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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 12 février 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Christophe Sirugue

1. Nomination d’un député en mission temporaire

2. Séparation et régulation des activités bancaires

Suite de la discussion d'un projet de loi

Présentation (suite)

M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des affaires européennes

Motion de rejet préalable

M. Jean-François Lamour

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Éric Alauzet, M. Jean-Noël Carpentier, M. Nicolas Sansu, M. Dominique Baert

Discussion générale

M. Jérôme Chartier

M. Charles de Courson

M. Éric Alauzet

M. Thierry Robert

M. Nicolas Sansu

M. Laurent Baumel

M. Éric Woerth

Mme Eva Sas

M. Christian Eckert

M. Jacques Bompard

Mme Arlette Grosskost

Mme Clotilde Valter

M. Pierre-Alain Muet

M. François Baroin

M. Christian Paul

M. Pascal Cherki

M. Guillaume Larrivé

M. Dominique Potier

Mme Sandrine Mazetier

M. Pierre Lellouche

M. Laurent Grandguillaume

Mme Valérie Rabault

M. Jean-Charles Taugourdeau

M. Guillaume Bachelay

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures quarante-cinq.)

1

Nomination d’un député en mission temporaire

M. le président. M. le président a reçu du Premier ministre une lettre l’informant de sa décision de charger M. Michel Lesage, député des Côtes-d’Armor, d’une mission temporaire auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

2

Séparation et régulation des activités bancaires

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (nos 566, 707, 661, 666).

Présentation (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre le Gouvernement et les rapporteurs des commissions.

La parole est à M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des affaires européennes.

M. Christophe Caresche, rapporteur de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’économie et des finances, madame la rapporteure, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, la commission des affaires européennes s’est saisie de ce texte et j’ai eu l’honneur de faire un rapport en son nom ; je vais vous donner quelques-unes de ses conclusions.

Nous nous sommes saisis de ce texte parce qu’il est – vous l’avez dit, monsieur le ministre – éminemment européen. La régulation bancaire et financière ne peut s’inscrire dans un cadre national ; elle doit, pour être efficace et pertinente, se situer au moins au niveau européen, voire mondial.

L’objectif est bien de faire en sorte que, au niveau européen comme au niveau international, il puisse y avoir une régulation efficace. De ce point de vue, il faut répondre à l’interrogation du président de la commission des finances : avons-nous raison d’avancer seuls et fallait-il légiférer sur cette question, fût-ce par anticipation ? Ce sont des questions que je me suis posées ; elles sont légitimes. Je vais essayer d’y répondre.

La réponse est d’abord, à mon avis, dans le calendrier européen sur ces questions, en particulier la séparation et la résolution. Elle est aussi dans la manière dont le projet de loi essaye de chercher une cohérence avec les réflexions menées sur ces questions au niveau européen.

En ce qui concerne le calendrier européen en matière de séparation, Michel Barnier, que nous avons rencontré avec Mme la rapporteure, a été extrêmement clair : il n’y aura pas de texte sur la réforme structurelle – c’est-à-dire de projet inspiré du rapport Liikanen –, avant 2014 ou 2015. Son intention est de présenter une proposition dans le courant de l’année 2013, peut-être dès l’été, mais, compte tenu des délais pour légiférer au niveau européen, il n’y aura pas de texte avant 2014 ou 2015, ce qui signifie d’ailleurs que ce n’est pas la Commission actuelle qui aura à traiter la question.

Faut-il donc attendre deux ou trois ans pour légiférer ? Je ne le crois pas. Ce calendrier est beaucoup trop distendu. Selon moi, la France a raison de s’engager de cette manière. Je note d’ailleurs que cela provoque d’autres initiatives, comme celle de l’Allemagne, qui a décidé elle aussi, à la suite de ce que nous faisons aujourd’hui, de légiférer. La France a donc un rôle moteur ; elle marque une volonté politique qui peut aussi conduire les institutions européennes à s’engager plus rapidement qu’elles ne le font aujourd’hui.

De même, en ce qui concerne la résolution, une directive européenne sera probablement décidée dans le courant de l’année 2013, mais, en attendant, la France ne dispose toujours pas, là non plus, d’un système en la matière ; il convient de le mettre en place. Il est vrai que la France anticipe largement par rapport à ce texte. Encore une fois, je pense qu’elle a toute légitimité pour légiférer dès maintenant sur ces questions.

La réponse à M. Carrez réside aussi dans la manière dont la France s’apprête à adopter des dispositions législatives sur ces questions. En réalité, nous avons constaté, lors de notre rencontre avec M. Liikanen – mais aussi de celle avec M. Vickers, que nous avons auditionné –, qu’il y avait une grande cohérence, en dépit d’un certain nombre de différences ou de spécificités, entre la réponse apportée à ces questions par ce projet de loi et les conclusions des principaux groupes qui y ont travaillé.

Ainsi, les rapports Liikanen et Vickers font le choix de la filialisation ; seul le rapport Volcker pose véritablement la question de la séparation. Seule la filialisation est donc choisie dans les différentes propositions qui sont faites au niveau européen.

De même, il y a adéquation en ce qui concerne les types d’activités. Le rapport Liikanen explique par exemple que, à partir du moment où l’on considère que la banque universelle est viable et qu’elle a toute sa place, la solution proposée dans tous les modèles est de séparer ou de cantonner les activités pour compte propre. Or c’est aussi le schéma qui est retenu dans le projet français.

Certes, il y a une discussion – on a pu le constater – sur la question de la tenue de marché. Des débats ont d’ailleurs eu lieu au sein du groupe présidé par M. Liikanen, comme nous l’a confirmé M. Gallois, qui en faisait partie. Il est également vrai que cette question est posée dans la règle de Volcker et dans le système Vickers. Selon moi, la manière dont nous essayons d’y répondre va peu à peu faire progresser les choses et nous permettre, sur ces questions, non pas d’avancer seuls, mais d’essayer, en avançant, de faire bouger les autres. Tel est notre objectif : faire en sorte que le projet de loi que nous allons voter soit utile pour la régulation, que ce soit au niveau européen ou au niveau mondial. À cet égard, et si l’on prend en considération les amendements qui seront probablement adoptés, le texte va tout à fait dans le bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Jean-François Lamour.

M. Jean-François Lamour. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je n’emprunterai pas, en guise de formule d’introduction, des expressions à Sénèque ; je ne citerai ni Brutus, ni César, ni même Pierre-Alain Muet… (Sourires.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Vous avez tort !

M. Jean-François Lamour. Même si j’ai tort, je ne le ferai pas. Je serai beaucoup moins lyrique, en citant le candidat François Hollande,…

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Bonne référence !

M. Jean-François Lamour. …lequel déclarait le 22 janvier 2012, dans son discours du Bourget, devant les militants socialistes en délire :…

M. Henri Emmanuelli. Devant le peuple de France !

M. Jean-François Lamour. « Mon adversaire, c’est la finance ».

Un an plus tard, les Français, que nous représentons, se rendent bien compte que le Président de la République est peut-être plus doué pour les figures de style que pour les décisions politiques.

J’ignore en effet où est passé ce septième engagement du candidat Hollande,…

Mme Sandrine Mazetier. Il est dans ce texte !

M. Jean-François Lamour. …par lequel il promettait de séparer les activités utiles au financement de l’économie des activités purement spéculatives, comme on sépare le bon grain de l’ivraie.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. C’est ce que fait le texte !

M. Jean-François Lamour. Je ne sais pas plus, madame la rapporteure, ce qui est advenu de ce dispositif que vous décrivez dans la presse comme la « paire de ciseaux » qui doit permettre de séparer ces activités.

Ce que je sais, en revanche, c’est que nous étions parvenus, avec ce projet de loi, à un dispositif plus acceptable – bien que discutable à nos yeux, surtout dans sa mise en œuvre, mais j’y reviendrai par la suite.

Rien, en effet, sauf peut-être une sorte de facilité de raisonnement, ne démontre que la confusion des activités au sein d’un même établissement bancaire est une cause de risque systémique.

Ce que l’on peut observer, en revanche, c’est que la quasi-totalité des faillites bancaires au cours des vingt dernières années a concerné des établissements spécialisés, au premier rang desquels Lehman Brothers.

Si l’on veut aller encore plus loin, on remarque que la crise financière de 2008 est née, non pas de l’activité de marché, mais de l’activité de détail, avec des prêts immobiliers consentis par des banques peu scrupuleuses à des ménages qui n’avaient pas les moyens de rembourser.

Mme Sandrine Mazetier. En 2007, le candidat Sarkozy les défendait !

M. Jean-François Lamour. On peut également observer que c’est là où il existe une forte tradition de banques de marché, et donc une séparation de fait entre les activités, que la crise a frappé le plus fort.

Le Royaume-Uni, il faut le souligner, avait subi, à la mi-2009, 11 % des pertes mondiales liées à l’effondrement du système financier. Par contre, les banques françaises, qui représentent 10 % du système bancaire mondial, ce qui est substantiel, ne comptabilisaient au même moment que 3 % des pertes.

Il y a donc clairement une meilleure résilience du modèle bancaire universel, tel qu’il est pratiqué en France, justement parce que ses activités et ses métiers sont diversifiés.

Je n’ai pas dit que ce modèle constituait en lui-même une garantie contre les crises financières.

M. Henri Emmanuelli. Ah bon ?

M. Jean-François Lamour. Jamais, en effet, nous ne pourrons nous prémunir totalement contre un risque systémique.

Je dis en revanche que sa résilience est plus grande. Or, dans une époque d’extrême instabilité, cette solidité est un atout précieux que nous devons absolument préserver.

J’ajouterai – comme vous le reconnaissez vous-même, madame la rapporteure – que, DEXIA mise à part, les 20 milliards d’euros de quasi-fonds propres injectés par l’État en 2008 pour solvabiliser les banques ont été remboursés à l’euro près, ce qui est un signe supplémentaire de stabilité. Le président de la commission des finances a même pu évoquer un gain pour l’État de 3 milliards d’euros.

Il y a donc loin entre cette réalité que je viens de décrire et la figure du contribuable otage que vous convoquez régulièrement dans vos discours.

M. Dominique Baert. Mais non !

M. Jean-François Lamour. C’est justement parce que les activités de marché des grandes banques françaises étaient adossées à des activités commerciales que nous avons évité l’effet domino et le risque systémique dans notre pays, exactement de la même manière que notre modèle social, adossé à une volonté politique sans faiblesse, a joué un rôle d’amortisseur pendant la crise, nous permettant sans doute d’éviter la catastrophe.

Bien sûr, nous pouvons toujours aller plus loin dans la régulation et instaurer de nouvelles normes prudentielles. Il n’en reste pas moins que le fait d’introduire une séparation légale entre activités de marché et activités de détail aurait contribué à affaiblir le système bancaire au lieu de le renforcer. C’était tout le contraire de ce qu’il fallait faire.

J’ajoute qu’aucun de nos partenaires n’a à strictement parler mis en œuvre le Glass Steagall Act. Aux États-Unis, la règle de Volcker se contente d’interdire certaines des activités les plus risquées. Au Royaume-Uni, la règle Vickers prévoit de cloisonner les activités de marché. En ce qui concerne l’Union européenne, le rapport Liikanen ne devrait pas non plus déboucher sur autre chose qu’un simple cloisonnement des activités au sein des groupes bancaires.

Ces éléments avaient en partie été intégrés, monsieur le ministre, dans le projet de loi soumis à notre assemblée, lequel prévoyait, non plus une séparation stricte des activités, mais une filialisation des opérations pour compte propre. Le projet en lui-même devenait donc sans objet, car il était purement cosmétique. La filialisation n’oppose évidemment pas le moindre obstacle à la contamination des activités de crédit par les opérations de marché, pas plus qu’elle n’est en mesure de garantir les dépôts des contribuables ou d’éviter une intervention de l’État.

Au moins, le dispositif prévu ne nuisait pas à un modèle bancaire qui a bien résisté à la crise, quand d’autres menaçaient de s’écrouler.

Et si le texte comportait des avancées, celles-ci ne figuraient pas tant dans le titre Ier que dans le titre II et le mécanisme de résolution bancaire, comme vous le faisiez remarquer, madame la rapporteure. C’est d’ailleurs l’un des rares points qui fassent consensus sur les bancs de cette assemblée.

Mais il y a ce problème qui vous suit comme le sparadrap du capitaine Haddock, monsieur le ministre,…

M. Dominique Baert. Quelle référence !

M. Jean-François Lamour. …vous comme vos prédécesseurs et sans doute tous vos successeurs : chaque fois qu’un gouvernement socialiste revient à la réalité, il est torpillé par sa majorité.

M. Dominique Baert. C’est vrai qu’à l’UMP cela n’arrive pas !

M. Jean-François Lamour. Car cette filialisation, plus conforme à la réalité du modèle bancaire français, ne correspond en rien aux desiderata de vos ailes gauches – j’emploie le pluriel, car il semble qu’il vous en soit récemment poussé plusieurs !

Cet automne, monsieur le ministre, vous rappeliez votre souci de ne pas « rigidifier » un texte qui nécessitait de la « souplesse ». Nous avions pu alors nous réjouir de vos propos car, à trop s’attaquer aux banques, on oublie que ce sont elles qui financent l’économie, donc la création de richesses et d’emplois. Avec ce débat, plus qu’avec d’autres peut-être, nous voyons que tout est dans tout.

Cependant, nos travaux en commission, comme les amendements déposés en séance, ont clairement montré que plusieurs collègues de gauche avaient la volonté de durcir le projet pour en faire un texte militant.

Vous voilà donc littéralement pris en tenaille entre les différentes composantes de votre majorité, pour reprendre l’expression de Nicolas Sansu. J’imagine que ce n’est pas une situation très confortable.

Même si je réfute complètement l’analyse et la démarche de nos collègues, je peux comprendre leurs sentiments. Au mois de juin, ils partaient pour la révolution,…

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Que savez-vous de la révolution ?

M. Jean-François Lamour. …et ils se retrouvent à soutenir un gouvernement qui s’aligne sur la réforme de M. Cameron.

Je peux les comprendre, parce qu’ils se sentent la responsabilité bien légitime de faire entendre la voix de ceux qui ont voté pour François Hollande et qui se sentent aujourd’hui floués.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ah oui !

M. Jean-François Lamour. Depuis le discours du Bourget, on n’en finit plus de dénombrer les renoncements du candidat Hollande. Pour mémoire, je souhaite rappeler les plus importants.

Je commencerai par le pacte budgétaire européen : des mois durant, pendant la campagne…

Mme Catherine Coutelle. Vous avez fait la campagne de François Hollande ?

M. Jean-François Lamour. …François Hollande et son équipe ont expliqué à qui voulait l’entendre que le traité négocié par Nicolas Sarkozy ne serait pas ratifié, soi-disant parce qu’il ne comportait pas de « volet croissance », pour finalement faire voter un texte identique à la virgule près.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. Jean-François Lamour. Puis, en novembre, la hausse de la TVA a été annoncée par un Premier ministre qui, deux mois plus tôt, jurait ses grands dieux qu’il ne l’augmenterait pas. En gymnastique, cela ressemble à un enchaînement de type rondade-flip-salto, périlleux lorsque l’on manque d’entraînement.

M. Christian Jacob. Eh oui !

M. Jean-François Lamour. L’abandon discret de la taxe à 75 % a suivi, taxe que le Gouvernement a glissée sous le boisseau en croisant les doigts pour qu’on n’en parle plus.

Le Gouvernement a ensuite reculé pour la barémisation, face à la fronde des entrepreneurs.

Enfin, le budget pluriannuel de l’Union européenne a été adopté après qu’un axe anglo-allemand s’est dessiné pour contrer les prétentions françaises, ce qu’il faut bien appeler un camouflet pour le Président de la République.

Ce projet de loi est donc devenu le réceptacle de toutes ces frustrations accumulées au cours des neuf derniers mois. Notre assemblée se trouve ainsi saisie d’une quantité d’amendements déposés par les écologistes, les communistes et la gauche du parti socialiste, qui vont tous dans le sens d’un durcissement du texte.

Certains ont été déjà adoptés en commission ; d’autres viendront sans doute en séance puisque plusieurs membres de la majorité ont affirmé qu’ils les maintiendraient.

Je souhaite insister sur les trois points qui, selon le groupe UMP, seront le plus préjudiciables au système bancaire, sans même parler des tentatives, qui pourraient intervenir au cours de nos débats, d’introduire une séparation stricte.

Madame la rapporteure, vous êtes l’auteure d’un amendement adopté en commission qui permet au ministre de définir un seuil exprimé en proportion du produit net bancaire au-delà duquel le market making sera filialisé.

Sur le principe, la disposition paraît d’effet assez limité. Mais qu’adviendra-t-il de ce seuil laissé à la discrétion du Gouvernement ? À moins que vous ne sortiez de votre silence pour nous préciser, monsieur le ministre, la portée de l’arrêté qui devrait être pris, ce point est laissé dans le flou le plus complet alors même qu’il modifie substantiellement l’article 1er.

En l’état, ce seul amendement est rédhibitoire. En effet, la tenue de marché ne peut être dissociée des opérations d’émission d’actions et d’obligations qui financent l’économie. De surcroît, le seuil n’est pas différencié selon les établissements, comme le faisait remarquer à juste titre le président de la commission des finances.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement écologiste prévoyant des obligations pour les établissements de crédit, l’objectif affiché étant d’assurer la transparence des activités bancaires dans les paradis fiscaux.

Nous convenons tous dans cet hémicycle de la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux, mais encore faut-il s’accorder sur les termes ! L’amendement en question doit faire expressément référence aux paradis fiscaux, comme le préconise un amendement du président Carrez. Sans cela, la loi porterait atteinte à la compétitivité des banques en les obligeant à rendre publiques des informations importantes sur leur activité.

J’ajoute qu’il est assez paradoxal que Bercy admette, comme le rappelle Karine Berger à la page 36 de son rapport, les raisons qui peuvent conduire les banques à ne pas communiquer certaines informations, notamment sur les activités de tenue de marché, tout en laissant la porte ouverte à un tel amendement.

Enfin, monsieur le ministre, votre projet prévoit de plafonner les commissions pour les clients les plus fragiles, ce qui nous semble souhaitable et équilibré. Il se trouve que des membres de votre majorité souhaitent élargir le champ de ce plafonnement. Vous avez laissé la discussion ouverte, tandis que la rapporteure a accepté ce midi même un amendement allant dans ce sens.

Nous réitérons donc notre mise en garde : nous ne soutiendrons pas cet élargissement qui aurait pour effet de dégrader les résultats du secteur. Or, vous l’avez rappelé vous-même avec raison, monsieur le ministre, le secteur bancaire français consent plus de 800 milliards d’euros de crédit aux entreprises et emploie 400 000 salariés.

Sur ces sujets, et sans doute sur d’autres, vous êtes prêt à aller plus loin que le texte originel, voire à acter certaines évolutions demandées par votre majorité. Nous ne pouvons l’accepter.

Le texte qui nous a été présenté constituait en effet une base équilibrée – quoique critiquable quant à son principal dispositif – pour traiter de l’influence des activités de marché sur l’économie réelle.

Nous ne nions pas que la crise financière rende indispensables une réflexion et une démarche législative visant à préserver les activités de financement de l’économie des activités de marché excessives ou nuisibles. C’est la raison pour laquelle nous abordions ce texte dans un esprit constructif.

Nous ne sommes pas hostiles par principe à ce projet de loi. S’il était demeuré en l’état, nous ne nous y serions probablement pas opposés, tout au moins l’aurions-nous examiné point par point. Il comportait pour nos réseaux bancaires des obligations et des contraintes, sinon opportunes, probablement nécessaires à terme, mais néanmoins lourdes à mettre en œuvre.

Or la capacité des banques à se refinancer est l’un des moteurs de l’investissement et de la croissance. En d’autres termes, imposer des contraintes inadaptées aux réseaux bancaires français reviendrait d’une façon ou d’une autre à porter atteinte au financement de l’économie.

Monsieur le ministre, il ne faut pas perdre de vue que c’est l’économie – au-delà de l’économie française, l’ensemble des économies occidentales, à des degrés différents – qui est malade. Vous pouvez bien continuer à vous agiter contre la finance ; il s’agit d’une cible immobile, voire d’un bon moyen de diversion. Mais elle cessera d’être néfaste lorsque notre économie sera à nouveau en bonne santé, c’est-à-dire compétitive, innovante, créatrice de richesses et d’emplois.

Et ce n’est pas avec des budgets comme celui que vous venez de nous faire voter, qui bouleverse la fiscalité des entreprises les plus dynamiques, fait exploser la dépense et flamber les impôts, que vous allez créer les conditions de la croissance dans notre pays.

Le premier président de la Cour des Comptes vient d’ailleurs de vous rappeler à l’ordre pour votre gestion des deniers publics, comme nous ne cessons de le faire depuis que vous êtes au pouvoir. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Goua. Nous l’avons bien fait pendant dix ans !

M. Jean-François Lamour. J’ajoute que ni l’Europe ni la France ne sont restées inactives ces dernières années sur le terrain de la régulation bancaire.

Madame la rapporteure, vous accusez l’ancienne majorité de n’avoir rien fait…

Mme Karine Berger, rapporteure de la commission des finances. Je n’ai pas dit cela !

M. Jean-François Lamour. Jérôme Chartier a eu raison de vous suggérer mercredi en commission de relire les débats de la précédente législature et de prendre connaissance de la position de vos collègues de gauche, qui, je le rappelle, ont voté en 2009 contre le projet de loi sur la régulation bancaire et financière.

M. Michel Vergnier. Heureusement !

M. Jean-François Lamour. Cette loi, adoptée dans le prolongement du G20 de Pittsburgh, était l’une des premières tentatives de réponse législative à la crise.

M. Michel Vergnier. Rien à voir !

M. Jean-François Lamour. Elle actait en particulier le principe de l’enregistrement et du contrôle des agences de notation. Et pourtant, vos prédécesseurs l’ont attaquée avec une violence sans pareille !

De nombreuses mesures ont été adoptées ou proposées depuis 2008, notamment à l’initiative de la France. Certaines ne sont pas encore entrées en vigueur ou n’ont pas encore été appliquées par les États et par les banques.

Je veux notamment parler des règles de Bâle III, dont les banques européennes ont demandé le report à 2014 pour ne pas subir de désavantage compétitif par rapport aux banques américaines.

Si nous ouvrons ce nouveau volet législatif qui comporte des obligations opportunes, voire nécessaires, mais lourdes à instaurer, nous devons d’abord nous assurer qu’il n’entraînera pas une déstabilisation du système bancaire, système dont les procédures sont appelées à être modifiées en profondeur et qui a consenti des efforts colossaux pour tripler le montant de ses fonds propres.

La déstabilisation n’affecterait d’ailleurs pas seulement les banques, ce qui serait un moindre mal, mais aussi toute l’économie. Car ce sont nos entreprises, et notamment nos PME, qui sont en bout de chaîne, mes chers collègues. Ayant besoin de fonds propres pour innover et embaucher, elles se trouveraient immanquablement pénalisées par une application trop brutale des ratios de solvabilité et de liquidité.

Or, je le répète, la capacité des banques à se refinancer est l’un des moteurs de l’investissement et de la croissance. En d’autres termes, imposer des contraintes inadaptées aux réseaux bancaires français reviendrait d’une façon ou d’une autre à porter atteinte au financement de l’économie.

La question de savoir si le moment est bien choisi pour légiférer reste d’ailleurs entière. Elle est soulevée par plusieurs de mes collègues du groupe UMP à travers un amendement qui propose de reporter la réforme à 2017, date davantage conforme à l’évolution des législations européennes et à l’entrée en vigueur de Bâle III.

Madame la rapporteure, je vous sais très sensible à ce que la France soit un acteur précurseur sur ce sujet. Je n’ignore pas qu’il y a chez certains une sorte d’enthousiasme débridé à voir la France comme le porte-flambeau systématique de la civilisation.

Mme Karine Berger, rapporteure. Ou comme sa championne olympique ! (Sourires)

M. Jean-François Lamour. Ne le prenez pas mal, car votre rapport est d’une grande qualité. Je note cependant que la référence assumée aux réformes de Roosevelt est à mettre en regard avec une présidence de François Hollande qui, vous en conviendrez, n’a pas, pour l’instant, la même portée.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. Jean-François Lamour. Mais est-il bien raisonnable, mesdames et messieurs de la majorité, de partir ainsi la fleur au fusil, seuls, alors que le Royaume-Uni a repoussé l’entrée en vigueur de sa réforme à 2019, que l’Allemagne et la Commission européenne en sont au stade des travaux préparatoires et que les nouvelles règles ne sont pas encore entrées en application, même aux États-Unis ?

En définitive, vous prétendez faire en six mois ce que d’autres feront en six ans.

Mme Valérie Rabault. D’habitude, vous nous reprochez l’inverse !

M. Jean-François Lamour. Cet empressement suspect n’est pas la bonne approche. Plutôt que de la posture politicienne dans laquelle vous vous réfugiez pour faire oublier vos échecs, nous avons plus que jamais besoin de cohérence, d’un effort dans la durée, fructueux mais patient.

Ma conviction est que personne, en Europe, ne doit tirer la couverture à soi. Nous avancerons ensemble ou nous en resterons tous au même point.

Regardez l’exemple de l’union bancaire, si nécessaire. Elle est l’aboutissement d’un travail de longue haleine !

Mme Valérie Rabault. Initié par Pierre Moscovici, d’ailleurs.

M. Jean-François Lamour. Engagée en 2008 par Nicolas Sarkozy dans le cadre de la présidence française de l’Union, elle a été finalisée au Conseil européen du 14 décembre. Dans un an, la supervision unifiée des plus grands établissements bancaires européens sera mise en œuvre, sous l’égide de la BCE !

C’est là un des éléments clefs pour sauvegarder durablement notre monnaie et renforcer la stabilité économique de la zone euro.

Ce texte risque de nous faire prendre un faux départ et d’exposer dans le même temps nos réseaux bancaires, qui devront affronter la concurrence mondiale avec des contraintes que les autres ne connaîtront pas.

En résumé, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première mouture de votre dispositif nous paraissait sujette à des réflexions, à des discussions que nous aurions pu mener sur le long terme, avec un horizon plus lointain.

Mais, au seuil de ce débat, nous découvrons un texte qui ressemble de plus en plus à un tract politique et de moins en moins à un corpus de règles qu’il serait souhaitable d’adopter pour renforcer la régulation financière. Pour toutes ces raisons, je vous demande d’adopter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur Lamour, merci d’avoir préféré défendre une motion de rejet préalable plutôt qu’une motion de renvoi en commission, puisque vous n’étiez pas en commission lorsque ce texte y a été examiné.

M. Jean-François Lamour. Voilà bien une réponse de votre niveau, monsieur le ministre ! Ça commence bien mal !

M. Pierre Moscovici, ministre. Si je me permets cette réflexion, c’est bien parce que votre groupe n’a cessé de répéter qu’avec le débat sur le mariage pour tous nous cherchions je ne sais quel dérivatif, alors qu’il fallait parler d’économie, d’emploi, de finances. Or, au moment où l’on a abordé ces questions, il n’y avait personne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-François Lamour. Ce sont vos seuls arguments ?

M. Pierre Moscovici, ministre. C’est regrettable, car j’aurais préféré débattre avec vous du présent texte en commission. Pour sa part, le président de la commission des finances a été constamment présent et il a fait preuve d’une grande sagesse dans ses remarques. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Monsieur Lamour, il s’agit d’un sujet important, qu’on ne peut pas traiter avec légèreté.

M. Jean-François Lamour. Gardez vos leçons !

M. Pierre Moscovici, ministre. J’attends encore de savoir quel vote a pu émettre l’UMP sur la Banque publique d’investissement…

M. Pascal Cherki. C’est un vote secret !

M. Pierre Moscovici, ministre. …et je serai heureux de savoir quel sera votre vote sur ce texte.

Je n’ai pas du tout l’intention d’entrer dans ce qui peut être adjacent ou latéral dans votre raisonnement ; vous avez voulu dresser la liste de prétendus renoncements qui, en vérité, n’ont pas eu lieu, alors qu’une cohérence de politique économique s’affirme. J’insisterai sur un point seulement.

Tout à l’heure, j’ai assisté à la présentation par le premier président de la Cour des comptes, du rapport annuel de l’année passée. Je l’ai fait avec grand respect comme ministre des finances aujourd’hui et comme conseiller maître à la Cour des comptes dans le passé. Je trouve que la lecture que vous en faites les uns et les autres est singulièrement partiale, partielle, voire déformée. Vous auriez pu choisir d’autres extraits, citer M. Migaud, qui estime que l’effort fait pour 2013 est considérable et même sans précédent. S’il est considérable et sans précédent, c’est parce que le besoin d’effort est considérable et sans précédent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) En effet, nous sommes en train de tenter de réussir – et nous y parviendrons – le redressement du pays.

Par-delà nos différences politiques, par-delà nos orientations idéologiques qui ne sont pas les mêmes, nous devrions avoir une seule chose en tête : faire en sorte que notre pays aille mieux, qu’il se redresse, que ses finances publiques se redressent, que son appareil productif se rétablisse afin que l’objectif fixé par le Président de la République d’inverser la courbe du chômage d’ici à la fin de 2013 soit atteint. C’est bien à quoi travaille ce Gouvernement. Il se préoccupe non de chercher je ne sais quel conflit, mais de justice, de redressement, de rassemblement. C’est l’esprit dans lequel nous entamons la discussion de ce projet de loi.

Au fond, vous pensez qu’une loi n’est pas nécessaire. Vous avez même tenté de démontrer à quel point les choses marchaient bien dans le système français. Je suis en total désaccord sur ce point avec vous. Vous avez tort d’évoquer les électeurs qui auraient voté pour le Président de la République actuel sans penser à ceux qui ont voté pour le précédent Président de la République et qui ne sont pas satisfaits de l’absence de contrôle, de moralisation, de régulation dans le monde bancaire. Une loi bancaire est nécessaire.

M. Dominique Baert. Très bien !

M. Pierre Moscovici, ministre. Vous auriez mieux fait de regarder ce qui se passe au plan européen. C’est vrai que nous anticipons, c’est vrai que notre législation s’appliquera en 2015 alors que l’Union européenne prendra probablement une directive d’ici à la fin de cette année pour une transposition dans la loi nationale qui interviendra d’ici à 2017.

Puisque vous aimez nous comparer toujours à l’Allemagne, regardez ce qui se passe là-bas. Ce pays est en train de définir un projet de loi quasiment identique au nôtre. J’en parlais encore hier avec mon homologue et ami Wolfgang Schäuble, le ministre de l’économie et des finances, qui pourtant n’est pas de mon parti.

Ce matin, alors que j’étais au conseil ECOFIN, j’ai été amené à présenter notre démarche nationale, comme George Osborne et Wolfgang Schäuble. Certes, nous sommes précurseurs, mais nous sommes exactement dans le droit fil de ce qu’a proposé M. Liikanen, nous sommes dans le droit fil des déclarations du commissaire Michel Barnier, notamment sur la tenue de marché. Sur ce point précis, je préfère l’appréciation du président de la commission des finances, Gilles Carrez, qui estime que l’amendement déposé par la rapporteure était intelligent, pertinent, qu’il améliorait les choses, plutôt que cette espèce d’appel à ne rien faire que vous avez lancé ici. J’ajoute que M. Liikanen, avec son groupe, va encore plus loin que l’Assemblée nationale française.

Je prétends aussi qu’il est indispensable de fixer de nouvelles règles en matière de contrôle prudentiel, de résolution. Quand le ministre des finances que je suis doit traiter d’affaires douloureuses et coûteuses, y compris pour nos finances publiques, comme Dexia ou le Crédit immobilier de France, je peux vous dire qu’il préférerait nettement disposer des pouvoirs que cette loi offrira à mes successeurs pour longtemps.

Il est indispensable de permettre que le système bancaire pense à ceux de nos concitoyens les plus fragiles, que cette préoccupation de justice se traduise dans les faits. J’ai entendu les préoccupations qui ont pu être exprimées sur divers bancs et je veux dire ici à Gilles Carrez que je n’oublie pas, ainsi que les groupes de la majorité, qu’il s’agit d’une activité importante qui emploie 400 000 personnes.

M. Dominique Baert. Absolument !

M. Pierre Moscovici, ministre. J’assume avoir cherché, et je crois obtenu, un équilibre entre une démarche ambitieuse de changement et une démarche qui préserve le financement de notre économie. Tous les amendements que nous avons été amenés à élaborer, discuter et adopter ensemble ne remettent pas en cause le financement de l’économie, nos banques universelles, nos réseaux bancaires, auxquels nous sommes tous attachés. Je continuerai à être sur cette ligne de crête jusqu’à la fin de notre débat.

Un dernier mot sur le grand écart ou je ne sais quelle figure gymnique que vous m’avez proposée.

Je sais que je suis soutenu par les groupes de la majorité, qui veulent améliorer le texte en faisant preuve de beaucoup de réalisme et de pondération. Vous considérez qu’il n’y a rien entre un socialisme fantasmé à l’ancienne et un laisser-faire qui est très actuel. Pour ma part, je prétends qu’il y a cette réforme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’ai bien entendu la réponse de M. le ministre.

Sans polémiquer, je veux rappeler que le groupe UMP était présent lors des auditions de la commission des finances, mais que je ne suis restée qu’une heure lors de l’examen de ce texte, considérant que la grande majorité, voire la quasi-totalité des amendements relevaient du débat interne aux groupes socialiste, écologiste, et du Front de gauche. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Régis Juanico. Si ce n’est pas de la polémique !

M. Christian Jacob. Il fallait le dire !

Mme Marie-Christine Dalloz. J’ai pensé que nous étions de trop et qu’il fallait vous laisser débattre tout seuls.

Monsieur le ministre, parce que vos remarques à l’égard de Jean-François Lamour étaient désobligeantes, je vous rappelle que le site nosdéputés.fr a comptabilisé votre présence en commission et dans l’hémicycle lors de la législature précédente. J’invite tous ceux qui nous écoutent à se rendre compte par eux-mêmes de votre présence assidue lors de la mandature précédente.

Jean-François Lamour a eu le mérite de défendre avec brio une motion de rejet préalable, montrant l’incohérence entre les propos du candidat Hollande et la réalité à laquelle est confronté l’actuel Président de la République.

La France sera seule dans ce grand débat, seule contre le reste du monde. Je vous rappelle que vous avez voté contre la mise en œuvre de l’Autorité de contrôle prudentiel. Aujourd’hui, vous initiez l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, considérant qu’il s’agit d’une avancée.

Les contraintes et les obligations que vous allez imposer au système bancaire vont le fragiliser, donc fragiliser notre économie.

Tout à l’heure, Jean-François Lamour vous a dit que vous risquiez un faux départ. Pour ma part, j’estime qu’il s’agit bien d’un faux départ. Aussi, le groupe UMP votera pour la motion de rejet préalable brillamment défendue par Jean-François Lamour. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Monsieur Lamour, le groupe auquel vous appartenez est bien difficile à suivre, puisqu’il y a quelques heures à peine nous nous demandions si vous portiez un quelconque intérêt à ce projet de loi. Nous avons vu certains de vos collègues venir en commission, mais leur présence fut assez brève. Mais c’est vrai, vous étiez bien plus occupés ailleurs, considérant que le mariage pour tous était beaucoup plus important que l’économie, l’emploi, nos entreprises.

Aujourd’hui, vous nous expliquez qu’il ne faut toucher à rien, que notre modèle est parfait, qu’il a mieux résisté que les autres. Certes, nous reconnaissons qu’il a été moins pénalisé que les autres, mais nous avons tout de même laissé 11 milliards de dettes aux citoyens américains à travers la Société générale et 5 milliards aux contribuables français à travers Dexia. C’était peut-être pire ailleurs, mais ce n’est pas rien.

Vous considérez qu’il ne faut pas toucher à notre système de banque universelle, que la tenue de marché est très difficile à écarter. Il aura finalement fallu des amendements pour vous sortir de votre torpeur. Soit j’ai un sentiment de fierté, puisque les amendements des groupes socialiste, écologiste et communiste ont un sacré pouvoir au Parlement, et c’est tant mieux. Soit je fais preuve d’un peu d’humilité et j’estime qu’on n’a pas tant que ça modifié le texte, auquel cas vous cherchiez simplement un prétexte.

Finalement, vous en revenez toujours aux mêmes antiennes, à savoir que la compétitivité sera mise à bas. Mais, c’est vrai, en matière de compétitivité, vous êtes des spécialistes, comme l’atteste le bilan de ces dix dernières années.

Vous voulons agir pour protéger l’épargnant et le contribuable, pour que l’argent aille aux entreprises, et pour responsabiliser les acteurs économiques. C’est pourquoi nous voterons contre votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Noël Carpentier. Monsieur Lamour, votre argumentation est incompréhensible. Vous nous demandez de reporter la réforme à un temps plus conforme à l’évolution des législations européennes. Mais, faites un peu preuve d’imagination, mesdames et messieurs les députés du groupe UMP ! En vérité vous êtes embêtés : ce texte va dans le bons sens et vous le savez, il n’y avait qu’à écouter tout à l’heure M. Carrez. Quant aux arguments sportifs que vous avez repris, madame Dalloz, ils ont du mal à nous convaincre. Il s’agit seulement d’une démarche politicienne et c’est bien dommage. Heureusement, nous nous attaquons aux vrais dossiers et nous essayons d’améliorer l’économie que vous avez dégradée depuis une bonne dizaine d’années.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe GDR.

M. Nicolas Sansu. Monsieur Lamour, je voudrais revenir sur quelques contrevérités et quelques affirmations contenues dans votre propos.

Vous dites que la séparation serait dangereuse, que les banques universelles seraient moins vulnérables. Je veux quand même vous rappeler que les plus grandes pertes entre 2008 et 2011, c’est Fortis, 28 milliards, Royal Bank of Scotland, 27 milliards, c’est aussi Dexia ne l’oublions pas : 80 % des pertes entre 2008 et 2011 ont été le fait de banques universelles. Elles n’ont pas tous les défauts, mais elles n’ont pas non plus toutes les vertus.

Une étude qui vient de paraître, du Volatility Institute couvé par la Stern School of Business, l’école de commerce de l’université de New York, explique que le plus gros risque systémique en Europe provient aujourd’hui du Crédit agricole. Que diriez-vous si rien n’était fait pour contrer ce risque systémique ?

S’agissant des paradis fiscaux, vous nous expliquez, monsieur Lamour, au nom du groupe UMP, qu’il faudrait que les banques puissent toujours s’y nourrir, sinon leur compétitivité serait mise en péril. J’ai l’impression d’entendre Armstrong dire qu’il fallait se doper pour gagner le Tour de France. Je suis désolé, à un moment, il faut arrêter ces choses-là ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Je voudrais évoquer le plafonnement des frais bancaires et le droit au compte des plus précaires. On ne peut pas se satisfaire que les banques facturent des frais inadmissibles pour que certains traders jouent les résultats dans des produits dérivés nocifs.

M. Thomas Thévenoud. Très bien !

M. Nicolas Sansu. Enfin, je voudrais faire un petit rapprochement. Vous avez dit : « Nos PME vont avoir du mal à se financer. » Elles l’ont déjà. Que se passe-t-il depuis quelques années ? Le crédit s’effondre, devient de plus en plus compliqué pour les PME, et en même temps la valeur notionnelle de l’encours mondial des produits dérivés a été multipliée par sept, pour atteindre 700 000 milliards de dollars. Moi, j’y vois une corrélation.

En fait, le dépôt et l’épargne doivent aller vers l’économie réelle, il y a donc besoin de cette loi, il y a besoin de régulation, et, au-delà, il y a besoin de nouvelles règles pour l’économie et pour les ménages. Nous rejetterons donc cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste, et sur plusieurs bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Baert, pour le groupe SRC.

M. Dominique Baert. Beaucoup de banques, trop, ont été au cœur du déclenchement des crises et de leur propagation ces dernières années, nous le savons tous. Elles ont été porteuses de risques.

Bien sûr, le risque est inhérent au rôle des banques, mais pas le risque spéculatif et déséquilibrant. À l’opposé, sans affaiblir notre industrie bancaire nationale et ses emplois, auxquels nous sommes très attachés, ce projet de loi développe la stratégie bancaire européenne du Gouvernement et se veut protecteur : protecteur pour nos populations, pour nos entreprises, pour notre économie, pour que tout le financement bancaire soit prioritairement consacré à l’investissement et à l’emploi.

Ce projet de loi veut agir. Agir pour contenir les risques en s’insérant dans l’accord européen de décembre 2012 sur la supervision des grandes banques : c’est un pas considérable que vous avez rendu possible, monsieur le ministre, en obtenant le superviseur bancaire unique en Europe.

Agir pour éviter les risques, en séparant les activités des établissements bancaires, en cantonnant dans des filiales ce qui n’est pas au cœur du financement de l’économie, ce qui est spéculatif et crée des risques dangereux pour l’épargne des ménages et les capacités financières des banques elles-mêmes. Que cessent les placements inutiles et inutilement risqués, que se développent les investissements dans le logement, dans les capacités de production des entreprises et pour l’emploi, voilà ce que veut notre majorité.

Agir enfin pour résoudre les crises, avec la création des institutions et des mécanismes chargés de la résolution, en France comme en Europe, pour que le testament d’une banque en déconfiture évite que la mort de celle-ci mette à mal tout un système bancaire, toute une économie. Mes chers collègues, il y a quand même d’autres solutions quand une banque va mal ou tombe que de se tourner vers les finances publiques et la poche des contribuables. La perte ne peut pas toujours être soudainement publique quand les profits auront été, eux, longtemps privés.

C’est tout le sens de ce projet de loi : il agit et est porteur de moralisation. C’est bien une loi bancaire de gauche et efficace. Alors non, il ne faut pas la rejeter, mais la voter et vite : le groupe SRC repoussera donc la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Chartier.

M. Jérôme Chartier. Monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, j’ai entendu beaucoup de contrevérités.

Je ne suis pas, le groupe UMP n’est pas contre la régulation. Nous ne sommes absolument pas opposés à la régulation : ni à la régulation bancaire, ni à la régulation financière.

Un peu d’histoire : nous sommes le 11 octobre 2010, dans cet hémicycle, et nous adoptons une loi portant régulation bancaire et financière de quatre-vingt-douze articles, très complète. Elle crée l’Autorité de contrôle prudentiel, elle renforce considérablement les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers, elle crée le Conseil des régulations et des risques systémiques. Bref, c’est un vrai projet de loi de régulation bancaire, un vrai projet de loi de régulation financière.

Ce que je ne m’explique pas, chers collègues, c’est pourquoi le groupe socialiste vote contre…

M. Régis Juanico. Insuffisant !

M. Jérôme Chartier. …pourquoi le groupe communiste vote contre, pourquoi les Verts votent contre ! Alors que vous êtes aujourd’hui les chantres de la régulation bancaire, voilà qu’il y a seulement deux ans, cher Christian Eckert, vous étiez l’orateur du groupe socialiste qui annonçait que le groupe socialiste allait voter contre ce projet de loi de régulation ! Et vous voilà aujourd’hui rapporteur général – félicitations – et le soutien d’un projet de loi qui est l’exact prolongement des décisions que nous avons prises voici deux ans maintenant et sur lesquelles je vais revenir en les commentant une par une.

Mme Karine Berger, rapporteure. Votez pour notre texte, dans ce cas !

M. Jérôme Chartier. S’agissant de l’esprit, ce projet nous convient sur certains points, je l’ai dit en commission, je le répète ici. Oui, l’esprit nous convient, pourquoi ? Parce que nous sommes des régulateurs, parce que c’est la responsabilité de l’État de l’être, parce que la régulation, certes, est un objectif mondial, mais qu’elle commence par un État. Il n’y a pas, chacun le sait, d’instance de régulation internationale, par conséquent il faut bien commencer ; et la France peut commencer. Elle l’a fait sous l’égide de Nicolas Sarkozy, elle peut le faire – pourquoi pas ? – en prolongeant le travail de Nicolas Sarkozy aujourd’hui, je n’en disconviens pas.

Mme Karine Berger, rapporteure. Votez pour, alors !

M. Jérôme Chartier. J’ai lu votre rapport, madame la rapporteure.

M. Christian Paul. Excellent !

M. Jérôme Chartier. Il est bref, simple, à la portée de tous, il est plein de bonnes intentions et ne suscite que des compliments : nous avons trop l’habitude dans cet hémicycle de longs rapports qui ne disent rien, incompréhensibles, peu pédagogiques.

Ce rapport est au fond à l’image du projet de loi, qui est relativement bref, simple, compréhensible par tous, et lui aussi pavé de bonnes intentions. D’ailleurs, si nous disions le contraire, nous manquerions de cohérence : encore une fois, à part la séparation des activités bancaires sur laquelle je reviendrai tout à l’heure, je n’y vois que le droit et fidèle prolongement de ce que nous avons fait voici seulement deux ans.

Je prends un exemple : la création de l’Autorité de contrôle prudentiel. C’est la seule erreur de votre rapport, madame la rapporteure, excusez-moi : ce n’est pas en 2009 que l’ACP a été créée mais le 21 janvier 2010. Le fait de la renforcer avec le R de « régulation » apporte quelque chose de considérable, mais reconnaissons quand même que l’ACP avait, déjà, un rôle non écrit de régulation. Il faut le reconnaître, le dire et l’accepter, ne serait-ce que parce que le président de l’ACP est aussi le président de la Banque de France.

Le travail sur les hedge funds est très intéressant. Qui l’a lancé au plan européen ? C’est Nicolas Sarkozy. Quel est le premier texte qui fait référence aux hedge funds ? La loi de régulation bancaire et financière votée le 11 octobre 2010 à l’Assemblée nationale. Bref, vous poursuivez le travail que nous avons entrepris, et je m’en félicite.

Quant au Conseil de régulation financière et des risques systémiques, vous le prolongez et vous l’augmentez : très bien ! Nous l’avons créé. Nous sommes dans le même esprit. Comment pouvons-nous nous opposer au renforcement de ce conseil que nous avons nous-mêmes initié ? Nous ne le ferons pas.

Le travail sur le rôle de l’AMF pour intervenir sur les marchés en crise, c’est l’exact terme utilisé dans la loi de régulation bancaire et financière d’octobre 2010. Vous ne faites que prolonger notre travail. Là aussi, comment voulez-vous que nous nous y opposions ? Nous sommes forcément d’accord pour toutes les mesures qui consistent à renforcer le travail que nous avons entrepris.

Il y a bien sûr quelques points de désaccord. Quels sont-ils ? Il y a un point majeur, et d’ailleurs la rapporteure l’a dit à plusieurs reprises en commission : c’est le fait que les questions de régulation bancaire et financière ne soient plus d’échelle nationale. Que l’on initie, c’est bien, mais le vrai niveau, c’est le niveau européen au minimum, et plutôt le niveau mondial.

M. Henri Emmanuelli. Attendons un peu, alors…

M. Jérôme Chartier. Ce que nous observons dans ce projet, c’est qu’il n’y a aucune initiative, ne serait-ce que sur le plan de la volonté, pour marquer cet engagement que la seule régulation qui vaille est une régulation européenne au minimum et surtout mondiale. En réalité, les banques auxquelles vous vous adressez sont les banques françaises. Certes, vous allez avoir un regard mondial s’agissant de l’activité des banques françaises ; mais permettez-moi d’en sourire, connaissant les moyens dont dispose l’Autorité de contrôle prudentiel aujourd’hui.

J’imagine mal cette autorité en mesure de conduire des investigations poussées sur l’ensemble des filiales des banques françaises qui agissent à l’étranger, de telle sorte qu’on puisse veiller à ce qu’elles respectent scrupuleusement le cadre de la loi.

M. Henri Emmanuelli. Quelle horreur !

M. Jérôme Chartier. On peut toujours rêver, mais il faudra beaucoup plus que les quelque 160 millions du budget de l’Autorité de contrôle prudentiel pour pouvoir accomplir tout cela.

Vous me répondrez : « Après tout, ce n’est pas très grave, ce n’est pas le budget de l’État, ce n’est que l’argent des banques, puisque ce sont les banques qui paient l’Autorité de contrôle prudentiel. » Mais vous savez, on ne peut à la fois entamer la rentabilité des établissements bancaires et pleurer lorsque les banques conduisent des opérations de restructuration et de réduction de personnel.

M. Henri Emmanuelli. Quel niveau d’argumentation !

M. Jérôme Chartier. Bref, dans toutes les solutions que vous proposez, dans toutes les pistes sur lesquelles vous vous engagez, l’une est relativement paradoxale. Je pense en particulier aux hedge funds,auxquels je faisais référence tout à l’heure. Certes, vous les fustigez, vous les considérez tous comme responsables de tous nos maux…

M. Henri Emmanuelli. Il parle tout seul.

M. Jérôme Chartier. Disons-le : ce sont eux les spéculateurs…

Chers collègues, je poserai une question : qui aujourd’hui détient l’essentiel de la dette française ? Ce sont eux, c’est Pimco…

M. Henri Emmanuelli. C’est une menace ?

M. Jérôme Chartier. Ce n’est pas une menace, monsieur Emmanuelli, c’est simplement le sens des réalités.

J’admets que la définition est difficile, parce que le principe même de valorisation d’un titre est universel. Alors, y aurait-il des bons hedge funds et des mauvais hedge funds ? Je suis d’accord pour pousser davantage les investigations afin de pouvoir mieux réguler, mais en vérité, reconnaissons-le, le travail dépasse largement nos frontières et le cadre de ce projet de loi.

En tout cas, ce n’est pas ce texte qui va pouvoir réellement changer quelque chose s’agissant des hedge funds.

Il y a un absent dans votre projet de loi, monsieur le ministre, et je ne me l’explique pas. J’écoutais en commission la rapporteure nous conter son aventure puisée dans Mary Poppins et je trouvais cela sympathique : j’aime bien Mary Poppins.

Cette anecdote révèle en fin de compte ce que j’estime être une double incompréhension.

Selon la rapporteure, c’est parce que le banquier ne rend pas ses deux pence au garçon que la banque ferme. Or ce n’est pas pour cette raison : c’est la rumeur qui explique la fermeture de la banque. Et qui, aujourd’hui, véhicule la rumeur ? Ce sont, pour une grande part, les agences de notation. Eh bien, monsieur le ministre, je ne m’explique pas le silence total du texte concernant le rôle des agences de notation, dont on sait qu’il fut déterminant lors de la crise financière de 2008.

Ainsi, l’Investment Act voulu par Bill Clinton, auquel Gilles Carrez faisait référence, qui a permis à tous les foyers américains à revenus modestes de se doter de leur résidence principale, a été très largement encouragé par les agences de notation ayant évalué très favorablement des produits hautement spéculatifs. Alors que le gouvernement américain a mis en accusation Standard & Poor’s et qu’il est question de régulation bancaire et financière dans le présent texte, on note un silence total, je le répète, et curieux, au sujet de l’encadrement des agences de notation.

Je m’explique mal ce silence ; il révèle sans doute une incompréhension de ce que sont les besoins réels concernant la régulation bancaire et financière. En tout cas, monsieur le ministre, s’il n’est pas coupable, votre silence reste dommageable.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jérôme Chartier. Une autre incompréhension de votre part, toujours à propos de cette sympathique anecdote, consiste à penser qu’on peut encore raisonner par banque et par marché. Désormais, le raisonnement doit forcément être mondial. Ce n’est pas parce qu’on compte une place financière par pays, bien souvent, ou parfois deux ou trois, que ces places sont autre chose que les éléments d’animation d’un marché financier mondial. La place financière, j’y insiste, est mondiale. Cela signifie que la séparation par établissement bancaire n’a plus de réalité.

M. le président. Mon cher collègue, je vous demande de vraiment conclure.

M. Jérôme Chartier. En somme, monsieur le ministre, si nous établissons le bilan du travail réalisé en commission, nous avons, au sein du groupe UMP, une conviction : nous ne ressentons pas l’utilité de ce projet de loi ; plus exactement, si ce texte est utile, il va falloir que vous nous le prouviez. Il va falloir nous montrer que ce projet de loi permettra vraiment une action préventive et curative.

M. le président. Il faut réellement conclure, cette fois.

M. Jérôme Chartier. Je termine. À ce stade, nous ne pensons que ce texte n’est efficace ni dans l’action préventive ni dans l’action curative. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-François Lamour. C’est évident !

M. le président. Je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir respecter votre temps de parole.

La parole est à M. Charles de Courson, pour dix minutes précises.

M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on pourrait certes épiloguer sur le titre du texte : « Projet de loi de séparation ». Madame Berger, ce n’est pas un projet de loi de séparation, mais de cantonnement.

M. Philippe Vigier. Eh oui !

M. Charles de Courson. Mais c’est accessoire.

Je souhaite dans un premier temps que nous nous demandions si le moment est bien choisi pour examiner un tel texte. Nous, députés du groupe UDI, sommes profondément pro-européens et fiers de l’être, et nous restons quelque peu dubitatifs sur l’efficacité d’une réglementation financière purement nationale. À ce titre, nous déplorons la vision trop nationale du Gouvernement alors que vous-même, monsieur le ministre – et nous vous avons toujours soutenu sur ce point –, êtes favorable à un projet d’union bancaire européenne. Car c’est bien dans ce cadre-là qu’on peut faire un travail solide.

Il eût donc été préférable d’attendre la directive européenne qui devrait être présentée avant l’été à la suite du rapport Liikanen, et de la transposer rapidement, car le texte que vous nous présentez sera à peine voté qu’il faudra éventuellement le modifier. C’est bien évidemment, en effet, au niveau communautaire que doivent être traitées ces questions. Il est donc regrettable que vous vous attachiez aujourd’hui à présenter un peu à la va-vite un projet qui ne fera que pénaliser les banques françaises vis-à-vis de leurs partenaires européennes pendant la période transitoire entre son adoption et celle du texte définitif qui transposera la directive européenne.

En outre, il faut bien reconnaître que vous n’avez pas mené de réelle concertation, même avec votre principal partenaire, l’Allemagne, qui travaille en ce moment même sur un projet de loi que vous dites quasiment identique au nôtre. Ce n’est pas tout à fait exact, ne serait-ce que, par exemple, à propos du seuil de cantonnement puisque ces seuils, en Allemagne, sont fixés par le texte, alors que, par le biais d’un amendement, il est prévu dans le présent projet que c’est vous-même, monsieur le ministre, qui déciderez de basculer ou non les activités de marché dans la structure de cantonnement.

Le second reproche que le groupe UDI adresse à ce texte, c’est qu’au fond il ne sert pas à grand-chose. Il est tout d’abord contraire au programme du parti socialiste. M. Muet, hélas, n’est pas là.

M. Razzy Hammadi. Hélas !

M. Charles de Courson. Je vous rappelle que le programme du parti socialiste précisait : « Il faut revenir à une stricte distinction des métiers bancaires et séparer activités de dépôt et activités financières. Les banques traditionnelles ne doivent plus prêter l’argent des épargnants et des clients aux banques d’affaires. » C’était clair, c’était la vieille idée rooseveltienne.

M. Pierre Lellouche. C’était la bonne idée !

M. Charles de Courson. Or le Gouvernement opère ici un complet rétropédalage, si je puis dire, par rapport aux déclarations enflammées du candidat Hollande au Bourget contre son « véritable ennemi : la finance sans visage ».

M. Philippe Vigier. Ce n’était qu’un effet de tribune !

M. Charles de Courson. C’est assez drôle, d’ailleurs, comme expression car, comme on dit toujours au parti socialiste, il faut plaider à gauche et tomber à droite. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Karine Berger, rapporteure. Oh !

M. Charles de Courson. Nous avions donc tout lieu de croire qu’une fois au pouvoir le Président de la République allait instaurer un véritable Glass Steagall Act à la française. Ce n’est pas le cas et le groupe UDI ne le regrette pas. Il est vrai que le retour à la vieille idée rooseveltienne de séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires n’est plus guère défendu, y compris au parti socialiste, que par notre collègue Muet, comme en témoigne le rapport, qui lui a concédé un petit paragraphe pour expliquer sa thèse.

Le Gouvernement a donc réalisé une sorte de pirouette pour masquer sa tiédeur, consistant à prôner une séparation des activités utiles au financement de l’économie, et des activités spéculatives, en cantonnant ces dernières dans des filiales dédiées. Toutefois, le projet de loi laisse dans la banque, hors cantonnement, de nombreuses activités spéculatives. Preuve en est l’amendement Berger qui vise à faire basculer des activités dans la filiale de cantonnement dès lors qu’elles dépassent un seuil fixé par arrêté. Ce n’est pas le cas dans le projet de loi allemand.

On voit bien que le texte est élastique. Vous avez évoqué, madame Berger, l’idée d’étanchéité ; or il n’y a pas d’étanchéité comme le montre, j’y insiste, votre amendement lui-même : des activités spéculatives restent dans la banque. Votre amendement donne la possibilité au Gouvernement, sans encadrement, ce qui à mon avis pose quelques problèmes, de basculer ces activités sans que soit fixé de seuil. Je vous rappelle que le texte allemand prévoit un seuil de 100 milliards d’euros et 20 % des activités.

Mme Karine Berger, rapporteure. Nous n’avons pas le même seuil, c’est tout !

M. Charles de Courson. C’est d’ailleurs ce que préconise le rapport Liikanen : un taux de 15 à 25 % et un montant identique au projet de loi allemand de M. Schäuble. On voit donc bien que le texte est élastique et non pas étanche, contrairement au texte allemand qui, à l’allemande, fixe des seuils sans en laisser la décision au ministre de l’économie.

Le Gouvernement a certes accepté un amendement allant dans le même sens que l’Allemagne, sans toutefois adopter les mêmes seuils, mais il n’existe aucune coordination en amont. Le groupe UDI est néanmoins tout à fait d’accord pour limiter les risques. À ce titre, il est particulièrement regrettable que l’étude d’impact soit muette sur un point essentiel : l’évaluation précise du volume d’activité des banques concernées par le cantonnement aux termes du texte gouvernemental initial. Il est étonnant qu’on ne réponde pas à une question toute simple : que représente l’activité des quatre banques systémiques françaises, en pourcentage, dans la structure de cantonnement ? Nous avons obtenu une réponse de la Société générale qui situe ce taux entre 1,5 et 2,5 %. Le Crédit agricole n’a pas démenti, n’a pas dit grand-chose d’autre.

M. Jean-François Lamour. Il n’a rien dit.

M. Charles de Courson. Tout cela reste bien flou, monsieur le ministre, et je trouve étonnant que même lorsque nous avons reçu le gouverneur de la Banque de France, on n’ait pas pu nous répondre. Ces statistiques, pourtant, existent. Il ne doit tout de même pas être compliqué, pour quatre banques, de nous donner un ordre de grandeur.

En l’absence d’interdiction, puisque vous auriez pu aussi utiliser cette voie, comme les États-Unis l’ont fait partiellement, il est absolument nécessaire que la filiale dédiée à ces activités soit totalement isolée de la maison mère, afin qu’une défaillance de la première n’ait aucun impact sur la seconde. Mais il faut dès lors trouver un outil juridique permettant d’éviter que des prises de risque démesurées des banques ne conduisent à leur faillite ou à leur sauvetage par l’État, c’est-à-dire par le contribuable.

D’autre part, comment s’appliqueront les dispositions prévues à l’article 1er si des banques françaises poursuivent leurs activités spéculatives dans une filiale créée à cet effet à l’étranger dans des pays non-européens avec lesquels nous n’avons pas de convention fiscale ni de convention de contrôle réciproque ? Qu’en est-il dès lors de la territorialité du droit ?

En outre, nous avons compris qu’il serait interdit d’augmenter le capital de la filiale consacrée aux activités spéculatives ; mais le texte n’interdit pas à une banque étrangère de participer à une augmentation du capital qui lui serait réservé dans cette filiale française.

En bref, l’article 1er devrait être amélioré.

Malgré vos espoirs, il sera très difficile pour l’autorité de contrôle prudentiel de contrôler ces filiales situées à l’étranger : lors de son audition, le président de l’autorité de contrôle prudentiel nous a confirmé que l’autorité ne pouvait pas aller contrôler les filiales situées dans des États avec lesquels nous n’avons pas signé de convention. Vous êtes juridiquement détaché dans vos fonctions, monsieur le ministre : vous avez rappelé que vous étiez magistrat à la Cour des comptes ; vous savez donc bien que quand vous ne pouvez aller contrôler sur place, on peut vous raconter beaucoup de choses. C’est du moins ce que ma courte expérience de dix ans à la Cour des comptes m’a appris et je crois que vous-même, quelque peu vacciné, ne croyez que sur pièces – c’est d’ailleurs prudent.

Certains points du projet nous posent problème. En ce qui concerne le régime de résolution, il est encore une fois vraiment dommage que la France se précipite alors même que les négociations au niveau européen ont déjà atteint un stade très avancé. De plus, l’articulation avec le droit commun du code de commerce, en matière de dépôt de bilan et de liquidation, nous paraît encore assez floue. Cependant, ces propositions vont globalement dans le bon sens.

Nos réserves sont en revanche beaucoup plus fortes concernant la création d’un organe central chez Groupama, point que personne n’a évoqué. Laissez-moi faire un peu d’humour, monsieur le ministre. Cette disposition procède de la vieille idée jacobine selon laquelle un système ne peut fonctionner que s’il est centralisé. Avez-vous interrogé vos services pour savoir qui avait décidé de doter le Crédit immobilier d’un organe central, avec le succès que nous avons vu ? Je puis vous le dire, parce que j’étais moi-même président du Crédit immobilier de mon secteur et j’ai fait partie des mencheviks, ceux qui se sont battus contre la centralisation. Bien entendu, la direction du Trésor l’a emporté et a donné le pouvoir à des personnes qui, en fait, ont renversé la pyramide : c’est le sommet qui a imposé sa volonté à la base et non plus l’inverse.

Je prendrai un autre exemple, celui du Crédit agricole. Cette banque est pourvue d’un organe central. A-t-il permis d’éviter les dérapages de l’établissement ? C’est exactement l’inverse.

M. Pierre Lellouche. Tout à fait !

M. Charles de Courson. Les caisses régionales qui possèdent la caisse centrale n’ont pas réussi à contrôler celle-ci qui, via une filiale banque d’affaires, a réalisé un certain nombre d’investissements catastrophiques.

Votre idée est que la création d’un organe central sécurisera le secteur Groupama. Je pense l’inverse : je suis profondément décentralisateur, et quand une petite banque, une petite assurance, se casse la figure, les autres viennent à son secours et résolvent le problème sans faire appel à l’État.

M. le président. Je vous remercie de bien vouloir conclure.

M. Charles de Courson. Dernier point, les députés du groupe UDI ont souhaité proposer trois améliorations au texte : la première concerne les TPE, même s’il semble qu’on s’oriente dans la bonne direction ; la deuxième, qui nous tient particulièrement à cœur, touche à la prévention du surendettement à travers la création, enfin, du fichier positif pour les particuliers, permettant de lutter contre ce fléau social ; enfin, la troisième vise à l’adoption de mesures relatives à l’assurance emprunteur, et des amendements ont été adoptés en commission qui vont dans le bon sens.

En conclusion, mes chers collègues, les députés du groupe UDI lient le vote de ce projet de loi à l’adoption des trois propositions que je viens d’évoquer. Dans le cas contraire, nous ne pourrons pas l’adopter. (Applaudissement sur les bancs du groupe UDI.)

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, le 22 janvier 2012, François Hollande a tenu au Bourget un discours qui a marqué les esprits (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) et fait émerger l’une des propositions cardinales du candidat de l’époque, devenu depuis Président de la République. Aujourd’hui, nous passons à l’acte pour protéger les épargnants, les contribuables mais aussi l’économie et nos emplois. Quelle sera l’efficacité de cette loi ? Nous mettra-t-elle à l’abri des dangers ? Ce texte pose un certain nombre de questions.

La première est celle du statut juridique, et c’est celle qui a suscité les débats les plus animés. Fallait-il préférer la filialisation ou la séparation des activités spéculatives ? Alors que la séparation apparaissait comme la solution la plus naturelle, alors qu’elle venait spontanément à l’esprit et semblait à la fois plus évidente et plus efficace, puisant ses références dans le Glass Steagall Act du début du siècle précédent, c’est la filialisation qui a été retenue. Même si la séparation ne peut constituer l’alpha et l’oméga de la sécurisation financière, un doute subsiste et il faut continuer d’y réfléchir.

La seconde question porte sur le périmètre du cantonnement et sur la nature des activités filialisées. En l’état, les activités réalisées pour compte propre constituent l’essentiel de ce cantonnement. On a largement commenté le fait que ces opérations ne représenteraient qu’1 % de l’ensemble des activités des banques, mais c’est oublier que ces activités peuvent représenter 15 à 25 % de l’ensemble des activités. En réalité, rien ne nous met à l’abri d’une rechute. De plus, les activités pour compte propre peuvent représenter un risque qui dépasse largement leur importance relative.

Le périmètre de la filiale reste néanmoins un élément clé de cette loi. C’est pourquoi nous avons présenté en commission des finances des amendements destinés à renforcer le cantonnement. Nous sommes, de ce point de vue satisfaits des amendements proposés par le groupe SRC, et particulièrement par Karine Berger et Laurent Baumel, car ils ouvrent la voie à un cantonnement complémentaire.

La troisième question soulevée par ce projet de loi porte sur la résolution. Les dispositions contenues dans ce projet de loi font déjà l’objet d’un consensus. Vous nous avez expliqué, monsieur le ministre, que la maison mère ne pourrait pas être mise en danger par une éventuelle faillite de sa filiale : ce point mérite d’être approfondi. Nous devons renforcer cette garantie, en mettant à contribution, le cas échéant, les créanciers seniors. Il s’agit de bien s’assurer que ni l’épargnant, ni le contribuable ne seront sollicités. Électrifier les barbelés et mieux contrôler les mouvements de fonds éventuels entre la banque de dépôt et sa filiale, tel est notre objectif.

La quatrième question est celle de la transparence. À ce sujet, je veux insister sur l’importance de l’amendement adopté en commission, qui oblige les banques à la transparence pour l’ensemble des activités de leurs filiales, où qu’elles se situent dans le monde. Nous aurions souhaité, vous le savez, monsieur le ministre, que cette obligation s’applique également à la publication des informations concernant les impôts et les bénéfices. Néanmoins, cette avancée constitue, en l’état, une première mondiale. Cette transparence est essentielle pour limiter l’implantation des banques dans des territoires qui constituent des paradis fiscaux et juridiques, dans lesquels elles peuvent développer des produits hautement risqués, sans aucun contrôle.

La question de l’accès bancaire, enfin, est un peu passée à la trappe, alors qu’elle porte sur la question du pouvoir d’achat de nos concitoyens, question ô combien importante. C’est donc sur ce sujet que notre travail parlementaire devra apporter le plus de précisions. Je souhaite insister sur le risque qu’il y aurait à concentrer nos efforts sur la seule catégorie des ménages démunis, en oubliant la classe moyenne, j’entends surtout la classe moyenne basse.

Monsieur le ministre, vous avez souhaité associer fortement le Parlement et les groupes politiques à la préparation de cette loi. Cette méthode aura aussi contribué – cela vous est peut-être moins apparu – à renforcer les liens et la confiance entre les députés de nos différents groupes. Je veux à cet égard saluer le travail de la rapporteure de cette loi, Karine Berger, et de nos collègues socialistes. Comme on dit en football, nous tenons notre match de référence, ou plutôt notre débat de référence : continuons, à l’avenir, comme nous l’avions déjà fait pour la BPI, à travailler ensemble de la même façon. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. Merci d’avoir strictement respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Thierry Robert.

M. Thierry Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes invités ce soir à examiner le projet de loi de régulation et de séparation des activités bancaires. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera bien évidemment en faveur de ce texte.

Alors que la crise qui frappe l’économie réelle est d’une immense gravité, la France se dote enfin d’outils pour prévenir les crises financières ; car c’est bien une crise financière qui est à l’origine des difficultés économiques que subissent aujourd’hui bon nombre de nos concitoyens.

Il n’est pas admissible qu’une prise de risque inconsidérée sur les marchés financiers mette à mal les finances publiques des États. Il n’est pas tolérable non plus que la folie spéculative ébranle l’ensemble de l’économie mondiale.

Pour lutter contre les excès de la finance, deux pays hautement symboliques ont d’ores et déjà appliqué des mesures préventives. Les Américains ont édicté la règle Volcker, qui limite l’exercice d’activités spéculatives jugées incompatibles avec le profil de risque d’une banque d’abord dédiée à ses clients. Nos voisins britanniques, quant à eux, devraient bientôt voter les recommandations issues du rapport Vickers, qui sanctuarisent la collecte de dépôts et l’octroi de crédit ; cette mesure ne sera cependant effective qu’en 2019.

Plus de quatre ans après la débâcle financière de 2008, le gouvernement français a pris la décision de séparer les banques et de mieux réguler leurs activités. Les députés du groupe RRDP soutiennent cette démarche, qui avait été clairement mise en avant par le candidat Hollande.

Les débats, au sein de la majorité, ne portent pas sur le principe mais sur les modalités. Le sujet est très complexe, car l’activité bancaire demeure un pilier de l’économie française. Son poids dans notre économie invite à ne pas sous-estimer les conséquences que des mesures législatives et réglementaires peuvent avoir en termes d’activité et d’emploi. Toutefois, avec quatre banques systémiques mondiales, la France se doit d’être ambitieuse.

Dès lors, les débats auraient pu se focaliser sur la protection de l’économie dans son ensemble. Lors de l’examen en commission des finances, le texte a été amélioré. Mais je me demande toujours s’il n’aurait pas mieux valu séparer, par une cloison étanche, la banque de dépôt et la banque de marché. La banque de dépôt doit être protégée des risques systémiques et pouvoir prendre des risques limités : cela suppose de ne pas l’exposer à des activités de marché extrêmement volatiles.

Pour diverses raisons, le modèle de la stricte séparation, que les États-Unis ont longtemps pratiquée, n’a pas été retenu. On lui a préféré une séparation entre activités utiles à l’économie et activités spéculatives. Soit, mais, dans ce cas, ne serait-il pas souhaitable d’intégrer dans les filiales les activités de marché qui, malgré leurs bienfaits pour l’économie, peuvent aussi être utiles à la spéculation ?

Des amendements déposés par les députés de notre groupe vont dans ce sens : l’un d’eux vise à cantonner la « tenue de marché » dans les filiales. Malgré l’introduction, dans le texte de la commission, d’indicateurs servant à mieux identifier les activités de tenue de marché utiles à l’économie, on peut craindre que des activités spéculatives soient exercées sous couvert de tenue de marché. Dans le cas où la tenue de marché serait maintenue aux côtés de la banque de dépôt, un autre amendement vise à ce que le législateur exprime clairement, sans s’en remettre à une décision ultérieure de l’exécutif, la nécessité d’instaurer un seuil au-delà duquel les opérations doivent être intégrées dans les filiales.

Enfin, il est absolument nécessaire d’affirmer que les banques qui ne respecteront pas la séparation se verront sanctionnées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR.

Une fois cette séparation réalisée, il aurait été décevant que le projet de loi ne s’attaque pas à l’une des causes des déséquilibres financiers mondiaux, les paradis fiscaux. Les banques devront, dès cette année, indiquer dans une annexe à leurs comptes annuels, la nature des activités qu’elles exercent dans tous les pays du monde où elles sont implantées : une telle mesure mettra ainsi en lumière les activités des banques dans les paradis fiscaux. Trois amendements ont été déposés par les députés de notre groupe, afin d’élargir les informations que les banques devront publier.

Le projet de loi permet également de renforcer les pouvoirs du Conseil de stabilité financière, même si la composition de ce dernier peut encore être améliorée. En commission des finances, le rôle du Parlement dans la désignation des personnalités qualifiées a été accru, mais on ne s’attaque pas ici à l’une des causes des crises financières : l’entre-soi financier.

Comme l’a démontré la débâcle de 2008, les crises financières résultent tout autant des excès des établissements financiers, que de l’absence de décisions par les institutions. Il est même des cas où les institutions peuvent avoir intérêt à faire perdurer des déséquilibres : le soutien au crédit hypothécaire aux États-Unis l’a prouvé.

Afin de lutter contre cet entre-soi financier, il est nécessaire d’élargir la composition des cercles décisionnels, notamment aux représentants de l’économie réelle. C’est pourquoi un amendement de notre groupe propose que le président du Conseil économique, social et environnemental soit membre de droit du Conseil de stabilité financière. Pour ma part, je proposerai que les trois personnalités qualifiées au sein de ce conseil aient la possibilité de formuler des propositions sur les exigences en fonds propres auprès des banques et les critères d’octroi de crédit, afin de s’assurer que les pouvoirs contraignants du Conseil de stabilité financière ne dépendent pas seulement de la Banque de France.

Enfin, les dispositions relatives à la protection du consommateur bancaire relèvent du bon sens. On ne saurait tolérer plus longtemps que les consommateurs n’aient pas la possibilité de mettre en concurrence plusieurs assurances pour les crédits contractés. Même si les causes du surendettement ne sont pas traitées dans ce projet de loi, la procédure de surendettement sera simplifiée, ce qui sera bénéfique à la fois pour l’État et pour les personnes surendettées.

Le plafonnement des commissions d’intervention pour les populations fragiles est une autre mesure relative à la protection du consommateur bancaire. Cette mesure est tout à fait souhaitable, et nous proposons d’aller encore plus loin. Tout d’abord, nous souhaiterions que le plafond global des commissions d’intervention, fixé par un décret du Conseil d’État, ne soit pas restreint aux seules populations fragiles. En effet, il ne faut pas oublier les classes moyennes, qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts au quotidien.

Ensuite, nous proposons que les commissions d’intervention soient intégrées dans le calcul du taux annuel effectif global. Cette disposition vise à faire cesser les pratiques de certains groupes bancaires qui prélèvent illégalement des commissions d’intervention en plus des intérêts débiteurs que sont les agios.

Enfin, il est nécessaire que soit appliqué le principe d’égalité territoriale dans l’accès au crédit et la tarification des services bancaires sur tous les territoires où exercent les banques et établissements de crédit. Ce principe devrait être effectif aussi bien dans les territoires de la France d’outre-mer que de la France métropolitaine. Il est injuste que des services proposés par un même groupe bancaire puissent être gratuits pour les particuliers de l’hexagone et tarifés pour ceux des outre-mer.

On le voit, cette réforme bancaire comprend de nombreux dispositifs autour de la régulation des activités bancaires, de la résolution des crises et de la protection du consommateur.

On peut regretter que le projet n’aille pas assez loin. Mais on ne saurait reprocher au Gouvernement de proposer des mesures qui n’avaient pas encore été mises en œuvre jusqu’aujourd’hui.

Pour toutes ces raisons, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutiennent le projet de loi du Gouvernement amendé par les commissaires. En espérant que nos propositions seront entendues et reçues avec bienveillance. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. Mes chers collègues, vingt-huit intervenants sont encore inscrits. Si chacun dépasse son temps de parole, nous ne pourrons pas respecter les délais prévus. Je vous demande de bien vouloir vous en tenir au temps de parole qui vous est donné.

La parole est à M. Nicolas Sansu.

M. Nicolas Sansu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames les rapporteurs, chers collègues, de la même façon que la crise de 1929 avait donné naissance aux États-Unis à la loi bancaire de 1933, défendue par Glass et Steagall, la crise de 2008 a mis en évidence l’importance des dégâts occasionnés par les activités spéculatives des banques et remis au goût du jour les enjeux de stabilité financière, après deux à trois décennies pendant lesquelles l’unique maître mot fut la dérégulation.

Le mouvement de dérégulation fut en France à l’origine de la loi bancaire de 1984, l’une des premières à mettre fin au régime de stricte séparation qui avait été la règle pendant près de quarante ans.

M. Pascal Cherki. Eh oui, malheureusement !

M. Nicolas Sansu. En supprimant la distinction entre banques de dépôts et de crédit, d’une part, et banques d’investissement de l’autre, cette loi a donné naissance au milieu des années quatre-vingt-dix au modèle de « banque universelle » dont on nous vante aujourd’hui abondamment les mérites.

Si la France avait été pionnière dans le domaine de la dérégulation, elle se veut aujourd’hui aux avant-postes de la régulation.

Le corollaire de la dérégulation a été une frénésie de produits financiers dont l’utilité pour le financement de l’économie réelle est aujourd’hui largement remise en cause, avec des montants consolidés de produits dérivés équivalant à douze fois le produit intérieur brut mondial et atteignant plus de 700 000 milliards de dollars.

Au-delà du danger, de la pression créée sur le financement maîtrisé de l’économie, les excès, les dérives, les affaires – dont certaines emblématiques – touchent au cœur même du pacte démocratique et social de notre pays et de l’Europe.

Que nos concitoyens jugent sévèrement les activités spéculatives ou les pratiques inadmissibles d’optimisation fiscale des banques est une chose, mais que le pouvoir politique ne soit pas à la hauteur pour remettre de l’ordre, ce serait dangereux pour la démocratie.

Le projet de loi dont nous commençons ce soir la discussion ne doit surtout pas manquer son objectif. Il doit être un texte précurseur en Europe pour mieux réguler la finance et empêcher ceux qui prennent des risques indus d’en faire peser la responsabilité sur les contribuables.

En tout état de cause, et sans négliger les spécificités bancaires de chacun des pays, le texte dont nous allons débattre ne saurait être en deçà des préconisations figurant dans le rapport remis par l’ancien gouverneur de la banque de Finlande, Erkki Liikanen, à la Commission européenne.

Monsieur le ministre, pour notre part, députés du Front de gauche, nous rejoignons les propositions des ONG comme Finance Watch ou de nombreuses personnalités et universitaires qui, à l’instar du prix Nobel Joseph Stiglitz, préconisent une séparation claire et effective entre banques commerciales et banques de marché.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Nicolas Sansu. C’est à notre sens un véritable outil pour mettre fin aux conflits d’intérêts qui peuvent naître au sein des banques entre activités spéculatives et financement de l’économie, mais c’est aussi l’outil adéquat pour lutter contre l’opacité des groupes bancaires. Ce serait bon pour l’économie réelle.

Le choix du Gouvernement est de séparer au sein des grandes banques mixtes les activités utiles à l’économie des activités spéculatives. C’est une position de prudence qui altère quelque peu l’objectif, mais qui peut se défendre, car c’est le risque systémique qu’il faut combattre, et nul ne fait de procès d’intention quant à la volonté du Gouvernement de mieux contrôler ce risque.

Nos réserves sur ce projet de loi ne tiennent donc pas à titre principal au choix qui a conduit le Gouvernement à privilégier la filialisation des activités dites spéculatives, mais au caractère trop marginal de cette séparation et aussi à la nécessaire interdiction des produits dérivés dangereux.

Les amendements votés en commission ont amélioré un peu le texte, mais sans franchir le pas décisif qui consisterait à poser le principe de la filialisation des activités dites de « tenue de marché », qui sont aujourd’hui au cœur de la polémique, nonobstant la disposition adoptée en commission afin de les définir de manière plus stricte et de ne pas y inclure les activités spéculatives.

Le texte adopté par la commission des finances confie au ministre chargé de l’économie le soin de fixer, s’il le souhaite, un seuil au-delà duquel les activités d’un établissement de crédit relatives à la tenue de marché devront être filialisées. Cette solution nous laisse dubitatifs, car elle présente l’inconvénient évident de confier au ministre le pouvoir d’agir, ou de s’abstenir. Il sera d’autant plus impérieux d’agir, monsieur le ministre.

Comme l’a déclaré le professeur Jean-Paul Pollin lors de son audition : « Parmi les huit banques dont la distance au défaut est la plus faible, quatre sont françaises » et si la plus grosse des banques américaines représente moins de 20 % du PIB américain, « chez nous, BNP Paribas, c’est 100 % du PIB français » et « 750 milliards d’euros de dérivés de crédits [...], en déconnexion par rapport à l’économie réelle ».

M. Pascal Cherki. Exactement ! Il a raison !

M. Nicolas Sansu. Deux sujets clés nécessitent encore des avancées : celui du trading haute fréquence, et celui de la spéculation sur les matières premières agricoles.

Le trading haute fréquence est devenu l’un des symboles des excès de la finance. Par le passé, nous en avions, dans une proposition de résolution européenne commune avec Die Linke au Bundestag, réclamé l’interdiction pure et simple car ces pratiques, résultant des directives de dérégulation du marché boursier, sont porteuses d’un risque systémique avéré.

M. Pascal Cherki. Excellent !

M. Nicolas Sansu. Avant les mesures de dérégulation intervenues notamment en 2006, le trading haute fréquence représentait seulement 1 % des opérations dans l’Union européenne. Il en représente aujourd’hui 37 %.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Nicolas Sansu. C’est là une dérive dangereuse, car le trading haute fréquence n’est pas neutre. Il contribue à renforcer l’opacité des marchés, à grande échelle, et favorise les pratiques d’abus de marché et de manipulation des carnets d’ordres.

M. Razzy Hammadi. Très juste !

M. Nicolas Sansu. Nous avons déposé un amendement visant à renforcer le dispositif de sanction de ces pratiques ; je suis sûr qu’il recevra un accueil favorable.

De la même façon, nous souhaiterions un engagement ferme du Gouvernement dans la lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles.

Ces dernières années, les investisseurs financiers ont accouru sur ce marché alors que d’autres déclinaient. L’argent investi dans les indices de matières premières agricoles a gonflé de 15 milliards de dollars en 2003 à 200 milliards de dollars en 2008. Et seuls 2 % des contrats à terme portant sur ces matières premières aboutissent désormais effectivement à la livraison d’une marchandise.

M. Marc Dolez. Vous avez raison !

M. Nicolas Sansu. Comme le souligne avec raison Oxfam, on ne peut plus longtemps « ignorer l’impact des activités bancaires sur les marchés agricoles alors que le respect du droit à l’alimentation de centaines de millions de personnes est en jeu. »

Nous saluons bien entendu l’adoption en commission de l’amendement qui obligera les banques à détailler, pays par pays, la nature de leurs activités, le produit net bancaire ainsi que leurs effectifs.

M. Pascal Cherki. C’est une avancée !

M. Nicolas Sansu. Nous regrettons que les banques n’aient pas à publier ni leur bénéfice net, ni le montant des impôts dont elles s’acquittent dans chaque pays, mais cet amendement marque tout de même un pas important vers une plus grande transparence du secteur bancaire.

M. Guillaume Bachelay. Exact !

M. Nicolas Sansu. Reste que, selon nous, l’enjeu demeure d’interdire aux banques d’avoir des filiales dans des territoires non coopératifs, dans ces fameux trous noirs de la finance dénoncés depuis des années par les ONG, comme par le rapport sénatorial.

Le mécanisme de résolution, second pilier du projet de loi, m’amène à formuler quelques remarques.

Nous nous interrogeons sur le fait que le gouverneur de la Banque de France et le directeur du Trésor disposent du pouvoir exorbitant de décider seuls comment et par qui une banque défaillante sera renflouée.

Sachant que les actifs des quatre premières banques françaises représentent trois fois le PIB de notre pays, d’une part, et que la Banque de France est le principal créancier des banques privées d’autre part, on peut légitimement craindre que le contribuable ne soit au bout du compte sollicité, ce qui serait manifestement contraire à l’objectif consensuel annoncé.

M. Marc Dolez. Il a raison !

M. Nicolas Sansu. Bien sûr, nous appuierons toutes les mesures qui viseront à protéger les consommateurs, notamment s’agissant du droit au compte et du plafonnement des frais bancaires.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Nicolas Sansu. À l’aune de ces remarques, nous abordons ce débat de manière résolument constructive. Nos amendements en portent témoignage, tout comme notre implication au préalable, et je remercie la rapporteure.

Mais, au-delà des enjeux de la réforme structurelle du système bancaire et de la réglementation prudentielle, l’instrument principal de régulation demeure l’action que la banque centrale peut conduire pour réguler l’alimentation en liquidités du marché monétaire.

Il ne faut pas négliger l’enjeu que constitue la réorientation de la politique monétaire, bien que cela ne soit nullement évoqué dans ce projet de loi. Ce qui devrait guider l’action de la banque centrale, c’est le refus de prêter de l’argent aux banques qui financent des opérations spéculatives, ou ne le faire qu’à des conditions dissuasives, à des taux d’intérêt très élevés. Les banques centrales devraient réserver l’usage de leur pouvoir de création monétaire au refinancement des crédits qui se traduisent par des créations d’emplois, par de l’investissement productif et de la création de valeur ajoutée dans les territoires.

Dans un même mouvement, la politique monétaire contribuerait ainsi à la fois à dégonfler les marchés financiers et à stimuler la création de richesses.

C’est ainsi que nous abordons ce débat avec la ferme conviction et la belle ambition de faire de la réorientation de l’argent une priorité stratégique de la lutte contre le pouvoir exorbitant et destructeur des marchés financiers. Ce débat, monsieur le ministre, se poursuivra dans les mois et les années à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Baumel.

M. Laurent Baumel. Monsieur le ministre, la loi bancaire que vous soumettez à la discussion de notre assemblée restera, à n’en pas douter, une des réformes majeure de l’actuel quinquennat.

Par l’importance même de son objet, tout d’abord : tous les Français ou presque, déposent leur argent dans les banques. Tous les Français savent que les banques se servent de ces dépôts pour faire des crédits. Et tous les Français acceptent ce processus parce qu’ils sont convaincus de pouvoir à chaque instant récupérer les sommes ainsi déposées.

Cette dernière croyance est évidemment essentielle. Elle fonde la possibilité même de vivre dans une économie moderne, avec une monnaie scripturale. Mais comme toute croyance sociale, elle est fragile. Que cette confiance vienne à manquer, c’est tout le système économique et le fonctionnement même de notre société qui s’écrouleraient rapidement et dramatiquement.

Or la très grave crise financière et bancaire de 2008 a rappelé que le « risque systémique » n’est pas purement théorique. Cette crise a engendré une prise de conscience générale de la part des gouvernements et des autorités de régulation quant à la nécessité de consolider la confiance de base des populations dans le système bancaire.

Elle a aussi fait comprendre que la réponse consistant à faire massivement appel aux contribuables n’était pas politiquement recevable et qu’il fallait également résoudre le problème de l’irresponsabilité morale d’une poignée de spéculateurs pouvant entraîner l’économie mondiale dans le mur sans en supporter le prix.

La présente loi est la déclinaison française de cette prise de conscience. En étendant considérablement la garantie des dépôts et, plus encore, en décidant de soumettre nos banques et le système financier dans son ensemble à tout un nouveau système de contrôle préventif des risques, vous avez pris, monsieur le ministre, à bras-le-corps cet enjeu primordial du rétablissement de la confiance et de la lutte contre « l’aléa moral ».

Réforme majeure du quinquennat, cette loi bancaire l’est aussi parce qu’elle est la première traduction législative de la promesse faite par le Président de la République lors de sa campagne électorale de réduire l’emprise de la finance sur l’économie réelle. François Hollande l’avait énoncé clairement : cette reprise en main passerait par la distinction, au sein des activités bancaires, des activités utiles à l’économie des activités spéculatives, et par le cantonnement de ces dernières dans des structures ne pouvant s’adosser à la ressource gratuite des dépôts pour prospérer.

C’est cette intention et cette volonté politique que matérialise votre loi en obligeant les banques françaises de dépôts à créer désormais une filiale qui regroupera notamment les activités pour compte propre des banques, mais qui, grâce aux amendements de la rapporteure et du groupe socialiste que vous avez acceptés, pourra aussi demain se voir transférer d’autres activités de marché.

Réforme majeure du quinquennat, cette loi bancaire l’est encore parce qu’elle illustre au plus haut point l’inspiration réformiste de votre Gouvernement, avec les équilibres qu’elle suppose.

La gauche réformiste que vous incarnez assume le fait d’inscrire son action dans le système de l’économie de marché, dont elle pointe les nombreux défauts, mais à laquelle elle reconnaît aussi une efficacité pour favoriser la création de richesses et satisfaire les besoins.

M. Pierre Lellouche. Voilà une bonne nouvelle !

M. Laurent Baumel. La gauche réformiste que vous incarnez assume la nécessité, dans les réformes qu’elle mène, de considérer l’impact de ses décisions sur les conditions de viabilité des activités économiques.

Dans l’affaire qui nous occupe ce soir, il est normal que le Gouvernement ait eu le souci de ne pas choisir des options de séparation qui auraient pu dissuader les banques françaises de poursuivre certaines activités pourtant utiles à notre économie.

Je pense qu’il faut avoir l’honnêteté de le rappeler, à l’égard de critiques qui appréhendent parfois la loi bancaire comme une opération punitive contre un secteur dont les comportements justifient certes de très nombreuses critiques, mais dont notre économie a tout de même besoin.

Attentive aux conditions de création de richesses, la gauche réformiste que vous incarnez est aussi consciente des lacunes et des graves dégâts causés par le marché lui-même. Elle défend l’idée que l’État peut et doit corriger le libre jeu du marché, intervenir au nom de l’égalité, de la protection des travailleurs, mais aussi parfois de l’efficacité économique elle-même. Elle estime que l’État, appuyé sur la légitimité du suffrage universel, a le droit et le devoir d’imposer aux milieux économiques des restrictions qui ne rencontrent pas leur assentiment.

La loi bancaire que vous présentez aujourd’hui est, de ce point de vue, une grand loi de régulation. À l’issue de son vote, peu de secteurs de l’économie seront autant encadrés que le secteur bancaire. La réorganisation des structures imposée par la loi, qui peut intervenir à tout moment grâce à la paire de ciseaux confiée par le législateur au ministre de l’économie, l’interdiction pure et simple pour la filiale des activités de trading à haute fréquence et de spéculation sur les matières premières agricoles, les pouvoirs d’intervention puissants et dérogatoires conférés aux autorités de régulation pour traiter les banques défaillantes, mais aussi le plafonnement des commissions d’intervention perçues par les banques sur les ménages en difficulté sont autant d’outils et de leviers nouveaux qui marquent une rupture avec le laissez-faire des années antérieures et témoignent, après la création de la Banque publique d’investissement, du retour pratique de l’État stratège et protecteur au poste de commande.

Réforme majeure du quinquennat, cette loi bancaire l’est encore parce qu’elle met la France en position d’avant-garde au sein de l’Union européenne. On a beaucoup glosé, ici ou là, sur les mérites de votre réforme comparée aux voies choisies par les États-Unis ou le Royaume-Uni. Ceux-là mêmes qui stigmatisent, parfois avec raison, les dérives du monde anglo-saxon ont voulu cette fois nous le donner en modèle de régulation véritable. Nous avons été nombreux à noter que, étrangement, les réformes dont on nous vante la supériorité théorique ne sont pas près de voir le jour, tandis que nous votons ici et maintenant un acte concret qui met la France en avance d’une case dans le processus européen tout en étant compatible avec les options envisagées à ce niveau.

Nous sommes aussi, bien sûr, avant-gardistes dans la lutte contre les paradis fiscaux – et nous retrouvons là un peu de cette France révolutionnaire que nous aimons et que M. Lamour semble aimer moins que nous. La France est désormais le premier pays au monde à faire obligation à ses banques de publier un état de leurs activités, de leur chiffre d’affaires et de leurs effectifs par pays. Cette obligation de transparence résulte d’amendements identiques présentés par les écologistes et les socialistes en commission des finances, et acceptés par le Gouvernement.

Réforme majeure du quinquennat, cette loi bancaire l’est aussi – vous me permettrez de conclure par ce point, monsieur le ministre – parce qu’elle illustre précisément une coopération législative réussie entre l’exécutif et le Parlement. Dès votre audition devant la commission des finances, vous avez indiqué que la loi présentée en conseil des ministres était le fruit d’un travail gouvernemental important, mais par nature inachevé. Vous avez invité le Parlement à améliorer le texte en faisant usage de son droit d’amendement. Je peux témoigner que le groupe SRC, attentif aux imprécisions ou aux lacunes du texte initial, mais aussi à l’écoute des réflexions émanant de la société civile et des citoyens, s’est pleinement saisi de cette invitation.

Sans bousculer l’architecture générale de votre texte et sans trahir le soutien ni la confiance que nous vous devons, nous lui avons apporté, avec votre accord et dès le stade de l’examen en commission, des améliorations substantielles. Outre le sujet des paradis fiscaux, qui constitue un combat ancien des députés socialistes français, je pense évidemment aux amendements venus très utilement préciser la nature de la tenue de marché susceptible de rester dans la maison mère, et qui prévoient de filialiser cette activité si elle devait dépasser un seuil critique dans l’ensemble des activités de la banque.

Ce travail de coopération législative pourra se poursuivre – j’en suis sûr – à l’occasion de la discussion en séance publique sur un autre sujet essentiel aux yeux des députés du groupe SRC : nous souhaitons en effet pouvoir renforcer le plafonnement des frais bancaires, et étendre celui-ci à tous les publics.

M. Régis Juanico. Très bien !

Mme Martine Lignières-Cassou. Bravo !

M. Laurent Baumel. Monsieur le ministre, pour l’examen de ce projet de loi bancaire, nous ne sommes ni des godillots, ni des rebelles, mais des parlementaires. Je forme ici le souhait que cette méthode de dialogue constructif entre le Gouvernement et le Parlement, que vous avez personnellement voulue et incarnée avec ce texte de loi, fasse jurisprudence et s’applique de la même manière à d’autres textes importants à venir. Notre régime a le grand mérite d’offrir au pouvoir exécutif une stabilité qui lui permet d’agir et de conduire les réformes qu’il juge nécessaires. Mais il fait aussi du Parlement une chambre d’écho inégalable des préoccupations du pays et de ce qu’il ressent. La pertinence et la justesse de la politique gouvernementale ne peuvent que s’enrichir de cette relation dynamique entre les deux pouvoirs.

Je conclus mon intervention en rappelant les propos du fondateur de la dynastie des Rothschild.

M. Nicolas Sansu et M. Henri Emmanuelli. Oh !

M. Laurent Baumel. Il disait : « Permettez-moi d’émettre et de contrôler les ressources monétaires d’un pays, et je me moque de celui qui écrit ses lois. » Ce défi lancé par l’un des banquiers les plus célèbres de l’histoire a traversé deux siècles, et arrive jusqu’à nous. Grâce à votre loi et aux amendements que vous avez acceptés, monsieur le ministre, nous nous donnons, ici en France, quelques raisons sérieuses d’espérer le relever. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, l’agenda de l’Assemblée est parfois pittoresque. Le hasard du calendrier parlementaire a voulu que nous débattions, la semaine dernière, du mariage ; cette semaine, nous parlons de divorce. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je ne sais pas jusqu’où ira le divorce entre les banques : nous verrons bien.

Mme Valérie Rabault. Séparation n’est pas divorce !

M. Éric Woerth. D’accord, nous parlons de séparation : ce n’est pas tout à fait pareil…

Il y a longtemps, au Bourget, François Hollande déclarait la guerre à la finance. Heureusement pour le secteur financier qui emploie 400 000 personnes – vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre –, nous sommes très loin de ces déclarations martiales. Vous combattiez le modèle français de banque universelle et alliez jusqu’à évoquer la séparation entre les banques de dépôt et les banques de marché ; aujourd’hui, à juste titre, vous adoubez ce modèle français. Comme pour vous en excuser, vous « surjouez » ce texte. La réalité est évidemment différente de celle que vous décrivez.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ah oui !

M. Éric Woerth. J’ai d’ailleurs relevé deux tics de langage chez les membres de ce Gouvernement. Le premier consiste à dire, quand vous déposez un texte, que vous en êtes fiers – vous l’avez dit au moins dix fois. Monsieur le ministre, vous êtes fier de ce texte comme vos collègues sont fiers des leurs : tant mieux ! Votre second tic de langage est de tout qualifier d’historique. Pour vous, ce texte est historique, comme l’a été celui du mariage pour tous, comme l’a été le dialogue social…

M. Christian Paul. Comme l’a été votre défaite !

M. Régis Juanico. Monsieur Woerth, mesurez votre chance d’assister à ces événements historiques !

Mme Marie-Christine Dalloz. Oh, ce n’est que de la petite histoire.

M. Éric Woerth. Tous les textes que vous présentez sont historiques !

M. Christian Paul. Et vous en êtes les commentateurs !

M. Éric Woerth. Il faudrait peut-être remettre les choses à leur juste place. La réalité est quelque peu différente. Il ne s’agit pas d’une grande réforme, mais d’une petite réforme : c’est même une réforme plus politique qu’économique. Il s’agit davantage d’une réforme pour la communication que d’une vraie réforme du secteur bancaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Une réforme pour la communication : c’est le bon terme !

M. Pierre Lellouche. C’est vrai !

M. Éric Woerth. Il convient de répondre à un certain nombre de questions, mais mon temps de parole de cinq minutes ne me permet pas de les évoquer toutes.

Le modèle de banque universelle est-il le bon ? Nous pensons que oui, et vous pensez aujourd’hui la même chose, puisque vous ne remettez pas en cause le modèle français. Cela pourrait nous amener à croire que ce texte va dans le bon sens. Les banques françaises n’ont pas été à l’origine de la crise ; elles ont bien évidemment leur part d’ombre, comme tous les établissements financiers,…

M. Christian Paul. C’est un aveu !

M. Éric Woerth. …mais les banques systémiques françaises n’ont pas failli et, surtout, le contribuable français n’a pas été mis à contribution. Il ne sert donc à rien de punir les banques françaises en essayant de séparer leurs activités de façon arbitraire. D’ailleurs, si votre loi répond un peu aux enseignements du passé, je ne crois pas qu’elle puisse empêcher quoi que ce soit lors des crises financières à venir.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Bien sûr que non !

M. Éric Woerth. À droite comme à gauche, notre priorité commune n’est pas d’affaiblir la finance française ou de renforcer la finance anglo-saxonne. J’imagine, monsieur le ministre, que vous ne le souhaitez pas ! Vu le calendrier de ce texte, prenez garde à ne pas donner les clés de l’économie de marché – et de l’économie tout court – à la City et à Wall Street !

M. Pascal Cherki. C’est déjà fait !

M. Éric Woerth. Face à ce risque, notre responsabilité est commune.

Doit-on séparer les activités bancaires ? Oui au modèle global, mais oui aussi, d’une certaine façon, à la séparation d’un certain nombre d’activités, notamment les plus spéculatives ! En commission – car nous avons participé un peu aux travaux de la commission –,…

M. Marc Goua. Un peu !

M. Pascal Cherki. Très peu !

M. Éric Woerth. …nous nous étions demandé quelles activités étaient spéculatives. Cette question est très difficile à résoudre. MM. Vickers, Liikanen et Volcker, que nous citons sans cesse, y ont apporté des réponses très différentes. Les activités de tenue de marché dont nous parlons aujourd’hui sont essentielles, mais également assez indéfinissables. À moins d’avoir été banquier pendant vingt ans ou pendant toute sa vie, il est bien difficile de les définir très précisément. Les choses ne sont pas si simples. Comme le disait Jérôme Chartier, les hedge funds, qui sont politiquement très incorrects, souvent peu transparents et dangereux, sont aussi utiles pour couvrir un certain nombre de risques. Certes, la séparation des activités que vous proposez est relativement faible, mais il faut en effet probablement séparer un peu quelques activités.

Doit-on réfléchir à des scénarios de crise ? Vous proposez ce que les banques appellent un « testament » : je crois que c’est une bonne idée.

Mme Karine Berger, rapporteure. Il n’y a que des bonnes idées dans ce texte !

M. Éric Woerth. Il faut effectivement essayer de se préparer aux situations de crise, même s’il s’agit d’une sorte de stress test continu.

Faut-il combattre les paradis fiscaux ? Oui !

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, Mme Karine Berger, rapporteure et M. Pascal Cherki. Effectivement !

M. Éric Woerth. Nous avons probablement combattu les paradis fiscaux plus que tous les autres. Vous souhaitez le faire, et c’est tant mieux : nous partageons votre objectif, et nous avons d’ailleurs mené ce combat. Faut-il pour autant, comme le propose le groupe écologiste, donner à l’ensemble des acteurs de la finance mondiale toute une série d’informations sur les banques françaises ? Certainement pas ! J’espère que vous voterez notre amendement qui limite les activités et les informations exigées à un certain nombre de pays, c’est-à-dire aux juridictions non coopératives.

Enfin, le calendrier est-il le bon ? Non, pas du tout ! Aujourd’hui, votre calendrier est politique, afin de vous permettre de cocher une case dans le programme de François Hollande, et non économique. Le bon calendrier, qu’avait d’ailleurs mis en place Nicolas Sarkozy, doit nous conduire à une union bancaire européenne. La réforme britannique n’entrera pas en vigueur avant 2019 ; les Etats-Unis n’appliquent pas les règles de Bâle III et ne savent pas quand la règle Volcker sera votée ; quant à l’Union européenne, il n’existe pas à ce stade de consensus et aucune directive n’est donc en préparation. Nous ne devons par conséquent pas être les premiers dans cette bagarre ; sinon, nous donnerons probablement un peu plus de pouvoir aux marchés et un peu moins de pouvoir à l’industrie financière française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, nombreux sont ceux qui l’ont dit à cette tribune : la crise financière de 2008 a révélé au grand jour les prises de risque inconsidérées du monde bancaire. Contrôles internes insuffisants, titrisation des crédits sous forme de produits complexes favorisant la propagation des crises, confiance disproportionnée accordée à des modèles mathématiques défaillants : ce sont les dessous d’un « capitalisme de casino », comme disait John Monks, que nous avons découverts.

Selon un récent sondage, 71 % des Français estiment que les banquiers n’ont pas tiré les leçons de la crise, et 84 % d’entre eux seraient favorables à une séparation réelle entre les activités de détail et les activités de marché des banques.

Dès lors, il nous revient d’accomplir la mission que les citoyens nous ont confiée : prévenir une nouvelle crise financière et remettre la finance au service de l’économie. À raison, les Français n’accepteront pas une seconde fois d’accorder aux banques défaillantes, comme en 2008, 100 milliards d’euros de prêts et d’apports en fonds propres.

M. Guillaume Larrivé. Vous ne parlez pas des intérêts que ces prêts ont rapportés à l’État !

Mme Eva Sas. Vous nous direz que les excès sont derrière nous. En réponse, je vous rappelle simplement que, sur les 8 000 milliards d’euros de bilans cumulés des banques françaises, seuls 22 % sont consacrés à l’économie réelle sous forme de prêts aux entreprises ou aux ménages. Le défi est donc, bien au contraire, encore devant nous.

À mon sens, cette réforme comporte trois enjeux : la séparation, pour cantonner les activités spéculatives et éviter le risque de contagion aux dépôts des citoyens, l’interdiction des activités les plus néfastes, et la transparence, afin de lutter contre l’évasion fiscale.

Concernant la séparation des activités spéculatives, nous avons été, comme d’autres, inquiets d’entendre Frédéric Oudéa admettre que les activités filialisées ne représenteraient qu’entre 0,75 % et 1,5 % des activités globales de son groupe bancaire. Des améliorations ont été apportées en commission, d’abord par Laurent Baumel s’agissant de la définition des activités de tenue de marché, et ensuite par Karine Berger pour ouvrir la faculté, mais aussi – je le disais en commission – la responsabilité pour le ministre de l’économie de cantonner un pourcentage de la tenue de marché afin de prévenir une nouvelle crise bancaire. Ces deux avancées doivent être saluées à leur juste mesure. Il reste à aller plus loin ensemble, notamment au sujet des prêts aux hedge funds, ou en vue d’une véritable séparation qui nous aurait paru préférable à une simple filialisation.

Quant à l’interdiction de certaines pratiques spéculatives, nous serons attentifs aux améliorations qui pourront être apportées à propos de la spéculation sur les matières premières agricoles ou du trading de haute fréquence, puisque 90 % de ce trading demeurent autorisés dans la version actuelle du texte. Cela reste incontestablement l’un des enjeux de notre discussion.

Dernier point : la transparence. L’amendement que nous avons présenté, soutenu par nos collègues socialistes, contraint pour la première fois les banques à établir un reporting pays par pays de leur produit net bancaire et de leurs effectifs. Là aussi, il s’agit d’une avancée certaine. Nous pensons néanmoins qu’il serait souhaitable et possible d’étendre ce reporting au montant des bénéfices réalisés et à celui des impôts payés dans chaque pays. Ces informations permettront de mettre en évidence l’optimisation fiscale des banques elles-mêmes.

Les groupes bancaires – relayés par le groupe UMP à cette tribune – restent hostiles à ce reporting. Et pour cause : les banques françaises possèdent au total 150 filiales de premier rang dans les paradis fiscaux.

M. Pascal Cherki. Seulement ?

Mme Eva Sas. Elles objectent que cela risquerait d’attirer d’autres banques sur ces marchés rentables. Est-il crédible d’avancer qu’un concurrent puisse découvrir grâce à un tel rapport que telle ou telle implantation est profitable ? En fait, nous n’avons, à ce jour, entendu aucun argument sérieux contre l’extension du reporting. La BNP elle-même publie le bénéfice net de ses filiales étrangères. Il nous semble dès lors possible de continuer à travailler ensemble dans ce sens pour établir une véritable transparence sur l’activité des banques.

M. Pascal Cherki. Bravo.

Mme Eva Sas. Pour conclure, monsieur le ministre, chers collègues, vous l’avez souvent dit : « Cette réforme fait de la France, la pionnière en Europe en matière de séparation des activités bancaires ». C’est une fierté, mais c’est aussi une responsabilité. Le président de la commission des finances belge, que nous recevions la semaine dernière, nous indiquait que la réforme française allait servir de référence à la réforme prévue dans son propre pays. D’une certaine manière, l’Europe nous regarde et les Européens nous attendent.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ils rigolent !

Mme Eva Sas. Soyons à la hauteur de cette attente. Construisons ensemble une réforme ambitieuse. Construisons-la ensemble dans la dynamique d’ouverture et de rassemblement que vous avez mise en œuvre jusque-là sur ce texte, et que je veux saluer ici. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen, pour cinq minutes.

M. Christian Eckert. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref car beaucoup a déjà été dit. Je m’attarderai sur les améliorations apportées au texte, qui, dès le départ, était un texte puissant tout en étant équilibré.

Les orateurs précédents ont évoqué la tenue de marché et les possibilités données au ministre de définir plus précisément les activités à cantonner dans la filiale. S’agissant du renforcement des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel, l’ACP, M. Chartier a eu l’air de dire que celle-ci datait de la dernière loi de régulation. Elle a été le résultat de la fusion de la commission bancaire et de l’Autorité de contrôle des assurances et mutuelles, l’ACAM, sans que soient pour autant renforcés les pouvoirs de l’ACP. Aussi, les pouvoirs en termes de résolution conférés à la nouvelle structure dénommée ACPR – autorité de contrôle prudentiel et de résolution – représentent une avancée considérable.

Mme Karine Berger, rapporteure. Fort exact.

M. Christian Eckert. S’agissant de la transparence évoquée à l’instant par Éva Sas, il est important que l’obligation de transparence porte sur l’ensemble des pays, pas seulement les pays de l’OCDE ou les États et territoires non coopératifs. Il importe que l’on dispose pour tous les pays de précisions sur l’ensemble de la nature et du volume des activités afin d’évaluer s’il y a adéquation entre les moyens présents sur le territoire et le volume des activités, le produit net bancaire. Ce texte le permet. C’est une première et une avancée considérable.

Modestement et de façon un peu marginale, j’ai déposé un amendement visant les emprunts toxiques pour éviter que ne se reproduise ce qui s’est, hélas, produit.

M. Nicolas Sansu. Très bien.

M. Christian Eckert. Il n’a pas la prétention de résoudre la question du stock, à propos duquel des avancées ont d’ailleurs été enregistrées sur le plan judiciaire ces derniers jours. Il faudra vraisemblablement, monsieur le ministre, compléter cet amendement – dans le cadre d’un autre texte car il n’a pas sa place ici – sur les moyens du contrôle de légalité sur les contrats souscrits par les collectivités. Aujourd’hui, le contrôle de légalité ne porte pas sur les contrats souscrits, car il s’agit de contrats de droit privé qui ne sont pas concernés. Quoi qu’il en soit, il serait souhaitable de conforter cette disposition dans un texte ultérieur.

Toujours modestement et de façon marginale, j’ai proposé quelques avancées en matière de secret bancaire afin que l’on ne puisse pas opposer le secret bancaire, notamment aux commissions d’enquête parlementaire, ce qui, malheureusement, a pu être le cas lors d’événements antérieurs. La commission a adopté ces amendements.

Je conclurai sur la question des frais bancaires, qui est de celles qui toucheront le plus nos concitoyens, ainsi que vous l’avez fait remarquer, monsieur le ministre. On ne pouvait pas imaginer que notre Assemblée propose un texte sur les banques, leur fonctionnement, la régulation bancaire sans un chapitre substantiel sur la relation entre le client et sa banque. On a souvent l’impression que le client est captif, même si le texte comporte des avancées sur la mobilité bancaire et la possibilité donnée aux clients d’accéder à une offre diversifiée.

Vous avez prévu des avancées en matière d’assurance-crédit dont vous avez souligné l’importance. Vous avez également proposé des simplifications dans la procédure du dossier de surendettement, ce qui est une excellente initiative, complétée par quelques amendements de précision.

Se pose encore la question des commissions d’intervention et de leur plafonnement. Nous avons été nombreux – et vous sembliez réceptif – à suggérer leur plafonnement. Je rappelle, à l’instar de nombreux collègues en commission, que la plupart du temps, les interventions des banquiers conduisent à laisser passer l’opération, ce qui entraîne des frais excessifs. Nous nous réjouissons et insistons sur la nécessité d’étendre cette mesure à l’ensemble de la clientèle.

M. Christian Paul. Absolument.

M. Christian Eckert. Outre les mesures très techniques et fondamentales sur la supervision et la régulation contenues dans ce texte, il est important que nos concitoyens apprécient l’amélioration des relations de la clientèle avec les banques. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Thomas Thévenoud. Excellent !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Il a dépassé son temps de parole.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Christian Paul. Aux abris !

M. Jacques Bompard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, la septième proposition de campagne du Président de la République était l’une des seules qui me séduisait. C’est donc avec plaisir que j’ai étudié ce projet de loi. Mais ce qui aurait pu être une proposition fondamentale de la rénovation de notre économie – cette proposition qui devait être celle d’un adversaire du règne mondial et totalitaire de la finance – ressemble en fait au travail d’un partenaire zélé des banques d’affaires.

Hélas, cette loi changera bien peu à la dramatique situation actuelle. Ainsi, la Société générale ne sera touchée qu’à hauteur de 0,75 % de son fonctionnement et BNP Paribas à hauteur de 2 %. Un seul fait permet de mettre en évidence la manœuvre contenue dans ce projet de loi. La césure des activités bancaires se situe entre activités de crédit et activités utiles à l’économie. Ce sont ces critères que le projet de loi retient pour déterminer ce qui doit être séparé.

La notion d’activité utile à l’économie est suffisamment vague pour permettre à la banque d’y mettre exactement ce qu’elle veut. Avec cette nouvelle loi, les activités de banque de crédit et de dépôt ne seront quasiment pas séparées des banques de marchés. Le pire étant que, comme hier, quand la banque spéculera non pour des mandants responsables de leurs placements, mais pour elle-même, elle continuera de faire courir le risque à ses clients et aux contribuables. Rien n’aura réellement changé.

Citons une nouveauté amusante. Ce texte prévoit que les banques vont rédiger un testament pour le cas où elles seraient en faillite.

M. Razzy Hammadi. Non.

M. Jacques Bompard. Mais la décision de mise en faillite est du ressort de la Banque de France et du directeur général du Trésor. Notons d’abord que les actifs de cinq banques françaises seulement représentent 320 % du PIB : c’est énorme. Ensuite, la Banque de France est la première créancière des banques à hauteur de 250 milliards d’euros. Le risque qu’une faillite bancaire ferait peser sur l’économie est si important que leur volume est pour chacune une considérable assurance-vie.

En outre, si le directeur de la Banque de France a le choix entre faire payer la Banque de France ou faire payer le contribuable, il choisira bien sûr, comme hier, le contribuable.

De plus, le fonds de garantie des dépôts qui garantit les fonds citoyens sera fusionné avec le fonds de résolution prévu pour sauver les banques. De ce fait, la loi qui prétend changer les choses ne change rien. Demain comme hier, les épargnants seront les garants des dérapages bancaires à venir. Cette loi subit les mêmes logiques mondialistes, dans la même continuité du mépris pour l’intérêt commun. En 1998, les mouvements financiers internationaux quotidiens représentaient 2 000 milliards de dollars. Ils s’élèvent aujourd’hui à 4 000 milliards de dollars sur lesquels 5 % seulement, soit 200 milliards, alimentent le financement de l’économie réelle. Les 3 800 autres milliards sont liés à des opérations spéculatives. La spéculation contribue à la ruine de ceux qui travaillent, par la destruction des frontières, des barrières douanières et la libération des mouvements de capitaux.

La non-régulation, l’autonomisation de la finance n’est pas un accident. C’est le résultat d’une volonté qui, hier, a supprimé l’étalon or, qui a interdit le financement des États par les banques centrales.

La revue Capital a classé cette loi bonne dernière avec une note de 2 sur 20, derrière les réformes américaine, notée 8 sur 20, anglaise, notée 12 sur 20, et la réforme européenne notée 13 sur 20.

M. Christian Paul. Vous lisez trop Capital !

M. Jacques Bompard. Si nous votons cette loi et que, dans quelque temps, l’Europe vote la sienne, nous serons soumis à la loi européenne et le travail qui aura été fait ici n’aura servi à rien.

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost, pour le groupe Union pour un mouvement populaire, pour cinq minutes.

Mme Arlette Grosskost. Lors de son discours au Bourget, il y a un an, François Hollande désignait le monde de la finance comme son « adversaire ». Il rappelait que ce dernier, qui n’a ni visage ni parti et qui ne sera jamais élu, cependant gouverne.

Aujourd’hui, le candidat a revêtu l’habit présidentiel, et dispose désormais de tous les leviers pour défaire cet ennemi. Pourtant, le texte qui nous est présenté est bien loin de répondre de façon efficiente à cette volonté proclamée. Bien au contraire, le projet de loi reprend purement et simplement à son compte certaines dispositions prises par le précédent gouvernement, comme le renforcement de l’autorité prudentielle.

Preuve en est que ce discours n’était qu’une belle occasion de faire un appel du pied à une certaine gauche...Mais une fois encore, pour cet électorat, il ne sera que désillusion.

Après avoir douté de l’ampleur de la dégradation de la situation économique et annoncé qu’il détenait la solution pour en sortir, Monsieur Hollande, une fois en responsabilité, découvre avec stupéfaction que la France vit une crise exceptionnelle et longue, que l’endettement public accumulé est plus que problématique et que la compétitivité est menacée.

Le Gouvernement actuel et les parlementaires de la majorité s’aperçoivent alors que la finance n’est pas un ennemi, mais bel et bien un partenaire avec lequel il faudra composer pour affronter la crise. Nous pouvons au moins nous satisfaire de ce constat tardif !

Depuis, on nous a remis un texte qui est un symbole du décalage entre la parole et les actes, car seul le premier article traite vraiment de la question de la séparation des métiers. D’une façon générale, le droit de spéculer grâce aux produits dérivés sera licite dès lors que la banque universelle pourra expliquer qu’elle a trouvé en face d’elle un client, ce qui est naturellement toujours le cas.

Nul ne peut nier que les crises successives ont eu des impacts sur la société française et nous en subissons aujourd’hui les lourdes conséquences. Nul ne doute qu’il faille muscler la réforme bancaire.

Au-delà de la séparation – ce qui n’est pas remis en cause par les banques puisque le texte ne touche qu’une infime part de leurs activités – il apparaît effectivement nécessaire de remettre à plat la réglementation des marchés financiers afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé. Or le texte ne répond pas à cette nécessité, ou alors très partiellement.

Le président de l’ACP a d’ailleurs rappelé lors de son audition que la stricte séparation entre banque de marché et banque de détail n’aidait en rien à réduire le risque, comme l’ont montré les célèbres exemples de Lehman Brothers, pure banque de marché, et Northern Rock, pure banque de détail, qui ont toutes deux fait faillite.

Des travaux plus approfondis auraient peut-être pu répondre à cette problématique, mais cette direction n’a pas été prise. Vous avez préféré naviguer à vue, avec une base proposée par le Gouvernement, arrangée en commission et moult fois amendée, ce qui a abouti à un texte éloigné du projet de loi initial.

In fine, que restera-t-il au terme de la discussion ?

Peut-on s’assurer que l’argent du contribuable sera mieux protégé avec cette réforme ? Le trading haute fréquence est-il écarté ? Qu’en est-il du phénomène du shadow banking pourtant à l’ordre du jour au niveau européen ? Les auditions en commission des finances n’ont pas dissipé les doutes et ont encore moins permis d’apporter de véritables réponses à ces questions.

Nous sommes tous d’accord : les risques que peuvent prendre les banques doivent être limités. Mais nous devons aussi inciter celles-ci à développer prioritairement les activités les plus utiles à l’économie réelle, comme les prêts de trésorerie aux PME. Il faut veiller à établir un juste équilibre.

Les autres pays européens qui ont mis ce thème à l’ordre du jour ont décidé de différer l’application de leurs textes respectifs. Alors, quelle est la pertinence de ce projet en termes de calendrier ? Ce décalage ne nous sera-t-il pas préjudiciable au regard du contexte concurrentiel global ? Michel Barnier a été chargé de proposer avant l’été une directive visant à la régulation bancaire s’inspirant des conclusions du rapport Liikanen. Quelle est donc l’utilité de faire une loi qui devra certainement être retouchée dans quelques mois ?

Tout cela explique peut-être pourquoi le texte est finalement assez flou et renvoie à de nombreuses applications réglementaires ultérieures.

Pour terminer, je déplore que le volet relatif à la protection des consommateurs soit apposé comme un accessoire à ce texte alors qu’il mérite de faire l’objet d’un débat propre.

Je regrette que les socialistes, qui avaient fait pendant la campagne la promesse– une de plus ! – de lutter efficacement contre le surendettement, ne traitent ce sujet que sous l’angle de la simplification de la procédure administrative des situations de surendettement avérées. Nous ne trouvons rien dans le texte sur la prévention de ce fléau qui frappe chaque année de nombreuses familles. Qu’en est-il du fichier positif si souvent évoqué et non suivi d’effets ?

Nous le voyons une fois de plus, votre réforme n’est qu’affichage et posture ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Clotilde Valter.

Mme Clotilde Valter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise financière de 2008 a eu des effets incalculables sur l’économie mondiale. Ils se font encore sentir aujourd’hui et notre responsabilité est de tout mettre en œuvre pour qu’elle ne se reproduise pas.

Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, correspond à l’un des engagements du Président de la République qui ont le plus frappé l’opinion, une opinion profondément choquée par la crise financière, son caractère brutal, la menace qu’elle a fait peser sur les dépôts des particuliers, la nécessaire intervention de l’État et donc du contribuable pour sauver le système sans qu’aucune contrepartie soit demandée à l’époque. Avec ce texte, le Gouvernement répond : "plus jamais cela !".

En effet, ce projet de loi répond aux excès et dérives mises au grand jour par la crise en proposant des solutions concrètes et opérationnelles.

Premièrement, il protège les dépôts des particuliers. On ne spécule plus avec leur argent : une séparation est instaurée entre activités utiles à l’économie et activités spéculatives et des mesures garantissant l’étanchéité entre les deux entités sont mises en place. Un amendement du groupe SRC adopté en commission des finances est venu renforcer cette séparation. Il vous donne, monsieur le ministre, le pouvoir de limiter le montant des opérations de tenue de marché conservées dans la banque universelle.

Deuxièmement, ce projet de loi protège l’État et le contribuable. Cela passe par un contrôle efficace et préventif exercé par une Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dotée de pouvoirs importants – révocation de dirigeants, nomination d’administrateurs provisoires, lutte contre les produits toxiques –, et par l’action d’un Conseil de stabilité financière aux pouvoirs étendus – détermination des exigences supplémentaires de fonds propres et encadrement de la politique d’octroi de crédits des banques – ayant pour but d’éviter les crises systémiques.

Troisièmement, le projet de loi place les actionnaires devant leurs responsabilités puisqu’en cas de faillite lors d’une crise, c’est d’abord sur eux que pèseront les pertes. Voilà qui marque la fin de la socialisation des pertes. Le secteur bancaire est également mis à contribution puisque, avec le fonds de garantie, il sera sollicité pour venir au secours d’une banque en difficulté.

Quatrièmement, le projet de loi s’attaque avec détermination aux paradis fiscaux. Tel était, monsieur le ministre, le souhait de nombreux parlementaires du groupe SRC depuis longtemps attachés à cette idée et nous vous remercions d’avoir accepté de travailler avec nous en ce sens. À la suite à plusieurs initiatives, dont celle de mon collègue Dominique Potier, membre de la commission des affaires économiques, les groupes socialiste et écologiste ont déposé un amendement qui impose aux établissements bancaires une plus forte transparence. Il s’agit d’une avancée majeure qui place la France au premier rang des nations dans la bataille pour la régulation financière.

Cinquièmement, le projet de loi met fin aux pratiques bancaires abusives, notamment à l’égard des publics les plus fragiles. Outre l’amendement du groupe SRC sur les frais bancaires, nos collègues Frédérique Massat et Razzy Hammadi ont proposé une série d’amendements prolongeant cette réflexion.

Au total, ce projet contribue à remettre la finance au service de l’économie réelle, à la moraliser, à mieux la réguler et à empêcher les risques indus pour les clients et les contribuables.

Ce texte traduit notre volonté de maîtriser la finance.

On se souvient de 2008, on se souvient des décisions du G 20, on se souvient des discours extrêmement volontaristes prononcés alors. Où en est-on aujourd’hui ? L’impression qui domine est que l’on a marqué le pas.

La Grande-Bretagne a commencé l’examen d’un texte mais, derrière des dispositifs qui apparaissent audacieux, c’est avant tout de la protection des intérêts très particuliers de la City qu’il s’agit. Le vote du texte n’est prévu qu’en 2015 et sa mise en œuvre interviendrait seulement en 2019. Aux États-Unis, après la fermeté affichée au moment de la crise, la volonté semble faiblir.

Alors allons-y, chers collègues ! La France est le premier pays à engager une réforme de structure de son système bancaire. Elle est le premier pays à s’attaquer de cette façon aux paradis fiscaux. De plus, ce projet de loi comporte des dispositions qui, à ce jour, ne sont pas prévues a l’échelon européen : je pense aux pouvoirs de l’ACPR à l’égard des produits toxiques, au renforcement du contrôle des activités de marché des banques, aux mesures d’interdiction portant sur le trading à haute fréquence ou la spéculation pour compte propre, à la possibilité pour le Conseil de stabilité financière d’encadrer la politique d’octroi des crédits des banques.

Il y a donc un véritable intérêt à ce que nous soyons précurseurs. Il s’agit tout à la fois d’indiquer clairement là où nous voulons mettre les curseurs, d’inciter nos partenaires européens à se positionner par rapport aux choix que nous faisons et, autant que possible, à nous suivre, et de marquer concrètement notre volonté de maîtriser la finance.

Des voix s’élèvent pour vous demander de reporter l’application de la loi à 2017. Nous le savons, monsieur le ministre : vous ne céderez pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, voici une réforme fondatrice et équilibrée car elle va aussi loin qu’il est possible pour engager tous les pays européens sur la même route sans prendre le risque de mettre notre système bancaire en difficulté.

La crise bancaire de 2008 signe l’échec de la régulation prudentielle, comme l’a souligné Mme la rapporteure. En effet, pendant des années, on a cru que pour accompagner le développement des marchés financiers, il suffisait de continuer à réguler le bilan des banques ; ce faisant, on a totalement oublié que toutes les opérations de marché se développaient hors bilan. Or ces opérations ont conduit à une multiplication incontrôlée de produits dérivés, une montagne de dettes qui s’est écroulée lorsque les anticipations des marchés se sont retournées.

La réflexion sur la régulation s’est poursuivie. Est revenue une idée née dans les années trente, une réforme structurelle majeure qui a été à l’origine des réflexions de Liikanen, de Volcker et de Vickers : il s’agit du Glass-Steagall Act voulu par Roosevelt. Considérant que la crise de 1929 était due à la fois à une explosion des inégalités et à des dérives financières ayant entraîné les banques à se lancer dans des activités qui les éloignaient de leur métier, il a procédé à une séparation entre banques de dépôt et banques d’investissement. L’idée qui sous-tendait sa réforme était très simple : réguler étroitement les activités les banques de dépôt, parce qu’elles remplissent une mission d’intérêt général en gérant les dépôts et en octroyant des crédits à l’économie, et les séparer des banques d’investissement, qui peuvent continuer à spéculer mais en assumant les risques sans que le contribuable ait à venir à leur secours.

La généralisation de cette réforme, après bien d’autres réformes lancées par Roosevelt comme le New Deal ou la taxation à 80 % des très hauts revenus (Sourires), a structuré très largement l’économie mondiale après la seconde guerre mondiale. C’est ainsi que celle-ci a connu une période exceptionnelle tant qu’a prévalu le système de Bretton Woods : pour la première fois dans l’histoire, aucune crise bancaire n’a engendré de crise systémique et n’a mis en danger le système des paiements, tout simplement parce que la séparation des activités jouait un rôle fondateur dans la régulation. Les banquiers faisaient leur métier de banquiers en étant attentifs aux crédits et aux dépôts sans spéculer sur les marchés.

Puis, avec l’éclatement du système de Bretton Woods, est venu le temps du flottement des monnaies, du développement des marchés financiers, des paradis fiscaux aussi. À cela s’est ajoutée la grande dérégulation libérale des années quatre-vingt qui a finalement conduit à ce que nous avons connu pendant ces dix dernières années : un développement des marchés financiers sans règles et sans limites aboutissant à la crise.

J’en reviens aux réformes actuelles.

Ce n’est pas un hasard si, après avoir longtemps hésité, économistes et politiques en sont venus à se dire qu’il fallait reposer le problème de la séparation des activités bancaires, mais dans un contexte évidemment différent qui rend inapproprié un simple décalque de ce qui s’est fait en 1933.

D’une certaine façon, lorsque nous analysons les trois réformes proposées par Volcker, Vickers et Liikanen, nous constatons que chacune est bien adaptée à la réalité de son pays.

Volcker a proposé un système à l’américaine qui n’est pas très éloigné de la séparation instaurée par le Glass-Steagall Act : il consiste à interdire la spéculation pour compte propre.

Vickers, comme l’a souligné le président de la commission des finances, s’est parfaitement adapté à l’économie anglaise : une économie de marchés financiers à l’intérieur de laquelle la banque de dépôt est préservée.

Liikanen, pour sa part, a proposé un système parfaitement adapté à l’économie de l’Europe continentale caractérisée par des banques universelles qui, si elles se livrent à des activités de marché, sont fondamentalement des banques de dépôt. Il a ainsi proposé de cantonner l’activité de spéculation en conservant ses propriétés à la banque de dépôt.

J’estime qu’il s’agit de la bonne méthode. Et la force du projet que porte Pierre Moscovici est qu’il s’inscrit pleinement dans cette logique. Il est donc parfaitement adapté à notre économie tout en nous permettant d’avancer. Le problème, en effet, c’est que les Américains se sont en quelque sorte embourbés dans une réforme très compliquée, avec toute une zone grise où il est difficile de discerner ce qui relève de la spéculation de ce qui relève de l’activité d’une banque de dépôt.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Muet.

M. Pierre-Alain Muet. La réforme Vickers est belle. Mais qui sait si elle sera un jour mise en œuvre ? Annoncer pour dans cinq ans une réforme majeure est bien risqué.

La force du projet du Gouvernement, c’est qu’il avance, et de façon intelligente : en instaurant un cadre et en faisant en sorte qu’il soit rempli progressivement.

M. le président. Monsieur Muet !

M. Pierre-Alain Muet. J’en ai pour trente secondes, monsieur le président ! Ainsi l’amendement de Karine Berger permet-il de transférer progressivement les activités de tenue de marché dans la filiale quand d’autres pays auront avancé avec nous. Je trouve que c’est une réforme majeure, qui garde…

M. le président. Je vous demande de conclure, cher collègue !

M. Pierre-Alain Muet. Je conclus, monsieur le président !

M. le président. Non ! Cela fait deux fois que vous me le dites : je vous demande donc de vous arrêter !

M. Pierre-Alain Muet. …qui garde étroitement la logique qui fut celle de Roosevelt. Quand on analyse à la fois la politique fiscale, la séparation des banques et le développement de la négociation sociale, l’on trouve que la politique du Gouvernement fait en quelque sorte écho aux mesures de Roosevelt qui ont changé l’histoire. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. François Baroin.

M. Pierre Lellouche. Enfin quelqu’un qui connaît le sujet !

M. François Baroin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai bref.

Je souhaite tout d’abord rappeler quelques points d’histoire au professeur Muet, personnalité qui connaît son sujet mais qui, parfois enfermé dans sa bulle idéologique, a ses propres repères ; celui de Roosevelt n’est pas indigne pour quelqu’un de sa qualité.

Vous avez évoqué le Glass-Steagall Act, que les Américains ont mis en place dans les années 1930. Or, il est faux de dire que c’est l’ultralibéralisme de l’administration Reagan qui, dans les années 1980, y a mis un terme : c’est en réalité le scandale de Savings and Loan qui a par la suite provoqué l’abandon de ce système, apportant ainsi la démonstration éclatante qu’aucun système bancaire n’est invulnérable, pas même celui de la séparation des activités de crédits et des activités d’investissements.

Je développerai mon intervention sur ce thème. Il n’y aura rien de personnel de ma part, monsieur le ministre. Je sais l’héroïsme obscur de vos initiatives de socialiste modéré et tempéré pour tenter de corriger l’élan et la queue de comète de l’idéologie qui a porté François Hollande à l’Élysée. Or, vous êtes aujourd’hui contraint de présenter un texte qui est au mieux inutile et au pire dangereux.

Il est tout d’abord inutile car, nous le savons depuis la crise – c’est une erreur d’analyse que vous faites depuis le départ –, les banques françaises universelles à dimension systémique ont très peu d’activités d’investissement : de 1 % ou 2 % à 5 % au pire. C’était vrai avant la crise, ça l’est encore plus après. Les banques françaises universelles de dimension systémique – les quatre grandes – ont déjà régulé elles-mêmes le dispositif, tirant les leçons de ce qui s’est passé ailleurs.

Il est inutile également parce que le système français, vous le savez, a démontré sa résilience face à l’impact de la crise. Je rappelle que lorsque le gouvernement de l’époque a mis en place, aux côtés de la Banque centrale européenne – laquelle a fait son travail de prêteur en dernier ressort des établissements bancaires –, un dispositif d’accès à des liquidités pour leur permettre de passer un cap difficile, les banques ont résisté, et même mieux que les banques américaines. Celles-là ont d’ailleurs cherché en quelque sorte à se venger de la résistance des banques françaises : une partie de l’origine de la crise que nous avons traversée vient en effet des initiatives bancaires américaines, qui ont eu un impact durable sur la crise dans la zone euro.

En outre, les banques françaises ont même remboursé l’argent que l’État leur avait prêté : cela n’a donc rien coûté au contribuable.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Cela a même rapporté 3 milliards d’euros à l’État !

M. François Baroin. Cela a même rapporté de l’argent, comme le rappelle fort opportunément le président Carrez !

Mme Karine Berger, rapporteure. À vous entendre, monsieur Baroin, heureusement qu’on a eu la crise !

M. François Baroin. En conséquence, tirer la conclusion, pour le modèle bancaire français, qu’il faut séparer les activités de crédit et les activités d’investissement constitue une grave erreur d’analyse.

Pour vous, la seule cause de la crise, c’était Nicolas Sarkozy. Vous avez réglé ce problème par l’élection au suffrage universel du président Hollande, mais vous n’avez rien compris et rien oublié : rien oublié de vos dogmes, et rien compris à ce qui s’est passé dans le monde et qui a eu un impact sur la crise européenne.

Ce texte est par ailleurs dangereux, parce qu’il crée un doute et instille le virus de la suspicion à l’égard de la solidité de notre modèle bancaire. Nos banques n’ont pas besoin de cela, et même ne le méritent pas.

Il est ensuite dangereux en raison de la solitude de l’action française, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, qui ne laisse pas de nous préoccuper. Aucun pays aujourd’hui ne s’engage sur un texte de cette nature.

Vous voulez montrer l’exemple, être le pôle avancé d’un dispositif qui, en réalité, ne sera pas suivi. En effet, le rapport Liikanen et les initiatives en faveur de la création de l’Union bancaire vous ont certainement amenés, dans la préparation de ce texte, à demander aux gens du Trésor de s’en tenir auminimum. Mais vous comptez quelques trublions dans la majorité…

M. Razzy Hammadi. Des députés !

M. François Baroin. …qui essaieront de muscler ce dispositif. Je pense que le résultat issu de cette discussion parlementaire sera encore plus préoccupant que le texte initialement présenté par vous-même, monsieur le ministre.

Enfin, ce texte est dangereux parce qu’il met en lumière le fonctionnement du Gouvernement, et notamment de votre ministère, concernant les démarches à l’échelle européenne. Je voudrais citer plusieurs exemples.

Le premier concerne la présidence de l’Eurogroupe. Ce dossier a été mal géré, car un accord avec l’Allemagne sur un duo constitué des ministres français et allemand, chacun gérant pendant un temps, aurait certainement permis à la France de récupérer à terme cette présidence. Or, en vous opposant à la candidature du ministre allemand, vous avez fait une mauvaise manière à la Chancelière, qui s’est par la suite vengée en choisissant un Hollandais inconnu et incompétent jusqu’à nouvel ordre, car inexpérimenté.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. Christian Paul. Cela semble vous réjouir !

M. François Baroin. Le deuxième exemple porte sur le pôle avancé et la solitude des initiatives françaises. D’une certaine manière, cela commence à faire sourire en Europe, même si cela inquiète beaucoup de nos partenaires.

Avec cette réforme bancaire, vous tentez de trouver une position qui sera, je l’ai déjà dit, préoccupante pour nos établissements. S’étant déjà organisés, ils s’en sortiront ; mais ils vont encore suivre un mauvais chemin. Votre dispositif sera encerclé par une coalition d’autres pays qui imposeront leur propre système, lequel ne sera pas conforme à vos objectifs.

Pour toutes ces raisons, et avec le respect que je dois naturellement à votre fonction comme à votre personne, car je sais la difficulté de votre tâche, je veux dire que ce texte constitue une erreur. Il est, de plus, illusoire au regard du message que vous adressez aux Français sur le thème « il n’y aura plus de crise financière lorsque nous aurons satisfait à l’engagement de séparation des activités de crédits et d’investissement ». Aucun système bancaire n’est invulnérable, et certainement pas celui-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le plaidoyer talentueux pour l’inaction prononcé par M. François Baroin, le temps n’est pas à la technique bancaire – nous y viendrons plus tard dans le débat. Ce n’est d’ailleurs pas méconnaître la technique, mais simplement la mettre au service du bien commun.

Ce soir, les seules questions qui doivent nous préoccuper sont les suivantes : qu’est-ce qui est utile et bon pour notre pays ? La démocratie politique parviendra-t-elle à progresser face au marché et à reprendre une partie au moins du terrain perdu ? Nous voulons en effet avec le Gouvernement que cette loi prévienne, évite les crises bancaires, mais aussi qu’elle s’attaque résolument à la toxicité des excès quotidiens de la finance. Oui, il s’agit d’une réforme structurelle : ce n’est pas une réforme cosmétique, et même si l’on doit souhaiter la muscler, on ne peut pas la juger superficielle.

Depuis dix ans, l’ancienne majorité nous laissait croire que réforme structurelle signifiait soit réduction de l’intervention publique, soit régression des droits des salariés. Avec l’actuelle majorité et avec ce projet de loi, nous faisons une autre démonstration. Cette loi organise la régulation des activités bancaires, la prévention ou la résolution de leurs crises, et même la prohibition de quelques uns de leurs excès.

Les banques, d’autres l’ont dit avant moi, ne sont ni des anges, ni des démons. Elles sont utiles chaque matin à l’activité économique, et capables chaque jour des pires excès : il y a en elles du Docteur Jekyll et Mister Hyde. Mais ce projet de loi ne constitue pas une expédition punitive : il arrive simplement à point nommé. C’est vrai, monsieur Baroin, il arrive après des années d’impuissance publique, après la honte des subprimes et des millions d’Américains jetés à la rue avec leurs familles, après le scandale de Dexia, après la décadence de l’empire Lehman Brothers.

Monsieur le ministre, le groupe socialiste, républicain et citoyen s’est préparé à nourrir ce débat, et nous nous tenons prêts, à vos côtés. Nous allons nous concentrer sur quelques points, quelques interrogations, et sur des amendements qui ont en commun de vouloir muscler ce texte.

D’abord, le périmètre des filiales : c’est le cœur du réacteur. La France est attendue et observée par les Européens. Elle construit un modèle qui n’est pas seulement français : il s’agit d’un modèle à partager avec les Européens, un modèle de régulation compatible avec ce que l’Europe décidera.

Il est en effet des activités spéculatives qui n’ont pas bénéficié de la garantie de l’État, ni des dépôts des Français. Et les ciseaux bien aiguisés de Mme Berger ne sont pas des ciseaux de bois ; le pouvoir politique pourra les saisir sans trembler. Mais le verdict – car il y a controverse sur cette question – viendra de l’usage qui en sera fait, dans la durée, et qui permettra de dire si ces ciseaux, pour l’avenir, sont aiguisés ou émoussés.

Ces outils de régulation seront confiés au Gouvernement sous le contrôle du Parlement : il s’agit d’une première étape, et elle est essentielle.

Ensuite, la résolution des crises, car personne n’imagine qu’elles soient à jamais bannies. Je nous invite donc à mieux examiner les testaments bancaires, à en faire peut-être à l’avenir – ce serait une autre étape – une épée de Damoclès pour tous ceux qui voudraient jouer avec la société mère. Puisque le périmètre des filiales reste encore modeste, ne laissons pas les créanciers de la banque principale à l’abri, notamment ses créanciers seniors ; ce sera l’objet d’une étape ultérieure.

Nous traiterons également de la prohibition des activités toxiques : c’est la part d’ombre des activités bancaires, que M. Éric Woerth a lui-même évoquée tout à l’heure. Cette part n’est pas pénalement répréhensible, mais elle est terriblement déstabilisatrice pour l’économie. Le trading à haute fréquence et les spéculations sur les matières premières agricoles sont de cette espèce-là. Nous pouvons mieux faire ; les organisations non gouvernementales nous y invitent à juste titre. Il faudra dans le débat éclairer cette question.

Par ailleurs, concernant les paradis fiscaux, je voudrais rappeler que nous avons engagé cette bataille ici même, il y a treize ans, avec les magistrats de l’Appel de Genève, et avec une mission d’information parlementaire que conduisaient Vincent Peillon et Arnaud Montebourg. Ils avaient mis en lumière ces trous noirs de la finance mondiale, qui constituent aussi des paradis bancaires et judiciaires.

Nicolas Sarkozy, lui, était revenu du G20 avec un sabre de bois et des phrases ronflantes. « Les paradis fiscaux, c’est fini ! » : combien de fois ne l’avons-nous entendu !

Des sentinelles citoyennes sont nées parce que la politique spectacle – la vôtre ! – n’était pas à la hauteur. Ces sentinelles ne sont pas toutes socialistes : je pense à Denis Robert, à Eva Joly, à Finance Watch, au Comité catholique contre la faim et pour le développement, et à bien d’autres.

Notre majorité s’honore de voter un amendement de transparence, qui fait date, et que nous avons collectivement inspiré et défendu, avec notre collègue Dominique Potier et le groupe écologiste. Nous engagerons donc la sortie progressive des banques françaises des liaisons dangereuses avec les paradis fiscaux : ce combat mobilise toute la gauche.

Enfin, pouvions-nous délaisser la banque de tous les jours ? Évidemment non. La banque, c’est aussi l’agence au coin de la rue, la vie quotidienne des Français. L’amendement que je défendrai au nom du groupe socialiste propose un bouclier bancaire : celui qu’exige la précarité du salariat, et qui doit permettre, avec d’autres mesures, de rééquilibrer les rapports très déséquilibrés entre les banques et leurs clients.

Mes chers collègues, voilà une belle journée comme nous les aimons. Une belle victoire cet après-midi pour l’égalité des droits, avec le vote de la loi sur le mariage pour tous, une belle bataille ce soir pour que la démocratie affirme ses buts et ses lois face au marché financier : cette journée valait d’être vécue pour chacun d’entre nous, et pour la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki.

M. Pascal Cherki. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le moment tant attendu est enfin arrivé. Par cette loi, la France pose la première pierre de la nécessaire régulation des activités bancaires en Europe, afin d’éviter que se reproduise demain sur notre continent une nouvelle crise financière dont non seulement nos banques mais également nos économies éprouveraient les plus grandes difficultés à se relever.

C’est une œuvre difficile à laquelle se sont attaqués le Président de la République et le Gouvernement, avec le soutien de la majorité.

Difficile, car il s’agit de remettre de l’ordre dans un système bancaire qui a profondément évolué et s’est complexifié depuis le début des années 1980, et qui a débouché, en France, sur la constitution d’un nouveau modèle bancaire articulé autour de banques dites universelles.

Ces quelques grandes banques ont atteint une taille importante et sont devenues des acteurs de premier plan de la finance mondiale. Mais leur résilience n’est pas aussi forte qu’elles le prétendent, et leur affaissement provoquerait à n’en pas douter une crise systémique de nos marchés financiers. Cette situation de fait, monsieur le ministre, est le produit dialectique de l’adaptation des banques françaises au gigantesque mouvement de libéralisation, de décloisonnement et de globalisation des marchés financiers.

Certaines de nos banques se sont lancées à corps perdu dans ce maelström et ont grossi pour devenir, à l’instar de BNP Paribas et de la Société Générale, des multinationales de la finance mais aussi de la spéculation.

Les réguler n’est pas chose aisée car leurs activités mêlent, imbriquent même, des activités utiles au financement de l’économie et des processus hautement spéculatifs dans cette économie de casino qu’est devenu le capitalisme financier transnational.

L’on comprend mieux pourquoi elles se sont arc-boutées pour que le changement législatif soit le plus minime possible, usant de tous les relais que leur confère leur immense force de lobby, qui déploie ses ramifications jusque dans les plus hautes sphères des pouvoirs publics.

La deuxième difficulté est de réaliser cette réforme les premiers en Europe ; c’est un facteur qu’il ne faut pas négliger. Nous avons à faire une réforme, tout en sachant que l’Europe a mis en chantier une réforme globale qui devra déboucher le plus rapidement possible sur de nouvelles mesures à l’échelle de notre continent.

Le Gouvernement se devait donc de présenter un projet de loi suffisamment ambitieux pour ne pas offrir de point d’appui à celles et ceux qui souhaitent que rien ne change en Europe, tout en veillant à ne pas non plus isoler la France au regard du processus à conduire sur notre continent. C’est le sens de votre projet de loi qui a choisi la filialisation plutôt que la séparation, s’inscrivant ainsi dans les pas du rapport Liikanen, qui servira de base à la future réforme bancaire européenne.

Nous en avons pris acte, mais nous avons aussi souhaité donner chair à cette filialisation, afin de permettre qu’elle se déploie dans le temps et que, au fur et à mesure, les pouvoirs publics soient en mesure de verser dans cette filiale les activités hautement spéculatives, sans intérêt réel pour le financement de l’économie et présentant au contraire un danger pour la stabilité du système financier.

Ce fut l’objet d’échanges intenses entre les députés socialistes et le Gouvernement, échanges qui ont débouché sur un compromis représentant une réelle amélioration au regard du projet initial, tel qu’il nous avait été soumis en commission des finances.

Nous vous offrons la possibilité de mieux encadrer à l’avenir les activités de tenue de marché, et nous veillerons avec attention, monsieur le ministre, à ce que vous fassiez l’usage le plus dynamique possible de ce nouveau pouvoir de régulation que nous vous avons confié.

La deuxième grande avancée obtenue par les députés socialistes, écologistes et du Front de gauche concerne l’obligation désormais assignée aux banques de publier un certain nombre d’informations sur leurs activités dans tous les pays. C’est une première en France et, je le crois, dans le monde, un pas important vers la transparence nécessaire sans laquelle la mobilisation contre les paradis fiscaux restera un mot creux.

Ces paradis fiscaux, qui ne sont pas que de petits pays – certains ont table ouverte en Europe et au G20 –, constituent le cancer de l’économie moderne. Ils recyclent l’argent sale du blanchiment. Ils concourent à l’évasion fiscale et représentent une perte considérable de recettes budgétaires, laquelle doit être assumée par les citoyens du monde entier, appelés à équilibrer les finances publiques par leurs contributions.

Avec ce projet de loi, nous effectuons un premier pas utile et important vers une plus grande transparence, réclamée à cor et à cri depuis des années par les ONG et les forces progressistes. Nous pouvons cependant aller plus loin dès aujourd’hui en intégrant le critère de la connaissance des impôts versés par les banques, critère que vous n’avez pas, à ce stade, accepté de faire figurer dans votre texte.

Ce projet de loi, déjà utilement modifié en commission des finances, peut encore être amélioré par nos échanges sur les nombreux amendements que nous avons déposés pour la séance. Hedge funds, trading à haute fréquence, frais bancaires, plus grande transparence sur les paradis fiscaux : d’autres améliorations peuvent sortir de nos débats.

Ces améliorations, qui s’ajouteront à celles, considérables, déjà obtenues, nous permettront de voter ce projet de loi non seulement avec raison mais aussi avec la conviction qu’à défaut de la réforme radicale de séparation des activités bancaires que d’aucuns escomptaient, mais qu’il est très difficile d’accomplir d’un coup, nous aurons néanmoins fait œuvre utile et novatrice dans un processus de régulation qui ne fait que commencer en France et en Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de féliciter le Gouvernement pour ce que ce projet de loi n’est pas ! Chacun garde à l’esprit, en effet, les déclarations qui avaient été celles, il y a un an, de M. François Hollande, alors candidat à la présidence de la République. Prenant des accents presque guévaristes, comme pour lever le poing gauche, M. Hollande déclamait, dans l’une des envolées de son discours du Bourget : « Mon adversaire, mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne : cet adversaire, c’est le monde de la finance. »

M. Jean-Luc Laurent. Vous n’avez pas le ton !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. C’est du théâtre amateur !

M. Guillaume Larrivé. Cette pétition de principe avait été redoublée d’un engagement précis, le septième, pris devant les Français : « Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives. »

Pris au pied de la lettre, cet engagement présidentiel aurait dû conduire le Gouvernement à nous présenter un véritable Glass-Steagall Act, cassant les banques françaises en deux. Mais tous les navigateurs savent qu’en mettant un coup de barre à gauche, on se dirige vers la droite. C’est ce qui vous est arrivé, monsieur le ministre de l’économie et des finances : votre projet de loi s’en est trouvé, fort heureusement, recentré. Tel qu’il a été adopté par le conseil des ministres et présenté au Parlement, ce projet de loi n’est pas la traduction législative littérale des engagements virtuels pris par le Président de la République. Le Gouvernement a commencé à atterrir dans le monde réel.

Mais – et c’est ma deuxième remarque –, les amendements que votre majorité composite vous a imposés fragilisent le projet de loi et vont affaiblir le système bancaire français. N’en déplaise aux composantes les plus à gauche de votre majorité, le modèle des banques « universelles » à la française, qui emploient quatre cent mille salariés, a fait ses preuves. Nos grandes banques, solides et peu nombreuses, d’envergure mondiale et aux activités diversifiées, ont su absorber les chocs des dernières années sans le concours de fonds publics autres que des prêts remboursés : je rappelle que, contrairement aux allégations fallacieuses de l’opposition de l’époque devenue majorité, les gouvernements de Nicolas Sarkozy n’ont jamais fait un quelconque « cadeau » aux banques, puisque les prêts consentis en 2008 ont rapporté à l’État quelque 1,3 milliard d’euros.

Cinq ans après le déclenchement de cette crise financière d’ampleur inégalée, le cantonnement de certaines activités bancaires dans des filiales ad hoc peut être envisagé, mais à deux conditions : être très limité et être coordonné avec nos différents partenaires et concurrents européens.

Tel qu’a évolué le projet de loi en commission, ces deux conditions ne sont, aujourd’hui, plus tout à fait réunies. L’amendement de Mme Berger ouvre la voie à un élargissement aléatoire du périmètre des activités de tenue de marché cantonnées.

Mme Karine Berger, rapporteure. Un élargissement brownien !

M. Guillaume Larrivé. Certaines de ces activités participent, qu’on le veuille ou non, à la compétitivité des banques et, par là même, à leur capacité à soutenir l’investissement et donc la création d’emplois.

Quant à l’amendement du groupe écologiste, il va, plus encore, faire peser sur les banques françaises des obligations de publication qu’aucune autre banque au monde n’a à assumer. Vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu, monsieur le ministre, dans votre entretien publié hier dans un grand journal du soir : « La portée de cet amendement est considérable. Nous allons être le premier État au monde à obliger ses banques à publier, pour tous les pays, chiffres d’affaires et effectifs. » Je vous pose quant à moi une question simple : en quoi croyez-vous que cette première mondiale, cette sorte de record, va faciliter, en France, l’investissement des entreprises et la création d’emplois ? Nous connaissons, hélas, la réponse : l’enfer est pavé de bonnes intentions, et ces amendements d’apparence généreuse vont affaiblir les banques françaises et l’économie nationale.

Fragilisé par les amendements imposés par votre majorité, votre projet de loi souffre d’un défaut principal : son tempo. Chacun sait en effet que les instances européennes préparent, à la suite du rapport Liikanen, une directive pour 2013, avec, selon Michel Barnier, le souci de ne pas « pénaliser les banques quand elles travaillent pour le bénéfice de l’économie et de l’industrie ». Est-il opportun de légiférer dès maintenant en France, en amont du nouveau cadre européen ? Pour le dire plus directement : dans la compétition européenne et mondiale, est-il bien raisonnable d’être les seuls, dès 2014, à s’attacher des boulets aux pieds ? Nous ne le pensons pas.

L’urgence, monsieur le ministre, n’est pas de construire une régulation d’apparence vertueuse, mais de faciliter concrètement l’accès au crédit pour les entreprises, en particulier les PME et les TPE, qui sont le moteur de la création d’emplois. Votre projet de loi ne comporte aucune mesure susceptible de répondre à leurs attentes ; c’est pourquoi nous nous y opposons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la personne qui vous parle est un « trublion » – et je regrette que François Baroin ne soit plus là pour entendre ce que j’avais à lui dire.

M. Razzy Hammadi. Un aiguillon !

M. Dominique Potier. Un trublion qui n’a pas eu la chance dans sa vie de fréquenter les puissants ou les savants. J’ai fait peu d’études, mais j’ai toujours été un militant paysan, et c’est autour de cette militance que j’ai pu voyager dans le monde, rencontrer d’autres militants paysans. Ce dont je vais vous parler est nourri de cette expérience.

Paroles de trublion, donc : notre adversaire, c’est la misère ! Quand elle est le fruit de la désinvolture ou de la paresse, il faut la combattre par l’effort ; quand elle est le fruit d’une nature hostile, d’un corps meurtri ou d’un esprit chagrin, notre combat s’appelle fraternité. Mais lorsque que la misère est la conséquence d’un désordre structurel, c’est la révolte qui nous guide : la misère crie justice !

Les paradis fiscaux sont le creuset de l’évasion fiscale, de la concurrence faussée, du blanchiment, de la corruption et des spéculations folles. Ils minent l’économie réelle, celle qui nourrit et soigne le monde, donne du travail, celle qui demain devra investir dans la transition énergétique. Ils sont un scandale pour l’éthique républicaine, un gouffre pour les comptes publics, un enfer pour les populations les plus fragiles de la planète – j’en ai été témoin.

Le jeu est truqué, et ce sont désormais 50 % des échanges mondiaux qui transitent par la finance offshore en des contrées qui ne pèsent que 3 % du produit mondial brut. Un jeu de cache-cache géant auquel s’adonnent les douze premières compagnies financières européennes, avec un quart de leurs filiales – cinq cent quarante-sept sont « françaises » : c’est 10 % de plus qu’en 2010. Elles tirent parti du désordre du monde et l’accentuent en s’affranchissant des règles élémentaires du juste échange : le respect du producteur et le respect de l’impôt.

Oui, le jeu est truqué, et aucun langage techno ou abscons ne peut dissimuler la triste évidence, et le ressort primitif qu’est l’appât du gain. La modernité a simplement donné à l’effet papillon la vitesse du trading haute fréquence.

Ce libéralisme fou, sans foi ni loi, est une forme de barbarie, car l’opacité de certains eldorados fait courir à nos établissements bancaires un risque majeur : franchir la frontière fragile qui les sépare de l’argent criminel, celui de la drogue et du terrorisme.

L’évasion fiscale, c’est au bas mot 50 milliards d’euros pour la France, soit peu ou prou le budget de l’éducation nationale et assez, partout ailleurs, pour vaincre la faim.

Alors oui, bien sûr, il faut lutter contre l’ordinaire : fraudes fiscales, sociales et autres tricheries malheureusement banales. Mais le respect de nos principes, comme le souci de l’efficacité, exige pour le moins que la grande fraude soit combattue avec la même énergie, pour la santé de nos économies et le sens civique, autrement dit pour le moral de nos concitoyens.

Notre vie publique, son commun comme son esprit, est comme un tonneau qui perdrait son eau par de multiples trous. Tous doivent être colmatés… mais la sagesse ne commande-t-elle de commencer par ceux qui sont les plus gros et les plus bas ?

Combien de déclarations enflammées depuis vingt ans ? Combien de résolutions internationales et de projets de loi inaboutis ? Souvenons-nous des grandes voix qui se sont exprimées ici même et de l’espérance que suscita la promesse de celui qui est devenu notre Président. La sincérité n’est pas en cause, mais chaque fois on hésite, on tergiverse, jusqu’à dresser une liste des États et territoires non coopératifs qui ne touche aujourd’hui que 0,1 % de la cible…

M. Razzy Hammadi. Très bien !

M. Dominique Potier. Toutes mesures gardées, j’imagine sans peine que le même dilemme a saisi les pionniers de l’abolition de l’esclavage au xixe siècle. Il s’agissait de rompre avec un système économique bien établi : commerce triangulaire, maîtrise des coûts de production, risque de concurrence de nouveaux pays producteurs de coton et puis, à coup sûr, un sacré handicap pour le premier pays qui désarmerait unilatéralement. Ces arguments savants des notables et des puissants, leur « réalisme » n’ont pas tenu face à l’humble et irréductible vérité de la dignité humaine. Il y a des choses qui ont un prix et d’autres qui n’en ont pas !

Les ONG sont la voix des sans voix, la capacité d’agir de ceux qui n’ont pas d’actions. Pour sortir de l’impasse, elles proposent d’initier un cercle vertueux : mettre en mouvement le triptyque société civile-État-entreprise.

Premier pas : au législateur, a minima, de mettre, dès à présent, en lumière les trous noirs de la finance. Deuxième pas : aux citoyens ainsi éclairés de choisir leur modèle de développement, en séparant le bon grain de l’ivraie. Ces pas franchis, le temps viendra de l’interdit en France, en Europe et dans le monde.

Si nous voulons vraiment réformer les paradis fiscaux, il faut franchir aujourd’hui un vrai pas, avec des critères de transparence pertinents et en identifiant les pratiques spéculatives sur les matières agricoles et alimentaires, parce que celles-ci sont un des biens communs les plus précieux pour la génération à venir. Le temps est venu. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Bravo !

M. Pierre Lellouche. Utile et rafraîchissant !

M. le président. La parole est à Mme Sandrine Mazetier.

Mme Sandrine Mazetier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est doublement à l’avant-garde.

Il l’était d’emblée parce que la France est le premier pays à légiférer sur un secteur économique qui a conduit le monde au bord du gouffre en 2008, avec une crise dont notre pays, notre continent et notre monnaie subissent encore les conséquences aujourd’hui. Rappelez vous : il fallait agir, il fallait sévir. Chacun l’a dit sur tous les tons, dans toutes les langues, de G20 en sommet européens.

La France le fait aujourd’hui. Elle passe de la parole aux actes pour son secteur bancaire, qui n’est ni un nain financier à l’échelle internationale, ni un nain économique à l’échelle nationale. Ce que nous faisons aujourd’hui, ce n’est pas rien !

Oui, notre pays décide de séparer les activités bancaires utiles et même indispensables au financement de l’économie réelle des activités de marché qu’une banque mène pour son propre compte. Cette mesure sera effective dès 2015 et non pas, éventuellement, en 2020, comme nos voisins grands-bretons en ouvrent très hypothétiquement la perspective.

Le secteur bancaire doit être au service de l’économie et non l’inverse. C’était l’engagement du candidat François Hollande que beaucoup ont écouté pendant la campagne présidentielle. C’est le sens de ce projet de loi qui crée de nouvelles obligations pour les banques, donne de nouveaux pouvoirs au régulateur et à l’État, et protège les épargnants et les contribuables.

Nous souscrivons d’autant plus à ce texte, monsieur le ministre, que vous avez accepté la proposition que nous vous avons faite, nous socialistes, derrière l’excellente et tenace rapporteure Karine Berger : ce sera l’État, et non les banques, qui définira les activités de tenue de marché, et vous, monsieur le ministre, pourrez à tout moment, avec la souplesse et le « sur mesure » nécessaires, décider de faire basculer dans la filiale cantonnée les activités qu’une banque aurait abusivement ou dangereusement laissées dans la maison mère.

C’est une décision fondamentale, et je comprends qu’elle ne plaise pas à nos collègues de la droite : elle met en œuvre la responsabilité politique au sens le plus noble du terme, celle d’un État stratège que nous appelons de nos vœux, celui qui ne substitue pas, mais qui oriente, impulse, contrôle et protège.

J’avoue ne pas comprendre le plaidoyer, que je sais pourtant sincère, de certains qui voudraient que l’on ampute totalement les activités de marché de celles de dépôt. Serait-il souhaitable pour la gauche, et en tout cas pour la gauche du redressement productif, d’adhérer à un modèle où, dès lors que les dépôts des particuliers seraient garantis, le politique serait quitte et se désintéresserait complètement du fonctionnement des marchés de capitaux, des marchés obligataires, où se jouent chaque jour des emprunts décisifs pour les investissements de nos grands groupes, de nos entreprises de taille intermédiaire et de nos PME ?

Le Gouvernement a préféré la voie plus pragmatique et plus sûre de la filialisation-séparation. En terme de protection, le résultat est le même et c’est l’essentiel.

Ce texte est également avant-gardiste en ce qu’il introduit de la transparence dans le mécanisme et renforce par là même la lutte contre les paradis fiscaux, si du moins tous les amendements sont adoptés.

Chaque année, comme je le demandais avec beaucoup de socialistes, et même dès cet exercice, ainsi que l’ont intelligemment proposé nos amis écologistes, les banques devront publier la nature de leurs activités, leurs effectifs et leurs produits nets bancaires pour chaque pays où elles sont présentes directement ou via une filiale. C’est une avancée majeure dont, naturellement, la droite ne voulait pas, et qui place la France à l’avant-poste de la bataille de la régulation financière. Nous invitons tous les parlementaires du monde et, à tout le moins, nos honorables partenaires d’outre Manche, d’outre Rhin et d’ailleurs en Europe à faire de même.

Enfin, je veux saluer, monsieur le ministre, l’action résolue que vous engagez pour protéger les clients des banques, et pas seulement les plus fragiles. Vous avez accepté un amendement socialiste qui tend à plafonner pour tous les particuliers les commissions d’intervention et grâce auquel nous pourrons casser l’infernale spirale du découvert dans laquelle se débattent nombre de nos concitoyens. Je vous en remercie au nom de tous ceux que nous recevons dans nos permanences, comme je vous remercie d’avoir été sensible aux amendements que j’ai portés, avec d’autres, pour aider, face à leurs banques, les 2,7 millions de TPE et travailleurs indépendants, soit 97 % des PME françaises, dont on ne parle jamais, ou si rarement.

Vision, action, protection : pour toutes ces raisons et bien d’autres, nous voterons ce texte avec fierté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Nous venons d’entendre les propos émouvants de M. Potier qui se présentait comme un trublion. Souffrez que je me présente comme un homme libre, de tradition gaulliste, un peu professeur, comme M. Muet, et riche d’une longue expérience internationale. Ma contribution sera peut-être un peu différente de ce que vous avez entendu dans les rangs de l’UMP mais connaissant votre ouverture d’esprit, monsieur le ministre, elle éclairera peut-être aussi les débats.

Je partirai moi aussi des propos, pour le coup historiques, que M. Hollande tint le 22 janvier 2012, et en particulier de cette fameuse envolée sur l’adversaire sans nom, sans visage, sans parti, qui ne présentera jamais sa candidature aux élections mais qui, pourtant, gouverne. Il poursuivait en déclarant : « Maîtriser la finance commencera ici par le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives. Aucune banque française ne pourra avoir de présence dans les paradis fiscaux. Les produits financiers toxiques, c’est-à-dire sans lien avec les nécessités de l’économie réelle, seront purement et simplement interdits. Les stocks options seront supprimés. Et les bonus encadrés ».

Quand on relit, monsieur le ministre, les propos du candidat Hollande, sur le refus de l’ « austérité imposée par l’Europe », le refus du Traité de stabilité financière européen qu’il entendait « renégocier », sa promesse solennelle de forcer l’Europe à adopter un plan de relance ambitieux par l’augmentation des dépenses publiques, quand on relit tout cela, et que l’on fait les comptes un an plus tard, l’on a envie de dire : « le changement c’est vraiment maintenant » ! Car qu’avez-vous fait en effet ?

Tout d’abord, le Traité européen de stabilité financière, vous l’avez ratifié, à la virgule près, grâce à notre aide.

Les fameux eurobonds brandis tout au long de la campagne se sont évaporés, tout comme votre fameux plan de relance de 120 milliards d’euros annoncé à grand renfort de publicité.

M. Razzy Hammadi. C’est faux !

M. Pierre Lellouche. Et c’est le président François Hollande lui-même qui a dû ce week-end concéder publiquement une défaite française sans précédent à Bruxelles face au couple Cameron-Merkel, puisque jamais aucun budget européen n’avait connu jusqu’ici une baisse de 50 milliards d’euros, qui frappe précisément tous les secteurs de la relance : la recherche, les transports, l’énergie, l’espace...

Quant à cet adversaire désigné qu’était la finance, votre texte offre là aussi l’exemple d’une magnifique reculade devant la « finance triomphante » qui, si elle est trop habile pour se réjouir publiquement aujourd’hui, doit se dire en aparté que comme d’habitude, et je l’ai entendu, on ne gagne jamais autant d’argent, quand on est banquier ou spéculateur, que lorsque la gauche est au pouvoir.

M. Guénhaël Huet. Vérité historique !

M. Pierre Lellouche. M. Hollande avait promis de séparer strictement les activités de dépôt des activités de banque d’affaires et de spéculation qui y sont liées, et voici que votre montagne accouche d’une toute petite souris.

Vous-même, monsieur le ministre, vous vous présentez dans les colonnes d’un journal du soir daté d’hier en avocat zélé et défenseur de la banque française et de ses 400 000 emplois. Je vous cite : « Si j’avais été convaincu qu’il fallait un Glass-Steagall Act français, je l’aurais fait ». Mais vous ajoutez de façon surprenante et au mépris des faits : « La crise l’a démontré, la séparation n’est pas une garantie contre une intervention de l’État auprès des banques ». Et de conclure : « Aucune formation politique, aucun syndicat ne la voulait. J’assume ce choix ».

Vous ajoutez en reprenant l’argumentaire des milieux bancaires français : « Nous avons un modèle bancaire qui combine banque de dépôt et banque d’investissement, qui a mieux résisté que d’autres. Pourquoi l’affaiblir en créant des banques de dépôt privées d’accès aux financements de marchés, et des banques d’affaires moins compétitives, de taille réduite ? »

Je vais vous faire une confidence, monsieur le ministre : lorsque j’étais à Bercy, au milieu de cette crise, à un poste certes moins éminent que le vôtre, j’avais proposé au Gouvernement et au Président de la République de l’époque d’introduire dans notre droit une loi Glass-Steagall à la française. Immédiatement, je me suis vu opposer par les milieux concernés l’argumentaire que vous développez aujourd’hui.

Et l’argument est, en effet, en partie fondé : oui, les banques françaises ont mieux résisté que les autres. Mais elles n’en ont pas moins bénéficié d’une injection massive de plus de 26 milliards d’euros d’argent public au plus fort de la crise, précisément parce que le risque systémique était là, chez nous aussi, et que le président Sarkozy n’avait qu’une idée : stopper la contagion et sauver les épargnants français.

Oui, ces banques existent au premier rang à l’international parce qu’elles mêlent les deux métiers et qu’une séparation absolue renforcerait sans doute les banques d’affaires américaines, alors même que ni les États-Unis sous Obama avec la loi Dodd-Franck, ni les Allemands n’ont procédé à pareille réforme.

Mais oui également, et c’est sur ce point que je ne partage pas votre avis, ni celui d’un certain nombre de mes éminents collègues de l’UMP, seule la séparation totale entre les activités de dépôt et les activités de marché, par essence spéculatives, est susceptible de protéger la collectivité et l’économie française du risque systémique qu’engendrent les pratiques actuelles de la finance internationale. Sans cette séparation, c’est le contribuable qui, en définitive, vient au secours des banques, selon la formule des Américains : « Main Street vient au secours de Wall Street ». C’est parce que ce système tend à privatiser les profits et à nationaliser les pertes que Roosevelt avait fait adopter la loi Glass-Steagall en 1933, qui devait ensuite être annulée sous Ronald Reagan.

M. le président. Il faut conclure à présent.

M. Pierre Lellouche. Un dernier mot, s’il vous plaît, pour citer l’excellent rapport de Mme Berger.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Il y a vraiment unanimité sur ce point.

M. Pierre Lellouche. C’est vrai, votre rapport est très bon, en tout cas sur le diagnostic qu’il pose.

Mme Berger énumère les quatre objectifs de ce projet de loi.

Le premier serait d’« éviter de se retrouver dans la situation de 2008, c’est-à-dire dans une situation où le paysage n’est composé que de banques systémiques, c’est-à-dire de banques dont la faillite entraînerait une crise majeure voire une récession pour l’économie toute entière » – les chiffres que nous avons entendus sont inquiétants.

Le deuxième serait d’ « éviter que l’argent public ne soit mobilisé pour sauver des activités qui n’ont rien à voir avec le financement de l’économie réelle », car elles sont spéculatives.

Le troisième serait de « préserver l’argent des épargnants ».

Le dernier serait de « financer l’économie réelle ».

M. le président. Veuillez conclure à présent.

M. Pierre Lellouche. Puisque le temps me manque, je dirai juste que, après avoir étudié dans le détail votre projet, monsieur le ministre, et sans a priori idéologique, qu’il ne change fondamentalement rien à la maladie du capitalisme-casino…

M. Pierre-Alain Muet. Mais bien sûr que si !

M. Pierre Lellouche. …ni en termes nationaux ni en termes internationaux. J’en veux pour preuve d’ailleurs des réflexions de personnalités comme MM. Volcker, Liikanen ou Vickers.

M. le président. Vous avez dépassé de deux minutes votre temps de parole.

M. Pierre Lellouche. Je suis donc amené à critiquer votre texte même si, d’une certaine manière, il va dans la bonne direction

M. le président. La parole est à M. Laurent Grandguillaume.

M. Laurent Grandguillaume. Ce projet de loi s’attaque véritablement à la spéculation financière qui, dans un tourbillon international, dans la multitude des excès, nous a menés à la crise mondiale de 2008, de l’affaire Madoff aux parachutes dorés.

Cette crise n’est peut-être pas derrière nous, d’ailleurs, comme l’a souligné notre excellent collègue Dominique Lefebvre dans une tribune publiée aujourd’hui, car l’encours total des produits dérivés s’élèverait à 708 000 milliards de dollars, n’en déplaise à l’opposition dont l’échec a été patent. Il est d’ailleurs parfois bon de faire quelques rappels, tant nos collègues semblent frappés d’une profonde amnésie.

Après M. Lellouche, à mon tour de faire quelques citations : « Les ménages français sont aujourd’hui les moins endettés d’Europe [...] Je propose que ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement. Il faut réformer le crédit hypothécaire. Si le recours à l’hypothèque était plus facile, les banques se focaliseraient moins sur la capacité personnelle de remboursement de l’emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué. » Ces mots sont de celui que vous avez soutenu sans retenue, sans recul, vous laissant parfois porter par ses idées les plus réactionnaires. Vous aurez bien sûr reconnu Nicolas Sarkozy qui défendait tout simplement pour la France la mise en place des subprimes à l’aube de la crise.

Finalement, la crise aura eu comme seul bienfait de nous faire échapper à vos expériences financières d’apprentis sorciers, car vous avez dû faire machine arrière. Vous vous êtes ensuite autoproclamés pourfendeurs de la finance, un peu comme des pompiers pyromanes qui auraient perdu leur boussole, celle de l’hyperlibéralisme que vous avez rapidement retrouvée, vous qui défendez tant l’ordre naturel.

Il s’agit donc bien aujourd’hui, à travers ce projet courageux, de moraliser la finance sur le plan national. Nous sommes précurseurs en Europe. Depuis vingt ans, aucun gouvernement n’est allé aussi loin pour réformer durablement le monde de la finance.

Ce projet créé de nouvelles obligations pour les banques et les assurances et protège les épargnants. Il sépare les activités spéculatives de celles qui sont utiles à l’économie afin que les citoyens ne soient plus les victimes collatérales des activités à haut risque des banques.

Alors, reconnaissez au moins le courage du Gouvernement qui s’est engagé sur la voie de la réforme …

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela s’appelle de la communication !

M. Laurent Grandguillaume. …pour protéger les dépôts des simples épargnants et l’argent du contribuable. Ce n’est pas à l’État de venir au secours de banques qui auraient joué indûment sur les marchés.

Les activités spéculatives seront cantonnées dans une filiale séparée. Cette filiale, en cas de faillite, ne mettra pas en péril la maison mère ni les dépôts. Le trading à haute fréquence à des fins spéculatives et la spéculation sur les matières premières agricoles seront interdits. Comme l’ont dit certains de nos collègues, il faut être attentifs aux discours des ONG. En effet, dans le monde, la liste des émeutes de la faim n’a cessé de s’allonger ; 2,6 milliards d’euros, c’est aujourd’hui le montant investi par les banques françaises dans des produits dérivés agricoles. Et seuls 2 % des contrats à terme sur des matières alimentaires aboutissent à des livraisons de marchandises. Je sais que nos collègues Jean Launay et Nicolas Sansu y sont particulièrement sensibles et que cette question mérite d’être portée au plan international par la France parce que c’est seulement à ce niveau que l’on pourra la régler.

M. Guillaume Larrivé. Ce que le texte ne fait pas !

M. Laurent Grandguillaume. Comme le disait Jean Jaurès, un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. Laurent Grandguillaume. Cette réforme vise à instaurer un contrôle préventif des risques pour chaque banque et pour le système financier dans son ensemble. Elle va mettre en œuvre des mesures de protection des consommateurs, concernant notamment les commissions d’intervention. Je sais que nombre de nos collègues de la majorité ont déposé des amendements utiles en la matière. Des amendements intéressants ont également été déposés concernant la lutte contre les paradis fiscaux, la possibilité donnée au ministre de plafonner la taille de certaines activités au sein de la maison mère ou encore le pouvoir du régulateur. J’espère que ces amendements seront adoptés grâce à la mobilisation de tous.

Certains de nos collègues auraient voulu aller plus loin, avec une séparation totale, mais cela ne supprimera pas l’existence des banques de marché ; le risque systémique serait toujours là.

Je crois qu’il faut défendre, au plan européen comme au plan international, un changement majeur du système financier. En effet, chacun, aujourd’hui, peut créer des holdings qui réinvestissent dans d’autres holdings et qui prennent des risques inconsidérés. Notre initiative ne doit pas être isolée, elle doit être portée au niveau européen et international. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, puisque les références littéraires ont été à l’honneur lors de la séance de questions au Gouvernement et même un peu après, je vais, moi aussi, me permettre de vous en citer quelques-unes.

« Il s’agit là vraiment d’une lame de fond. En vain la Réserve fédérale a essayé de se mettre en travers en élevant le taux de l’argent. En vain, les banquiers, le grand nombre d’agents de change et la plupart des chefs d’industrie ont-ils essayé de faire entendre la voix du bon sens.

«Toutes les barrières ont été emportées… »

« Naturellement l’argent qui sert à spéculer doit être pris quelque part. Il est pris dans les caisses des banques. Il est pris dans l’épargne, dans les économies, dans la restriction des dépenses de la vie normale ».

Ces phrases auraient pu être prononcées en 2008. Elles l’ont été bien plus tôt, il y a quatre-vingt-cinq ans, en 1928, avant le fameux krach qui a secoué l’Amérique en 1929. Elles n’émanent pas d’un économiste, monsieur Pierre-Alain Muet, mais d’un dramaturge diplomate, Paul Claudel, qui regardait, lui aussi, avec justesse le monde qui l’entourait.

La question soulevée est celle de la digue : dans une crise financière, le danger, c’est l’emballement, car dans ce cas, le bilan bancaire devient une courroie de transmission. Soit on la contrôle, soit on la laisse filer, et l’emballement se propage alors à l’économie entière. La crise financière a commencé aux États-Unis en partant de l’immobilier, avec les subprimes. Il n’y a rien de moins délocalisable que l’immobilier, rien de moins « mondialisable ». Et pourtant cette crise non mondialisable a allègrement traversé l’Atlantique.

Mes chers collègues, Pierre-Alain Muet l’a rappelé, ainsi que Mme la rapporteure, chaque réforme a façonné le secteur bancaire.

J’évoquerai, bien sûr, le Glass-Steagall Act. Vous l’avez rappelé, monsieur Muet, il y a eu aucune crise mondiale pendant le temps où le Glass-Steagall Act a été mis en œuvre.

Dans les années quatre-vingt, il y a eu une forte tendance à la dérégulation qui, en théorie, a ouvert de nouvelles possibilités de financement. Cela a sans doute permis un accès plus facile au crédit. Pour autant, lorsque le système s’emballe et que la courroie n’est plus contrôlée, on aboutit à la crise que nous connaissons depuis presque six ans maintenant.

La réforme que vous proposez, monsieur le ministre, et que nous portons aujourd’hui va contribuer à dessiner le monde bancaire de demain. Bien sûr, il y a Bâle III qui demande une augmentation des fonds propres et une gestion plus restrictive de la liquidité. Mais il n’y a encore rien eu visant à contrôler qui bénéficie de l’argent public – en apport de capital, en liquidité ou en garantie. C’est, je crois, l’objectif numéro un de ce projet de loi, même si Mme la rapporteure en a cité plusieurs : contrôler quelles activités l’argent public va aider et de quelle manière. Dans une République comme la nôtre, c’est le devoir absolu du législateur.

Cet objectif, c’est ce que visent les titres Ier et II du projet de loi.

J’évoquerai d’abord la séparation. Vous créez un nouvel outil, monsieur le ministre : des paires de ciseaux, pour reprendre les termes de Mme la rapporteure, un couteau de boucher pour certains, une digue pour ceux qui préfèrent les travaux publics. Vous cantonnez ainsi dans une filiale un certain nombre d’activités qui ne bénéficieront à aucun moment d’une aide publique en capital ou en liquidité en cas de crise. Tous les pays du monde qui ont commencé à réfléchir à l’organisation future à donner au système bancaire ont contourné la question de ce cantonnement de la tenue de marché. Avec vous, monsieur le ministre, nous sommes les premiers à porter cette réforme.

La question de la tenue de marché est cruciale, parce que, pour faire les meilleurs prix, mieux vaut avoir du stock. Le cœur de la question porte sur la taille du stock, et sur les gains ou les pertes qui peuvent résulter de la variation de prix de ce stock. C’est une question cruciale, parce que, dans les bilans bancaires, la taille des stocks peut devenir vertigineuse. C’est une question difficile qui a été longuement abordée en commission, car où fixer la ligne de fracture pour ne pas affaiblir notre économie, soit faute de financement suffisant par le marché, soit du fait d’un excès de liquidité qui emporte tout ? La solution proposée par ce projet de loi amendé par la commission des finances vise à permettre cette activité, tout en se donnant la possibilité de la limiter en cas de surchauffe.

La résolution est sans doute le point le plus difficile. Écrire son testament n’est jamais simple, puisque c’est se pencher sur sa propre mort. Dans le cas des banques, il faut aussi penser la résolution comme étant la conséquence de la mort d’un autre établissement, ou viser à organiser sa propre mort pour sauver tout le système. C’est un exercice de projection difficile, mais quiconque a vécu le fameux week-end des 13 et 14 septembre 2008, sait que c’est un exercice qui est devenu indispensable, et nous sommes, en France, les premiers à le proposer. Ce fameux week-end, les banques françaises s’en sont mieux sorties que beaucoup d’autres dans le reste du monde, parce qu’elles étaient moins risquées, moins exposées que d’autres. Pour autant, ce week-end a montré à chacun que la fin du monde pouvait être proche, et surtout que, dans un système imbriqué, il faut être capable de comprendre vite et bien la conséquence de ses actes sur les autres établissements et sur le système entier.

M. le président. Il faut conclure, madame Rabault !

Mme Valérie Rabault. Cette résolution, vous êtes, monsieur le ministre, le premier au monde à la porter. C’est véritablement un pas de géant, un pas difficile, mais un pas qui peut vraiment sécuriser le système.

Je terminerai par une citation de Keynes qui n’a pas écrit que sur la macroéconomie, mais aussi sur les marchés financiers : « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes.» (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la bonne heure ! Je n’avais jamais autant entendu parler de la crise par nos collègues socialistes que depuis le 6 mai dernier.

Aujourd’hui, comme par hasard, cela s’amplifie. Vous parlez d’une crise sans précédent. Ce n’est pas trop tôt d’entendre enfin la vérité sur cette crise que vous avez niée sous la précédente législature. Pourquoi y faites-vous enfin référence avec autant de force ?

M. Razzy Hammadi. Vous n’avez pas lu le discours du Bourget ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Eh bien, parce que vous commencez à percevoir que, dans l’euphorie de votre arrivée au pouvoir, vous n’avez pas pris le bon chemin ! Vous savez, ce fameux chemin normal, celui qui aurait dû vous amener sinon la croissance, au moins la confiance de ceux qui investissent, pour amorcer au moins dans les esprits un espoir de reprise.

Au contraire, vous avez choisi la voie de la dépense publique et de l’impôt. La seule chose normale dans notre République depuis le 6 mai dernier, c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui : perte de confiance du consommateur, inquiétude des salariés, fuite des investisseurs. Où est le service de l’économie réelle ?

Ce texte est un écran de fumée, un de plus, pour faire croire aux citoyens que Zorro est arrivé et qu’il va les sauver en s’attaquant aux méchantes banques, ambassadrices de l’ennemi numéro un de notre président que plus personne ne qualifie de « normal » : ce monde de la finance, de l’argent, qu’il déteste au point de le qualifier comme étant son seul ennemi.

Comment peut-on faire croire aux Français qu’on va les protéger en continuant à encadrer le travail au point de décourager ceux qui sont à leur compte ?

Si vous me le permettez, je vais me livrer à un petit zapping des engagements ratés dans le domaine de l’économie.

Le 5 juin, le Gouvernement s’attaque au régime de l’auto-entrepreneur.

Le 17 juillet, c’est la taxation des heures supplémentaires et la suppression de la TVA antidélocalisation.

Le 19 juillet, c’est le rétablissement des droits de succession. Pauvres artisans et commerçants et TPE qui auront travaillé toute leur vie, sans parler des salariés qui auront réussi à acheter leur maison !

Le 26 août, Arnaud Montebourg affirme que le nucléaire est une filière d’avenir, mais le Président ferme la centrale de Fessenheim.

Le 31 août, c’est le conflit d’intérêts lié au choix de la banque Lazard comme conseil pour la future banque des PME.

M. Razzy Hammadi. Calomnie !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pour quelqu’un qui n’aime pas la finance, il eût été plus judicieux de choisir un patron d’entreprise et mettre ainsi la finance au service de l’entreprise qui crée la richesse et permet de financer – en principe – tout le reste.

Le 18 septembre, la gauche envisage d’abroger le service minimum. Avec les grèves qui se profilent, qui va encore pouvoir aller travailler ?

Le 5 octobre, c’est le tour des « pigeons ». Ils empêchent les plus-values de cessions d’être imposées à 60 % par vous-même, monsieur le ministre !

M. Razzy Hammadi. Il faut mettre notre collègue Taugourdeau sur You Tube !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Quelques « pour cent » de plus et l’on pourrait croire que le monde du travail pourrait être votre ennemi numéro deux.

Le 30 octobre : dans la même journée, M. Ayrault se dit ouvert, puis hostile à un débat sur les 35 heures.

Le 6 novembre, c’est la supercherie du crédit d’impôt pour les entreprises, avec 20 milliards, un montant inférieur à celui des impôts votés depuis juin, et qui sera financé par une hausse de TVA – tiens, tiens... 

Le 19 novembre, premier avertissement : la France perd son triple A.

Le 27 novembre, les chiffres du chômage sont catastrophiques. Le changement de la courbe du chômage, ce n’est pas pour maintenant !

Mme Sandrine Mazetier. Vous repasserez le film ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. Le 7 décembre voit le fiasco de Florange, etc.

Oui, ça fait mal. Mais pourquoi ce zapping ? On pourrait me croire hors sujet. Non, car à la première page du rapport, il est écrit qu’il faut séparer les activités utiles au financement de l’économie des activités spéculatives. Mais de quelle économie parlez-vous ? Vous parlez de l’économie qui crée des emplois, mais c’est le travail qui génère les emplois. Or ce travail, vous ne cessez de l’encadrer, de le normer, de le ficeler.

J’en veux pour preuve la dernière annonce du Président : une loi sur les licenciements dans les entreprises rentables.

M. Jean-Luc Laurent. Excellente idée !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vous pensez encore aux entreprises du CAC 40 et vous allez bloquer la gestion des TPE et des PME. Ce n’est pas cela qui augmentera le nombre d’ETI.

Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis. Nous n’avons pas de leçons à recevoir !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Une entreprise, monsieur le ministre, n’est pas faite pour créer des emplois, mais pour générer du travail en faisant des profits qu’elle réinvestit pour grandir. Les emplois sont créés pour assurer la charge de travail. Plus il y a de travail, plus il y a d’emplois ! Plus il y a de travail, plus il y a d’investissements à financer ! Plus il y a de travail, plus il y a d’emplois qui financent les consommateurs ! Car ce sont les mêmes personnes qui ont un emploi et qui consomment !

Pour tout cela, on a besoin des banques. Mais votre texte leur impose plus de contraintes que Bâle III et avant tout le monde. Il ne règle pas la question des garanties drastiques pour obtenir un prêt, car pour prêter, les banques ont besoin de gagner de l’argent. Votre texte ne règle pas l’approche du consommateur face à une banque. Observez bien les publicités des banques, c’est le monde des Bisounours : tout semble si beau et si facile pour obtenir de l’argent !

Pendant ce temps, rien sur la guerre des monnaies ! Je n’ai rien entendu ce soir sur ce sujet. L’euro ? Circulez, tout va bien ! Alors que le Japon vient de lancer l’inflation pour payer sa dette. Vers où va-t-on exporter avec un euro aussi fort ?

Puis, dans ce texte, se glisse Groupama ! Heureusement que ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a glissé Groupama dans le projet de loi ! J’espère que vous en profiterez pour revoir les conditions de départ et les montants des jetons de présence.

Ce texte semblait partir d’un bon sentiment. Quelques dispositions sont finement exposées, mais il n’y a pas grand-chose de nouveau pour faciliter le redressement de notre économie et pour redonner le moral à tous ceux qui sont à leur compte.

J’espère, monsieur le ministre, que vous m’autoriserez à ne pas signer ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Bachelay.

M. Guillaume Bachelay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dérives bancaires peuvent laisser sans voix, elles n’auront pas raison de nous.

Le 23 octobre 2008, aux États-Unis, un mois après la faillite de Lehman Brothers, la commission de contrôle de l’action gouvernementale à la Chambre des représentants auditionna Alan Greenspan. L’exercice vira à la confession pour ce partisan de l’autorégulation et de l’efficience supposée des marchés. Parmi les aveux en cascade de l’ex-président de la Réserve Fédérale, j’ai relevé celui-ci : « J’ai fait, dit-il, une erreur en comptant sur l’intérêt privé des organisations, principalement des banquiers, pour protéger leurs actionnaires ». « Et leurs clients », aurait-il ajouté s’il avait recouvré tout son discernement.

C’est pour éviter la réédition d’une crise systémique pareille à celle de 2008, qui n’est hélas pas terminée, et pour éviter que l’ardoise en soit acquittée par les épargnants, les entreprises et les finances publiques que le Gouvernement a voulu le projet de loi dont nous débattons. Après la banque publique d’investissement, il est l’acte II d’une réorientation de la finance au service de l’intérêt général.

Il s’agit, monsieur le ministre, de tirer les leçons de l’expérience et de combattre les errements : argent facile, rendement maximal à court terme symbolisé par les LBO, modèles financiers aussi sophistiqués qu’aventureux prenant le pouvoir dans les salles de marchés, transfert du risque via la titrisation ou les CDS et finalement crise du système.

Qui a failli ? À coup sûr les banques, les hedge funds et les traders. Mais aussi, il faut le dire ici, les pouvoirs publics qui laissèrent les marchés financiers se déployer sans limites et qui manquèrent à leur devoir de régulateurs, qu’il s’agisse des normes comptables ou des ratios prudentiels applicables aux banques.

L’ambition de ce projet de loi est aussi à la mesure du temps perdu ces dernières années. J’ai lu quelque part qu’« il faut réglementer les banques pour réguler le système car les banques sont au cœur du système. Il faudra imposer aux banques de financer le développement économique plutôt que la spéculation. »

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est sûr !

M. Guillaume Bachelay. Louables objectifs, largement partagés sur nos bancs, même à cette heure tardive ! Le problème, c’est que ces paroles ont été prononcées voilà quatre ans et demi dans un discours déclamé à Toulon par M. Sarkozy.

Mme Sandrine Mazetier. Eh oui !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Nous verrons dans quatre ans !

M. Guillaume Bachelay. Malgré la création utile de l’autorité de contrôle prudentiel, la France freina plusieurs avancées de la régulation financière, telles les « CDS nus » sur les dettes souveraines, la directive sur les bonus des banquiers, l’interdiction du trading pour compte propre dans les établissements de dépôt et bien sûr la séparation des activités de banques de détail et d’investissement. À l’époque, la puissance publique manqua une occasion unique de contraindre l’industrie financière à se refonder. Les banques, rappelons-le, reçurent en France 77 milliards d’euros de prêts garantis et 20 milliards d’euros d’apport en fonds propres, sans contreparties ni clauses de revoyure.

Il a fallu l’élection de François Hollande et d’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale pour remettre la finance à sa place et non la laisser prendre toute la place. C’est l’objet du texte qui nous est soumis. Il est réformiste et même avant-gardiste. Le travail en commission a apporté des compléments décisifs à l’architecture initiale, preuve que les ciseaux fonctionnent.

Le principe pollueur-payeur, en particulier, a été renforcé pour le secteur bancaire. « L’aléa moral », concept pudique selon lequel les États garantissent en dernier ressort les risques pris par les banques, est insupportable. Lors des auditions, il est clairement apparu aux députés de la majorité que les pratiques les plus risquées devaient être strictement encadrées. C’est le cas de la tenue de marché, qui sert fréquemment de paravent à des activités spéculatives. Grâce à la commission et à la rapporteure, le ministre de l’économie et des finances pourra la séparer des autres activités.

Nous avons aussi amélioré la protection et l’information des consommateurs, les particuliers comme les entreprises. Comme d’autres collègues, j’attacherai une grande importance dans ce débat à l’accès des PME au crédit. Grâce à cette loi et aux amendements déposés en commission et en séance, l’effet domino des découverts alimentant des agios sera limité pour tous les clients des banques, les plus démunis bien entendu, mais aussi les classes moyennes. C’est en tout cas l’attente que nous formulons à l’adresse du Gouvernement.

Enfin, nous nous attaquons aux paradis fiscaux. À la demande des députés socialistes et écologistes, les banques seront désormais tenues de publier chiffres d’affaires et effectifs pour chaque pays. Chacun doit prendre la mesure de ce qui est une première mondiale, un antidote que la France met à disposition des autres nations, et d’abord du G20, contre ce poison qui déstabilise la finance internationale et assèche nos recettes fiscales. C’est de longue date un combat des députés socialistes.

Mes chers collègues, ce texte est une victoire du politique sur la finance, parce qu’il apporte de la transparence là où il y a opacité et parce qu’il contribue à faire de l’argent un moyen pour l’économie et non à instituer pour seule fin le profit. C’est une victoire aussi parce qu’il rappelle cette vérité à ceux qui, hors de notre hémicycle, l’avaient oubliée, groupes de pression et cartels d’intérêts : il en va des banques comme du reste, en République, c’est la souveraineté populaire qui fait la loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, 13 février 2013 à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (suite).

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 13 février 2013, à une heure vingt.)