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Première séance du mardi 15 janvier 2013

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Souhaits de bienvenue
à une délégation étrangère

M. le président. En cette première séance de l’année 2013, je présente au Premier ministre, aux membres du Gouvernement, à tous les députés et à l’ensemble de nos compatriotes mes vœux les plus sincères. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Je les adresse également à la délégation de l’Assemblée nationale du Québec, conduite par son président, M. Jacques Chagnon, à laquelle je souhaite la bienvenue. (Mmes et MM. les membres du Gouvernement, ainsi que Mmes et MM. les députés, se lèvent et applaudissent longuement.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Avant d’ouvrir les questions au Gouvernement, j’indique que, ce matin, la Conférence des présidents a décidé qu’un orateur de chacun des groupes pourrait poser une question sur la situation au Mali, le Premier ministre répondant à l’ensemble des orateurs, avant le débat de demain devant la représentation nationale.

Depuis la fin de semaine dernière, nos forces armées interviennent au Mali à la demande de son Président. Au nom de la représentation nationale, je rends hommage au lieutenant Damien Boiteux, mort au combat dans cette opération, et je présente à toute sa famille les condoléances attristées de la représentation nationale. (Applaudissements.) Je salue également la mémoire de nos compatriotes tombés en Somalie. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.) Mes chers collègues, comme vous vous êtes levés spontanément, je vous propose de respecter quelques instants de silence avant de poursuivre nos travaux. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)

Situation au Mali

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, je veux saluer l’action courageuse de nos forces armées engagées au Mali et contribuer à leur exprimer la solidarité de la représentation nationale. Il s’agit de porter secours à un pays attaqué par des groupes terroristes puissamment armés et aussi de protéger les 6 000 ressortissants français présents dans ce pays ami, longtemps lié à la France par un destin commun.

Cette action militaire, décidée à la demande du président malien, s’inscrit pleinement dans la légalité internationale. Elle a reçu le soutien unanime du Conseil de sécurité et de la CDAO, la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest. Il était impossible en effet de laisser des groupes djihadistes, dont Al-Qaïda, s’emparer d’un pays pour le transformer en État terroriste qui aurait servi de base à d’autres opérations.

La France a été la première à agir, et elle a bien fait. Il importe maintenant qu’elle ne soit pas la seule à intervenir et que tous les États concernés prennent leur part dans ce combat qui doit être commun et solidaire. Les États d’Afrique de l’Ouest vont-ils déployer sans tarder la mission internationale de soutien au Mali, ou MISMA, la force multinationale africaine, et nos partenaires européens, dont certains restent passifs, vont-ils enfin activer leur mission de formation de l’armée malienne ?

Ce qui est en jeu au Mali et ailleurs, c’est la liberté, plus précisément la liberté de conscience. Le vingtième siècle avait vu se développer la liberté, la laïcité, la liberté de croire ou de ne pas croire, le respect des convictions d’autrui. Le siècle nouveau voit le retour des dogmatismes, des intégrismes, et la volonté de les imposer par la force, par la violence la plus extrême, comme au Mali : exécutions, mutilations, lapidations.

M. le président. Merci, monsieur le député.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. On ne transige pas avec l’intégrisme, on ne compose pas avec le terrorisme. Quand la France se dresse contre ces périls, elle est dans son rôle, elle est dans…

M. le président. Merci, monsieur Schwartzenberg.

La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, permettez-moi d’exprimer la solidarité des députés du Front de gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine avec le peuple malien confronté à l’offensive de groupes djihadistes qui occupent le nord de ce pays qui nous est si proche. Nos pensées vont aussi aux familles d’otages français et à celles de nos soldats.

Une intervention internationale était urgente et nécessaire pour stopper l’offensive des fanatiques islamistes. Elle n’en suscite pas moins des interrogations. L’opération Serval a été lancée sans débat préalable au Parlement. Selon nous, elle aurait dû s’inscrire aussi dans le cadre d’un mandat précis, défini par l’ONU et l’Union africaine.

La résolution 2085 du Conseil de sécurité autorise le déploiement d’une mission internationale sous conduite africaine. Or l’opération Serval se révèle d’abord être une opération franco-française. Cela ne peut que susciter un certain malaise, au regard de l’ancien statut de puissance coloniale de la France.

Mais, surtout, cette opération militaire, nécessaire, ne saurait constituer une fin en soi. Elle ne réglera pas le problème sur le fond et dans la durée. La crise malienne est d’abord politique. Elle pose la question de la reconstruction d’un pays, dont la déliquescence institutionnelle et politique a abouti à le scinder en deux.

La France ne doit pas mettre seulement ses armes et ses soldats au service de ce pays symbole de la richesse culturelle du continent africain. Elle doit coopérer avec lui, dans le respect mutuel, afin qu’il puisse se doter, par lui-même, d’institutions stables dignes d’un État souverain.

Monsieur le Premier ministre, quelle est notre ambition dans ce registre qui relève moins du militaire que du politique et de la solidarité entre les peuples ?

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, les institutions de la Cinquième République voulue par le Général de Gaulle ont donné au Président de la République la prérogative d’engager les forces françaises à l’étranger. Nous apportons donc notre soutien à la décision du Président de la République. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) Les objectifs qu’il a fixés à nos troupes – stopper et repousser les insurgés et combattre le terrorisme islamiste –, nous les partageons. Lorsque les soldats français sont au feu, l’unité nationale n’est pas une option, c’est une nécessité absolue et un devoir pour tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Nos pensées vont d’abord aux militaires engagés pour la France, aux trois soldats qui se sont sacrifiés au Mali et en Somalie. La mise en scène monstrueuse et ignoble de la dépouille d’un de nos soldats est une atteinte profonde aux valeurs humanistes qui sont les nôtres. Elle est de nature à renforcer notre détermination à combattre le terrorisme sous toutes ses formes. Les terroristes ne doivent pas douter de la détermination de la représentation nationale, ni de notre soutien à nos armées.

À ce stade, notre soutien est total et nos questions sont simples. La France s’est-elle fixé un calendrier opérationnel ? La France pourra-t-elle, à court terme, bénéficier des soutiens africains de la CDAO et de ses alliés ? C’est, à nos yeux, indispensable.

Monsieur le Premier ministre, qu’êtes-vous en mesure de nous dire quant au sort de nos otages au Mali ? Je sais qu’il mobilise l’ensemble des services de l’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen.

M. Razzy Hammadi. Chers collègues, j’associe à ma question Pouria Amirshahi, député des Français de l’étranger pour la circonscription d’Afrique de l’Ouest.

Vendredi 11 janvier, le Président de la République, chef des armées, a pris la décision d’engager notre pays dans une opération extérieure au Mali. Cette intervention est menée dans le strict respect de la légalité internationale, en application de la résolution 2085 de l’ONU du 20 décembre 2012. Il convient de féliciter notre diplomatie pour le travail de mobilisation extraordinaire qu’elle réalise depuis des mois afin de permettre sa mise en œuvre dans les meilleures conditions.

L’opération Serval répond à l’appel du Président de la République du Mali face à l’avancée inexorable des groupes fondamentalistes terroristes et des narcotrafiquants. Menaçant l’unité du Mali et terrorisant la population – au sein de laquelle les femmes sont en première ligne –, ces groupes, qui étaient sur la route de Bamako, remettaient en cause l’existence même de ce grand pays, de cet État ami, naguère vitrine de la démocratie en Afrique.

La rapidité d’exécution, la fermeté, la réactivité et la responsabilité de notre Président de la République doivent être saluées.

Forte de cette légitimité, l’opération décidée par le Président de la République engage nos troupes sur un terrain difficile. C’est pourquoi il convient de rendre hommage à la mémoire du lieutenant Damien Boiteux, du quatrième régiment d’hélicoptères des forces spéciales de Pau. Nous pensons à sa famille, à ses camarades et à ses proches. Il est tombé pour défendre ces valeurs qui nous unissent tous, ces principes qui nous rassemblent tous. La communauté malienne, les Franco-maliens de France félicitent notre action et s’associent à cet hommage.

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous, alors que la situation évolue chaque jour, informer la représentation nationale des actions de nos troupes et de la stratégie mise en œuvre sur place, sachant que les armes seules ne pourront pas résoudre ce conflit à moyen et long terme. En effet, les relations de codéveloppement et de coopération représentent elles aussi l’avenir de la paix au Mali. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Folliot. Monsieur le Premier ministre, depuis vendredi dernier, dans le cadre de l’opération Serval, les forces françaises sont engagées au Mali, à la demande pressante du gouvernement malien, pour faire face à une attaque djihadiste.

Le groupe UDI, par la voix de son président Jean-Louis Borloo, a immédiatement tenu à apporter tout son soutien à cette opération, et à saluer l’esprit de responsabilité du Président de la République et du Gouvernement dans cette situation d’extrême urgence et de danger tant pour la population malienne que pour les 6 000 ressortissants français de Bamako.

Pour nous, les centristes, il est en effet des sujets à propos desquels l’unité nationale chère à nos vœux doit prévaloir. Toutes nos pensées vont vers nos soldats qui sont actuellement au feu, dont la réactivité et le professionnalisme sont à saluer. Nous rendons hommage au lieutenant Boiteux, mort pour la France au premier jour de l’intervention française, mais aussi aux membres du service Action de la DGSE tombés lors d’une opération de libération d’un otage en Somalie.

Nous tenons également à exprimer notre vive inquiétude quant à la situation des autres otages français dans la région.

Monsieur le Premier ministre, l’intervention française est une réponse à l’agression des groupes fanatiques islamiques armés du nord du Mali qui, à cette heure, semble stoppée. Au-delà, la question de notre implication dans le légitime objectif de reconquête du nord du Mali se pose.

Compte tenu de la gravité du sujet, et afin de définir la suite de la mission, il nous paraît indispensable que la France ne reste pas seule. Il faut que se réunissent rapidement les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.) afin de participer collectivement au soutien des forces maliennes et aux forces africaines de la MISMA.

Une coalition européenne ou internationale nous semble en effet primordiale. Sachez, monsieur le Premier ministre, que le groupe UDI soutient pleinement l’initiative française au Mali. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, pour le groupe Écologiste.

Mme Danielle Auroi. Monsieur le Premier ministre, face à l’avancée des islamistes au nord du Mali, l’État malien a fait appel à la France, qui vient de s’engager à ses côtés : dont acte. Il aurait été utile que les parlementaires débattent plus tôt de l’intervention de la France, aussi urgente et légitime soit-elle. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Jean-Paul Bacquet. N’importe quoi !

Mme Danielle Auroi. Le débat prévu demain permettra, du moins je l’espère, d’en clarifier et d’en préciser les objectifs. Nous attendons aussi la résolution de l’ONU qui nous donnera mandat.

M. Jean-Paul Bacquet. Mais c’est n’importe quoi !

Mme Danielle Auroi. Espérons également que l’Union européenne, qui prépare une mission de formation de l’armée malienne, pourra, un jour, jouer un rôle plus important, tant dans l’action que dans la prévention et le règlement des conflits.

En attendant la force internationale sous conduite africaine, la responsabilité de la France est lourde. Sur le terrain, plusieurs ONG ont appelé l’ensemble des belligérants à respecter les civils. Plusieurs voix s’élèvent aussi pour s’inquiéter de la circulation des armes dans la région, alors que le conflit libyen a déjà permis à certains groupes de s’équiper largement.

Le grondement des armes ne doit pas faire oublier des réalités régionales plus larges, par exemple la place de l’uranium dans cette région. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Jean-Paul Bacquet. Totalement irresponsable !

Mme Danielle Auroi. Un tiers des centrales nucléaires françaises fonctionnent grâce à cet uranium, extrait au Niger voisin. (Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Pourtant, cette exploitation n’a profité que ponctuellement aux habitants du désert, et les liens entre pauvreté et terrorisme sont malheureusement bien connus ! Il est temps, comme a commencé à le faire le ministre délégué chargé du développement, de revoir les modalités de l’aide aux pays qui en ont besoin. (Protestations continues sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Je vous interroge donc, monsieur le Premier ministre, sur les mesures concrètes qui pourraient être prises dès aujourd’hui en concertation avec les autorités maliennes et les pays voisins afin d’aider les régions sahéliennes, notamment les peuples touaregs, à mettre en œuvre un véritable plan de développement soutenable, qui respecte les droits de tous et de toutes. (Mêmes mouvements.)

M. Pierre Lellouche. C’est incroyable !

Mme Danielle Auroi. La confiance et la sécurité économique sont les armes les plus sûres pour détourner la population civile des mouvements djihadistes, car il s’agit aussi de toucher, en profondeur, les racines du conflit, et de préparer la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Monsieur le Premier ministre, j’associe à ma question mon collègue Pierre Lellouche qui représentait François Fillon à la réunion que vous avez organisée à Matignon à ce sujet.

Alors que se termine le retrait des troupes françaises d’Afghanistan, le Président de la République vient de décider d’engager la France sur le continent africain au nom de la lutte contre le terrorisme international.

La première victime française de cet engagement a été le lieutenant Damien Boiteux, quarante et un ans, pilote du 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales basé à Pau, mortellement blessé aux commandes de son hélicoptère dans le Sud du Mali lors de la première phase de l’opération Serval. Il était originaire du village du Russey, dans ma circonscription. Au nom des parlementaires, je voudrais d’abord adresser, depuis cet hémicycle, à sa famille, son fils, sa compagne, ses parents que je connais bien, un message d’émotion et de profonde sympathie. La mort de ce valeureux soldat touche la nation tout entière.

Au-delà de ce tragique événement et consciente de la difficulté qu’il y a à agir contre la pieuvre du terrorisme international, j’aimerais que vous puissiez nous éclairer, monsieur le Premier ministre, sur les circonstances de ce drame et sur les perspectives d’évolution du conflit dont le Président de la République a déclaré récemment : « cette intervention durera le temps qu’il faudra... ». (Applaudissements sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP et sur quelques bancs des groupes UDI, SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, la France, vous venez de le rappeler, intervient en appui à l’armée malienne. Elle le fait à la demande du Président du Mali et dans le respect de la Charte des Nations unies.

L’agression des mouvements terroristes menaçait l’existence même du Mali et faisait peser un risque majeur sur l’Afrique de l’Ouest, sur l’Europe et aussi sur la France. L’opération fixée par le Président de la République poursuit trois objectifs. Je tiens à les rappeler devant vous après les avoir exposés, hier soir, à Matignon devant les représentants de tous les groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat, devant la présidente et les présidents des commissions affaires étrangères et de la défense et devant, bien sûr, les présidents de l’Assemblée et du Sénat. Le premier objectif est d’arrêter l’offensive des groupes terroristes ; le deuxième objectif est de préserver l’existence de l’État malien et de lui permettre de retrouver son intégrité territoriale et sa totale souveraineté ; le troisième objectif est de préparer le déploiement de la force d’intervention africaine qui a été autorisé le 20 décembre dernier par le Conseil de sécurité dans le cadre de la résolution 2085.

Le dispositif militaire que nous déployons conjugue renseignement, frappes aériennes, moyens d’aéromobilité et unités terrestres. Il répond strictement à ces objectifs. Il continuera de se renforcer dans les prochains jours. En effet, nous avons porté un coup d’arrêt à la première offensive des trois groupes terroristes principaux. Mais leur détermination, nous devons en être conscients, reste entière et il convient, pour y faire face, d’obtenir rapidement des résultats très significatifs.

Cette intervention, le Gouvernement en est conscient depuis le début des opérations, fait peser un risque sur nos otages au Sahel. Mais ce sont ceux-là mêmes qui les détiennent qui menaçaient de s’emparer de la totalité du Mali. Ne rien faire et laisser le Mali devenir un sanctuaire pour les groupes terroristes n’aurait pas contribué à la libération, que nous souhaitons tous, de nos otages.

Pour la protection du territoire national, plusieurs mesures du plan Vigipirate ont été renforcées, notamment dans les transports, les bâtiments publics et les lieux de culte.

Je vous l’ai dit, j’ai réuni hier soir les représentants du Parlement en présence du ministre de la défense et du ministre de l’intérieur, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, se trouvant avec le Président de la République, aux Émirats arabes unis, était représenté par son directeur de cabinet. Nous avons, à cette occasion, présenté les objectifs de l’intervention et répondu à de nombreuses questions particulièrement précises et utiles, conformément au rôle que vous avez à jouer, en tant que représentants parlementaires, dans le cadre de la Constitution : vous avez tous en mémoire son article 35. Un débat sans vote se déroulera donc mercredi après-midi, comme M. le président de l’Assemblée nationale vient de le rappeler. Un débat similaire se tiendra en même temps au Sénat.

Je me félicite en tout cas, d’ores et déjà, du soutien manifesté depuis le 11 janvier par l’ensemble des forces politiques de notre pays.

M. Patrick Balkany. Et les Verts ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je remercie tout particulièrement les représentants et les présidents de groupes qui se sont exprimés cet après-midi. Notre pays est uni dans ce combat contre les groupes terroristes. Ce combat est aussi un combat pour nos valeurs. Il est un combat pour les valeurs des Nations unies. L’intervention de la France bénéficie, en effet, du soutien de la communauté internationale, à commencer par les États africains eux-mêmes. Plusieurs de nos partenaires, notamment le Royaume-Uni, le Danemark, les États-Unis, le Canada et l’Allemagne, nous apportent, déjà, leur appui sous diverses formes. La France est, aujourd’hui, en première ligne, en appui à l’armée du Mali, mais, d’ici à une semaine, les forces africaines commenceront à se déployer sur le terrain. Un échelon précurseur de l’état-major de la MISMA est déjà à Bamako. Plusieurs pays africains ont confirmé la mise à disposition de premiers contingents.

La mise en place de la mission de l’Union européenne de formation et de soutien logistique aux forces armées maliennes est également en train de s’accélérer. Une réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne se tiendra jeudi dans cette perspective. La perspective, les uns et les autres l’avez rappelé, est politique. Elle est de redonner au Mali la stabilité à laquelle il prétend à juste titre. Elle est aussi de redonner à ce pays des institutions démocratiques stables et durables au service d’un Mali pleinement souverain et capable de garantir sa propre sécurité. L’ambition du Gouvernement et des forces politiques largement rassemblées est aussi de donner une perspective de développement non seulement au Mali, mais à toute cette région de l’Afrique particulièrement pauvre. Mais il n’y a pas de développement sans sécurité et il n’y a pas de sécurité durable sans développement.

Avant de conclure, mesdames, messieurs les députés, je voudrais, à mon tour, saluer le courage de nos soldats. Je présiderai dans quelques instants, juste après cette séance, avec le ministre de la défense et le ministre chargé des anciens combattants, la cérémonie d’hommage national au chef de bataillon Damien Boiteux qui a péri vendredi, au premier jour, je dirai aux premières heures, de l’intervention. Mais, mesdames, messieurs les députés, vous lui avez déjà rendu hommage comme la nation tout entière le fera.

Face à la menace terroriste, la détermination du Gouvernement est entière. Fort de votre appui et de celui de toutes les forces politiques nationales, de la nation tout entière et de la communauté internationale, cette détermination ne faiblira pas ! (Applaudissements sur tous les bancs. – Les députés des groupes SRC et RRDP ainsi que quelques députés du groupe Écologiste se lèvent et applaudissent vivement.)

Mariage pour tous

M. le président. La parole est à M. Henri Guaino, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Henri Guaino. Monsieur le Premier ministre, dimanche, des centaines de milliers de Français ont manifesté contre le projet de loi sur le mariage pour tous. (« Ah ! » sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. le président. S’il vous plaît !

M. Henri Guaino. Ce fut un immense rassemblement, le plus important peut-être depuis quarante ans,…

M. Pascal Deguilhem. Depuis des siècles !

M. Henri Guaino. …de familles, de gens simples dont beaucoup n’avaient jamais manifesté ni fait de politique de leur vie.

Ils sont venus parfois de très loin, supportant le coût et la fatigue du voyage. (Rires et exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Ils étaient les représentants de millions de Français qui s’inquiètent des conséquences de cette réforme dont Mme la garde des sceaux a dit elle-même que c’était une réforme de la civilisation.

Qu’ont dit ces Français simples et dignes ? Qu’ils ne voulaient pas que l’on décide sans eux de la civilisation dans laquelle eux et leurs enfants allaient vivre.

Monsieur le Premier ministre, il n’y a pas de véritable débat quand tout est joué d’avance. Regardez ce qui se passe au Parlement, où votre majorité dit aux députés de l’opposition : « Causez, causez encore, causez toujours, de toutes les façons nous ne ferons que ce que nous voulons ! » C’est la règle de la démocratie parlementaire, me direz-vous, mais quand on touche à quelque chose d’aussi profond, qui ébranle tant de consciences, ce n’est plus vrai. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Ici, la démocratie exige que le peuple lui-même ait la parole, non que ceux qui le représentent parlent à sa place. (Applaudissements et « Très bien ! » sur les bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI.) C’est l’esprit de notre République.

Le Président de la République peut prendre la décision de soumettre cette réforme au référendum. La lettre de l’article 11 de notre Constitution lui en donne le droit. Il en est seul juge et sa décision n’est susceptible d’aucun recours.

Alors, monsieur le Premier ministre, ne prenez pas la lourde et grave responsabilité de violer des millions de consciences. (Exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Ne méprisez pas les Français, qui ne vous réclament qu’un peu de respect, un peu de démocratie, un peu de république ! (Mêmes mouvements.)

Quand on donne la parole au peuple, on ne recule pas, on se grandit. Soyez un Premier ministre de la Cinquième République et non de la Quatrième. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI.)

M. le président. Merci, monsieur le député.

M. Henri Guaino. Soyez responsable ! Soyez démocrate ! Soyez républicain ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI. De nombreux députés de ces groupes se lèvent pour applaudir. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. le président. Merci !

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. (Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI. De nombreux députés des groupes UMP et Rassemblement-UMP scandent le mot « Référendum ! ») S’il vous plaît, mes chers collègues ! Une question a été posée : laissez le Gouvernement répondre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous auriez été un peu plus crédible, sur le respect des manifestations populaires, si vous aviez montré avec lucidité et constance le respect que ce gouvernement exprime vis-à-vis des inquiétudes des Français. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI - De nombreux députés des groupes UMP et Rassemblement-UMP continuent à scander « Référendum ! ».)

Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler le contenu de l’article 11 de la Constitution, qui définit les matières pour lesquelles le Président de la République peut, sur saisine des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, organiser un référendum. (Mêmes mouvements.) Je ne vous ferai pas de leçons sur les institutions et la Constitution. (Mêmes mouvements.) Je vous rappelle que, pour les mêmes matières, la réforme constitutionnelle de 2008 a prévu la possibilité d’un référendum d’initiative partagée. (Mêmes mouvements.)

M. le président. S’il vous plaît !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De 2008 à 2012, votre majorité n’a pas trouvé le temps de soumettre aux deux chambres la loi organique qui aurait permis de définir les modalités d’application de ce référendum ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, Écologiste, GDR et RRDP.)

Pour le reste, pendant des années, vous avez essayé de nous donner des leçons sur les institutions, la Constitution, le respect de la démocratie. Quel respect montrez-vous aux membres des chambres du Parlement qui vont se saisir de ce débat, qui le traiteront avec du temps et sur le fond, et qui, parce qu’ils sont des parlementaires éclairés, prendront les meilleures décisions ?

M. Gérald Darmanin. Et vous, quel respect pour le peuple ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement manifeste une fois de plus son respect vis-à-vis des citoyens qui s’inquiètent de la propagande, des fausses annonces que vous faites, ainsi que son respect du Parlement.

M. Dino Cinieri. Ce n’est pas vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est un débat que nous animerons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Plusieurs députés des groupes UMP et Rassemblement-UMP. Référendum ! Référendum ! Référendum !

Accord sur la sécurisation de l’emploi

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen. (De nombreux députés des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI continuent de scander « Référendum ! ») Regardez le spectacle que vous êtes en train de donner !

Je vous préviens que je vais lever la séance ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) On ne peut pas continuer comme cela ! L’opinion des uns et des autres doit trouver à s’exprimer ! Il faut veiller au bon déroulement de nos séances.

Monsieur Le Roux, vous avez la parole.

M. Bruno Le Roux. Il est étonnant de prétendre défendre la démocratie avec un tel comportement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP. – Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI.) Assumez vos responsabilités, vous qui avez été élus ! Assumez le débat ici, plutôt que d’adopter ce comportement infantile, à vouloir vous protéger derrière le peuple ! (Mêmes mouvements.) Vous n’êtes pas à la hauteur de la responsabilité qui vous a été confiée par le peuple français ! (Mêmes mouvements.)

Monsieur le Premier ministre, vendredi, à l’issue de discussions marathons, les partenaires sociaux ont finalisé un accord crucial pour la sécurisation de l’emploi. Habituellement, l’État décide seul et il impose ses vues aux partenaires sociaux. Or vous avez fait un pari, nécessaire mais risqué, et désormais réussi. L’accord trouvé entre les partenaires sociaux est une promesse pour l’avenir de notre pays. Il permet de sortir de la logique de la confrontation et du passage en force qui a trop souvent prévalu dans notre pays. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI.)

Cet accord succède à celui sur les contrats de génération et, pour l’un comme pour l’autre, nous devons veiller à les retranscrire fidèlement dans la loi.

Monsieur le Premier ministre, les partenaires sociaux ont, avec votre feuille de route, trouvé un compromis équilibré. Ils ont réussi à le faire en limitant le recours aux CDD, qui avait doublé au cours des dix dernières années, en facilitant l’accès des travailleurs à la formation et à la santé (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP), en élaborant un cadre permettant tout à la fois de rendre le marché du travail plus fluide pour les entreprises et plus protecteur pour les salariés.

Un échec vous aurait été reproché si le dialogue n’avait pu aboutir et si les partenaires sociaux n’avaient pas trouvé un accord vendredi. Or l’accord a abouti, et les députés SRC veulent vous exprimer leur soutien pour cette méthode et ce résultat qui tranchent singulièrement avec la façon dont le rapport de force était systématiquement recherché par l’ancienne majorité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Nous souhaiterions connaître, monsieur le Premier ministre, la lecture que vous faites de ce compromis social, historique dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président Le Roux, il y a dans notre pays, d’abord, la démocratie politique, c’est-à-dire celle qui s’exprime par le suffrage universel, par l’élection du Président de la République et des députés par tous les Français, dont vous êtes les représentants légitimes. C’est à ce titre, et en toute légitimité, que vous aurez à vous prononcer sur des réformes de droit constitutionnel, de droit public, de droit économique ou social, comme sur beaucoup d’autres sujets ou projets : j’ai entièrement confiance dans vos choix.

M. Gérald Darmanin. Référendum !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Maisn aujourd’hui, vous évoquez un autre volet de notre démocratie : la démocratie sociale. Vous savez que, lors de sa campagne, le Président de la République avait fait de la modernisation de notre pays l’un de ses axes prioritaires. Nous savons que la France doit changer, qu’elle doit se réformer,…

M. Guy Geoffroy. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …mais elle ne peut pas le faire de n’importe quelle façon. L’histoire a montré qu’une réforme du droit du travail qui ne se faisait que par la loi, de façon autoritaire, ne pouvait mener qu’à l’échec. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

Ce qui s’est passé vendredi est le résultat d’une volonté partagée. Celle, d’abord, du Gouvernement qui, lors de la grande conférence sociale de juillet, a su créer les conditions d’un renouveau du dialogue social dans notre pays, en fixant, avec les partenaires sociaux, les grandes priorités sur une feuille de route. Cette feuille de route se concrétise par la grande négociation sur la sécurisation des parcours professionnels, qui s’est conclue vendredi par un accord. Il appartient maintenant aux différentes organisations patronales et syndicales de se prononcer pour dire si elles lui donnent une suite concrète, en signant les résultats de cette négociation. Mais nous savons qu’une majorité d’entre elles ont déjà donné leur accord pour que ce qui a été obtenu par la négociation devienne rapidement une réalité, pour les entreprises mais également pour les salariés. C’est ce qu’il vous appartiendra très rapidement, selon la volonté du Gouvernement, de traduire dans le droit du travail, par un projet de loi qui sera minutieusement préparé et soumis à votre délibération.

Cet accord est effectivement sans précédent : sans doute que, depuis plus de trente ans, il n’y a jamais eu de négociation d’une telle ampleur (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP), et je suis sûr que ce n’est pas la dernière. En tout cas, la sécurisation des parcours professionnels, réclamée depuis tant d’années pour les salariés des petites, des moyennes et des grandes entreprises, va devenir une réalité.

Cet accord est un compromis, comme toute négociation. D’un côté, il offre aux entreprises plus de souplesse pour faire face aux mutations économiques et aux nécessaires réorganisations, sans faire peser sur les salariés le risque d’un licenciement, et sans que ceux-ci soient les variables d’ajustement ; de l’autre côté, en contrepartie, ce sont des droits nouveaux qui vont accompagner le salarié tout au long de sa carrière, quelle que soit l’entreprise à laquelle il appartient, que ce soit en matière de couverture complémentaire santé, de droit « rechargeable » aux indemnités de chômage ou à la formation professionnelle – et j’ajoute cette innovation essentielle, réclamée depuis longtemps : les contrats précaires et de courte durée seront, par une taxation accrue, rendus plus difficiles à conclure, de façon à favoriser ce qui doit devenir le contrat principal, c’est-à-dire le contrat à durée indéterminée. Tout cela se trouve dans l’accord et c’est un vrai progrès pour le monde du travail.

Je vous l’ai dit, il vous appartient maintenant, mesdames et messieurs les députés – et c’est votre responsabilité – de traduire dans la loi cet accord. Cela vous demandera un certain travail, mais c’est d’abord le Gouvernement, avec le ministre du travail, Michel Sapin, qui va le faire en rédigeant un projet de loi. Pourquoi faut-il aller vite ? Parce qu’il y a urgence – vous l’avez déjà compris puisque vous avez adopté les mesures relatives aux emplois d’avenir – mais il faut que cela se concrétise désormais sur le terrain. Vous allez débattre, dès cet après-midi, du projet de loi créant les contrats de génération. Mais il y a aussi le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi : le crédit d’impôt pour les entreprises, que vous avez voté avant la fin de l’année, est opérationnel depuis le 1er janvier.

Nous menons une bataille pour l’emploi, et cette négociation est une contribution supplémentaire à cette bataille. Il n’y pas de temps à perdre. Je compte sur le Parlement, je compte sur la majorité, je compte sur ceux qui ont compris et comprendront l’essentiel : l’emploi, des droits nouveaux pour le monde du travail, la compétitivité qui ne peut exister sans dialogue social, sans justice sociale, car sans solidarité il ne peut y avoir d’efficacité économique. Le processus est en marche et je compte sur l’Assemblée nationale, sur le Parlement, pour franchircette nouvelle étape dans les progrès en faveur de l’emploi et de la cohésion sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Réforme du mode de scrutin départemental

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union des démocrates et indépendants

M. François Sauvadet. Monsieur le Premier ministre, je veux simplement vous faire observer, puisque vous parlez de légitimité, que tous ceux qui siègent ici sont légitimes, car ils sont tous les élus du peuple (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et Rassemblement-UMP), qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition : tous méritent, monsieur le Premier ministre, le même respect. Voilà ce que je tenais à vous faire observer.

Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, lorsque vous évoquez tous les défis – nous venons de parler abondamment du Mali – auxquels nous sommes confrontés, je veux vous redire que la seule urgence est de rassembler et de tout faire pour préserver l’unité nationale. Or je pense que vous prenez un lourd risque à continuer à défendre des projets de loi qui, faute d’un dialogue approfondi, divisent et fracturent profondément le pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et Rassemblement-UMP.) Je ne pense pas seulement au mariage pour tous qui suscite beaucoup d’interrogations et mériterait que, comme pour les lois relatives à la bioéthique, nous parvenions dans nos divergences à travailler vers une convergence pour donner un signal à ceux qui l’attendent : ce serait respecter tous ceux qui ont manifesté, car ils portent un message qui doit être entendu. (Mêmes mouvements.)

Mais il y a, monsieur le Premier ministre, une autre fracture à laquelle je voudrais vous sensibiliser : une fracture territoriale. Vous avez décidé récemment de diviser par deux le nombre de cantons et vous avez inventé un nouvel hybride : un couple élu dans de grandes circonscriptions électorales, un homme et une femme qui seraient élus ensemble, mais qui exerceraient différemment et distinctement leur mandat. Si l’on appliquait cette réforme, ce serait la mort annoncée et programmée des territoires ruraux. Je vous le dis au nom du groupe UDI : on ne peut pas assurer l’avenir d’un pays en se fondant exclusivement sur le fait urbain et sur les agglomérations. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et Rassemblement-UMP.) Nous avons besoin d’agglomérations fortes qui soutiennent les activités et l’emploi, mais nous avons besoin aussi de territoires ruraux. Au nom des 115 parlementaires, des présidents des conseils généraux, et du millier d’élus locaux qui se sont exprimés sur ce sujet, je vous demande de reprendre le dialogue avec les collectivités territoriales et de ne pas leur imposer un mode de scrutin qui se traduira par un affaiblissement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI, UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président Sauvadet, je présenterai ce soir au Sénat le projet de loi que vous venez d’évoquer et qui vise à moderniser, tout en la conservant et en la renforçant, l’institution départementale, par la modification d’un mode de scrutin aujourd’hui obsolète. Il n’y a pas eu, à quelques exceptions près, de découpage cantonal depuis deux siècles : vous ne pouvez donc pas nous expliquer qu’il faut garder ce mode de scrutin qui, par ailleurs, est une négation de la parité. Aujourd’hui, trois départements n’ont aucune femme élue et il n’y a que 13 % de conseillères générales. Le Président de la République, conformément à ses engagements de campagne, nous a demandé à la fois de préserver cette proximité essentielle que crée le lien entre les élus départementaux et les citoyens et d’instaurer la parité.

M. Hervé Mariton. La parité dans le mariage !

M. Manuel Valls, ministre. C’est ce mode de scrutin que je vais présenter, après une longue consultation des associations d’élus, mais aussi de l’ensemble des formations politiques représentées au Parlement. Nous voulons un mode de scrutin qui préserve cette proximité et qui soit paritaire. Je vous invite, monsieur le président Sauvadet, à rejoindre le camp de ceux qui veulent une démocratie territoriale renforcée, moderne et adaptée aux temps d’aujourd’hui, et ce notamment grâce à la parité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mariage pour tous

M. le président. La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Virginie Duby-Muller. Dimanche dernier, un million de personnes (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) – non pas 340 000 comme vous le prétendez, monsieur le Premier ministre, pour minimiser l’ampleur de la mobilisation – de tous âges, de toutes opinions et de toutes confessions ont défilé dans une ambiance bonne enfant afin de défendre l’institution du mariage que vous attaquez. Face à la clameur qui monte des tréfonds du pays (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), vous avez déjà commencé à reculer en faisant retirer l’amendement du groupe socialiste qui visait étendre la procréation médicale assistée aux couples de même sexe. Mais nous avons bien compris que ce recul n’est que tactique puisqu’une loi sur la famille a d’ores et déjà été annoncée pour le mois de mars, comprenant cette disposition ! Dès lors, qu’on ne nous prenne pas pour des idiots ! Votre objectif à terme est bien le démantèlement de tous les fondamentaux de la famille. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – « Eh oui ! » sur plusieurs bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Je m’adresse à nos collègues de la majorité : comment pouvez-vous avoir comme maître à penser M. Pierre Bergé, qui déclarait : « Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour aller à l’usine, quelle différence ? » (« Scandaleux ! » sur plusieurs bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) En tant que femme, en tant que mère de famille, je suis profondément choquée par une telle conception qui mène tout droit à la gestation pour autrui et à la marchandisation des corps ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

Aussi, monsieur le Premier ministre, je vous lance un appel à la raison : quand annoncerez-vous le retrait définitif de cette mesure qui clive les Français, mesure qui conduirait à la reconnaissance d’un droit à l’enfant alors que seul doit compter le droit de l’enfant ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, oui, nous avons vu que l’UMP en est à préempter une manifestation dont les porte-parole passent leur temps à dire que c’est un mouvement apolitique et aconfessionnel. (Exclamations sur de nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Le Gouvernement respecte les Français qui s’interrogent sur cette réforme de fond. Il s’agit en effet d’une grande et belle réforme pour l’égalité des droits, et qui a le souci de protéger des enfants dont le statut juridique est extrêmement précaire. (Même mouvement.)

Le Gouvernement a entendu les interrogations, que vous et vos collègues avez d’ailleurs assez largement contribué à propager (Exclamations sur de nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP), sur la disparition du code civil des mots « père » et « mère ». (Protestations sur les mêmes bancs.) Je réaffirme ici solennellement que les mots « père » et « mère » ne disparaîtront pas du code civil.

Sachez bien, madame la députée, que ni vous ni votre groupe n’avez le monopole des préoccupations et des inquiétudes des Français, ni de la traduction des interrogations qu’ils se posent sur l’organisation de la famille. Les Français savent que les familles sont variées, diverses, et ils en voient autour d’eux qui ne correspondent pas au schéma idyllique que vous exposez. Les Français ont le plus grand respect pour toutes les formes de famille, et nous répondons donc à leur préoccupation. Je le redis : non, les mots « père » et « mère » ne disparaîtront pas du code civil (Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP) ; non, le livret de famille des personnes hétérosexuelles ne changera pas. (Même mouvement.)

Je rappelle aux députés du groupe UMP que la commission des lois se réunira cet après-midi pour examiner le projet de loi : venez donc participer aux travaux, même si vous n’en êtes pas membre, madame la députée : le règlement vous y autorise. Jusqu’ici, vous avez préféré bouder les auditions organisées par le rapporteur : rattrapez-vous, madame la députée, et dites la vérité aux Français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) Dites-leur que nous faisons progresser la société…

M. Hervé Mariton. C’est faux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …avec l’égalité des droits. Ceux qui s’interrogent sincèrement verront tomber leurs dernières réticences parce que c’est finalement l’affection qui l’emportera. (« Référendum !  Référendum ! » sur les bancs du groupe UMP.) À force de voir autour d’eux des familles homoparentales qui élèvent leurs enfants dans l’amour, ils comprendront que l’égalité des droits est un vrai progrès. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste ainsi que sur plusieurs bancs des groupes GDR et RRDP ; de nombreux députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent longuement. – « Référendum ! référendum ! » sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Projet de loi sur la famille

M. le président. La parole est à Mme Corinne Narassiguin pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Corinne Narassiguin. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux.

Madame la garde des sceaux, pour nous, c’est clair. Notre choix, notre combat, c’est l’égalité des droits. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Hervé Mariton. D’une façon partiale !

Mme Corinne Narassiguin. Les démonstrations de l’opposition nous montrent que beaucoup d’idées fausses circulent encore. C’est pourquoi nous nous attachons à ce que le débat qui va s’ouvrir à l’Assemblée nationale rassemble les Français autour d’un seul objectif : l’ouverture de nouveaux droits pour des citoyens comme les autres.

Les auditions menées à l’Assemblée ont mis en avant la nécessité de protéger toutes les familles de France, de leur garantir une sécurité juridique qui les mette à l’abri des aléas et des accidents de la vie. Pour y parvenir, je sais le Gouvernement déterminé à aller jusqu’au bout de la mise en œuvre de convictions que nous partageons. Et nous vous soutenons, madame la garde des sceaux !

Le projet de loi sur le mariage et l’adoption soulève nécessairement les questions de filiation. Ouvrir la procréation médicalement assistée aux couples de femmes est essentiel pour cesser de fermer les yeux sur une réalité qui existe depuis de nombreuses années déjà. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) Notre travail en faveur de l’égalité des droits pour les couples homosexuels permettra aussi de faire progresser le droit pour toutes les familles en traitant les questions essentielles du statut du beau-parent et de l’accès aux origines. Je sais que vous avez déjà commencé à y travailler avec la ministre déléguée chargée de la famille.

Aussi, madame la garde des sceaux, le gouvernement s’étant engagé à présenter un projet de loi plus large sur la famille, plus précisément sur la filiation, pouvez-vous nous dire quels seront le périmètre et le calendrier de ce texte ? (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, le 7 novembre, à la sortie du conseil des ministres, le Gouvernement a rendu public le projet de loi qui ouvre, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que pour les autres couples, le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Le Gouvernement en avait arbitré le périmètre et avait soumis le texte au Conseil d État, et, depuis, il en a défendu et expliqué le contenu avec une constance qui ne s’est jamais démentie. Sans méconnaître les autres sujets liés directement ou non au mariage et à l’adoption, le Président de la République et le Premier ministre ont ainsi confirmé l’engagement solennel du candidat François Hollande, tel qu’il avait été présenté aux Français aussi bien dans la campagne présidentielle que durant la campagne législative. Ces deux rendez-vous démocratiques ont permis de rappeler l’importance de cette réforme qui vise à assurer la protection des enfants, l’égalité des droits et la sécurité juridique des familles telles qu’elles existent aujourd’hui !

M. Philippe Meunier. C’est faux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Parmi les autres sujets, il y a notamment celui des divers modes de filiation – ce qui peut concerner d’ailleurs aussi bien les couples mariés que non mariés. Le texte relèvera du ministère de la famille. Vous avez entendu sur ce point les déclarations récentes et très claires du chef du Gouvernement.

Pour le moment, madame la députée, nous en sommes à cette belle et grande réforme, celle qui nous permettra de traduire dans le droit notre devise républicaine en corrigeant une exclusion qui instaurait deux niveaux de citoyenneté. Nous allons y mettre fin : il y aura une seule citoyenneté, et la diversité des familles étant prise en compte, nous aurons la fierté d’avoir permis que les couples se sentent égaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Situation au Mali

M. le président. La parole est à M. Gilbert Collard, au titre des députés non inscrits.

M. Gilbert Collard. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Ne représentant pas un groupe, je n’ai pu évoquer la question du Mali tout à l’heure et je souhaite le faire au nom des quelque six millions de Français, un peu orphelins sur le plan parlementaire, que je représente.

D’abord, comme nos collègues, je voudrais rendre hommage aux trois soldats qui ont été tués au champ d’honneur et rappeler qu’ils sont ensevelis non seulement dans un cercueil, mais également dans un drapeau et dans l’hymne national, ce qui nous oblige aussi à considérer que l’on doit, à travers leur mort, le respect à ces symboles.

Monsieur le Premier ministre, nous approuvons l’intervention de la France au Mali. Nous sommes catastrophés de savoir que, des printemps libyen et syrien, ont fleuri les armes qui sont maintenant aux mains de ces terroristes. Nous avons la certitude qu’il s’agit d’une menace existentielle et, comme le disait M. le président de l’Assemblée nationale, de l’arrivée du règne de la terreur. Il est donc nécessaire et indispensable que nous fassions barrage à l’offensive islamiste et terroriste.

Je voudrais vous poser trois questions. La France a-t-elle, comme le dit un journal télématique plutôt situé à gauche, les moyens de ses objectifs ? Qu’a-t-on prévu pour la sécurisation des villes qui seront arrachées aux mains des rebelles ? Qu’est-ce qui est prévu sur le plan humanitaire à un moment où 150 000 réfugiés sont déjà en train de fuir ? Merci de me répondre, monsieur le Premier ministre.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, le Premier ministre a rappelé les objectifs que la France se donnait pour combattre les groupes terroristes et rétablir l’intégrité du Mali. En qualité de ministre de la défense, j’apprécie l’unité nationale qui se forge autour de cet objectif.

Plusieurs députés du groupe UMP. Sauf les Verts !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour compléter les propos du Premier ministre, je voudrais préciser quels sont les engagements de nos forces armées sur le territoire malien.

Premièrement, elles doivent assister les forces maliennes dans leur action pour enrayer la progression des groupes terroristes vers le sud, soit par frappes aériennes soit par l’intervention d’éléments terrestres qui sont en ce moment déployés au sud.

Deuxièmement, elles doivent frapper dans la profondeur les bases arrière des groupes terroristes pour éviter qu’ils ne se ressourcent et ne reviennent vers le sud.

M. Guy Teissier. Ce n’est pas la question !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Troisièmement, elles doivent sécuriser Bamako pour assurer la stabilité de la capitale malienne et la pérennité de ses institutions.

Quatrièmement, elles doivent préparer l’intervention et l’organisation des forces armées africaines autour de l’état-major nigérian.

Ce déploiement, ces actions sont en cours et je voudrais saluer la qualité et le professionnalisme de nos forces qui, cinq heures seulement après la décision du Président de la République, ont été capables de frapper. La qualité et le courage de nos armées est la garantie du succès de l’intervention de la France au Mali. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Guy Teissier. Il faut leur en donner les moyens !

Absentéisme scolaire

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe Rassemblement-Union pour un Mouvement Populaire.

M. Éric Ciotti. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale. L’absentéisme scolaire constitue un fléau qui touche dans notre pays plusieurs dizaines de milliers, voire plusieurs centaines de milliers d’enfants.

La précédente majorité, à l’invitation du président Sarkozy, du Premier ministre François Fillon et du ministre de l’éducation nationale Luc Chatel, avait porté un texte de loi visant à mettre en place un dispositif équilibré, gradué et proportionné, permettant de combattre ce fléau.

Vous avez décidé, monsieur le ministre, avec votre majorité, d’abroger ce texte.

M. Marcel Rogemont. Analysez ses résultats !

M. Éric Ciotti. Demain, notre assemblée sera saisie d’une proposition de loi venant du groupe socialiste du Sénat, visant à mettre un terme à ce dispositif.

Votre décision est particulièrement dangereuse parce qu’elle ne repose que sur une approche idéologique et irresponsable.

M. Marcel Rogemont. C’est vous qui êtes dans l’idéologie !

M. Éric Ciotti. Idéologique car, en fin de compte, vous refusez toute forme d’autorité, de responsabilisation, de sanction. La loi du 28 septembre 2010 permettait de suspendre les allocations familiales lorsque le principe essentiel de l’autorité parentale n’était pas respecté. Les familles ont des droits, mais aussi des devoirs, dont celui de respecter le principe, fondé par Jules Ferry, de l’obligation scolaire.

Cette loi a eu des résultats très efficaces. Un rapport que vous tenez secret, monsieur le ministre, le démontre : 90 % des élèves retournent à l’école une fois l’avertissement reçu. Je vous pose donc, avant le débat de demain, la question : pourquoi refusez-vous de publier ce rapport ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. Monsieur le député, si nous allons soutenir la proposition de loi déposée par Mme la sénatrice Françoise Cartron, c’est parce que le dispositif que vous avez fait adopter en 2010 nous apparaît injuste et inefficace, voire démagogique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Il est injuste parce qu’il s’applique aux familles les plus pauvres (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Il est inefficace : sur 12 millions d’élèves scolarisés, environ 300 000 sont absentéistes ; les allocations d’environ 619 familles ont été suspendues ; 842 enfants sont retournés à l’école. Par conséquent, dans 80 % des cas, la mesure n’a servi à rien. (Même mouvement.)

M. Jacques Alain Bénisti. C’est faux !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Enfin, cette mesure est démagogique, et d’ailleurs votre parti, l’UMP, ne vous a pas soutenu.

Quelques jours avant le vote de ce dispositif, M. Chatel, ministre de l’éducation nationale, avait pris une circulaire sur l’absentéisme, où il disait précisément que le phénomène relevait d’abord de l’Éducation nationale et que son traitement supposait un dialogue avec les familles. Quant à M. Jacob, ministre de la famille appartenant à votre parti, il avait même fait supprimer le dispositif. Contrairement à ce que vous dites, l’UMP a été très divisée sur ce sujet.

M. Yves Nicolin. Ressaisissez-vous, vous êtes à la dérive !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Le fameux rapport dont vous parlez, et qui n’est pas secret, a bien montré qu’il y avait des difficultés. Nous travaillons à un dispositif différent, en recherchant l’accord des familles, de façon à régler ce problème très important pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Droits de plantation viticole

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Dupré, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Paul Dupré. Monsieur le ministre de l’agriculture, le 31 juillet dernier, j’évoquais ici même le devenir de la viticulture française compte tenu du projet européen de libéralisation des droits de plantation, en insistant sur ses conséquences économiques et sociales désastreuses, que nous avions dénoncées dès 2008 lorsque la France, par la voix de son ministre de l’agriculture de l’époque, Michel Barnier, avait soutenu ce dispositif. Votre réponse a laissé clairement apparaître que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait pris la pleine mesure de l’importance majeure de ce dossier sur lequel vous-même, monsieur le ministre, vous êtes très fortement impliqué.

La Commission européenne est-elle aujourd’hui disposée à revenir enfin sur ce nocif projet de libéralisation des droits de plantation, afin de pouvoir maîtriser la production et de préserver à la fois la qualité et la spécificité de notre viticulture ? Comme vous l’évoquiez, monsieur le ministre, ce sont en effet l’image de la France et celle de l’Europe qui sont en jeu. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Avant toute chose, je note que les questions agricoles intéressent fort les députés de l’UMP puisqu’ils partent au moment où nous abordons un sujet très important. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Herbillon. Et ceux de la majorité, que font-ils ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. La décision de supprimer les droits de plantation a été décidée fin 2007, avant le débat sur le « bilan de santé » de la politique agricole commune. Elle a eu pour conséquence, à l’époque, de libéraliser la production viticole, dans l’idée que l’Europe pourrait ainsi conquérir les nouveaux et vastes marchés de la consommation de vin dans le monde. La décision prise devait s’appliquer en 2015.

Vous l’avez rappelé, le Gouvernement s’est mobilisé dès les mois de juin et de juillet pour revenir sur cette décision. Le commissaire européen à l’agriculture, lors d’un déplacement dans l’Aude à la fin de l’année dernière, a considéré qu’il fallait revenir sur la suppression des droits de plantation.

Un pas important vient donc d’être franchi, et la discussion va s’engager sur la base du nouveau texte que nous allons proposer prochainement. Je rencontre la semaine prochaine le ministre irlandais de l’agriculture puisque l’Irlande préside l’Union depuis le début de l’année. J’entretiens de bonnes relations avec lui et j’espère que, sur la base des discussions et de la plateforme que nous avons constituée avec quatorze pays, nous allons remettre en ordre ce qui avait été déstructuré. Il était inacceptable qu’un produit comme le vin soit banalisé. C’est terminé à présent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

Réforme des rythmes scolaires

M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Didier Quentin. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, je souhaite vous interroger sur la réforme des rythmes scolaires. Nous n’en mésestimons pas l’intérêt pour les enfants, même si votre projet de décret a été désavoué par la communauté éducative. Le représentant du principal syndicat du primaire – qui n’est pas UMP, je m’empresse de le dire (Sourires) – a même évoqué « un projet bricolé, incomplet et insatisfaisant ». (« Très bien ! » sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Je tiens surtout à me faire l’écho de nombreux élus locaux qui s’inquiètent des conséquences financières d’une telle mesure. L’aide annoncée de 250 millions d’euros, soit 50 euros par élève, apparaît bien inférieure au coût que les communes devront réellement supporter.

M. Guy Geoffroy. Le triple !

M. Didier Quentin. C’est ainsi que la commission consultative d’évaluation des normes, composée d’élus et de représentants de l’État, a refusé d’émettre un avis sur votre projet de décret au motif que l’impact financier sur les communes n’avait pas été évalué et que le décret devrait reconnaître clairement ce coût supplémentaire.

La charge sera aussi très lourde pour les conseils généraux au titre du transport scolaire. À titre d’exemple, le conseil général de la Charente-Maritime, présidé par notre collègue Dominique Bussereau, a estimé que cette mesure représenterait deux points et demi de fiscalité en plus.

Se pose enfin la question de la responsabilité des élus, soulevée par l’Association des maires de France. Qui sera responsable des activités périscolaires ? Que faire des enfants après ces activités, sachant que les parents viennent généralement chercher leurs enfants entre 17 et 18 heures ?

Monsieur le ministre, plutôt que d’imposer une réforme encore très floue, à l’intérêt pédagogique discutable, ne serait-il pas préférable de revoir votre copie ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupe UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, je crois sincèrement, et vous pouvez partager ce point de vue, que la charge la plus lourde que nous aurons à supporter sera l’échec de nos enfants, de nos élèves, la régression de leurs performances scolaires qui annoncent, pour les prochaines années, un profond déclin. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Vous ne pouvez pas être à la fois de ceux qui souffrent de ce déclin….

M. Claude Goasguen. Syllogisme !

M. Vincent Peillon, ministre. …et de ceux qui savent, pour les avoir ici approuvées, qu’un certain nombre de pistes existent, autour desquelles nous pouvons rassembler les Français : accorder la priorité au primaire, améliorer la formation des enseignants, donner du temps pour apprendre. Votre génération en a eu ; pourquoi en priver les nouvelles alors que tous les autres pays du monde leur donnent ce temps ?

Oui, nous devons être capables de mener tous ensemble cette réforme.

Est-elle difficile à mettre en œuvre ? Bien sûr.

M. Guy Geoffroy. Elle est surtout précipitée !

M. Vincent Peillon, ministre. Il sera difficile de surmonter un certain nombre de mauvaises habitudes que nous avons prises et qui ont abouti à un tel résultat pour notre jeunesse.

Oui, ce sera difficile, car il faut faire travailler ensemble des collectivités locales, des professeurs, des parents, des caisses d’allocations familiales.

Est-ce nécessaire ? Oui, et c’est même urgent.

M. Patrice Verchère. Vous ne la financez pas !

M. Vincent Peillon, ministre. C’est pour cette raison que le Président de la République a souhaité dégager un fonds de 250 millions d’euros.

Vous prétendez, avec la bonne foi qui vous est coutumière, que cela représente 50 euros par enfant. En réalité, si vous lisez correctement les dispositions, vous vous apercevez qu’en additionnant les sommes de 50, 40 et 45 euros, c’est à 135 euros par enfant que l’on aboutit !

M. Guy Geoffroy. Pas pour tout le monde !

M. Vincent Peillon, ministre. En 2013 et 2014, pour les territoires, ruraux et urbains, qui sont le plus en difficulté, un certain nombre d’élus, notamment sur vos bancs, ont fait cette demande : elle est juste, elle est dans l’intérêt du pays, et j’espère que vous serez au rendez-vous de l’avenir de nos enfants et du redressement de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)

Présidence de Mme Laurence Dumont
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Nomination de députés en mission temporaire

Mme la présidente. Le président de l’Assemblée nationale a reçu du Premier ministre deux lettres l’informant de sa décision de charger M. Mathias Fekl, député du Lot-et-Garonne, d’une mission temporaire auprès du ministre de l’intérieur, et M. Michel Vauzelle, député des Bouches-du-Rhône d’une mission temporaire auprès du ministre des affaires étrangères.

4

Contrat de génération

Discussion, après engagement
de la procédure accélérée, d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant création du contrat de génération (nos 492, 570).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je suis heureux que le premier texte de cette rentrée soit consacré au contrat de génération, qui est un engagement présidentiel. Ce dispositif, qui a fait l’objet d’un accord unanime des partenaires sociaux, est un nouvel outil innovant au service de la refondation que nous avons entreprise des politiques de l’emploi.

Après le projet de loi sur les emplois d’avenir, solution d’urgence pour les jeunes les plus en difficultés, voté ici même il y a deux mois – beaucoup d’entre vous étaient acteurs de ce débat et s’en souviennent –, nous poursuivons la bataille pour l’emploi en nous attaquant aux déséquilibres et aux injustices de notre marché du travail.

Le premier déséquilibre que nous devons corriger, c’est la précarité.

L’accord sur la sécurisation de l’emploi, tout juste conclu par les partenaires sociaux, va entraîner une inflexion des pratiques des employeurs, en privilégiant le contrat à durée indéterminée sur l’embauche en contrat à durée déterminée, y compris par l’introduction d’une modulation des cotisations d’assurance chômage. Nous aurons l’occasion de débattre dans quelques semaines de la traduction législative de cet important accord, porteur, me semble-t-il, d’une nouvelle dynamique du marché du travail.

Mais le contrat de génération aussi est une arme dans la lutte contre la précarité qui touche particulièrement les jeunes, dans la mesure où il promeut l’embauche en contrat à durée indéterminée. Ce contrat de génération a été porté par le Président de la République devant les Français durant la dernière campagne électorale. C’est une belle idée, qui séduit beaucoup de Français et qui prend vie aujourd’hui : celle de la réunion des générations, du transfert du savoir, de la cohésion de notre société alliée à la performance de notre économie. L’idée simple de faire davantage de place aux plus jeunes sans pousser dehors les plus anciens.

Notre pays se prive de compétences et de ressources en maintenant les jeunes et les salariés âgés à l’écart de l’emploi. Seul un jeune salarié sur deux est en contrat à durée indéterminée. Les jeunes qui terminent leurs études ne se voient proposer, dans le meilleur des cas, que des stages, des contrats courts ou des missions d’intérim. Ce n’est qu’après plusieurs années de contrats précaires qu’ils peuvent prétendre à un contrat à durée indéterminée. Ces années retardent l’accès à l’autonomie, car accéder à un logement indépendant, construire une famille ou simplement bâtir des projets s’avère extrêmement difficile sans un emploi stable.

Les salariés seniors, quant à eux, sont certes plutôt moins touchés par le chômage que la moyenne de la population – leur taux de chômage est de 6,5 % –, mais le nombre de demandeurs d’emploi seniors est en forte augmentation et il leur est très difficile, pour ne pas dire impossible, de retrouver un emploi stable lorsqu’ils perdent leur travail à quelques années de la retraite. Le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans était de 41 % en 2011. Il a, certes, progressé ces dernières années, mais il reste largement inférieur à l’objectif de 50 % des seniors en emploi fixé au niveau européen.

Je reçois, comme vous, de nombreux courriers de salariés âgés au chômage. Ils se sentent souvent rejetés par la société, alors même qu’ils sont en pleine possession de leurs compétences et qu’ils ont à transmettre une expérience d’une richesse incomparable. Le sentiment d’inutilité qui peut vous envahir dans une telle situation est profondément dommageable. Dans une économie où les compétences et savoir-faire sont le premier atout, il s’agit d’un gâchis inacceptable. Nous devons donc tout faire pour que les talents de tous soient utilisés au profit de tous.

Le contrat de génération propose donc d’abord un changement de regard : au lieu d’opposer les générations, pour la première fois, il les rassemble. Dans un monde aux repères mouvants, chaque génération a de quoi apprendre de celles qui la suivent ou qui la précèdent. C’est particulièrement vrai au sein des entreprises : les salariés âgés sont souvent détenteurs de savoir-faire qui risquent de se perdre après leur départ ; les jeunes sont souvent mieux au fait du dernier état des savoirs ou des technologies et ont également des compétences à transmettre à leurs aînés. Pour être opérants, ces processus de transmission doivent être organisés. Il importe de repérer les compétences clés et d’assurer leur circulation au sein des entreprises. C’est l’un des objectifs majeurs du contrat de génération.

L’enjeu est massif, pour notre société comme pour la compétitivité de nos entreprises. D’ici à 2020, plus de cinq millions d’actifs aujourd’hui en poste seront partis à la retraite et, parallèlement, près de six millions de jeunes auront fait leur entrée sur le marché du travail. Anticiper ce renouvellement des compétences est une nécessité économique et sociale. Longtemps, nous avons considéré que faire partir les plus âgés permettait de faire place aux plus jeunes. Cela n’a pas fonctionné, dans les faits. Les études montrent en effet que le chômage des jeunes augmente en même temps que l’emploi des seniors décroche. Le Gouvernement a donc décidé de tourner le dos à cette fausse logique. D’un même mouvement, nous voulons traiter trois objectifs : l’insertion des jeunes, le maintien en emploi et l’embauche des seniors et la transmission des compétences. Le contrat de génération apporte ainsi à deux des principaux maux de notre marché du travail, le chômage aux deux bouts de la chaîne des âges, une même solution.

Mais plus qu’une mesure pour l’emploi, le contrat de génération est un dispositif qui permet de donner du sens au travail. Ce sens, pour le senior, c’est de ne pas laisser perdre une vie de travail, d’engagement et de savoirs cumulés. Le contrat de génération lui offre la possibilité de voir son action prolongée. Pourquoi se lever tous les matins pendant plus de quarante ans si tout s’évanouit du jour au lendemain ? Au jeune, le contrat de génération permettra d’apprendre en situation, dans un vrai emploi, au contact des plus expérimentés. Il gagnera ainsi l’expérience qui lui manque, la fera sienne et lui apportera son dynamisme et sa créativité.

Nous voulons faire de ce contrat de génération une source de motivation pour tous, en montrant à chacun qu’il est utile.

Le contrat de génération a été un des premiers actes de la méthode que privilégie le Gouvernement, celle du dialogue social. Lors de la grande conférence des 9 et 10 juillet derniers, les partenaires sociaux ont exprimé le souhait de négocier sur les modalités du contrat de génération. Début septembre, le Gouvernement, dans un document d’orientation, a fixé, comme il se doit, le cadre de cette négociation. Le contrat de génération, au terme d’une négociation de deux mois, a fait l’objet d’un accord national interprofessionnel signé par l’ensemble des partenaires sociaux le 19 octobre dernier. Il est clair qu’il ne pouvait naître sous de meilleurs auspices. Le texte qui vous est présenté est, pour l’essentiel, la transcription de cet accord pour les dispositions qui relèvent du domaine de la loi.

Le dispositif lui-même fait une très large place à la négociation au sein des entreprises et des branches professionnelles. C’est la meilleure garantie pour que le contrat de génération puisse s’adapter à la situation de chaque entreprise. L’enjeu de la gestion des âges se présente en effet de manière très différente selon la taille, le secteur et la pyramide des âges des salariés. Le contrat de génération sera d’abord l’occasion d’un diagnostic et d’un réexamen des pratiques dans les entreprises et dans les branches. Chaque entreprise de plus de 50 salariés devra réaliser un état des lieux de la situation des jeunes, des seniors, des savoirs et compétences-clés. Il balaiera les dimensions quantitatives et qualitatives et identifiera notamment les métiers dans lesquels la proportion de femmes et d’hommes est déséquilibrée, afin d’accroître la mixité dans le cadre des nouveaux recrutements que permettra le contrat de génération.

Le suivi et le soutien des jeunes entrant dans l’emploi sont un aspect important du contrat de génération pour favoriser à la fois la stabilisation dans l’emploi et la transmission des compétences. Conformément à l’accord national interprofessionnel, les modalités d’organisation de cet accompagnement seront souples et pragmatiques quant au lien de tutorat entre le jeune et le senior, ce dernier n’étant pas toujours le mieux placé pour assurer l’accompagnement effectif du jeune.

L’article 1er du projet de loi, le principal, prévoit les modalités de mise en œuvre du contrat de génération en fonction de la taille des entreprises.

Nous considérons, et les partenaires sociaux avec nous, que les grandes entreprises, celles qui comptent 300 salariés et plus, ont généralement en interne les moyens de mettre en place la dynamique du contrat de génération, sans qu’une incitation financière soit nécessaire. Ces entreprises devront donc obligatoirement engager une négociation sur le contrat de génération, qui devra se traduire par des engagements concrets de progrès. Dans ces entreprises, la réflexion sur les pratiques sera particulièrement importante. Par souci de cohérence et de simplicité, les accords sur le contrat de génération se substitueront aux anciens accords seniors, avec une ambition plus vaste incluant l’emploi des jeunes et leur intégration dans l’entreprise, ainsi que la gestion et la transmission des compétences. Ainsi nous ne créons pas une nouvelle négociation obligatoire, nous en substituons une plus large, le contrat de génération, à une autre plus étroite, les accords seniors.

Les partenaires sociaux ont souhaité que la recherche d’un accord soit privilégiée. Le plan d’action unilatéral de l’employeur ne vient donc qu’en dernier ressort, à l’issue de l’échec d’une négociation menée de bonne foi attesté par un procès-verbal de désaccord. C’est une démarche que nous approuvons, car le précédent des accords seniors a montré qu’en l’absence d’une vraie incitation à négocier, beaucoup d’entreprises se contentent d’un plan d’action. Deux tiers d’entre elles furent dans ce cas.

Tous ces accords et plans d’action feront, bien sûr, l’objet d’une validation par l’administration de mon ministère, à la différence, là encore, des précédents accords seniors, que les entreprises avaient la liberté de transmettre ou non. Pour les entreprises de plus de 300 salariés, la mise en œuvre des engagements souscrits donnera lieu à une évaluation annuelle qui permettra de mesurer précisément les progrès accomplis. En l’absence d’accord ou de plan d’action, l’entreprise sera soumise à une pénalité, fixée par l’autorité administrative en fonction de la situation de l’entreprise et plafonnée à 10 % du montant des exonérations de cotisations patronales dont bénéficie l’entreprise ou, si ce montant est plus élevé, à 1 % de sa masse salariale. La possibilité laissée à l’administration de moduler le niveau de pénalité, issue d’une jurisprudence du Conseil d’État sur les négociations portant sur l’égalité professionnelle, me paraît introduire une proportionnalité légitime dans la sanction.

Les entreprises de moins de 300 salariés bénéficieront, quant à elles, d’une incitation financière pour s’engager dans la démarche du contrat de génération. Cette aide de l’État sera importante. Elle représentera 2 000 euros par an pour un plein-temps, pour l’embauche d’un jeune comme pour le maintien dans l’emploi d’un senior, soit 4 000 euros par an au total et 12 000 euros sur la durée maximale de l’aide, qui est de trois ans. Nous voulons que les emplois créés soient de qualité et l’obligation de CDI nous paraît essentielle. Elle n’exclut pas les contrats en alternance : le contrat de professionnalisation en CDI est éligible au contrat de génération ainsi que les embauches en CDI à la suite d’un contrat en alternance, y compris d’un contrat d’apprentissage. Thierry Repentin reviendra sur cet aspect extrêmement important du dispositif.

La commission des affaires sociales a souhaité renforcer les exigences en fixant une condition d’emploi à temps plein pour l’embauche des jeunes. Je comprends parfaitement votre volonté légitime, monsieur le rapporteur et madame la présidente, de lutter contre le temps partiel subi. Je partage naturellement cet objectif. Mais il faut être attentif au fait que le temps partiel n’est pas toujours subi. Il peut, dans certains cas, dont les enquêtes emploi nous disent qu’ils sont nombreux, répondre à des choix de vie personnels délibérés ou à l’adaptation à des contraintes ou à des nécessités. Je pense, par exemple, aux travailleurs handicapés, qui ne sont pas toujours aptes à occuper un emploi à temps plein, aux jeunes qui poursuivent en parallèle une formation ou aux personnes, homme ou femme, qui peuvent avoir besoin de s’occuper d’un enfant ou d’un parent, parfois un seul jour dans la semaine. Pour préserver l’ambition d’éviter toute forme d’emploi synonyme de précarité sans exclure injustement des jeunes pour qui cette voie d’accès à l’emploi est susceptible de représenter une opportunité formidable, le Gouvernement proposera au cours de la discussion une solution plus souple que l’interdiction générale du temps partiel.

Les entreprises de 50 à 300 salariés auront accès à cette aide si elles négocient un accord d’entreprise ou, à défaut, mettent en place un plan d’action ou bien sont couvertes par un accord de branche étendu. Leurs obligations seront bien sûr allégées par rapport aux plus grandes. Ainsi, elles n’auront pas à transmettre chaque année un document d’évaluation qui aurait pu représenter une charge importante pour des entreprises de taille limitée.

Conformément à l’accord des partenaires sociaux, les entreprises de moins de 50 salariés, qui sont les plus nombreuses et qui embauchent le plus de jeunes en France, auront accès à l’aide sans obligation de négociation préalable. L’entreprise pourra en effet prétendre à cette aide dès lors qu’elle embauche en CDI un jeune de moins de 26 ans ou un jeune reconnu travailleur handicapé de moins de 30 ans et qu’elle s’engage à maintenir dans l’emploi un salarié de 57 ans et plus ou 55 ans et plus s’il s’agit d’un travailleur handicapé. Elle peut également recruter un senior de 55 ans ou plus : c’est une innovation intégrée par les partenaires sociaux. Ainsi, une entreprise qui n’a pas de salarié senior, comme c’est le cas de beaucoup de petites entreprises, peut néanmoins percevoir l’aide au titre du contrat de génération dès lors qu’elle recrute à la fois un jeune et un salarié âgé de 55 ans ou plus.

L’aide associée au jeune sera individuelle et sera maintenue trois ans au plus. L’aide relative au senior pourra être accordée jusqu’à son départ à la retraite. L’entreprise pourra bénéficier d’autant d’aides au titre du contrat de génération qu’elle compte de salariés seniors de 57 ans et plus, dès lors qu’elle embauche un nombre équivalent de jeunes en CDI. Évidemment, l’aide ne sera pas versée sans conditions. Elle ne pourra pas être accordée lorsque l’entreprise a procédé à un licenciement économique dans les six mois précédents dans la catégorie professionnelle dans laquelle est prévue l’embauche du jeune.

Le contrat de génération pourra également favoriser le maintien du tissu économique dans son volet transmission d’entreprise – c’est un élément extrêmement important du projet de loi qui vous est présenté. Il pourra en effet lier l’embauche d’un jeune au chef d’entreprise senior, quel que soit par ailleurs son statut, qui envisage de lui transmettre son entreprise. Il s’agit d’un aspect très important qui incitera les chefs d’entreprise seniors approchant de l’âge de la retraite à préparer leur succession et à donner sa chance à un jeune. Le contrat de génération permettra ainsi que soient transmises de très petites entreprises qui, sinon, auraient été vouées à disparaître.

L’article 2 du projet de loi prévoit la complémentarité entre les accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et les thématiques relevant du contrat de génération. Les deux négociations étant très liées, elles pourront se conjuguer, ce qui sera, là encore, un facteur de simplification pour les entreprises concernées. L’article ouvre également aux entreprises petites et moyennes la possibilité de bénéficier d’un appui en termes d’ingénierie pour concevoir et mettre en place leur politique de gestion active des âges.

L’article 4 concerne Mayotte, où des dispositions d’habilitation sont nécessaires pour la mise en œuvre du contrat de génération.

L’article 5 est relatif à l’entrée en vigueur du dispositif : pour les entreprises de plus de 300 salariés, la pénalité que j’ai décrite sera applicable faute d’avoir déposé un accord collectif ou, à défaut, un plan d’action auprès de l’autorité administrative compétente avant le 30 septembre 2013.

La commission des affaires sociales a souhaité que le contrat de génération puisse s’appliquer aux embauches en CDI conclues dès le 1er janvier pour les entreprises de moins de 50 salariés. J’y suis évidemment favorable, parce qu’il y a urgence pour l’emploi, et parce qu’il n’est pas question de céder à un attentisme qui conduirait les petites entreprises remplissant d’ores et déjà les conditions requises à différer des embauches de jeunes jusqu’au moment de la parution des textes.

Chacun aura compris que l’objectif du contrat de génération est d’infléchir les pratiques des entreprises dans plusieurs directions : l’accroissement des embauches de jeunes en CDI ; l’arrêt des départs anticipés de seniors et, chaque fois que c’est possible, l’accroissement des recrutements de seniors ; enfin, l’anticipation de la transmission de leurs compétences.

En ce qui concerne les jeunes, en plus des embauches nettes qui pourront être favorisées par les dispositions négociées et par les aides financières, on doit attendre du contrat de génération une substitution d’embauches en CDD par des embauches en CDI. Le contrat de génération devrait ainsi contribuer à faire davantage du CDI la norme des embauches, même pour les jeunes, ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui.

Environ 500 000 embauches de jeunes en cinq ans pourraient être réalisées dans le cadre du contrat de génération dans les entreprises de moins de 300 salariés, ce qui représente 100 000 embauches par an en régime de croisière. Sur cette base, le contrat de génération représenterait – je veux répondre à ce qui constitue, pour vous, une préoccupation bien légitime – un coût annuel d’un peu moins de 900 millions d’euros, somme à laquelle il faut ajouter les moyens que l’État souhaite consacrer au conseil aux petites entreprises dans la mise en œuvre du dispositif, pour un montant de 40 millions d’euros par an.

Le contrat de génération sera financé par des crédits budgétaires, dans le cadre du pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Il en constitue en effet une mesure importante, à la fois sur le plan de la compétitivité-coût – 4 000 euros par an et par emploi, ce n’est pas rien –, avec une aide financière ciblée sur les petites et moyennes entreprises, et sur le plan de la compétitivité hors coût, grâce à une plus grande anticipation dans la gestion des compétences, favorable à la performance des organisations.

La montée en charge du contrat de génération sera, bien sûr, progressive la première année, c’est-à-dire cette année. Avec 85 000 contrats de génération aidés d’ici à la fin de l’année, le coût pour 2013 resterait limité à un peu moins de 200 millions d’euros. Dans le cadre des dispositions qui ont été prises par le ministre du budget en ce début d’année, ces crédits seront évidemment mis à la disposition de mon ministère.

Dans les entreprises de plus de 300 salariés, nous devrions compter, dès la fin de cette année, près de 800 000 jeunes de moins de 26 ans déjà en CDI, plusieurs dizaines de milliers d’embauches en CDI de nouveaux jeunes et 400 000 seniors de 57 ans et plus, concernés par les accords collectifs sur le contrat de génération.

Pour conclure, je voudrais rappeler que ce texte est la transcription d’un accord national interprofessionnel, ce qui place le débat parlementaire dans une configuration un peu particulière, car il est important de ne pas trahir la confiance des partenaires sociaux, en ne portant pas atteinte aux équilibres qui ont permis de forger un consensus autour de ce texte. Le travail d’amendement permettra, je n’en doute pas, des améliorations, ce que les travaux de la commission ont déjà démontré, mais sans trahir ces équilibres et la volonté des signataires. Sur ce texte qui fait une place éminente à la négociation collective, je vous appelle à faire confiance au dialogue social.

Je souhaite ici vous remercier, mesdames, messieurs les députés, et remercier tout particulièrement M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour l’important travail qu’il a effectué dans des délais brefs. Nous nous trouvions hier sur son territoire, en Saône-et-Loire, où nous avons rencontré les dirigeants et les salariés de deux entreprises, et je puis vous dire que notre message passe extrêmement bien – peut-être souhaitera-t-il en dire un mot dans quelques instants. Je remercie également Mme Catherine Lemorton pour son action à la tête de la commission des affaires sociales, qu’elle préside et anime avec talent. Enfin, je remercie les députés membres de cette même commission – notamment celles et ceux présents aujourd’hui, dont les visages me sont familiers – pour le travail qu’ils ont d’ores et déjà fourni.

Je sais bien qu’au sein de l’hémicycle, certains sont hésitants, mais comment s’opposer à un texte conciliant des créations d’emploi en CDI pour les jeunes et le maintien des salariés âgés en emploi, un texte porté par un accord unanime de l’ensemble des organisations patronales et syndicales et qui favorise aussi bien la compétitivité des PME que l’emploi des plus fragiles ?

Nous ne sommes pas obligés d’avoir des débats artificiellement clivants. Au contraire, nous avons ici, avec le contrat de génération, une vraie opportunité de progrès collectif et de changement de regard, et il me semblerait vraiment dommage de rater cette opportunité. Le temps presse ; il nous faut rendre confiance à nos jeunes, à nos seniors, à nos entreprises. Je compte sur vous pour cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, ainsi que le rappelait fort à propos Michel Sapin dans son intervention, les jeunes, quel que soit leur niveau de diplôme, sont aujourd’hui, hélas ! les principales victimes de la précarité sur le marché du travail.

On ne peut se résoudre à accepter cette situation paradoxale. C’est en effet au début de la vie active que l’on a besoin de sécurité professionnelle pour acquérir un logement, disposer de moyens de mobilité, enraciner un couple, bref : démarrer sa vie avec une dose légitime d’espoir et de confiance. En remettant au centre du jeu le CDI comme modalité première d’embauche des jeunes, le contrat de génération va constituer une formidable locomotive pour la sécurisation de leurs parcours professionnels.

Cependant, il n’est pas rare que l’embauche, même en CDI, ne suffise pas à stabiliser un jeune dans une entreprise. Dans certains cas, il peut se sentir mal intégré, avoir du mal à tisser des liens de sociabilité professionnelle. Le savoir académique ou professionnel qu’il a acquis durant sa formation initiale n’est pas, à lui seul, suffisant pour qu’il s’approprie les règles de savoir-faire ou de savoir-être propres à l’entreprise. L’échec est possible, même en CDI, et, faute d’accompagnement, l’intégration professionnelle peut se trouver brutalement abrégée.

C’est pourquoi je souhaite pouvoir mobiliser les leviers de la formation continue au service de l’intégration durable dans l’emploi des jeunes bénéficiaires d’un contrat de génération. En la matière, la nouvelle convention-cadre 2013-2015 que nous nous apprêtons à signer avec les partenaires sociaux gestionnaires du désormais célèbre Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels – le FPSPP, dont nous avions beaucoup parlé dans le cadre de l’examen du texte sur les emplois d’avenir – va jouer un rôle important, puisqu’elle prévoit le soutien des actions de professionnalisation des jeunes bénéficiaires d’un contrat de génération, dès les premiers mois de leur CDI.

D’autre part, l’accord national interprofessionnel relatif au contrat de génération en date du 19 octobre 2012 prévoit que « tout jeune recruté bénéficiera d’un parcours d’accueil dans l’entreprise et d’un référent ». Le FPSPP interviendra également positivement sur ce plan en finançant l’élaboration de référentiels interbranches relatifs au rôle de tuteur et de référent qui faciliteront l’accueil des jeunes dans l’entreprise ainsi que la transmission des savoirs et des expériences. Grâce aux outils de la formation au sens large, le rôle intégrateur du CDI sera renforcé et le pacte intergénérationnel s’en trouvera conforté au sein de l’entreprise.

Outre le contrat de génération et ses attributs en matière de formation, il est un autre vecteur de l’emploi durable des jeunes auquel, vous le savez, le Gouvernement est très attaché : je veux parler du contrat en alternance. Loin de se concurrencer, comme certains ont pu le craindre – et parfois, le craignent encore –, grâce à ce texte, les contrats de génération et les contrats en alternance seront complémentaires et joueront gagnant-gagnant. En effet, il est utile de préciser que le recrutement d’un jeune en contrat de professionnalisation en CDI sera éligible au contrat de génération, tout comme la pérennisation en CDI au sein de l’entreprise d’un contrat d’apprentissage ou d’un contrat de professionnalisation précédemment conclu en CDD.

De plus, l’accord national interprofessionnel, dont les dispositions sur ce point seront déclinées dans les textes d’application de la loi portant création du contrat de génération, prévoit que les entreprises de plus de 50 salariés devront engager la négociation d’un accord collectif intergénérationnel qui précisera les modalités de recours ou de développement des contrats en alternance dans l’entreprise et fixera des objectifs chiffrés en matière de recrutements de jeunes en CDI, y compris lorsque le CDI succède à une formation en alternance.

Ainsi, la dynamique du contrat de génération favorisera la croissance du nombre de jeunes alternants accueillis au sein des entreprises françaises. Mais elle confortera aussi – je sais que certains y sont sensibles – la continuité du parcours des jeunes, en augmentant le taux d’embauche directe à l’issue des contrats en alternance.

La dynamique globale créée au sein de l’entreprise en matière de transmission de savoirs et d’expérience contribuera aussi à la qualité du suivi du jeune, facteur de succès. Car si le contrat de génération n’est certes pas un nouveau contrat en alternance, il n’en demeure pas moins qu’il emprunte à l’alternance la place accordée à l’intermédiation indispensable pour transformer le travail productif en compétences, grâce à un référent qui ne doit pas être forcément le senior maintenu dans l’emploi, mais dont le rôle ressemblera, quoi qu’il en soit, à celui d’un tuteur ou d’un maître d’apprentissage.

Dans la panoplie des moyens disponibles pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes, le contrat de génération tiendra donc une place de choix aux côtés des emplois d’avenir, votés il y a quelques mois et dont le déploiement est en cours, et des mesures de développement de l’apprentissage que le Gouvernement envisage de mettre en œuvre d’ici à l’été prochain.

En matière d’insertion professionnelle des jeunes, je veux insister sur le sauvetage de l’AFPA, annoncé hier à Caen par le Premier ministre – chez vous, madame la présidente –, une AFPA que nous avons rénovée et sauvée alors qu’il est permis de se demander si sa disparition n’avait pas été programmée par le précédent gouvernement.

D’autres projets sont en cours. Je pense notamment à la mise en place du compte personnel de formation, sur le principe duquel les partenaires sociaux se sont récemment mis d’accord dans le cadre de l’accord sur la sécurisation de l’emploi, ainsi qu’à la prochaine loi de décentralisation, qui viendra renforcer les compétences des régions en matière de formation professionnelle. Vous aurez à vous prononcer sur ces dispositifs dans les mois qui viennent.

Enfin je veux rappeler que, dans le prolongement de la grande conférence sociale de juillet dernier, les présidents de conseils régionaux et les préfets de région ont été destinataires, il y a quelques semaines, d’un document-cadre préconisant la mise en place de « pactes régionaux pour la réussite éducative et professionnelle des jeunes », qui établiront des objectifs conjoints et chiffrés de réduction du nombre de jeunes se trouvant sur le marché du travail sans qualification professionnelle.

Comme vous le voyez, le grand ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ne néglige aucun des leviers susceptibles d’être actionnés lors de l’examen des textes présentés à l’Assemblée nationale. Ces leviers sont nombreux et divers, mais cohérents et complémentaires. Ils viennent soutenir le combat que nous menons pour l’emploi, dans un esprit de confiance à l’égard de la jeunesse de notre pays et dans une motivation constante pour le développement de la formation professionnelle, qui est l’un des éléments importants de la compétitivité de nos entreprises. Les contrats de génération sont inscrits dans une chaîne d’actions et de décisions dont la logique devait être rappelée. Il vous appartiendra, d’ici à la fin de la semaine, de lui donner corps par votre vote, ce dont je ne doute pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi portant création du contrat de génération.

Comme le chef de l’État et le Gouvernement l’ont confirmé en ce début d’année, la relance de l’économie et de l’emploi constituent la priorité de notre pays. Comment pourrait-il en être autrement ?

Le contrat de génération constitue un des leviers, l’une des réponses, mais une réponse forte, aux objectifs fixés par le Président de la République : « inverser la courbe du chômage d’ici à la fin de l’année » et « mettre la jeunesse au cœur de nos priorités ».

Ce sont en effet 85 000 contrats de génération qui pourraient être conclus dès 2013 et 500 000 au total sur le quinquennat. Il s’agit donc d’une mesure d’ampleur dans la lutte non seulement contre le chômage des jeunes, mais également contre la précarité de l’emploi des jeunes. De ce point de vue, le contrat de génération, tout comme les emplois d’avenir, place résolument les jeunes au cœur de la politique de l’emploi.

Depuis des années, nous passons notre temps à inventer des dispositifs qui échouent à faire entrer les jeunes durablement sur le marché du travail. Or, pour la première fois, nous avons enfin l’occasion de voter un texte qui n’invente pas une nouvelle stratégie d’approche, sursegmentée. Pour la première fois, nous avons l’occasion de voter un texte qui vise tout simplement à faire entrer les jeunes salariés dans le droit commun, en leur proposant des CDI, parce qu’il est insensé de vouloir toujours compenser leur jeunesse auprès des chefs d’entreprise, de vouloir les excuser d’être jeunes. Leur jeunesse est une chance.

Il faut finalement revenir à ce qui n’aurait jamais dû cesser d’être : l’exigence de normalité, l’exigence de l’inclusion ordinaire dans la masse des travailleurs. Il n’y a pas de raison de traiter les jeunes qualifiés à part : ils ne sont pas malades, ils sont débutants.

D’ailleurs, le sont-ils vraiment ? Qui peut croire qu’en 2013, un enfant de la génération Y a tout à apprendre de ses aînés ? Qui peut croire qu’un jeune né après la révolution numérique n’a pas une longueur d’avance en matière de technologies, lesquelles font partie intégrante de sa vie depuis sa naissance ?

Mais l’idée phare du contrat de génération – et c’est sa spécificité, en tout cas ce en quoi il est particulièrement novateur – est celle de l’alliance des âges : il est pour la première fois véritablement question de promouvoir conjointement l’accès et le maintien dans l’emploi non seulement des jeunes mais aussi des seniors, dont on connaît la vulnérabilité particulière sur le marché de l’emploi.

Les politiques publiques en faveur de l’emploi des seniors se sont elles aussi accumulées, peut-être avec davantage de succès. Quoique... Plusieurs mesures ont été prises, en particulier les accords seniors, initiés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, qui institue l’obligation de négocier un accord d’entreprise ou de branche sur l’emploi des seniors sous peine de se voir infliger une pénalité représentant 1 % de la masse salariale. S’agissant de ce dernier dispositif, si les 34 200 plans d’action et accords d’entreprise et les 90 accords de branche attestent du succès de l’initiative, le bilan, sur le fond, est en fait plus mitigé, puisque ces accords n’ont que rarement pris en compte la gestion des âges par l’entreprise.

Dès lors, le contrat de génération constitue un objectif ambitieux, indispensable, qui doit amener les entreprises à mettre en place une véritable dynamique de gestion active des âges.

La force de ce dispositif est, tout d’abord, d’être issu du dialogue social. À l’heure où les partenaires sociaux aboutissent à un compromis sans précédent sur la sécurité de l’emploi que je tiens à saluer, l’accord conclu sur le contrat de génération apparaît comme un heureux avant-goût. Le dialogue social est aujourd’hui renoué et il faut s’en réjouir. Le Gouvernement a su lui donner toute sa place, ce que le présent projet de loi confirme d’ailleurs, puisque la mise en œuvre du contrat de génération reposera très largement sur la négociation collective au sein des entreprises. Le dialogue social est non seulement un principe, mais aussi, dorénavant, une méthode.

Je reviendrai d’abord sur le dispositif lui-même avant d’évoquer les principales modifications qui y ont été apportées par la commission des affaires sociales et les principales dispositions qui me semblent devoir encore être débattues aujourd’hui et demain dans notre hémicycle.

Le contrat de génération repose avant tout sur la combinaison de deux axes phares : d’une part, la négociation d’accords portant sur l’accès et le maintien en emploi des salariés jeunes et âgés et, d’autre part, la création d’une aide spécifique pour l’embauche d’un jeune et le maintien en emploi d’un senior.

Ces deux axes s’imbriquent pour déboucher sur le dispositif suivant, qui distingue trois catégories d’entreprises.

Les entreprises de moins de cinquante salariés ne sont pas soumises à une obligation de négociation ; elles pourront, en revanche, bénéficier de l’aide au titre du contrat de génération dès lors qu’elles embaucheront en CDI un jeune de moins de 26 ans et maintiendront dans le même temps dans l’emploi un senior de plus de 57 ans ou un salarié âgé qui aurait été recruté à 55 ans ou plus.

Les entreprises de 50 à 300 salariés seront, quant à elles, soumises à l’obligation de négocier un accord collectif ou de mettre en place un plan d’action relatif à l’accès et au maintien en emploi des jeunes et des salariés âgés. L’objectif est d’inciter ces entreprises à mettre en œuvre une gestion active des âges en leur sein. Dès lors qu’elles seront couvertes par un tel accord ou plan d’action, elles pourront également bénéficier de l’aide au titre du contrat de génération à partir du moment où elles embaucheront un jeune et maintiendront concomitamment un senior dans l’emploi.

Enfin, les entreprises de plus de 300 salariés seront soumises à une obligation de négociation d’un accord ou d’élaboration d’un plan d’action sur l’accès et le maintien en emploi des jeunes et des seniors. Ces entreprises auront jusqu’au 30 septembre pour être couvertes par un tel accord ou plan d’action : passée cette date, elles s’exposeront à une pénalité dont le plafond est fixé à 1 % de la masse salariale ou, si ce montant est plus élevé, jusqu’à 10 % des allégements de cotisations sur les bas salaires dont elles bénéficient par ailleurs.

Je veux le dire tout de suite : une telle pénalité se veut avant tout dissuasive. Il n’en est d’ailleurs pas attendu de « rendement » puisque le Gouvernement fait le pari – nous le faisons également – que les entreprises de plus de 300 salariés négocieront des accords ou mettront en œuvre des plans d’action, ce pour quoi elles sont, au vu de leur taille, suffisamment armées en termes de gestion des ressources humaines. Cette pénalité est d’ailleurs équivalente à des systèmes de pénalités existants, tels que ceux qui s’appliquent en cas d’absence d’accord ou de plan d’action relatif à l’égalité professionnelle hommes-femmes ou à la pénibilité, ou en cas d’absence d’accord ou de plan d’action seniors.

S’agissant des accords collectifs ou des plans d’action prévus par le texte, qui ne concernent que les entreprises de plus de 50 salariés, le contrat de génération se substitue au dispositif existant sur les accords seniors. Il n’est, en effet, pas nécessaire de laisser subsister ce dernier, dans la mesure où le nouveau dispositif reprend les objectifs de l’ancien tout en les articulant avec les objectifs d’embauche des jeunes et de transmission des savoirs et des compétences.

En outre, et il est important de le souligner, le système prévu au titre du contrat de génération améliore sur plusieurs points l’actuel dispositif relatif aux accords ou plans d’action seniors. En effet, en premier lieu, il suppose la réalisation d’un diagnostic préalable sur la situation de l’emploi des jeunes et des seniors au sein de l’entreprise avant le lancement d’une négociation ou l’élaboration d’un plan d’action. Il s’agit d’obliger les entreprises à dresser un bilan en la matière, afin d’identifier de manière satisfaisante les problèmes spécifiques qu’elle peut rencontrer dans ce domaine.

Ensuite, l’accord collectif une fois conclu ou le plan d’action une fois élaboré seront soumis à validation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui des accords seniors. L’administration aura donc vocation à contrôler la conformité de l’ensemble des accords ou plans d’action aux exigences posées par le législateur. C’est d’ailleurs ce contrôle ou le constat de l’absence d’accord qui pourront donner lieu à la fixation d’une pénalité pour les entreprises de plus de 300 salariés.

Enfin, une procédure d’évaluation des accords conclus ou des plans d’action mis en œuvre est prévue : les entreprises de plus de 300 salariés devront ainsi transmettre annuellement à l’administration un document d’évaluation de la mise en œuvre de l’accord ou du plan d’action qui les couvrent. Ici encore, il s’agit d’un renforcement par rapport aux accords seniors actuels.

S’agissant ensuite de l’aide prévue au titre du contrat de génération, elle est réservée aux entreprises de moins de 300 salariés. Elle est également conditionnée, pour les entreprises comptant entre 50 et 300 salariés, à la négociation d’un accord. Cette aide sera forfaitaire, équivalente à 2 000 euros pour l’embauche en CDI d’un jeune de moins de 26 ans et 2 000 euros au titre du senior maintenu en emploi, soit 4 000 euros. Elle sera versée pendant trois ans, ce qui équivaut à 12 000 euros au total.

Deux conditions supplémentaires sont également prévues par le texte, afin de contrecarrer de potentiels effets d’aubaine. L’aide sera ainsi conditionnée au non-licenciement économique, dans les six mois précédant l’embauche du jeune, sur le poste sur lequel est prévue l’embauche. Il sera également exigé de l’entreprise qu’elle ne procède pas, pendant la durée de l’aide, au licenciement d’un salarié âgé présent dans l’entreprise. Si tel était le cas, l’aide versée au titre d’un binôme jeune-senior lui serait en effet retirée.

Enfin, je voudrais dire un mot du contrat de génération dans sa dimension de transmission d’entreprise. L’aide pourra en effet également bénéficier à un chef d’entreprise senior qui souhaiterait embaucher un jeune en CDI dans la perspective de lui transmettre son entreprise. Je pense notamment aux entreprises artisanales. Il s’agit là d’un souhait fort des partenaires sociaux et le texte reprend cette possibilité.

La commission des affaires sociales a souhaité apporter un certain nombre de modifications au texte initial du projet de loi. Elle a surtout modifié deux aspects du texte. Le premier concerne les accords collectifs ou plans d’action relatifs au contrat de génération qui devront être conclus dans les entreprises de plus de 50 salariés ; le second se rapporte aux modalités relatives à l’aide au titre du contrat de génération qui sera versée aux entreprises de moins de 300 salariés.

S’agissant des accords collectifs ou des plans d’action, la commission a précisé le contenu obligatoire du procès-verbal de désaccord qui conditionne la possibilité pour l’employeur de recourir à un plan d’action, afin de s’assurer de la loyauté de la négociation menée. La commission a en effet souhaité conforter l’idée selon laquelle le plan d’action unilatéralement mis en œuvre par l’employeur n’interviendra véritablement qu’en dernier recours.

Elle a également tenu à préciser le contenu du diagnostic préalable qui devra être réalisé dans les entreprises avant le lancement de la négociation ou l’élaboration du plan d’action. L’établissement d’un tel diagnostic est en effet loin d’être anecdotique : il se présentera comme un état des lieux, un point de départ qui permettra de fixer les principaux engagements devant être pris par l’entreprise dans le cadre de l’accord.

La commission a enfin souhaité préciser le contenu des trois volets que chaque accord devra comporter : l’embauche en CDI de jeunes, le maintien en emploi des salariés âgés et la transmission des savoirs et des compétences. Les éléments développés par l’accord national interprofessionnel ont donc été repris, et ce afin de renforcer la portée de ces futurs accords.

S’agissant de l’aide relative au contrat de génération, la commission a souhaité – une décision prise à la quasi-unanimité des groupes – conditionner le bénéfice de l’aide aux seuls jeunes embauchés en CDI à temps plein. Il s’agit d’un signal fort, destiné à marquer la volonté de lutter contre la précarité de l’emploi des jeunes, qui sont, plus souvent que leurs aînés, confrontés à des situations de temps partiel subi.

La commission a également élargi la condition de non-licenciement dans les six mois précédant l’embauche du jeune non pas au seul poste sur lequel est prévue l’embauche mais à l’ensemble des postes relevant de la catégorie professionnelle dans laquelle cette embauche est prévue.

Elle a enfin tenu à préciser que tout licenciement et toute rupture conventionnelle avec l’un des salariés du binôme ouvrant droit à l’aide au titre du contrat de génération conduiront au retrait de l’aide.

Conformément à la vocation de contrôle, qui est aussi celle du Parlement, la commission a également prévu qu’un rapport annuel d’évaluation de la mise en œuvre du dispositif lui serait remis.

Le projet de loi ainsi modifié est celui qui nous est aujourd’hui soumis pour examen.

Quelques points restent à discuter ; sans anticiper sur le contenu de nos débats, je souhaiterais simplement les évoquer.

Le premier point concerne évidemment la question de la condition d’embauche du jeune à temps plein, au sujet de laquelle, monsieur le ministre, vous avez ouvert des perspectives intéressantes. On peut en effet concevoir qu’il faille prévoir une exception à cette règle ; il me semble néanmoins essentiel que cette exception n’entraîne pas un retour en arrière par rapport au souhait qui a été exprimé de lutter avec efficacité contre le temps partiel subi. En revanche, si cette exception consiste à rendre possible un contrat à temps partiel pour tenir compte de la situation familiale ou des contraintes personnelles du jeune concerné, elle me semble devoir être examinée avec attention, sous réserve que le temps partiel ne soit pas réduit en deçà de 80 % d’un temps plein.

Le deuxième point touche à la question de la pénalité. Si d’aucuns souhaitent réduire ses effets, voire la supprimer, ma préoccupation est au contraire de la rendre efficace, autrement dit de la rendre suffisamment incitative à la négociation. Je répète qu’il ne s’agit aucunement de « punir » les entreprises de plus de 300 salariés, mais bien de les amener à se saisir du sujet de l’accès et du maintien en emploi des jeunes et des seniors et à mettre en place en leur sein une véritable gestion active des âges.

Nous aurons enfin un débat sur la formation des jeunes embauchés en contrat de génération, un point qui a d’ailleurs déjà été abordé par de nombreux collègues lors de l’examen du texte en commission. À cet égard, je tiens à souligner une fois encore que le contrat de génération n’est pas un nouveau contrat aidé.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Eh oui !

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Contrairement aux emplois d’avenir, il ne s’adresse pas prioritairement aux jeunes non qualifiés. Les partenaires sociaux ont explicitement souligné ce point dans leur accord. Il n’y a pas lieu de prévoir de dispositif spécifique, puisqu’il faut inscrire le jeune dans l’entreprise pleinement et, par conséquent, lui donner accès aux plans de formation existants dans lesdites entreprises.

Avant de conclure, et fort de la visite que vous avez accepté d’effectuer hier, monsieur le ministre du travail, en Saône-et-Loire,…

M. Michel Sapin, ministre. C’était un plaisir !

M. Christophe Sirugue, rapporteur. …je voudrais témoigner du fait que ce dispositif est compris et même attendu par les entreprises, et ce quelle que soit leur taille. En effet, les deux que nous avons visitées étaient de tailles différentes. Or elles nous ont signifié leur intérêt et, plus encore, nous ont dit combien cet outil pouvait constituer un encouragement, voire, pour reprendre les termes de l’un des chefs d’entreprise, un outil d’accélération du recrutement, ce dont nous avons particulièrement besoin dans la période actuelle.

M. Michel Sapin, ministre. Absolument !

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Je dirai pour conclure que nous avons mené, au sein de la commission, à l’instar des partenaires sociaux, un dialogue constructif sur ce texte ; je souhaite que le débat puisse l’être tout autant aujourd’hui en séance publique – mais je suis confiant quant à nos conclusions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, mes chers collègues, je ne vais naturellement pas présenter en détail le contenu du projet de loi, ce qui a déjà été fait brillamment à la fois par le rapporteur, dont je salue une fois encore le travail, et par les ministres.

Je voudrais simplement faire deux remarques de portée générale. La première a trait à la méthode que le Gouvernement a choisie pour réformer notre modèle de relations sociales. La seconde porte sur l’enjeu majeur qu’aborde le présent projet de loi, à savoir la situation de l’emploi à chaque extrémité de la pyramide des âges – pour les jeunes et les seniors.

En ce qui concerne d’abord la méthode, on a déjà dit – et on le répétera sans doute encore – que ce projet de loi est la transcription d’un accord national interprofessionnel signé par l’ensemble des partenaires sociaux – aussi bien les cinq organisations syndicales de salariés que les trois organisations d’employeurs. C’est une configuration suffisamment rare pour qu’on le souligne ici et pour que nous nous en félicitions sur tous ces bancs. J’en profite pour dire que nous n’ajouterons rien au texte issu de la négociation, contrairement à ce qui s’est passé en août 2008. En effet, le gouvernement de l’époque en avait profité pour ajouter un titre II qui n’était pas dans l’accord.

L’exemple fourni par le présent texte n’est pas et ne sera pas isolé, tant ce gouvernement et sa majorité sont soucieux de renforcer et de donner toute sa place au dialogue social. Dès avant son élection, dans une tribune parue dans un grand journal du soir, le Président de la République, alors candidat, avait en quelque sorte théorisé la méthode que met aujourd’hui en œuvre le Gouvernement. Il a réaffirmé la nécessité de cette méthode et en a détaillé les étapes dans son discours d’ouverture de la grande conférence sociale qui s’est tenue en juillet dernier.

Ce qui paraît naturel chez certains de nos grands voisins ne l’est pas toujours dans notre pays. Par ses traditions, par son histoire, par son organisation sociale, la France n’a pas développé une culture de la négociation et donc du compromis. La responsabilité en est partagée : il y a d’abord celle de l’État, mais aussi celle des acteurs sociaux.

Comme l’indiquait le Président de la République dans son discours prononcé devant la conférence sociale, l’État « a souvent mené et l’histoire est longue et les majorités successives, des concertations de pure forme avec des partenaires sociaux qui y consentaient pour vivre ensuite frustrations et désillusions. [...] Mais convenons aussi [...] que les acteurs sociaux eux-mêmes n’ont pas toujours pris l’initiative pour engager, par la négociation sociale, dans le cadre interprofessionnel et même au niveau des branches, les mutations indispensables. » Avant de faire cette citation, j’avais d’ailleurs rappelé, à travers l’exemple du texte d’août 2008 sur la représentativité syndicale et sur le temps de travail, ce qu’il ne faut surtout pas faire.

Cette méthode est la bonne et elle doit être renforcée. Certains mauvais esprits ont pu dire que cette unanimité trouvée sur la mise en place du contrat de génération était conjoncturelle, tenait à la faiblesse de l’enjeu spécifique de cette négociation et que la méthode montrerait vite ses limites lorsque des questions plus cruciales seraient en jeu. Outre le fait que, comme je le dirai tout à l’heure, je conteste cette appréciation réductrice du contrat de génération, l’issue positive, vendredi dernier, de la négociation sur la sécurisation de l’emploi confirme la pertinence de l’approche choisie par le Gouvernement.

Certes, cette négociation a montré que le dialogue social est difficile, parfois chaotique – l’on a pu légitimement craindre un échec des discussions. Mais il reste porteur d’avenir – je suis persuadée que les compromis passés par ceux qui sont directement concernés sont plus durables que les décisions imposées d’en haut – et doit constituer un principe clé de notre vie démocratique.

Il est vrai que cela peut poser la question du rôle et de la place du Parlement et du législateur dans la confection de nos règles sociales. En commission, certains membres de l’opposition se sont offusqués quand, pour appeler à rejeter certains de leurs amendements, notre rapporteur a dit qu’il fallait s’en tenir au contenu de l’accord. Invoquant la souveraineté du Parlement, ils affirmaient que celui-ci n’était pas tenu par tous les termes de l’accord et qu’il pouvait donc lui apporter les modifications qu’il jugeait utiles. C’est vrai. J’observe en passant que c’est sur ces mêmes bancs, et peut-être dans la bouche des mêmes personnes, que l’on entend dire – pas plus tard qu’hier après-midi, en commission – à propos d’un autre texte de loi, qui arrivera en son temps et avec ses tumultes, que le Parlement ne serait pas légitime pour en discuter.

Naturellement, le Parlement n’est pas un simple greffier. Cependant, je reste persuadée qu’en présence d’un accord conclu par les partenaires sociaux, qui plus est à l’unanimité, il doit faire preuve d’encore plus de prudence que d’habitude, afin de mesurer exactement les conséquences des modifications qu’il envisage d’apporter. Il en va de l’efficacité et de la loyauté du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre. Très bien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Venons-en à l’enjeu majeur porté par ce projet de loi, à savoir sa contribution à la politique de l’emploi menée par le Gouvernement. Lorsque j’étais intervenue à cette même tribune lors du débat sur les emplois d’avenir, j’avais indiqué que s’il y a un domaine où le mot « urgence » – urgence économique aussi bien que sociale – n’est pas galvaudé, c’est bien en matière d’emploi et de lutte contre le chômage.

Car, messieurs les ministres, mes chers collègues, la situation de l’emploi dans notre pays – nul ne l’ignore et l’on va se faire mal en le rappelant – est mauvaise. Le Président de la République l’a encore confirmé lors de ses vœux aux Français : « Toutes nos forces seront tendues vers un seul but : inverser la courbe du chômage d’ici un an. Nous devrons y parvenir coûte que coûte. »

Notre pays offre en effet la douloureuse particularité d’être mauvais en ce qui concerne à la fois l’emploi des jeunes, d’une part, et l’emploi des seniors, d’autre part. Je ne rappellerai pas les chiffres ; ils ont déjà été cités et figurent dans le rapport de notre collègue rapporteur, M. Christophe Sirugue.

Cette situation n’est plus tenable. Nous ne pouvons pas rester sans réagir alors que, pour une grande partie de notre jeunesse, l’accès à l’emploi se fait d’abord avec l’expérience de la précarité, du temps partiel subi ou des basses rémunérations. Certes, l’élévation du niveau de formation des jeunes constitue encore un frein à l’augmentation du chômage, mais même un haut niveau de qualification ne garantit pas forcément l’accès rapide à un emploi stable.

À l’autre bout de la pyramide des âges, le taux d’activité des seniors est dramatiquement plus bas dans notre pays que chez la plupart de nos partenaires de l’Union européenne. La situation s’améliore un peu, certes, mais tout le monde conviendra que le rythme est beaucoup trop lent et incertain.

Si nous n’y prenons garde, si nous ne mettons pas tout en œuvre pour relever ce double défi, à quelle situation allons-nous aboutir ? Pour la plupart de nos compatriotes, la période de leur vie active où ils connaîtront un emploi stable et – dans le meilleur des cas – convenablement rémunéré sera de plus en plus réduite : trente ans pour les plus chanceux, entre 25 et 55 ans, avec, si l’on n’y fait rien, des parcours chaotiques – on en a malheureusement des exemples tous les jours.

Au-delà du gâchis de compétences que cela représente pour notre pays et notre économie, au-delà des souffrances que cela occasionne pour les intéressés, nous nous préparons à vivre dans une société de retraités pauvres. Je parlais tout à l’heure de trente ans – au mieux – d’activité stable et convenablement rémunérée. Lorsqu’on sait, je le rappelle, que la durée d’assurance requise pour obtenir une retraite à taux plein vient d’être fixée à 41,5 annuités pour les personnes nées en 1956 et que le salaire moyen de référence est calculé sur les vingt-cinq meilleures années, on devine quel type de retraités on va avoir.

On ne peut évidemment pas se contenter de ce constat et dire que c’est en augmentant le nombre d’années d’activité que l’on va améliorer les retraites si, dans le même temps, on met les personnes concernées au chômage – ou si on les y laisse – à partir de 55 ans, alors qu’elles sont entrées dans la vie active à 26, voire 28 ans.

Parce qu’il prend pour la première fois en considération les deux extrémités de la pyramide des âges et qu’il entend consolider à la fois l’accès à l’emploi pour les jeunes et le maintien dans l’emploi pour les seniors, ce texte constitue un outil dont nous sommes persuadés qu’il permettra de progresser dans cette double voie.

La politique de lutte contre le chômage et pour l’emploi ne saurait se résumer au seul contrat de génération. Les emplois d’avenir constituaient d’ailleurs un premier pas. À cet égard, mes chers collègues, ne confondons pas tout : ce dispositif s’adresse à des jeunes sans qualifications.

Cette politique de lutte contre le chômage relève aussi de la mobilisation de tous et de l’activation de multiples leviers. Mais, parce que le contrat de génération est un outil innovant mis au point selon une méthode porteuse d’avenir, il importe que nous adoptions ce projet de loi dans le texte élaboré par la commission des affaires sociales. J’entendais hier, en commission des affaires sociales, sur un autre projet de loi – celui que j’évoquais tout à l’heure – un collègue de l’opposition nous donner des leçons. Selon lui, la politique du Gouvernement est clivante.

M. Jean-Pierre Door. Restons-en au sujet !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Eh bien, excusez-moi, mes chers collègues – je me tourne en particulier vers ceux de l’opposition –, mais le présent projet de loi est loin d’être un texte clivant. Bien au contraire, il vise à intégrer l’individu dans le monde du travail, du commencement jusqu’à la fin, pendant toutes les années requises pour avoir une retraite décente. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Jacqueline Fraysse. Très bien !

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Jean-Louis Borloo et des membres du groupe de l’Union des démocrates et indépendants une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi que nous allons examiner aujourd’hui prétend apporter une réponse forte à ce qui est, disons-le, l’une des plaies récurrentes de notre marché du travail depuis de trop nombreuses années : le chômage excessif des jeunes et des seniors.

Aux deux extrémités de la pyramide des âges, l’accès à l’emploi est, en effet, un parcours encombré d’obstacles multiples que, jusqu’à ce jour, les dispositifs existants ne sont pas parvenus à lever – les chiffres l’attestent et ceux du troisième trimestre 2012 le confirment, avec un taux de chômage des jeunes de 24,9 %.

Le taux d’emploi des 15-24 ans a reculé de 0,7 point sur trois mois, pour atteindre un niveau historiquement bas de 28,4 % de la classe d’âge. La situation est évidemment plus grave dans les quartiers relevant de la politique de la ville : plus de 40 % des moins de 25 ans y étaient à la recherche d’un emploi en 2011. La crise a frappé dans ces quartiers encore plus qu’ailleurs.

Dans le même temps, le taux d’emploi des seniors atteint 41,5 %, ce qui est un progrès, mais il n’en reste pas moins inférieur à la moyenne européenne. Du reste, un senior actif n’est pas nécessairement un senior ayant un emploi.

L’augmentation du taux d’activité des seniors ne s’est pas accompagnée des recrutements qui leur auraient permis d’occuper un emploi. Pour les plus de 55 ans aussi l’accès au travail est difficile et prend la forme de contrats provisoires. La proportion des plus de 55 ans inscrits à Pôle emploi a augmenté de 41 % entre 2008 et 2011 et la part des recrutements en CDD et en intérim a également progressé fortement.

Ainsi le début et la fin du parcours professionnel sont-ils marqués par l’instabilité, voire la précarité des formes d’emploi et du contrat de travail. Nous sommes tous d’accord pour déplorer le véritable gâchis que cette situation représente.

D’un côté, une volonté d’aborder une vie professionnelle riche, créative, épanouissante ; cet espoir se fracasse sur l’instabilité des emplois précaires et des longues phases de chômage.

De l’autre, une expérience accumulée au fil d’une vie professionnelle riche en enseignements et une volonté d’aller au bout de son parcours, de transmettre, le cas échéant, un savoir-faire, de partager. Or c’est tout un capital humain qui s’échoue et s’étiole après un licenciement à cinquante-cinq ans et avec l’impossibilité de retrouver un emploi.

Dans les deux cas, c’est la question de l’utilité sociale qui est posée. Comment se sentir utile dans la société, comment avoir le sentiment d’en être un acteur à part entière, respecté, si l’on se sent rejeté de la sphère du travail ? Avoir un travail détermine tout le reste : la capacité à obtenir ou à garder un logement, à fonder un foyer ou à payer les études de ses enfants. Avoir un emploi détermine aussi, et peut-être surtout, le regard que l’on porte sur soi-même et celui que les autres portent sur votre situation – c’est peut-être d’ailleurs de celui-ci que l’on se remet le moins quand on passe un an, deux ans, voire davantage sans emploi.

Je suis élu de l’agglomération roubaisienne, durement frappée par la crise de l’industrie textile et la désindustrialisation tout au long des trente dernières années.

J’ai rencontré à plusieurs reprises des organisations de défense de demandeurs d’emplois touchés par le chômage de longue durée. Lors de nos échanges, j’ai toujours été saisi par le sentiment d’incompréhension qui domine les témoignages des plus anciens d’entre eux. Quels que soient les efforts qu’ils fournissent pour trouver un emploi, la réponse est toujours la même : « Vous êtes trop vieux ».

Évidemment, la réalité est plus complexe. Heureusement, tous les seniors ne sont pas durablement au chômage. Bien sûr, les critères de la formation et de la mobilité interviennent aussi dans la décision des recruteurs.

Nous retrouvons souvent les mêmes problématiques dans les raisons avancées pour expliquer le chômage des jeunes : l’absence de qualification adaptée et les freins à la mobilité géographique se combinent pour barrer l’accès à l’emploi.

Nous sommes nombreux, en qualité d’élus locaux, à nous battre contre ces handicaps à la reprise d’un emploi en développant des actions dans le cadre des maisons de l’emploi, des missions locales et des plans locaux pour l’insertion et l’emploi, les PLIE. Forts de cette expérience, nous estimons que si le contrat de génération peut être un outil pour les acteurs territoriaux de l’accompagnement vers l’emploi et de l’insertion professionnelle, il n’est pas un outil suffisant. C’est l’un des principaux reproches qu’il est possible d’adresser au contrat de génération : tout, dans ce dispositif, nous montre qu’il pourrait être l’une de ces promesses qui suscitent plus d’espoirs que de résultats concrets.

Il nous est présenté comme l’un des deux piliers, avec les emplois d’avenir, de la politique du Gouvernement en direction des jeunes. Il est ambitieux : selon vous, pas moins de 500 000 contrats de génération doivent être conclus d’ici à 2017. Mais est-il réaliste, dans une situation économique aussi difficile que celle attendue en 2013 ? Nous pouvons sérieusement en douter. Surtout si nous en croyons les partenaires sociaux qui, en aparté, nous expliquent que l’objectif de 500 000 créations d’emploi risque fort de n’être jamais atteint, compte tenu de la conjoncture. Sans doute n’ont-ils pas l’intention de tenir, contre vents et marées, une promesse que, pour leur part, ils n’ont jamais faite.

Peut-on raisonnablement croire qu’il suffit de multiplier les dispositifs d’emplois aidés en direction des secteurs publics ou privés pour assurer des créations massives d’emploi ? C’est le développement de l’activité, soutenue par un environnement juridique et fiscal favorable à l’investissement, à l’innovation et à la recherche qui crée l’emploi. Or, ce n’est pas la direction dans laquelle s’est engagée l’action de ce gouvernement et de cette majorité. J’y reviendrai.

À l’occasion de l’examen de ce projet de loi, le groupe UDI a décidé de tirer trois signaux d’alarme, qui justifient cette motion de rejet préalable.

Le premier concerne la façon dont ce projet de loi a été soumis à l’examen de notre assemblée. Voilà en effet un nouvel épisode de la désinvolture avec laquelle le Gouvernement relègue le Parlement à un rôle subalterne depuis le début de cette législature. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Le deuxième signal d’alarme touche à la portée même de ce texte, dont les effets sont d’ores et déjà entravés par les conséquences prévisibles de la politique économique.

Le troisième signal d’alarme porte sur le message adressé à la jeunesse de notre pays : incontestablement, les contrats de génération, après les emplois d’avenir, ne sont qu’une réponse partielle aux défis qu’elle doit relever.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. On peut aussi ne rien faire !

M. Francis Vercamer. Tout d’abord, examinons la méthode employée : elle s’inscrit dans une série de manquements du Gouvernement, révélateurs du peu de considération dont témoigne l’exécutif à l’égard du Parlement. (Mêmes mouvements.) Depuis le début de cette législature, les occasions qu’a saisies le Gouvernement pour « tordre le bras » des parlementaires se sont multipliées. Le plus souvent, il nous demande d’approuver des textes majeurs dans des délais restreints, souvent au mépris des procédures législatives les plus élémentaires.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Nous avons été à bonne école !

M. Francis Vercamer. Certes, l’utilisation classique de la procédure accélérée après déclaration d’urgence peut se comprendre lorsqu’un gouvernement veut légiférer rapidement dans les domaines qu’il estime prioritaires ou lorsque les circonstances l’exigent.

Mais force est de constater que le Gouvernement a décidé de pratiquer la déclaration d’urgence pour raison de convenance.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Il est vrai que vous n’avez jamais agi ainsi !

M. Francis Vercamer. Je sais bien, chers collègues de la majorité, que vous ne voterez pas cette motion. Mais j’en appelle à votre vigilance et à votre sens de la démocratie ; je sais que certains parmi vous s’interrogent sur le degré de liberté dont dispose le Parlement à l’égard du Gouvernement. D’ailleurs, la réponse du Premier ministre à l’une des questions d’actualité, alors qu’il n’était pas précisément interrogé sur ce sujet, le prouve.

Le Parlement n’est pas le greffier de l’action gouvernementale : il est un lieu de débats. Qu’on se le dise !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Mais je l’ai dit !

M. Francis Vercamer. Le Premier ministre lui-même, lors de sa déclaration de politique générale en juillet dernier, a dit vouloir donner toutes ses chances à la démocratie.

Nous avons besoin de la vigilance de tous, dans la majorité comme dans l’opposition, pour que le rôle du Parlement soit respecté.

Le Gouvernement avait déjà déclaré l’urgence pour convenance sur le projet de loi portant création des emplois d’avenir, en avançant son examen à la rentrée de septembre. Vous étiez alors confrontés au mécontentement de l’opinion publique, qui constatait la dégradation de l’emploi et l’inaction estivale du Gouvernement. C’est une nouvelle fois le cas avec ce texte, dont vous avez précipité l’examen, alors que l’accord interprofessionnel dont il est issu avait été conclu le 9 octobre.

Nous regrettons ces méthodes de travail qui ne permettent pas un examen approfondi du texte et ne laissent que peu de temps pour effectuer un véritable travail d’amendement, notamment en commission.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Ce n’est pas notre faute si vous êtes lents !

M. Francis Vercamer. Pourtant, monsieur le ministre, vous vous étiez engagé en juillet, devant la commission des affaires sociales, à ce que les parlementaires aient le temps de travailler, tant sur les emplois d’avenir que sur les contrats de génération. Vous aviez même affirmé que ces deux outils ne relevaient pas d’une urgence immédiate.

M. Michel Sapin, ministre. Non, mais d’une urgence réelle.

M. Francis Vercamer. Pourtant, l’examen a été si précipité que nous vous avons auditionné alors même que le texte ne nous avait pas été distribué. Nous avons découvert celui-ci, en même temps que nous vous écoutions, au hasard des pages d’un dossier de presse !

M. Michel Sapin, ministre. C’était une bonne façon de le découvrir…

M. Francis Vercamer. On aurait pu plaider la légèreté si le Gouvernement n’avait pris l’habitude, au fil des mois, de pratiquer le court-circuit législatif. Il a commencé par oublier, lors de la session extraordinaire de juillet, une séance à l’Assemblée nationale de questions au Gouvernement, exercice pourtant élémentaire du droit d’interpellation des parlementaires. Puis l’examen en commission du projet de loi portant création des emplois d’avenir a commencé alors que le rapporteur n’avait pas été désigné ! On peut citer aussi la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, un dispositif complexe que le Gouvernement a présenté à la va-vite, au détour d’un amendement, et qui porte, excusez du peu, sur 20 milliards d’euros !

M. Christian Paul. Soyez sérieux !

M. Francis Vercamer. Dans la même veine, on peut relever la question des rythmes scolaires, qui concerne concrètement plusieurs milliers de communes, sans que le Parlement soit admis à discuter du dispositif envisagé par le Gouvernement.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Quel rapport ?

M. Francis Vercamer. Et que dire du vote au Sénat, par la majorité socialiste elle-même, d’une motion de rejet préalable du projet de loi de finances ? La majorité socialiste elle-même a censuré le Gouvernement sur le budget ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Mais non !

M. Francis Vercamer. Si. Il s’agissait d’éviter un débat démocratique qui aurait eu pour seul défaut de conduire au rejet du budget par l’opposition et une partie de la majorité.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Vous n’avez pas grand-chose à dire.

M. Francis Vercamer. La clarté de la loi ne gagne rien au recours répétitif à la déclaration d’urgence. Surtout, elle ne justifie pas les petits arrangements avec la procédure législative, laquelle a pour but premier d’organiser les débats, afin d’en assurer la qualité et de garantir la libre expression des diverses opinions représentées au Parlement. Je reprends ici le leitmotiv du groupe socialiste lors de la précédente législature.

Le Gouvernement ne gagne rien à éviter un débat sérieux avec le Parlement. À légiférer au lance-pierres, il fait voler en éclats les vitres fragiles de la transparence démocratique, du droit d’amender, de la sincérité et de la qualité du débat contradictoire.

Alors que l’exécutif est prolixe en beaux discours sur les mérites du non-cumul des mandats, il est paradoxal qu’il fasse si peu de cas de la qualité du travail parlementaire.

« Je connais le temps que l’on perd à force de vouloir en gagner »,…

M. Christian Paul. Vous nous faites perdre le nôtre !

M. Francis Vercamer. …nous disait le Premier ministre, ici même, en juillet. Au sein du groupe UDI, nous sommes convaincus que le temps du Parlement n’est jamais du temps perdu.

Ce sujet prend encore plus de sens s’agissant des textes relatifs au droit du travail, qui font l’objet d’un accord préalable des partenaires sociaux avant d’être examinés par le Parlement. Alors que le Président de la République s’est engagé à inscrire le dialogue social dans la Constitution, quelle articulation est-il possible d’imaginer entre démocratie politique et démocratie sociale ? Quel sera le rôle du Parlement ?

Lors du dernier débat budgétaire, en réponse à mon rapport, vous nous aviez indiqué, monsieur le ministre, que le pouvoir souverain du Parlement ne serait pas remis en cause. Mais quelle réalité revêtira demain le droit d’amender, alors que vous avez d’ores et déjà précisé que vous ne comprendriez pas que le dispositif des contrats de génération, qui a fait l’objet d’un accord unanime des partenaires sociaux, ne soit pas soutenu par une très large majorité à l’Assemblée ?

Avez-vous oublié que le groupe socialiste, lorsqu’il était présidé par l’actuel Premier ministre, avait voté contre la loi sur la formation professionnelle tout au long de la vie, alors que les mesures reprenaient les conclusions d’un accord adopté à l’unanimité des partenaires sociaux ?

M. Gérard Cherpion. Eh oui !

M. Francis Vercamer. Le Premier ministre a déclaré tout à l’heure que cela faisait trente ans que l’on n’avait pas vu d’accord unanime ; cela remonte en fait au précédent mandat !

Avez-vous oublié que votre groupe s’est abstenu sur la loi de modernisation du marché du travail, alors même que l’accord interprofessionnel dont elle découlait avait été adopté par la très large majorité des partenaires sociaux ?

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Nous avons bien fait !

M. Francis Vercamer. Et que dire de la modification, lors de l’examen du PLFSS, d’une des clauses de la rupture conventionnelle issue de l’accord national interprofessionnel sur la rupture conventionnelle – je l’ai assez évoqué lors de nos débats ?

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission. Le nombre de ruptures conventionnelles augmente. Nous allons d’ailleurs créer une mission d’information à ce sujet !

M. Francis Vercamer. Il ne s’agit pas ici de contester la légitimité de la démocratie sociale ; nous sommes tous attachés à celle-ci. Nous savons bien que les pays européens qui affrontent le mieux la crise sont ceux qui ont su élaborer, dans le cadre de la négociation collective, un nouveau compromis social. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé, lors de la précédente législature, une proposition de loi visant à créer un conseil permanent du dialogue social.

Qui plus est, ces derniers jours nous ont montré combien les partenaires sociaux sont capables de prendre leurs responsabilités afin de franchir une nouvelle étape en matière de sécurisation des parcours professionnels ; le Premier ministre l’a rappelé cet après-midi.

Simplement, nous posons la question de l’articulation entre démocratie sociale et démocratie politique. Force est de constater que le peu de considération du Gouvernement pour le Parlement ces derniers mois ne nous invite pas à l’optimisme. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Le deuxième signal d’alarme concerne la portée de ce texte, dont on peut douter qu’il atteigne son objectif : la création de 500 000 emplois. Les partenaires sociaux qui ont signé l’accord du 9 octobre 2012 ne manquent pas eux-mêmes de lucidité, et certains semblent circonspects quant à la possibilité d’atteindre ce chiffre. Nous ne pouvons que regretter des engagements qui relèvent de l’affichage et risquent, selon toute vraisemblance, de ne pas être suivis d’effets. Ils concourent à décrédibiliser la parole politique, à un moment où celle-ci doit, au contraire, se faire entendre avec clarté et rassembler, autour d’une vision collective des enjeux.

Il est vrai que la politique économique et fiscale menée par le Gouvernement ne permet pas d’envisager une reprise de l’activité. Le groupe UDI n’a eu de cesse d’attirer l’attention sur le risque de récession auxquels vous exposez notre économie avec les mesures prises dans le cadre du budget 2013. Celles-ci privent les Français de pouvoir d’achat : les augmentations d’impôts qui frappent les classes moyennes constituent une entrave à la consommation. Elles s’ajoutent aux dispositions prises l’été dernier sur les heures supplémentaires, qui ont frappé 9 millions de salariés modestes. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Par ailleurs, le choix de l’augmentation des prélèvements obligatoires, aux dépens de la réduction des dépenses publiques pèse lourd sur le dynamisme de notre économie.

Avec une augmentation massive d’impôts de l’ordre de 28 milliards d’euros dans un environnement économique atone, il est illusoire d’espérer, comme le fait aujourd’hui le Gouvernement, une croissance de 0,8 % en 2013. Et ce pour une raison simple : vous n’apportez pas de réponse susceptible d’améliorer significativement la compétitivité de notre économie.

Comme l’indique l’économiste Christian Saint-Étienne, notre pays passe à côté de la troisième révolution industrielle, parce qu’il ne crée pas l’écosystème favorable aux entreprises qui portent cette révolution.

Vous alourdissez les charges des entreprises de 14 milliards en 2013, sans tenir compte des craintes qui sont les leurs : ne plus pouvoir maintenir l’activité et supprimer des emplois. De plus, le dispositif du CICE ne répond pas à l’enjeu de l’amélioration rapide de la compétitivité de nos entreprises. Sans effet sur 2013, il ne s’appliquera qu’en 2014 et uniquement à hauteur de 10 milliards d’euros.

M. Régis Juanico. Mais non !

M. Francis Vercamer. En outre, il exclut les travailleurs indépendants, qui représentent 10 % de la force de travail de notre pays.

Il n’est qu’à lire les courriers que nous adressent les entreprises de services à la personne, les artisans du bâtiment ou les personnes travaillant dans l’économie sociale et solidaire pour s’apercevoir que les mesures de la loi de finances pour 2013 font peser des menaces bien réelles sur l’activité et l’emploi dans ces secteurs. Il s’agit pourtant d’emplois non délocalisables, qui peuvent répondre aux attentes de nombre de nos concitoyens en recherche d’emploi.

Vous avez multiplié les accusations en direction des chefs d’entreprise, vous n’avez pas su créer les conditions de la reprise et susciter la confiance de celles et ceux qui entreprennent.

C’est pourtant un climat général favorable à l’activité qui fait que les entreprises, grandes ou moyennes, investissent, décrochent des commandes et créent des emplois, éventuellement dans le cadre d’emplois aidés ou du contrat de génération.

M. Jean-Patrick Gille. Vous anticipez !

M. Francis Vercamer. Le contrat de génération peut être un outil au service de l’embauche des jeunes, mais il ne permet pas, à lui seul, de créer des emplois.

Une fois de plus, vous semblez faire l’erreur de croire que l’emploi se décrète.

La portée de votre texte risque également d’être limitée pour des raisons touchant au dispositif même. Notre collègue Arnaud Richard abordera en détail ce sujet lors de la discussion générale. Remarquons cependant que le contrat de génération ne concerne pas toutes les entreprises. La pyramide des âges, dans un certain nombre de secteurs d’activités porteurs d’avenir, reste une réalité incontournable : les seniors visés par le texte y sont peu présents.