier. Arrêtez !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Il ne s’agit pas de voir le mal partout, au contraire.

M. Martial Saddier. Retirez le mot « traître » !

M. Alain Gest. À défaut, nous serons obligés de faire un rappel au règlement.

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Il s’agit au contraire, pour éviter l’alerte inutile, que l’employeur informe les salariés des risques normaux communiqués par les fournisseurs sur les procédés et les produits utilisés. Il faut y voir une opportunité pour les salariés plutôt qu’une contrainte pour l’employeur.

Par ailleurs, les secrets industriels et les secrets de fabrication sont couverts par un autre article, l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978.

Ne vous méprenez pas sur les intentions de cet article 12 qui vise, au contraire, à assurer une bonne information du salarié et éviter des alertes inutiles à propos de risques normaux associés à l’utilisation de produits ou de procédés.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Les choses doivent être claires et s’il existe des interrogations, nos débats permettront d’y répondre. Dans l’esprit du Gouvernement comme de la commission, cette interprétation ne comporte aucun risque pour la protection du secret industriel. L’obligation d’information générale ne saurait être de nature à la remettre en cause. Il n’y a pas de doutes quant aux engagements des uns et des autres.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Je prends volontiers acte des propos de M. le rapporteur et de M. le ministre, qui seront consignés in extenso dans le compte rendu. Il est bien entendu que le ministère qui traitera de cette question au fond devra rigoureusement s’en tenir à ce qui vient d’être dit à la fois par le rapporteur et par le ministre. Si votre intention va dans ce sens, nous vous accordons le bénéfice de la bonne foi.

M. Martial Saddier. Contrairement à vous !

M. Patrick Hetzel. Nous considérons que cela doit se limiter strictement à cela. La protection de la propriété industrielle ne saurait être remise en cause car elle met en jeu notre compétitivité, comme je le soulignais.

Mme la présidente. Retirez-vous votre amendement, monsieur Hetzel ?

M. Patrick Hetzel. J’accepte de le retirer, à condition que M. le rapporteur retire ses propos, extrêmement graves, nous accusant de prendre les salariés pour des traîtres.

M. André Chassaigne. Cela n’a rien à voir !

(L’amendement n° 2 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 8.

M. Patrick Hetzel. Le présent article étend aux risques potentiels que font peser sur la santé publique ou l’environnement les produits et les procédés de fabrication mis en œuvre par un établissement. Il nous paraît important que ces risques soient qualifiés car il existe différentes catégories, nous avons eu l’occasion d’en débattre. Il ne faudrait pas provoquer panique ou insécurité juridique. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que soient ajoutés les termes « graves et avérés ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Pardonnez-moi, monsieur Hetzel, mais il me semble vraiment que vous faites un contresens à propos de cet article 12 : il n’a pas pour objet l’alerte mais les risques normaux, déjà connus, liés à l’utilisation d’un procédé ou d’un produit. Si le risque est grave et avéré, il ne relève pas de la simple procédure d’information : il est du devoir des pouvoirs publics d’interdire le produit ou le procédé en cause. Les risques dont l’employeur doit informer le salarié doivent rester minimes.

Avis défavorable donc.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Défavorable pour les mêmes raisons.

(L’amendement n° 8 n’est pas adopté.)

(L’article 12 est adopté.)

Article 14 bis

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier, pour soutenir l’amendement n° 9.

M. Martial Saddier. Il s’agit presque d’un amendement de cohérence qui vise à faire écho à l’ajout du qualificatif « grave » par la commission : il établit un parallélisme des formes dans les compétences du CHSCT.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Il ne s’agit pas de cohérence mais de contresens. Vous confondez encore une fois l’alerte et le risque avéré. Nous pouvons espérer que chaque fois qu’il y aura une alerte, nous ne nous trouverons pas face à une atteinte avérée et, qui plus est, grave à l’environnement ou à la santé publique. Il s’agit de prévenir les risques. Or si vous attendez que cette atteinte soit réelle et grave, il n’y a plus de prévention possible.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Même avis.

Modifier l’article dans le sens que vous indiquez risquerait de faire intervenir les entreprises trop tard, une fois que l’atteinte est avérée et grave, ce qui relève d’un autre cadre juridique. Dès lors que les entreprises s’attachent à prévenir les évolutions pouvant aboutir à ce type de situation, elles suivent une procédure qui va dans le sens de leur propre intérêt comme de l’intérêt des salariés.

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Malgré votre bonne foi, vos réponses, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, me semblent manquer de précision. Et je ne veux même pas penser à l’interprétation juridique qui pourrait être tirée de vos analyses. « Si vous attendez une alerte réelle et grave », dit le rapporteur. Fort heureusement, ce sont des alertes au moins réelles et graves que nous visons.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

M. Martial Saddier. Il ne faudrait pas que quelqu’un puisse par une simple alerte répandre la peur sur la planète entière, à commencer par notre pays, en utilisant les moyens de communication modernes. Et cela va dans le sens de l’intérêt du premier concerné : celui ou celle qui, en toute bonne foi, donnerait une alerte qui ne serait ni réelle ni grave.

Pitié ! Nous sommes à l’Assemblée nationale en train d’écrire le droit. Ayez à l’esprit qu’il va servir de base à des décisions dans les tribunaux.

Vos réponses, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, sont la démonstration que ce texte mériterait de revenir en commission pour être revu et précisé.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je souhaite préciser que l’extension des pouvoirs du CHSCT aux questions environnementales est issue de certaines conclusions du Grenelle de l’environnement qui n’avaient pas encore trouvé à s’appliquer dans les textes. C’est donc une excellente chose.

Par ailleurs, s’agissant de la gravité, comment la définir ? L’effet papillon peut-il être qualifié de grave ? À quel stade faire intervenir cette notion ? Il me semble que l’ajout d’un tel terme n’a aucun sens.

(L’amendement n° 9 n’est pas adopté.)

(L’article 14 bis est adopté.)

Article 16 A

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 10 et 12, visant à supprimer l’article 16 A.

La parole est à M. Patrick Hetzel, pour défendre l’amendement n° 10.

M. Patrick Hetzel. Cet article vise à conférer aux institutions représentatives du personnel la possibilité de présenter, dans le rapport de gestion, leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnemental et sociétale des entreprises. Relevant d’un titre rassemblant diverses dispositions, il introduit en réalité une modification substantielle du dispositif existant qui ne nous apparaît pas nécessaire. C’est la raison pour laquelle nous proposons sa suppression.

Le rapport de gestion visé est celui que le conseil d’administration présente à l’assemblée générale des actionnaires, selon des modalités déjà définies par le législateur. À ce titre, le conseil est aujourd’hui le seul auteur et le seul responsable de son contenu. Les informations environnementales, sociales et sociétales intégrées au sein du rapport de gestion sont ensuite communiquées au comité d’entreprise, lequel peut formuler à cette occasion ses observations qui doivent être transmises de droit à l’assemblée générale des actionnaires, en même temps que le rapport du conseil d’administration.

Par voie de conséquence, les représentants du personnel ont d’ores et déjà la possibilité de présenter leur avis sur les démarches liées à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises alors même qu’une récente étude réalisée à la demande d’une organisation syndicale – la CFDT pour ne pas la nommer – démontre qu’ils n’ont que très peu recours à cette faculté.

Il conviendrait donc d’abord d’appliquer les dispositions récemment introduites dans notre droit. Ce n’est qu’après, une fois que l’on disposerait d’une étude d’impact, que l’on pourrait à nouveau légiférer. Là encore, on constate une très grande précipitation.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bapt, pour défendre l’amendement n° 12.

M. Gérard Bapt. Mon amendement, s’il vise également à supprimer l’article 16 A, ne repose pas sur les mêmes fondements. Il s’agit pour nous d’un amendement d’opportunité.

Lors de la grande conférence sociale, plusieurs engagements ont été pris en matière de responsabilité sociale et environnementale. Une réflexion doit ainsi être ouverte entre l’État et les partenaires sociaux sur le processus de notation sociale des entreprises incluant la « problématique qualité de vie au travail, ainsi que d’autres dimensions constitutives de la responsabilité sociale des entreprises ».

En vue de préparer une nouvelle étape dans le déploiement des démarches de responsabilité sociale et environnementale, une mission doit également être mise en place, associant une personnalité du monde de l’entreprise, une personnalité du monde syndical, une personnalité du monde associatif et des ONG. Elle aura notamment pour objet de formuler des propositions pour une meilleure prise en compte de la responsabilité sociale et environnementale dans les entreprises et dans l’environnement de celles-ci, en particulier au travers des mécanismes de notation sociale.

Enfin, le plan national « responsabilité sociale et environnementale 2012 », finalisé au mois de décembre dernier, actuellement en cours de validation, doit être envoyé à la Commission européenne avant la fin du mois de janvier.

L’initiative prise par le Sénat à propos d’une préoccupation que nous partageons télescope donc plusieurs chantiers de réflexion en cours. Voilà pourquoi il ne nous apparaît pas judicieux de modifier aujourd’hui la législation applicable, a fortiori par le biais de dispositions introduites par voie d’amendement au cours de la discussion d’un texte dont l’objet ne présente pas de lien direct avec la responsabilité sociale et environnementale.

M. Martial Saddier. En effet !

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Je dois avouer que je ne comprends pas pourquoi l’on veut supprimer cet excellent article introduit par le Sénat, je le dis très clairement, à l’intention des députés de droite comme de gauche.

Pourquoi aurions-nous peur, mes chers collègues, que les témoignages des représentants du personnel figurent dans le rapport social des grandes entreprises ? De la même façon, pourquoi aurions-nous peur des témoignages apportés par des représentants d’organisations extérieures ?

Dans les débats qui ont présidé à la généralisation des rapports sociaux et environnementaux, de telles informations étaient demandées par l’ensemble des acteurs. Nous ne souhaitons pas que le rapport social et environnemental soit un simple rapport de communication, mes chers collègues, comme cela a souvent été le cas dans le passé où il s’est agi de verdir certaines présentations et d’empêcher que des appréciations extérieures ne soient portées sur la qualité même du rapport.

À gauche, l’argument consiste à dire qu’une réflexion est actuellement menée sur le sujet. Mais pourquoi ? La nécessité des témoignages de partenaires sociaux comme des partenaires environnementaux paraît relever de l’évidence. J’avoue avoir du mal à comprendre pourquoi certains refusent cet excellent article introduit par le Sénat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Cet article dispose que les institutions représentatives du personnel peuvent présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises.

Notre collègue sénatrice Aline Archimbaud avait introduit cet article par amendement lors de l’examen du texte par la Haute assemblée, au titre de l’article 225 de la loi du 12 juillet 2010, dite Grenelle II.

Malheureusement, ces dispositions ont été supprimées quelques mois plus tard par la loi de régulation bancaire et financière. Nous déplorons cette suppression ; aussi, l’examen de cet article 16A est-il l’occasion de les rétablir.

Renforcer la crédibilité des rapports établis par les entreprises en matière de responsabilité sociale, sociétale et environnementale nous semble nécessaire, pour ne pas dire primordial.

J’entends les arguments de nos collègues socialistes, qui s’interrogent sur l’opportunité d’adopter cet article au vu de la grande conférence sociale et des discussions en cours. Mais, dans votre exposé des motifs, vous indiquez que plusieurs engagements ont été pris, lors de la grande conférence sociale, en matière de responsabilité sociale, environnementale et sociétale : profitons alors de ce texte pour prendre acte de ces engagements via cette possibilité d’avis offerte aux institutions représentatives du personnel.

Ce n’est pas une grande avancée, mais un signal positif ; nous ne pouvons donc pas soutenir cet amendement de suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je souhaite m’associer aux interventions en faveur du maintien de cet article, lequel me semble extrêmement important.

En effet, son champ d’intervention n’est pas le même que celui du rapport sur la gestion sociale et environnementale, qui est limité à des entreprises d’une certaine importance.

À l’inverse, l’article 16 A œuvre concrètement pour plus de démocratie sociale, en donnant des pouvoirs aux salariés dans les entreprises. Il n’y a donc aucune raison pour répondre favorablement aux demandes de suppression de cet article, alors que l’ensemble de la gauche – et je me tourne vers mes collègues de gauche – affiche sa volonté de développer la démocratie sociale.

C’est un petit pas : maintenons ce petit pas !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements de suppression ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Tout d’abord, il est vrai que, si la commission a donné un avis majoritairement favorable à ces amendements, j’y suis à titre personnel défavorable. Vous l’avez compris : cela fait débat au sein de la gauche, ce qui n’est pas dramatique car il ne s’agit que d’une disposition annexe du texte.

Il n’empêche que ce point est important. J’ai parfaitement entendu les arguments du Gouvernement et de nos collègues sur le nécessaire respect des négociations sociales. Toutefois, je crois que ce cas est différent pour une raison très simple : il ne s’agit pas ici d’une disposition nouvelle que nous créerions à l’occasion du vote de cette loi, mais d’une disposition déjà présente dans la loi Grenelle II, avant qu’elle ne soit supprimée de façon subreptice par les parlementaires UMP…

M. Bertrand Pancher. Oui, au Sénat !

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. …par un cavalier législatif introduit dans une loi qui n’avait aucun rapport.

Tout comme Mme Massonneau, M. Chassaigne et d’autres députés, je pense qu’il ne s’agit pas tout à fait du même cas. Mais, encore une fois, cet amendement ne change pas la portée du texte, car ce n’est qu’une disposition annexe.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le Gouvernement est favorable à ces amendements, donc à la suppression de cet article.

La question posée ne consiste pas à déterminer si nous sommes favorables ou non à la responsabilité sociale des entreprises : je pense qu’ici, chacun est favorable à cette démarche.

M. Patrick Hetzel. Bravo !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il existe à la fois un problème de fond et un problème de méthode.

Le problème de fond est que l’on ne peut utiliser ce concept sans qu’il ait fait au préalable l’objet d’une définition. Quelle est notre ambition pour la responsabilité sociale des entreprises ?

Plusieurs niveaux sont possibles. À un premier niveau, la responsabilité sociale des entreprises se décline uniquement en une amélioration du dialogue social avec les institutions existantes.

Mais à un autre niveau, beaucoup plus ambitieux, la notation sociale, pour prendre cet exemple, devient une procédure obligatoire avec des organismes agréés – cela existe déjà dans certains pays – et relève de l’image commerciale – le terme n’a rien de choquant – de l’entreprise.

À utiliser ce concept sans qu’il soit d’abord défini, nous prenons le risque d’en rester à une vision a minima de la démarche de responsabilité sociale des entreprises ; car telle serait bien la conséquence première de l’adoption de ce texte aujourd’hui.

Le Gouvernement souhaite en réalité que cette responsabilité sociale fasse l’objet d’une négociation. Il a donc demandé aux partenaires sociaux d’engager cette négociation, mise sur les rails par la grande conférence sociale.

L’enjeu est considérable. J’espère que nous aurons, avec les organisations syndicales comme patronales, la possibilité de dégager un consensus sur la dimension sociale de l’entreprise. J’ai déjà évoqué l’exemple de la notation ; mais nous devons également faire l’effort d’adopter une législation qui imposera aux entreprises dépourvues d’institutions représentatives de s’en doter – combien d’entreprises en effet ne comptent pas de délégués du personnel, alors même que la loi leur en fait l’obligation ?

Cette argumentation peut-elle améliorer l’image extérieure de l’entreprise ? L’enjeu est considérable, car il mêle la question du niveau social à l’intérieur de l’entreprise à celle de son image, ce qui peut présenter un intérêt pour l’entreprise elle-même comme pour les salariés.

Encore faut-il, dès lors que l’on parle de responsabilité sociale, nous montrer cohérents avec ce que nous souhaitons faire, c’est-à-dire mettre en avant la démocratie sociale. Il s’agit simplement d’une question de calendrier : il nous semble que la préférence – tout comme le temps nécessaire à cette démarche – doit être donnée aujourd’hui aux partenaires sociaux, avec l’ambition que je viens de rappeler.

La règle sera la même que pour les autres négociations : si elles n’aboutissent pas, si le temps de la négociation ne débouche pas sur une proposition concrète, alors viendra le temps de l’intervention du législateur, lequel n’abandonne pas son ambition. Mais en matière de démocratie sociale, il ne faut pas simplement être croyant : il faut également être pratiquant.

Telle est la priorité que nous nous fixons, car la responsabilité sociale et environnementale vise à promouvoir la démocratie sociale. Dès lors, le Gouvernement, partageant la même ambition que celle manifestée par tous ceux qui se sont exprimés ici, estime que le temps de la négociation est aujourd’hui venu.

Le champ de cette négociation est ambitieux pour la responsabilité sociale des entreprises. Lorsque, espérons-le, ce temps aura abouti, nous prendrons acte de cet accord. Mais dans tous les cas, si aucun accord ne devait intervenir, cela ne changerait rien à notre ambition, et viendrait alors le temps du législateur.

Placer la responsabilité sociale et environnementale au cœur de notre vie sociale comme de notre vie économique constituerait donc un grand progrès collectif. Une telle réussite, attendue par tous, suppose de ne pas prendre aujourd’hui de risque intempestif, qui inciterait les partenaires sociaux, si le législateur devait intervenir dès maintenant, à s’en tenir à une vision très minimale de la responsabilité sociale.

Cette idée est peut-être nouvelle et moderne à gauche ; mais je pense que les salariés, dès lors que la responsabilité sociale et environnementale deviendra une ambition collective, auront tout à gagner dans cette avancée du droit social. Les entreprises peuvent également s’y associer, car leur image de marque sera portée par cette ambition.

M. Patrick Hetzel. Bien sûr !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Voilà pourquoi le Gouvernement vous demande d’adopter ces deux amendements, qui visent tous deux à la suppression de cet article.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le ministre, j’admire vraiment votre talent oratoire. Vous avez tenu quasiment les mêmes propos – nous pouvons le vérifier dans les comptes rendus des séances – lorsque nous intervenions tous les deux, il y a un peu plus d’un an, sur la loi Warsmann relative à la simplification du droit.

Vous aviez en effet présenté quasiment la même argumentation, mais avec une conclusion contraire puisque vous affirmiez que cela ne pouvait pas attendre et qu’il était nécessaire de prendre immédiatement des décisions. C’est un peu « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ! Mais cela n’est pas très grave.

Je vous soupçonne tout de même – très amicalement, monsieur le ministre, car je connais votre dextérité verbale – de garder ce petit acquis social pour accompagner la loi dont nous aurons à discuter à la suite de l’accord qui a été signé par trois organisations syndicales minoritaires et le Medef.

M. Lionel Tardy. Cet accord n’était donc pas historique ?

M. André Chassaigne. Vous accompagnerez tout cela de textes qui auront une dimension un peu plus sociale, une forme d’édulcorant qui permettra de mieux faire passer la pilule !

M. Patrick Hetzel. C’est extraordinaire ! M. Chassaigne est égal à lui-même !

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Janquin.

M. Serge Janquin. Je donne volontiers acte à M. le ministre de sa volonté de qualité du dialogue social. Je souhaite par conséquent apporter mon témoignage : présidant depuis 25 ans un centre de gestion départemental, j’ai l’habitude des relations de démocratie sociale avec les partenaires, que ce soit dans le cadre d’un conseil d’administration, d’une commission administrative paritaire ou d’un comité d’hygiène et de sécurité. Je sais donc combien les propositions des partenaires sociaux sur ces questions sont tout à fait vitales.

Face à cette situation, nous disposons de deux possibilités, monsieur le ministre. Soit nous adoptons la proposition, et dès lors il appartiendra aux partenaires sociaux d’en préciser les concepts et les contenus, que le Gouvernement pourra officialiser par décret ; soit vous préférez une position d’attente, mais qui exige alors, vous en conviendrez, que vous vous portiez garant de la finalisation de la procédure.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je souhaite rassurer M. Chassaigne, que je sais très vigilant concernant les propos que je tiens.

Il n’est pas question que cette initiative soit examinée dans le texte que vous évoquez, et dont vous aurez à débattre prochainement. J’aimerais vous convaincre de ceci : la question de la responsabilité sociale n’est pas aujourd’hui dans le débat – j’en ai donné tout à l’heure une indication, que vous ne pouvez pas écarter.

Si vous inscrivez cette référence dans la loi, ce concept, qui aujourd’hui n’est pas défini, y figurera dans une version minimaliste, en ne traitant pas, par exemple, de la notation sociale ou environnementale. Or, nous devons poursuivre notre grande ambition : donnons-nous cette chance ! Vous ne pouvez pas affirmer que cela entraînerait votre vision à vous, laquelle du reste doit être proche de la mienne.

Encore faut-il que nous disposions de ces définitions ; or, en maniant ce concept nouveau et important pour l’avenir, nous risquons – le mot est sans doute un peu fort mais je veux le dire tel que je le pense – de gâcher cette chance.

En effet, vous le savez, si le législateur s’empare de ces questions, les partenaires sociaux considéreront, qu’ils soient du côté patronal ou du côté des salariés, que la vie de l’entreprise entre dans leur domaine naturel. Cette vision n’est pas réservée à quelques organisations syndicales : il y a de ce point de vue une exigence collective de la part de l’ensemble des organisations syndicales.

Nous devons donc leur envoyer un message de confiance, afin de leur indiquer que le législateur ne se désintéresse pas de ces sujets et n’abandonne pas à leurs seules discussions ce champ d’interrogations et de réflexions.

L’enjeu étant très important, je me permets d’insister : nous sommes d’accord sur l’objectif et nous n’avons pas de désaccord sur le fond, mais votre initiative peut à ce stade nous poser collectivement un grand problème. Je vous confirme officiellement que les mauvaises intentions que vous nous prêtez, et qui ont pu vous amener à vous interroger, n’existent pas. Loin de chercher à régler cette question dans un autre texte, nous souhaitons que se manifeste, le moment venu, une véritable initiative collective sur la question de la responsabilité sociale des entreprises.

Encore faut-il que les principaux acteurs de l’entreprise – les chefs d’entreprises et les organisations syndicales – aient eu le temps d’en discuter. Telle est la démarche voulue par le Président de la République, qui s’inscrit en cohérence avec la démarche globale du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Monsieur le ministre, je ne crois pas une seconde que les négociations sociales feront évoluer encore plus favorablement le dispositif de responsabilité sociale et environnementale dont nous nous sommes dotés à la suite de discussions collectives – ce dispositif étant déjà plus ambitieux que tout autre dont les pays occidentaux auraient pu se doter.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Vous avez le droit de ne pas le croire !

L’objectif est maintenant de mettre en œuvre les critères de responsabilité sociale et environnementale, point final, et de compléter ce dispositif par une ou deux idées qui avaient été réclamées lors du Grenelle de l’environnement, qui ont été adoptées, puis supprimées par un amendement nocturne au Sénat, à la demande de groupements d’entreprises qui à cette époque n’avaient rien compris. Cela fut notamment le cas du témoignage et de la participation des organisations syndicales et environnementales dans le cadre du rapport de gestion, soumis au vote des actionnaires.

Vous dites que cela va être le Grand Soir de la RSE et qu’il faut laisser aux partenaires sociaux la possibilité de renégocier : j’en prends acte, mais je vous garantis qu’il n’y aura aucune évolution importante dans ce domaine, ne serait-ce que parce que nous sommes dans le cadre de négociations d’adopter des dispositifs qui vont s’appliquer à tous. Je voulais appeler votre attention sur ce sujet.

(Les amendements identiques nos 10 et 12 sont adoptés et l’article 16 A est supprimé.)

Article 17

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 23.

M. Patrick Hetzel. L’article 17 crée un statut spécifique pour les lanceurs d’alerte. À notre avis, ce statut spécifique est assez dangereux, tout simplement parce qu’il risque de créer une confusion entre ce que font les lanceurs d’alerte d’une part et ce que font les véritables experts d’autre part. Surtout, en créant un tel statut – et je rejoins ce qui a été dit par le groupe écologiste, il faut lutter contre un certain nombre de lobbies – loin de supprimer les lobbies, on va les consolider. En créant un statut spécifique pour les lanceurs d’alerte, avec la possibilité que ceux-ci agissent sous l’influence de lobbies, nous risquons de consolider ces lobbies.

Je pense que ce risque-là n’a pas été pris en compte. Tel que l’article est rédigé, il risque de produire l’effet exactement inverse de celui qui avait été souhaité. C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression pure et simple de cet article.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Évidemment défavorable…

M. Patrick Hetzel. Pourquoi « évidemment » ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Parce que cet article est au cœur du projet, je l’ai expliqué. La protection du lanceur d’alerte est rédigée sur le même modèle que la protection du lanceur d’alerte dans le cas de la pharmacovigilance que vous avez adoptée à l’initiative de M. Robinet. Il s’agit simplement d’élargir la disposition à l’ensemble des lanceurs d’alerte en matière de santé et d’environnement.

Je tiens à préciser – car votre argument mérite réponse – que, contrairement à ce que vous avancez, la protection n’est pas accordée à toute personne qui fait état publiquement d’un danger. La protection est accordée au lanceur d’alerte qui suit un circuit précis de l’alerte, si bien qu’on va sortir de ce scandale médiatique permanent : il y a le circuit dans l’entreprise, avec l’employeur, le représentant du personnel, l’autorité administrative ou judiciaire. Le lanceur d’alerte pourra être de bonne foi. Le juge pourra tenir compte de cela, il pourra lancer une enquête pour vérifier les éléments.

Je crois qu’il faut revenir à l’histoire et se rendre compte que, dans l’histoire, les lanceurs d’alerte ont subi une répression qui rend cette notion de protection absolument indispensable. Vous la niez, vous la niez complètement en proposant de supprimer cet article et je crois que vous ne répondez pas aux attentes de notre société aujourd’hui. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Avis défavorable, avec la même argumentation.

(L’amendement n° 23 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 41 de M. le rapporteur est rédactionnel.

(L’amendement n° 41, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 17, amendé, est adopté.)

Article 19

(L’article 19 est adopté.)

Article 20

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n° 3.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement prévoit une autre rédaction du cinquième alinéa de l’article 1386-11 du code civil, qui rend le producteur responsable de plein droit en cas de dommages causés par un défaut de son produit. En revanche, le producteur peut être exonéré de sa responsabilité s’il prouve que l’état des connaissances scientifiques au moment où il a mis ce produit sur le marché ne lui a pas permis de déceler l’existence de ces défauts.

Avec l’article 20 tel qu’il est rédigé, on va supprimer cette exonération de responsabilité civile pour l’employeur qui n’aura pas respecté ses obligations d’information sur les suites qu’il donnera à l’alerte donnée par un travailleur ou un représentant du comité d’hygiène et de sécurité. Il est pour nous certain que cette disposition risque de constituer un frein très important à l’innovation, donc à la compétitivité de nos entreprises. La protection de la santé publique et de l’environnement face à des dérives doit évidemment être primordiale, mais elle doit rester conciliable avec l’innovation. Il y a un équilibre à trouver. C’est une question qui n’est pas simple, je vous l’accorde, mais tel que cet article est rédigé, nous sommes en train de restreindre les capacités d’innovation de nos entreprises, donc de faire peser de nouvelles charges indirectes sur celles-ci, en les obligeant à avoir recours aux procédures décrites. Nous, nous pensons qu’il faut trouver un autre équilibre : en tout cas, la rédaction de l’article ne le permet pas et met fortement en péril nos capacités d’innovation, c’est pourquoi nous en demandons une nouvelle rédaction.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Je vous rejoins sur un point : la question est complexe et votre argumentation aussi. D’ailleurs, en lisant votre rédaction, je me suis interrogé. Je me suis dit que nous pourrions presque la reprendre, car elle pourrait être plus dure que la nôtre. Sauf que vous avez ajouté « dont il a reconnu le bien-fondé », c’est-à-dire que vous laissez à l’appréciation subjective de l’employeur le soin de décider s’il doit répondre à l’alerte. Permettez-moi de défendre notre rédaction, qui est plus équilibrée. Pour nous, la responsabilité de l’employeur, c’est de respecter le circuit de l’alerte et de faire appel le cas échéant à une expertise indépendante. On ne lui demande pas d’être un expert à la place des experts, on lui demande simplement de tenir compte du circuit d’alerte prévu et, s’il respecte ce circuit, il ne subira pas cette suppression de l’exonération de responsabilité.

Quand on lit votre exposé sommaire, on voit qu’il s’agit pour vous d’un amoindrissement de la portée du dispositif. Dans tous les cas de figure, quelle que soit la façon dont on lit votre rédaction, elle est moins juste, moins cohérente et moins équilibrée que celle du dispositif. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Même avis.

(L’amendement n° 3 n’est pas adopté.)

(L’article 20 est adopté.)

Après l’article 23

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bapt, pour soutenir l’amendement n° 13.

M. Gérard Bapt. Il s’agit de rebondir sur ce que disait notre collègue Lionel Tardy lorsqu’il a évoqué les sanctions qui, selon lui, devraient s’appliquer à certains experts utilisant indûment des liens d’intérêt.

J’ai été frappé, à l’occasion du récent débat sur les questions de prescription de la pilule contraceptive, de voir que les médecins étaient particulièrement sous-informés, à la fois des bonnes pratiques en matière de prescription – qui sont pourtant présentes sur les sites des agences depuis 2007 – et de la réalité de la prescription, lorsqu’on lit les récits concernant un certain nombre de victimes.

J’ai aussi été frappé par la méconnaissance très largement répandue, à la fois chez les patientes et chez trop de professionnels de santé, de la nature des accidents graves pouvant survenir.

J’ai encore été frappé de voir que l’information qui parvenait autour de ces affaires de prescription de pilules était déséquilibrée : non seulement à cause du marketing des laboratoires, qui a développé un nombre considérable de ces pilules, toutes ayant des appellations plus attractives les unes que les autres – Diane chasseresse, la prochaine à paraître, m’a-t-on dit, s’appellera Antigone – mais aussi par la façon dont certains leaders d’opinion, occupant parfois des situations publiques prestigieuses, pouvaient avoir participé à la diffusion d’informations qui, mettant l’accent sur les bénéfices, méconnaissaient, inconsciemment ou par connivence, les risques.

Alors je me suis dit que le texte que nous avions voté, avec la loi sur le médicament en 2011, prévoyait un certain nombre de sanctions pour les experts qui ne déclaraient pas des liens d’intérêt, ou pour les laboratoires qui ne mettaient pas en évidence des éléments de pharmacovigilance sur les risques : eh bien, nous pourrions les étendre à ceux des experts qui, bénéficiant d’une position d’autorité publique, ou participant en tant qu’experts à la chaîne administrative conduisant à la décision de l’autorité sanitaire, pouvaient aller à l’inverse des recommandations émises par les autorités sanitaires officielles.

Madame la présidente, mon objectif est d’interpeller le Gouvernement et de savoir s’il a une solution pour remédier à cette situation particulièrement dommageable.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Roumegas, rapporteur. Ce débat a eu lieu au sein de la commission, qui a souhaité qu’il chemine jusque dans l’hémicycle et a donné un avis favorable.

À titre personnel, j’ai fait connaître mon approbation sur le fond, l’alerte que veut lancer notre collègue Gérard Bapt sur cette question, et en même temps, j’ai fait savoir que cette disposition n’a peut-être pas sa place dans notre texte. Il serait plus logique de la reporter à un projet de loi de santé publique que Mme la ministre nous annonce par ailleurs.

M. Bapt a lui-même reconnu que la situation qu’il évoque tombe sous le coup des dispositions pénales qui répriment le trafic d’influence, notamment en matière de médicament, cela paraît évident.

Sous réserve qu’il soit satisfait de la réponse du Gouvernement, je pense qu’il serait préférable qu’il retire cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Monsieur le député Gérard Bapt, la préoccupation que vous exprimez à travers votre amendement est légitime et le Gouvernement, comme nombre de parlementaires ici présents, la partage.

La question des liens d’intérêt est en effet centrale dans le domaine sanitaire. La ministre des affaires sociales et de la santé a ouvert ce chantier il y a quelques mois, vous le savez, et le décret sera publié prochainement.

Ce décret comprend les dispositions indispensables à la transparence des liens entre l’industrie pharmaceutique et les professionnels de santé.

M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. C’est sur la transparence, la plus grande transparence, que nous misons. Laissons ce décret produire ses effets – et je ne doute pas qu’ils seront puissants.

Je remarquerai, enfin, que le code pénal réprime le trafic d’influence, et qu’il ne semble pas nécessaire de renforcer l’arsenal répressif à la seule fin que vous indiquez.

Voilà pourquoi, monsieur le député, le Gouvernement vous suggère de bien vouloir retirer cet amendement. Nous sommes d’accord sur l’objectif à atteindre, et c’est l’essentiel. Le décret que j’ai annoncé, et dont le contenu a été précisé, répond parfaitement à votre démarche.

Mme la présidente. Maintenez-vous l’amendement, monsieur Bapt ?

M. Gérard Bapt. J’ai entendu que le Gouvernement, comme d’ailleurs le rapporteur, était sensible à la préoccupation que j’ai exprimée. Le décret qui va paraître mettra en musique le Sunshine Act à la française. Nous avons pu, par quelques informations, prendre connaissance des diverses versions qui ont été élaborées. Elles m’avaient quelque peu interpellé, comme d’ailleurs la présidente Lemorton. Mais j’ai bien entendu que ce décret veillerait tout particulièrement à ce que soit garantie la transparence, tout en luttant contre les liens de connivence, qui peuvent être pervers, entre certains laboratoires et certains experts placés dans une position d’autorité.

Mon amendement proposait de modifier le code de la santé publique. Vous avez renvoyé, monsieur le ministre, au code pénal et aux dispositions relatives au trafic d’influence. J’espère que le décret que le Gouvernement va faire paraître répondra à la préoccupation que j’ai soulevée, qu’il ne sera pas nécessaire d’en appeler au code pénal et au trafic d’influence pour corriger ces comportements. Au bénéfice de vos affirmations, monsieur le ministre, et sous réserve de cet espoir, je veux bien retirer cet amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(L’amendement n° 13 est retiré.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy, pour un rappel au règlement. Sur le fondement de l’article ?...

M. Patrick Hetzel. L’article 58, alinéa 1.

M. Lionel Tardy. Voilà. L’article 58, alinéa 1– ou celui que vous voulez.

Je voulais simplement faire ce rappel au règlement par rapport aux propos qu’a tenus notre collègue Marc Le Fur, puisque nous avons débattu cet après-midi des lanceurs d’alerte, avec tous les problèmes que cela peut poser aux entreprises concernées.

Je voulais revenir à la petite polémique de tout à l’heure concernant la SNCF,…

M. Jean-Pierre Dufau. Si nous finissions l’examen du texte ?

M. Lionel Tardy. …pour clore notre débat, qui est important. Il faut rétablir les choses. Une question avait été posée par une internaute le 21 novembre 2012 au sujet du formulaire SNCF où figuraient les mentions « Parent 1 » et « Parent 2 » au lieu de « Père » et « Mère ». (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Pierre Dufau. Ce n’est pas du tout un rappel au règlement !

M. Lionel Tardy. Je crois qu’il est important de rétablir les faits, pour la SNCF. Quand il y a des fausses alertes, il faut les corriger, avant que ça buzze sur internet.

Mme la présidente. Monsieur Tardy, vous n’avez plus la parole. Votre intervention n’a plus rien à voir avec un rappel au règlement et est totalement extérieure au déroulement du débat que nous avons sur ce texte. Nous passons aux explications de vote.

Explications de vote

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

M. Patrick Hetzel. Nous arrivons donc au moment de nous prononcer sur ce texte. Les débats ont montré que dans ces questions qui concernent le développement de notre société, notamment son développement économique, il est important de trouver des équilibres.

Pour notre part, il nous semble que ce texte n’est pas équilibré. Il crée des risques nouveaux pour les entreprises et leur capacité d’innovation. Il crée un statut spécifique pour les lanceurs d’alerte. Si l’on peut être d’accord avec un certain nombre de choses concernant le diagnostic en amont, les solutions qui sont proposées ici sont dangereuses pour notre activité économique. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons, évidemment, pas du tout être en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour le groupe Écologiste.

Mme Véronique Massonneau. Comme la plupart des orateurs de la majorité l’ont expliqué lors de la discussion générale et dans les débats sur les articles et les amendements, et comme j’ai moi-même pu le rappeler, ce texte est une véritable avancée dans le droit des lanceurs d’alerte.

Nous avons, chacun à notre tour, évoqué des dysfonctionnements du système actuel. Ces exemples démontrent toute l’importance qu’il y a à protéger ces citoyennes et ces citoyens. La multiplication des scandales – avec, ces derniers jours, les pilules de troisième et quatrième générations, ou encore le Diane 35 – doit faire prendre conscience aux législateurs que nous sommes de la nécessité de prendre des mesures pour éviter que cela se reproduise.

Je suis désolée d’observer que, sur les bancs de l’opposition, un sentiment de défiance persiste à l’égard d’un texte qui va dans le bon sens, et qui met en place un dispositif de sécurité sanitaire encadré.

Les écologistes voteront bien évidemment pour cette proposition de loi, qui constitue une réelle avancée pour les citoyens, pour les lanceurs d’alerte, pour la santé publique de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. J’ai eu l’occasion de dire, dans mon intervention, que les députés du Front de gauche, comme d’ailleurs de l’ensemble du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, voteraient ce texte. Aucun problème.

J’avais émis quelques objections, quelques réserves. Je voudrais remercier le rapporteur et le ministre pour la qualité de leurs réponses aux observations que nous avions pu faire, les uns et les autres.

J’avais terminé mon intervention sur une interrogation. Je pensais en particulier à ces femmes qui avaient travaillé à l’entreprise Amisol, à Clermont-Ferrand, et qui avaient été victimes de l’amiante pendant des décennies, sans le savoir. Sans le savoir ! Alors que l’on connaissait depuis 1906 les dégâts que l’amiante pouvait causer ! Je crois que si ce texte avait existé, s’il y avait eu des sonneurs d’alarme, on n’aurait sans doute pas résolu tous les problèmes, certes, mais la responsabilité collective aurait conduit à prendre à bras-le-corps le problème de l’amiante bien avant le moment où l’on a fini par le faire.

D’autres avancées seront nécessaires. Je pense en particulier au niveau pénal. Aujourd’hui, en France, le chef d’entreprise qui porte une responsabilité ne peut pas être condamné, contrairement à ce qui se passe, par exemple, en Italie, où, dans des cas similaires, des peines extrêmement sévères ont été prononcées.

En tout cas, ce texte représente un pas important. Et je ne doute pas que d’autres seront faits, pour mieux protéger les salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je vais maintenant mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Application du principe de précaution
aux ondes électromagnétiques

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Laurence Abeille relative à l’application du principe de précaution, défini par la Charte de l’environnement, aux risques résultant des ondes électromagnétiques (nos 531, 654 et 585).

Rappels au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher, pour un rappel au règlement.

M. Bertrand Pancher. Madame la présidente, je tenais à revenir brièvement sur le déroulement de cette journée consacrée aux textes d’initiative parlementaire, qui ne fait pas honneur au travail parlementaire.

La semaine dernière, en commission des lois, seuls deux députés du groupe écologiste ont voté pour la proposition de résolution relative à la coprésidence paritaire des groupes, qu’ils soutenaient. Au nom du groupe SRC, Dominique Raimbourg avait clairement exposé les raisons de son opposition au texte. Or, ce matin, lors de la discussion générale, prétextant des méthodes de travail rendues difficiles par l’urgence, il nous a exposé le revirement de son groupe qui n’avait, dit-il, pas mesuré à quel point le groupe écologiste devait bricoler au quotidien pour faire concorder les textes avec leurs efforts en matière de coprésidence. Il a ajouté – et c’est là, semble-t-il, la vraie raison de cette soudaine approbation – que des discussions ont eu lieu entre Europe Écologie-Les Verts et le groupe SRC qui ont permis d’éclaircir les choses. Dont acte. En conclusion, Dominique Raimbourg a proposé de rejeter les conclusions de la commission des lois qui, elle, est restée constante dans son argumentation et fidèle à sa position, défavorable au texte, exposée par le président Urvoas.

Bruno Le Roux a ensuite reconnu que ce changement de pied était purement politique. Nous avons abouti à une position qui est politique, a-t-il dit, et qui se manifeste d’abord par la volonté du groupe majoritaire de maintenir cette proposition.

S’agissant de la proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques, c’est la situation inverse qui semble se dessiner. La commission du développement durable et la commission des affaires économiques ont vidé le texte de sa substance pour aboutir à l’adoption d’une proposition totalement inoffensive qui n’a pour mérite que de ménager les susceptibilités de la majorité – je ne suis d’ailleurs pas totalement certain qu’elles le soient. Le Gouvernement avait ainsi prévu de poursuivre le travail de démolition amorcé en commission à travers le dépôt de vingt amendements de dernière minute.

Le feuilleton n’est pas terminé, puisque nous apprenons, en arrivant en séance publique, que le texte sera finalement renvoyé en commission à l’initiative… du groupe socialiste !

Cette façon d’adopter des textes qui ne sont rien d’autre que des manœuvres politiciennes au rabais et d’en rejeter d’autres qui ont fait l’objet d’un travail approfondi de réécriture en commission n’est pas digne du travail parlementaire.

Les conflits entre les groupes de la majorité…

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Pancher. Vous avez très largement dépassé votre temps de parole.

M. Bertrand Pancher. …et leurs arrangements ne nous concernent pas. Nous n’avons pas à faire constamment les frais de l’impréparation, voire de l’absence d’une stratégie de fond.

J’aurais aimé entendre sur ce sujet le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Malheureusement, il est parti, mais Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique pourra sans doute nous répondre sur ce point.

Le groupe UDI demande solennellement que l’on redonne un peu de tenue à nos travaux. Il ne prendra pas part à la discussion de ce texte, qui ne correspond nullement à notre conception de la démocratie parlementaire.

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour un rappel au règlement.

M. François de Rugy. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1, et porte sur le déroulement de nos travaux.

Je voudrais protester solennellement, au nom du groupe écologiste. En effet, nous avons appris, en début d’après-midi, que le groupe SRC avait déposé une motion de renvoi en commission sur la proposition de loi dont nous allons entamer la discussion. Or, cela n’avait jamais été envisagé auparavant ; nous l’ignorions encore ce matin, lorsque la séance réservée à des textes inscrits à l’ordre du jour par mon groupe a commencé.

Cette annonce est particulièrement surprenante – et je pèse mes mots –, à un double titre

Tout d’abord, la commission des affaires économiques a longuement étudié ce texte, au cours de nombreuses séances de travail. Elle l’a d’ailleurs très largement modifié : nombre d’amendements ont été examinés et adoptés. La commission s’est encore réunie au titre de l’article 88 en début d’après-midi. Lors de cette séance, elle a à nouveau rejeté certains amendements, notamment du Gouvernement, et en a adopté d’autres, déposés en particulier par des députés du groupe SRC. Donc, rien ne justifie sur le fond que l’on renvoie le texte en commission.

Ensuite, je veux faire une remarque sur le déroulement des séances d’initiative parlementaire réservées aux groupes, que l’on appelle les « niches ». Jamais – je dis bien : jamais –, il n’est arrivé, dans ce cadre, que le groupe majoritaire défende une motion de procédure pour empêcher que la proposition de loi d’un autre groupe soit discutée.

M. Alain Gest. C’est exact !

M. François de Rugy. Nous nous sommes suffisamment plaints, sous la précédente législature, que le groupe majoritaire de l’époque – avec la complicité du Gouvernement, ou l’inverse – demande systématiquement la réserve des votes : un vote bloqué intervenait ensuite, lors de scrutins solennels souvent ridicules. Néanmoins, on procédait à l’examen de chaque article et de chaque amendement de l’ensemble du texte. Je peux témoigner de cette pratique, car j’ai moi-même été, à cette époque, rapporteur de plusieurs textes d’initiative parlementaire déposés par mon groupe.

M. Marc Le Fur. Merci de cet hommage du vice à la vertu !

M. François de Rugy. Depuis le début de cette législature, la majorité a adopté une autre ligne de conduite, que je juge, pour ma part, plus saine et qui consiste à examiner chaque texte, chaque article et chaque amendement, lesquels sont soumis au vote. Or, si une motion de renvoi en commission est adoptée, l’examen de la proposition de loi n’aura pas lieu – chacun doit en être conscient – et nous devrons reprendre le texte de zéro.

En effet, contrairement à l’adoption d’une motion de rejet préalable, qui permettrait que le texte soit transmis au Sénat dans le cadre de la navette – cela me paraît un peu spécieux, mais cela s’est produit, lors d’une précédente législature –, l’adoption d’une motion de renvoi en commission arrête définitivement son examen et il faut tout reprendre. C’est la négation même du droit d’initiative parlementaire des groupes. C’est inadmissible. C’est pourquoi je demande à nos collègues socialistes de retirer cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologistes et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour un rappel au règlement.

Mme Laure de La Raudière. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58.

Je voudrais reprendre certains termes employés par François de Rugy. Nous avons en effet été surpris par le dépôt de cette motion de procédure, que nous avons également appris en tout début d’après-midi.

M. Patrick Hetzel. Oui, c’est dommage !

Mme Laure de La Raudière. Par ailleurs, je voudrais signaler que nombre d’amendements du Gouvernement ont été déposés très tardivement : ce matin, ils n’étaient toujours pas en ligne sur notre application « Eloi ». Aussi, madame la présidente, je vous demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.

M. Marc Le Fur. Très bien !

Mme la présidente. La suspension de séance est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Le Fur, pour un rappel au règlement.

M. Marc Le Fur. Madame la présidente, je souhaite faire un rappel au règlement relatif aux propos tenus par notre collègue de Rugy. Cette journée me paraît extraordinairement symptomatique de la nature des rapports entre les différentes composantes de la majorité, en l’espèce les groupes socialiste et écologiste.

Par quoi a-t-elle commencé ? Par une concession du président Le Roux au groupe écologiste. Je rappelle que le président Urvoas était opposé à la proposition de loi relative à la coprésidence, contrairement au président Le Roux, en dépit de tous les arguments juridiques. Le groupe socialiste accorde donc à Mme Pompili, qui le demande depuis longtemps, le « plaçou », comme on dit en Limousin : la petite place de coprésidente du groupe écologiste. Soit. C’est une concession.

M. Razzy Hammadi. La coprésidence vous aurait bien aidés au congrès de l’UMP ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Le Fur. Puis vient le deuxième texte sur lequel vous semblez être d’accord. Enfin, le troisième texte soulève un problème de fond. Notre règlement prévoit en effet ce que l’on appelle communément les « niches », c’est-à-dire la possibilité donnée aux groupes, en particulier d’opposition et minoritaires, qu’ils soient ou non dans la majorité, de déposer des textes correspondant à leurs ambitions et à leurs projets. Ces textes n’ont pas nécessairement vocation à aboutir, nous le savons bien : nous sommes en régime majoritaire. Ils ont en revanche vocation à être débattus, lors d’une discussion générale bien sûr, mais aussi par articles et amendements.

Lorsque nous étions majoritaires, nous laissions tout simplement le débat se dérouler : chaque article était discuté, chaque amendement défendu. Les répliques étaient énoncées, le rapporteur s’exprimait, le président de la commission aussi, le cas échéant – et je parle sous le contrôle du président Brottes, qui a bien connu cette époque bénie !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Douloureux souvenir !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Le Fur.

M. Marc Le Fur. L’UMP assurait, avec cette formule, que le débat ait lieu, même si le texte, bien entendu, n’aboutissait pas, puisqu’il était rejeté, le mardi suivant, lors d’un vote solennel. Là, de façon surprenante, nous assistons à une crise interne à la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Luc Belot. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Marc Le Fur. Vous appartenez, socialistes et écologistes, à la même majorité, les écologistes sont au Gouvernement et on assiste, au vu et au su de tous, à des difficultés majeures qui troublent l’ordonnance de nos débats ! Eh bien, nous…

Mme la présidente. Je vous remercie, mon cher collègue.

Présentation

M. le président. La parole est à Mme Laurence Abeille, rapporteure de la commission des affaires économiques.

Mme Laurence Abeille, rapporteure de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, nous devions débattre, pour la première fois dans l’enceinte de cette assemblée, d’une proposition de loi portée par l’ensemble du groupe écologiste relative aux ondes électromagnétiques et aux mesures de précaution à prendre pour protéger enfin la population.

M. Lionel Tardy. En effet, « nous devions » ! La messe est dite !

Mme Laurence Abeille. Nous avons appris, à la dernière minute et par la voix du Gouvernement, le dépôt par le groupe socialiste d’une motion de renvoi en commission. C’est une méthode incompréhensible et scandaleuse qui consiste à refuser le débat parlementaire et à bafouer les droits des députés.

Le débat est lancé. Cette proposition de loi avait vocation à en être la première pierre ; je crains que ce ne soit pas le cas. Le travail a été effectué, j’ai mené des dizaines d’auditions, notamment avec Suzanne Tallard, que je remercie pour son implication sur le sujet. Plus d’une centaine d’amendements ont été déposés sur ce texte, dont une vingtaine par le Gouvernement. Comprenne qui pourra !

M. Patrick Hetzel. En effet !

Mme Laurence Abeille. Ce texte a été adopté et par la commission des affaires économiques et par la commission du développement durable. Mais le débat n’aura très probablement pas lieu. Dont acte.

Il est pourtant plus que temps d’agir. Nous avons tous les éléments pour ce faire et n’avons plus rien à attendre de telle ou telle étude. Dès lors, permettez-moi de vous présenter les objectifs et l’esprit de cette proposition de loi, même si c’est avec beaucoup moins d’entrain que prévu et beaucoup de frustration.

M. Marc Le Fur. C’est dire !

Mme Laurence Abeille. Si les ondes électromagnétiques artificielles existent depuis longtemps avec la radio, la télévision ou les radars, l’essor exponentiel des technologies de la communication depuis une dizaine d’années amène à reconsidérer le problème et à s’interroger sur les risques pour notre santé de ce bain d’ondes dans lequel nous évoluons constamment. Se poser cette question, ce n’est pas faire preuve de peur irrationnelle. Les écologistes veulent faire le maximum pour prévenir une menace sanitaire qui pourrait déboucher sur de graves problèmes de santé publique si rien n’est entrepris rapidement.

Après l’examen de cette proposition de loi en commission des affaires économiques, il ne restait plus grand-chose du texte d’origine et je le déplore. Il n’en restera bientôt plus rien et c’est inacceptable. Je savais, à l’issue du travail en commission, que le Gouvernement ne voulait pas entendre parler de l’application du principe de précaution aux ondes. Je sais désormais qu’il ne veut même plus débattre du sujet des ondes électromagnétiques. Avoir peur du débat parlementaire, c’est cela qui est irrationnel !

Même si nous n’avons pas de certitudes scientifiques, les doutes existent et c’est parce que doute il y a que le principe de précaution doit s’appliquer. Cela n’implique pas de freiner l’essor des nouveaux outils de communication, mais bien de faire le maximum pour protéger la population. Hélas, certains s’inquiètent davantage de la santé des opérateurs de téléphonie mobile que de la santé de la population ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Je ne m’attarderai pas sur les nombreuses études scientifiques sur lesquelles se fonde mon propos et qui doivent pousser le législateur à agir tout de suite et non après la remise d’un énième rapport. Je m’appuierai seulement sur trois agences publiques.

L’Organisation mondiale de la santé a classé, en 2011, les ondes électromagnétiques comme potentiellement cancérigènes. Cette classification par l’agence sanitaire mondiale de référence doit faire réagir le législateur.

De même, pour justifier de ne rien faire maintenant, certains attendent l’actualisation du rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’ANSES, prévue en juin 2013. Mais, en 2009, dans sa dernière actualisation, cette agence – qui à l’époque s’appelait AFSSET – avait recommandé de réduire les expositions du public et disait que « la réduction d’une exposition doit être envisagée dès lors qu’elle est possible ». C’est l’essence même du principe ALARA, as low as reasonably achievable, dont les écologistes demandent l’application. Je constate que mes collègues de la majorité défendent également ce principe, qui peut donc être mis en œuvre rapidement si l’on considère que le Parlement est souverain.

Enfin, l’Agence européenne de l’environnement retrace, dans une étude rendue publique ce mois-ci, les scandales sanitaires qui ont émaillé notre histoire et souligne quatre risques naissants pour lesquels le principe de précaution doit être appliqué avec force et rapidement, dont celui lié aux ondes électromagnétiques du téléphone portable. Ce rapport dénonce les tergiversations constantes et la frilosité des dirigeants, qui préfèrent attendre que le risque soit avéré et la catastrophe inéluctable plutôt qu’agir préventivement. Ne reproduisons pas ce schéma en attendant encore et toujours ! Rappelons une nouvelle fois que les premières alertes sur la dangerosité de l’amiante datent de 1896, cent ans avant son interdiction. Je n’évoquerai pas les études qui pointent les effets athermiques et physiopathologiques des ondes. Ces alertes émanant d’agences publiques dont l’autorité est clairement reconnue suffisent pour agir, ici et maintenant.

Les moyens d’action sont nombreux, même ceux qui ne remettent pas en cause l’équilibre économique du secteur des télécoms. Face à ces risques, contrairement à d’autres risques sanitaires et environnementaux, des solutions alternatives simples existent et doivent impérativement être mises en œuvre, notamment les connexions filaires, qui permettent d’atténuer cette pollution électromagnétique. Le développement du filaire doit se faire à deux niveaux : en bout de ligne, pour un usage domestique, notamment dans les écoles, comme solution alternative au wifi, et au niveau des infrastructures de communication, qui doivent s’appuyer sur les réseaux filaires, notamment la fibre optique, plutôt que sur les technologies sans fil comme le wimax, la 4G et maintenant le « super wifi ».

On nous oppose notamment que la 4G représente un investissement de 3 milliards d’euros, mais le développement de la fibre optique représente un investissement de 20 milliards d’euros. Si la préoccupation est le développement économique et l’emploi, alors la bonne politique à mener est celle qui favorise la fibre. Cette question du développement économique et de la santé des entreprises du secteur nous est sans cesse opposée. Mais si les opérateurs de téléphonie sont en mauvaise posture actuellement, ce n’est pas à cause d’une législation qui protégerait la population des effets des ondes, puisqu’il n’y en a pas ! Protéger la population ne va pas à l’encontre du développement économique, j’en suis certaine. Au contraire, les opérateurs de téléphonie mobile pourraient s’enorgueillir de tenir compte de la santé de leurs clients et il serait dans leur intérêt de tout faire pour que n’éclate pas un scandale sanitaire, au lieu de nier sans cesse les risques qui existent.

Cette proposition de loi vise à prendre en compte l’ensemble des sources électromagnétiques de radiofréquence.

Tout d’abord, il est nécessaire d’abaisser l’exposition du public aux ondes, comme le recommande l’ANSES. Le décret de 2002 qui fixe des seuils entre 41 et 61 V/m est obsolète. Il doit être modifié. Nous proposons donc l’application du principe ALARA, c’est-à-dire la nécessité de s’assurer que l’exposition est aussi basse que raisonnablement possible. Je me félicite que la commission des affaires économiques, par la voix de son président François Brottes, nous suive sur ce point.

À propos du wifi, il est essentiel d’en prévoir une désactivation simple et de privilégier autant que possible les connexions filaires dans les établissements scolaires. Quant au wifi dans les écoles maternelles et plus encore dans les crèches, je ne comprends absolument pas son utilité. Même si le risque est faible, l’utilité du wifi dans les crèches est nulle : en toute logique, il convient donc de l’interdire, au moins dans les espaces où sont accueillis les nourrissons. Toutes les personnes avec qui j’en discute sont sidérées d’apprendre que ce n’est pas le cas actuellement et qu’une borne wifi peut-être installée à côté d’un nourrisson. L’interdire relève du simple bon sens.

Pour ce qui est des antennes-relais, la concertation et la transparence doivent prévaloir lors de leur implantation. Actuellement, c’est le chaos qui règne, et cette situation inquiète les riverains, qui voient s’implanter des antennes sans qu’aucune information ne leur ait été communiquée. Cette situation n’arrange pas non plus les opérateurs, qui peinent à installer les antennes et doivent faire face à de nombreux recours. Je rappelle que, suite à la conférence environnementale, la feuille de route pour la transition écologique prévoit qu’« une meilleure information et concertation entre l’ensemble des acteurs concernés sera mise en œuvre ».

Sur le téléphone portable, je me félicite des dispositions qui ont été adoptées en commission des affaires économiques. En matière d’usage, puisqu’il s’agit d’une exposition voulue, l’un des seuls moyens d’action est la prévention. Il faut réussir à changer les comportements, ce qui passe notamment par la publicité, qui ne doit plus montrer une personne téléphonant avec un portable collé à l’oreille. On ne peut pas, d’un côté, dire : « Attention, c’est dangereux ! » et, de l’autre, laisser des réclames publicitaires montrer ce qu’il ne faut pas faire.

Je souhaite revenir sur deux autres points. Le premier concerne les études d’impact sanitaire et environnemental qu’il conviendrait de mener avant tout lancement d’une nouvelle technologie. Je pense notamment à la technologie 4G : aucune étude n’a été menée pour mesurer l’incidence de cette nouvelle technologie sur le bain d’ondes électromagnétiques dans lequel nous sommes plongés. Je pense également aux nouvelles tablettes sans fil pour les enfants, apparues à Noël. Nous ne savons pas quel impact elles peuvent avoir sur la santé de très jeunes enfants, et c’est inquiétant. Pour mettre sur le marché un nouveau médicament, il faut plusieurs années de recherches cliniques et une autorisation de mise sur le marché, certes perfectible, mais assez drastique. Pour le lancement d’un nouveau procédé sans fil ou d’un nouveau matériel, même un simple avis de l’ANSES n’est pas nécessaire.

Le deuxième point concerne l’électro-hypersensibilité, une pathologie reconnue par plusieurs États de l’Union européenne. La France doit, elle aussi, se soucier réellement de ces personnes qui souffrent. Des études doivent être menées pour mieux définir cette pathologie et, dans le même temps, des zones à rayonnements limités doivent être expérimentées.

Que nous ne soyons pas d’accord sur tout, c’est normal. En revanche, que l’on refuse le débat, c’est inadmissible. J’espère, mes chers collègues, que vous reconnaîtrez la nécessité de débattre et d’agir vite sur ce sujet, et que vous accepterez donc au moins d’examiner ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologistes et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Mme Suzanne Tallard, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer l’initiative du groupe écologiste, qui porte aujourd’hui la question des ondes électromagnétiques devant l’Assemblée nationale. C’est un sujet d’une importance majeure pour nos concitoyens. Certains y prêtent une grande, voire une très grande attention ; d’autres ne prennent aucune précaution d’usage, dans une ignorance qui peut leur porter préjudice. Dans les deux cas, débattre dans cet hémicycle fera avancer les choses, et c’est heureux. Je salue donc l’initiative de nos collègues écologistes, et surtout je loue la pugnacité de Laurence Abeille lors de l’examen de cette proposition de loi dont elle est à la fois la rapporteure et la principale auteure.

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Merci !

Mme Suzanne Tallard, rapporteure pour avis. Cependant, comme je l’ai dit en commission, ce n’est pas le moment idéal pour avoir cette discussion. En effet, l’ANSES finalise un rapport sur les effets sanitaires de la téléphonie mobile, qu’elle rendra public dans quelques mois. Par ailleurs, une étude médicale d’envergure est en cours à l’hôpital Cochin pour mieux caractériser l’électro-hypersensibilité. Le COPIC, issu du COMOP, que connaît bien le président Brottes, rendra la conclusion de ses travaux dans les mêmes délais. Bref, un autre calendrier aurait été préférable. Je ne fais toutefois aucun reproche au groupe écologiste, tenu par les dates des niches parlementaires qui lui sont attribuées.

La commission du développement durable a jugé important de se saisir de cette proposition de loi, pour des raisons évidentes. Je me bornerai à vous présenter la position de la commission et ce qui l’a conduite à émettre un avis favorable sur ce texte, moyennant certaines évolutions. Nous avons prôné la suppression de dispositions qui nous paraissent prématurées, comme la commande d’un rapport sur l’électro-hypersensibilité avant la conclusion des recherches médicales engagées.

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Le résultat des recherches ne sera connu qu’en 2016 !

Mme Suzanne Tallard, rapporteure pour avis. Nous avons, par ailleurs, suggéré le retrait de prescriptions que nous jugeons excessives sur la connexion filaire des établissements scolaires. Alors que la maîtrise des nouvelles technologies constitue un enjeu majeur pour les nouvelles générations, les finances fragiles de nos collectivités locales ne permettront pas toujours ce type d’installation. Nous nous sommes opposés à la mise en cause de l’égalité des territoires à travers la préfiguration de zones blanches, exemptes d’ondes électromagnétiques, dont la mise en œuvre, partant d’un bon sentiment, aurait eu des effets dévastateurs sur des espaces encore mal desservis par les réseaux de télécommunication.

On pourrait nous faire le reproche d’avoir voté beaucoup de suppressions. Mais nous avons aussi recommandé des ajouts. C’est notamment le cas en matière de pédagogie à destination du grand public, où nous avons adopté des articles additionnels portant sur la publicité et sur l’information du consommateur. Alors que le travail en commission venait de s’achever, l’Agence européenne de l’environnement a publié un rapport incitant à la prudence dans l’utilisation des terminaux de téléphonie mobile. Nous pouvons légitimement nous féliciter d’avoir anticipé, dans nos discussions, les conclusions de cette publication. Le texte qui est discuté aujourd’hui en séance publique est centré sur ces terminaux, alors qu’il était auparavant consacré pour l’essentiel aux antennes-relais, sur lesquelles pèsent bien moins de suspicions. En termes de niveaux d’exposition, il faut rappeler la très forte prédominance du téléphone par rapport aux antennes-relais et aux connexions sans fil à internet.

Au final, je crois pouvoir dire, avec la plus grande satisfaction, que la commission du développement durable a cherché à instaurer un équilibre : être ambitieux sans être castrateur, et protéger l’utilisateur sans nuire à la couverture du territoire. J’exprimerai cependant un regret : j’avais souhaité, en commission, que le travail parlementaire aboutisse à une rédaction permettant de concilier sobriété des émissions et qualité de service, ainsi qu’à favoriser, dans la mesure du possible, une certaine mutualisation des installations. Malgré une volonté partagée par tous, les données technologiques complexes ne nous ont pas permis d’aboutir en si peu de temps. En effet, baisser la puissance d’émission des antennes ne doit pas avoir pour conséquence d’augmenter l’exposition aux ondes émises par les téléphones. Il faut, là encore, rechercher un équilibre des puissances émises par les antennes et les téléphones.

Notre devoir, en édictant la loi, est de nous montrer rationnels et raisonnables. Les nouvelles technologies ont fait irruption dans nos vies, et nous ne pouvons envisager de les bannir sur la base de craintes mal étayées. Toutefois, ceci n’empêche pas une prudente vigilance. Mes chers collègues, nos concitoyens ont besoin d’informations fiables et partagées. La discussion de ce texte est une première étape qui permettra de l’enrichir. Le travail de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire est et restera un travail de qualité utile pour l’avenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a décidé de faire de notre pays une puissance digitale et d’ériger la transition numérique au rang des toutes premières priorités en termes d’investissements d’avenir. C’est un choix très fort et très positif, porteur pour l’ensemble de la filière télécom française de beaucoup d’espoir et de perspectives.

C’est aussi et surtout un choix porteur pour l’ensemble des Français, qui auront accès dans quelques années à un internet fixe et mobile sur l’ensemble du territoire. Notre grande ambition est de permettre à tous d’accéder à des services dont certains étaient jusqu’à présent privés. Il n’est plus acceptable qu’au XXIe siècle, certains de nos concitoyens soient tenus à l’écart des moyens de communication au prétexte de leur situation géographique ou sociale. Les Français veulent que l’on réponde à la fracture numérique aussi bien qu’aux déserts de téléphonie.

Face à cette demande très forte, que tous les élus locaux me font remonter, le Gouvernement a décidé d’agir et de se doter des moyens de réparer, dans ce domaine aussi, l’égalité entre les personnes et entre les territoires. À l’occasion de l’élection présidentielle, le Président de la République a pris un engagement très fort devant les Français, celui d’assurer l’accès au très haut débit pour tous d’ici dix ans. Cet engagement, le Gouvernement l’a mis au cœur de son pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Le Gouvernement adoptera fin février, lors d’un séminaire gouvernemental exceptionnel dédié au numérique, sa feuille de route pour le déploiement du très haut débit sur dix ans. Notre ambition, tant sur le financement que sur le rythme du déploiement, donnera à nos territoires un souffle nouveau et à la France un atout d’attractivité considérable.

J’en viens au texte que nous sommes amenés à discuter aujourd’hui, à l’initiative des députés du groupe écologiste. Vous me permettrez de commencer par saluer l’engagement total et passionné de Mme Laurence Abeille. Madame la députée, pour avoir échangé avec vous sur ce texte, je sais toute la conviction qui est la vôtre sur ce sujet. Je tiens à saluer également le travail, mené depuis longtemps déjà, par le président de la commission des affaires économiques François Brottes qui, depuis des années, s’investit sur cette question des ondes électromagnétiques, avec la volonté d’avancer vers une réduction des émissions sans jamais, pour autant, alimenter des peurs infondées.

La proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques ressort très largement amendée après son examen en commission des affaires économiques. J’y vois le résultat d’un travail approfondi de la commission des affaires économiques mais aussi, pourquoi ne pas le dire, le résultat de désaccords nombreux et parfaitement assumés sur le texte tel qu’il était initialement rédigé.

Au fond, sur quoi reposait l’essentiel des critiques des députés socialistes, qui rejoignent parfaitement celles qu’aurait pu formuler le Gouvernement, et qu’il sera peut-être amené à développer de nouveau aujourd’hui en séance publique ? Tout d’abord, l’édiction de nouvelles réglementations et de nouveaux seuils. Laissez-moi vous expliquer, mesdames, messieurs les députés écologistes, pourquoi je pense que ce que vous proposez est prématuré. Aujourd’hui, les valeurs limites fixées par la réglementation française sont conformes aux recommandations internationales – je pense à celles formulées par l’OMS, la Commission internationale sur la radioprotection non ionisante, ou encore aux recommandations européennes.

M. Alain Gest. C’est exact !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Mais, au-delà de ces standards européens et internationaux, plusieurs études sont actuellement en cours, qui pourraient permettre de légiférer demain de manière tout à la fois éclairée et apaisée. C’est vrai de l’étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – l’ANSES –, qui doit rendre un nouvel avis au début de 2013. Pour rappel, dans son avis de 2009, l’ANSES avait indiqué qu’« aucun effet non thermique ne permettait de fonder de nouvelles valeurs limites réglementaires » et qu’« en termes de niveaux d’exposition, il y avait une très forte prédominance des téléphones mobiles par rapport aux antennes-relais ».

C’est vrai aussi de l’étude du comité scientifique des risques émergents et nouveaux, relevant de la Commission européenne, qui n’avait pas recommandé la révision des valeurs limites dans son opinion de 2009. Là encore, une nouvelle opinion est attendue pour juin 2013.

M. Denis Baupin. Et l’OMS ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. C’est vrai, enfin, des conclusions des travaux issus de la table ronde « Radiofréquences, santé, environnement », qui seront connues avant la fin du premier semestre 2013. Ces travaux, en particulier les expérimentations de baisse des puissances d’émission des antennes, se poursuivent en ce moment même au sein du comité de pilotage – le COPIC.

La proposition de loi était, dans son écriture initiale, tout simplement disproportionnée dans ses effets, pour des risques sanitaires non avérés. Il n’y a pas de fondement scientifique à établir de nouvelles valeurs limites d’exposition aux champs électromagnétiques.

M. Alain Gest. Exact !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Pour toutes ces raisons, il nous semble prématuré de vouloir aujourd’hui modifier les seuils. Cela ne signifie en aucune façon que nous minorons l’objectif partagé de réduction des ondes électromagnétiques.

Pour dire les choses simplement – et je veux saluer à nouveau le remarquable travail accompli en commission –, cette proposition de loi comportait des dispositions susceptibles de remettre profondément en cause la politique menée par le Gouvernement pour le développement des communications électroniques (« Non ! » sur les bancs du groupe écologiste), dont j’ai souhaité vous parler en ouverture de mon propos.

M. François de Rugy. Ça, c’est une peur irrationnelle !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Elle aurait eu de graves conséquences économiques et aurait été contraire au développement de l’emploi dans les télécommunications, alors même que ce secteur traverse une situation difficile. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

Dire cela, ce n’est pas refuser le débat sur les ondes, c’est vouloir le poser dans les bons termes, en tenant compte à la fois de la très forte attente de nos concitoyens et des élus en matière de santé environnementale, mais aussi du contexte économique et industriel.

La proposition de loi aurait, si elle était restée en l’état, retardé considérablement le déploiement des réseaux de téléphonie mobile, en particulier ceux de la 4G, au détriment des utilisateurs, qui espèrent toujours de meilleurs débits, mais aussi au détriment des opérateurs, qui y voient une source de création de valeur, vitale dans la période que nous traversons. (« Et la santé ? » sur les bancs du groupe écologiste.) Enfin, elle serait entrée en totale contradiction avec l’objectif de réduction des zones blanches de la téléphonie mobile, sujet de préoccupation majeur, sur lequel de très nombreux élus me sollicitent quotidiennement.

Je ne pouvais entamer le débat sans revenir sur ces risques juridiques et économiques, qui existaient dans la première version du texte. Pour autant, notre volonté commune, madame Abeille, monsieur le président Brottes, la volonté commune de la majorité politique à laquelle nous appartenons, est d’avancer en matière de transparence à l’occasion de l’examen de ce texte.

Sur la transparence et la concertation, le Gouvernement est prêt à appuyer les avancées proposées, notamment sur l’initiative du président de la commission des affaires économiques.

Sur l’information du public, la publicité et la protection des jeunes publics, le Gouvernement soutiendra les avancées proposées notamment par la rapporteure pour avis Suzanne Tallard, dont je tiens à saluer le travail en commission du développement durable.

Sur la résorption des points atypiques, la mutualisation des réseaux et l’idée d’un rapport mesurant l’impact de la mise en œuvre d’un principe de sobriété en matière d’émission et de réception, le Gouvernement est, là encore, disposé à avancer.

Mais parce que la question posée par ce texte est celle des ondes émises par les appareils radioélectriques et des moyens mis en œuvre pour limiter notre exposition, je vous proposerai, au nom du Gouvernement, de franchir un cap et, à mon sens, de poser la bonne question.

La vraie question n’est pas tant celle des antennes-relais que celle des téléphones portables.

M. Alain Gest. C’est exact !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. En tant que ministre chargée des télécommunications je me dois de dire la vérité et d’avancer sur un sujet qui intéresse tous les Français et bon nombre d’élus. Vous voulez parler d’ondes, parlons-en !

Lorsque vous parlez d’exposition aux ondes radioélectriques, vous ne parlez que d’antennes-relais. C’est à mon sens, assez largement, une erreur.

Le constat est simple : une personne qui téléphone pendant une demi-heure avec un téléphone collé à l’oreille est exposée à un niveau d’ondes équivalent à celui qu’elle aurait reçu en vivant pendant cinquante ans à proximité d’une antenne relais sans jamais téléphoner. Alors pourquoi ne pas en parler dans cette proposition de loi ?

M. François-Michel Lambert. Nous voulons en parler, oui !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les députés, nous débattrons dans quelques instants peut-être (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste) des points atypiques, de ces endroits où le niveau des champs émis par les antennes mobiles est très supérieur à la moyenne. Nous parlerons d’endroits où les niveaux de champs se situent entre 5 et 10 volts par mètre. Une fois encore, je crois que nous ne parlerons pas du problème dans son ensemble. En réalité, il suffit bien souvent de mettre son téléphone contre sa tête en téléphonant pour créer un point atypique bien plus important.

Le vrai débat à ouvrir dans notre pays, c’est donc bien celui de l’usage du portable, notamment de l’usage très intensif d’un terminal mobile sans kit mains libres. Pour réduire son niveau d’exposition aux ondes, il y a des gestes simples. Utiliser un kit oreillette filaire divise par 11 le niveau d’exposition. Plus efficace encore, une oreillette sans fil avec la technologie bluetooth divise par 400 le niveau d’exposition.

Vous le voyez, il est urgent d’avancer sur cette question et de développer une véritable pédagogie de l’utilisation du portable.

Le Gouvernement lancera une grande campagne de prévention qui sera menée par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et vous proposera de faire figurer dans toutes les publicités pour les terminaux mobiles un bandeau visible recommandant l’utilisation d’un accessoire permettant de limiter l’exposition de la tête aux ondes électromagnétiques émises par les téléphones. Concrètement, nous proposerons que soit inscrite la mention suivante : « Il est recommandé d’utiliser un accessoire permettant de limiter l’exposition de la tête aux émissions radioélectriques lors des communications ».

Enfin, et en cohérence avec cette grande campagne de sensibilisation, le Gouvernement permettra aux utilisateurs qui le souhaiteront de se voir fournir par leur opérateur un kit mains libres adapté à la morphologie de leur enfant à la place du kit d’origine.

On parle beaucoup des problèmes d’exposition des jeunes publics aux ondes. À nouveau, je pense qu’on se trompe de problème ! Une réalité s’impose à nous : les préadolescents et adolescents font un usage très intensif de leur téléphone, sans parler du fait que les trois quarts d’entre eux – vos enfants, vos petits-enfants, mesdames, messieurs les députés – dorment avec leur téléphone sous l’oreiller, ce qui génère des niveaux d’émissions bien supérieurs à ceux qui résultent de la présence des antennes.

C’est cette surconsommation et cette omniprésence qui doivent aujourd’hui nous porter à nous interroger et nous conduire à agir.

M. François-Michel Lambert. Mais oui, agissons !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Le Gouvernement vous propose d’agir pour diminuer l’exposition aux ondes des jeunes publics, en faisant en sorte que les oreillettes fournies par les opérateurs leur soient adaptées.

Vous le voyez, le Gouvernement entre dans la discussion de ce texte avec la volonté de proposer de nombreuses avancées et de pouvoir parvenir ainsi à l’objectif qu’il partage avec les parlementaires de la majorité : une meilleure prise en compte des ondes électromagnétiques et une meilleure transparence.

Mais avancer ne veut pas dire se précipiter. Le Gouvernement a entendu vos interrogations sur l’application du principe ALARA. Vous avez demandé au Gouvernement d’établir un rapport sur le sujet dans un délai de neuf mois ; je vous propose de synchroniser la livraison de ce document avec la conclusion des travaux du COPIC, qui aura lieu d’ici au mois de juillet, indépendamment du parcours législatif de la présente proposition de loi.

Il me semble nécessaire de pouvoir éclairer la représentation nationale quant aux tenants et aboutissants de ce principe appliqué au secteur.

Il y a en effet, de mon point de vue, trois risques majeurs à vouloir légiférer trop vite sur ce sujet. Le premier est qu’il sera toujours possible de justifier la baisse locale de la puissance d’émission d’une antenne en reconfigurant les antennes voisines, et les voisines des voisines, etc. Cela créera des risques juridiques importants pour un secteur qui est aujourd’hui extrêmement fragilisé. Le second risque – cela a été démontré lors du COPIC – est l’augmentation significative du nombre d’antennes – de 50 % à 500 % d’antennes en plus selon les cas – et la diminution importante de la couverture et de la qualité de service à court terme. Le troisième et dernier risque résulte de l’effet de la diminution de l’émission des antennes sur les émissions de nos terminaux mobiles, qui seraient un peu plus accentuées alors que la priorité est de les diminuer.

Par conséquent, je m’interroge : êtes-vous prêts aujourd’hui à demander aux opérateurs de multiplier par cinq le nombre d’antennes alors que nos concitoyens s’inquiètent de la prolifération des antennes à proximité de leurs lieux de vie ?

M. Alain Gest. Bonne question !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Aujourd’hui, êtes-vous prêts à imposer, sans étude préalable, une mesure qui conduirait à augmenter de manière importante l’exposition de nos concitoyens aux champs électromagnétiques émis par les portables ?

Aujourd’hui, êtes-vous prêts à assumer devant nos concitoyens qui vivent dans les territoires les moins denses que la fracture numérique n’est pas un enjeu majeur ? (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

M. François de Rugy. Démagogie !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Je vous rappelle que la couverture en haut débit, fixe ou mobile, est le principal sujet de préoccupation dans ces territoires, devant l’école !

Telles sont les questions que je me pose.

Je vous l’ai dit : le Gouvernement est prêt à travailler. Notre souci est en effet d’apporter le maximum de transparence et de sécurité sur ce dossier. Alors, je vous le demande une dernière fois : faut-il vraiment se précipiter et écrire une loi de transparence et de prévention fragile, et non forte ? Je ne le crois pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, madame la rapporteure, mes chers collègues, aujourd’hui peut être un grand jour pour la démocratie et le retour du politique dans la société.

M. Lionel Tardy. C’est raté !

M. François-Michel Lambert. En effet, c’est raté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Nous avons toutefois symboliquement voté, ce matin, la proposition de loi relative à la coprésidence des groupes parlementaires et, ce faisant, nous avons renforcé la présence des femmes, qui manquait un peu dans cette assemblée. Nous avons également voté une proposition de loi qui permettra à notre société d’être plus sûre, grâce à la reconnaissance des lanceurs d’alerte et à la mise en place d’un cadre de protection ; un petit pas législatif, mais un grand pas pour une démocratie moderne.

M. Lionel Tardy. C’était la carotte. Nous comprenons mieux, maintenant !

M. François-Michel Lambert. Nous devons encore voter la proposition de loi relative à l’application du principe de précaution défini par la Charte de l’environnement aux risques résultant des ondes magnétiques, présentée par ma collègue et amie Laurence Abeille.

Aujourd’hui nous connaissons les dangers d’une surexposition dans ce bain d’ondes permanentes qu’est devenu notre environnement en moins d’une décennie. Aujourd’hui, nous disposons de rapports – notamment la compilation BioInitiative 2012, qui regroupe plus de 1 800 rapports –, de recommandations – le Conseil de l’Europe a préconisé, en mai 2011, le respect du seuil de 0,6 volt par mètre alors que, en France, la réglementation a fixé une limite de 41 volts par mètre –, de décisions de justice sur le territoire européen, par exemple en Italie, qui ont démontré l’impact négatif de toutes ces ondes sur la santé.

Aujourd’hui j’ai rencontré des personnes électro-hypersensibles qui veulent simplement trouver un espace préservé. Aujourd’hui, plus personne ne peut dire que le risque n’existe pas.

Je ne peux accepter d’entendre des responsables politiques s’écrier que ce sont des peurs irrationnelles ; cette phrase résonne dans la tête de milliers de personnes qui ont vu leur vie détruite par l’aveuglement de certains ces dernières décennies. N’a-t-on pas dit pendant un siècle que le risque de l’amiante relevait de la peur irrationnelle ? N’a-t-on pas entendu ces fumeurs invétérés nous expliquer combien le tabac était bénéfique pour notre économie et nous assurer qu’il ne causait pas de nuisance ?

Mme Laure de La Raudière. On disait même que c’était bon pour la santé !

M. François-Michel Lambert. N’a-t-on pas entendu un certain professeur prétendre que le nuage de Tchernobyl n’était pas passé au-dessus de la France ? Peurs irrationnelles ? Je n’ai pas envie que, dans quelques années, nos successeurs en politique utilisent les propos de ceux qui aujourd’hui refusent de voir la réalité pour démontrer que, une fois encore, nous savions mais nous ne voulions pas savoir. Nos enfants nous accuseront. Ne faisons pas une telle erreur ! Pas aujourd’hui, madame la ministre, chers collègues de la majorité et de l’opposition.

Nous avons voté aujourd’hui la proposition de loi sur la protection des lanceurs d’alerte ; il est des symboles que nous ne pouvons ignorer. Nous devons aujourd’hui combler le vide législatif et réglementaire en matière d’ondes électromagnétiques.

Je vous le dis avec calme, mes chers collègues : ne soyons pas des procrastinateurs ! Ne reportons pas au lendemain ce que nous devons faire maintenant ! Débattons sereinement de cette proposition de loi, enrichissons-la d’amendements, apportons à ce texte les corrections nécessaires, donnons-lui – oui, c’est possible – une dynamique industrielle ! Votons-le comme une étape dans la mise en place d’une nation moderne qui protège ses enfants !

Quand je me rendrai demain à Aix-en-Provence, dans la cité de la Pinette, où l’on trouve sur le toit d’un immeuble HLM plus d’une quinzaine d’antennes-relais, que diront les riverains qui nous ont alertés et qui souffrent de cette situation au quotidien ? « Vous n’avez rien fait ! ». Demain, lorsque des procès démontreront que l’on savait, que diront les juges ? « Vous n’avez rien fait ! » Demain, quand la France aura pris du retard dans le déploiement de solutions industrielles modernes contre ce problème, que diront les citoyens ? « Vous n’avez rien fait ! »

Nous avons devant nous quelques heures pour réussir à redonner à cette proposition de loi tout son sens après avoir effectué un travail difficile et douloureux en commission.

Je souhaiterais insister sur certains des amendements que nous proposons.

Tout d’abord, nous préconisons la prévention par la préservation des espaces pour les plus petits en bannissant les ondes internet des crèches et lieux d’accueil des moins de six ans. On connaît la fragilité du cerveau humain : les premières années de la vie d’un enfant, le cerveau doit être préservé des agressions extérieures autant que possible. N’attendons pas !

J’aimerais ensuite insister sur l’importance de l’information : dans une démocratie moderne et apaisée, toutes et tous doivent être associés aux décisions ; nous demandons donc, par exemple, l’information des habitants lorsqu’une antenne est installée à proximité de leur résidence et l’établissement d’un plan d’occupation des toits consultable par tous les administrés.

Enfin, la participation pourrait se traduire par la mise en place d’une commission départementale de concertation des antennes-relais qui pourrait être consultée au sujet des implantations ou du fonctionnement des antennes.

Pour conclure, je réitère ma demande, qui est aussi la demande de millions de Français : posons dès aujourd’hui, jeudi 31 janvier 2013, le cadre législatif et réglementaire du déploiement de ces nouvelles technologies nécessaires pour le progrès, et ce dans le respect du principe de précaution inscrit dans notre Constitution. Ne jouons pas avec des procédures inutiles comme cette motion de renvoi en commission, que je demande à nos amis socialistes de retirer. N’agitons pas des peurs irrationnelles au sujet de l’emploi, de l’économie ou de je ne sais quelle autre matière d’ordre législatif. Soyons dans la construction d’une France nouvelle, d’une France de la préservation ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour un rappel au règlement.

M. François de Rugy. Madame la présidente, je me vois dans l’obligation de faire un nouveau rappel au règlement, car je n’ai pas obtenu de réponse, tout à l’heure, de la part du groupe socialiste. Mme la ministre s’est toutefois exprimée. Je ne lui répondrai pas sur le fond, car ce n’est pas l’objet d’un rappel au règlement.

Néanmoins, madame la ministre, nous avons bien compris votre point de vue, mais vous avez fait référence au texte initial de la proposition de loi, ne mentionnant à plusieurs reprises que les dispositions qui figuraient dans cette version du texte. Peut-être cela trahit-il un léger problème de connaissance de la procédure parlementaire. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) En effet, les commissions se sont réunies, elles ont travaillé – et je veux saluer ici les propos de Mme Tallard, qui a justement rappelé tout le travail accompli en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire en plus de celui qui avait été fait en commission des affaires économiques.

Peut-être avez-vous demandé – car nous avons bien compris l’origine de cette motion de procédure – le renvoi en commission parce que vous n’aviez pas mesuré l’ampleur du travail qui y avait déjà été effectué. Un grand nombre d’amendements ont été adoptés au cours de ces travaux, qui ont nécessité de nombreuses heures de réunion. Le président de la commission des affaires économiques, M. Brottes, a fait adopter, cet après-midi encore, au cours de la réunion de commission convoquée au titre de l’article 88 du règlement, un amendement sur la question de l’ALARA, c’est-à-dire l’exposition aussi basse qu’il est raisonnablement possible. Cette notion ne renvoie pas à une valeur limite ou couperet, contrairement à ce que vous avez dit, mais vise à ouvrir un débat.

Vous avez également estimé lors de votre intervention que la proposition de loi était « prématurée » ; comment peut-on dire une chose pareille ? Au cours de la précédente législature, de nombreuses initiatives ont été lancées dans ce domaine. Le Grenelle des ondes a, malheureusement, comme le Grenelle de l’environnement, été abandonné par la ministre de l’époque, mais M. Brottes, qui était déjà député, a pris un certain nombre d’initiatives et a continué de travailler sur le sujet. La présente proposition de loi constitue un support pour poursuivre le travail. C’est la raison pour laquelle je vous demande à nouveau de vous exprimer clairement sur ce point, car les députés, quel que soit leur groupe – y compris les députés socialistes –, souhaitent continuer à travailler.

Vous savez très bien que, selon la procédure parlementaire, une proposition de loi discutée, voire adoptée à l’Assemblée n’est pas définitivement promulguée et mise en œuvre ; elle doit d’abord être examinée par le Sénat en première lecture, puis éventuellement faire l’objet d’une deuxième lecture dans chacune des deux chambres. Toute cette procédure prend du temps ; l’échéance de juin 2013 serait largement dépassée et nous aurions amplement le temps d’intégrer les conclusions du rapport. Le travail engagé depuis cinq ans…

Mme Laure de La Raudière. À l’initiative de la majorité précédente !

M. François de Rugy. …et mené avec beaucoup de sérieux par le président de la commission des affaires économiques, déjà député sous la précédente législature et déjà très impliqué sur le sujet, aurait servi à quelque chose et continuerait de servir. Nos concitoyens verraient que les députés servent à quelque chose quand ils prennent à bras-le-corps leurs problèmes. Inutile d’agiter je ne sais quelle peur irrationnelle ou chantage à l’emploi ; on peut d’ailleurs aisément démontrer que, dans l’industrie, les matériaux utiles à la protection contre les ondes et les nouvelles normes introduites à cette fin créeraient de nouvelles activités et de nouveaux emplois.

À ce stade du débat, cette motion doit être retirée afin que nous puissions examiner les articles. Ainsi, le travail se poursuivra, comme c’est la norme dans un parlement normal, dans une république normale. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. André Chassaigne. Très bien !

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. Madame la présidente, madame la ministre déléguée, messieurs les présidents de commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’initiative de nos collègues écologistes et de féliciter Laurence Abeille pour son travail.

Je suis une nouvelle députée, mais il me semble utile et important d’aborder de front ce sujet polémique et difficile, dans notre hémicycle, par le biais d’un texte de loi.

Nous avons le devoir de répondre aux inquiétudes légitimes de nos concitoyens, tant le développement des technologies sans fil émettant un rayonnement électromagnétique est rapide et envahit notre quotidien. Il nous faut être vigilants, d’autant que nous avons très peu de recul sur les effets potentiels à long terme.

Nous tous, ici – les élus de manière générale – recevons régulièrement dans nos permanences, dans nos mairies, dans nos collectivités, des personnes angoissées, des associations inquiètes, des riverains d’antennes-relais en colère, qui se plaignent de ne pas être assez écoutés par les pouvoirs publics.

Dans les Hautes-Pyrénées, dans le cadre du déploiement d’un réseau d’initiative publique haut débit à partir d’une infrastructure fibre optique complétée par une couverture radio wimax et satellite, nous avons eu à connaître cette colère des associations.

Que nous ont-elles reproché ? Les risques potentiels sur la santé, certes, mais aussi le manque d’information et de concertation, notamment dans le choix d’implantation des pylônes et des antennes wimax.

Les citoyens veulent une meilleure information, ils réclament des études scientifiques rigoureuses et indépendantes – j’insiste sur ces mots –, ils exigent une plus grande concertation avant de valider la pose d’une antenne ou d’un pylône. Qu’y a-t-il de si anormal dans ces demandes ?

Les technologies de l’information et de la communication se propagent à une allure incontrôlable. Elles font aujourd’hui partie de la vie ordinaire de l’ensemble de nos concitoyens, et le numérique a même une ministre, que je salue. Alors, devons-nous rester spectateurs passifs devant ce formidable développement de l’économique numérique, sous prétexte qu’il a indéniablement amélioré notre vie ? Je ne le crois pas, bien au contraire. Je suis convaincue que les élus ont une responsabilité particulière face à cette propagation et face aux enjeux économiques.

Certes, nous devons faire du développement économique une priorité, mais nous devons aussi nous efforcer de garantir à nos concitoyens la sécurité sanitaire.

La proposition de loi initiale contenait des mesures intéressantes. Au nom des députés du groupe RRDP, je tiens à dire que nous regrettons l’adoption de nombreux amendements de suppression lors de l’examen en commission des affaires économiques.

Je ne reviendrai pas sur le débat juridique concernant l’application formelle du principe de précaution dans le champ du sanitaire. Nous pouvons tout de même nous référer au principe d’attention introduit par François Brottes dans son rapport.

Quels que soient les mots que nous utilisons, nous devons faire preuve de prudence dès lors qu’il existe une suspicion de risques. Les principales mesures de la proposition initiale répondaient à cette exigence. Ces dispositions, pour la plupart supprimées en commission, devaient revenir en débat au cours de la discussion, mais il me semble que cela soit bien compromis.

L’immense majorité des députés du groupe RRDP soutient ces amendements et sera particulièrement attentive à l’examen de ceux qui proviennent d’une proposition de loi de 2005, cosignée par mon collègue Joël Giraud, que je vous prie d’excuser car il est retenu dans sa circonscription par des contraintes d’agenda. Du reste, cette proposition de loi avait été cosignée par des députés de diverses sensibilités, entre autres par Nathalie Kosciusko-Morizet. À l’époque, cette question avait fait l’objet d’un large consensus qui dépassait les clivages politiques.

Cette initiative avait le mérite de lancer un débat public et parlementaire. Huit ans après, nous avons toujours besoin d’une loi sur ce sujet. Il suffit d’interroger les maires, souvent en première ligne sur ces dossiers, pour constater qu’ils sont insatisfaits des outils juridiques mis à leur disposition. À l’heure actuelle, beaucoup ne sont pas en mesure de répondre correctement aux inquiétudes exprimées par leurs concitoyens.

L’obligation du permis de construire a été rejetée en commission. Des amendements de compromis ont été déposés pour encadrer plus strictement le déploiement des antennes-relais et, surtout, améliorer l’information des élus, des citoyens et la concertation avec les riverains par des débats publics. C’est, me semble-t-il, la moindre des choses.

Par ailleurs, des amendements déposés par Joël Giraud et Jacques Krabal, cosignés par le groupe RRDP et le groupe écologiste, visent à interdire la vente de téléphones mobiles aux jeunes enfants et leur utilisation dans les écoles primaires et les collèges. Voici à nouveau deux exemples de précautions minimales que nous vous demandons d’inscrire dans la loi pour manifester une volonté de vigilance vis-à-vis de nos enfants, pour lesquels il est avéré que l’exposition aux ondes électromagnétiques est plus dangereuse.

Le débat sur cette proposition de loi nous invite à réfléchir sur la nécessité de faire primer les enjeux sanitaires sur les logiques économiques. Redonnons la parole à ceux qui nous alertent sur ces questions, car, aujourd’hui, comme le dit Corinne Lepage, « il ne s’agit plus seulement de donner aux associations qui défendent l’environnement toute la place qu’elles méritent. Il s’agit de donner à tous ceux qui défendent la santé et le long terme la capacité de peser pleinement sur les décisions publiques ».

Pour conclure, je voudrais dire deux mots sur la motion de renvoi en commission. Je m’étonne de cette procédure de dernière minute, qui vise clairement à éviter l’examen des amendements, particulièrement des dix-neuf cosignés par la majorité des députés du groupe RRDP, et surtout à éviter l’adoption de la proposition de loi.

Nous avons eu de longs débats en commission, ils ont été passionnants et passionnés, et chacun a pu faire valoir ses arguments. Sincèrement, je trouve cette motion illégitime et peu respectueuse du travail parlementaire. L’argument du calendrier ne tient pas : il y aurait eu tout le temps d’ajuster le texte, si besoin en s’appuyant sur les rapports tant désirés et attendus, au cours de l’examen au Sénat puis en seconde lecture à l’Assemblée nationale.

Les petits groupes ne disposent que d’une journée par an pour proposer un ordre du jour. Je regrette profondément l’utilisation de cette procédure, qui manque d’élégance. Au nom du groupe RRDP, je vous annonce d’ores et déjà que nous voterons contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.)

(M. Denis Baupin remplace Mme Sandrine Mazetier au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Denis Baupin
vice-président

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, madame la ministre délégué, mes chers collègues, les députés du front de gauche soutiennent cette proposition de loi écologiste et regrettent qu’elle ait été sensiblement vidée de sa substance en commission.

Avant d’en venir aux propositions pour mieux réglementer les systèmes de communication sans fil, je voudrais affirmer, madame la ministre, qu’en tant que défenseurs de l’égalité réelle des territoires, nous souhaitons bien évidemment un déploiement égalitaire des technologies sur tous les territoires. Lutter contre la relégation de certains quartiers et la désertification de certaines zones rurales passe par un accès égal aux technologies et aux modes de communication les plus performants.

Mais il nous faut bien faire le constat que le déploiement de ces mêmes technologies crée un certain nombre de problèmes. Nous avons la responsabilité de les prendre en compte. Le questionnement scientifique actuel sur la nocivité des ondes électromagnétiques ne doit pas être occulté, encore moins au motif à peine déguisé que cela perturberait le libre commerce et les juteux bénéfices des entreprises concernées. La santé humaine relève de l’intérêt général et doit passer avant les profits de quelques-uns.

Plusieurs éléments sérieux et impartiaux montrent en effet que les inquiétudes exprimées sur la dangerosité des ondes émanant des systèmes de communication sans fil sont fondées.

M. Lionel Tardy. À quelles études faites-vous référence ?

M. André Chassaigne. Dès lors, il est de notre devoir de prendre en compte les risques d’une trop grande exposition à ces ondes.

C’est donc dans le croisement dialectique de ces deux exigences que nous soutenons le présent texte. Il n’y a là aucun paradoxe : c’est bien en « sécurisant » les technologies que nous développerons leur acceptabilité sociale, et que nous faciliterons donc leur déploiement.

Les problèmes, rappelés par la ministre et les rapporteurs, sont de plusieurs ordres : ils concernent les antennes relais, les téléphones portables eux-mêmes, les réseaux de type 3G et 4G, et le wifi. Au total, ce sont les émissions tous azimuts, en diverses fréquences et d’intensités multiples, qui créent un brouillard électromagnétique artificiel croissant.

Face à ce constat, le législateur doit demander le respect du principe ALARA, qui vise à réduire les expositions à un niveau aussi faible que possible. Nous regrettons que cette disposition ait été supprimée en commission.

En l’état actuel des connaissances, nous sommes favorables à l’instauration d’un plafond d’exposition du public aux hyperfréquences à 0,6 volt par mètre. Du reste, ce seuil a été préconisé par le Conseil de l’Europe, pas plus suspect que moi de fondamentalisme vert ! (Sourires.)

C’est également celui qui figurait dans une proposition de loi déposée par notre ancien collègue Jean-Pierre Brard sous la douzième législature. Ce texte avait été cosigné par des représentants de tous les groupes, dont une future ministre de l’environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet.

Il est également regrettable que la protection des enfants dans les crèches et les écoles ait été escamotée de ce texte. Il est en effet nécessaire d’introduire l’idée que les connexions filaires devraient être préférées au wifi, émetteur d’ondes, dans les établissements scolaires.

Enfin, il n’est pas acceptable de reculer sur la prise en compte de l’électrosensibilité. Pour connaître les cas douloureux de plusieurs personnes accueillies dans mon village, j’y suis particulièrement attaché. J’ai donc cosigné un amendement de mes collègues du groupe écologiste, afin de réintroduire cette préoccupation dans le texte.

Dès 2008, j’avais alerté la ministre de l’époque sur cette question. Il m’avait été répondu que l’ensemble des symptômes de l’électrosensibilité « ne faisait partie d’aucun syndrome reconnu ». Justement, n’est-il pas temps d’étudier officiellement les cas, afin d’aboutir à une définition rigoureuse de ces troubles et d’apporter une réponse adaptée ?

D’une façon générale, force est de reconnaître que le lobbying des opérateurs a conduit à vider sensiblement cette proposition de loi de son contenu. Je pense notamment à la suppression de l’obligation de permis de construire pour toute implantation ou modification d’antenne-relais.

Céder aux réclamations partiales et intéressées des multinationales des télécommunications, c’est occulter l’humain. C’est tout l’inverse du changement attendu par nos concitoyens. À l’inverse, les députés que je représente soutiennent une meilleure information préalable des riverains, qui permettra la concertation et la recherche de solutions alternatives satisfaisantes.

Je voudrais développer l’approche, que je crois spécifique, des députés communistes et citoyens sur cette question. Nous ne nous cantonnerons pas à une attitude qui consisterait à ne pointer que les méfaits des technologies et à se limiter à l’application du principe de précaution. Il s’agit aussi de dénoncer la logique générale qui prévaut dans l’implantation des nouvelles technologies, à savoir le tout-privé, la marchandisation et la mise en concurrence.

C’est à l’État de reprendre la main en matière d’aménagement numérique et technologique du territoire, notamment par l’implantation et le maintien de services publics. Nous le savons, les acteurs du secteur privé poursuivent un objectif, la rentabilité. Ils n’ont que faire de la situation des territoires enclavés ou des conséquences de certaines technologies sur la santé.

Chers collègues, faisons le bilan en toute transparence des privatisations successives et de l’ouverture à la concurrence dans le domaine des télécommunications. Les situations fortement conflictuelles liées à l’implantation d’antennes-relais montrent qu’il est inconcevable d’avoir dessaisi l’État de ses prérogatives au profit d’opérateurs privés.

Les députés du front de gauche estiment que c’est d’abord de la logique libérale qu’il faut faire le procès. Ainsi, en matière de téléphonie ou d’accès à internet, au lieu d’avoir une infrastructure de réseau unique et égalitaire, respectueuse des réglementations et de la santé, installée sous l’égide de l’État, chaque opérateur peut déployer son propre réseau ! C’est cette multiplicité, imposée par le dogme de la concurrence et de la marchandisation, qui crée des redondances et entraîne des expositions aux champs électromagnétiques bien supérieures aux seuils préconisés.

Mme Laure de La Raudière. Mais non !

M. André Chassaigne. Pour multiplier les profits des entreprises, on a volontairement amputé le secteur public de sa capacité d’action. Or cette concurrence organisée a un autre effet pervers : l’absence flagrante de transparence et de concertation.

J’en veux pour preuve les projets de déploiement d’antennes-relais, dont une ancienne ministre de l’écologie, déjà citée, a pu dire que les riverains en découvraient l’existence « en ouvrant leurs volets » !

Les conflits sont nombreux sur le terrain, et l’exaspération des citoyens appelle des réponses concrètes. Il ne s’agit pas, bien évidemment, de renoncer à la téléphonie mobile, dont le réseau doit être étendu, notamment dans les zones rurales. Il s’agit simplement d’éviter que son développement incontrôlé en fasse le prochain grand problème de santé publique, et il s’agit ainsi de gagner la confiance de la population.

Compte tenu de la configuration des réseaux développés, c’est une part extrêmement importante de la population qui est concernée ou qui va l’être. Et nous savons que les jeunes sont particulièrement touchés par les ondes, du fait de l’utilisation précoce qu’ils font des nouvelles technologies.

En somme, c’est bien le dépeçage des services publics dans le but de confier ces technologies aux seuls acteurs privés qui est la racine du problème. De ce point de vue, j’appelle nos collègues écologistes à plus de cohérence et les incite à ne pas se contenter de mettre en cause les effets des ondes mais à s’interroger sur un système tout entier, qui est, de fait, le principal responsable ! Un positionnement clair exige non seulement de faire prévaloir des normes ambitieuses en matière environnementale, mais aussi de rompre avec les logiques de privatisation, de marchandisation et de mise en concurrence, en bref : de permettre une gestion publique, collective et démocratique des réseaux.

Seule la planification écologique, en rupture avec les vieilles recettes du néolibéralisme, de l’austérité budgétaire et de la « concurrence libre et non faussée » chère à l’Union européenne, permettra de concilier les avancées technologiques avec la préservation de la santé et de l’environnement.

C’est pourquoi la présente proposition de loi est un premier pas nécessaire, mais qui appelle des réformes plus ambitieuses. Quoi qu’il en soit, les députés du front de gauche la soutiendront. Ils voteront les amendements de leurs collègues écologistes, tendant à réintroduire les nombreuses dispositions utiles qui ont fait les frais du lobbying des opérateurs. Ils souhaitent l’adoption d’un maximum de dispositions permettant de préserver la santé de nos concitoyens, sans renoncer à un déploiement égalitaire des technologies.

Si nous n’avons pas le courage de mettre en œuvre ces dispositions – préférant user, plus tard dans la soirée, d’artifices de procédure –, il reviendra à Alexandre Vialatte, cet écrivain que j’aime tant, d’avoir le mot de la fin : « Rien n’arrête le progrès, il s’arrête tout seul. » À méditer, chers collègues… (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Errante.

Mme Sophie Errante. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les rapporteures, messieurs les présidents des commissions, chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques.

De nombreux citoyens attendent des réponses de notre part sur ce sujet qui les préoccupe. Et, s’il est donc de notre devoir de nous pencher sur cette question, il n’en demeure pas moins que nous devons le faire en tenant compte des réalités sociales et économiques, et que nous devons opter pour une approche équilibrée. C’est guidés par cet objectif que nous avons étudié cette proposition de loi en commission.

À l’heure de la révolution numérique, la France ne peut tourner le dos à ce changement historique. Aussi adopter une mesure juridique obligeant les écoles à utiliser des connexions filaires en lieu et place du wifi constituerait-il un sérieux coup de frein à notre volonté d’encourager l’accès de nos enfants à l’éducation numérique.

En outre, obliger les établissements scolaires à revenir sur des installations réalisées pour s’équiper de connexions filaires aurait un coût pour les collectivités territoriales, dont les budgets sont déjà tendus. Ces difficultés comptables ne peuvent être ignorées, et c’est notre devoir d’élus de faire des propositions qui prennent en compte cet impact financier, surtout pour les petites communes, notamment en milieu rural.

Pour ce qui concerne les personnes électrosensibles, il appartient à la communauté scientifique d’apporter les preuves médicales sur lesquelles s’appuyer avant de définir les choses par voie législative. Il importe également de rechercher des solutions permettant d’atténuer leurs souffrances, mais ce n’est pas cette proposition de loi qui les fournira.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à la question suivante : face au caractère irréversible de ces technologies et donc de l’exposition de nos concitoyens aux ondes électromagnétiques, quelles réponses pouvons-nous apporter ?

Nous devons rendre obligatoire l’information des citoyens et les inciter à adopter des comportements responsables. Il est en effet capital d’informer les Français sur les ondes émises par tous les équipements qu’ils utilisent au quotidien. Il faut les informer mais aussi les inviter à faire de ces équipements une utilisation sobre et contrôlée, permettant de mieux maîtriser les émissions d’ondes.

Il apparaît donc nécessaire d’inciter nos concitoyens à adopter des comportements responsables en renforçant l’information à destination des utilisateurs de téléphone mobile. En effet, c’est l’exposition au téléphone portable qui représente le plus grand risque pour la santé, dans la mesure où il est porté à proximité du cerveau.

Au-delà, de cette nécessité d’informer, il me paraît indispensable de poursuivre notre travail sur un certain nombre de sujets-clés, et je regrette que le calendrier ne nous en ait pas donné le temps. Je pense en particulier à la question de la mutualisation des antennes-relais, qui mérite, me semble-t-il, une réflexion plus approfondie sur sa mise en œuvre. Il en va de même de la question de la réduction du nombre des points atypiques sur notre territoire – comment y parvenir ? Pour ce qui regarde enfin le principe ALARA, ses possibles incidences juridiques et techniques, mises en lumière au cours de nos discussions, m’amènent à souhaiter qu’un temps de travail supplémentaire soit consacré à cette question.

Pour conclure, je tiens à dire ma conviction qu’il est nécessaire de prendre la question des ondes électromagnétiques au sérieux. Au vu cependant de tous les sujets qui mériteraient, je pense, un temps de réflexion supplémentaire, je réserve ma position sur le vote de ce texte.

L’organisation de nos niches parlementaires pose problème à la jeune députée que je suis. Je salue le travail de tous, mais je ne peux me satisfaire de la situation que nous vivons ce soir, et redis que nous avons manqué de temps pour accomplir un travail constructif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les rapporteures, messieurs les présidents des commissions, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui porte à notre attention les effets sur la santé et sur l’environnement des ondes électromagnétiques émises par les appareils de communication sans fil et mobiles ainsi que par les antennes émettrices.

Aujourd’hui, nous pouvons constater, partout en France, dans toutes les tranches d’âge, mais particulièrement chez les jeunes et les jeunes actifs, une grande appétence pour les nouveaux services de télécommunications mobiles ou d’accès sans fil à internet. Nous en parlons régulièrement dans le cadre de nos travaux en commission, et souvent sous l’angle de l’aménagement numérique du territoire. Car ce que nous demandent le plus nos concitoyens, c’est un accès de qualité à ces services, pour tous et partout. C’est pour eux une préoccupation majeure.

Aujourd’hui, 85 % des Français de plus de douze ans ont un téléphone mobile ; 70 millions de cartes SIM sont en circulation, dont 7 millions dédiées uniquement à l’internet 3G et 4 millions aux échanges de données entre machines ; 19 millions d’utilisateurs se sont connectés à internet avec leur mobile en décembre, soit 23 % de plus que l’an dernier, tandis que, sur la même période, le trafic internet a été multiplié par deux.

Ces chiffres témoignent d’un grand dynamisme de ce secteur d’activité et d’une forte demande des Français pour l’utilisation de ses services, malgré – et cela peut paraître paradoxal – leur crainte persistante de la dangerosité des ondes électromagnétiques, en particulier de celles émises par les antennes-relais. Au moment du Grenelle de l’environnement, en 2007, les sondages montraient que 80 % des personnes interrogées s’inquiétaient de l’installation d’une antenne près de chez elles.

Sur ce sujet, le groupe UMP s’accorde avec la rapporteure, qui l’indique dans son exposé des motifs, sur le fait que le débat scientifique n’a aujourd’hui pas tranché la question, loin de là. C’est aussi la conclusion à laquelle est parvenu notre collègue Alain Gest, dans le cadre du rapport réalisé pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Cette incertitude scientifique rend nécessaire la réalisation de nouvelles études impartiales.

Dans la proposition de loi, Mme la rapporteure proposait d’ores et déjà d’appliquer le principe de précaution et, à ce titre, préconisait des mesures fortes et contraignantes concernant l’installation des antennes, les puissances d’émission de celles-ci et les conditions d’usage des mobiles.

Toutefois, le groupe UMP est très attaché au fait de tenir compte de l’avis des scientifiques, afin que l’on ne détourne pas de son objectif initial le principe constitutionnel de précaution. Son application ne saurait en effet se justifier que dans les cas où la communauté scientifique reconnaît de façon unanime qu’il peut exister un risque. Voilà bien le cadre d’utilisation du principe de précaution.

Or, madame la rapporteure, nous pouvons d’ores et déjà convenir que la communauté scientifique n’est pas du tout unanime sur la question du risque lié aux émissions des antennes électromagnétiques, et la très grande majorité des études conduites dans le monde entier ne conclut pas, contrairement à ce qui est mentionné dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, à la nécessité de remettre en cause la réglementation appliquée en France depuis 2002.

Les connaissances scientifiques sur les effets des ondes électromagnétiques ont progressé depuis 2002, mais sans fondamentalement remettre en cause ce qui était déjà admis et que résume ainsi, dans son rapport, notre collègue Alain Gest : « S’il existe un risque lié à la téléphonie mobile, celui-ci est faible et a trait aux téléphones portables et non aux antennes-relais. Aucune étude scientifique n’a en effet pu mettre en évidence des effets biologiques qui impliqueraient un risque sanitaire pour les populations vivant à proximité des stations de base de téléphonie mobile, compte tenu de leur faible niveau d’ondes électromagnétiques. »

En revanche, une certaine vigilance est préconisée dans l’usage des téléphones portables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, sous la précédente législature, nous avions rendu obligatoire la vente d’un kit mains-libres avec les téléphones mobiles. Si on limite le déploiement des antennes ou leur puissance d’émission, comme le souhaite le groupe écologiste, on risque d’accroître l’exposition à la puissance maximale des téléphones, ce qui est quand même paradoxal et contreproductif au regard de l’objectif de la proposition de loi.

Les scientifiques nous appellent à la prudence et estiment méconnaître encore l’impact possible des ondes sur la santé et sur l’environnement. Ils en concluent qu’il faut donc continuer les recherches. L’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, a ainsi mis en place un groupe de travail, qui doit rendre ses conclusions en juin prochain.

Le fait que persistent des incertitudes au sein de la communauté scientifique justifie aux yeux de certains – et c’est clairement le sens de la démarche du groupe écologiste avec cette proposition de loi – la mise en œuvre systématique du principe de précaution.

Mes chers collègues, ce n’est pas raisonnable ! Ce serait dévoyer l’usage du principe de précaution. Si la prudence reste de mise, le principe de précaution est, en l’espèce, incontestablement brandi avec exagération.

M. Lionel Tardy. Bien sûr !

Mme Laure de La Raudière. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé à plusieurs reprises – et tout récemment encore, le 30 janvier 2012 –, le Conseil d’État, dans ses décisions rendues sur la question de l’utilisation du principe de précaution pour interdire l’installation d’antennes-relais.

Nous devons aussi éviter à tout prix que la vivacité du débat sur les antennes-relais et le wifi ne confère – dans l’opinion publique – un statut scientifique aux mésinterprétations. Une telle dérive serait réellement de nature à compliquer la prise de décision par les pouvoirs publics et par les politiques. Lorsque la population est convaincue de quelque chose, qu’elle en a peur, même sans preuves, il est très difficile de la convaincre de l’inverse.

M. Alain Gest. Très juste !

Mme Laure de La Raudière. Par ailleurs, s’il existe des personnes électro-hypersensibles, cela ne signifie pas que les ondes ont des effets de même nature sur l’ensemble de la population. Nous devons prendre en compte leur souffrance, sans pour autant réglementer la puissance des antennes en se fondant sur ce qu’éprouvent ces personnes – une sur 100 000 en France.

En conclusion, les données scientifiques actuelles ne justifient pas l’adoption d’une telle proposition de loi. C’est d’ailleurs l’avis de l’Académie de médecine (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste) qui « regrette une initiative fondée sur un flou scientifique et réglementaire qui, ne pouvant se prévaloir en dernier recours que du principe de précaution, est de nature à renforcer artificiellement chez nos concitoyens un sentiment de peur et de défiance injustifié, mais préjudiciable en termes de santé publique ».

La poursuite des études est indispensable. Nous l’avons vu, il faut améliorer la connaissance de l’effet des ondes électromagnétiques sur la santé et sur l’environnement.

Enfin, adopter ce texte irait à l’encontre du déploiement du numérique sur le territoire, du déploiement de la 4G, alors qu’il s’agit d’une attente majeure de nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP est défavorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(M. Christophe Sirugue remplace M. Denis Baupin au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour un rappel au règlement.

M. François de Rugy. Je constate que l’ensemble des groupes, à l’exception de l’un d’entre eux, se sont exprimés et ont dénoncé le déroulement de la séance. À ce stade, je n’ai pas obtenu la réponse que j’attendais. Je regrette que notre collègue socialiste ait, à la fin de son intervention et de façon elliptique, remis en cause le principe même des niches parlementaires – si j’ai bien compris.

Mme Sophie Errante. Je n’ai pas dit cela !

M. François de Rugy. J’ignore si l’ensemble des députés de son groupe partagent ce point de vue, ce qui m’étonnerait, mais cela me semble assez grave.

En outre, comment soutenir que nous n’avons pas disposé d’assez de temps pour discuter de cette proposition de loi, qui a dû être déposée au moins six semaines avant son examen en séance publique, alors que de nombreux textes sont examinés suivant la procédure accélérée décidée par le Gouvernement ? Nous avions donc largement le temps de travailler.

Je demande une suspension de séance de dix minutes pour réunir mon groupe et discuter avec les autres groupes de la majorité.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue pour dix minutes.

(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour un rappel au règlement.

M. François de Rugy. Mon intervention se fonde sur l’article 58, alinéa 1, du règlement.

L’habitude veut qu’entre la séance du matin et celle de l’après-midi il y ait une pause pour déjeuner et qu’entre la séance de l’après-midi et celle du soir, il y ait une pause pour dîner. Or, à vingt heures et quarante minutes, nous avons largement dépassé l’heure à laquelle la séance est habituellement levée pour une durée d’une heure et demie. C’est pourquoi, monsieur le président, je vous demande de suspendre la séance pour environ quatre-vingt-dix minutes afin que les députés puissent aller dîner et que nous reprenions ensuite l’examen normal de cette proposition de loi. Cette demande, au nom du groupe écologiste, est tout à fait conforme aux traditions du fonctionnement de l’Assemblée et, par ailleurs, elle est logique puisque, je le rappelle, cette séance est consacrée aux textes présentés à l’initiative de ce groupe que je copréside.

M. le président. Comme vous le savez, monsieur de Rugy, il est aussi de tradition, parfois, que nous ayons, à la demande du président de la commission, des séances « prolongées ». Je vais donc consulter le président Brottes pour savoir s’il souhaite que nous prolongions la séance, conformément à l’article 50, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Comme vous me le suggérez, monsieur le président, je vous indique qu’au titre de l’article 50, alinéa 5, du règlement, je souhaite que nous continuions nos travaux.

Une journée de « niche » parlementaire, c’est très important et il ne suffit pas, parfois, d’une journée pour débattre de plusieurs textes. Par conséquent, si nous voulons êtres sûrs d’achever l’examen de l’ensemble des textes qui nous sont soumis, il ne me paraît pas indispensable de faire la pause suggérée.

M. le président. Je vais donc consulter l’Assemblée sur le point de savoir si nous poursuivons la discussion dans le cadre d’une séance prolongée.

(L’Assemblée, consultée, décide de prolonger la séance.)

Discussion générale (suite)

M. le président. La parole est à Mme Michèle Bonneton.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, messieurs les présidents de commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, je regrette que le texte de ma collègue Laurence Abeille ait été trop allégé lors de son passage en commission.

Les éléments qui y subsistent ne sont cependant pas inintéressants : je pense à l’obligation d’informer les utilisateurs sur le niveau des émissions, à la mise en place de mécanismes simples de désactivation des accès sans fil, à la création de commissions départementales de concertation ou encore à l’information des maires sur l’installation d’antennes-relais. Par une série d’amendements, notre groupe entend néanmoins redonner à cette loi tout ce qui faisait son intérêt : nous poursuivrons notre travail, quoi qu’il arrive.

Ne nous y trompons pas : l’enjeu de cette loi est important. Elle est d’ailleurs très attendue par nombre de nos concitoyens, qui risquent, à l’issue de cette soirée, d’être très déçus : c’est un risque grave, que je vous invite à bien mesurer.

Ce projet de loi est en cohérence avec la Constitution. La Charte de l’environnement, qui est intégrée à celle-ci, assure en effet, dans son article 1er, que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Elle précise, dans son article 5 que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

Ce principe s’applique justement dans les cas où nous n’avons pas de certitude scientifique absolue. En sciences, c’est du reste de façon tout à fait rationnelle que l’incertitude est appréciée, encadrée, voire mesurée. Ce principe ne relève nullement de peurs irrationnelles, mais de la simple prudence raisonnable, par opposition à l’attitude de l’apprenti sorcier. Il appelle une prévention par précaution, un contrôle en amont, et non pas a posteriori. Si nous l’avions appliqué, nous aurions évité un certain nombre de vrais scandales sanitaires, comme ceux de l’amiante, de la vache folle ou encore de l’empoisonnement au mercure industriel – et cette liste n’est pas exhaustive.

Le Parlement européen a d’ailleurs adopté en 2008 une résolution, qui a été réitérée en 2009, pour rappeler que les normes régissant les ondes électromagnétiques, qui dataient d’une dizaine d’années, étaient dépassées. L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a émis le même avis en 2011, sur les bases des conclusions du rapport BioInitiative de 2007 ; celui de 2012, qui synthétisait 1 800 études, a confirmé la nocivité de ces ondes. L’Organisation mondiale de la santé a, quant à elle, classé ces ondes comme potentiellement cancérogènes en 2009, de même que le Centre national de recherche contre le cancer.

Sur ces bases, nous pouvons dire qu’en France, les seuils maximums réglementaires, situés entre 41 et 61 volts par mètre, sont obsolètes. Les expertises internationales proposent de fixer le niveau des émissions auxquelles nous sommes exposées à 0,6 volt par mètre : une telle adaptation ne présente pas de problème technique, mais suppose, il est vrai, des investissements complémentaires pour installer davantage d’antennes moins puissantes, ce qui ne pourrait être que favorable à l’emploi. Il ne faudrait pas qu’une fois de plus, la rentabilité et les profits immédiats passent avant la santé à moyen terme, d’autant plus que les opérateurs font de confortables profits, contrairement à ce qu’ils prétendent.

Nous avons ainsi déposé, à l’article 1er, des amendements qui suggèrent des solutions concrètes pour réduire l’exposition aux ondes électromagnétiques : nous proposons par exemple d’imposer le filaire dans les crèches, les écoles maternelles et, si possible, dans les écoles primaires. De très nombreuses études démontrent clairement la sensibilité particulière des jeunes, et particulièrement des très jeunes enfants, aux effets des ondes électromagnétiques. À l’école maternelle, les enfants ont davantage besoin, selon nous, de vivre dans un environnement sain, que d’avoir des connexions internet.

Précisons que le 27 mai 2011, le Conseil de l’Europe a adopté une résolution recommandant les connexions internet filaires dans les écoles et la création de zones libres de rayonnement, afin de protéger les personnes électrosensibles. Il convient, en effet, que l’électrohypersensibilité soit reconnue comme une maladie. Nous souhaitons aussi que les établissements qui reçoivent du public informent, par voie d’affichage, ceux qui les fréquentent, ainsi que les riverains, qui doivent être informés de l’existence des antennes relais.

Pour compléter ce dispositif, une étude préalable au déploiement de la 4G est indispensable : elle permettrait d’écarter les difficultés et les contestations à venir.

Pour conclure, j’invite la représentation nationale à redonner à ce texte toute sa portée et, bien entendu, à accepter de l’examiner. Son adoption serait tout à fait cohérente avec celle du texte que nous venons d’examiner sur les lanceurs d’alerte. Tout renvoi à plus tard présenterait un risque de santé publique. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Erhel.

Mme Corinne Erhel. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, messieurs les présidents de commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, au-delà des questions légitimes que soulève la proposition de loi de Mme Abeille, je veux rappeler que le développement des technologies numériques et des moyens de communication doit aussi être considéré comme une chance et une opportunité.

Nous ne devons pas nous interroger uniquement sur la technologie en tant que telle, mais aussi sur son usage, et plus particulièrement sur les conditions d’utilisation du téléphone mobile. Avec le numérique, les citoyens s’informent, se forment et communiquent. C’est le monde qui s’ouvre, et les territoires qui se connectent ; ce sont nos PME qui se développent et créent de l’emploi ; c’est aussi la e-santé qui avance, l’information qui circule et l’accès à la culture qui progresse. Le numérique est un formidable levier de croissance, de développement et d’innovation pour la France et nos territoires.

M. François-Michel Lambert. Très bien !

Mme Corinne Erhel. Notre objectif est clair et nous le poursuivons de façon volontariste : il s’agit de couvrir l’intégralité du territoire en très haut débit d’ici dix ans, avec un choix technologique qui est la fibre optique. C’est à la fois un enjeu d’aménagement du territoire, un enjeu sociétal d’égalité entre les citoyens et un enjeu économique.

Cette ambition répond également à une demande de plus en plus forte de nos concitoyens pour communiquer en mobilité. Notre téléphone ne nous sert plus seulement à téléphoner – il suffit de regarder ce qui se passe dans notre hémicycle.

M. François-Michel Lambert. On peut twitter !

Mme Corinne Erhel. La consommation de données a explosé, en particulier la consultation de vidéos. Je donnerai une seule illustration du changement qui est en marche : le traffic data a augmenté de 60 % en 2012, et certains prévoient qu’il sera multiplié par douze d’ici à 2018. Dans ces conditions, il serait peut-être pertinent de construire de nouveaux réseaux plus performants, notamment en 4G – c’est, selon moi, un élément important. Encore faut-il avoir de la visibilité pour s’assurer de la réalisation de ces équipements dans des conditions optimales et au service de tous.

Il est bien sûr indispensable de se poser la question d’un impact potentiel sur la santé, et c’est tout l’objet de la proposition de loi. Nous l’avons dit en commission : nous sommes favorables à la transparence, à l’information et à la concertation. Nous devons, par exemple – et je vous rejoins parfaitement sur ce point, madame la rapporteure – faire un travail plus approfondi sur l’électrohypersensibilité et trouver des solutions appropriées pour les personnes qui en souffrent.

Il importe que nous nous posions les bonnes questions. Comme je l’ai déjà dit, les technologies ne sont pas intrinsèquement dangereuses : le danger peut venir de l’usage que l’on en fait et du manque d’informations sur leur utilisation responsable.

Lors de l’examen en commission, nous avons longuement débattu des moyens de sensibiliser et d’informer le public sur le bon usage des technologies. Ainsi, pour les terminaux mobiles, il faut inciter à l’utilisation systématique d’oreillettes ou de kits mains libres, mais aussi à la généralisation des étuis.

Votre texte pose, plus largement, une vraie question de société, celle de l’utilisation permanente, et parfois addictive, des portables Quelle est l’utilité, pour un enfant, d’être équipé en permanence d’un portable ? L’information et la sensibilisation sont vraiment au cœur du sujet.

Penchons-nous aussi sur la demande légitime des territoires ruraux d’avoir accès à une couverture de qualité, à la fois en téléphonie mobile et en internet : le déploiement du très haut débit fixe et mobile est en effet un enjeu majeur d’aménagement du territoire. Dans les zones peu denses et rurales, la fibre optique est, hélas, encore absente, même dans les écoles : c’est une réalité bien lointaine, qui nécessite, comme on l’a vu, de trouver les financements adéquats et péréqués.

Madame la ministre l’a dit : le Gouvernement présentera dans quelques semaines un plan sur le très haut débit, qui va dans ce sens. La priorité, évidemment, doit être le raccordement en fibre optique, le plus rapidement possible, de tous les établissements accueillant du public, mais, dans l’attente de cette réalisation, il ne faudrait pas, pour autant, voir s’amplifier la fracture numérique.

En conclusion, nous ferons tout, du moins je l’espère, pour montrer que le numérique est une opportunité, tout en sensibilisant nos concitoyens au bon usage de ces technologies. C’est tout l’objet du travail que nous devons mener ensemble. Les technologies numériques constituent, je le répète, un formidable espace de liberté, d’expression et d’innovation pour tous les citoyens : il faut, dans le cadre de notre discussion, garder toujours cela à l’esprit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, le sujet que nous abordons avec cette proposition de loi, celui des ondes électromagnétiques, est sensible, et il serait important que nous en débattions. Mais j’ai bien compris qu’il n’y aurait finalement pas de débat, puisque le groupe SRC a déposé une motion de renvoi en commission.

Un nombre, certes restreint, mais non négligeable, de nos concitoyens est très préoccupé par cette question. Les ondes électromagnétiques sont une source d’inquiétudes, voire d’angoisses, mais aussi un motif d’incompréhensions entre les élus, les citoyens et les entreprises.

Il est tout à fait légitime que la représentation nationale se saisisse de cette question. Malheureusement, les positions adoptées dans cette proposition de loi ne sont pas acceptables. Partout dans le monde, et depuis un certain temps déjà, des études scientifiques ont été menées sur ce sujet : pas une étude sérieuse et reconnue par la communauté scientifique ne démontre que l’exposition aux ondes électromagnétiques, en dessous de certains seuils, constitue un danger pour la santé humaine.

Or l’ensemble de ce texte part du postulat que l’exposition aux ondes électromagnétiques, quelle qu’en soit l’intensité, présente un danger pour la santé humaine : ce postulat est faux et n’est absolument pas prouvé scientifiquement. C’est à ceux qui affirment qu’il existe un danger de le prouver, et non l’inverse. On ne peut pas prouver l’absence de danger : c’est impossible.

Ce texte alimente les fantasmes et les angoisses et n’est en rien rigoureux, car il se focalise sur une technologie particulière, le wifi, et sur les installations de téléphonie mobile ; or, et cela a été dit par nombre de mes collègues, elles sont loin d’être les seules sources d’ondes électromagnétiques. En plus de n’avoir aucun fondement scientifique, cette proposition de loi risque de provoquer de graves dégâts économiques.

Depuis maintenant près de vingt ans, nous sommes entrés dans la société numérique, avec un développement récent et très puissant en direction de la mobilité. Le potentiel de ces technologies mobiles est fabuleux et concerne de nombreux domaines. Pour la France, qui est en retard dans bien des secteurs, le numérique pourrait être un facteur de croissance essentiel au cours des dix prochaines années – je ne pense pas devoir insister beaucoup sur ce point.

C’est aussi un outil de transformation de la société et des relations humaines et, à condition de le gérer correctement, comme tous les outils, il présente des avantages immenses. Voyez le succès rencontré par les réseaux sociaux en seulement quelques années, même dans le cadre de nos travaux parlementaires !

Ces technologies vont aussi permettre de résoudre bien des problèmes environnementaux : avec les technologies mobiles, nous pourrons limiter les déplacements, mieux gérer les approvisionnements et donc éviter les gaspillages.

Au nom d’une crainte irrationnelle et ne se fondant sur aucune preuve scientifique, il faudrait renoncer à tout cela ? (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.) Car il faut bien le dire : si l’on ne veut plus de wifi et de connexions sans fil, il faut renoncer aux téléphones portables.

Il faut être un minimum cohérent et j’aimerais savoir, madame la rapporteure, si vous l’êtes vous-même. Avez-vous un téléphone portable ?

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Évidemment !

M. Lionel Tardy. Commencez par y renoncer avant de déposer une proposition de loi comme celle-ci.

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Mais j’utilise des oreillettes !

M. Lionel Tardy. Ça ne suffit pas !

M. Denis Baupin. La ceinture de sécurité n’empêche pas d’avoir une voiture !

M. Lionel Tardy. La question soulevée par ce texte est pertinente et doit être traitée. Il faut continuer à mener des études scientifiques et trouver des solutions pour les personnes électrosensibles en souffrance. Mais il faut le faire de manière raisonnable, en conciliant divers impératifs.

Il ne me semble pas opportun de revenir à l’âge de pierre et de renoncer à des innovations majeures à cause de fantasmes irrationnels. Nous n’avons jamais été, au cours de l’Histoire, aussi bien nourris, soignés, protégés. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter, au rythme d’un trimestre par an. Nous sommes en bonne santé de plus en plus longtemps. Il faut arrêter d’avoir peur et de croire que la fin du monde est pour demain. Je voterai donc contre cette proposition de loi en regrettant que le sujet ait été aussi mal posé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gest.

M. Alain Gest. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nous voici réunis pour la deuxième fois aujourd’hui afin d’examiner un texte qui ne devait être que le laborieux compromis intervenu entre le groupe socialiste et le groupe écologiste auteur de cette proposition de loi. Il faut en parler au passé, car tout le monde a compris maintenant que le débat allait bientôt s’arrêter.

Compromis laborieux car, comme pour le précédent texte, concernant l’expertise et les lanceurs d’alerte, il a été largement détricoté en commission, comme en attestent les très nombreuses suppressions d’articles ou de sections, pour aboutir à une mouture acceptable par l’ensemble de la majorité.

Ainsi nos collègues du groupe écologiste voient encore un engagement de leur accord avec le Parti socialiste passer à la trappe.

Ce nouveau bricolage législatif est porteur d’incohérences, de contradictions et de risques qui expliquent que je ne voterai pas cette proposition de loi ; je partage toute l’argumentation présentée avec talent par notre porte-parole Laure de la Raudière.

Mme Laure de La Raudière. Merci !

M. Alain Gest. La première incohérence, vous l’avez évitée de justesse dans l’intitulé même de cette proposition de loi. Si l’on lit bien son texte définitif, le titre qui figure en couverture est : « Application du principe de précaution défini par la Charte de l’environnement aux risques résultant des ondes électromagnétiques ». Il faut tourner la page pour voir que ce titre a été modifié lors des travaux en commission des affaires économiques. Il l’a été parce que le président de la commission, monsieur Brottes, connaît le contenu de la Charte de l’environnement, et il sait donc que le principe de précaution ne concerne en aucune manière les problèmes touchants à la santé.

Dans l’ensemble des explications qui ont été fournies tant dans la proposition de loi initiale que lors des débats en commission, il est toujours fait référence aux problèmes sanitaires. Il est vrai que dans le langage courant et médiatique, le principe de précaution est évoqué à tort et à travers, que cela soit à propos de la grippe H1N1, du nuage du volcan islandais ou de tant d’autres sujets qui relèvent simplement de la prévention. Mais il peut paraître pour le moins curieux qu’un texte législatif contribue à ajouter à la confusion sur la notion même du principe de précaution, voire à en faire une utilisation inappropriée. Je remercie donc le président Brottes d’avoir corrigé, durant les travaux de la commission, les affirmations erronées de la représentante du groupe écologiste, Mme Pompili. Attribuons cela à son inexpérience. (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Coutelle. C’est scandaleux !

M. Alain Gest. Mais c’est important : nous sommes ici pour faire respecter un principe que nous avons nous-mêmes voté !

Deuxième incohérence : si l’exposition aux ondes magnétiques présente des risques pour la santé tels que certains les décrivent, allant jusqu’à parler de cancer,…

M. Denis Baupin. C’est l’OMS qui le dit !

M. Alain Gest. …les mesures à prendre me semblent davantage relever de l’interdiction d’utilisation des téléphones portables, ou pour le moins de la suspension de leur commercialisation, plutôt que de la simple interdiction ou réglementation de sa publicité – à laquelle aboutissait le texte édulcoré que je décrivais tout à l’heure – ou de l’information à donner aux citoyens installés à proximité d’une antenne.

Troisième incohérence : pourquoi faire du développement de la 4G une priorité gouvernementale que les opérateurs doivent impérativement mettre en œuvre alors que l’on sait bien que cette nouvelle technologie suppose des seuils d’exposition du public aux champs électromagnétiques, certes très inférieurs à la norme internationale, mais supérieurs à ceux existants, déjà très critiqués par les auteurs de la proposition de loi ?

Quatrième incohérence : notre collègue Laurence Abeille, rapporteure de ce texte, a parlé, à juste titre, du « bain électromagnétique » que représente l’addition des ondes produites par la radio, la télévision, les appareils électroménagers ou les ampoules à basse consommation, que nos collègues écologistes défendent certainement par ailleurs. Mais alors pourquoi la quasi totalité des quelques propositions du texte qui ont été épargnées ne concernent que les téléphones, et pire, les antennes de téléphonie ?

Il est vrai que notre collègue évoque la spécificité des ondes électromagnétiques pulsées, notion développée par les experts autoproclamés, qui oublient qu’affirmer de manière péremptoire une contrevérité ou une approximation n’en fait pas un fait établi.

Incohérences multiples donc, mais également contradictions. Le texte de la commission prévoit une campagne de prévention sanitaire visant à promouvoir une utilisation plus responsable du téléphone mobile, soit. Il est exact que si le doute peut subsister sur un risque potentiel pour la santé, c’est bien exclusivement à propos du téléphone portable et en aucun cas en raison des antennes-relais.

Madame la ministre déléguée, vous aviez parfaitement raison de préciser, hier, que si la proposition de loi avait été édulcorée, c’est que les preuves de la dangerosité n’étaient pas étayées et qu’il ne fallait pas provoquer des peurs irrationnelles.

Vous avez évoqué, tout à l’heure, les différents éléments qui vont intervenir d’ici au mois de juin. Je pense, comme ma collègue de La Raudière, que, durant ce semestre, avec l’ensemble des mesures qui sont envisagées, nous serions bien inspirés de ne voter aucun dispositif susceptible de générer de nouvelles inquiétudes injustifiées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour un rappel au règlement.

Mme Isabelle Attard. Nous avons appris à quinze heures qu’une motion de renvoi en commission serait présentée. Beaucoup d’entre nous qui souhaitaient intervenir lors de l’examen des amendements ne pourront donc pas le faire.

Aussi, je souhaite donner une information à la ministre concernant l’électrohypersensibilité. Cette maladie est reconnue en Suède, pays voisin, où elle est considérée comme un handicap.

M. Alain Gest. C’est faux ! Vous ne devez pas vous fier qu’à Robin des toits !

Mme Isabelle Attard. Ce n’est pas Robin des toits, monsieur, c’est le parlement suédois, et je vous incite vous rendre dans ce pays.

En Suède, 300 000 personnes, soit 3 % de la population, sont concernées par l’électrohypersensibilité. Ce rappel intéressera peut-être d’autres de mes collègues.

M. Alain Gest. Lisez mon rapport, vous en saurez un peu plus ! Tenez, je vous l’offre !

Discussion générale (suite)

M. le président. La parole est à M. Jean-David Ciot.

M. Jean-David Ciot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, ces dernières années, la marche du progrès technologique a connu une accélération sans précédent. La dynamique de créativité et d’innovation dont font preuve nos sociétés contemporaines permet désormais d’offrir à chacun de nos concitoyens une gamme étendue de biens et de services dédiés à leur confort et leur bien-être domestique et professionnel.

Cependant, l’histoire des sociétés industrielles démontre aussi la prégnance d’une tension entre ces mutations et l’accroissement des risques qui leur est intrinsèquement lié. L’intervention des pouvoirs publics devient dès lors impérative pour définir des cadres juridiques efficaces susceptibles d’accompagner au mieux ces transformations.

Pour ce faire, deux positions caricaturales doivent être évitées. La première consiste à envisager le principe de précaution comme un dogme qui nous pousserait à l’immobilisme. La seconde consisterait à faire preuve d’inconscience en laissant prévaloir la primauté des intérêts économiques au détriment de toute démarche de prévention et nous pousserait à fermer les yeux sur des risques sanitaires à venir, comme ce fut le cas pour l’amiante dans les mêmes conditions.

Ces questions se posent aujourd’hui au législateur dans le domaine des ondes électromagnétiques et des antennes-relais de téléphonie mobile. En effet, la généralisation de l’usage des téléphones portables – on compte plus de 70 millions de cartes SIM en fonctionnement aujourd’hui – a nécessité l’implantation de dizaines de milliers d’antennes émettrices sur notre territoire dans la dernière décennie. Cette séquence s’est révélée indispensable pour assurer la couverture de l’ensemble du territoire. Réduire la fracture numérique pour favoriser l’accès aux technologies de l’information et de la communication pour tous, et sur tout le territoire, représente un enjeu prioritaire du développement et de l’aménagement.

Néanmoins, ce déploiement massif s’est effectué dans un cadre normatif peu contraignant, alors même que l’impact sanitaire des ondes électromagnétiques demeure en partie méconnu.

Sur ce point, bien qu’aucune conclusion scientifique ne puisse être à ce jour définitivement établie, un certain nombre d’études mettent en évidence la possibilité d’un risque lié à l’exposition aux ondes électromagnétiques. Cette incertitude nourrit l’inquiétude de ceux qui, dans nos quartiers – il n’y a pas que des antennes sur les toits d’Aix-en-Provence, il y en a aussi à Gardanne, monsieur le député –, notamment dans les espaces d’habitats populaires, sont confrontés au développement de ces antennes. Il est donc nécessaire pour le législateur de s’engager à renforcer le cadre juridique régissant l’exposition des habitants aux rayonnements électromagnétiques sans pour autant affaiblir la dynamique de développement de la téléphonie mobile.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise constitue à mes yeux le début d’une discussion. La réflexion de notre assemblée aurait pu être plus riche si l’on avait attendu les conclusions des études et des expérimentations actuellement menées sous l’autorité de l’ANSES.

Trois grands principes doivent s’inscrire au cœur de notre action législative.

En premier lieu, il me semble indispensable de protéger les plus fragiles, et en particulier les enfants de moins de six ans. Il est impossible aujourd’hui de mobiliser quelque étude que ce soit pour affirmer que cette population ne subirait aucun préjudice d’une exposition prolongée à des rayonnements électromagnétiques.

M. François-Michel Lambert. Très bien !

M. Jean-David Ciot. Deuxièmement, l’examen de cette loi nous permettra d’ouvrir utilement le débat parlementaire sur la question des valeurs d’exposition aux ondes électromagnétiques. Faute d’expertise indiscutable, il n’existe pas d’accord, aujourd’hui, sur le seuil à atteindre pour maintenir la qualité de service des opérateurs tout en assurant le maximum de précautions sanitaires. Cependant, il nous faut fixer l’objectif d’un principe de sobriété des émissions électromagnétiques, afin de mettre en place les équipements les moins émetteurs possibles sans perdre la couverture téléphonique mobile. Les opérateurs y travaillent.

Enfin, il est nécessaire d’améliorer significativement l’information de nos citoyens sur les risques des usages liés aux équipements, sur les valeurs auxquelles ils sont exposés et sur l’état des installations proches de leur domicile. Trop souvent, par le passé, les locataires des habitations collectives, voire individuelles, se sont vus informer par hasard de l’existence d’antennes relais à proximité de leur habitation. Or nos démocraties modernes ont acté le principe que, dès lors qu’il existe un risque technologique potentiel, la transparence est un droit pour les populations.

En conclusion, il me semble que rien, dans ces principes, n’est susceptible de freiner le développement nécessaire des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de les rendre accessibles au plus grand nombre sur tout notre territoire. En revanche, ils permettront de répondre à l’obligation qui nous est faite de prévenir les risques potentiels liés à l’usage généralisé de ces équipements.

C’est tout le sens des propositions et des amendements que j’avais déposés, qui pourront être discutés maintenant ou dans le futur. Ce sujet est important pour nos concitoyens et notre développement : il nous faudra le traiter rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Je souhaite répondre aux différents orateurs de la discussion générale. Nous avons eu un débat ce soir, même si nous n’aurons peut-être pas de loi. Au moins, ces quelques paroles échangées ont été intéressantes.

Je répondrai aux orateurs dans l’ordre inverse de leurs interventions.

Je remercie vivement Jean-David Ciot pour son soutien, notamment sur la question du principe ALARA, qui est indispensable pour travailler à un abaissement du seuil d’exposition aux ondes électromagnétiques.

En matière de concertation et de transparence, je souhaite vous donner un témoignage personnel. Je suis allée très récemment à Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, où s’est édifié en quelques heures quelque chose qui ressemble à une cheminée. Cette installation est située à quelques dizaines de mètres d’une crèche et d’une école accueillant 600 enfants, et à proximité d’habitations. Il s’agit d’une antenne de téléphonie mobile ; or les habitants n’ont jamais été prévenus de cette installation. On a parlé de concertation et de transparence : voilà un témoignage très précis de ce qui se fait aujourd’hui dans notre pays. Ce texte a vocation à faire cesser ces pratiques.

Monsieur Gest, vous avez évoqué le titre de la proposition de loi. Nous avions à la fois parlé de principe de précaution et de risque, parce que ces deux notions vont évidemment ensemble. Au cours de la réunion de la commission qui s’est tenue, cet après-midi, au titre de l’article 88, j’ai proposé que l’on puisse modifier ce titre, ce qui a d’ailleurs été accepté par la commission, pour y ajouter la notion de sobriété. Je me situais donc déjà un peu en retrait, pour que l’on puisse aboutir à un accord et que le titre de la loi parle davantage de son contenu, à savoir la question de la sobriété a minima.

Vous avez également évoqué le risque de cancer. Il s’agit d’une classification de l’OMS : ce n’est donc pas une déclaration farfelue que de parler de risque de cancer lié aux ondes électromagnétiques. C’est l’opinion du Centre international de recherche sur le cancer. La justice italienne a également reconnu l’existence d’un lien entre la téléphonie mobile et le cancer.

Monsieur Tardy, vous avez raison : il n’existe pas de consensus scientifique sur les effets des ondes électromagnétiques. Les études sont contradictoires. S’il faut appliquer le principe de précaution aujourd’hui, c’est bien parce que, outre ces études contradictoires, il existe une classification de l’OMS. Nous devons donc prendre nos responsabilités ! Nous faisons ici de la politique, nous essayons de protéger la population, nous ne sommes pas là pour attendre une énième étude. Dans vingt ans, nous aurons encore de nouvelles études, et de nouveaux conflits d’intérêt sur le sujet. Je crois qu’aujourd’hui, nous sommes face à notre responsabilité de législateur. C’est le moment de la prendre !

Vous parlez de craintes irrationnelles à propos des personnes électro-sensibles. Je suis contente d’avoir entendu différents orateurs en parler ce soir, parce que leurs souffrances sont réelles.

Mme Laure de La Raudière. C’est vrai !

M. Lionel Tardy. Nous sommes d’accord là-dessus.

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Nous ne sommes d’ailleurs pas tous égaux face à la question des ondes électromagnétiques. Mais, comme l’a d’ailleurs rappelé Isabelle Attard, que je remercie, nous savons que cette pathologie existe : elle est reconnue en Suède.

M. Alain Gest. Non !

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Quant à l’étude menée par l’hôpital Cochin, nous n’avons aujourd’hui pas connaissance de son protocole, ce qui est tout de même assez fantastique ! Elle doit rendre ses conclusions en 2016, mais nous ne savons pas exactement sur quoi elle porte : le protocole reste secret. J’en profite donc pour demander très officiellement ce soir qu’il soit rendu public et que nous puissions en avoir tous les éléments. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.) Je regrette également que, dès le début de cette étude, des médecins aient pu, d’une certaine façon, rendre des conclusions en évoquant des problèmes psychiatriques à propos de ces personnes qui souffrent de l’électrohypersensibilité. C’est particulièrement choquant, et assez incompréhensible : si on démarre une étude, on doit en connaître le protocole et on n’en donne pas les résultats dès le départ !

Madame Erhel, je reviens à la question de l’information des citoyens, puisque vous en avez parlé, et je vous en remercie. Certes, l’information est un élément essentiel, mais elle n’est pas suffisante, car il s’agit aussi de prévention des risques. Je l’ai dit à l’instant : la prévention et le principe de précaution relèvent bien de notre responsabilité de législateur en matière de santé publique.

Je remercie Michèle Bonneton pour son intervention, et pour avoir rappelé l’article 5 de la Charte de l’environnement, qui définit le principe de précaution. L’article 1er de cette Charte dispose : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » Cette citation me permet d’insister sur le mot « santé » : l’un des objectifs de cette proposition de loi consiste justement à limiter l’exposition subie par la population ; il s’agit donc évidemment de précaution et de prévention des risques sanitaires.

Madame de la Raudière, vous avez évoqué la question de l’électrohypersensibilité. Pourquoi ne pas avancer, en reconnaissant cette pathologie et en demandant rapidement un rapport, bien avant 2016, afin de disposer des éléments et de pouvoir installer des espaces à rayonnement limité, de sorte que les personnes qui vivent ces souffrances ne soient plus isolées socialement et puissent reprendre une vie normale dans des espaces de travail ou des logements protégés ? Cependant, il faudrait pour ce faire disposer d’une étude sur ce qui fonctionne effectivement pour protéger les personnes électrohypersensibles. Or, aujourd’hui, nous ne disposons pas de ces éléments. Ce sujet est traité dans le texte de la proposition de loi.

Je reviens à la question des études. Pourquoi réaliser encore de nouvelles études quand nous disposons déjà de la classification de l’OMS et du rapport de l’AFSSET de 2009 ? Nous ne sommes pas là pour poursuivre dans cette voie. Ce n’est pas l’objectif : je ne me suis pas lancée dans ce travail, avec mon groupe, pour avancer sur la question des études. Je crois que nous avions des éléments suffisants pour légiférer aujourd’hui,…

Mme Laure de La Raudière. Pas sur la question des antennes !

Mme Laurence Abeille, rapporteure. …et pour instaurer un certain nombre de dispositifs de protection. Si l’on attend constamment un nouveau rapport ou une nouvelle étude, on ne fait rien. À mon sens, ce n’est pas uniquement sur cette question des études que nous devons baser notre décision politique.

Madame Errante, vous avez déploré que nous ayons manqué de temps. Je vous rappelle quand même que la proposition de loi a été déposée le 12 décembre dernier, après un travail de réflexion approfondi. En tant que rapporteure, j’ai poursuivi ce travail avec Suzanne Tallard et François Pupponi en menant des auditions. Nous avons auditionné pendant des heures ! Je ne ferai pas la liste de toutes les personnes que nous avons entendues : les agences, les opérateurs de téléphonie mobile, les associations, les élus. Nous avons pris le temps et respecté le rythme du travail parlementaire. Je regrette que nous n’ayons pas eu davantage de réponses du Gouvernement pour nous aider à aboutir aujourd’hui, puisque le renvoi en commission qui est annoncé enterre le dispositif et tout progrès rapide en la matière.

Monsieur Chassaigne, merci beaucoup pour votre intervention. Nous partageons la plupart de vos propos. Nous avons aussi eu ensemble des débats intéressants en commission. Vous avez évoqué la situation économique des opérateurs de téléphonie mobile : le président de l’ARCEP, M. Silicani, a souligné, lors de ses vœux, la semaine dernière, que les opérateurs dégageaient encore des résultats financiers tout à fait satisfaisants. Par ailleurs, je vous remercie pour vos propos sur la question de l’électrohypersensibilité et du principe ALARA, ainsi que sur la question de l’information des citoyens. Je n’y reviens pas plus longuement, puisque je suis d’accord avec vous : il ne s’agit pas d’apaiser des peurs mais bien de protéger la santé.

Madame Dubié, vous avez aussi mis l’accent sur la concertation. Je l’ai déjà évoquée, et un amendement du groupe SRC a été adopté en commission pour prévoir la création de commissions départementales de concertation. Madame la ministre déléguée, vous aviez également proposé des améliorations de cette rédaction. Chers amis du groupe SRC, si vous retiriez cette motion de renvoi en commission, nous pourrions avancer dès aujourd’hui sur la question de la concertation, et ne pas la remettre à encore plus tard.

Merci à François-Michel Lambert pour son intervention et son soutien, particulièrement sur la question de la protection des plus jeunes. Ce sujet a été très largement abordé pendant nos débats. Je me permets de le redire aujourd’hui : oui, les cerveaux des plus jeunes enfants sont plus fragiles. C’est pourquoi il faut évidemment interdire toutes les connexions sans fil et protéger ces enfants de tous les objets de la vie quotidienne qui les entourent et qui émettent des ondes.

Merci beaucoup à Suzanne Tallard, rapporteure pour avis, pour le travail que nous avons réalisé ensemble. L’électrohypersensibilité est un sujet sur lequel la Commission européenne et l’Organisation mondiale de la santé travaillent depuis la fin des années 1990. Déjà, en 2009, l’AFSSET avait reconnu la souffrance de ces personnes. Il n’est donc sans doute pas sérieux d’attendre 2016 et les conclusions de l’étude de Cochin, dont on ne sait rien aujourd’hui.

Mme Laure de La Raudière. Si, l’étude est sérieuse !

M. Alain Gest. Il y a déjà eu des études sur ce sujet !

Plusieurs députés du groupe écologiste. Elles étaient biaisées !

M. Alain Gest. Nous n’en savons rien !

Mme Laurence Abeille, rapporteure. Je vous remercie beaucoup pour vos interventions. J’aurais aimé que ce débat puisse se poursuivre lors de l’examen des articles. J’invite une nouvelle fois nos collègues du groupe SRC à retirer cette motion de renvoi en commission, qui n’a pas lieu d’être puisque nous sommes nombreux dans l’hémicycle pour débattre utilement de ce texte et franchir enfin ne serait-ce qu’un premier pas en direction de cette législation nécessaire sur les ondes électromagnétiques.

Je parle d’un premier pas, car vous savez bien que le texte ne correspond pas vraiment à nos attentes originelles. Toutefois, nous avons travaillé ensemble et nous avons fait des compromis. C’est bien cela, faire de la politique : trouver des accords pour permettre l’adoption d’une première loi.

J’espère que nous pourrons entamer la discussion du texte très rapidement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour un rappel au règlement.

M. François de Rugy. J’aimerais simplement savoir si Mme la ministre a l’intention de répondre, comme il est d’usage, aux interventions de nos collègues…

M. Paul Molac. C’est une question de respect du Parlement !

M. François de Rugy. …ainsi qu’à Mme la rapporteure, qui s’est exprimée de façon très claire.

Tout à l’heure, M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, qui connaît bien le Parlement de par ses fonctions ministérielles mais également parce qu’il a été député, a dit, lors de l’examen du texte précédent – également présenté par le groupe écologiste et défendu par Jean-Louis Roumegas en qualité de rapporteur – que les parlementaires prenaient des initiatives dans le cadre de ces séances et que le Gouvernement était là pour les accompagner. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Monsieur le député, j’ai évidemment le plus grand respect pour le travail parlementaire. Je m’exprimerai au sujet de l’ensemble des interventions après la présentation de la motion de renvoi en commission. (Protestations sur les bancs du groupe écologiste.)

Motion de renvoi en commission

M. le président. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nos collègues du groupe écologiste ont légitimement fait le choix de porter cette question, dès à présent, devant notre assemblée, et il nous faut saluer cette initiative. Je tiens particulièrement à féliciter Laurence Abeille pour le sérieux du travail réalisé et les nombreuses auditions qu’elle a menées. Je souhaite également saluer Suzanne Tallard, rapporteure pour avis au nom de la commission du développement durable, qui a grandement contribué à nos travaux.

Sur un sujet aussi important et complexe, qui soulève des questions sur les risques éventuels de ces ondes pour la santé, qui concerne un secteur majeur de notre économie et qui est empreint d’une forte charge émotionnelle, il convient de repousser les peurs irrationnelles et de mener nos débats avec sérénité, en s’appuyant sur des informations solides.

L’essor des technologies sans fil et une meilleure information des citoyens sur leur exposition à un nombre croissant d’ondes électromagnétiques artificielles ont suscité des interrogations légitimes sur les éventuelles conséquences de celles-ci sur la santé humaine.

La classification en 2011, par le Centre international de recherche sur le cancer, des ondes électromagnétiques comme potentiellement cancérigènes, porte nos concitoyens à s’interroger et nous impose de prendre le temps d’une bonne compréhension des enjeux de santé publique à l’œuvre. C’est d’autant plus vrai dans un contexte d’incertitude scientifique.

La France compte près de 150 000 installations de radiotéléphonie et 65 millions de lignes de téléphonie mobile. Derrière ces chiffres se trouvent des opérateurs, des fournisseurs et plusieurs dizaines de milliers d’emplois. Il ne s’agit bien entendu pas d’opposer des impératifs de santé publique à des intérêts économiques. Il s’agit de prendre la mesure de l’importance du sujet que nous traitons ce soir, et, en conséquence, de l’exigence qui doit nous guider pour y apporter les meilleures réponses possibles.

Je suis heureux d’affirmer que les débats que nous avons eus dans les deux commissions saisies nous ont donné l’opportunité, malgré nos désaccords, d’avancer dans cette direction.

Nos débats, qui ont été riches, ont permis de faire évoluer ce texte ; tout à l’heure encore, en commission des affaires économiques, des amendements de la rapporteure ont été adoptés, améliorant ainsi le texte. Mais les débats ont surtout fait émerger des questionnements auxquels, force est de le reconnaître, nous ne sommes pas aujourd’hui en capacité d’apporter des réponses satisfaisantes. Aucun d’entre nous ne peut prétendre détenir la vérité sur ce sujet et nos joutes, en commission, sur la légitimité de telle ou telle étude scientifique illustrent les limites qui sont les nôtres en matière d’information.

Par ailleurs, cette proposition de loi a été présentée alors que plusieurs études très attendues doivent être publiées dans les prochains mois. Ainsi, l’ANSES doit remettre dans quelques mois la mise à jour du rapport 2009 de l’AFSSET sur les effets des radiofréquences sur les fonctions cellulaires, avec une focalisation sur la question de l’électro-hypersensibilité.

En juin prochain, le COPIC, issu du COMOP présidé par le très brillant président Brottes, remettra ses conclusions sur les niveaux d’exposition aux radiofréquences. Enfin, il y a seulement quelques jours, l’Agence européenne pour l’environnement a également publié un rapport important sur le sujet.

De plus, nous avons reçu tardivement des amendements très importants du Gouvernement et n’avons pas eu l’opportunité de les étudier dans les meilleures conditions.

Mme Laure de La Raudière. C’est un peu cavalier de la part du Gouvernement ! (Sourires.)

M. Lionel Tardy. Quelle improvisation !

M. François Pupponi. Il est donc nécessaire de prendre le temps d’analyser ces études afin de disposer des éléments les plus récents pour guider notre réflexion. Nous devons poursuivre le dialogue constructif entamé en commission afin d’élaborer un texte plus abouti.

Je ne prendrai qu’un exemple, celui du principe dit ALARA – « Aussi bas que raisonnablement possible », selon la traduction de l’acronyme anglais –, qui consiste à rechercher autant qu’il est possible la sobriété en matière d’émission à qualité de service égale. Nous partageons la volonté de débattre du principe de sobriété en matière d’émission d’ondes électromagnétiques, qui marque une avancée positive afin de limiter l’exposition des personnes à ces émissions. Malheureusement, la mise en place de ce principe est entravée par de nombreuses difficultés juridiques, susceptibles d’entraîner une multitude de contentieux dont la portée est encore imparfaitement connue. Cela ne doit pas être pour nous un frein dans la réalisation de cet objectif, et je sais l’attachement du président Brottes à ce principe de sobriété. Mais, devant ces difficultés, il serait responsable de prendre, là encore, le temps nécessaire pour assurer, dans le futur, sa sereine mise en œuvre.

Cet exemple démontre que nous devons continuer à travailler ensemble, car rien ne serait pire, sur un sujet aussi important que délicat, que de légiférer dans la précipitation.

M. Michel Issindou. C’est vrai !

M. François Pupponi. Le Gouvernement s’est engagé – et je vous en remercie, madame la ministre déléguée – à remettre, indépendamment de ce texte, un rapport sur ce sujet. Je salue cette décision qui permettra de renforcer nos travaux.

Tous ces éléments m’obligent à considérer qu’il serait plus raisonnable de renvoyer ce texte en commission, afin de poursuivre le travail engagé avec une volonté partagée d’aboutir à un texte fort et consensuel.

Je suis d’ailleurs fier de proposer, pour la première fois depuis la réforme constitutionnelle et sur un texte qui n’est pas issu du groupe majoritaire au sein de la majorité, un renvoi en commission dans le but de renforcer ce texte. Nous avons la volonté, et je m’adresse à mes collègues du groupe écologiste, de continuer le travail…

M. Alain Gest. Voyez leur enthousiasme !

M. François Pupponi. …afin d’aboutir assez rapidement à un texte sur lequel nous pourrions être d’accord.

M. Alain Gest. Ils n’en doutent pas !

M. François Pupponi. Le président Brottes proposera des dates assez proches, preuve de notre volonté de ne pas botter en touche. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) En tout état de cause, cela constitue, selon nous, une bonne manière de légiférer.

Mes chers collègues cette motion n’est pas une manœuvre politique (« Oh ! » sur les bancs du groupe écologiste), elle n’est pas une technique dilatoire qui aurait pour objectif d’enterrer le travail considérable réalisé par Laurence Abeille et le groupe écologiste, bien au contraire.

M. Lionel Tardy. Rendez-vous dans un an !

M. François Pupponi. C’est précisément parce que nous partageons ces objectifs, même s’il y a de réelles divergences entre nous, que nous souhaitons donner à ce texte toutes ses chances de constituer un texte majeur sur la problématique de l’exposition aux ondes électromagnétiques.

Le renvoi en commission doit être interprété comme l’opportunité d’entamer une nouvelle phase de travail sur le fond, appuyée par les données nouvelles auxquelles nous allons avoir accès dans les prochains mois. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine et le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Madame la rapporteure, madame la rapporteure pour avis, monsieur le président de la commission des affaires économiques, le travail réalisé en commission ne sera pas vain. Nous allons nous en servir très largement dans les mois qui viennent lorsque nous nous pencherons sur la façon de répondre à vos préoccupations.

Je souhaite répondre le plus précisément possible aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale.

La proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques a été très largement réécrite par la commission du développement durable et la commission des affaires économiques. Les débats en commission ont démontré une réelle volonté d’avancer vers plus de transparence, une meilleure information du public et une meilleure concertation. Ils ont également permis de formuler des propositions en matière de mutualisation des réseaux et d’infrastructures.

Un élément central est apparu, et je souhaite m’y attarder quelques instants. Au terme du parcours parlementaire du texte, un consensus s’est dégagé autour de la recherche d’une plus grande sobriété en matière d’émission d’ondes électromagnétiques, qui devra guider nos choix technologiques futurs. Le Gouvernement, qui partage cette ambition et l’envie d’avancer sur le sujet, prend l’engagement, aujourd’hui, devant la représentation nationale, de rendre public, dans un délai de cinq mois, un rapport permettant d’évaluer les conséquences économiques et juridiques d’une inscription dans la loi du principe de sobriété, le principe ALARA.

Cet engagement du Gouvernement traduit une volonté politique très forte d’avancer sur ce sujet – je le dis notamment au président Brottes, dont je salue le travail de conviction, mais également à l’ensemble des députés du groupe écologiste.

Ouvrir aujourd’hui la porte à l’application du principe ALARA, alors que celui-ci n’est pas très clairement défini dans le secteur des télécoms, aurait inévitablement soulevé la question de la vérification de la bonne mise en œuvre de ce principe, avec pour corollaire une multiplication quasi immédiate d’actions contentieuses.

Mesdames et messieurs les députés, nous avons abordé ce texte de manière constructive, avec l’ambition de le transformer positivement, que ce soit sur la transparence et la concertation, en inscrivant dans la loi les recommandations du COPIC, sur la mutualisation, sur les points atypiques ou sur la protection des jeunes publics contre un usage intensif du portable. Autant d’avancées auxquelles nous sommes prêts.

Pour autant, arrivons-nous en séance publique avec un texte stabilisé juridiquement et, surtout, conforme aux ambitions de ses auteurs ? Arrivons-nous avec un texte susceptible de satisfaire les attentes légitimes de nos concitoyens de manière pérenne ?

Devons-nous, par exemple, légiférer sur le wifi dans les crèches ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe écologiste.) Non, car c’est une prérogative des collectivités locales. Je trouve, à titre personnel et en tant que mère de famille, qu’il est absurde de mettre du wifi dans les crèches, mais cette disposition n’est pas totalement aboutie, il faut le reconnaître.

M. François de Rugy. Comment ?

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Le Gouvernement est favorable à l’adoption de la motion de renvoi en commission déposée par le groupe socialiste. Son adoption ne marquerait pas la fin du débat sur les ondes électromagnétiques, encore moins la fin de l’action gouvernementale en la matière. Elle marquerait, au contraire, l’engagement solennel du Gouvernement d’avancer sur ce sujet dans un calendrier resserré. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Paul Molac et M. Denis Baupin. Quelle conviction !

M. Thierry Mariani. C’est un enterrement de première classe !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, mes chers collègues, je suis favorable, en tant que président de la commission, à la motion de renvoi en commission.

Permettez-moi d’évoquer l’honneur et l’éthique, des valeurs qui me sont chères.

M. Lionel Tardy. Oh là !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Vous savez, cher collègue, pendant deux ans, à la demande de Mme Jouanno – que je veux saluer et remercier pour son engagement –, j’ai présidé, avec l’accord de mon groupe, le COMOP, un comité opérationnel chargé d’étudier la diminution de la puissance d’émission des antennes-relais. J’étais dans l’opposition, à l’époque, mais, comme il s’agissait d’un sujet d’intérêt général et universel, la majorité et l’opposition d’alors avaient considéré qu’il devait échapper à la politique politicienne, et je les en remercie.

M. Alain Gest. Très bien !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Sur ces questions, nous avons besoin de trouver le chemin de la rationalité, et ce n’est pas évident. Je ne suis ni de ceux qui ont envie de se faire peur pour rien, ni de ceux qui disent : « Circulez, y’a rien à voir ! ». Les choses sont plus complexes.

Pendant ces deux années, tous les opérateurs, toutes les associations environnementales, presque toutes les associations de consommateurs et d’usagers, les élus se sont retrouvés autour d’une table. Le dialogue a été difficile, voire viril, si je puis me permettre cet adjectif. Mais nous avons tenu bon le cap d’un consensus qui, à petits pas, nous a amenés à mettre du rationnel dans le débat. Nous avons passé beaucoup de temps, six à huit mois, à définir une méthodologie pour la mesure de vérification de l’état de la diffusion des ondes. Il fallait en effet que nous soyons unanimement d’accord sur la question de savoir qui fait quoi, avec quels outils, dans quelles conditions et sous le contrôle de qui.

Ce temps-là n’a pas été perdu. En effet, nous avons ainsi pu constater que plus de 90 % des mesures réalisées dans les différentes villes concernées ont donné des résultats inférieurs à 1,5 volt par mètre – ce qui montre que la norme de 41 volts par mètre est extravagante : je l’ai dit, je l’ai écrit, je le redis. Mais nous avons également identifié des points atypiques, où l’émission est de 8 ou 15 volts par mètre, ce qui n’est pas acceptable. Bref, nous avons avancé en essayant, petit à petit, de trouver une solution. Le COPIC poursuit ce travail en tentant d’évaluer dans quelle mesure on peut baisser la puissance d’émission en maintenant la qualité de service sans trop solliciter le téléphone portable, qui présenterait alors un inconvénient, surtout si l’on n’utilise pas d’oreillette.

Il faut être deux, pour bien réfléchir à ce problème : celui qui émet et celui qui reçoit – en l’occurrence, celui qui reçoit est aussi celui qui émet. Il est difficile de savoir quel est le bon dosage. Ma conviction profonde est que le principe de sobriété, le principe ALARA, doit pouvoir être mis en œuvre ; c’est un engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.) La commission, lorsqu’elle s’est réunie au titre de l’article 88, a du reste adopté un amendement dans ce sens.

En 2009, l’AFSSET a clairement dit que, partout où l’on pouvait faire sobre, il fallait faire sobre. Cela ne signifie pas qu’il faut éteindre le téléphone, mais qu’il faut trouver le bon équilibre. Inscrire un tel objectif dans la loi suppose de fixer une règle du jeu afin de donner une assise réelle à ce principe au plan juridique et technique. Or, j’ai entendu, de la part du Gouvernement, des remarques qui m’ont amené à considérer que nous devions, dans ce domaine, prendre encore un peu de temps.

Nous avons besoin de la loi, pour cela et pour le reste. Il n’est pas question pour nous – et je le dis aussi au nom des collègues du groupe socialiste – de faire de ce renvoi en commission une mesure dilatoire et de considérer qu’il n’y a pas lieu de légiférer. Sur les points atypiques, l’information, la concertation et le principe ALARA, avec une règle du jeu claire, nous devons être en mesure de faire figurer dans la loi des éléments utiles.

Sur la mutualisation, je suis de ceux qui pensent, à l’instar de mon collègue Chassaigne, que la concurrence par les infrastructures a été une vaste « connerie » ! Elle a amené à engager des investissements parfois inconsidérés et à créer des situations inextricables sur le terrain, alors que l’on n’est pas obligé d’avoir des milliers d’antennes pour que les opérateurs puissent se faire concurrence. La concurrence par les services a donné des résultats, y compris en matière de prix. C’est maintenant derrière nous, mais on peut regretter d’avoir raté une marche, à l’époque – j’essaie de n’accuser personne.

En tout état de cause, je prends l’engagement de réunir très rapidement la commission, afin d’étudier la manière dont on peut faire figurer le principe ALARA dans la loi, en évitant les écueils de la démagogie et du flou juridique. Nous devons être sûrs que cela sera fait et que cela sera fait par un organisme indépendant. Nous devons travailler avec le Gouvernement pour que cette réflexion technique et juridique nous apporte les réponses que l’on attend. Je réunirai donc la commission et j’inviterai le Gouvernement, pour que l’on s’assure que la méthodologie est la bonne.

Ayant passé beaucoup de temps à essayer de trouver une méthodologie faisant consensus, je suis quelqu’un sur qui vous pouvez compter. Je vous demande de croire que cette parole, fondée sur l’expérience qui est la mienne dans le contexte que vous connaissez, n’a rien de dilatoire.

À mes collègues écologistes, je tiens à préciser que lorsque l’on inscrit trois textes à la fois dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire, – et je n’ignore pas que le choix est restreint tant ces niches sont rares –…

M. Lionel Tardy. Une fois par an !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. …celui qui se trouve à la fin ne peut être discuté à fond, à moins d’être débattu pendant toute la nuit, et encore. Vous verrez lorsque nous discuterons à nouveau de ce texte que ce n’est pas une journée mais plusieurs jours qu’il faudra lui consacrer dans cet hémicycle. Et c’est normal.

Pour autant, je veux à mon tour saluer le travail de Mme la rapporteure et la tonalité des échanges que nous avons eus avec elle. Tout au long des débats en commission, qui ont été effectivement longs, nous avons cherché ensemble à nous comprendre, à trouver des définitions à mettre sur les mots. Elles n’étaient pas toujours les mêmes et force est de constater que certaines ne sont pas encore parvenues au degré de stabilisation nécessaire à la rédaction d’une loi, appelée par définition à faire ensuite partie de notre droit, une fois votée.

Si je suis favorable à ce renvoi en commission, encore une fois, ce n’est pas pour botter en touche ou pour réserver un enterrement de pierre classe à cette proposition de loi, selon l’expression de l’un d’entre vous. Non, je veux faire sorte de pouvoir réagir dès que nous nous serons mis d’accord avec le Gouvernement sur une méthode pour mener une étude juridique et technique sur l’application par la loi du principe ALARA, dès que nous disposerons de la nouvelle étude de l’Agence nationale de santé et des résultats de l’étude technique du COPIC sur l’impact de l’abaissement de la puissance sur la qualité du signal et la sollicitation du téléphone mobile. Et ce ne sera pas dans un an mais l’été prochain : je réunirai donc la commission bien avant l’été parce que je souhaite, en matière de méthode, une relation d’échanges qui ne soit pas un marché de dupes.

Je vous demande de me faire confiance. Ma loyauté a été prouvée à plusieurs reprises. Je sais qu’il n’est pas facile de terminer une journée d’initiative parlementaire ainsi. Mais en réalité, il ne s’agit pas d’un rejet pur et simple du texte. Nous voulons réussir la rédaction de cette loi. Vous avez eu raison de mettre ce sujet en débat : il est extrêmement vaste. Nous ne pouvons le traiter par-dessus la jambe, même si ce n’était évidemment pas votre intention. Les délais étaient courts, nous manquions de précisions sur certains éléments juridiques.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de me croire lorsque je vous dis que je m’engage à réunir la commission dans les plus brefs délais. Nous voulons avancer, nous voulons légiférer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste

M. Denis Baupin. Vous ne serez pas surpris d’entendre que nous appelons à voter contre cette motion de renvoi.

Pour des raisons de forme, d’abord.

Cette motion crée un dangereux précédent.

M. Lionel Tardy. C’est vrai !

M. Denis Baupin. C’est la première fois, comme l’a rappelé notre président François de Rugy, que face à une proposition de loi présentée dans le cadre d’une niche parlementaire, est proposé un renvoi en commission. À quoi bon instaurer des niches parlementaires si nous ne pouvons pas débattre dans l’hémicycle et voter sur les amendements ? De la même façon, à quoi bon travailler en commission si, après des heures de débats consacrés aux amendements, il est décidé de renvoyer le texte en commission ? Pour notre part, nous en référerons à la conférence des présidents pour savoir quel sens donner à cette décision prise, au nom de votre groupe – majoritaire, il faut bien le reconnaître –, qui conduit à vider les niches parlementaires de leur substance.

Pour des raisons de fond, ensuite.

Madame la ministre, vos propos ont choqué, beaucoup choqué : vous avez parlé de « peur irrationnelle ». Estimez-vous que les centaines d’élus locaux, les centaines de milliers de nos concitoyens qui nous interpellent sur ces questions de santé publique, que l’Organisation mondiale de la santé, qui a conclu au caractère cancérigène de ces ondes, sont agités par une peur irrationnelle ? Cet argument, excusez-nous de le rappeler, nous a été déjà servi à plusieurs reprises lorsque nous évoquions des questions de santé publique : par Claude Allègre, à propos de l’amiante ; par Michel Charasse, à propos du Mediator.

Aujourd’hui, nous ressentons le besoin de rassurer la population, de rassurer les associations, de rassurer les élus locaux mais aussi de rassurer les opérateurs, qui se trouvent dans une situation d’insécurité juridique, à la suite des nombreux procès qui les ont condamnés à supprimer des antennes.

Élu parisien, je me suis battu pendant des années sur ces questions. La ville de Paris a finalement adopté avec les opérateurs une charte visant à réduire les niveaux d’émission. Pourquoi nous dites-vous qu’il est inutile de procéder à telles réductions alors que le maire de Paris et la grande majorité des élus municipaux ont décidé d’imposer des règles supplémentaires ? Il existe une attente de la population, il existe des problèmes de santé publique.

Pour toutes ces raisons, nous n’adopterons pas cette motion de renvoi en commission. Nous estimons qu’il revient aux parlementaires, et non aux opérateurs de téléphonie mobile, de décider des règles en matière de santé publique : nous devons assumer nos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Errante, pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sophie Errante. J’aimerais tout d’abord répondre à M. de Rugy que je n’ai en aucun cas remis en cause le principe des niches parlementaires. C’est leur organisation que j’évoquais : nous avons travaillé dans l’urgence et même dans l’« hyperurgence », sans obtenir toutes les réponses nécessaires. Il est indispensable de nous donner un temps de travail supplémentaire pour approfondir certains points – la question du principe ALARA mais pas uniquement – comme l’ont précisé François Brottes et François Pupponi.

Le groupe SRC votera bien évidemment pour cette motion. Cette décision doit être interprétée comme une volonté de reprendre la discussion dans un contexte favorable, au regard de nouveaux éléments. Cette motion doit donc être perçue non pas comme un rejet de notre part d’un vrai sujet, qui suscite des interrogations parmi nos concitoyens, mais comme une affirmation de notre volonté de leur apporter les meilleures réponses à leurs préoccupations et le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

Mme Laure de La RaudièreJe dois dire que le groupe UMP est très surpris de cette démarche proposée à la fois, je pense, par le groupe socialiste et par le Gouvernement. Il y a quelque temps, souvenez-vous, lorsque Mme Abeille avait abordé cette question dans la discussion de la proposition du groupe UDI relative à l’aménagement numérique du territoire, le Gouvernement avait promis qu’elle serait mise à l’étude rapidement et avait évoqué précisément la niche parlementaire d’aujourd’hui.

Nous avons consacré quatre heures de réunion en commission des affaires économiques à étudier cette proposition de loi : elle a été désossée, réécrite, retravaillée en profondeur par le président de la commission, en collaboration intelligente avec Mme la rapporteure. Nous avons fait un très bon travail de commission, je tiens à le souligner car ce n’est pas toujours le cas.

Entre nous soit dit, le Gouvernement doit être franchement contre le texte. Je crois toutefois que le président de la commission est attaché à quelques-unes de ses dispositions et qu’il ne veut donc pas le voir rejeté par notre assemblée. Pour la première fois depuis la réforme de notre règlement intervenue en 2008, nous sommes donc confrontés à cette démarche totalement nouvelle qui crée un précédent pour les groupes d’opposition mais surtout pour les petits groupes de la majorité. Nous vivons en ce moment une fracture au sein de la majorité, mes chers collègues. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Dans ces conditions, le groupe UMP estime qu’il n’a pas à prendre part au vote de cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. J’ai eu l’occasion, sinon de le dire, du moins de le faire comprendre : le groupe GDR votera contre cette motion de renvoi.

Certes, nous ne sommes pas là pour distribuer des bons et des mauvais points. Mais je salue votre intervention, monsieur le président de la commission. Nous pouvons tous ici considérer que vous avez été animé par le souci de répondre aux interrogations, aux inquiétudes mais aussi à notre mécontentement devant ce qui se passe ce soir. Vous avez parlé avec respect en prenant un engagement. J’espère qu’il sera tenu. « C’est une belle harmonie quand le faire et le dire vont ensemble », disait Montaigne : puissiez-vous être fidèle à son propos.

Je voudrais remercier le groupe écologiste d’avoir initié ce débat. Il a été très riche et aurait pu l’être davantage encore si l’ensemble des orateurs socialistes étaient intervenus. Ils auraient eu sans aucun doute des choses extrêmement intéressantes à dire si certains n’avaient pas dû se plier à la raison d’État et renoncer à leur discours.

Si je peux me permettre, madame ministre, vous avez certes un rang élevé, mais vous avez un peu manqué d’humilité dans vos propos qui ont été très péremptoires. Une ministre peut manquer d’humilité et tenir des propos péremptoires, mais la moindre des choses, quand elle est au banc du Gouvernement derrière son micro, c’est de répondre avec précision aux interrogations des députés. C’est une règle de base qu’il faut bien comprendre et ne jamais oublier. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Chacun s’apprête à voter : avec ses convictions ou, au contraire, en mettant ses convictions dans sa poche. Mais il y a des gens que nous ne verrons pas ce soir : je pense en particulier à ceux qui sont en souffrance et qui ne sont pas des malades mentaux, les électrosensibles. Ils vont ressentir ce qui s’est passé ce soir comme un coup très dur, compte tenu de ce qu’ils vivent chaque jour. J’insiste sur ce point et donc sur l’exigence de rediscuter très rapidement de ce texte.

M. le président. Merci de conclure, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Il y a aussi ceux qui sont là, partout, entre les bancs, sans qu’on puisse les voir et qui ont un rôle déterminant : ils appartiennent aux grandes multinationales des télécommunications. Eux, sont contents ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Comme je l’ai déjà annoncé, le groupe RRDP votera contre cette motion de renvoi en commission.

Nous entendons la volonté du Gouvernement d’attendre la remise des différents rapports pour nous proposer un texte de loi complet sur l’aménagement numérique, mais tout de même. Notre débat se situait dans le cadre d’une niche parlementaire dédiée au groupe écologiste et il aurait été tout à fait légitime d’aller jusqu’au bout, en laissant à chacun d’entre nous la possibilité de développer son argumentaire. Le vote de cette proposition de loi, le 12 février, aurait conclu nos travaux.

Je regrette profondément que le travail de Laurence Abeille, rapporteure de cette proposition de loi, celui des membres de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable passent à la trappe de manière aussi cavalière. Cette façon de procéder est peu respectueuse du travail parlementaire, d’autant que le texte amendé ne remettait aucunement en cause les ambitions du Gouvernement.

Je salue la proposition du président Brottes et crois en la sincérité de ses engagements. Mais cela ne sera pas suffisant pour modifier notre vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin sur la motion de renvoi en commission :

Nombre de votants 82

Nombre de suffrages exprimés 82

Majorité absolue 42

(La motion de renvoi en commission est adoptée.)

M. le président. S’agissant d’un texte inscrit à l’ordre du jour d’une séance réservée à un groupe minoritaire, il appartiendra à la conférence des présidents de proposer les conditions de la suite de la discussion.

La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Chaque jour, nous écrivons ici l’histoire et j’ai procédé à des vérifications. Il y a déjà eu trois propositions de loi – le 17 janvier 2008, le 19 février 2009, le 25 juin 2009 – qui ont été renvoyées en commission à la suite de l’adoption d’une motion.

La jurisprudence que nous créons ce soir, c’est que pour la première fois, un renvoi en commission sera effectif – la commission va réellement travailler sur le texte – au lieu d’avoir, comme auparavant, un simple effet dilatoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour un rappel au règlement.

M. François de Rugy. Ce rappel au règlement sert un peu de conclusion – de triste conclusion, du reste, car personne n’est fier de la façon dont ce débat s’est terminé.

Vous avez rappelé, monsieur le président, qu’il appartenait à la Conférence des présidents d’indiquer quelles suites seraient données à l’examen de ce texte – c’est la formule consacrée. Nous prenons cette phrase à la lettre et saisirons la Conférence des présidents – je le ferai en tant que coprésident de groupe – pour qu’elle se penche non seulement sur la façon dont s’est déroulée cette séance, mais également sur la façon dont devront se dérouler à l’avenir toutes les séances d’initiative parlementaire, car un très gros malaise existe désormais.

Je souhaite dire au président Brottes que je prends très au sérieux ses propos, car je sais qu’il est un député sérieux et travailleur – il l’a démontré depuis de très longues années –, et qu’il ne parle jamais à la légère. Nous non plus, avec Laurence Abeille, nous n’avons pas parlé à la légère en déposant ce texte. Personne n’a travaillé à la légère, personne n’a travaillé de façon précipitée ou prématurée.

Nous continuerons donc à travailler, avec vous, cher collègue François Brottes, en commission puisque vous en prenez l’engagement. Mais comptez également sur nous pour redéposer un texte sur ce sujet dès que nous en aurons en l’occasion. Nous ne lâcherons pas cette question-là, car de très nombreux Français souhaitent davantage de transparence et tiennent à ce que les maires se voient conférer plus de pouvoirs sur ces sujets. Nous le ferons, et nous y parviendrons pendant ce quinquennat. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, vendredi 1er février à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures cinq.)