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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mardi 2 avril 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de Mme Catherine Vautrin

1. Sécurisation de l’emploi

Suite de la discussion d'un projet de loi

Motion de renvoi en commission

M. Dominique Dord

M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la commission des affaires sociales, M. André Chassaigne

Suspension et reprise de la séance

Mme Hélène Geoffroy

M. Jean-Pierre Door

M. Arnaud Richard

M. Christophe Cavard

M. Thierry Braillard

M. André Chassaigne

Rappel au règlement

M. Alain Bocquet

Discussion générale

Mme Fanélie Carrey-Conte

M. Gérard Cherpion

M. Francis Vercamer

M. Christophe Cavard

M. Thierry Braillard

M. André Chassaigne

M. Denys Robiliard

M. Bernard Accoyer

M. Hervé Morin

M. Jean-Noël Carpentier

M. Jacques Bompard

Mme Monique Iborra

M. Éric Woerth

M. Gérard Sebaoun

M. Xavier Bertrand

Mme Barbara Romagnan

Mme Marie-Jo Zimmermann

M. Jean-Patrick Gille

M. Jean-Pierre Door

M. Christian Paul

Mme Véronique Louwagie

M. Philippe Noguès

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Christian Hutin

M. Bernard Perrut

Mme Joëlle Huillier

M. Michel Liebgott

Mme Isabelle Le Callennec

Mme Pascale Boistard

M. Olivier Faure

M. Jean-Charles Taugourdeau

Mme Annie Le Houerou

Mme Kheira Bouziane

M. Gilles Lurton

M. Jérôme Guedj

M. Sébastien Denaja

M. Olivier Audibert Troin

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Sécurisation de l’emploi

Suite de la discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (nos 774, 847, 839).

Motion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Dominique Dord.

M. Dominique Dord. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, vous n’y êtes tout de même pas allé avec le dos de la cuiller tout à l’heure. Si je ne me trompe, vous avez dit, presque mot pour mot, que des textes comme celui-ci, on en compte trois ou quatre par siècle,…

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Eh oui !

M. Dominique Dord. …à moins que ce ne soit quatre ou cinq.

M. Michel Sapin, ministre. J’ai bien dit trois ou quatre.

M. Dominique Dord. Quel contraste avec les mots de Bernard Perrut qui, en 2007, alors qu’il rapportait la loi Larcher – fondatrice, elle –, avait simplement évoqué l’humilité des grandes ambitions.

M. Arnaud Richard. Très juste !

M. Dominique Dord. Là, le moins que l’on puisse dire, c’est que vous n’avez pas vraiment donné dans l’humilité.

M. Arnaud Richard. C’est un euphémisme !

M. Dominique Dord. Vous prétendez donc, et un certain nombre de nos collègues avec vous, que cette loi serait historique sur la forme – la méthode – et sur le fond.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Vous avez vous-même salué la méthode !

M. Dominique Dord. J’y viens, monsieur le rapporteur.

La méthode employée est bonne, il est vrai, mais elle n’a rien d’historique. Je rappelle qu’à l’époque la réforme des retraites, qui représentait un autrement plus grand défi, avait elle aussi obtenu la signature de la CFDT. Elle était donc fondée elle aussi sur une forme d’accord avant le texte. Et vous ne l’avez pas votée !

M. Francis Vercamer. Eh non !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Elle était bavarde.

M. Dominique Dord. La loi Larcher de 2007 – nous en sommes à sa quatorzième application aujourd’hui –, vous ne l’avez pas votée non plus : vous vous étiez tous abstenus. On ne peut donc qualifier votre démarche d’historique !

Vous rendez hommage, et je veux bien le comprendre, à la méthode Hollande. Mais la méthode Hollande, si l’on s’y arrête deux minutes, qu’est-ce donc ? Réunion des partenaires sociaux,…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Eh bien, c’est nouveau !

Mme Catherine Quéré. C’est la démocratie sociale !

M. Dominique Dord. …négociation dans un délai court et, à défaut, menace d’une loi.

Cela ressemble tout de même furieusement à une méthode que vous avez combattue qui était celle de Nicolas Sarkozy…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Sauf que tout était terminé en deux jours avec Nicolas Sarkozy !

M. Dominique Dord. …auquel vous avez reproché une forme de violence et de mépris pour les partenaires sociaux. Au fond, ce qui a été fait ici ne me semble pas tellement différent. Aussi la méthode ne me paraît-elle pas vraiment historique.

Quant aux stipulations de l’accord, sur lesquelles notre excellent collègue Cherpion reviendra longuement tout à l’heure, les partenaires sociaux disent eux-mêmes que la plupart étaient déjà négociées avant même le lancement des discussions.

Vous voyez donc, monsieur le ministre, que, pour nous, ce texte n’a rien d’historique. Ce qui est historique, c’est votre conversion assez récente à cette méthode et au dialogue social préalable à l’adoption d’un texte. Et je comprends vos partenaires communistes…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est bien la première fois que vous les comprenez !

M. Dominique Dord. …qui se sentent un peu pris à contre-pied. Car au fond, une partie de leur électorat,…

M. Alain Bocquet. Le peuple tout entier !

M. Dominique Dord. …eux-mêmes si l’on considère leur culture, leur back ground, comme on dit en patois savoyard (Rires), sont marqués par une idéologie de la confrontation, du conflit social, de la lutte des classes.

M. Marc Dolez. De la lutte des classes, en effet !

M. Alain Bocquet. Et du rapport de forces, nous assumons !

M. Dominique Dord. Eh bien, il est normal que vos collègues communistes se sentent un peu trahis, un peu trompés.

M. Alain Bocquet. Ce n’est pas nouveau !

M. Dominique Dord. Ce n’est certes pas nouveau mais ce qui est étonnant, c’est que vous restiez tout de même fidèles à cette alliance, chers collègues communistes.

M. Alain Bocquet. Si peu…

M. Dominique Dord. Reste que la méthode dont il est question est d’une certaine manière contre-nature et pas seulement du point de vue communiste : en cherchant bien, on trouverait des députés socialistes sceptiques, dubitatifs.

C’est pour cela que vous parlez d’accord historique, monsieur le ministre : c’est que vous voulez leur mettre la pression, comme on dit. Si c’est un accord historique, pas un seul député de votre majorité ne doit pouvoir bouger le petit doigt voire le bout de l’oreille.

Vous n’hésitez donc pas à forcer le trait et je vous comprends, car que dit cet accord ? Il dit, et vous l’avez rappelé vous-même, monsieur le ministre, que le code du travail qui, dans votre culture, est un rempart, une protection, joue en fait contre l’emploi dans des situations comme celle dans laquelle nous nous trouvons.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Ah ! Les masques tombent dès la cinquième minute !

M. Dominique Dord. Ce qui est historique est donc votre déclaration, monsieur Sapin. Vous affirmez : « Le système français – c’est-à-dire, en matière de droit social, le code du travail – consacre une préférence pour les licenciements. » C’est incroyable. Voilà qui est historique : cette conversion soudaine et la manière dont vous changez de valeurs quand vous êtes au gouvernement.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Pas du tout !

M. Dominique Dord. Ce qui est historique, c’est l’exposé des motifs du texte du Gouvernement qui précise que « sont possibles des compromis dans lesquels ce que les uns gagnent n’est pas ce que les autres perdent ».

M. Michel Sapin, ministre. Absolument !

M. Dominique Dord. C’est exactement l’inverse de tout ce que vous pensez et je comprends les propos tenus par Mme Fraysse, tout à l’heure, qui se sent forcément piégée par un accord de ce type.

Mme Monique Orphé. Il y a décidément un axe entre vous !

M. Dominique Dord. Ce qui est historique, c’est que vous considériez comme historiques des accords dérogatoires au droit du travail ! C’est incroyable. Vos collègues communistes ont raison de leur point de vue.

Franchement, mes chers collègues, le même accord, à la virgule près, il y a un an, vous l’auriez combattu.

Mme Catherine Coutelle. Sauf que vous n’auriez pas été capable de le mener à bien !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Parlez-nous de l’article 13, l’auriez-vous voté, vous ? Dans lequel de vos programmes avez-vous prévu la taxation des CDD ?

Mme Bérengère Poletti. Nous avons fait mieux que vous en la matière, chers collègues de la majorité !

M. Dominique Dord. Vous auriez battu en brèche exactement le même accord, dont les stipulations, je le rappelle, étaient déjà pour la plupart négociées.

Les accords compétitivité-emploi qui ajoutent un volet offensif aux accords de maintien de l’emploi que vous voulez nous faire aujourd’hui adopter, ces accords, vous les avez démontés pendant toute la campagne électorale. Il n’est donc pas très étonnant qu’un certain nombre de vos partenaires, à gauche, se sentent, aujourd’hui, une nouvelle fois, floués.

Franchement, monsieur le ministre, sans l’accord national interprofessionnel, jamais votre majorité n’aurait présenté un texte pareil. Vous n’auriez probablement même pas osé assumer seul, devant votre majorité, certaines stipulations de ce texte.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Relisez donc la tribune de M. Guaino !

M. Dominique Dord. Au fond, le même texte présenté par le Gouvernement, le vôtre comme le nôtre, et la CGT et FO organisaient des mouvements sociaux énormes à travers tout le pays.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Eh oui !

M. Dominique Dord. On voit donc bien que vous avez un problème de famille, comme le disait très justement tout à l’heure notre collègue du Nouveau centre.

M. Arnaud Richard et M. Francis Vercamer. De l’UDI !

M. Dominique Dord. De l’UDI, pardon.

Dans cette affaire, seule la gauche de la gauche est cohérente avec elle-même.

M. Alain Bocquet. Elle l’est toujours !

M. Dominique Dord. Et c’est pour cela qu’elle se bat, article par article.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Dominique Dord. En commission, M. Chassaigne nous a fait une démonstration…

M. Arnaud Richard. Brillante !

M. Dominique Dord. Et à combien en êtes-vous aujourd’hui, mes chers collègues ? Quatre mille amendements ?

M. Alain Bocquet. Quatre mille cinq cents !

M. Dominique Dord. Parce que pour vous, un texte qui porte la signature du patronat ne peut qu’être un texte dont il faut se méfier.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Dominique Dord. C’est évidemment ce que vous pensez au plus profond de vous-mêmes.

M. Alain Bocquet. Absolument !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. De la même manière vous n’auriez pas voté un texte portant la signature de la CGT !

M. Dominique Dord. Un texte, chers collègues communistes, que le ministre, que pourtant vous soutenez, essaie de vous faire avaler. C’est là, chers collègues socialistes, qu’on ne peut comprendre votre volte-face entre avril 2012 et avril 2013. Qu’est-ce qui justifie que vous abandonniez vos alliés en rase campagne ? Il y a bien un problème.

M. le rapporteur a pourtant été excellent pour essayer de prendre du temps,…

M. Alain Bocquet. Excellent, en effet !

M. Dominique Dord. …pour tenter d’argumenter techniquement, juridiquement, sans jamais se fatiguer. Vous vous êtes en effet montré excellent, monsieur le rapporteur, pour essayer de convaincre vos collègues communistes.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. La suite s’est révélée moins excellente.

M. Dominique Dord. M. Chassaigne lui-même était troublé. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) Il a dit à plusieurs reprises, en commission, qu’il allait vérifier vos propos.

M. Marc Dolez. Mais il s’est ressaisi !

M. Dominique Dord. Bref, vous l’avez déstabilisé.

M. André Chassaigne. Je vous en prie, monsieur le rapporteur, vous allez me faire exclure ! (Sourires.)

M. Dominique Dord. Je pense, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que vous perdez votre temps : les communistes ne voteront pas cet accord. Vous feriez mieux d’essayer de séduire notre camp car vous allez avoir un petit problème au Sénat. Ici vous avez la majorité absolue à vous tout seuls et comme nos collègues socialistes sont terrorisés (Protestations sur les bancs du groupe SRC.), ils vont voter le texte.

Mme Catherine Coutelle. Avons-nous l’air terrorisés ?

M. Christophe Sirugue. Ne prenez pas vos désirs pour des réalités, monsieur Dord !

M. Dominique Dord. Or au Sénat vous n’avez pas la majorité absolue à vous seuls. Et là, ça va être une autre paire de manches. Si, au Sénat, vous ne pouvez pas compter sur l’appui des nôtres, vous aurez des difficultés.

Aussi, à mon avis, monsieur le ministre, vous vous trompez de stratégie en continuant à courtiser les communistes qui ne peuvent pas voter cet accord parce que c’est au-dessus de leurs forces.

M. Alain Bocquet. Tout simplement parce que le texte n’est pas bon !

M. Dominique Dord. Les députés du groupe UMP pourraient tout de même m’applaudir… (Rires sur tous les bancs et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christophe Sirugue. Il est même obligé de solliciter les applaudissements des députés de son groupe !

M. Dominique Dord. Tout à l’heure, aussi bien le ministre, le rapporteur que la présidente de la commission ont fait un numéro incroyable pour essayer de convaincre les communistes. Vous en avez appelé dix fois à Jean Auroux,…

M. Arnaud Richard. Il était dans les tribunes du public !

M. Dominique Dord. …aux autorisations administratives de licenciements qui seraient de retour comme si, mes chers collègues communistes, le patronat allait accepter de signer un accord qui restaurerait cette disposition.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Eh oui, c’est la réalité !

M. Dominique Dord. Heureusement, vous ne vous êtes pas laissés prendre. Vous n’êtes pas à ce point des enfants de chœur. Vous avez osé invoquer Auroux pour essayer d’emporter la conviction de la gauche de la gauche ; voilà un numéro de claquettes exceptionnel, monsieur le ministre,…

M. Michel Sapin, ministre. Tous les arguments sont bons mais respectez les personnes !

M. Dominique Dord. …mais je pense que ce ne sera pas suffisant et vous n’auriez peut-être pas dû aller jusque-là. Rien n’y fera : nos collègues communistes ne sont pas tombés de la dernière pluie.

La gauche de la gauche a bien compris que vous vous serviez des partenaires sociaux pour essayer de leur faire avaler les couleuvres que constituent les stipulations de cet accord. Vous êtes donc, comme l’a très bien dit notre collègue du groupe UDI, dans une sorte de scène de ménage qui, pour ce qui nous concerne, nous émeut beaucoup.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. On aimerait bien vous voir en ménage, vous !

M. Dominique Dord. Vous voir ainsi vous déchirer sur ce qui est pourtant le fond du fond, c’est-à-dire le marché du travail, a un côté assez plaisant, il faut bien l’avouer.

M. Michel Sapin, ministre. C’est l’hôpital qui se fout de la charité !

M. Dominique Dord. Apparemment, mes chers collègues, le spectacle devrait durer quelques jours.

Pour ce qui concerne la méthode, nous sommes persuadés depuis toujours que l’accord, la convention, la recherche d’un équilibre, vaut mieux que le conflit. Mais il s’agit de nos valeurs et je comprends que ce ne soient pas les vôtres. Nous préférons examiner vos textes quand ils sont fondés sur un accord national interprofessionnel des partenaires sociaux plutôt que quand ils ne le sont pas.

Monsieur le ministre, si seulement votre conversion au dialogue social avait été moins tardive, jamais les partenaires sociaux n’auraient signé un accord sur la retraite à soixante ans.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Dominique Dord. Si votre conversion avait été moins tardive, on n’aurait jamais eu les 35 heures, jamais un accord n’eût été possible en la matière.

Je prendrai encore un exemple plus récent : si votre conversion avait été moins tardive, jamais on n’aurait eu la suppression des heures supplémentaires. Il n’y aurait jamais eu d’accord sur ces sujets-là.

Cette méthode est excellente de notre point de vue, mais il ne faut pas s’étonner qu’elle crée quelques remous chez vous. On voit bien qu’elle garantit la stabilité juridique, puisque, dans la folie qui vous pousse à massacrer tout ce qu’a fait le gouvernement précédent, les seuls textes que vous ne touchez pas, ce sont ceux qui sont fondés sur un accord national interprofessionnel – je rappelle qu’on en est au quatorzième aujourd’hui.

C’est un facteur de stabilité juridique pour notre droit du travail, qui en a grandement besoin, et qui n’a surtout pas besoin d’idéologie. On préfère, à chaque alternance, essayer de garder les mêmes règles directrices, et cela, les accords nationaux interprofessionnels le permettent. Cette méthode, c’est aussi la responsabilisation des partenaires sociaux, et cela non plus, ça n’a pas de prix. Voilà ce que je voulais vous dire sur la forme.

Je ne sais pas de combien de temps je dispose encore, madame la présidente…

M. Michel Sapin, ministre. Votre temps est déjà bien entamé…

Mme la présidente. Vous avez parlé quinze minutes.

Mme Brigitte Bourguignon. On ne s’en lasse pas !

M. Dominique Dord. Sur le fond, cet accord est-il historique ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Oui !

M. Dominique Dord. À la vérité, de notre point de vue, la plupart des dispositions vont dans le bon sens – vous le savez, car je l’ai déjà dit à plusieurs reprises en commission. D’ailleurs, nous avons toujours refusé de voter les amendements de M. Chassaigne, visant à supprimer les articles les uns après les autres. Pour nous, ces articles vont dans le bon sens.

De là à dire que le contenu de ce texte est historique… Je ne m’y risquerai évidemment pas. Je rappelle à tous ceux qui ont le sentiment de voter un texte historique qu’il ne concerne que l’un des champs de la compétitivité, ce qu’on appelle la compétitivité hors coût, laquelle ne représente qu’une partie infime de la question globale de la compétitivité.

Il ne s’agit, je le rappelle que de mesures défensives et je vous montrerai tout à l’heure que ce n’est pas de cette manière que l’on va faire baisser le chômage.

M. Alain Bocquet. En effet.

M. Dominique Dord. On va peut-être le faire augmenter moins vite, ce qui ne sera déjà pas si mal, mais ce n’est pas ainsi qu’on va régler les problèmes que connaît la France.

On attend toujours des réformes structurelles ; on attend toujours des décisions qui pourraient renverser la table, dans la crise énorme où nous nous trouvons depuis maintenant plusieurs années. En matière de réformes structurelles, d’audace créatrice et de propositions, on reste quand même un peu sur notre faim.

Permettez-moi de vous dire que le Président de la République, l’autre jour à la télévision, faisait un peu pitié. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Brigitte Bourguignon. Quelle arrogance !

M. Dominique Dord. Au fond, qu’a-t-il proposé pour corriger la déloyauté des échanges internationaux ? Rien. Qu’a-t-il proposé pour aider les petites entreprises françaises en matière de fonds propres ? Rien. Qu’a-t-il proposé comme nouvelle vision du code du travail ? Rien. Qu’a-t-il proposé sur le volet compétitivité, non pas hors coût, mais coût ? Rien. Ce n’est quand même pas beaucoup…

Mme Ségolène Neuville, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Et vous, que proposez-vous ?

M. Dominique Dord. Qu’a-t-il dit ? Qu’il avait la « boîte à outils ». Et qu’a-t-il pour vous, monsieur Sapin, dans sa boîte à outils ? Il a des emplois aidés. Ils seront peut-être mieux que les autres, je n’en sais rien, mais les emplois aidés, ce n’est pas vraiment nouveau et ça ne règle pas le problème ; c’est une manière d’accompagner les gens sur des voies de garage pendant quelque temps, mais ça ne réglera pas le problème du chômage.

Il a dit aussi qu’il y avait un pacte de compétitivité avec les entreprises, d’un montant de 20 milliards d’euros ; mais juste avant, il y a eu 20 milliards d’euros de prélèvements sur ces mêmes entreprises. Accorder 20 milliards d’allègement et faire 20 milliards de prélèvement, on ne peut pas dire que ce soit une réforme structurelle, franchement.

Ensuite, il s’est assez longuement étendu sur les investissements d’avenir, qu’il n’a pas lui-même conçus, puisqu’ils résultent des accords et des propositions que Nicolas Sarkozy avait faits avant lui. En dehors de cela, on attend toujours des mesures structurelles. Mes chers collègues, c’est quand même un peu court, tout cela !

Même si ce texte va franchement dans le bon sens, il ne réglera pas le problème du chômage en France. Ce n’était d’ailleurs pas la mission des partenaires sociaux. C’est à vous, monsieur le ministre, c’est au Gouvernement de prendre ses responsabilités, d’inventer, d’aller plus loin, de nous dire des choses plus fortes sur le chômage.

Si vous le permettez, je voudrais citer une mesure de ce texte que l’on pourrait presque considérer comme historique : il s’agit des accords de maintien de l’emploi, qui font tant râler nos collègues communistes. Cette mesure est très intéressante, puisqu’elle permet un aménagement dérogatoire de l’équilibre magique entre-temps de travail, salaire et emploi. C’est incroyable d’avoir introduit des accords dérogatoires sur ce sujet ; cela, c’est assez historique.

Mais, au fond, vous ne l’assumez pas, puisque vous n’avez introduit cette disposition qu’à l’article 12 du texte – les partenaires sociaux, eux-mêmes, l’avaient mise à l’article 18. Les neuf ou dix premiers articles du texte donnent des droits nouveaux aux salariés et on cache sous le tapis l’apport essentiel de cette négociation pour la période que nous traversons. Pour moi, ces accords dérogatoires sont une manière possible de répondre au déchaînement du chômage dans le pays.

M. Thouvenel, de la CFTC, a eu des mots très justes lorsque nous l’avons auditionné : il a indiqué que le maintien dans l’emploi était essentiel, et pas seulement pour le patronat ; que c’était l’intérêt supérieur commun. C’est cela, le cœur du réacteur, et on le cache sous le tapis, pour ne pas qu’il se voie trop !

En commission – j’y reviens, madame la présidente, puisque l’objet de mon intervention, c’est le renvoi en commission – nous avons passé plus de douze heures sur les neufs premiers articles, qui créent des droits, puis nous avons expédié en deux heures les dix derniers, qui sont beaucoup plus percutants pour répondre à la crise. Pourquoi cachez-vous cet article ? Parce qu’il est la preuve vivante que notre code du travail joue contre le maintien de l’emploi !

Vous vous rendez compte du sens de cet article ? Il signifie que lorsque les choses vont mal dans le pays ou dans une entreprise, on peut mettre de côté le code du travail – je comprends que ça vous rende furieux. C’est exactement le sens de cet article ! Alors que le code du travail est censé être le rempart ou le bouclier contre les difficultés du travail, désormais, quand les choses vont mal, on le met de côté. C’est quand même incroyable, et c’est cela, le sens de cet article !

Je comprends évidemment que, dans ces conditions, vous le mettiez de côté. C’est très français, du reste : on a eu des accords de ce type chez Renault et à la Société générale. En France, c’est seulement quand on est face au mur, voire dans le mur, que l’on se résout à sortir du carcan réglementaire dans lequel on est enfermé. C’est très français, et franchement, n’est pas Schröder qui veut… La capacité d’anticiper n’est pas toujours notre fort.

Je vais donc vous présenter – et je terminerai par là, madame la présidente – une motion de renvoi en commission, pour plusieurs raisons. D’abord, lorsque nous avons essayé, au cours des débats en commission, de connaître le contenu du décret, le rapporteur, nous a dit qu’il n’en savait rien et qu’il ne connaissait pas les dispositions précises – il a fait ce qu’il a pu, de manière tout à fait loyale, je le reconnais. Étant donné que beaucoup de choses sont renvoyées au décret, il est ennuyeux de légiférer sans savoir ce qu’il contiendra.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Réclamer les décrets avant que la loi ne soit votée, c’est invraisemblable !

M. Dominique Dord. Un autre fait est assez incroyable : on se réunit et on débat ce soir, alors que la commission, au titre de l’article 88, va examiner demain des amendements, notamment ceux du rapporteur, dont certains ont été annoncés comme décisifs. Cela signifie que nous sommes en train de parler d’un texte, dont les amendements peut-être essentiels – je n’en sais rien, je l’espère – n’ont pas été débattus en commission.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous pouviez les lire sur internet ! Ils sont disponibles depuis vendredi soir !

M. Dominique Dord. Par ailleurs, je vous l’ai déjà dit, nous avons passé douze heures sur les neuf premiers articles du texte, qui créent des droits nouveaux, et nous avons bâclé en deux heures les dix derniers. Les débats ont été entrecoupés d’une pause déjeuner et la commission s’est réunie pendant une séance des questions au Gouvernement. Ce n’est pas normal, franchement !

M. Bernard Accoyer. Non ! Ce n’est pas possible !

M. Dominique Dord. Pour toutes ces raisons, je pense que ce texte doit retourner en commission. Je ne pense pas que ce sera une perte de temps, puisque les décrets ne sont pas prêts, et il me semble que ce serait de bonne politique.

Nous avons demandé à plusieurs reprises des études d’impact et beaucoup de questions ont été posées au sujet de l’effet de ces mesures sur les comptes de l’UNEDIC. Nous n’avons aucune réponse à ce sujet. On a demandé à plusieurs reprises si les entreprises de services à la personne entraient dans le champ de cet accord et le rapporteur a essayé de nous répondre. Gérard Cherpion a examiné les articles considérés et il en a conclu que ceux-ci n’excluaient pas les services à la personne du champ de cet accord.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Cela m’étonne de la part de M. Cherpion, qui d’habitude est plus pertinent.

M. Dominique Dord. Il y a là une série de difficultés, qu’il me semble difficile de ne pas prendre en considération.

Si vous me le permettez, j’aimerais conclure sur une touche plus personnelle, (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.) en exprimant un point de vue qui ne fait sans doute pas l’unanimité chez moi, et encore moins chez vous. Au fond, tout ce débat a tourné autour de la question de la place qui doit être faite à la démocratie sociale et à la démocratie politique, et les discussions de tout à l’heure étaient très intéressantes à cet égard : est-ce que donner trop de place à la démocratie sociale n’est pas anticonstitutionnel ?

C’est une vraie question et vous me permettrez de faire une ouverture un peu osée en conclusion. Pour ma part, je pense qu’il faut que nous allions au-delà de la loi actuelle ; j’ai cru comprendre, d’ailleurs, que vous pourriez envisager d’introduire de nouvelles dispositions, dans le cadre d’une réforme constitutionnelle.

Voici le fond de ma pensée : cela ne me choque pas – encore une fois, c’est un point de vue très personnel – qu’au nom du principe de subsidiarité, un vieux principe dont je vais essayer de vous rappeler les fondements, nous procédions, quand les partenaires sociaux se mettent d’accord, à une transcription quasi obligatoire et quasi intégrale de ce qu’ils ont décidé.

M. Michel Sapin, ministre. Non, je ne suis pas d’accord.

M. Dominique Dord. Je rappelle, pour ceux de nos collègues qui pourraient être heurtés par ce principe de subsidiarité, qu’il s’agit d’un principe révolutionnaire. Il prend sa source…

M. Bernard Accoyer. Au mont Gerbier-de-Jonc ?

M. Dominique Dord. …dans la pensée de Saint Thomas d’Aquin. Je reconnais que, jusque-là, ce n’est pas très révolutionnaire… C’était au XIIIe siècle.

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas très révolutionnaire, à moins que ce ne soit une révolution théologique…

M. Dominique Dord. Il a été traduit dans ce qui constitue le fondement de la doctrine sociale de l’Église, au XIXe siècle, par le pape Léon XIII, en réaction contre les abus de la révolution industrielle.

M. Michel Sapin, ministre. Restons laïques !

M. Dominique Dord. C’est pour cela que je dis que c’est un principe révolutionnaire. Il énonce, avec les mots de l’époque, que c’est une erreur morale et de charité que de laisser faire, à un niveau social trop élevé, ici l’État, ce qui peut être fait à un niveau social plus proche, ici les partenaires sociaux. Ce niveau social, dit-il, a droit au même respect, car il est mieux à même de le faire. Les aspirations du nouveau monde bousculent et bousculeront durablement nos vieilles économies : nous ne sommes pas dans une révolution industrielle, mais nous sommes peut-être dans une autre forme de révolution.

M. André Chassaigne. Dans une révolution réactionnaire !

M. Dominique Dord. On voit bien que nos opinions publiques occidentales résistent, s’inquiètent et s’accrochent ; nous ne réformerons pas par la loi, ni vous, ni nous. Comme disait Voltaire, l’opinion est si bien la reine du monde que quand la raison veut la combattre, la raison est condamnée à mort.

C’est d’abord une affaire d’opinion et l’opinion, ce sont d’abord les partenaires sociaux : s’ils sont capables de se mettre d’accord sur un certain nombre de dispositions, il me semble qu’il faut leur donner la primauté, et, pourquoi pas, aller vers une transcription plus fidèle et plus intégrale de leur pensée.

La réforme que nous appelons tous de nos vœux, l’adaptation de nos systèmes, passera par des accords sur le terrain, dans les entreprises et dans les branches ; elle passera par des compromis, non pas gagnant-gagnant, mais gagnant tout court, comme disait l’une des personnalités que nous avons auditionnées, gagnant pour tout le monde, gagnant pour la France. Il faut faire confiance aux partenaires sociaux. La démocratie sociale, c’est aussi la démocratie.

Je propose, monsieur le ministre, que l’on revienne en commission et que l’on fasse valoir demain ce vieux principe cher à Saint Thomas d’Aquin…

M. Michel Sapin, ministre. Et à Léon XIII…

M. Dominique Dord. …et à Léon XIII : le principe de subsidiarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Sapin, ministre. On veut bien vous envoyer en confession, mais pas en commission ! (Sourires)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cher collègue, vous avez été un peu court sur vos motifs de renvoi en commission. Je crois que nous avons eu largement le temps de débattre de manière très approfondie de toutes les dispositions de l’accord. Au-delà des calembours – je ne suis pas sûr, d’ailleurs, qu’ils soient très adaptés à la gravité de la situation du pays – au fond je retiens deux choses de votre intervention.

Vous nous avez dit, d’abord, que le code du travail est trop lourd et qu’il constitue un obstacle à l’emploi.

M. Bernard Accoyer. C’est une évidence !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous, nous considérons que c’est une protection et nous nous réjouissons de ce projet de loi, parce qu’il va contribuer à mieux protéger les salariés, tout en offrant la souplesse nécessaire aux entreprises pour fonctionner.

Vous nous avez dit ensuite que ce texte allait dans le bon sens, mais nous avons bien senti une certaine gêne dans vos propos.

M. Thierry Solère. La gêne, elle est chez vous !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Sinon, il faudra nous expliquer pourquoi, en dix ans, vous n’avez pas mis en place la complémentaire santé accessible à tous les salariés.

Vous ne nous avez pas dit non plus pourquoi, pendant dix ans, vous n’avez rien fait pour faire reculer la précarité. Vous ne nous avez pas dit pourquoi, pendant dix ans, vous n’avez rien fait pour pénaliser les licenciements boursiers.

M. Bernard Accoyer. Parce que c’est contre-productif !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous ne nous avez pas dit pourquoi, pendant dix ans, vous n’avez rien fait pour rendre à l’État son rôle de garant de la protection des salariés contre les licenciements.

Pour toutes ces raisons, le renvoi en commission est inutile et il faut maintenant que nous passions au vote de ce texte nécessaire à notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Suite à la défense de la motion, je demande une suspension de séance afin de réunir mon groupe.

Mme la présidente. Elle est de droit, elle sera d’une durée d’une minute, sur place.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures, est reprise à vingt-deux heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à Mme Hélène Geoffroy, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Je rappelle que le temps de parole est de deux minutes par orateur.

Mme Hélène Geoffroy. N’en déplaise à M. Dord, nous avons toujours prôné le dialogue social et la participation des salariés. Visiblement, M. Dord a mal lu, mal entendu. Depuis Léon Blum, lorsque nous gardions la vieille maison, puis lorsqu’avec Jean Auroux nous avons revu l’ensemble des lois sur le travail, nous avons perpétuellement tracé des perspectives. Et c’est avec tranquillité que nous abordons ce nouveau texte. Le débat parlementaire est là pour l’enrichir, et nous le ferons à l’occasion de l’examen de différents amendements.

Monsieur Dord, vous avez évoqué un moment historique. Oui, ce moment est important, déterminant. Ce qui est aujourd’hui historique, c’est l’état dans lequel sont les salariés, et l’état de défiance qui règne dans les relations entre syndicats et patrons.

Aujourd’hui, avec ce texte, nous pouvons reconstruire des modes de dialogue, donner à nouveau du poids aux salariés dans les discussions et leur permettre d’avoir connaissance de l’état de l’entreprise en ayant accès à des bases de données. En bref, nous redonnons du poids aux syndicats.

J’espère également que nous contribuerons à les renforcer, que nous rendrons confiance en leurs actions. J’espère enfin que ce texte améliorera la transparence des actions des chefs d’entreprise. Nous avons tous vécu des plans sociaux difficiles, nous avons tous connu des salariés désorientés dans nos circonscriptions, nous avons tous vu des syndicats révoltés. Aujourd’hui, ce qui est historique, c’est notre capacité à faire progresser les choses.

Vous n’avez avancé que des arguties pour justifier le renvoi en commission. Rien de ce que vous avez dit n’était réellement pertinent. Le pire est que ce que vous n’avez pas été capables de faire, nous l’avons obtenu. Le groupe SRC votera donc contre cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Jean-Pierre Door, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Pierre Door. Mes chers collègues, monsieur le ministre, face aux problèmes de compétitivité et de productivité, seule la flexibilité nous semble être la solution.

Le sujet est d’actualité avec cet accord. Il donne certes un peu de souplesse, mais cela ne suffira pas à débloquer la situation de l’emploi. La question centrale est : pourquoi la France licencie et n’embauche pas ? C’est parce que pour embaucher, il faut de la fluidité et de la mobilité. Cela est évoqué dans cet accord national, mais de manière trop insuffisante et trop frileuse. En comparaison avec notre voisin l’Allemagne, nous sommes encore loin. Notre collègue Dominique Dord a été excellent dans sa démonstration.

M. Arnaud Richard. Excellent, en effet !

M. Jean-Pierre Door. Il le dit avec excellence et compétence : l’ANI est très intéressant, mais très insuffisant, et mérite d’être retravaillé.

Pourquoi ? En commission, la question du coût financier a été effleurée sans recevoir de réponse : il s’établirait autour de 2 ou 3 milliards pour l’État comme pour les entreprises. Nous voudrions plus de précisions.

Par ailleurs, de multiples amendements ont été déposés par le rapporteur et seront examinés demain selon la procédure de l’article 88 du règlement, sans débat en commission. C’est tout de même grave !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Ils ont été déposés en même temps que trois cents amendements de votre groupe !

M. Jean-Pierre Door. Enfin, beaucoup de questions restent sans réponse, en particulier à l’article premier sur la clause de désignation, et sur les services à la personne.

Pour toutes ces raisons, il faut débattre à nouveau en commission.

Nietzche a écrit : « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort. » Nous appelons à voter la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Deux raisons au moins nous semblent justifier le renvoi en commission que propose le groupe UMP.

La première est la grande énigme que constitue le financement du dispositif d’élargissement de la complémentaire santé, sur lequel nous n’avons eu aucun éclairage sérieux.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je vous ai répondu !

M. Arnaud Richard. Madame la présidente, sauf le respect que je vous dois, le courrier de Bercy que vous nous avez présenté ne nous a pas convaincus.

Cette mesure représente environ 2 milliards d’euros de dépenses réparties entre l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu. Comment le Gouvernement entend-t-il la financer ? Notre collègue Gérard Bapt lui-même s’est inquiété de savoir comment ces mesures seraient compensées, notamment si cela se ferait par des prélèvements ou des recettes nouvelles.

Qui financera la portabilité de la complémentaire santé ? Le régime d’assurance-chômage ? La dernière entreprise dans laquelle le salarié aura travaillé ? Les allocations chômage ? Nous avons besoin de le savoir.

Par ailleurs, qui financera les droits rechargeables à l’assurance-chômage ? Rien n’est réglé sur ce sujet, le Gouvernement se contentant de renvoyer son financement à de futures négociations, sans aucune garantie.

La seconde raison justifiant le renvoi en commission est précisément cette négociation. Monsieur le ministre, vous vous félicitez légitimement de la signature de cet accord – qui n’est que la quatorzième application de la loi Larcher –, mais je crains qu’il n’y ait des trous dans la raquette !

M. Michel Sapin, ministre. Encore !

M. Arnaud Richard. J’en compte trois. Le compte personnel de formation entre en collision avec d’autres dispositifs tels que le droit individuel à la formation et le plan de formation, or cette question n’a pas été traitée par la négociation. Nous aurions donc souhaité aborder ce sujet en commission pour que les modalités d’une discussion entre l’État et les collectivités, notamment les régions, soient abordées.

Le Gouvernement répète : tout l’accord, rien que l’accord. Or il est écrit que les partenaires sociaux de la branche laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes de leur choix. Le projet de loi renvoie les modalités de ce choix à des négociations de branche. Il y a donc bien une clause de désignation là ou l’accord introduit une clause de recommandation, en précisant « Toutefois, ils pourront, s’ils le souhaitent, recommander aux entreprises de s’adresser à un ou plusieurs organismes assureurs ou institutions ».

Le dernier trou dans la raquette est évidemment l’article 8, essentiel dans ce texte, qui introduit des différences fondamentales entre l’ANI et le projet de loi. C’est en particulier le cas des services à la personne qui ne sont pas intégrés comme il le faudrait dans le projet de loi. Cela amènera certainement un flot d’amendements du rapporteur.

Enfin, la raison la plus importante pour renvoyer ce texte en commission, c’est de continuer à assister à cette guerre des Roses entre le rapporteur et André Chassaigne !

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. La loi de sécurisation de l’emploi permet de replacer le dialogue social au centre des débats, et, après dix ans de gestion UMP au cours desquelles les salariés et leurs syndicats ont été si mal traités, il était temps !

Nous croyons au renforcement syndical par les nouvelles négociations qui vont s’ouvrir, et je peux comprendre que cela dérange. Monsieur Dord, pensez-vous sérieusement que les mesures que vous aviez proposées dans le passé aient répondu au problème de l’emploi ?

Vous remettez en cause le rôle de la puissance publique et même du code du travail. Il me semble que c’est très dommageable, mais c’est une vision de droite, votre proposition et votre façon de la porter sont donc logiques.

Nous avons le mérite d’essayer d’enrayer l’hémorragie. Tout n’est peut-être pas parfait, mais nous croyons pouvoir agir plutôt que subir la fatalité.

Nous nous sommes beaucoup investis dans la préparation de ce texte, et dire que le débat a été bâclé est malhonnête.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Merci !

M. Christophe Cavard. Nous cherchons l’équilibre entre démocratie sociale et démocratie politique, c’est vrai, mais nous ne pensons pas que les problèmes économiques se régulent d’eux-mêmes. Cette longue semaine de débat fait suite aux différentes étapes qui permettent aux députés de remplir leur mission de parlementaires.

C’est pourquoi nous voterons contre cette motion de renvoi en commission.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Braillard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Thierry Braillard. Madame la présidente, j’ai deux questions à poser à notre collègue Dord.

M. Michel Sapin, ministre. Il n’apportera pas de réponses !

M. Thierry Braillard. La première est : où était-il le 17 mars 2012 ? La seconde : où était-il le 28 mars 2013 ?

Comme il lui faudrait réfléchir à son calendrier pour me répondre, je vais le faire à sa place.

Le 17 mars 2012, il était à Lyon, sur le site d’Eurexpo, au meeting de Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence de la République qui y fit siffler les syndicats. Et je ne sais pas ce que faisait M. Dord, j’espère, après avoir l’entendu se faire le parangon de la démocratie sociale, qu’il ne sifflait pas les syndicats, mais je peux vous dire en tout cas que les syndicats ont été sifflés ce jour-là… (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Et où était-il le 28 mars 2013 ? Pas dans cet hémicycle, parce que nous nous y étions, en train d’étudier une proposition de loi importante sur la recherche. Nous avons vu l’UMP multiplier les motions de procédure, à tel point qu’ils ont voté contre une de ces motions alors qu’ils avaient plaidé pendant trente minutes en sa faveur à la tribune.

Monsieur Dord, vous avez parlé pendant une demi-heure pour nous dire tout ce qu’il fallait penser de la démocratie sociale sous Nicolas Sarkozy. Ce serait un bon sujet de thèse pour des étudiants qui ont envie de passer du temps à faire des recherches, mais entre nous, dites-nous si vous allez au moins voter cette motion de renvoi en commission !

Le groupe des radicaux, pour sa part, votera contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe GDR.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, chers collègues, il y a un intrus dans cet hémicycle. Cet intrus se cache un peu partout entre les bancs. C’est un entremetteur. Personne sauf nous ne dit son nom. C’est un entremetteur qui est en train de nouer une histoire d’amour entre les socialistes et la droite, il s’agit tout simplement du MEDEF !

Évidemment, M. Dord n’a pas parlé du MEDEF dans son intervention. Mais tout en citant Saint-Thomas d’Aquin, il a joué Le Cid de Corneille en faisant les yeux de Chimène au ministre…

M. Michel Sapin, ministre. Il n’a pas les qualités de Chimène !

M. André Chassaigne. …sans le dire, car en fait il approuve ce texte.

Et quand les yeux de Chimène ne lui suffisaient pas, il a joué à La femme du boulanger en essayant de montrer son amour à Pomponette, et je ne vous dirai pas qui était Pomponette dans cette histoire !

Mais en fait, il n’a pas véritablement donné de motifs de renvoi en commission. Nous, des motifs, nous en avons ! Jacqueline Fraysse a posé de nombreuses questions qui n’ont pas reçu de réponses.

Par exemple, la décision implicite d’acceptation par l’administration : huit jours de silence permettront de valider un accord. Nous n’avons pas obtenu de réponse sur ce point.

De la même façon, Jacqueline Fraysse a souligné que lorsque le tribunal administratif n’a pas statué dans les trois mois, il est dessaisi au profit de la cour administrative d’appel, et ainsi de suite jusqu’au Conseil d’État. Nous n’avons pas eu de réponse sur cette aberration juridique.

De même, sur le principe de la décision implicite de rejet, selon lequel le silence gardé par l’administration constitue un refus, nous n’avons jamais obtenu de réponse.

Et les choses sont encore bien plus graves en ce qui concerne la définition du motif économique. Monsieur le ministre, vous avez essayé de nous expliquer que le motif économique se justifiait en amont par la décision d’engager la mobilité et de maintenir l’emploi. Mais quand on vous dit que le motif économique doit s’appuyer sur une cause réelle et sérieuse, vous n’apportez pas de réponse. De même, quand on vous dit qu’il faut renvoyer aux dispositions de l’article L. 1233-3 du code du travail qui définit le motif économique du licenciement,…

Mme Marie-Christine Dalloz. Pas de réponse !

M. André Chassaigne. …vous n’apportez pas de réponse non plus.

Une autre grave question porte sur l’article 16, relatif au délai de prescription opposable aux actions des salariés.

M. Arnaud Richard. On va le réduire !

M. André Chassaigne. Ce délai est ramené de cinq à deux ans – c’est scandaleux ! – alors que les plus faibles, dans les entreprises, sont ceux qui n’osent pas dire qu’ils sont mal payés, qui subissent des conditions de travail inacceptables et qui s’en rendent compte au moment de leur licenciement. Avec votre texte, vous voulez maintenant instaurer un oubli judiciaire.

Mme la présidente. Merci, monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Tout cela est dirigé par l’intrus, l’entremetteur – le MEDEF – et par la belle histoire d’amour que vous êtes en train de vivre avec lui.

M. Bernard Accoyer. Quel est donc votre vote ? Allez-vous voter avec nous ?

M. André Chassaigne. Nous voterons pour !

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de renvoi en commission.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin sur la motion de renvoi en commission :

Nombre de votants 222

Nombre de suffrages exprimés 222

Majorité absolue 112

(La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bocquet, pour un rappel au règlement. Sur la base de quel article ?

M. Alain Bocquet. L’article que vous choisirez, madame la présidente. (Exclamations.)

Mme la présidente. Non, c’est à vous de le préciser, monsieur le député.

M. Alain Bocquet. Article 58.

Mme la présidente. Quel alinéa ?

M. Alain Bocquet. Alinéa 2, je suppose : il faut que je révise, madame la présidente ! (Sourires.)

Mme la présidente. Je vais vous faire parvenir un règlement : il me semble que c’est important pour ce soir ! (Sourires.)

M. Alain Bocquet. L’intitulé de ce projet de loi – « sécurisation de l’emploi » – est particulièrement fallacieux. Ce qui nous est présenté, en particulier l’argumentaire de M. le rapporteur, n’est qu’un affichage, un trompe-l’œil. Cet accord est bien historique, mais parce qu’il constitue un coup fatal porté au code du travail, qui a été acquis de haute lutte par le monde du travail dans notre pays. Quand on lit le texte du projet de loi, issu de cet accord du 11 janvier écrit pour l’essentiel à l’encre du MEDEF, on s’aperçoit que, contrairement à l’objectif affiché de sécurisation de l’emploi, nous allons assister à une accentuation de la dégringolade de l’emploi. C’est une dure réalité dans notre pays ! En fait, nous allons désarmer le monde du travail dans son action collective de défense de l’emploi et de notre industrie.

Monsieur le ministre et messieurs qui vous apprêtez à voter ce projet de loi, je vous donne un exemple concret. Il y a, dans le Valenciennois, une entreprise, Lisi Automotiv, qui emploie 110 salariés et fait partie d’un groupe basé en Franche-Comté.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, cette intervention relève-t-elle de l’article 58 ?

M. Alain Bocquet. On annonce la fermeture de cette usine – je rappelle que 110 emplois sont concernés. On veut faire déplacer les vingt seuls salariés…

Mme la présidente. Merci, monsieur Bocquet.

M. Alain Bocquet. Je termine, madame la présidente !

Les vingt seuls salariés utiles pour le groupe, qui a été directement aidé par l’État…

Mme la présidente. Monsieur Bocquet, votre intervention ne porte pas du tout sur le déroulement de la séance.

M. André Chassaigne. Si !

M. Alain Bocquet. Absolument, madame la présidente ! Nous allons parler de choses concrètes.

Mme la présidente. Votre rappel au règlement ne porte pas sur le déroulement de nos débats. Je n’imagine pas que vous n’ayez pas le temps d’évoquer ce sujet au cours de la discussion.

M. Alain Bocquet. Nous parlons de la situation des salariés, madame la présidente !

Mme la présidente. Nous allons donc aborder la discussion générale ; vous aurez l’occasion de revenir ultérieurement sur ce dossier très important.

M. Jean-Charles Taugourdeau. En effet, ce sujet est très important !

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, on a coutume de le dire, il y a le texte et son contexte. Au moment où nous entamons ces débats sur la sécurisation de l’emploi, nous nous adressons en premier lieu à tous ceux de nos concitoyens pour qui l’emploi est avant tout une question d’urgence quotidienne, à tous ceux qui sont victimes de plans sociaux face auxquels nous avons été trop souvent impuissants et contre lesquels nous voulons désormais pouvoir agir concrètement.

Comme nombre de mes collègues le feront après moi, je salue le travail, l’écoute et l’exigence de notre rapporteur Jean-Marc Germain, qui ont été les moteurs d’un travail parlementaire considérable. Ce travail démontre que la démocratie sociale doit se conjuguer avec une démocratie politique dans laquelle le Parlement joue pleinement son rôle. Dans le prolongement des amendements déjà adoptés en commission, j’espère que nos débats en séance publique permettront de colorer les derniers blancs et de dégriser les dernières zones de gris qui demeurent dans le texte.

Dans cette intervention, je me concentrerai sur l’article 1er, sur lequel j’ai particulièrement travaillé.

On le sait : l’accès ou non à une complémentaire santé est un facteur majeur d’inégalités et l’une des causes des comportements de renoncement aux soins. C’est pour cette raison que le Président de la République s’est engagé à généraliser l’accès à la complémentaire santé pour l’ensemble de la population, afin de mettre fin à cette injustice insupportable.

M. Bernard Accoyer. Et la clause de désignation ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. J’y viens.

Les partenaires sociaux se sont saisis de cette question et ont pris la décision de généraliser la couverture santé pour les salariés, par le biais de contrats collectifs au sein de l’entreprise, dont le financement sera assuré au moins pour moitié par l’employeur. Ce sont donc 400 000 salariés qui n’avaient pas de complémentaire qui pourront désormais en bénéficier. Près de 4 millions de salariés seront désormais couverts par un contrat collectif, dont 50 % au moins seront payés par leur employeur.

Si elle ne constitue que l’un des dix-neuf articles du projet de loi, cette mesure a une portée majeure car elle représente pour les salariés la concrétisation d’un droit nouveau. Cependant, faire de l’entreprise la porte d’entrée de l’accès à une complémentaire santé entraîne une modification de l’organisation de notre système de protection sociale qui nous conduit à être particulièrement attentifs à plusieurs points.

Le premier point est la qualité des garanties qui seront offertes dans le cadre des contrats collectifs.

M. Bernard Accoyer. Tout à fait !

Mme Fanélie Carrey-Conte. Il est indispensable de s’assurer que la complémentaire santé d’entreprise permettra de garantir aux salariés une protection sociale de qualité, afin de ne pas encourager le développement d’un bloc facultatif de « sur-complémentaire » santé.

M. Bernard Accoyer. Il faut donc de la concurrence !

Mme Fanélie Carrey-Conte. À cet égard, nous présenterons un amendement visant à lier les garanties complémentaires aux exigences des contrats solidaires et responsables, dont le contenu devra être redéfini. S’il est adopté, cet amendement constituera une réponse forte à cette préoccupation.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est cela !

Mme Fanélie Carrey-Conte. Le deuxième point concerne le déroulement de la négociation et le choix des opérateurs. Le projet de loi ouvre, comme aujourd’hui, aux partenaires sociaux dans les branches la possibilité de choisir entre une désignation d’un ou de plusieurs organismes, une recommandation ou un renvoi de la décision aux entreprises.

M. Jean-Charles Taugourdeau. De toute façon, ils n’auront pas le choix !

Mme Fanélie Carrey-Conte. Il nous appartient de garantir une impartialité totale et d’assurer la prévention des conflits d’intérêt dans les appels d’offres, ainsi que l’égalité de traitement de l’ensemble des opérateurs.

M. Bernard Accoyer. Ce n’est pas dans le texte !

Mme Fanélie Carrey-Conte. Nous y reviendrons dans le cadre de la discussion des amendements que nous avons déposés.

Le troisième point concerne l’universalité de notre protection sociale. Si l’article 1er du projet de loi marque une première étape dans la généralisation de la complémentaire santé, il faut s’assurer des moyens permettant de garantir l’accès de tous – notamment des jeunes, des chômeurs, des retraités et des travailleurs non salariés – à une complémentaire. Nous devrons réfléchir à une remise à plat de l’ensemble des aides et dispositifs fiscaux relatifs aux complémentaires…

M. Bernard Accoyer. Avec le gouvernement socialiste, c’est le pays qui est à plat !

Mme Fanélie Carrey-Conte. …pour créer un système plus lisible, plus juste et qui ne laisse personne de côté. Dans ce cadre, en complément de la saisine du HCAMM par Mme la ministre Marisol Touraine, un amendement du groupe SRC demande un rapport sur les aides directes et indirectes accordées au financement de la complémentaire santé, ainsi que sur la fiscalité appliquée aux contrats, qui pourrait être revue.

Enfin, dès lors que nous parlons de complémentaire santé, il est indispensable de rappeler que notre objectif, à l’opposé des politiques menées par la droite ces dernières années, demeure le maintien d’un socle fort d’assurance maladie obligatoire.

M. Bernard Accoyer. Mais non !

Mme Fanélie Carrey-Conte. La généralisation de la complémentaire santé dans l’entreprise ne saurait conduire à un affaiblissement de ce socle.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Le travail, c’est la santé ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Fanélie Carrey-Conte. L’ensemble des sujets que je viens d’évoquer dépassent le cadre des débats autour du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi ; cependant, ils devront être mis rapidement à l’agenda politique.

Ainsi, l’article 1er de ce projet a une portée majeure, en premier lieu pour les salariés jusque-là non couverts. Au-delà, il nous engage et nous oblige, pour les prochaines étapes allant jusqu’à la généralisation de la couverture complémentaire à tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Sapin, ministre. Marisol Touraine vous en parlera.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cherpion. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Sapin, ministre. Avec de tels applaudissements, l’orateur ne peut qu’être bon !

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est un ami de Jack Lang ! (Sourires.)

M. Gérard Cherpion. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, alors que nous commençons l’examen de ce projet de loi en séance, nous sommes confrontés à une triple demande : celle des partenaires sociaux signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 qui nous demandent de transposer leur accord sans modification, celle des deux syndicats de salariés non-signataires de l’accord qui nous demandent de le rejeter – leurs arguments méritent également d’être entendus –, et celle du Gouvernement qui nous demande d’adopter le projet de loi sans modification alors qu’il n’est pas totalement fidèle à l’accord du 11 janvier.

À ces positions nous pouvons ajouter celle du Président de la République. Il l’a réaffirmée la semaine dernière lors de son entretien télévisé : tout l’accord, rien que l’accord. Pour une fois, nous pourrions presque nous réjouir d’avoir la même analyse que lui, si son Gouvernement et sa majorité n’avaient pas déjà commencé à s’en éloigner.

Face à ce choix, je reste fidèle aux convictions que j’ai exprimées à cette tribune le 15 janvier dernier. L’accord présenté est le résultat d’un dialogue social fructueux, malgré l’absence de signature de deux organisations syndicales. Nous pouvons féliciter les partenaires sociaux pour cette négociation aboutie, en particulier lorsqu’elle porte sur un sujet aussi difficile et fondamental pour notre pays : la modernisation du marché du travail et la sécurisation des parcours des salariés. Je tiens toutefois à rappeler que cette négociation n’aurait pas été possible sans la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, dite « loi Larcher », dont le rapporteur était notre excellent collègue Bernard Perrut.

M. Bernard Accoyer. Excellent collègue, en effet !

M. Gérard Cherpion. Dominique Dord l’a déjà dit : ce texte en est la quatorzième application.

Il n’en reste pas moins que le Parlement n’est ni le greffier des partenaires sociaux, ni celui du Gouvernement. Les députés du groupe UMP exerceront ainsi leur devoir et leur droit d’amendement, dans le respect de l’équilibre général du texte.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Exactement !

M. Gérard Cherpion. Ces amendements visent à revenir au texte de l’accord et à corriger des problèmes techniques et juridiques sur un certain nombre de points.

Vous l’aurez compris : notre groupe sera constructif dans l’examen de ce texte, pour trois raisons.

D’abord, la situation actuelle de l’emploi dans notre pays nous oblige à réformer le marché du travail et l’accès à l’emploi. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de mesurettes, mais devons engager des grandes réformes de fond.

Ensuite, ce texte est le premier présenté par le Gouvernement, depuis neuf mois, qui aborde enfin les difficultés économiques de notre pays.

Mme Marie-Christine Dalloz. Oui, c’est le premier !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Dix-huit textes portent sur les questions économiques et sociales !

M. Gérard Cherpion. Les emplois d’avenir et les contrats de génération sont insuffisants. Le projet examiné aujourd’hui est plus important et mérite à ce titre un examen objectif.

Enfin, les partenaires sociaux, salariés et employeurs, ont su se mettre d’accord sur un sujet qui, par tradition, les divise.

Je tiens à dire au Gouvernement et à la majorité que notre position et notre vote sur le texte seront déterminés par la discussion que nous aurons ces prochains jours, en particulier en fonction de l’adoption ou non des amendements que nous présenterons. La discussion s’est pourtant déjà mal engagée en commission, tant sur la forme que sur le fond.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ce n’est pas surprenant !

M. Gérard Cherpion. Sur la forme, il était difficile voire impossible d’examiner en deux jours ce projet de dix-huit articles, dont certains comportent plus de 150 alinéas et dont les dispositions sont techniques et importantes, ainsi que plus de 350 amendements dont les quatre-cinquièmes étaient présentés par la gauche. La dernière séance de la commission de mercredi a commencé à neuf heures pour se terminer à seize heures trente, avec quinze minutes de pause et sans interruption pendant les questions au Gouvernement.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est contraire au droit du travail ! (Sourires.)

M. Bernard Accoyer. M. Germain est choqué : nous avons dû travailler plus de trente-cinq heures !

M. Gérard Cherpion. Ainsi, le rapporteur et les quelques députés de la majorité ont pu faire passer leurs amendements à une vitesse qui ne permettait pas le travail de qualité que mérite ce texte – cela a d’ailleurs été rappelé par notre collègue Dominique Dord.

Sur le fond, nous espérons, monsieur le ministre, que vous prendrez en compte nos amendements en séance publique et veillerez au rééquilibrage de ce projet de loi.

Le Gouvernement a déclaré l’urgence sur ce texte. Je partage cette volonté d’agir vite. Toutefois, il aurait été judicieux de laisser un temps entre la discussion en commission et celle en séance publique. Nous avons été obligés de déposer nos amendements dans un délai très court, avant vendredi dernier à dix-sept heures, alors que le texte de la commission avait été publié la veille de cette échéance et que le rapport n’avait pas encore été diffusé.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous n’étiez pas obligés d’amender le texte !

M. Gérard Cherpion. Le travail dans l’urgence la plus extrême ne fait absolument pas partie de la revalorisation du rôle du Parlement si chère au Président de la République. Les amendements déposés en application de l’article 88 du règlement seront examinés alors que le débat dans l’hémicycle est commencé. Une semaine supplémentaire aurait permis à l’Assemblée nationale de travailler plus en profondeur et plus correctement, sans poser de problème ni aux salariés, ni aux entrepreneurs.

Cette critique ne s’adresse pas aux fonctionnaires de notre assemblée, en particulier à ceux de notre commission et du service de la séance, qui ont fourni un travail exceptionnel dans le délai imparti, en traitant et en examinant la recevabilité des amendements lors du week-end de Pâques, et en assurant la publication du texte de la commission et du rapport sous deux jours. Leur travail aurait également mérité quelques jours de délai supplémentaire, tout autant que le nôtre.

Sur le fond, je considère que le texte sur l’accord national interprofessionnel est équilibré. Je ne vais pas opposer les nouveaux droits accordés aux salariés aux nouveaux outils de flexibilité accordés aux entreprises. Nous devons observer ce texte comme un ensemble cohérent qui va dans la bonne direction.

La mise en place de la complémentaire santé, bien que coûteuse pour l’entreprise, sera un bénéfice non négligeable pour les salariés.

Cependant, deux points doivent être corrigés.

Le texte prévoit la possibilité d’une clause de désignation alors que l’accord ne prévoyait qu’une éventuelle recommandation. Ce point est particulièrement important parce qu’il ne respecte pas le libre choix des entreprises et des employés, mais aussi parce qu’il met en péril près de 40 000 emplois dans le secteur du courtage d’assurance et des mutuelles. L’autorité de la concurrence a d’ailleurs rendu, le vendredi 29 mars, un avis préconisant de laisser à l’entreprise le libre choix de son assureur.

Ensuite, le dispositif ne prend pas en compte la situation particulière du droit local en Alsace-Moselle. Sur ce point, plusieurs amendements ont été déposés.

La création d’un compte personnel de formation va indéniablement dans le bon sens : la formation des demandeurs d’emploi est la réponse au chômage important. Alors que nous travaillons depuis un certain temps sur ces sujets, le Président de la République vient de l’entendre. Nous attendons donc avec intérêt et impatience votre prochaine loi sur la formation professionnelle et l’apprentissage.

M. Michel Sapin, ministre. On va d’abord adopter celle-ci !

M. Gérard Cherpion. Bien que nous soyons en désaccord avec l’imposition d’une durée de travail minimum de vingt-quatre heures par semaine pour tous les contrats, nous respecterons l’accord et la volonté des partenaires sociaux.

Nous avons déposé des amendements qui visent à permettre à certaines professions et branches professionnelles de déroger à cette obligation car leur travail ne peut se faire sous ces conditions.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Dix-sept branches professionnelles !

M. Gérard Cherpion. Je pense notamment aux porteurs de presse, aux salariés du service au particulier et à certaines professions du secteur médico-social.

Enfin, les dispositions sur la mobilité interne, l’instauration des délais préfix et les accords de maintien dans l’emploi donnent les premières bases nécessaires aux entreprises afin de s’adapter à la crise économique. Lorsque nos entreprises sont touchées par des difficultés conjoncturelles, elles peuvent prendre les mesures nécessaires permettant leur survie, tout cela dans le respect du dialogue social et la protection du salarié. Les accords compétitivité-emploi mis en place par le président Nicolas Sarkozy sont ainsi valorisés, et je m’en réjouis.

M. Michel Sapin, ministre. Ils n’ont jamais été mis en place parce qu’il n’y a jamais eu d’interlocuteurs pour les négocier !

M. Gérard Cherpion. Je souhaite que nous ayons une discussion apaisée avec comme seule finalité la sécurisation de la situation des salariés et la mise en place d’une flexibilité nécessaire à la bonne marche de nos entreprises.

Le groupe UMP est ouvert au débat. Je souhaite que l’accord soit respecté et que sa transcription législative soit, comme vous l’avez dit monsieur le ministre, loyale, renforcée et fidèle. Comme vous, nous croyons au dialogue social pour l’avoir inséré dans le code du travail, aux articles L1 et L2. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, nous abordons, avec l’examen de ce projet de loi, la transcription législative de l’accord national sur la réforme de notre droit du travail, conclu le 11 janvier par les partenaires sociaux.

Le groupe UDI a toujours été un fervent partisan du dialogue social. Il tient à souligner l’esprit de responsabilité qui a été celui des différentes organisations parties prenantes aux négociations et à la conclusion de cet accord.

Ce projet de loi s’inscrit dans une certaine continuité, tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme, dans la mesure où ce texte s’inscrit dans la logique de la loi Larcher de 2007, qui oblige à recourir au dialogue social pour réformer le droit du travail.

Sur le fond, au regard des objectifs poursuivis : sécuriser les transitions professionnelles, développer les possibilités de formation, sécuriser les périodes d’activité partielle, permettre à l’entreprise de s’adapter plus rapidement aux évolutions de son marché, anticiper davantage à travers la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, en réduisant son activité dans le cadre d’accord de compétitivité.

Ces sujets s’inscrivent dans un esprit proche de dispositions prises ces dernières années telles que la rupture conventionnelle du contrat de travail avec la loi de modernisation du marché du travail en 2008, la création du droit individuel à la formation en 2004 et sa portabilité en 2009, la création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels.

Au fond, l’enjeu de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier est de réinstaurer de la confiance là où s’est installée une certaine forme de défiance. Bien sûr, il ne s’agit pas de confiance dans la politique économique et fiscale du Gouvernement : sur ce point, tous les clignotants sont au rouge. Mais il s’agit plutôt de redonner confiance à l’employeur grâce à des dispositifs juridiques sécurisés, en particulier dans les domaines du licenciement, des accords de mobilité, des accords de maintien dans l’emploi.

Il s’agit également de redonner confiance au salarié par le biais d’une combinaison de droits individuels qui apporte des garanties supplémentaires en cas de chômage, offre des opportunités de formation et facilite le retour à l’emploi.

Il s’agit de redonner confiance pour dépasser la crainte d’embaucher et la peur légitime du chômage. Cette confiance repose sur un équilibre subtil, délicat, tant à obtenir qu’à maintenir. Et le groupe UDI vous met en garde, monsieur le ministre : le succès ou l’échec de ce texte va dépendre de la manière dont les dispositions de l’accord vont être inscrites dans la loi, mais aussi de la façon dont les dispositions de la loi vont être expliquées aux employeurs comme aux salariés.

Ainsi, nous ne sommes pas convaincus que présenter la réforme des procédures collectives de licenciement comme le retour de l’autorisation administrative de licenciement soit de nature à persuader les employeurs de la modernisation de notre législation du travail.

Sur le contenu même de ce projet de loi, le groupe UDI appelle à la vigilance sur plusieurs points.

Ainsi, en ce qui concerne la couverture complémentaire santé, l’introduction d’une clause de désignation suscite l’inquiétude. Nous sommes tous d’accord pour considérer que la généralisation de la couverture complémentaire santé est l’une des avancées les plus significatives de l’accord du 11 janvier et de ce projet de loi. Nous ne pouvons que regretter, du reste, que cette généralisation ne soit que partielle, puisqu’elle ne concerne pas ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin, tels les retraités, les étudiants, les demandeurs d’emplois de longue durée.

La clause de désignation est perçue comme un obstacle au rétablissement d’une concurrence entre, d’une part, les organismes de protection sociale couvrant les salariés des branches, d’autre part, les organismes d’assurance et les mutuelles. Nous pensons nécessaire de rétablir l’équilibre de la rédaction de l’accord conclu par les partenaires sociaux, et de réintroduire des principes essentiels de mise en concurrence et de transparence.

Le groupe UDI appelle, par ailleurs, à une indispensable clarification des modalités de mise en œuvre de la durée minimale de travail à temps partiel. Cette durée minimale doit prendre en compte les caractéristiques de certains secteurs d’activité. C’est pour nous un point fondamental.

Nous partageons évidemment avec vous, monsieur le ministre, la volonté de réduire le recours excessif au temps partiel, de lutter contre le temps partiel subi. Mais cet objectif ne doit pas mettre en danger l’équilibre d’entreprises, de secteurs d’activités, de branches professionnelles pour lesquels le recours au temps partiel est structurel.

Je pense en particulier aux métiers des services à la personne qui rassemblent 1,7 million de salariés. Quelque 88 % des salariés de ce secteur exercent à temps partiel et 74 % d’entre eux sont en CDI. La durée moyenne hebdomadaire du temps partiel dans ce secteur varie entre 11 heures et 13 heures, en fonction de l’employeur. Il est bien évident que ce secteur est, de façon structurelle, dans l’impossibilité de faire face à une durée hebdomadaire de vingt-quatre heures.

Une telle obligation porterait atteinte à l’organisation du travail dans ce secteur qui a déjà été fragilisé par la réduction des aides fiscales et la suppression, dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, du forfait applicable au versement de cotisations sociales pour les salariés intervenant au domicile des particuliers.

Ce sont 100 000 emplois qui sont menacés. Nous ne pouvons pas imaginer que s’applique de façon uniforme une mesure qui, conjuguée à d’autres, menacerait tout un équilibre. Ce risque avait d’ailleurs été identifié par les partenaires sociaux qui avaient prévu une dérogation pour les particuliers employeurs. Je passe sur les intermittents du spectacle et certains salariés de l’agriculture qui sont aussi concernés.

En somme, nous demandons le retour à l’esprit et à la lettre de l’accord du 11 janvier. Le groupe UDI souhaite vivement que le Gouvernement accède à cette demande.

Nous attendons du Gouvernement qu’il revienne aussi à l’esprit et à la lettre de l’accord, en ce qui concerne les dispositions du projet de loi sur la mobilité interne. Le texte prévoit que si un salarié refuse des modifications à son contrat de travail en application d’un accord de mobilité interne, il en résulte un licenciement économique. Dans ce cas précis, l’accord du 11 janvier prévoit un licenciement pour motif personnel, accompagné de mesures de reclassement. Sur ce sujet, il nous semble que les partenaires sociaux avaient trouvé un équilibre qui doit être maintenu.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Mais pas pour le temps partiel !

M. Francis Vercamer. Le compte personnel formation est ensuite l’un des principaux droits individuels nouveaux attribués au salarié par l’accord et ce projet de loi. Nous pensons que les modalités de sa mise en œuvre peuvent être précisées dès maintenant dans le texte, en se référant au contenu de l’accord et en laissant toute sa place à la négociation collective.

Nous regrettons également que le compte personnel de formation ne vise pas plus clairement les salariés et les demandeurs d’emploi qui en ont le plus besoin.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Votez nos amendements et vous n’aurez plus de regrets !

M. Francis Vercamer. Depuis longtemps, nous proposons que toute personne ayant accès au marché du travail bénéficie d’un droit à formation inversement proportionnel à son niveau de qualification. Il nous semble que le compte personnel de formation pourrait être orienté en ce sens.

L’accord ainsi que le projet de loi posent par ailleurs les bases d’un régime simplifié d’activité partielle. Chacun s’accorde en effet à reconnaître que le recours au chômage partiel est moins développé dans notre pays que chez certains de nos voisins européens.

La Cour des comptes relevait ainsi, en janvier dernier, l’insuffisante mobilisation du chômage partiel ces dernières années, en dépit des efforts déployés pour moderniser le dispositif. Elle relevait également que l’aide attribuée à l’employeur est moins attractive que dans certains pays étrangers. Quand en Allemagne le reste à charge pour l’employeur est de 15 % du coût de la rémunération antérieure du salarié, il est de 30 % en France.

Il y a donc bien un problème de coût du chômage partiel pour l’employeur. Il nous semble nécessaire que le Gouvernement agisse sur ce point, de façon à ce que le recours à l’activité partielle entre davantage dans les faits.

Pour le groupe UDI, ce projet de loi est un pas de plus vers une flexisécurité à la française, mais il appelle à franchir d’autres étapes. C’est le cas en particulier avec le contrat de sécurisation professionnelle dont l’accès reste limité aux licenciés économiques. Le statut reste ainsi la clef d’accès au CSP, au détriment d’une appréciation de la distance à l’emploi du bénéficiaire. Sous couvert d’une étude d’impact préalable quant au coût pour les finances publiques, nous proposons de franchir une étape supplémentaire en ouvrant le CSP aux titulaires de contrats courts.

Enfin, les dispositions de ce projet de loi, pour être véritablement efficaces, doivent s’inscrire dans le cadre plus large d’une véritable réforme de la formation professionnelle.

M. Michel Sapin, ministre. Nous allons le faire !

M. Francis Vercamer. Pour le groupe UDI, celle-ci doit reposer sur trois piliers fondamentaux : une meilleure lisibilité des dispositifs pour les rendre plus accessibles, une plus grande clarté de la gouvernance nationale et régionale afin de limiter le nombre d’interlocuteurs et d’assurer une meilleure efficacité, un ciblage plus précis en direction des salariés et des demandeurs d’emplois qui ont le plus besoin d’accroître leur qualification. Nous poserons des jalons au cours du débat, pour que le Gouvernement nous indique quelles sont ses intentions dans ce domaine.

Vous le voyez, monsieur le ministre, le groupe UDI aborde ce débat en ayant pleinement mesuré l’acte de responsabilité qu’ont posé les partenaires sociaux en signant l’accord du 11 janvier. Dans le respect de l’équilibre de cet accord, nous vous avons indiqué quels sont nos points de vigilance. C’est en fonction des réponses qui nous seront apportées que le groupe UDI assumera, lui aussi, ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Cavard.

M. Christophe Cavard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes engagés dans une course depuis notre élection au mois de juin 2012 : pas un jour ne passe sans que la situation sociale de notre pays ne s’aggrave, alimentant toujours plus la division, la colère, l’angoisse.

M. Bernard Accoyer. Ça, c’est vrai !

M. Christophe Cavard. Nous abordons aujourd’hui l’examen d’un texte qui pourrait faire date dans la série des mesures que nous avons adoptées au cours des derniers mois.

Je commencerai mon propos en rappelant l’approche des écologistes, en termes tant de méthode de travail que d’analyse ou de propositions.

Depuis la signature de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, puis sa transcription début mars, les écologistes ont choisi de se donner le temps de l’examen du texte, de l’audition des partenaires sociaux, puis du débat parlementaire, notamment lors de l’examen des amendements en commission des affaires sociales.

Nous abordons aujourd’hui la dernière phase de cet examen, à l’issue de laquelle nous serons en mesure d’arrêter une position définitive de notre groupe.

Par ailleurs, à ce stade, je dois dire que l’obstruction annoncée par l’un des groupes de l’Assemblée me fait craindre le débat de posture plutôt qu’un travail effectif sur le texte, et cela à un moment ou les récents résultats relatifs à la représentation syndicale viennent clore le débat sur la légitimité de l’accord.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Compte tenu de votre parcours, c’est une parole en or !

M. Christophe Cavard. Monsieur le ministre, nous avons choisi d’examiner ce texte sous un double éclairage : celui de l’équilibre à inventer entre la démocratie sociale et la démocratie parlementaire ;…

M. Michel Sapin, ministre. C’est vrai !

M. Christophe Cavard. …celui du texte lui-même et des réponses qu’il apporte concrètement à tous ceux qui, en emploi ou au chômage, nous ont mandatés pour les protéger face à la crise.

Concernant l’économie générale du texte, le fameux équilibre qui a tant alimenté le débat, il nous est difficile d’en tirer une appréciation globale sans la rattacher aux conditions de son élaboration.

Le Gouvernement a réuni les partenaires sociaux au mois de juillet 2012, lors d’une grande conférence sociale au cours de laquelle ont été fixés un cap et une méthode. Cette méthode, c’est l’affirmation d’une nouvelle approche de la politique en matière de droits sociaux, associant les partenaires et la représentation nationale dans une co-élaboration du droit des salariés.

Après des années de ce que l’on a dû qualifier de monopole gouvernemental dans les réponses au chômage de masse ou à la précarité, cette loi ne se juge pas comme un objectif final mais bien comme une étape sur le chemin d’une démocratie sociale moderne.

Sur ce chemin, les écologistes ont choisi de s’engager depuis des années, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous devons assumer le constat, qui est une tendance lourde des démocraties modernes, que l’État est limité dans sa capacité à assurer sa mission sociale dans un contexte économique ouvert et mondialisé qui fait peser sur notre économie interne les conséquences de mesures prises dans d’autres pays – je pense bien sûr aux paradis fiscaux, au dumping commercial ou à la concurrence fiscale. Je parle bien ici de l’État en tant que structure institutionnelle et administrative et non de la puissance publique, qui comprend les administrations locales et la société civile. Cette limite le rend souvent inefficace dans la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités à l’accès à un emploi choisi, à une juste rémunération et à une véritable protection sociale.

Alors que nous devrions redoubler d’énergie dans sa construction, qui reste inachevée, alors que nous devrions la doter d’un véritable budget, l’Europe multiplie les mesures d’austérité, au risque chaque jour plus réel d’un repli de nos pays sur des réflexes nationaux. Car oui, dans cette économie mondialisée, chacun sait que nous avons besoin d’une zone politique forte, solidaire et cohérente.

Cette zone politique qui dépasse la pensée nationale et qui renforce l’action régionale, c’est l’Europe.

Quand certains se livrent, dans une même pensée frontale, à une même incantation de l’État-nation comme rempart ultime à la crise, nous affirmons, nous écologistes, la dangerosité de ces illusions et appelons notre majorité au courage pour réaffirmer le rêve européen.

Nous devons ensuite trouver les bons échelons de décision qui permettent de relocaliser l’économie et d’assurer la maîtrise démocratique dans un contexte hypercomplexe.

Qui mieux que les partenaires sociaux, réunis dans un dialogue social renforcé et relocalisé, pourrait répondre à ces enjeux ?

La démocratie sociale est pour nous une affirmation du principe démocratique qui repose sur l’autonomie et sur la responsabilité des individus et groupes constitués. D’autant qu’ici la hiérarchie des normes est respectée : la loi restera supérieure à l’accord.

J’en viens maintenant à notre analyse de la crise sociale elle-même.

La sémiologie médicale nous apprend que c’est le tableau d’ensemble qui définit la maladie. Nous, écologistes, refusons la médecine symptomatique qui en l’espèce expliquerait le chômage de masse par la rigidité du marché du travail. Après trente ans de libéralisation qui ont conduit à une accentuation historique des inégalités sociales et à une course en avant destructrice pour l’environnement, malgré les discours de principe et les engagements internationaux, il est temps d’assumer des politiques de régulation.

Mais, à la place d’un retour en arrière vers une régulation par l’État central, nous pensons que cette régulation doit être équilibrée entre les pouvoirs publics et la société civile, entre l’Europe et les régions.

Il est donc bien là question d’équilibre. Un équilibre que nous souhaitons trouver entre fédéralisme et démocratie sociale. Un équilibre juste entre démocratie sociale et démocratie parlementaire.

Car si nous souhaitons encourager les partenaires sociaux à poursuivre le dialogue social pour apporter des réponses concrètes au chômage de masse, il est aussi de notre responsabilité de parlementaires de partager le diagnostic qui établit la base de la discussion.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire en octobre, la libéralisation économique a conduit en trente ans à une répartition toujours plus inégalitaire des revenus de la production entre le capital et le travail.

En France, la faiblesse de la représentation syndicale n’a pas permis à la démocratie sociale de s’exprimer suffisamment. Il y a donc un enjeu réel, partagé par tous les partenaires sociaux, à renforcer cette démocratie, notamment au sein de chaque entreprise, où elle est trop souvent absente.

À ce stade, plutôt que de nous diviser dans des invectives stériles, je souhaite souligner le débat qui nous traverse, sa complexité et ma détermination dans sa résolution.

Car oui, il existe un vrai débat parmi les forces de gauche concernant le moment de cette évolution de la démocratie sociale. Devions-nous attendre que le rapport de force soit plus favorable aux salariés pour lancer cette négociation ? Pensons-nous au contraire que cette nouvelle méthode peut conduire à renforcer la participation syndicale au sein de chaque entreprise ?

M. Michel Sapin, ministre. Exactement !

M. Christophe Cavard. Pour ma part, si je respecte les termes de ce débat, car ils traduisent une volonté commune de trouver des solutions pour améliorer les conditions sociales des plus faibles, je pense que la gravité de la crise, sa persistance et ses perspectives, nous obligent à ouvrir des solutions dès aujourd’hui.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Très bien !

M. Christophe Cavard. Notre responsabilité de parlementaires est d’accompagner cette refondation par un respect des engagements des partenaires.

Notre responsabilité est de trouver un équilibre social, à un moment où l’explosion du chômage et des emplois précaires affaiblit considérablement la cohésion sociale de notre pays.

Notre responsabilité est surtout de lire la situation dans son ensemble et d’équilibrer le texte final, pour que l’articulation de la démocratie sociale et de la démocratie parlementaire prenne tout son sens.

Car la situation que nous vivons aujourd’hui est d’une gravité inédite.

En s’inscrivant dans cette démarche de refondation de la démocratie sociale, la loi pour la sécurisation de l’emploi, qui traduit l’accord national interprofessionnel, sera une étape décisive.

Cette étape consiste à redonner de la force à la représentation syndicale au sein de chaque entreprise, en la basant sur une règle d’accord simple et compréhensible par tous les salariés.

Cette règle est celle de l’accord majoritaire. Elle poursuit l’évolution de la représentativité syndicale, dont la complexité renforçait l’idée d’une déconnexion entre la participation syndicale dans les entreprises et la signature des accords dans les branches ou au niveau interprofessionnel. Nous avons d’ailleurs pu constater récemment que les syndicats eux-mêmes vivaient cette déconnexion, en signant certains accords de maintien dans l’emploi au niveau de l’entreprise tout en les dénonçant au niveau national.

Nous avons conscience qu’en l’état actuel de la faiblesse de la syndicalisation en France, cette nouvelle règle peut conduire à une recrudescence de mauvais accords. Néanmoins, elle peut permettre, à condition que les syndicats s’en saisissent pour relancer la syndicalisation, de renforcer le poids de la consultation salariale au sein de l’entreprise. Elle peut permettre de mesurer plus directement l’adéquation entre les représentants et leurs mandats.

C’est ce choix d’une démocratie plus participative que représentative que nous faisons et que nous souhaitons porter partout où s’engagent des décisions collectives.

En instituant une représentation des salariés dans les conseils d’administration, en instaurant l’accord majoritaire pour les plans de sauvegarde de l’emploi ou pour les nouveaux accords de maintien dans l’emploi, ce texte constitue une réelle avancée vers une démocratie sociale simplifiée et participative.

Néanmoins, nous ne pouvons en débattre sans entrer dans le détail de ses dispositions opérationnelles et de celles qu’il entend mettre en œuvre pour sécuriser l’emploi.

Lors du débat en commission des affaires sociales, nous avons eu l’occasion de souligner les difficultés que soulevait le texte pour atteindre pleinement notre objectif. Je dois aujourd’hui saluer le travail du rapporteur, Jean-Marc Germain, qui a su par sa compétence technique lui apporter des évolutions notables, dont nous saluons la portée. Néanmoins, monsieur le ministre, l’équilibre final du texte résultera de notre capacité commune à dépasser certaines difficultés qui demeurent.

Ces difficultés sont de plusieurs natures. Comme nous réfutons l’idée que le chômage de masse résulte d’un problème structurel du marché de l’emploi, nous pensons que la loi doit sécuriser les personnes tout autant que les emplois. Pour cela nous souhaitons que les mesures en faveur de la formation soient renforcées, en permettant d’associer très en amont des régions et des partenaires sociaux au financement du compte individuel et en ouvrant le compte personnel de formation aux jeunes sortis du système scolaire sans qualification.

Dans cette même logique, nous souhaitons que la mobilité interne ne soit pas un outil déguisé de précarisation supplémentaire des salariés. Les partenaires sociaux nous ont affirmé qu’il s’agissait d’un outil de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences : très bien ! La loi doit donc clarifier nettement ce que les partenaires sociaux s’étaient engagés à signer en levant toutes les ambiguïtés qui viendraient d’un texte trop peu rigoureux.

Nous déposerons un amendement en ce sens, tendant à limiter la mobilité interne à une heure autour du domicile et à inclure dans la négociation des paramètres personnels comme la situation familiale.

Comme nous pensons que les stratégies de l’entreprise doivent s’inscrire dans le long terme, nous souhaitons que les données environnementales figurent dans la base de données unique et dans les documents de la nouvelle consultation des instances représentatives du personnel sur les orientations stratégiques de l’entreprise.

Comme je le disais plus tôt, ce nouvel équilibre entre démocratie sociale et démocratie parlementaire s’inscrit pour nous, écologistes, dans une expérience concrète de modernisation de la vie économique qui passe par la coopération plutôt que la concurrence, par la participation plutôt que l’appropriation des richesses par les seuls actionnaires, et enfin par la co-décision au cœur de l’entreprise plutôt que la stratégie financière et par la recherche de l’utilité sociale plutôt que le « toujours plus ».

Cette expérience se déroule dans des conditions défavorables aux salariés, aux précaires et aux chômeurs. Nous en sommes tous conscients. Aussi nous pensons, qu’il est de notre devoir de prendre date.

Prendre date pour faire le bilan réel et partagé avec les partenaires sociaux des mesures que nous allons engager.

Prendre date pour évaluer la concordance entre le mandat clair qu’ont donné les Français à notre majorité – casser le chômage de masse et la précarité, renforcer les droits sociaux de chacun – et la réalité.

Prendre date, enfin, pour mesurer la dynamique en faveur de la démocratie sociale et de la participation syndicale des salariés au sein de chaque entreprise.

Ce bilan, que je souhaite voir examiner lors d’une nouvelle conférence sociale réunissant partenaires sociaux et parlementaires, pourrait être établi dès juillet 2014.

À l’ouverture de ce débat, je souhaite rappeler les principes qui guideront notre choix : renforcement de la participation salariale dans la vie de l’entreprise, développement d’un droit social attaché à la personne plutôt qu’au contrat et dénonciation de toutes les formes déguisées de précarisation.

Monsieur le ministre, dans cet exercice d’équilibriste, je ne doute pas que vous saurez tenir le fil qui relie le chemin des crêtes. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Braillard.

M. Thierry Braillard. Le rapport sur le pacte de compétitivité pour l’industrie française rendu au Premier ministre le 5 novembre 2012 par M. Louis Gallois avait été reçu de manière quasi unanime par notre Assemblée. Il soulignait de façon pertinente les insuffisances du dialogue social dans les causes structurelles des difficultés qu’affronte la France en matière de compétitivité.

Dès lors, il devient évident que la démocratie sociale, que les réponses négociées aux préoccupations du monde du travail sont pour notre majorité des priorités.

Aussi, les radicaux ont décidé de soutenir la transposition de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 réalisée par le présent projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, qu’ils voteront tout en défendant leurs amendements, qui ne remettent pas en cause son équilibre.

Ils le feront parce que cela doit être l’occasion pour les entreprises de reprendre le chemin de la création d’activités et d’emplois ; parce que cela doit faciliter la relance de la croissance ; parce que cela doit sécuriser socialement les salariés tout au long de leur vie professionnelle.

Souvenons-nous : nous devons à l’inspiration du Conseil national de la résistance la mise en place de rapports sociaux qui ont lié l’amélioration de la condition des salariés et la mise en place d’une véritable législation du travail.

N’est-ce pas en 1950 que la loi sur les conventions collectives a été adoptée, permettant la négociation des salaires et imposant le dialogue dans les différentes branches ?

N’est-ce pas en 1968, le 26 mai, avec les accords de Grenelle, que l’acteur syndical est entré de plain-pied dans l’entreprise ?

N’est-ce pas en 1982, avec les lois présentées par Jean Auroux, qui nous a fait tout à l’heure l’honneur de sa présence, que de nouvelles relations du travail furent instaurées et le droit des travailleurs élargi ?

Ce qui nous est proposé aujourd’hui n’est donc pas nouveau : l’État a déjà admis par le passé que son rôle n’était pas d’imposer, mais plutôt d’œuvrer à la construction de compromis, quitte à légiférer ensuite sur ces compromis pour leur donner tout le poids et la garantie de la loi.

Ce n’est donc pas nouveau, mais le contexte est nouveau.

En effet, ces dernières années, un climat de défiance s’était instauré entre le pouvoir et les différents syndicats. Je regrette vraiment, mes chers collègues de l’UMP, que M. Dominique Dord nous ait quittés. J’aurais aimé lui rappeler les propos tenus, non pas au meeting de Lyon mais à celui de Villepinte, par exemple, par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, qu’on veut faire apparaître comme le parangon de la démocratie sociale et qui pourtant à plusieurs reprises avait montré du dédain, voire de l’adversité politique envers le monde social. Et, en février 2012, en pleine campagne des présidentielles, il confirmait qu’il aurait recours au référendum au motif que « les blocages auxquels j’ai été confronté venaient de certains syndicats [...] qui ont intérêt à l’immobilisme, au conservatisme, par crainte d’un monde nouveau qui verrait diminuer leur influence » ! Voilà ce qu’était, lors de la précédente législature, la démocratie sociale.

Le candidat François Hollande annonçait, pour sa part, qu’il souhaitait rétablir en France un véritable dialogue social.

Une fois élu, il a d’abord concrétisé cet engagement en réunissant, dès le mois de juillet 2012, la grande conférence sociale. Il voulait à cette occasion rétablir un état d’esprit de confiance avec les acteurs sociaux, rétablir un état d’esprit de dialogue guidé par la conviction que les réformes les plus réussies sont les mieux préparées et les mieux concertées, enfin, rétablir un état d’esprit de responsabilité, compte tenu du contexte économique et social actuel.

Le Président Hollande a poursuivi dans cette voie avec le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, en incitant les partenaires sociaux à trouver un accord sur la flexibilisation et la sécurisation de l’emploi.

Fruit de quatre mois de négociations, de concessions réciproques, d’efforts plus ou moins partagés, l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 est bien destiné à améliorer la compétitivité des entreprises tout en sécurisant les emplois et les parcours professionnels. Et ce projet de loi retranscrit bien ce texte, lui donnant toute la force nécessaire et l’imposant dans la hiérarchie des normes.

Si M. Jean-François Copé disait, lors du lancement de la grande conférence sociale, que c’était uniquement du cinéma – je ne fais que le citer –, force est de constater que le Gouvernement a eu raison de faire confiance au dialogue social afin d’obtenir un accord exhaustif, globalement équilibré, un accord gagnant-gagnant pour les parties signataires.

Bien sûr, et je m’adresse là à mes amis du groupe GDR, les radicaux, vous le savez, ont le sens de la conciliation et du dialogue. Nous regrettons donc que deux des cinq syndicats représentatifs des salariés n’aient pas adopté ce texte, en prétextant une flexibilisation accrue sans contreparties suffisantes. Nous entendons leurs remarques.

Nous les entendons d’autant mieux que notre groupe, à l’initiative de notre collègue Jean-Noël Carpentier, a déposé à l’automne dernier une proposition de loi qui vise à étendre le pouvoir du juge saisi de la validité d’un plan de sauvegarde et de l’emploi, en lui permettant d’apprécier, outre la régularité de la procédure, la cause économique réelle et sérieuse. Il est des exemples récents où des licenciements économiques collectifs ont été prononcés sur une motivation qui aurait mérité un contrôle du juge a priori, et non pas a posteriori comme c’est le cas dans le droit en vigueur.

C’est la raison pour laquelle l’article 13 du projet de loi est une réponse qui va dans le bon sens. En effet, les partenaires sociaux ont souhaité créer deux nouvelles voies pour fixer la procédure de licenciement et le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi : la voie d’un accord majoritaire et celle d’un document unilatéral de l’employeur soumis à une homologation de l’administration.

Car le constat est là : notre pays a besoin de concilier le besoin de compétitivité de ses entreprises et la sécurisation de ses emplois. Notre pays a besoin de retrouver la croissance et de réduire le chômage, de donner une meilleure visibilité aux chefs d’entreprise, de donner de la sécurité aux salariés.

Est également transcrite, à l’article 5 du projet, la participation des salariés à la gouvernance des entreprises. Les conseils d’administration et de surveillance seront désormais ouverts aux salariés. C’est une évolution considérable qui permettra notamment de rééquilibrer le pouvoir dans l’entreprise entre le capital et le travail, car les salariés auront voix délibérative.

Ce projet, c’est également la création de nouveaux droits pour les salariés. Vous ne pouvez pas, mes chers collègues du groupe GDR, dire que ce texte n’en instaure pas.

M. André Chassaigne. Ah oui ? Lesquels ?

M. Thierry Braillard. Je vais vous le dire. J’attendais votre interpellation et m’étais préparé à y répondre.

Que sont ces nouveaux droits ? Ce sont les parcours professionnels avec la majoration de la cotisation employeur d’assurance chômage des contrats à durée déterminée, avec l’affirmation du CDI, avec la création d’un droit à une période de mobilité volontaire sécurisée. C’est un meilleur encadrement du travail à temps partiel. Le rapporteur l’a très bien expliqué tout à l’heure.

L’article 8 du projet met fin à ce que l’on appelait le temps partiel subi et instaure une majoration des heures complémentaires. Si ce n’est pas un nouveau droit pour les salariés, que vous faut-il ? C’est une bonne chose.

Dans le même temps, les radicaux le pensent, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la perte de 800 000 emplois industriels ces cinq dernières années. Une fois qu’on a dit que c’est le bilan des années Sarkozy, le fait demeure. Il faut donc encourager les entreprises françaises dans leur recherche de compétitivité.

Ce projet leur donne donc les moyens de s’adapter aux problèmes conjoncturels et de préserver l’emploi. C’est l’objet de son article 12. Le travail en commission a permis des précisions, notamment de rappeler que tout accord de ce type entrait bien dans le cadre légal protecteur existant. En outre, les procédures prud’homales sont rationalisées.

Il y a aussi le travail saisonnier, qu’il faut prendre en compte. Vous vous étiez engagé, monsieur le ministre, à constituer un groupe de travail des saisonniers et des pluriactifs. Nous souhaiterions, avec Mme Lemorton, qui m’écoute toujours religieusement (Sourires), qu’il soit mis en place.

Je ne sais pas si ce projet de loi doit être qualifié d’historique. En tout cas, c’est un texte équilibré qui nous apparaît totalement adapté à la situation sociale du pays.

Ce sont là les raisons de notre soutien, monsieur le ministre, avec la poursuite d’un dessein commun, que Pierre Mendès France exprimait bien mieux que moi à cette tribune, lors de son discours d’investiture, il y a plus de soixante ans : « notre but est de refaire de la France une nation forte et prospère dont le progrès soit une promesse de justice et de bonheur à sa jeunesse impatiente ». (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. L’UMP t’attend, camarade Chassaigne !

M. André Chassaigne. C’est avec gravité que je prends la parole sur ce projet loi dit de sécurisation de l’emploi.

Pour défendre ce projet, issu de l’accord interprofessionnel du 11 janvier dernier, le Gouvernement nous a dit qu’il était historique. Il l’est, effectivement. Certes, en prétendant sécuriser l’emploi, son titre relève d’une recette éculée où l’édulcorant l’emporte sur la réalité du mets. Aussi est-il temps d’analyser les ingrédients pour dissiper la publicité mensongère qui le promeut.

Oui, ce projet de loi est un coup de poignard dans le dos des salariés. Oui, il est attendu par les agences de notation, comme le souligne Le Parisien dans son édition de ce matin. Oui, il marque une régression historique du droit du travail.

C’est pour empêcher qu’advienne ce mauvais coup qu’il est important de faire la lumière sur ce texte.

En commission, la majorité socialiste, enfermée dans la gangue du mandat impératif, a repoussé nos amendements.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Elle en a adopté certains !

M. André Chassaigne. Elle les a repoussés avec le soutien de l’UDI et de l’UMP. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Malgré cette fin de non-recevoir, tous les arguments que vous avez avancés, qui sont ceux du MEDEF, sont d’ores et déjà balayés. Ils sont balayés par le débat qui se lève. Ils sont balayés par un nombre grandissant de juristes, de syndicalistes, de salariés en lutte, de citoyens engagés, de journalistes vigilants, d’économistes hétérodoxes, de militants associatifs. Ces hommes et ces femmes appartiennent à toute la gauche, à tout le camp progressiste dans sa multiplicité, loin des querelles de chapelles. Tous font le constat que vos éléments de langage ne résistent pas à l’examen. Et c’est en me faisant le relais de toutes ces voix que je veux, au nom du Front de gauche, rétablir la vérité sur ce recul sans précédent des droits des salariés.

Vous dites que ce projet de loi s’inspire d’un accord majoritaire parce que trois syndicats, c’est plus que deux. Mais cet accord est rejeté par les premier et troisième syndicats de France ! Quant à ses signataires, ils ne totalisent qu’une majorité relative de 44,7 % des suffrages. Le journal Le Monde du 14 janvier dernier titrait même : « Accord sur l’emploi : la CFDT assume son isolement sur le plan syndical ». Les organisations signataires n’osent même pas soutenir l’idée d’un front syndical majoritaire tant s’élèvent, jusque dans leurs rangs, des voix discordantes.

Pour notre part, nous défendons l’intérêt général, celui des salariés comme celui des petites entreprises écrasées par leurs donneurs d’ordres et le coût du capital.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous aussi !

M. André Chassaigne. Cela nous conforte dans la conviction que faire prévaloir la négociation sur la loi est un désastre pour les droits des salariés. Cela revient à entériner le rapport de force totalement défavorable dans les entreprises, donc à donner toutes les manettes au patronat.

Vous dites que les accords de maintien dans l’emploi ne correspondent pas aux accords que voulait Nicolas Sarkozy.

M. Michel Sapin, ministre. Eh non !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Pas du tout !

M. André Chassaigne. Pourtant, personne ne s’y trompe : il s’agissait déjà, à l’époque, de permettre la conclusion d’accords collectifs prévoyant une réduction de salaire et une augmentation du temps de travail de manière à ce que l’entreprise augmente sa compétitivité. Et le coup de Trafalgar, c’est que ces accords étaient dans le programme du candidat Sarkozy battu, mais pas dans celui du candidat Hollande élu !

M. Bernard Accoyer. C’est vrai, ça !

M. André Chassaigne. Vous arguez que de tels accords existent déjà dans les faits, comme dans les entreprises Continental ou Renault, mais, au lieu de revenir sur les entailles faites au droit du travail par la droite, vous les généralisez ! Car l’existence d’accords d’entreprise déjà défavorables aux salariés est-elle une raison de leur offrir une consécration législative alors même que le précédent de Continental a montré que cette procédure était une escroquerie ?

M. Jean-Jacques Candelier. Très bien !

M. André Chassaigne. Pour nous, il est impératif que tout accord respecte le principe de faveur, c’est-à-dire que ce soit toujours la norme la plus favorable qui s’applique aux salariés. À l’opposé de ce que vous faites, nous voulons légiférer pour empêcher que les rapports de force dissymétriques dans l’entreprise n’achèvent de pilonner le droit du travail. Ces accords, que la droite va s’empresser de voter, sont totalement déséquilibrés. Ils constituent, comme le dit Gérard Filoche, des pactes de chantage à l’emploi.

Vous dites que ce texte ne facilite pas les licenciements. Permettez-moi de citer le très libéral institut Montaigne : « Les entreprises ont obtenu l’assouplissement des procédures de licenciement. »

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Maintenant qu’ils ont lu le texte, ils ne disent plus la même chose !

M. André Chassaigne. Ici encore, vous niez l’évidence et vous enfumez.

De plus, depuis 1945, le premier critère mobilisable contre un licenciement était un critère social : les charges familiales et les difficultés de la personne. Désormais, la compétence pourra prévaloir, jaugée par le patron, tributaire de ses appréciations personnelles. C’est un des aspects les plus graves de ce texte.

Ce n’est pas tout. Avec ce projet de loi, un plan social pourra être mis en place en vingt et un jours. En cas d’impossibilité d’accord d’entreprise, la DIRECCTE, c’est-à-dire l’administration, pourra homologuer ou non le plan social. En l’absence de réponse dans un délai de vingt et un jours, le plan social sera validé de fait.

M. Bernard Accoyer. Oh là là ! C’est l’apocalypse ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Chassaigne. Les solutions alternatives élaborées par les salariés seront impossibles. Avec l’ANI, Fralib n’aurait pas tenu plus de 90 jours ; les salariés en sont à plus de 900 jours de lutte ! Avec ce projet de loi, aucune des luttes qui ont sauvé l’outil de travail et conduit à la victoire n’aurait pu avoir lieu, M-Real, dans l’Eure, Continentale nutrition, dans le Vaucluse, la chocolaterie de Dijon n’auraient pu être sauvés.

Vous décrivez l’intervention de la DIRECCTE comme le grand retour de l’État dans la procédure de licenciement. À vous entendre, cette procédure marquerait presque une renaissance de la planification. Quelle duperie, quand la droite elle-même reconnaît que ce dispositif répond à une demande du MEDEF, soucieux de sécuriser les procédures de licenciement ! Quitus sera donné par un coup de tampon. Ainsi, ces plans sociaux accélérés vont pouvoir se multiplier.

Croyez-vous qu’il suffise de prononcer le mot « administration » pour se blanchir des renoncements ? L’administration est déjà censée vérifier les ruptures conventionnelles. On voit bien que ce visa administratif n’a en rien empêché le million de ruptures conventionnelles qui ont eu lieu dans ce pays depuis 2008.

Ce projet facilite aussi les licenciements lorsqu’il encadre les recours aux prud’hommes, lorsqu’il réduit considérablement les délais de prescription et lorsqu’il plafonne les indemnités de dommage et intérêts.

La seule sécurisation qui est réalisée, c’est celle des employeurs !

Vous dites que ce projet de loi taxe les CDD. Mais la sur-cotisation des contrats courts relève de la tartufferie : je le dis en pesant mes mots ! Molière après Corneille, Tartuffe après les yeux de Chimène !

On estime que 80 % des CDD ne seront pas concernés : les CDD pour remplacement de salarié absent, les contrats d’usage qui existent dans 15 branches, les CDD pour les jeunes de moins 26 ans, et ceux qui feront l’objet d’autres négociations de branche par accord étendu. Pour les 20 % restants, la sur-cotisation est de 0,5 à 3 points. On passe ainsi, pour un CDD de moins de trois mois, de 14 % de taxation à 14,5 %. En quoi est-ce dissuasif pour l’employeur ?

D’autant qu’en échange de cette fausse concession, le patronat a obtenu que la signature d’un CDI par un jeune de moins de 26 ans permette de ne plus donner lieu au paiement des cotisations pendant trois ou quatre mois, ce qui correspond à la période d’essai. Ainsi, le vingt-neuvième jour du troisième mois après l’embauche, le patron pourra virer son salarié sans formalité, sans motif, et sans avoir payé ni les 10 % de taxe CDD, ni les cotisations d’assurance-chômage. Le MEDEF, lui, a fait ses comptes : la taxation des CDD coûterait 110 millions d’euros, tandis que la détaxation des CDI courts rapporterait 155 millions d’euros. Il s’agit d’un nouveau cadeau fait au patronat, un cadeau de 45 millions d’euros présenté comme une aubaine pour les salariés !

C’est une tartufferie, enfin – et surtout – parce qu’il suffira aux employeurs de rallonger le contrat d’une journée pour échapper à la taxation, ou de recourir aux contrats d’intérim qui, eux, échappent à cette taxe.

M. Jean-Jacques Candelier. C’est vrai !

M. André Chassaigne. Vous dites que sur le temps partiel subi, les avancées sont réelles. La loi fixe, pour ce qui est de la durée hebdomadaire de travail, un plancher de vingt-quatre heures. Ce plancher était jusqu’ici fixé à vingt heures hebdomadaires. Mais quasiment tout le monde passe au travers !

M. Denys Robiliard. Mais non !

M. André Chassaigne. Les moins de 26 ans ne seront pas concernés, ce qui constitue une discrimination par l’âge. Les dérogations sont de droit à la demande du salarié : il suffira à l’employeur de le demander à celui qu’il s’apprête à embaucher, et il s’affranchira de ce plancher.

Une dérogation est également prévue pour les salariés qui ont deux contrats. Enfin, il sera possible de déroger à cette règle par accord étendu pour les branches qui emploient plus de 30 % de salariés en temps partiel. En bref, 80 % à 90 % des contrats à temps partiel ne seront pas concernés par ce plancher !

Quant à la majoration des heures complémentaires de 10 % dès la première heure, c’est encore une entourloupe ! Aujourd’hui, ces heures sont majorées de 25 % dès qu’elles représentent un dixième des heures du contrat. Cette disposition dissuasive disparaît. Un temps partiel de plus de vingt-sept heures hebdomadaires gagnera moins qu’aujourd’hui. En outre, alors qu’une seule coupure par jour de deux heures maximum était autorisée, leur nombre et leur durée sont désormais ouverts. Le salaire sera lissé et l’employeur pourra faire huit paquets d’heures complémentaires par an. Les délais de prévenance, qui étaient de sept jours, et de trois jours pour certaines branches par accord étendu, seront négociés. Comment pouvons-nous entériner un tel désastre social pour les femmes, qui constituent 85 % des salariés à temps partiel ?

Vous dites que la démocratie parlementaire est respectée. À tous ceux qui nous expliquent qu’au nom du respect du dialogue social, nous, parlementaires, ne devrions pas amender ce texte, nous répondons par l’article 27 de la Constitution : « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel. »

Nous répondons aussi que législateur n’est aucunement tenu par la signature de cet accord. Même la loi Larcher du 31 janvier 2007 relative à la modernisation du dialogue social n’implique pas que le Parlement est lié par les dispositions d’un accord majoritaire entre patronat et syndicats. Le code du travail prévoit simplement que les textes législatifs et réglementaires sont rédigés « au vu des résultats de la concertation et de la négociation ». Cela signifie qu’il doit en être tenu compte.

L’argument selon lequel il ne faudrait pas toucher à ce projet de loi est non seulement antidémocratique mais n’a de plus aucune valeur juridique. J’appelle tous les députés à ne pas se laisser impressionner par les tentatives de les priver de leur mission d’écrire la loi.

Vous dites que ce projet de loi marque un progrès social. Au contraire, il marque l’aboutissement d’un processus de régression entamé en 2000 sous la houlette du MEDEF, avec la complicité active de la droite. Les dix années qui viennent de s’écouler ont été fructueuses pour le patronat : exonérations massives de cotisations sociales, inversion de la hiérarchie des normes – les accords priment la loi plutôt que l’inverse –, implosion de la durée du travail et du droit de grève, instauration de la rupture conventionnelle, attaque de notre système de retraites,…

Cette transformation massive s’est faite dans un contexte économique déjà défavorable. Il en est résulté une grande précarisation des salariés, notamment des jeunes, des seniors, des femmes et des immigrés. Or le patronat est loin d’être rassasié. D’autant que la vague européenne actuelle de liquidation des systèmes de protection sociale donne des ailes aux dominants de tous les pays. L’exemple de la Grèce est significatif.

Ce projet de loi ne marque pas un coup d’arrêt à la déréglementation que nous avons connue. Bien au contraire, il risque de faire sauter toutes les digues. Comme le dit le juriste du travail Laurent Garrouste, la « transposition de l’accord national interprofessionnel en loi signifierait une nouvelle avancée vers l’instauration d’un régime néolibéral du travail, extrêmement régressif socialement et politiquement ». Même les centrales signataires justifient aujourd’hui leur consentement à cet accord par le mauvais contexte économique qui les aurait poussées à faire des sacrifices.

Il n’y a que vous, monsieur le ministre pour oser affirmer, dans l’exposé des motifs, que ce projet s’inscrit « dans le fil du combat historique pour l’amélioration du sort des travailleurs. »

M. Michel Sapin, ministre. Eh oui ! Voulez-vous que je le répète ?

M. André Chassaigne. C’est incroyable ! Quel cynisme ! Irez-vous, si ce texte est adopté, jusqu’à chanter l’Internationale ?

M. Bernard Accoyer. Malaise dans la majorité !

M. André Chassaigne. Chers camarades, je ne peux résister au plaisir de vous rappeler les paroles d’un membre du bureau national du Parti socialiste, prononcées il y a une semaine devant cette instance : « Depuis quatre-vingts ans, quand on regarde ce qu’a fait la gauche en 1936, en 1945, en 1981, en 1997, cette loi est la pire loi réactionnaire contre le droit du travail… Jamais vu ça ! », disait-il. « Personne ne pourra la défendre, personne d’ailleurs, déjà, ne la défend sérieusement. C’est un coupe-gorge que de la transcrire. »

Dans vos propres rangs, l’indignation monte, et c’est pour éteindre cet incendie que vous employez ces extincteurs sémantiques ! Mais les gens sauront tôt ou tard ce que contient réellement ce funeste projet de loi. Les salariés l’apprendront au moment où, dans les entreprises, les accords se mettront en place, sous la férule de patrons trop heureux de profiter des effets d’aubaine et de pressurer les syndicats, à l’heure où le chômage connaît des niveaux records et le pouvoir d’achat une baisse historique. La population se rendra alors compte du contenu de ce texte.

C’est pour déjouer cette mécanique infernale que nous nous engageons, pour inverser la vapeur et pour rappeler la gauche à ses engagements et à ses valeurs. Nous vous proposons d’examiner ce projet de loi d’une autre manière, d’une manière constructive, où chacun accepte pleinement sa charge de législateur. Nous abordons ce débat avec la ferme intention de défaire ce texte : tel sera le sens des propositions concrètes et concertées que nous avancerons. Pour cela, chers collègues, ouvrons ensemble les brèches nécessaires !

Pour notre part, nous, députés du Front de gauche, inébranlables, fidèles au mouvement social, à la défense des salariés et à notre projet de transformation de la société, qui est plus que jamais nécessaire, avons clairement choisi. Nous refusons les régressions sociales, et assortissons ce refus de dizaines de propositions pour sécuriser vraiment l’emploi. Dans ce combat, nous savons que nous ne sommes pas seuls, dans cet hémicycle comme ailleurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’était un peu caricatural, monsieur Chassaigne !

Un député du groupe SRC. Juste un peu ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Démontrez donc que ce que j’ai dit est faux !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nos vrais adversaires sont de l’autre côté de l’hémicycle !

Mme la présidente. La parole est à M. Denys Robiliard.

M. Denys Robiliard. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, moi qui suis pourtant un peu circonspect vis-à-vis de cet accord social, en écoutant l’intervention de M. Chassaigne, j’avais envie de le défendre ! Monsieur Chassaigne, votre démonstration illustre parfaitement l’adage « qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage ».

M. Jean-Jacques Candelier. Mais il l’a ! Ce texte est mauvais !

M. Denys Robiliard. Mais non ! Votre démonstration ne tient pas compte de la généralisation de l’assurance complémentaire de santé. On peut discuter des modalités d’application de cette mesure, dire que cela pose des problèmes, mais cela n’en reste pas moins un progrès pour les salariés qui n’en bénéficient pas à l’heure actuelle.

Votre démonstration ne tient pas non plus compte des progrès que ce texte permettra d’accomplir en termes de formation, ni du mécanisme de bonus-malus sur les CDD et les CDI. J’ai bien compris vos critiques sur ce point, mais je pense qu’il est important de reconnaître le principe de ce mécanisme de bonus-malus, pour ensuite l’ajuster.

De plus, vous négligez l’importance de l’encadrement du travail à temps partiel. Vous dites qu’il existe, à l’heure actuelle, un minimum hebdomadaire de vingt heures de travail par semaine : il n’en est rien ! Le projet de loi propose de fixer un plancher à vingt-quatre heures de travail hebdomadaire. Certes, des dérogations sont possibles : mais les accords qui le permettront devront être négociés, c’est-à-dire que les syndicats seront à ce moment-là en position de force par rapport aux employeurs qui ont besoin de recourir à des contrats de temps partiel d’une durée inférieure à vingt-quatre heures hebdomadaires. Par conséquent, un véritable encadrement des temps partiels est possible. C’est un progrès important : je ne vois pas pourquoi il faudrait le sacrifier, à plus forte raison quand on prétend – comme vous – défendre les femmes, lesquelles sont victimes du travail à temps partiel subi.

Pour ce qui est des licenciements, vos assertions sont également discutables. Nous allons passer d’un système de contrôle a posteriori à un contrôle a priori. Je suis d’accord avec vous : il faudra que les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE, disposent des moyens nécessaires pour cela. Nous devrons peut-être, à cet égard, travailler sur la question des délais dont elles disposeront. Quoi qu’il en soit, ce projet de loi contient des possibilités de progrès importants du droit du travail. Il ne s’agit absolument pas du détricotage, du démontage ou de la démolition – comme j’ai pu l’entendre – du code du travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Quel talent !

M. Denys Robiliard. Vous dites par ailleurs que la démarche du Gouvernement revient à imposer aux parlementaires un mandat impératif. Ce n’est pas le cas : le Parlement garde tout son rôle ! Il est vrai que le Parlement a le droit de se limiter, s’il l’entend, à la transcription dans la loi d’un accord social. Il n’y a pas là d’incompétence négative. J’ai écouté avec attention les arguments développés par Mme Fraysse tout à l’heure à ce sujet : il n’y a pas d’incompétence négative à partir du moment où la règle est entièrement définie et ne renvoie pas à d’autres acteurs pour la compléter.

Ceci étant, je ne souhaite pas que le rôle du Parlement s’arrête là. Mais il ne faudrait pas que nous outrepassions le champ de l’accord national interprofessionnel. Je sais bien que pour Paul Valéry, « les véritables accords sont les accords en arrière-pensée ». Ne cherchons pas à deviner les arrière-pensées, car je crains qu’elles diffèrent entre les signataires !

Nous savons par ailleurs qu’il existe une grande différence entre les accords conclus à la dernière minute – comme celui qui est à l’origine du projet de loi dont nous discutons, et qui porte sur un grand nombre de dispositions différentes – et les textes d’ordre législatif qui les mettent en œuvre. Ces derniers doivent être beaucoup plus précis, et doivent assurer la cohérence entre les nouvelles règles de droit et celles qui ne sont pas modifiées. De ce point de vue, nous devons respecter une obligation d’articulation avec les engagements internationaux de la France. C’est d’ailleurs pour cela, comme vous l’avez noté, monsieur Chassaigne, concernant les accords de mobilité, que nous sommes passés du licenciement pour motif personnel prévu par l’accord national interprofessionnel, à un licenciement pour motif économique. Pour ma part, je continue à m’interroger sur la nature individuelle d’un licenciement à partir du moment où plus de neuf autres licenciements auraient lieu dans un délai de trente jours. La question de l’articulation avec la directive 98/59 devra être débattue. J’espère que nous aurons toutes les précisions et toutes les assurances nécessaires à ce sujet.

Voilà le travail que nous devrons effectuer. Il me semble que nous aurons le temps de le faire. Dans le même ordre d’idées, le Parlement me paraît être le gardien de l’ordre public social. Je ne vois pas qui d’autre pourrait le définir, en lien avec le Gouvernement. À partir de ce moment, nous devrons travailler sur des problèmes de prescription et de compétence juridictionnelle. Pour ma part, je suis persuadé que compte tenu à la fois des engagements internationaux de la France et du texte du projet de loi, la cause réelle et sérieuse des licenciements continuera d’être contrôlée par les conseils de prud’hommes. Même si la procédure est encadrée par des délais stricts, la justice administrative ne fera pas plus de cadeaux que n’en fait le juge judiciaire, tout simplement parce que les juges appliquent la loi, qu’ils relèvent de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif !

Je pense donc que beaucoup des dispositions de cet accord constituent de nets progrès. Cela n’est pas toujours le cas : pour moi, la réforme de la prescription n’en est pas un. Nous pouvons travailler intelligemment, ensemble, au cours des jours qui viennent, pour améliorer encore cet accord, qui l’a déjà bien été par rapport au texte initial. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Très bien !

M. André Chassaigne. Très bonne intervention !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Oui, M. Robiliard est un orateur talentueux. Vous devriez l’écouter, monsieur Chassaigne !

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Accoyer.

M. Bernard Accoyer. Madame la présidente, mesdames, messieurs, ce projet de loi transcrit l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dans notre droit et introduit une modeste dose de flexibilité dans l’emploi. Cette direction s’impose évidemment puisqu’en l’absence de toute flexibilité, avec un coût du travail record dans la zone euro, la compétitivité est au plus bas et est la cause de la plupart des destructions d’entreprises et d’emplois qui se déchaînent, en France, à un rythme aussi dramatique qu’inconnu jusque-là.

S’il augmente malencontreusement encore les charges record pesant déjà sur les entreprises, cet accord va globalement dans une direction indispensable.

M. Gérard Cherpion. C’est vrai !

M. Bernard Accoyer. Pourtant, ce projet de loi est violemment contesté par une partie de la majorité au point que l’un de ses groupes engage une véritable bataille parlementaire – une véritable obstruction ! – contre le Gouvernement qu’il soutient ! C’est du jamais vu !

M. André Chassaigne. Ce n’est pas de l’obstruction, c’est de l’analyse !

M. Bernard Accoyer. En effet, une partie de la gauche refuse d’entendre le Président de la République, en particulier, quand il enjoint à sa majorité de respecter, je le cite, « tout l’accord, rien que l’accord ». Ce sage conseil, il est vrai, monsieur le ministre, que le Gouvernement lui-même ne l’a pas pris en compte en préparant le projet de loi, ce que l’on ne peut que regretter. L’accord prévoit, ainsi, la généralisation de la couverture complémentaire collective « santé » pour tous les salariés. Cet avantage, qui représentera justement une charge supplémentaire pour les entreprises, devrait bénéficier à quatre millions de salariés. Or, en imposant une clause de désignation au niveau de chaque branche professionnelle…

M. Michel Sapin, ministre. Nous n’imposons rien du tout !

M. Bernard Accoyer. …le Gouvernement dénature les termes de l’accord et j’insisterai sur ce point. Les partenaires sociaux avaient pourtant décidé que les branches professionnelles laisseraient aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix. Ce principe du libre choix, pourquoi, en l’espèce, comme dans tant d’autres domaines, le Gouvernement en a-t-il peur, monsieur le ministre ? Pourquoi faites-vous encore et toujours le choix d’un dispositif uniforme, rigide, empreint de ce collectivisme, là où les partenaires sociaux avaient privilégié la souplesse et la proximité dans le choix de la gestion de leur complémentaire santé ?

M. André Chassaigne. Ce ne sont quand même pas des bolcheviques !

M. Bernard Accoyer. Devant votre décision, l’Autorité de la concurrence a émis, la semaine dernière, un avis très précis qui recommande justement de laisser chaque entreprise choisir librement son assureur, comme le prévoit l’accord lui-même. C’est la voix du bon sens au regard des conséquences pour les entreprises, pour les salariés et pour l’emploi. Quelles sont, en effet, ces conséquences ? Le rapport qualité-prix ne sera pas meilleur. Au contraire, les clauses de désignation ne pourront que générer des rentes de situation dont le coût serait, au final, supporté par les entreprises et par les salariés. La sécurité des salariés et des entreprises ne sera pas renforcée par ces clauses de désignation, puisqu’elle est déjà garantie par les obligations techniques et financières qui pèsent sur les mutuelles et sur les assureurs. Quatre millions de salariés déjà couverts par des contrats individuels et par des mutuelles devront donc les abandonner pour rejoindre l’opérateur retenu par la branche et opter pour des contrats de santé collectifs. Pour ces salariés, en particulier dans les TPE, les accords collectifs les forceront à abandonner des garanties complémentaires santé déjà existantes d’un niveau bien souvent supérieur au « panier de garanties » imposé. La perte du choix du niveau de garanties aura un impact, de la même façon, sur les ayants droit des salariés. Il contraindra le salarié et ses ayants droit à souscrire des garanties surcomplémentaires coûteuses.

Quant aux effets du dispositif que vous proposez sur le secteur des assurances, le Gouvernement en a-t-il vraiment mesuré l’impact, en particulier en termes d’emplois ? Vous vous préparez, en effet, à renforcer l’abus de position dominante des institutions de prévoyance, qui dominent déjà le marché des contrats collectifs d’entreprise, au détriment des assureurs et des mutuelles. Les professionnels ont alerté sur le risque de destruction de dizaines de milliers d’emplois – peut-être 40 000 – dans les années à venir si cette clause était maintenue. Dans beaucoup de territoires, dans des bassins de vie de moins de 50 000 habitants, c’est toute l’économie locale qui serait touchée à travers la disparition de centaines de courtiers et d’acteurs mutualistes. Renoncez à imposer des clauses de désignation, monsieur le ministre !

M. Michel Sapin, ministre. On n’impose rien !

M. Bernard Accoyer. En respectant votre parole, vous ménagerez l’objectif d’une complémentaire santé pour tous, tout en maintenant le libre choix du salarié. Pour cela, un dispositif de prise en charge financière obligatoire pourrait être mis en place par les entreprises sous la forme d’un « chèque santé ». Ce dispositif s’apparenterait, alors, à celui de l’aide à la complémentaire santé de la sécurité sociale que les organismes de complémentaire santé individuelle gèrent déjà. Le socle minimum pourrait d’ailleurs être fixé par décret. Ce système simple pourrait être instauré rapidement, en particulier dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

Monsieur le ministre, faites le choix de la liberté, celui de la liberté de l’employeur, comme le recommande l’Autorité de la concurrence. Faites le choix d’un dispositif souple et de proximité. Respectez votre parole et faites le choix qui s’impose dans l’intérêt des salariés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Morin.

M. Hervé Morin. Madame la présidente, mesdames, messieurs, cet accord national interprofessionnel, c’est un peu l’histoire de la bouteille à moitié vide et de la bouteille à moitié pleine…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est bien un discours de centriste ! (Sourires.)

M. Hervé Morin. Une bouteille à moitié pleine, parce que ce texte comporte quelques dispositions utiles comme les mobilités internes et externes, même si elles ne concernent que quelques centaines, au mieux quelques milliers, de salariés. Une bouteille à moitié pleine, car l’instauration de la complémentaire santé est une vraie avancée sociale, même s’il existe une grande incertitude quant à son financement puisque cette mesure coûtera aux entreprises, comme l’a souligné Bernard Accoyer, et aussi à l’État 2 milliards d’euros. Or, pour l’instant, personne n’a expliqué comment seront comblés ces 2 milliards d’euros de dépenses fiscales supplémentaires.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Si, on l’a dit en commission !

M. Hervé Morin. Il convient, surtout, de saluer les accords de maintien de l’emploi qui privilégient le maintien de l’emploi dans le droit du travail français à l’externalisation du problème, donc au licenciement.

Bouteille à moitié vide, car, disons-le très clairement, il n’y a pas de révolution copernicienne dans cet accord et dans sa traduction législative. Il n’y a pas eu de simplification du droit. Le choc de simplification a été annoncé par le Président de la République et par le Premier ministre, nous l’avons entendu, mais il n’y en a pas en matière de droit du travail. Il n’y a ni flexi-sécurité ni reconnaissance qu’en dehors de l’ordre public social et du respect des normes internationales de l’OIT, l’accord de branche ou l’accord d’entreprise prime sur la loi, comme nous le souhaitons. Contrairement à ce qu’affirmait encore la présidente du MEDEF sur les ondes, un matin de la semaine dernière, l’ANI ne préservera ni ne créera des centaines de milliers d’emplois. Je le regrette, mais c’est la réalité, et il ne faut pas se bercer d’illusions.

Il aurait fallu que soient reconnues, dans ce texte, la souplesse et la simplification. Je me suis amusé à faire un petit contrôle auquel je vous invite à procéder. Je me suis rendu, pour cela, à la bibliothèque de l’Assemblée nationale. Le code du travail, version Dalloz, est passé de 1606 pages en 1981 à 3516 pages, aujourd’hui, soit en trente ans…

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. On l’a déjà dit en 2008 !

M. Hervé Morin. …mais on continue à penser que c’est par l’accumulation des règles et des procédures qu’on protège les salariés français et qu’on évite la destruction de l’emploi ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Seul M. Morin a la parole, mes chers collègues !

M. Hervé Morin. Nous considérons, pour notre part, que c’est l’inverse qui se produit : à force de rigidifier les règles, notre code du travail s’est retourné contre ceux qu’il était censé protéger en précarisant encore un peu plus les salariés français ! Je citerai un seul chiffre pour le démontrer : 80 % des déclarations uniques d’embauche, chaque année, concernent des CDD de moins de trois mois. Nous sommes le seul pays d’Europe qui réalise un score aussi affligeant !

En France, la construction du droit du travail repose, en vérité, sur une idée fausse, celle de la pérennité infinie des emplois et des postes. On refuse de voir que l’économie est un phénomène de destruction et de création. Plutôt que de raconter des histoires, auxquelles d’ailleurs plus personne ne croit, nous serions bien inspirés de faire partager aux Français deux idées simples et de les traduire dans le droit du travail. La première, c’est qu’au lieu de dépenser notre énergie et nos maigres ressources dans la préservation d’activités, donc d’emplois, qui, de toute façon, disparaîtront, nous ferions mieux de consacrer notre énergie à faire émerger de nouveaux secteurs économiques et de nouvelles spécialisations dans lesquelles la France pourra tirer son épingle du jeu et prendre, ainsi, le relais des emplois disparus. La seconde, c’est que, plutôt que de nous arc-bouter sur des procédures, nous aurions intérêt à nous engager résolument dans des politiques d’anticipation, de gestion prévisionnelle de ressources humaines et, surtout d’accompagnement des salariés frappés par des restructurations : anticiper ces restructurations, pour engager les formations, accompagner la création de nouveaux métiers,…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Article 2 !

M. Hervé Morin. …voilà ce que devrait être une gestion moderne du travail par une nation ! Il n’y a pas un seul mot sur tout cela dans le projet de loi.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Articles 2, 3, 4 et 9 ! Vous avez mal lu ou vous avez lu trop vite !

M. Hervé Morin. La sécurité, ce n’est pas retarder le licenciement, qui est, quelles que soient les conditions juridiques, inexorable, mais passer d’une logique de la protection de l’emploi à une logique de protection des personnes : rendre le droit du travail plus souple…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Articles 1, 2 et 3 !

M. Hervé Morin. …et, en contrepartie, être plus exigeant collectivement sur le reclassement et l’accompagnement personnalisé de chaque salarié.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Article 13 !

M. Hervé Morin. Compte tenu du temps qui m’est imparti, j’achèverai donc mon propos par trois remarques :

Il y a, d’abord, dans ce texte une erreur qui sera lourde de conséquences : la validation et l’homologation par l’administration des plans de sauvegarde de l’emploi. Non seulement, je ne pense pas que l’on réduise l’insécurité juridique avec cette disposition, mais, surtout, on introduit la politique là où il n’y en a pas besoin !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Eh oui !

M. Hervé Morin. On apporte de la complexité. La double compétence des juridictions administratives et judiciaires va augmenter l’insécurité juridique, car personne n’a encore compris quels seront exactement le rôle de l’administration et le contenu du contrôle juridictionnel. L’audition par la MEC d’un collaborateur du ministère du travail s’est révélée, à cet égard, particulièrement éclairante. Enfin, on ajoute de la politique là où il n’en faut surtout pas, car, dès qu’un plan social sera engagé, surtout quand il prendra une tournure médiatique, il deviendra un enjeu politique. Qui peut croire qu’une direction du travail homologuera un plan unilatéral, même si ce plan est en apparence impeccable et, enfin, qui peut croire que celui-ci ne se retrouvera pas sur le bureau du ministre ou des membres de son cabinet dès lors qu’un enjeu politique local apparaîtra ? Je sais que le MEDEF a voulu cette disposition : je peux lui dire, d’ores et déjà, qu’il va très vite s’en mordre les doigts.

Il y a donc une erreur lourde, mais aussi deux absences coupables. Première absence : la majorité socialiste a refusé nos amendements sur l’encadrement des stages étudiants qui deviennent de plus en plus des variables d’ajustement des politiques de l’emploi. Je regrette que nous n’ayons pas essayé d’avancer sur ce sujet. Autre lacune : il n’a pas été jugé utile par le Gouvernement d’engager la redéfinition des 700 branches professionnelles.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Hervé Morin. Tout le monde sait qu’elles empêchent, par leur nombre excessif, un dialogue social nourri et la construction de ce nouveau droit du travail.

En conclusion, j’ose espérer que l’examen de ce projet de loi ne sera pas une fin, mais, bel et bien, un début, car la vertu principale de cet accord national interprofessionnel est d’avoir, enfin, créé ce mouvement. Ce n’est pas la révolution copernicienne, mais au moins, avons-nous introduit cette idée simple : tout ne procède pas d’en haut et les corps intermédiaires sont capables d’être facteurs de transformations sociales et de modernisation, ce qui, pour un centriste,…

Mme la présidente. Je vous remercie !

M. Hervé Morin. …est la clé de la politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier.

M. Jean-Noël Carpentier. Madame la présidente, mesdames, messieurs, rattaché au groupe RRDP, je veux, d’emblée remercier Thierry Braillard et l’ensemble de mes collègues du groupe qui me permettent d’exprimer une opinion qui ne coïncide pas totalement avec la leur.

Je dispose donc de cinq minutes, cinq minutes pour vous dire ma confiance en cette majorité pour tenter d’endiguer le chômage, mais cinq minutes aussi pour vous dire mes interrogations sur ce texte tel qu’il nous est soumis ce soir.

Confiance, disais-je, car la majorité s’est fixé un objectif central : tenter d’améliorer le quotidien des Français dans une période particulièrement difficile. En mai dernier, il n’échappait déjà à personne que nous vivons une crise profonde. Les chemins pour en sortir passent par une porte étroite où convergent nécessairement sérieux budgétaire et justice sociale.

Cette situation économique difficile, mesdames, messieurs de l’opposition, vous ne pouvez l’ignorer : vous en êtes en grande partie responsables. Par votre politique, durant ces dix dernières années, vous avez creusé les déficits, affaibli notre industrie et augmenté le chômage. Bien sûr, la crise était là dès 2008, personne ne le nie ; mais vos mesures n’ont en rien amélioré les choses, elles les ont au contraire aggravées.

Pour la majorité, c’est vrai, la tâche est rude. Il faut maîtriser les déficits publics, sortir de la spirale d’endettement du pays et rendre notre économie plus attractive, tout en gardant notre boussole, la boussole de la gauche : celle de la justice, de la protection de nos concitoyens face à une machine économique devenue folle.

J’ai confiance dans ce dessein, et je crois dans le travail que la majorité a engagé sur plusieurs dossiers : la réforme de l’école, les contrats de génération et les contrats d’avenir.

C’est dans cet esprit que je veux vous faire part de mes interrogations quant à la réalisation de nos objectifs avec ce texte sur la sécurisation de l’emploi. Mes remarques traduisent une volonté farouche de faire réussir le changement que nos concitoyens espèrent.

Ma première remarque concerne l’ampleur de l’accord à l’origine de ce projet de loi et, si je salue l’engagement dans la démarche du dialogue social des organisations syndicales de salariés, signataires ou pas, je constate, comme nous tous, et je le regrette, que les négociations n’ont pu aboutir à un accord faisant l’unanimité.

Par ailleurs, il est particulièrement rare qu’un texte fasse l’objet d’appréciations si divergentes, les uns se félicitant d’avancées significatives, d’autres y voyant une régression du droit social. La question n’est pas celle du verre à moitié vide ou à moitié plein. Cette fois, c’est non sur la dose, mais sur le contenu qu’il y a divergence, et ce bien au-delà des rangs des protagonistes eux-mêmes. Et ce n’est pas l’attitude du MEDEF qui aura contribué à une clarification, menaçant à chaque minute de se soustraire à l’accord au cas où le législateur en modifierait certains contours.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Jean-Noël Carpentier. Un peu comme s’il entendait ne pas rompre avec les habitudes prises sous l’ancienne majorité, quand le moindre de ses appétits était satisfait.

Bien sûr, ce texte accorde de nouveaux droits aux salariés, et c’est tant mieux. Ils sont réels, positifs ; je pense notamment à la représentation des salariés dans les conseils d’administration ou aux droits rechargeables. Hélas, un trop grand nombre d’entre eux sont renvoyés à plus tard ou à d’autres instances.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Jean-Noël Carpentier. Enfin, permettez-moi, monsieur le ministre, d’appeler votre attention sur les amendements déposés par le groupe RRDP. Ils portent notamment sur la mobilité interne, le contrôle des aides publiques et l’évaluation du dispositif « maintien de l’emploi ». Nous aimerions aussi, comme l’a souligné M. Braillard, que la loi permette d’apprécier le bien-fondé des difficultés économiques d’une entreprise en vérifiant le motif économique des licenciements.

Telles sont les considérations qui m’animent à l’ouverture de nos débats. Vous le voyez, elles sont franches, mais elles sont aussi constructives. Je compte beaucoup sur notre discussion pour enrichir ce texte ; elle déterminera mon vote la semaine prochaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au dessus et au-delà de certaines contradictions politiciennes bruyantes internes à la majorité, le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi reprend le contenu de l’accord sur l’emploi conclu par une partie des partenaires sociaux le 11 janvier dernier.

Tout d’abord, je me satisfais de la méthode ayant conduit à l’élaboration de ce texte : une concertation de tous les acteurs sociaux aboutit à un accord, et le Gouvernement propose au Parlement un texte reprenant cet accord.

Ce texte comporte plusieurs avancées : une couverture santé pour tous les salariés, financée en partie par les entreprises – le texte, hélas, ne respecte pas le libre choix des assurances ; un encouragement à la formation des salariés avec la création d’un compte personnel de formation ; des droits rechargeables à l’assurance chômage afin de ne pas pénaliser des chômeurs qui retrouvent un emploi puis reviennent au chômage ; l’encadrement des temps partiels puisque le texte prévoit une durée minimale de vingt-quatre heures par semaine ; la taxation des contrats courts afin d’encourager le recours aux CDI – cela ne pénalisera que marginalement les entreprises puisque la grande majorité des contrats courts sont exclus de cette mesure ; une meilleure représentation des salariés dans les conseils d’administration, puisqu’un à deux salariés siégeront au conseil d’administration des entreprises de plus de 5 000 salariés ; des accords de maintien dans l’emploi en cas de grandes difficultés conjoncturelles, accords qui permettront aux entreprises de négocier une baisse de la durée du travail et donc des salaires ; une modification en profondeur de la législation sur les plans sociaux. Les entreprises auront dorénavant deux façons de mener à bien un plan de sauvegarde de l’emploi : soit conclure un accord collectif majoritaire, soit mettre au point un plan unilatéral homologué par l’administration. Ce sera un gain de temps et de sécurité juridique pour les entreprises, mais cela risque de faciliter les licenciements.

Ce texte constitue, sous certains aspects, une avancée au plan du fonctionnement du marché du travail, mais il n’est qu’un aménagement de la crise et risque, sur certains points, d’en aggraver les effets. On offre à la marge davantage de sécurité aux travailleurs précaires et on demande aux salariés en CDI d’accepter davantage de flexibilité pour conserver provisoirement leur emploi.

Cependant, il ne faudrait pas que cela nous fasse oublier les graves dysfonctionnements qui grèvent notre politique de l’emploi. Depuis trente ans, en effet, les gouvernements successifs usent et abusent du traitement social du chômage. Le résultat est sans appel : plus de 5,6 millions de chômeurs officiels, presque 10 millions de personnes sans emploi ou en situation de sous-emploi et des dizaines de milliards d’euros engloutis chaque année sans que la situation s’améliore.

Je profite donc de cette tribune pour demander solennellement au Gouvernement de cesser cette politique de traitement social du chômage, qui est une morphine sociale, et de mettre en place un véritable droit au travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Iborra.

Mme Monique Iborra. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le but du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est de permettre le maintien dans l’emploi et de favoriser la création d’emplois, de faire reculer la précarité et d’ouvrir des droits nouveaux aux salariés.

La méthode est celle du dialogue social, conclu par l’ANI de janvier 2013. Ce dialogue a besoin d’être rénové dans notre pays et la culture d’affrontement remplacée par la culture de négociation, qui ne nie en rien les rapports de force qui existent. Il s’agit d’assurer une meilleure sécurisation de l’emploi, afin de faire face à une crise dont l’ampleur et les conséquences sur les Français sont connues de tous et subies par le plus grand nombre.

Il nous appartient maintenant d’assurer la transposition du texte dans la loi et d’en préciser certaines dispositions.

Le projet de loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, et que nous examinons aujourd’hui, a déjà apporté des clarifications qui se sont révélées nécessaires après l’accord des signataires de l’ANI. Elles concernent trois domaines : la couverture complémentaire santé, la désignation des salariés dans les conseils d’administration, les conditions d’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi par l’administration en cas de licenciement économique.

Une réforme du marché du travail s’impose à nous. Elle aurait dû être engagée plus tôt, mais elle n’a pas été réalisée. S’il est vrai que les évolutions du taux de chômage sont étroitement liées à la croissance, en France comme ailleurs, la réforme du marché du travail est un levier indispensable, même s’il n’est pas le seul. La réforme du service public de l’emploi reste également, de mon point de vue, un chantier à ouvrir d’une manière urgente.

Les dispositifs actuels de maintien dans l’emploi se sont révélés insuffisants et n’ont offert qu’une protection très limitée pour les emplois précaires ; or, ce sont bien ces salariés qui font d’abord les frais de la rétractation de l’activité.

Le recours au temps partiel, avec son cortège de travailleurs pauvres, est devenu un réflexe pour certains employeurs, même quand une amélioration de leur activité se profile. Il fallait agir, dans l’urgence. Nous agissons, les partenaires sociaux également.

Le taux de chômage en France est resté parmi les plus élevés des principaux pays développés depuis plus de trente ans. La sécurisation des parcours sur laquelle nous travaillons, d’abord fondée sur le dialogue social, donc la négociation, devrait modifier cette spirale de l’échec préjudiciable à notre économie et, plus encore, à la cohésion sociale nécessaire pour qu’un pays avance au bénéfice de ses citoyens.

Il était donc urgent d’agir autrement que par les « mesurettes » mises en œuvre pour lutter contre le chômage par l’ancien gouvernement, qui, dans une certaine mesure, a piétiné le dialogue social. Il est vrai que le Président de l’époque avait déclaré qu’il souhaitait supprimer tous les corps intermédiaires.

En ce qui nous concerne, nous ouvrons des chantiers avec courage et détermination. D’autres chantiers nous attendent. Certains ont déjà été menés comme le crédit compétitivité emploi, malheureusement encore trop méconnu des entreprises, les emplois d’avenir, les contrats de génération, la Banque publique d’investissement.

Certains d’entre nous doivent changer de logiciel dans l’appréciation qu’ils portent sur les politiques menées. Nous assumons avec vous, monsieur le ministre, avec le Gouvernement, la volonté de réforme, car la situation actuelle nous impose de faire fi de tous les conservatismes et archaïsmes, qui sont nombreux, sur tous les bancs.

Un nouveau chantier va s’ouvrir, celui de la réforme de la formation professionnelle, qui devra profiter à tous et particulièrement aux demandeurs d’emploi. S’il est un domaine où le choc de simplification doit avoir lieu, c’est bien celui-là. Avec Jean-Patrick Gille, nous avons proposé des amendements apportant des précisions et fixant un calendrier pour la mise en œuvre du droit individuel à la formation contenu dans l’accord. Il ne saurait être question d’un recyclage pur et simple du DIF, qui n’a pas eu jusqu’à ce jour les effets escomptés.

L’État, les régions, les partenaires sociaux devront s’entendre et être plus réactifs pour que l’on sache qui fait quoi en matière de formation professionnelle. Nous espérons que la loi sur la décentralisation apportera un certain nombre de réponses et permettra le nécessaire accroissement de l’opérationnalité dans l’intérêt de tous.

Ce n’est pas, monsieur le ministre, parce que nous sommes terrorisés, comme le suggère Dominique Dord,…

M. Michel Sapin, ministre. C’est un terroriste ! (Sourires.)

Mme Monique Iborra. …que nous soutenons et saluons votre action courageuse et déterminée, mais parce que celle-ci est conforme à nos convictions de progrès en matière économique et sociale en conciliant l’efficacité économique et le progrès social. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un mot sur la forme, avant d’en venir au fond.

Comme Christophe Colomb n’a pas découvert l’Amérique, Michel Sapin et le Gouvernement n’ont pas découvert le dialogue social. Celui-ci existait avant vous, mesdames, messieurs de la majorité, et il existera, je l’espère en tout cas, après vous.

Ce texte est la quatorzième application de la loi Larcher, dont douze sont intervenues sous le précédent gouvernement. Je rappellerai notamment l’accord intervenu en 2008 sur le marché de l’emploi et le marché du travail – qui a d’ailleurs été signé par davantage d’organisations que l’accord que nous examinons, et notamment par FO –, l’accord sur la représentativité, que l’on a appelé position commune, qui a, lui aussi, réellement fait évoluer le dialogue social, comme en témoignent le résultat récent des différentes élections et la modernisation de la représentativité.

Sur le fond, cela va, comme on le dit d’habitude, dans le bon sens, parce que cela « dérigidifie » la société française et le code du travail.

Tout d’abord, en effet, cet accord est le fruit d’une dynamique initiée par le précédent gouvernement. C’est un peu l’héritage, son bon côté ; j’espère que vous l’interprétez ainsi.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Merci de reconnaître qu’il y a aussi un mauvais côté !

M. Éric Woerth. Vous permettez, après que nous avons engagé le processus, d’adapter le droit du travail, les rapports entre l’employeur et les employés, au cycle économique. Ce sont les mesures relatives à la compétitivité emploi, au chômage partiel, aux intérimaires en CDI, aux droits rechargeables.

Par ailleurs, l’accord permet, ce qui était demandé depuis longtemps, une sécurisation des licenciements économiques, soit par accord d’entreprise soit par l’accord de l’administration. Nous verrons ce que cela donne en pratique, comment l’administration réagira et comment seront qualifiés les licenciements.

En revanche, d’autres éléments posent question ; mes collègues de l’UMP les ont évoqués. Tout d’abord, sur le temps partiel, à rebours de la logique qui prévaut ailleurs dans le texte, vous rigidifiez les choses, puisque vous fixez un seuil d’au moins vingt-quatre heures de travail. Ce seuil est probablement trop élevé et inadapté pour certains secteurs d’activité, notamment le petit commerce. On peut toujours demander au salarié d’indiquer qu’il souhaite rester en dessous de ces vingt-quatre heures, mais il faut bien admettre que les choses seront alors assez fragiles.

En ce qui concerne la taxation des CDD, je comprends bien qu’il faut, dans un accord, faire plaisir à tout le monde. Cependant, cette taxation signifie l’augmentation du coût du travail. Certes, l’intention est d’inciter à la conclusion de CDI, d’éviter l’abus de CDD, et nous avons tous envie que la société française embauche les salariés en CDI, mais ce n’est pas toujours possible, et l’emploi en CDD est tout de même préférable au chômage. Taxer les contrats à durée déterminée ne va donc pas dans le bon sens ; cela représente même un risque.

En ce qui concerne la fameuse clause de désignation, nous sommes favorables à la liberté de choix en matière de complémentaire santé, ainsi, d’ailleurs, que l’Autorité de la concurrence. Dans ce domaine également, il convient de faire preuve de souplesse, de montrer sa confiance envers les différents partenaires, en particulier vis-à-vis du dialogue dans l’entreprise.

Enfin, un sujet peu évoqué : le coût de cet accord. La complémentaire santé est une bonne chose, bien sûr, mais elle occasionne une charge pour les entreprises d’environ 2 milliards d’euros. Les entreprises l’ont accepté, dont acte. Elle représente aussi un coût pour les finances publiques, que Gilles Carrez a récemment évalué entre 1,5 et 2,1 milliards d’euros, en diminution des bases taxables des entreprises. Je ne sais pas qui paiera ni de quelle manière l’État compensera ce coût extrêmement important. Comment comptez-vous revenir à l’équilibre des finances publiques si, chaque jour qui passe, vous rajoutez des dépenses nouvelles ?

Le débat déterminera la manière dont nous voterons. Si l’accord est transposé, s’il n’est pas dénaturé par le débat dans l’hémicycle, nous voterons alors favorablement, ou nous nous abstiendrons, en tout cas nous montrerons que nous sommes, comme on dit, une opposition responsable. Si cet accord est dénaturé, alors nous rejetterons le texte, parce que le dialogue social n’aura pas été respecté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Sebaoun.

M. Gérard Sebaoun. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, aussi important soit-il, ne méritait ni la détestation globale que nous avons pu lire ou entendre aujourd’hui ni la curieuse adoration littérale dont il a fait l’objet à droite, notamment pour son article 1er.

Il s’agit d’un compromis, qui traduit la volonté assumée d’avancer sur le chemin de la démocratie sociale. Ce projet de loi donne des droits nouveaux aux salariés, sur lesquels je ne reviendrai pas. Il comporte également des points forts de débat, dont celui sur la mobilité interne, à l’article 10, qui occupera l’essentiel de mon intervention.

Ce projet de loi ne peut pas être comparé à la « flex-sécurité » à la Scandinave. Nous n’avons ni la même histoire, ni les mêmes taux de syndicalisation, ni les mêmes niveaux de qualification et de formation, plus élevés chez nos voisins du Nord, ce qui entraîne, chez eux, une grande sécurisation des mobilités, un sentiment de sécurité, alors que ce n’est pas toujours le cas chez nous. En disant cela, je ne méconnais pas que le chômage augmente régulièrement tant au Danemark qu’en Suède ou en Finlande.

Avant d’aller plus avant sur la mobilité interne, je veux remercier notre rapporteur pour la qualité de son travail, sa disponibilité et son expertise, appréciées de tous ceux qui ont suivi les travaux dont a fait l’objet ce texte. Je veux également remercier la commission, en la personne de sa présidente, et dire ma satisfaction d’avoir participé à l’adoption de plusieurs amendements d’importance.

En France, aujourd’hui, le salarié qui signe un contrat comprenant une clause de mobilité est tenu par celle-ci, ou bien, autre cas de figure, il est lié par une convention collective s’il en a été dûment informé. La clause de mobilité doit préciser la zone géographique sur laquelle elle s’applique, selon une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation.

La notion de mobilité dans l’entreprise est souvent perçue, quelques fois à juste titre, comme un facteur déstabilisant. L’examen très en amont, à froid, de l’évolution des postes et des carrières ou de l’ajustement des organisations est largement préférable à l’isolement du salarié ou à des bribes d’information invérifiables qui suscitent souvent l’inquiétude généralisée dans l’entreprise. C’est pourquoi j’approuve l’esprit de l’article 10, qui prévoit que toutes les entreprises au-delà de cinquante salariés inscriront à l’ordre du jour de leurs négociations triennales les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Nous présenterons d’ailleurs un amendement pour rendre cette négociation facultative, afin de ne pas contraindre celles qui n’envisageraient pas de mobilité interne.

De même, trois amendements portés par notre groupe et adoptés en commission sont à souligner. Tout d’abord, nous sommes revenus au texte de l’ANI en réintroduisant la notion de mesures d’organisation courantes et l’absence de projet de réduction d’effectifs, par le biais de deux amendements renforçant la protection des salariés. Nous avons également précisé le respect de la vie personnelle et familiale des salariés, auquel les résultats d’un éventuel accord collectif ne peuvent déroger. Nous avons par ailleurs tenu à rendre obligatoire l’information de chaque salarié en cas d’accord collectif de mobilité, au-delà du simple affichage.

Dernier point important de cet article 10, qui ouvrira un large débat : celui de savoir si la directive européenne 98/59 sur les règles du licenciement collectif s’applique ou non. Je fais confiance à cet égard à l’interprétation que nous ont donnée M. le ministre et M. le rapporteur. Je constate que nous ne sommes pas là dans le cadre d’un plan social et que, s’il y avait le moindre soupçon quant à une gestion détournée de la clause de mobilité interne visant à diminuer les effectifs, les représentants élus seraient, je n’en doute pas, les premiers à s’y opposer.

Je termine en disant que je soutiendrai le point de vue des syndicats de salariés signataires que nous avons auditionnés et qui ont souhaité ne pas fixer de limitations kilométriques ou de temps de déplacement maximum. La négociation doit épouser au plus près la réalité locale. En effet, la diversité des situations, en province ou en région parisienne, est telle qu’inscrire des bornes indépassables n’épuiserait pas le sujet, au contraire, et, je le rappelle, la jurisprudence est déjà très explicite.

Mes chers collègues, le Gouvernement et la commission ont fait progresser le texte, et le débat parlementaire qui s’ouvre est le bienvenu pour l’enrichir encore par voie d’amendement. Au-delà du message que certains adressent, à l’extérieur de l’hémicycle, nous ne sommes pas, nous, dans une course à l’échalote. Ce projet est important, il permet de donner de nouveaux droits aux salariés, il établit des règles utiles à la préservation de leur emploi. C’est pourquoi, à titre personnel, je le voterai. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Bertrand.

M. Xavier Bertrand. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons là le type même de débat que les députés, sur tous les bancs, n’aiment pas aborder.

M. Christian Paul. Ah bon ?

M. Xavier Bertrand. Oui, parce qu’il paraît que le droit d’amendement vous est dénié.

Plusieurs députés du groupe SRC. Pas du tout !

M. Xavier Bertrand. J’ai lu ce matin les propos du rapporteur, indiquant que, s’il s’agissait de transposer un accord en y apposant simplement le tampon de l’Assemblée nationale, cela n’irait pas. Si vous éprouvez ce sentiment, que vous osiez le dire ou non, avec le prochain projet du Gouvernement, la constitutionnalisation du dialogue social, il faudra que vous vous y habituiez.

M. Christian Paul. Vous ne l’avez pas lu !

M. Xavier Bertrand. Le droit d’amendement auquel vous êtes attachés sera réduit à la portion congrue.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. « La négociation sociale inspire la loi. » Le mot « inspirer » a un sens !

M. Xavier Bertrand. J’ai connu dans les fonctions que vous occupez, monsieur le ministre, cette situation où les parlementaires vous demandent : « À quoi servons-nous ? » Je pense que la démocratie sociale a sa force, son histoire et sa légitimité, mais la démocratie politique a sa force elle aussi, et je ne les situe pas, l’une et l’autre, sur le même plan.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous avons un point commun !

M. Xavier Bertrand. Les partenaires sociaux, pour la plupart d’entre eux, sont également convaincus de cette vérité. Je ne risque certainement pas d’opposer l’une à l’autre,…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous non plus !

M. Xavier Bertrand. …mais il faut savoir où se situe la primauté. Dès lors que vous décidez une constitutionnalisation, il est évident que la primauté du politique en prendra un coup.

Ensuite, ce n’est pas aujourd’hui que nous assistons à l’avènement du dialogue social,…

M. Christian Paul. C’est simplement sa réhabilitation !

Mme Monique Iborra. Sa modernisation !

M. Xavier Bertrand. …il a existé bien avant vous, même bien avant moi, et il existera bien après nous. Mais une chose est certaine : l’avenir du dialogue social se situe dans les entreprises.

Cet accord national interprofessionnel comporte indéniablement des avancées. Certaines avaient été esquissées auparavant ; quelques partenaires sociaux retenaient leurs stylos, attendant le résultat des élections. Or on ne pourra même pas reprocher aux partenaires sociaux de n’être pas allés plus loin, car ils ne le pouvaient tout simplement pas. Au niveau national, le jeu de rôle trouve en effet toute sa place, et ceux qui pensent qu’il faudrait en réalité aller plus loin ne sont pas en mesure d’imposer leur point de vue à leurs adhérents, que ce soit dans les organisations patronales ou dans les organisations syndicales. C’est dans les entreprises que le dialogue social, porté par la loi d’août 2008, pourra connaître son véritable développement.

Je l’ai dit, ce texte comporte des avancées. Celles-ci sont-elles de nature à enrayer la montée du chômage ? Hélas, non. Sont-elles de nature à répondre aux défis qui se posent à notre pays et à notre économie ? Hélas, non. J’ai indiqué que, si cet accord était transposé fidèlement dans le projet de loi du Gouvernement, je le voterais. Or il y a des reculs par rapport à cet accord.

Mme Monique Iborra. Quels reculs ?

M. Xavier Bertrand. Vous pourrez rétorquer, monsieur le ministre, que certaines zones d’ombre devaient être éclaircies. La réalité, c’est que vous avez réécrit l’accord à votre façon et que je ne sais pas comment ce texte sortira du Parlement. J’attendrai donc de connaître le texte final pour décider s’il convient de le voter ou non.

Si encore, d’autres rendez-vous étaient fixés, après celui-ci, par les partenaires sociaux, le Gouvernement ! Parce que la deuxième mouture de la conférence sociale n’aura rien à voir avec la première. En effet, vous avez entre-temps profondément déçu les ouvriers de ce pays et nombre d’organisations syndicales. Nous verrons, d’ailleurs, si vous suivez exactement les recommandations des partenaires sociaux sur le sujet des retraites, qui n’est pas comme celui des retraites complémentaires, ne ressortissant qu’à leur compétence, ouvert à la négociation.

De même, si ce texte devait apporter des solutions au problème du chômage, il n’aurait pas oublié, comme nous pouvons le constater, les TPE et PME.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Exact !

M. Xavier Bertrand. C’est un accord davantage centré sur les très grands groupes et non sur les 99,7 % des entreprises qui sont des TPE et PME.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Eh oui !

M. Xavier Bertrand. Sur tous ces sujets, les enjeux du moment, non seulement la crise mais aussi les mutations que traversent les économies de notre pays et de l’Europe, nécessitent d’autres textes que cet accord national interprofessionnel.

Vous avez beau dire, monsieur le ministre, comme ce matin dans Les Échos, qu’il ne s’agit pas pour vous de faire preuve d’autorité, cette mince avancée, représentative, au fond, de la méthode Hollande, qui présente des bouts de réformes comme des réformes stratégiques, n’empêchera pas que vous serez jugés au regard de la seule vraie priorité des Français : l’emploi. Même si, sur ces sujets, personne ne peut donner de leçons à qui que ce soit,…

M. Jean-Marc Germain, rapporteure. C’est clair : deux millions de chômeurs en plus !

M. Xavier Bertrand. …il est évident que vous n’avez pas le droit de laisser augmenter le chômage et la désespérance, comme vous vous apprêtez à le faire. Vous n’avez pas le droit de nous dire que ce texte est de nature à enrayer l’augmentation du chômage. Vous n’avez plus la confiance des Français, vous n’avez pas la nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Romagnan.

Mme Barbara Romagnan. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, beaucoup d’intervenants ont jugé de l’opportunité de ce texte en fonction de son équilibre ; or je ne crois pas que l’accord ait à être équilibré. Le droit du travail a vocation à être déséquilibré, de manière à rééquilibrer ou à compenser le déséquilibre spontané qui existe dans la relation salariale, dont le principe est la subordination du salarié, qui n’a que sa force de travail à proposer, à celui qui a besoin de gens pour travailler, mais qui dispose presque toujours de la possibilité de remplacer un salarié par un autre.

M. Marc Dolez et M. Jérôme Guedj. Très juste !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Belle image du patron !

Mme Barbara Romagnan. Le déséquilibre est évidemment d’autant plus grand que le taux de chômage est plus élevé. Pour les femmes, pas toutes et pas seulement certes, cette situation est encore amplifiée. Or la question de l’égalité entre les hommes et les femmes n’a pas été un élément structurant des négociations.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Oui !

Mme Barbara Romagnan. Je n’en ferai toutefois pas le reproche ici, d’autant que le Gouvernement a choisi de présenter à une date prochaine une loi sur l’égalité comprenant un volet relatif à l’égalité professionnelle.

Cependant, nous devons avoir en permanence à l’esprit cette revendication, quand nous parlons de travail, de santé, d’école ou de transports et pas seulement de temps en temps, dans le cadre d’une loi réservée aux femmes, même si elle est nécessaire.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Très bien !

Mme Barbara Romagnan. Cette question n’est pas à part, comme en suspension, mais elle irrigue toute la société et la mine parfois. La quasi-totalité des politiques ont un impact différent sur les hommes et sur les femmes, pour peu que l’on prenne le temps d’examiner la situation.

À cet égard, on peut observer une avancée notable, puisque l’article 8 modifie le code du travail, en imposant une durée minimale de temps de travail pour les emplois à temps partiel à hauteur de vingt-quatre heures, soit plus que dix-huit heures ou vingt heures. Les entreprises en effet ne pourront pas y déroger de façon abusive, sans se voir accuser, en principe, de fraude à la loi. Or cette avancée relative aux emplois à temps partiel touche plus particulièrement les femmes puisqu’elles constituent 80 % des travailleurs à temps partiel, celui-ci étant subi dans 30 % des cas.

Qu’il soit subi trois fois sur dix ne signifie pas qu’il est choisi dans 70 % des cas. « Choisir » le temps partiel, parce qu’il n’y a pas de place en crèche ou parce que l’on doit prendre soin d’un parent âgé – dans la quasi-totalité des cas, ce sont les femmes qui ont ces charges –, ce n’est pas vraiment « choisir », même s’il existe aussi une part de plaisir à prendre soin des siens.

« Choisir » le temps partiel parce qu’on est seule à assumer les charges familiales – 85 % des chefs de familles monoparentales sont des femmes –, ce n’est pas vraiment « choisir » non plus. Il s’agit donc bien d’une avancée importante, mais il faut veiller à ce qu’elle n’ait pas trop de contreparties et à ce qu’elle ne soit pas trop facilement contournée.

En effet, les salariés à temps partiel, et plus généralement les femmes, sont déjà dans des situations très précaires qui ont d’importantes conséquences sociales et sanitaires.

Au stade de la définition des règles du contrat, il me semble par exemple important de veiller à protéger la salariée, ou le salarié, d’une dérogation volontaire aux vingt-quatre heures, qui n’aurait de volontaire que le nom et qui serait trop fortement encouragée par l’employeur.

Au stade de l’exécution du contrat ensuite, il faudrait garantir aux salariés à temps partiel une majoration juste de leurs heures complémentaires lorsqu’elles correspondent à un surcroît de travail pour l’entreprise. Y compris dans le cadre d’un avenant modifiant temporairement le temps de travail, ces heures complémentaires devraient être majorées à 10 % lorsqu’elles sont effectuées dans la limite d’un dixième en sus de la durée initiale du temps de travail et à 25 % au-delà. Il semble en effet injuste que, pour faire face à un surcroît de travail, notamment pendant les fêtes de fin d’année, un salarié à temps plein qui travaillerait quarante-cinq heures, soit dix heures au-delà de son contrat de trente-cinq heures, bénéficie d’une majoration à hauteur de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires et d’une majoration à hauteur de 50 % pour les deux heures suivantes alors qu’un salarié à temps partiel pourrait, par le biais d’un avenant, exécuter dix heures en sus de son contrat initial sans qu’elles soient majorées.

Enfin, au stade des licenciements ou des accords de maintien dans l’emploi, lorsque l’entreprise rencontre de grosses difficultés, il est important que les femmes ne soient pas désavantagées, c’est-à-dire prioritairement visées par une incitation – prévue à l’article 15 du projet de loi – à privilégier le critère des compétences ; non que l’on veuille privilégier indûment des femmes incompétentes, mais ce critère se réfère de fait très souvent à la disponibilité et il est donc défavorable aux femmes.

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme Barbara Romagnan. Quand elles ont des enfants en effet, qu’elles ont pourtant faits avec des hommes, ce sont plus souvent elles qui rentrent au domicile lorsqu’ils sont malades ou simplement pour les coucher. Quand elles n’en ont pas, les patrons anticipent le fait qu’elles en auront et ils imaginent rarement qu’elles puissent choisir de privilégier leur carrière ou que leurs compagnons puissent en prendre soin. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. André Chassaigne. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le ministre, depuis presque un an, le Gouvernement ne cesse de claironner, tambour battant, que l’égalité professionnelle est l’une de ses priorités,…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. « Claironner » ? N’exagérons rien !

Mme Marie-Jo Zimmermann. …un véritable cheval de bataille, qu’il affirme à coups de slogans et de discours grandiloquents.

Quand François Hollande déclamait, lors de la conférence sociale au mois de juillet 2012, ses grandes exigences sur ce sujet, quand vous-même, monsieur le ministre, reconnaissiez, au mois de septembre dernier dans votre document d’orientation…

M. Michel Sapin, ministre. Très bonne lecture !

Mme Marie-Jo Zimmermann. …sur la négociation en cause, l’impérieuse nécessité de rompre avec une précarité qui frappe particulièrement les femmes, quand vous déclariez également qu’« une attention particulière devra[it] être portée par les négociateurs à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, et aux effets attendus par les mesures de l’accord en matière d’égalité », mais quand on constate que cet accord écarte totalement la question de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, on peut légitimement douter de votre volonté en la matière.

Les parties présentes à la négociation ont posé la question des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Toutefois, aucune proposition significative n’a été faite sur le sujet et le problème de l’égalité professionnelle a été renvoyé à la négociation sur la qualité de vie au travail, elle-même repoussée au mois de juin. Tout accord devrait intégrer aujourd’hui la problématique de l’égalité entre les hommes et les femmes.

Certes, vous avez déclaré que l’instauration d’un seuil de travail hebdomadaire à vingt-quatre heures bénéficiera avant tout aux femmes, mais elle est assortie d’une telle multitude de dérogations et d’exceptions, formalisées de surcroît par simple demande écrite et motivée du salarié, qu’elle ne sera demain que peau de chagrin.

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Ne pas avoir intégré la dimension de genre dans la négociation est aberrant et consternant, s’agissant en particulier du temps partiel, qui est l’une des causes majeures des inégalités professionnelles.

En effet, 80 % du temps partiel concernent les femmes. C’est un véritable fléau social, or pas une ligne de l’accord du 11 janvier, ni même de son préambule, n’en fait état. Il s’agit pourtant d’une véritable discrimination envers les femmes. Pour la plupart d’entre elles, le temps partiel n’est pas un choix. On ne fait pas le choix de s’installer dans un sous-salariat précaire avec des revenus réduits, de se priver de certains acquis sociaux et d’une retraite décente.

Dès 2004, la délégation aux droits des femmes de notre assemblée, que je présidais alors, dénonçait les effets particulièrement négatifs du temps partiel sur les retraites des femmes et formulait des propositions. Je vous rappelle que les femmes ne sont que quatre sur dix à liquider leur retraite en ayant la durée de cotisation requise pour bénéficier du taux plein alors que c’est le cas pour huit hommes sur dix. Le temps partiel touche essentiellement les femmes les moins qualifiées et âgées de plus de cinquante ans.

Vous le savez, cette forme d’emploi est devenue un mode de gestion de la main-d’œuvre qui favorise la flexibilité dans un agenda décalé et qui permet des gains de productivité grâce à une forte concentration d’activité sur de courtes périodes ainsi qu’une intensité de travail qui ne pourrait pas être fournie pendant un temps plein pour des raisons de pénibilité.

De plus, les salaires horaires des travailleurs à temps partiel sont plus bas que ceux des travailleurs à temps plein. Le travail à temps partiel n’a pas non plus la même valeur sociale, il ne bénéficie pas de la même reconnaissance et est producteur de déqualification, à cause notamment d’un moindre accès à la formation continue, en particulier chez les employés et les ouvriers.

Les secteurs concernés sont très féminisés et constituent les maillons faibles de la négociation syndicale et de la défense des intérêts des salariés. Traiter la question du temps partiel des femmes est une véritable urgence sociale. Monsieur le ministre, il est bel et bien urgent de permettre à plus de 3 millions de femmes de sortir de l’enfermement dans la précarité et la pauvreté.

Depuis plusieurs années, beaucoup de responsables politiques et de syndicats ont lancé un cri d’alarme sur la dégradation de la situation économique de certaines catégories de femmes et sur le rôle néfaste du travail à temps partiel. Ce cri d’alarme, monsieur le ministre, vous ne l’avez pas entendu et, là où des réponses concrètes devraient être mises en œuvre sans délai, vous n’apportez aucune réponse, ou seulement des réponses insatisfaisantes.

M. Michel Sapin, ministre. Comment pouvez-vous dire cela ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le ministre, où se cache le caractère historique d’un accord qui laisse sur le bord du chemin 3 millions de femmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et GDR.)

M. André Chassaigne. C’était excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Patrick Gille.

M. Jean-Patrick Gille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, faisant suite à l’ANI du 11 janvier 2013, vise à améliorer le fonctionnement du marché du travail en offrant plus de place à la négociation et à la participation des salariés, mais aussi en restreignant la précarité et en sécurisant les mobilités.

L’enjeu est de construire des mécanismes d’anticipation, d’adaptation et de formation tout au long de la vie pour mieux gérer les transitions professionnelles et les mutations des territoires ; mais il s’agit aussi d’encadrer le recours au temps partiel et d’enrayer l’explosion des CDD de courte durée.

Ce projet de loi, dont nous commençons l’examen, est une bonne nouvelle pour la France, pour ses salariés et pour ses entreprises.

Tout d’abord, il est le fruit d’un accord signé par la majorité des partenaires sociaux et un tel accord, d’une portée aussi large, ne s’était pas vu depuis 1969.

Surtout, il accorde aux salariés de nouveaux droits, qui constituent les premières étapes de la sécurisation des parcours et des transitions professionnels, droits qui étaient attendus depuis longtemps : droits rechargeables à l’assurance chômage ; principe de cotisations d’assurance chômage modulables en fonction de la qualité et de la durée du contrat – la majoration est minimale pour le moment, mais le principe de la modulation est bel et bien inscrit dans la loi ; généralisation et portabilité de la complémentaire santé ; enfin, création d’un compte personnel formation universel – soit potentiellement destiné à 28 millions de personnes – et transférable. Avec ma collègue, Monique Iborra, nous proposerons de préciser les contours de ce compte, conformément à ce qui est indiqué dans l’accord, et de faire en sorte qu’il soit l’outil ou le réceptacle du droit à la formation initiale différée, comme le souhaitent Francis Vercamer et Christophe Cavard. Ce droit d’ailleurs a été inscrit, il y a de cela peu de temps, dans l’article 8 de la loi relative à la refondation de l’école de la République.

Ce texte est également une bonne nouvelle en ce qu’il rend concrète une plus grande participation des salariés au fonctionnement de l’entreprise et à la définition de ses stratégies, grâce à une meilleure information et à une meilleure consultation des IRP et des CE, avec la mise en place d’une base de données unique qui retracera – c’était un engagement – l’utilisation du CICE.

Ce texte prévoit aussi la participation des salariés aux organes de direction des entreprises de plus de 5 000 salariés, la négociation sur la formation dans le cadre des accords sur la GPEC, qui était attendue depuis des années, et, enfin, la possibilité, qui constitue le cœur de notre discussion, de signer des accords de mobilité interne et de maintien dans l’emploi, en cas de coup dur temporaire dans l’entreprise. Contrairement à ce que disait Dominique Dord, ces accords ne sont pas les mêmes que les accords de compétitivité qui avaient été souhaités par la majorité précédente.

M. Michel Sapin, ministre. Cela n’a rien à voir, en effet !

M. Jean-Patrick Gille. Ces accords sont encadrés par la loi et ne dérogent pas à l’ordre public social, ni au code du travail, à une réserve près, relevée par Denys Robiliard et sur laquelle nous devrons revenir. Ces possibilités d’accords, de même que la modernisation et la simplification de l’activité partielle permettront d’offrir autant d’alternatives au licenciement : tel est bien le sujet qui nous préoccupe.

Il s’agit de sortir de la culture du licenciement pour, en cas de difficulté, favoriser d’abord la négociation dans l’entreprise. C’est pourquoi le projet de loi garantit, et ce n’est pas rien, qu’il ne peut plus y avoir de licenciement collectif sans accord majoritaire des syndicats de l’entreprise ou sans homologation par l’administration. Ce nouvel équilibre n’est pas un échange entre flexibilité, d’un côté, et sécurité, de l’autre, mais un équilibre où les salariés et l’entreprise gagnent en sécurité sans perdre en capacité d’adaptation et de mobilité. L’enjeu central est de mieux anticiper ensemble pour avoir le pouvoir de s’adapter plus tôt dans un cadre négocié. Cet enjeu s’inscrit en effet dans le cadre d’un « dialogue social à la française », pour reprendre l’expression du ministre, conformément à notre conviction qu’améliorer le dialogue social dans le pays et dans l’entreprise contribue aussi à l’efficacité et à la compétitivité économiques.

C’est pourquoi nous devons mener une transposition honnête et intelligente de l’accord, c’est-à-dire une transcription, non pas littérale – certains points méritent d’être précisés, améliorés, transcrits dans un langage juridique –, mais loyale et qui permette de poursuivre aussitôt les négociations nécessaires pour mettre en œuvre les nouveaux droits que j’ai évoqués.

Mes chers collègues, le cap a été clairement fixé par le Président de la République : inverser la courbe du chômage d’ici à la fin d’année. La méthode du Gouvernement est claire : le renouveau du dialogue social. Les partenaires sociaux jouent le jeu de la négociation collective. C’est à nous maintenant, parlementaires, d’être à la hauteur des enjeux, d’écrire une nouvelle page de notre droit social en inscrivant dans la loi, en les améliorant ou en les précisant au besoin, des droits nouveaux, individuels et collectifs, constitutifs de la sécurisation des parcours professionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Door.

M. Michel Sapin, ministre. Soyez comme d’habitude : modéré ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Door. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, au moment où nous débattons de la sécurisation de l’emploi, notre voisin allemand, par la voix de l’ex-chancelier Schröder, plaide en faveur de la flexibilité interne afin d’éviter les licenciements économiques. Si nous voulons, nous aussi, diminuer le chômage, nous devons jouer la même partition. Or, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier n’est qu’une demi-mesure parce qu’il pénalise financièrement les CDD et réduit le recours au temps partiel. Surtout, je note qu’il rencontre l’hostilité de quelques syndicats puissants. Monsieur le ministre, quel contraste entre nos deux pays !

Après Bernard Accoyer, je vais à mon tour évoquer l’article 1er.

Lors de votre audition, vos propos étaient édifiants : vous n’hésitiez pas à plaider pour un bouleversement économique du secteur, quitte à oublier le fond du sujet qu’est la santé. Étonnant, désespérant même, car vous allez provoquer peut-être l’extinction du mutualisme…

M. Michel Sapin, ministre. Vous deviez être modéré !

M. Jean-Pierre Door. …ou du moins son affaiblissement historique. Cet article pourrait engendrer une catastrophe alors qu’il devrait être un progrès pour beaucoup.

Le débat porte, certes, sur la généralisation de la couverture complémentaire collective santé au profit de quelque quatre millions de salariés qui en sont dépourvus, mais la clause de désignation n’est plus un moyen juridique univoque recevable parce que les donneurs d’ordre, les partenaires sociaux négociateurs dans les branches, sont à la fois juges et parties. Sur le fond, il y aurait consensus et progrès, mais, sur la forme, les modalités juridiques, notamment la validation législative du principe d’une clause de désignation, opposent les opérateurs les uns aux autres. Je l’ai constaté lors des auditions. Je rappelle, car c’est le nœud du problème, que l’accord du 11 janvier supprimait la clause de désignation et que votre texte l’a réintroduit au prétexte qu’elle est la condition d’une mutualisation efficace. Le président de la Mutualité française lui-même « regrette le fait que la traduction législative ne soit pas le reflet exact du texte signé par les partenaires sociaux ». C’est un signe !

Le contrat collectif est, certes, un progrès, mais ce droit ne saurait passer uniquement par la méthode du monopole lors de sa création. Or, bien entendu, il y aura des monopoles d’opérateurs, et c’est préjudiciable sur le plan économique. Le principe du libre choix est battu en brèche, et les accords effectués au plan national couperont les ailes des acteurs locaux de l’assurance santé, la Fédération française des sociétés d’assurance nous l’a dit. Elle compte d’ailleurs sur nos débats pour retrouver l’équilibre qui avait fait consensus auprès des partenaires signataires et qui est très important pour les salariés comme pour les entreprises. Vous n’ignorez pas, monsieur le ministre, que beaucoup des 800 acteurs mutualistes et des 7 000 courtiers qui composent aujourd’hui le marché y laisseront des plumes, avec probablement 1 500 disparitions d’entreprises et peut-être 20 000 emplois directs et indirects en moins.

Si le débat est moins celui de la généralisation de la couverture complémentaire collective santé que celui du transfert des adhésions individuelles d’entreprises, voire des branches, la négociation à venir n’en est pas moins un énorme chantier qui mobilisera près de 160 branches et coûtera forcément aux entreprises 2 milliards à 2,1 milliards d’euros, et autant à l’État. Au final, on éprouve un sentiment d’improvisation générale, surtout du côté des partenaires sociaux qui ne profitent pas de l’impact économique, social et fiscal de ce chantier, mais aussi du côté de l’État.

L’Autorité de la concurrence, dans son avis du 29 mars, préconise de laisser à l’entreprise le libre choix de son assurance, comme le prévoyait l’accord national du 11 janvier.

M. Michel Sapin, ministre. Non, c’est inexact !

M. Jean-Pierre Door. Elle note une certaine proximité entre ceux qui négocient ces accords de branche et ceux qui gèrent les instituts de prévoyance, dont nous savons qu’ils ont remporté la quasi-totalité des accords déjà conclus.

Monsieur le ministre, vous-même avez déclaré que les clauses de désignation ne seront jamais obligatoires, qu’un accord de branche déterminera le régime applicable : les uns auraient la liberté de choisir l’assureur, d’autres l’organisme. La liberté de choix est nécessaire, et elle seule, pour bien faire vivre la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés. Or ce projet de loi ne respecte plus l’esprit de l’accord du 11 janvier en introduisant dans le dispositif la possibilité d’une clause de désignation d’un organisme. « Tout l’accord, rien que l’accord », avez-vous dit et répété, même à la télévision. Il faut donc revenir au texte initial et nous vous proposerons des amendements en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Sapin, ministre. Relisez l’accord et demandez à l’UPA ce qu’elle en pense !

M. Jean-Pierre Door. Je ne suis pas d’accord avec l’UPA ; elle est à la fois juge et partie !

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la discussion au Parlement du projet de loi sur la sécurisation des parcours professionnels s’annonce comme un moment important dans l’histoire des rapports sociaux et probablement comme une épreuve de vérité.

Le texte, chacun l’a rappelé, va prolonger l’accord national interprofessionnel signé par les organisations patronales et une partie des syndicats de salariés. Notre groupe a bien sûr salué cet accord. Son caractère majoritaire n’est pas un objet de discussion. Mais nous avons aussi prêté une attention particulière, avec le rapporteur, aux organisations non-signataires afin d’éviter la mise sur le banc de touche de deux grandes organisations représentatives des salariés français.

Nos positions doivent être inspirées par deux enjeux vitaux pour le pays.

Le premier, c’est le réveil de la démocratie sociale, à l’encontre de la politique sociale-spectacle des années Sarkozy.

M. Jean-Frédéric Poisson. Allez, c’est reparti !

M. Christian Paul. Eh oui, monsieur Poisson. Poussées à la caricature dans des sommets sociaux sans lendemain, les relations entre les partenaires sociaux et la puissance publique devaient être profondément redéfinies et renouvelées.

Quand je lis que M. Guaino ne votera pas ce texte, je trouve que c’est plutôt rassurant. M. Bertrand et M. Woerth rejoignent cette position, non pas parce qu’ils éprouveraient une forme de désarroi ou une perte de repères, mais parce qu’il s’agit pour eux d’une ligne idéologique très constante, d’un choix néolibéral assumé, alors que nous, nous voulons tourner le dos à une méthode qui piétinait les droits des salariés et qui rendait improbable tout accord durable entre des forces sociales qui, à un moment donné, peuvent pourtant trouver des terrains de compromis. Un sondage récent le confirmait : 85 % des Français considèrent que le dialogue social fonctionne mal. La discussion en cours constitue donc un test en grandeur réelle des modalités de la démocratie sociale.

Répondant en cela à quelques-unes des craintes qui ont été exprimées, je rappelle que la démocratie sociale, dans l’histoire de notre pays, est tripartite : la puissance publique y prend sa place avant, après et même pendant la négociation. Le Parlement, quant à lui, doit remplir sa mission, toute sa mission. L’autonomie normative des partenaires sociaux ne remplace pas la délibération du Parlement quand il s’agit des grands équilibres du droit du travail, au cœur de l’ordre public social. Il en est souvent ainsi du droit du licenciement, et nous aurons aussi à en débattre sur d’autres points sensibles du texte, notamment s’agissant de la durée de la prescription. Sur ces sujets, la négociation peut inspirer le Parlement, elle ne doit pas le remplacer.

M. Michel Sapin, ministre. Absolument !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Très bien ! Avec Sarkozy, c’était : « J’écoute et je n’en tiens pas compte » !

M. Christian Paul. L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle présentée en Conseil des ministres la semaine dernière désigne bien quel est le but : « Le législateur garde ses prérogatives institutionnelles d’auteur de la loi. Mais il tiendra compte et se nourrira des accords nationaux interprofessionnels signés dans ce cadre par les partenaires sociaux. »

La transposition législative doit être améliorée à chaque étape. Le Gouvernement s’y est attelé. Notre commission y a veillé. Notre rapporteur a mené des centaines d’auditions,…

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. 160 !

M. Christian Paul. …et rédigé des dizaines d’amendements. Ils seront votés dans cet hémicycle. La démocratie sociale que nous voulons, ce n’est pas la refondation sociale de M. Seillière et de M. Kessler, qui rêvaient déjà il y a quinze ans que les accords interprofessionnels s’imposent totalement au législateur, inversant ainsi la hiérarchie des normes. Dans la démocratie politique que nous voulons, il n’y a donc pour le Parlement ni impuissance ni démission.

Mais l’enjeu primordial, c’est bien sûr la bataille pour l’emploi, qui doit mobiliser toute la société. À cet égard, je tiens à dire à M. Bertrand qu’il est vrai que la bataille pour l’emploi ne se limite pas à ce texte. La baisse du chômage sera le résultat des nombreux choix politiques que fait notre majorité, choix qui concernent la croissance française, que nous voulons innovante, solidaire et durable, les prélèvements publics, le financement des entreprises, la politique industrielle et les filières d’avenir. La force collective de la France ne vient pas seulement des lois, mais aussi de la mobilisation générale dont celles-ci donnent le signal.

L’accord lui-même comporte des dispositions essentielles : la formation tout au long de la vie bien sûr, la protection maladie complémentaire mais aussi le contrôle des plans sociaux et les moyens dont disposera à cet égard votre administration, monsieur le ministre. Ces dispositions ne porteront pas leurs fruits sans un engagement fort de l’État. Cette loi sera acceptée par les salariés, dans la vie quotidienne, si elle fonde réellement le début d’une sécurité sociale professionnelle. Nous attendons donc du Gouvernement des engagements qui, c’est vrai, vont au-delà de ce seul texte. J’ajoute qu’elle sera durablement acceptable à plusieurs conditions. Là comme ailleurs, nous serons jugés sur les résultats, à commencer par celui du travail parlementaire – et je crois fermement que nous avons amélioré le texte –, mais aussi sur les résultats dans la vie réelle. Le Parlement devra donc veiller sans relâche aux conditions de son application. Nous ne sous-traiterons pas l’évaluation de cette loi. Nous serons jugés en effet sur ses résultats pour l’emploi.

Je rappelle plusieurs points du projet de loi. Je pense, bien entendu, à la consolidation de droits nouveaux pour les rendre bien réels – ce sera le cas pour la protection complémentaire santé dans le prochain PLFSS, mais aussi du compte personnel de formation. Nous avons pris également l’engagement de lutter contre les excès de la précarité en rendant celle-ci plus coûteuse pour la prévenir, ce qui est bien la mission de la gauche face aux CDD et aux temps partiels. La loi doit aussi fonder la participation des salariés aux décisions de l’entreprise, mouvement de fond que nous engageons. L’anticipation collective organisée doit être préférée à l’adaptation individuelle subie, ce qui va demander des efforts partagés, proportionnés et proportionnels, et pas seulement de la part des salariés, monsieur Chassaigne : des efforts de lucidité collective seront nécessaires sur l’avenir des entreprises et de chacune d’entre elles. Enfin, le licenciement individuel ou collectif ne doit pas être plus facile après qu’avant ce texte. Ici se mesurent les différences entre le laisser-faire et la recherche opiniâtre de l’efficacité de l’action publique, qui est notre marque de fabrique.

Chacun l’a compris : ce projet de loi n’est pas une fin. Elle sera la trace concrète d’une volonté très large dans la société : mener pour l’emploi, contre le chômage, pour les salariés, une bataille de mouvement et non pas une guerre de tranchée. C’est pourquoi nous tournons la page des années noires du dialogue social. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur Paul.

M. Christian Paul. Nous ne laisserons pas sans réponses argumentées les doutes que vous avez exprimés ce soir, monsieur Chassaigne.

Nous abordons cette discussion sans rien oublier de nos principes et de nos engagements, de sorte que nous pourrons, sans rougir, inscrire cette loi à notre bilan collectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. M. Gandois a été trahi par M. Seillière et par personne d’autre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Louwagie.

Mme Véronique Louwagie. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent projet de loi comporte une dimension sociale majeure qu’il nous faut désormais appréhender. Si la vitalité de notre démocratie sociale doit être saluée, l’examen du texte en commission a révélé un certain nombre de réserves que j’exposerai dans un second temps. Tout en reconnaissant la vitalité du dialogue social dans notre pays, nous regrettons les « effets transparents » de votre politique en matière d’emploi.

Par ailleurs et afin d’être parfaitement objectif, il convient de rappeler que la loi de modernisation du dialogue social, adoptée sous la précédente législature, avait contribué à renforcer la démocratie sociale. La culture de la négociation existait donc déjà, vous ne faites que la poursuivre. La rupture que vous prônez tant se fait parfois dans la continuité !

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, signé par la majorité des organisations syndicales salariales et patronales constitue le ciment de la modernisation du code du travail. Il nous incombe désormais de traduire cet accord dans la loi. Cette charge est noble, immense, mais elle pose question : faut-il adopter ce texte sans aucune modification afin de ne pas le dénaturer, avec le risque que notre rôle se cantonne à enregistrer ledit document, ou bien nous est-il possible de l’enrichir, l’amender et, par conséquent, de le modifier ?

En tout état de cause, introduire des contraintes supplémentaires pour les entreprises, comme semblent vouloir le faire certains parlementaires,…

M. André Chassaigne. Qui a dit cela ?

Mme Véronique Louwagie. …serait contre-productif et irresponsable Il est donc de la responsabilité de chacun de respecter l’esprit de l’accord national interprofessionnel. Aussi, aucune nouvelle obligation ne devrait peser sur les entreprises, notamment sur les plus petites d’entre elles.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Très bien !

Mme Véronique Louwagie. Ainsi, si chacun reconnaît que le droit pour les salariés de bénéficier d’une mutuelle est positif, l’attachement à la liberté de choix de l’assureur doit être rappelé.

Or il apparaît que la clause de désignation, ainsi qu’elle est prévue dans le projet de loi, ne figurait pas en tant que telle dans l’ANI, les partenaires sociaux ayant posé le principe de liberté des entreprises par le biais de la recommandation quant au choix de l’organisme assureur.

M. Olivier Audibert Troin. Très bien !

Mme Véronique Louwagie. Par ailleurs, vendredi, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis recommandant de laisser le libre choix des organismes aux entreprises, y compris s’il existe des clauses de recommandation ou de désignation.

Il serait bon de retrouver l’équilibre inscrit dans l’ANI et nous regrettons que le Gouvernement lui-même dénature l’accord.

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas exact !

Mme Véronique Louwagie. S’agissant des droits rechargeables, il faut convenir qu’ils représentent une avancée, mais l’ANI précisait que « les partenaires sociaux veilleront à ne pas aggraver le déséquilibre financier du régime d’assurance chômage ». Monsieur le ministre, nous ne pouvons qu’être inquiets car le projet de loi, d’une part, ne précise pas les modalités de financement des droits rechargeables,…

M. Michel Sapin, ministre. Les partenaires sociaux le font !

Mme Véronique Louwagie. …– or le diable se cache souvent dans les détails – et, d’autre part, ne fait pas état du principe énoncé par l’ANI de ne pas accroître le déséquilibre financier.

En outre, certains points ambigus du projet de loi pourraient constituer autant de dangers pour les salariés ou les entreprises, tel un fusil caché derrière une porte, si vous me permettez cette comparaison.

Il semble ainsi que le secteur des services à la personne éprouvera quelques difficultés à respecter la condition d’un minimum d’heures hebdomadaires,…

M. Michel Sapin, ministre. Demandez à Mme Zimmermann ce qu’elle en pense !

Mme Véronique Louwagie. … l’une des deux exceptions, à savoir la situation des particuliers employeurs figurant initialement dans l’ANI, ayant disparu du projet de loi.

En matière de mobilité interne, le salarié se plaçant en situation de refus devait, selon l’ANI, être licencié pour un motif personnel. Dans sa version actuelle, le projet de loi prévoit que ledit licenciement s’effectuera sous couvert d’un licenciement économique. Il s’agit d’une modification substantielle, loin d’être marginale.

M. Michel Sapin, ministre. Absolument !

Mme Véronique Louwagie. Quant au rôle des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – Direccte –, il va être significativement renforcé, tant au niveau de la négociation que de l’homologation des plans sociaux.

M. Michel Sapin, ministre. Tant mieux !

Mme Véronique Louwagie. Cependant, il apparaît que leurs moyens humains et financiers sont déjà limités, ce qui augure mal de l’accroissement de leur activité, inhérent au projet de loi ; d’où notre inquiétude.

En conclusion, mes chers collègues, il convient d’ores et déjà de nous interroger sur le résultat net, le bénéfice de l’accord. Permettez-moi de vous faire part de mon inquiétude lorsque je constate que le projet de loi proposé diffère d’ores et déjà de l’accord sur certains points.

M. Xavier Bertrand. Exact ! Cela se voit !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien là le problème !

Mme Véronique Louwagie . De surcroît, si le numérateur existe, il n’existe pas de dénominateur commun au sein de la majorité.

Monsieur le ministre, vous aviez exhorté celle-ci de ne pas trop amender le texte au risque de le dénaturer. Il semblerait que vous n’ayez pas été entendu, le Front de gauche, opposé à l’ANI du 11 janvier dernier, ayant déposé quelque 4 500 amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson. Sans doute pour nous éclairer ! (Sourires.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Non, pour faire de l’obstruction !

Mme Véronique Louwagie. Il ne faudrait pas que les aspects positifs du projet de loi soient ternis par des velléités de surenchère !

Ainsi, nous resterons vigilants tout au long de la discussion avant de nous prononcer pour ou contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Noguès.

M. Philippe Noguès. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, notre première, notre principale priorité, c’est l’emploi. Tel est notre cap, notre objectif, ce qui oriente nos actions et prises de position politiques depuis le début de la législature. C’est donc avec une réelle satisfaction que je m’exprime aujourd’hui dans cet hémicycle, alors que nous nous apprêtons à débattre de ce projet de loi, issu d’un accord social majeur au service de l’emploi, de la protection des salariés, de l’amélioration des conditions de travail et de la lutte contre la précarité.

Je commencerai par saluer la méthode. L’accord signé le 11 janvier dernier constitue un succès du dialogue social, preuve que la méthode du Gouvernement est la bonne. L’époque où les partenaires sociaux étaient conspués, sous la précédente législature, est révolue. Ils sont désormais respectés et écoutés. La démocratie sociale est en marche.

Grâce à ce projet de loi, cet accord et cette méthode, nous mobilisons des leviers structurels profonds qui auront un effet positif à long terme sur l’emploi et le climat social de notre pays.

J’aimerais insister sur le fait que, aussi bien commission que dans l’hémicycle, nous remettons l’entreprise au cœur du débat public et de l’espace démocratique.

L’entreprise, ce n’est pas qu’un bilan comptable, c’est avant tout une communauté d’hommes et de femmes – salariés, cadres, chefs d’entreprise – ayant un intérêt commun : celui d’une organisation qui fonctionne bien, qui innove, qui grandit, dans laquelle ils se sentent bien.

Dans cet esprit, ce texte va sécuriser les entreprises, favoriser le maintien dans l’emploi et accompagner au mieux les conséquences sociales de restructurations, hélas ! parfois inévitables, tout en donnant aux salariés de nouveaux droits.

Le principal apport du texte, ce sont les accords qui permettront le maintien dans l’emploi. Désormais, pour faire un plan social, il faudra soit un accord salarié majoritaire, soit un accord de l’administration par homologation.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est bien le problème !

M. Philippe Noguès. Aujourd’hui, un tel plan relève d’une procédure unilatérale des chefs d’entreprise. Cette loi rendra les licenciements collectifs plus difficiles, en privilégiant toutes les solutions qui permettront de sauver l’emploi plutôt que de recourir à un plan social.

Les salariés seront mieux intégrés à la stratégie de l’entreprise : leurs représentants siégeront dans les conseils d’administration et auront accès à une base de données regroupant l’ensemble des informations relatives à la situation de l’entreprise. J’ai moi-même longtemps été délégué syndical.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je comprends tout !

M. Philippe Noguès. Pour l’avoir pratiquée, je connais la force de la négociation collective. Je mesure combien la qualité du dialogue social dans une entreprise est importante au quotidien aussi bien pour les salariés que pour les chefs d’entreprises. J’ai souvent constaté que la clé d’un dialogue social constructif repose sur la transparence et l’accès à l’information.

Finie, donc, l’époque où des salariés subissent un plan social sans avoir de recours, sans être consultés, sans même pouvoir vérifier le bien-fondé économique des décisions !

La loi va instaurer également une série de droits nouveaux pour les salariés, qu’il s’agisse de droits individuels ou collectifs : accès collectif à la complémentaire santé, taxation des CDD abusifs, droits rechargeables à l’assurance chômage pour protéger les salariés ayant des parcours en dents de scie et favoriser leur retour à l’emploi, ou encore création d’un compte personnel de formation.

Ce texte, je tiens à le dire, nous l’avons amélioré tout en respectant scrupuleusement l’équilibre de l’accord.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas compliqué !

M. Philippe Noguès. L’exercice était délicat ; il n’a été possible que grâce à l’important travail de fond que nous avons patiemment réalisé en amont. À cet égard, je voudrais à mon tour saluer le travail du rapporteur. Cela fait quatre mois, en effet, que nous auditionnons les partenaires sociaux pour comprendre en profondeur, article par article, parfois mot par mot, quels sont les points de consensus et les points d’accrochage entre les partenaires sociaux, aussi bien d’ailleurs pour les parties signataires que les non-signataires.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous avez été l’un des piliers de ces consultations !

M. Philippe Noguès. L’accord signé par les partenaires sociaux porte en lui à la fois la force et les défauts du compromis. Est-il parfait ? Certainement pas, monsieur Chassaigne. Mais il est ambitieux et se caractérise surtout par une approche nouvelle des rapports sociaux, plus pragmatique, plus apaisée, plus efficace aussi.

Grâce à lui, nous pouvons, d’ores et déjà, prendre date pour les rendez-vous suivants dans le combat pour la sécurisation de l’emploi, la lutte contre les stages abusifs, l’amélioration de la prévention des risques psychosociaux et de la qualité de vie au travail, la réforme à venir de la formation professionnelle. Enfin, n’oublions pas le lancement de la plateforme d’actions globales pour la responsabilité sociale des entreprises dans les semaines qui viennent.

Toutes ces avancées et bien d’autres ne seront possibles que grâce à la signature de ce premier accord et parce que nous l’aurons, nous législateurs, transcrit dans la loi, en clarifiant un certain nombre de points qui nous paraissaient incertains et en ayant toujours à l’esprit, la volonté de l’équilibre !

Mme la présidente. Merci de conclure.

M. Philippe Noguès. Celui de l’accord bien sûr, mais surtout celui qui permettra de nouveaux rapports entre salariés et dirigeants, celui qui remettra l’entreprise au cœur de notre société ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ce n’est pas gagné !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les salariés de ce pays font preuve d’une grande sagesse. Vos services, monsieur le ministre, ont publié les résultats de la représentativité des organisations syndicales. Cela tombe bien : les deux syndicats signataires de la position commune transposée dans la loi du 20 août 2008 représentent 52 % des salariés et les cinq organisations syndicales conservent leurs prérogatives – personne ne disparaît. Les trois signataires de l’accord national interprofessionnel de janvier dernier sont majoritaires à eux trois. Tout le monde est content. C’est merveilleux, et je suis heureux de constater que les craintes exprimées par un certain nombre à propos de la pertinence de la loi du 20 août 2008 étaient finalement infondées.

M. Michel Sapin, ministre. Vous êtes un bon observateur !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je m’en réjouis d’autant plus que j’avais participé à son élaboration.

Monsieur le ministre, monsieur Paul, ce n’est pas tout à fait la première fois que le Parlement est saisi d’accords nationaux interprofessionnels ou de positions communes.

M. Olivier Audibert Troin. Non !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est la quatorzième fois que s’appliquent les dispositions de la loi du 31 janvier 2007, dite loi Larcher. Rendons à M. Larcher ce qui lui revient. Contrairement à ce que vous semblez dire, nous n’avons en effet pas attendu votre retour aux affaires, mesdames et messieurs de la majorité, pour instaurer la pratique du dialogue social. Ces dispositions ont été introduites dans la loi par notre majorité en 2007. Il faut rendre cette justice à leurs auteurs.

Je me félicite d’entendre, car ce ne fut pas toujours le cas – mon collègue Cherpion peut également en témoigner, qui a quelque souvenir d’un projet de loi sur la formation obéissant à la même logique – l’actuelle majorité tenir un discours aussi clair sur les prérogatives respectives du Parlement et des accords entre les partenaires sociaux. J’ai même le souvenir d’une certaine forme de contestation quant à la possibilité pour le Parlement de modifier un certain nombre de dispositions de tels accords. J’étais à votre place, monsieur le rapporteur, au moment de la discussion de la loi du 20 août 2008 et, à cette époque déjà, nous avions longuement disserté sur la responsabilité partagée des pouvoirs politiques et des pouvoirs sociaux.

C’est un vieux sujet, un sujet d’avenir qui le restera longtemps, comme le veut la formule. À chaque fois que nous reviendrons sur le partage des prérogatives, il nous faudra réaffirmer qu’il appartient bien sûr au Parlement de modifier les dispositions d’un accord social, s’il l’estime nécessaire et conforme à l’intérêt général. C’est ainsi que fonctionne la hiérarchie des responsabilités dans notre pays.

M. Michel Sapin, ministre. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je suis heureux de constater que désormais, cette position est unanime ; cela n’a pas toujours été le cas, loin de là, je le répète.

Le projet de loi que vous présentez, monsieur le ministre, comporte des modifications substantielles par rapport à l’accord national interprofessionnel, ce qui nous conduira à émettre certaines critiques. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le détail au fil de la discussion des articles, puisque nos collègues du Front de gauche ont eu la bonté de nous éclairer par plus de 4 500 amendements.

Il reste trois sujets de fond qui ne sont abordés ni dans l’accord, ni a fortiori dans le projet de loi.

Le premier, c’est l’absence quasi-totale de dispositions portant sur les petites et moyennes entreprises. Cet accord n’est pas fait pour elles, malheureusement, alors qu’elles sont les premières pourvoyeuses d’emplois dans ce pays.

Le deuxième, c’est l’ensemble des questions posées par l’article 1er sur la fameuse clause de désignation, qui constitue l’une des modifications importantes que votre texte apporte à l’accord. Avec quelques collègues, nous avons déposé un amendement portant plus particulièrement sur la situation des branches professionnelles disposant de caisses autonomes de prévoyance, car l’articulation de l’article 1er fait peser sur ces organismes et les salariés qui y sont affiliés un risque de fragilisation exagérée.

Le troisième sujet de fond, ce sont les dispositions relatives au temps partiel. Elles nous semblent de nature à remettre assez gravement en cause toute l’économie des services à la personne et à mettre en danger beaucoup de salariés, sous couvert de leur permettre d’obtenir des garanties supplémentaires, lesquelles seront examinées dans le détail. En fin de compte, l’architecture que vous proposez s’agissant du temps de travail conduira sans doute certains salariés et employeurs à des arbitrages qui seront à la baisse par rapport aux temps de travail actuels.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous attendons avec grande impatience le déroulement de ces débats. C’est avec une grande attention que nous y participerons, certains d’être en partie éclairés par l’ensemble des amendements déposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Hutin.

M. Christian Hutin. Monsieur le ministre, dans les jours qui viennent, vous vous trouverez sans doute en manque de discussions, compte tenu du faible nombre d’amendements déposés. (Sourires.) Je ne résiste pas au plaisir d’en rajouter en évoquant devant vous un épisode marquant de nos réunions de commission. Je veux parler du moment où André Chassaigne a cité ce proverbe auvergnat : « On n’achète pas un âne dans un sac ».

M. Michel Sapin, ministre. Il faut un grand sac ! Moi, je connaissais : « On n’achète pas un lièvre dans un sac ».

M. Christian Hutin. Eh bien, en Auvergne, ce n’est pas un lièvre mais un âne !

Permettez à mon tour d’évoquer mon propre bestiaire. Pour rester dans l’imagerie de notre collègue, je parlerai de l’âne de Buridan à propos de ce texte. Cet âne assoiffé et affamé qui, une fois placé dans une prairie devant un seau d’avoine et un seau d’eau, est resté immobile, ne sachant lequel choisir, puis est mort de faim et soif.

Nous sommes tous d’accord pour dire que notre pays est assoiffé et affamé, qu’il souffre d’une disette d’emplois industriels ; nous dansons devant le buffet de la balance commerciale. Il faut agir, il y a urgence.

Au-delà de cette image primaire, Buridan, philosophe du XIVe siècle, voulait illustrer l’opposition entre déterminisme et libre-arbitre.

Le déterminisme, c’est dire que tout est inéluctable. Tout est-il inéluctable ? J’espère que non, je pense que non.

Mais au-delà du projet de loi qui nous occupe, il y a un fait inéluctable, c’est qu’un texte français ne pourra avoir d’importance que si les choses bougent au niveau européen.

Mes amis socialistes ne m’en voudront pas si je cite Jean-Pierre Chevènement : « Le socialisme a parfois des difficultés à imposer aux institutions européennes et aux institutions mondiales un compromis social qui pourrait s’opposer aux forces du capital ». Il est indispensable à mes yeux – le rapporteur l’a souligné en préambule comme l’a fait François Hollande au mois de juillet – qu’il y ait une refonte de l’organisation européenne. Dans tout ce que nous pouvons entreprendre aujourd’hui, il s’agit d’un élément essentiel.

À côté du déterminisme, il y a le libre arbitre. Et là, j’évoquerai le seau d’avoine. Dans ce texte, il y a indéniablement de l’avoine. Il permet des progrès majeurs, attendus par nombre de salariés : mutuelles, formation professionnelle, droits rechargeables – une idée simple et si indispensable qu’on peut se demander pourquoi personne ne l’a eue avant. Il y a aussi le retour de l’État. Certes, on n’en est pas aux procédures des années quatre-vingt, mais on s’en rapproche et c’est une excellente chose.

Le seau d’avoine existe du côté du salarié et du côté du MEDEF. D’autres en parleront mieux que moi.

Et puis il y a le seau d’eau. Notre libre-arbitre de député nous permettra d’améliorer le texte par voie d’amendements et de mettre un peu d’eau dans le vin : les députés du MRC en présenteront quelques-uns, le rapporteur soixante-dix ou quatre-vingts.

Moi, je crois à l’alliance des productifs pour le redressement national, comme eût pu le dire Maurice Thorez en 1946. C’est en ce sens que les députés chevènementistes du groupe SRC voteront ce projet de loi, amendé et amélioré. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Perrut.

M. Bernard Perrut. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans cette période difficile que traverse notre pays, l’heure est à la mobilisation de tous pour soutenir l’économie et lutter contre le chômage.

Je suis convaincu qu’un dialogue social de qualité peut être un levier de performance. À cet égard, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 va dans le bon sens, car il permet des progrès : progrès dans la prise de conscience de la relation entre le dialogue social, la dynamique de l’entreprise et son adaptation aux conditions de la conjoncture, progrès aussi dans l’amélioration des conditions d’exercice du dialogue social.

C’est la loi du 31 janvier 2007 qui a incontestablement modernisé le dialogue social et lui a donné un nouvel élan ; la loi du 20 août 2008 a, pour sa part, conduit à renforcer la légitimité des partenaires sociaux en redéfinissant les critères de représentativité.

Rapporteur de la loi Larcher, j’évoquais à cette tribune les liens entre démocratie représentative et démocratie sociale…

M. Jean-Frédéric Poisson. Très juste !

M. Bernard Perrut. …et le besoin de sortir de la logique de conflit pour fonder une culture de la négociation, du compromis et de la responsabilité.

L’inscription du dialogue social en tête du code du travail fut l’affirmation ici même d’une volonté forte de notre part. Cet accord est le quatorzième depuis l’entrée en vigueur de cette loi.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Bernard Perrut. Nous pouvons tous nous interroger sur notre droit du travail, trop rigide, trop complexe, construit par strates successives, visant à accroître la protection des salariés selon une vision trop souvent antagoniste du fonctionnement de l’entreprise.

L’accord qui nous est soumis aujourd’hui permet des avancées dans deux directions : il met en avant la question de la performance de l’entreprise, l’adaptation aux conditions conjoncturelles avec les accords de maintien dans l’emploi, et il conduit à faire confiance à l’intelligence des acteurs de terrain pour faciliter la signature d’accords majoritaires.

J’évoquerai volontiers ici l’anticipation des besoins futurs, grâce au renforcement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Il est en effet essentiel de pouvoir anticiper les changements prévisibles en matière d’emplois, de métiers, de compétences et de qualifications qui résulteront d’évolutions économiques, démographiques et technologiques en lien avec la stratégie de l’entreprise.

L’accord national va aussi dans le bon sens quand il instaure des mesures sur les conditions d’exercice du dialogue social : élargissement de la gouvernance des entreprises aux salariés et nouveaux modes d’information.

Mes chers collègues, ce texte qui a pour ambition d’être au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi, va-t-il pour autant tout régler ? Certainement pas. Et vous en êtes d’accord, monsieur le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Quel texte pourrait tout régler ?

M. Bernard Perrut. Il ne va pas se traduire par un gain immédiat de compétitivité pour l’entreprise. Il ne contribuera pas à inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année, même si vous affirmez, monsieur le ministre, que « ce texte est là pour vaincre une peur de l’embauche » liée aux difficultés des futurs et éventuels licenciements.

Sans doute la déclinaison de cet accord dans certaines entreprises – je pense aux PME et aux TPE – ne se fera-t-elle pas très facilement en raison d’un certain nombre de contraintes et de coûts.

Il appartient aux députés de faire la loi, et si des divergences se font jour entre les organisations de salariés et, ici même, sur les bancs de la majorité de gauche, nous devons avoir la conviction que sont possibles des compromis dans lesquels ce que les uns gagnent n’est pas ce que les autres perdent, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre.

Cet accord sera « gagnant-gagnant » s’il n’est pas dénaturé et si vous acceptez des améliorations qui en garantiront la juste application et combleront certaines lacunes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Bernard Perrut. Ainsi dès l’article 1er, dont le principe d’une couverture santé obligatoire pour tous les salariés constitue une avancée importante, nous devons demeurer fidèles à la négociation de l’accord, les partenaires sociaux ayant privilégié le choix de l’entreprise assurantielle afin d’éviter tout abus de position dominante. Soyons vigilants en matière de concurrence et de transparence !

À l’article 8, concernant les modalités d’exercice du temps partiel et la majoration des heures complémentaires, on ne peut ignorer l’inévitable surcoût qu’il entraînera pour les associations et entreprises sanitaires, sociales et médico-sociales. Notre collègue Gérard Cherpion défendra un amendement à ce sujet.

Nous savons aussi que le temps partiel répond aux besoins de certaines entreprises de l’artisanat, du commerce de proximité, comme à l’attente de certains salariés. Gardons toujours une vision pragmatique des réalités de nos petites entreprises et de la spécificité de certaines tâches.

Alors, que penser de ce texte ? S’il respecte l’accord initial, s’il n’est pas dénaturé par un flot d’amendements de votre propre majorité et si vous tenez compte de nos amendements guidés par le bons sens et la raison,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela fait beaucoup de conditions !

M. Bernard Perrut. …nous pourrons considérer qu’il est l’affirmation d’un nouvel et bon équilibre, celui où l’un et l’autre des acteurs gagnent en sécurité sans perdre en capacité d’adaptation et de mobilité.

Pourrons-nous, au terme de nos débats, nous rassembler ? Je le souhaite car, comme vous, nous voulons créer de nouveaux droits pour les salariés ; comme vous, nous voulons lutter contre la précarité dans l’emploi et dans l’accès à l’emploi ; comme vous, nous voulons favoriser l’anticipation négociée des mutations économiques. Mais encore faut-il, monsieur le ministre, que les Français reprennent espoir face à une courbe du chômage que vous n’arrivez pas à inverser. Cet accord ne peut suffire !

Vous serez jugés sur les résultats. C’est M. Paul qui l’a dit, il y a un instant. Alors, attendons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Michel Sapin, ministre. Nous ne sommes pas là pour attendre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Huillier.

Mme Joëlle Huillier. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vais tâcher dans mon intervention de répondre à ceux qui remettent en cause le texte, tant sur la forme que sur le fond.

Ce projet de loi est le fruit d’une méthode, la négociation, qui n’a pas débuté le 11 janvier 2013 avec l’ANI, mais le 9 juillet 2012 avec la grande conférence sociale. Cette méthode a abouti à la mise en place des emplois d’avenir, cette méthode a aussi abouti aux contrats de génération, cette méthode a enfin abouti à un accord majoritaire sur la réforme du marché du travail, accord majoritaire jamais obtenu auparavant.

Une fois l’accord signé, le Gouvernement, la majorité et notre rapporteur ont continué à recueillir l’avis des partenaires sociaux, signataires ou non, et de l’ensemble des acteurs concernés, afin d’améliorer encore ce texte.

Quel contraste avec les années précédentes, quand la concertation se résumait à la consultation ou la convocation des syndicats à l’Élysée pour des sommets spectacles et la mise en scène de décisions verrouillées à l’avance !

M. Jean-Frédéric Poisson. Arrêtez avec ça !

Mme Joëlle Huillier. Je ne me priverai donc pas de le dire : ces dix derniers mois ont marqué le grand retour de la démocratie sociale dans notre pays, c’est à l’honneur de ce gouvernement et de cette majorité, et nous l’inscrirons demain dans le marbre de notre Constitution !

M. Gérard Cherpion. Pas sûr !

Mme Joëlle Huillier. Au-delà de la méthode, je veux aussi rappeler le contenu du projet de loi.

Je n’accepte pas la caricature qu’en font certains commentateurs, qui parlent d’« accord MEDEF » favorable aux licenciements, alors que c’est exactement l’inverse !

Ainsi, les accords de maintien dans l’emploi seront bien meilleurs que les accords d’entreprise signés aujourd’hui, sur le terrain, par ceux-là mêmes qui contestent l’ANI : bien meilleurs parce que ces accords seront majoritaires, permettront de conserver les emplois, offriront plus de garanties aux salariés et obligeront les dirigeants à consentir des efforts.

Ce projet de loi donne aussi de nouveaux droits aux salariés, sont certains sont revendiqués depuis longtemps par les syndicats : le droit à la formation, le droit à la mobilité, le droit de participer à la stratégie de l’entreprise, le droit au cumul dans le temps des indemnités de chômage, le droit à la couverture santé.

Je veux insister sur la généralisation des contrats collectifs de couverture complémentaire, qui constitue bien sûr une avancée, mais qui pose la question de ses effets sur l’accès aux soins et sur le secteur mutualiste.

C’est une avancée, parce qu’elle favorisera l’accès aux soins des salariés non couverts par une complémentaire – ils sont 400 000 – et ceux qui ne le sont pas suffisamment. Je pense ainsi aux salariés précaires, à temps partiel – notamment les femmes – et aux employés des petites entreprises. C’est une avancée aussi parce qu’elle étend dans le temps le bénéfice des garanties pour les salariés qui perdent leur emploi.

Cependant, monsieur le ministre, cet élargissement laissera de côté trois millions de Français non salariés et sans complémentaire : les jeunes, les personnes en situation de rupture familiale ou de handicap, les retraités modestes.

Le passage à des contrats collectifs pourrait aussi fragiliser les petites mutuelles, qui risquent d’être mal positionnées sur les appels d’offres et n’auront d’autre choix que de renchérir les contrats des inactifs et des personnes âgées, aux cotisations déjà élevées.

Par ailleurs, les aides sociales et fiscales attachées aux contrats collectifs représentent un coût pour nos comptes publics : elles sont autant de recettes en moins pour l’assurance maladie et peuvent constituer un effet d’aubaine.

Le développement de la couverture collective ne peut donc nécessairement être qu’une première étape en vue de la généralisation de la complémentaire santé à tous les Français, souhaitée par le Président de la République l’automne dernier.

M. Michel Sapin, ministre. Absolument !

Mme Joëlle Huillier. Cet objectif passe par une réorientation des exonérations en faveur des prises en charge individuelles et une refonte de la fiscalité des contrats solidaires et responsables, laquelle pourrait être modulée selon le contenu des garanties offertes.

Cet objectif passe aussi par une réflexion sur le rôle et la place des complémentaires santé, notamment des mutuelles, dans la stratégie nationale de santé. En effet, celles-ci n’améliorent plus seulement les remboursements de l’assurance maladie ; elles assument aussi désormais la plus grande partie des frais dentaires ou d’optique.

Je vous fais confiance, cher Michel Sapin, ainsi qu’à la ministre des affaires sociales et de la santé, pour nous apporter, durant ces débats, les précisions et perspectives nécessaires.

Pour conclure, n’en déplaise aux sceptiques et aux critiques, j’assume pour ma part les grandes orientations de ce projet de loi, fruit d’un compromis historique qui permettra aux entreprises de mieux s’adapter et aux salariés d’être mieux protégés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Sapin, ministre. Merci, madame la députée !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, après le vote des textes relatifs aux emplois d’avenir et au contrat de génération, nous abordons aujourd’hui un nouveau texte concernant l’emploi : le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, avec la démocratie sociale comme levier.

Conformément aux engagements de François Hollande pendant la campagne, la démocratie sociale est réhabilitée, ce qui constitue à la fois une gageure et une nécessité. En temps de crise – croissance atone, chômage à son paroxysme –, il devient en effet indispensable de trouver des voies de régulation nouvelles pour faire en sorte que les efforts à accomplir soient répartis et consentis au mieux. L’accord unanime sur les contrats de génération en est un bon exemple.

Ce projet de loi est avant tout une réaffirmation de la démocratie sociale pour y parvenir, la marque d’un dépassement des conflits de légitimité entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. Le compromis est érigé en méthode, celle de la recherche de concessions et de promesses mutuelles.

Quelles sont-elles ? Pour les employeurs : ne plus avoir peur de l’embauche ; privilégier le CDI et non les contrats courts ; accepter le retour de l’administration dans le contrôle des procédures de licenciement économique collectif ; encadrer le temps partiel et définir un minimum de 24 heures hebdomadaires ; contribuer au financement de droits nouveaux, comme la complémentaire santé ; accepter la participation des salariés dans la définition de la stratégie de l’entreprise ; être obligés de rechercher un repreneur lors de la fermeture d’un établissement.

Pour les salariés : s’adapter aux conjonctures difficiles de l’entreprise et accepter des modifications temporaires du contrat de travail – au maximum deux ans – dès lors qu’un accord majoritaire l’aura prévu ; prévoir des mobilités encadrées par un accord collectif, négocié tous les trois ans dans les entreprises de plus de 300 salariés, en lien avec les négociations sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ; recourir à des expérimentations de contrats de travail intermittents dans des secteurs prédéfinis par la loi.

J’entends parler de la « retranscription » de l’accord national interprofessionnel signé le 11 janvier 2013 ; ce terme est impropre.

M. Michel Sapin, ministre. Absolument !

M. Michel Liebgott. Certes, il y a eu accord des partenaires sociaux, accord majoritaire établi d’après une feuille de route ambitieuse, issue de la grande conférence sociale de juillet 2012. D’aucuns ont dit qu’il est historique, tant le spectre couvert par les négociations est large et inédit depuis 1969 : il l’est en effet et, à cet égard, il nous oblige à d’autant plus de respect et de loyauté envers les négociateurs.

M. Jean-Frédéric Poisson. Qu’à cela ne tienne !

M. Michel Liebgott. Cela étant précisé, nous devons aujourd’hui orchestrer les différentes partitions, celles des signataires comme celles des non-signataires. Je veux ici rendre hommage au rapporteur, qui est d’une certaine manière notre chef d’orchestre dans cet ensemble.

Or, nous le savons, l’intérêt général n’est pas toujours l’agrégat de tous ces intérêts collectifs qui sont propres à certaines catégories. Il nous appartient donc de trouver le bon équilibre.

Ce projet de loi n’est pas, beaucoup l’ont dit, la copie conforme de l’ANI : à bien des égards, il l’améliore et créé un nouvel équilibre. Mais de même qu’il existe un équilibre de l’accord – ceux qui l’ont signé ne le contesteront évidemment pas –, il existe un équilibre du projet de loi présenté en Conseil des ministres ; et il y aura également – pourquoi en irait-il différemment ? – un équilibre de la loi.

Je pense naturellement à un certain nombre d’adaptations que d’autres ont évoquées. Je signale ainsi qu’il appartiendra à l’Assemblée de prendre en compte certains dispositifs particuliers, tels que celui du régime d’assurance maladie d’Alsace-Moselle. Il s’agit d’un régime légal, collectif et obligatoire, qui fonctionne déjà comme une protection sociale élargie, offrant un complément aux prestations maladies versées par le régime général des salariés. Il est financé par les cotisations des salariés et des retraités.

Il faudra donc faire coexister le régime d’assurance maladie général et le régime local d’assurance maladie, ce qui n’empêchera pas l’intervention des complémentaires. Je reviendrai sur ce sujet lors de l’examen de l’article 1er. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes appelés à transposer dans la loi l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013.

Les cosignataires – la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, l’UPA, la CGPME et le MEDEF – nous ont demandé d’être fidèles à leur accord, qu’ils qualifient eux-mêmes de compromis. Nous avons a priori l’intention de respecter les négociations des partenaires sociaux, car nous croyons sincèrement dans la force du dialogue social.

Notre famille politique l’a en effet toujours encouragé. Je pense, par exemple, à la participation et à l’intéressement, à la loi Larcher de 2007, à celle sur la représentativité syndicale, ou encore aux dispositions relatives à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Cet accord de « flexisécurité à la française » vise à concilier compétitivité économique et sécurisation des parcours professionnels ; objectif auquel souscrit le groupe UMP, dont les députés que nous sommes encouragent la mise en œuvre très concrète sur leurs territoires et dans chaque entreprise.

M. Michel Sapin, ministre. Surtout chez vous !

Mme Isabelle Le Callennec. Mais – car il y a un « mais » – deux organisations syndicales n’ont pas signé l’accord : la CGT et FO. Leurs responsables sont venus s’en expliquer devant la commission des affaires sociales et nous ont logiquement invités à revenir sur le contenu de nombreux articles. Nos collègues des groupes GDR et écologiste, forts de leur prérogative de législateur, s’en sont chargés en déposant des milliers d’amendements. En effet, chers collègues, vous avez bien entendu : plus de 4 500 amendements et des heures de débat en perspective, que le Gouvernement avait sans doute mésestimés, pour un texte dont le vote devait relever d’une simple formalité !

M. Michel Sapin, ministre. Jamais !

Mme Isabelle Le Callennec. Au final, entre le texte de l’ANI et le projet de loi, il y a eu des pertes en ligne ; et plus encore entre le projet de loi et le texte issu de la commission des affaires sociales. Pour un texte que le Président de la République osait qualifier d’historique, cela fait beaucoup de résistance de ce côté de l’hémicycle !

M. Michel Sapin, ministre. Cela se passe souvent ainsi !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. On fera les comptes à la fin !

Mme Isabelle Le Callennec. Il est facile de s’allier pour gagner des élections et occuper des postes, mais beaucoup plus malaisé de convaincre ceux qui ont le sentiment de se faire « enfumer », pour reprendre l’expression de notre collègue André Chassaigne.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est une image populaire !

Mme Isabelle Le Callennec. Mais revenons au texte. Comment en retrouver l’équilibre et nous donner motif à le voter ? Tout simplement en redéposant des amendements dont j’espère, chers collègues du groupe socialiste, qu’ils feront consensus entre nous. Je veux le croire puisque, par ces amendements, nous tentons de revenir à l’esprit, voire à la lettre, de l’accord signé par les partenaires sociaux, lequel vous est si cher, monsieur le ministre du travail. N’est-ce pas vous qui avez dit : « L’accord, rien que l’accord » ?

Je tiens à citer tout particulièrement nos amendements sur la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés : nous y sommes favorables, mais nous supprimons la clause de désignation.

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas dans l’accord !

Mme Isabelle Le Callennec. Concernant les droits rechargeables, nous y souscrivons, mais nous précisons que le mécanisme ne doit pas aggraver la dette de l’UNEDIC – plus de 18 milliards d’euros fin 2013 –, à moins que la courbe du chômage ne s’inverse d’ici là.

Concernant les temps partiels, nous voulons éviter de pénaliser certains secteurs, comme les services à la personne, ou certaines catégories de salariés, comme les étudiants, qui sont de plus en plus nombreux à travailler pour payer leurs études.

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas dans l’accord !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est l’accord quand ça vous arrange !

Mme Isabelle Le Callennec. Voilà pour nos principaux amendements, car nous en avons déposé d’autres, dans la perspective des négociations futures entre les partenaires sociaux. Ils vont en effet devoir donner corps au compte personnel de formation, au conseil en évaluation professionnelle ou encore aux droits rechargeables.

Collectivement, représentants de la démocratie sociale ou de la démocratie politique, faisons simple ! Ne complexifions pas davantage le code du travail, qui contient déjà plus de 3 500 pages, et pensons à toutes les entreprises qui ne disposent pas forcément des marges de manœuvre financières ni des services de ressources humaines adéquats pour digérer toutes les réglementations qui leur sont imposées.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Très bien !

Mme Isabelle Le Callennec. En conclusion, qu’il me soit permis de rappeler à quel point il est devenu urgent de tout mettre en œuvre pour concilier dans les faits performance économique et cohésion sociale dans notre pays, soumis aux opportunités mais aussi aux menaces de la mondialisation.

Pour rapprocher en permanence l’offre et la demande d’emploi, pour anticiper les mutations économiques, nous devons faire confiance à la mobilisation des acteurs locaux et optimiser les outils – qu’ils sortent d’une boîte ou pas–, de la formation professionnelle au soutien à la mobilité en passant par la négociation dans chaque entreprise.

Pour cela, il faudra accepter de décentraliser les politiques de l’emploi, ce qui devrait être un objectif de l’acte III de la décentralisation. Or, celui-ci s’engage malheureusement bien mal à cet égard et nous laisse sur notre faim ; mais nous y reviendrons dans quelques semaines.

Alors voterons-nous ce texte ? Pour ce qui me concerne, je me déterminerai en fonction de votre capacité à résister au chant des sirènes de vos alliés qui le condamnent. Et j’aurai présent à l’esprit le conseil que m’a donné un chef d’entreprise de ma circonscription : que le législateur, à chaque fois qu’il vote, se pose cette question : « Cette nouvelle loi est-elle réellement de nature à favoriser la compétitivité des entreprises françaises et l’attente légitime de sécurisation des salariés ? » La réponse nous – et vous – appartient. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Poser autant de conditions à votre vote, c’est suspect !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Boistard.

M. Michel Sapin, ministre. Vous allez nous parler de Goodyear !

Mme Pascale Boistard. Exact !

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’Assemblée nationale a commencé aujourd’hui, après engagement de la procédure accélérée, la discussion du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

Compte tenu de son importance, et par égard pour les partenaires sociaux, qui ont permis de faire vivre notre démocratie sociale, ce texte fondateur aurait peut-être mérité une étude plus longue et des discussions plus approfondies.

Je dois remercier M. le rapporteur Germain, pour le rôle essentiel qu’il a joué, et saluer l’investissement de nos collègues avec lesquels il nous aura fallu travailler parfois jour et nuit, compte tenu des délais très contraints pour étudier ce texte.

Si l’on veut que ce projet de loi soit ambitieux et constitue un acte politique fort, il doit être conforme à l’objectif affiché dans son titre et à son objet : renforcer la sécurité de chaque salarié dans son parcours professionnel et au niveau collectif de l’entreprise. Il nous faut, bien sûr, concilier cet impératif de sécurité et de respect de l’ordre public social avec les besoins de l’entreprise, dont le rôle est essentiel pour développer ou préserver l’activité et l’emploi.

Hélas, au prétexte des mutations qui s’accélèrent et d’un contexte de concurrence internationale renforcée, certains employeurs n’hésitent pas à plonger leurs salariés dans une véritable insécurité contractuelle. Souvent, il s’agit de ceux de nos concitoyens qui sont déjà les plus vulnérables.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous citer, en guise de première illustration. Dans un entretien récent intitulé « La gauche doit se réapproprier la valeur travail », vous déclariez très justement, en invoquant le contrat de travail à durée indéterminée, « qu’il y a des sécurités qui sont aujourd’hui illusoires ».

Mon deuxième exemple des situations de précarité dans l’emploi dues à des entreprises peu scrupuleuses est tiré de l’actualité sociale, celle du groupe Goodyear. Aucun d’entre vous ne peut ignorer que plus de 1 200 de nos concitoyens et leurs familles luttent depuis des années pour le maintien d’une activité industrielle sur le lieu de production d’Amiens-Nord. Une fermeture et des licenciements massifs sont programmés par un groupe qui se vante pourtant, sur son site Internet et dans sa communication institutionnelle, de réaliser des profits colossaux.

Nous aurons, très bientôt je l’espère, à légiférer sur les licenciements dits boursiers, comme le souhaitait le Président de la République. Je forme le vœu que notre assemblée puisse adopter sur ce sujet un texte au contenu fort, qui sera de nature à protéger les salariés, comme les chefs d’entreprise intègres, qui forment la très large majorité des chefs d’entreprise.

Parce qu’elle sape les fondements de notre démocratie, nous ne pouvons tolérer plus longtemps que la seule recherche immédiate et indécente de profits incite certaines entreprises à jeter des dizaines de milliers de nos concitoyens à la rue, quelles qu’en soient les conséquences pour eux, pour notre cohésion sociale et notre vivre-ensemble.

Les salariés voient avec beaucoup d’anxiété se succéder les réorganisations au nom d’une rationalisation toujours recommencée. C’est aujourd’hui le gouvernement des actionnaires qui imprime sa marque à toute l’organisation du travail dans un modèle d’entreprise en voie d’universalisation. Or, les conditions de travail et de vie de millions de salariés résultent des modes d’organisation mis en place. Voilà qui plaide, s’il en était encore besoin, pour la présence significative de représentants des salariés au sein des conseils d’administration. C’est là l’un des points qu’il est impératif de promouvoir à travers ce projet de loi sur la sécurisation de l’emploi.

Mais il y en a de nombreux autres : la sécurisation des parcours professionnels, le renforcement de la capacité des salariés à intervenir sur la stratégie de l’entreprise à travers les instances consultatives ou de veille, l’infléchissement des pratiques conduisant à une précarité croissante de nombreux salariés, un meilleur encadrement du travail à temps partiel, le développement de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences en articulation avec le plan de formation et la mobilité interne.

L’application de nombreux points de l’accord national interprofessionnel conclu par certains partenaires sociaux le 11 janvier 2013 appelait une modification de la loi. C’est donc à la représentation nationale qu’il appartient de légiférer aujourd’hui.

Mes chers collègues, prenons donc nos responsabilités et soyons des législateurs ambitieux. Améliorons les outils permettant aux entreprises de faire face aux aléas conjoncturels, mais sans que cela porte préjudice pour les salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Faure.

M. Olivier Faure. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer les résultats d’une négociation exemplaire conclue le 11 janvier dernier et dont nous examinons ce soir la transcription législative.

Nous sommes dans une situation particulière, à bien des égards inédite, parce qu’il faut remonter quelques décennies en arrière pour retrouver trace d’un accord aussi important pour le droit du travail.

Comme tous les parlementaires, je suis attaché à la souveraineté du Parlement. Comme nombre d’entre vous, je suis également attentif à ce que la démocratie sociale trouve sa place. Dès lors, tout au long de l’examen de ce texte, pourrait se poser le dilemme suivant : comment ne pas transformer notre assemblée en chambre d’appel, au risque de tuer toute négociation ultérieure, et comment, inversement, ne pas transformer notre assemblée en chambre d’enregistrement ?

Cette tension a été résolue de la meilleure manière qui soit. À cet égard, je tiens à saluer le travail remarquable effectué par notre rapporteur Jean-Marc Germain. Nous n’avons rien abdiqué de nos droits, mais nous avons respecté les orientations qui se sont dégagées lors de la discussion.

Mes chers collègues, la principale raison pour laquelle ce dilemme n’a pas été difficile à surmonter réside tout simplement dans la nature de l’accord. J’ai entendu, tout à l’heure, notre collègue Chassaigne déplorer, de sa voix forte, qu’il s’agissait d’un accord régressif. J’ai même entendu certains de ses amis parler hors de cet hémicycle d’un accord « made in Medef ». Je voudrais lui rappeler – malheureusement il est parti –…

M. Jean-Frédéric Poisson. Il vous entend sûrement !

M. Olivier Faure. …que, depuis vendredi dernier, nous savons que c’est un accord majoritaire parmi les syndicats de salariés. Surtout, il n’existe pas d’accord que l’on puisse conclure entre soi, la négociation sociale supposant forcément de négocier avec le patronat.

Dès lors, la seule question qui vaille est la suivante : sommes-nous en présence d’un bon ou d’un mauvais accord pour les salariés comme pour les entreprises – car il est illusoire de vouloir chercher à opposer définitivement les intérêts des uns aux besoins des autres ? Si on le compare au code du travail idéal, M. Chassaigne a certainement raison : les avancées ne sont jamais suffisantes, les concessions toujours trop importantes, le recours à la négociation toujours moins sécurisant que la rigidité de la loi. Mais si l’on veut bien comparer l’accord national interprofessionnel au droit existant, alors tout s’inverse, car c’est la logique même des relations du travail qui est revue.

Les salariés sont associés en amont à la stratégie de l’entreprise. L’information dont ils disposeront désormais les conduira à sonner l’alarme quand il est encore temps et plus seulement à chercher à limiter la casse quand le ressort est brisé.

Dans cette dernière hypothèse, les plans sociaux ne seront plus le fait unilatéral de l’employeur, sous réserve d’informer les institutions représentatives du personnel. Ils devront faire l’objet d’un accord majoritaire dans l’entreprise – et il faut faire confiance aux forces syndicales pour ne pas galvauder leur signature. Si cet accord n’est pas trouvé, c’est l’homologation de l’administration qui devra être recherchée. La puissance publique pourra alors agir sur le reclassement, la formation et même proportionner le coût des licenciements aux capacités contributives de l’entreprise. En d’autres termes, et je le dis à Mme Boistard, elle pourra dissuader les licenciements boursiers en en renchérissant le coût. Et le recours au juge administratif ou prud’homal demeurera.

De leur côté, les droits individuels – qu’il s’agisse de la généralisation de la complémentaire santé, de la pénalisation des contrats précaires, du temps minimal pour les temps partiels, des heures complémentaires pour ces mêmes contrats, des droits rechargeables à l’assurance chômage pour que le retour à l’emploi ne soit plus un risque mais une chance, ou du droit individuel à la formation pour qu’elle concerne enfin ceux qui en ont besoin – pourront être discutés. Il est bien entendu possible de dire que certaines zones demeurent floues, que certains droits sont encore insuffisants, que certaines pénalités ne seront pas assez fortes pour modifier les comportements. Mais ce que personne ne peut dire, c’est que ces droits sont en régression par rapport à la situation actuelle.

Pour se convaincre du caractère négatif de l’accord, certains, à gauche, nous disent que si la droite se félicite de l’accord, c’est qu’il y a un loup. La vérité c’est que, si la droite feint de se réjouir, c’est qu’elle est placée devant une situation très inconfortable. Ce qu’elle n’a pas organisé pendant les cinq dernières années en méprisant les corps intermédiaires, elle se dépêche de l’avaliser pour tenter d’en récolter les fruits et elle n’espère qu’une chose : voir la gauche se diviser sur ce sujet pour mieux se poser en défenseur d’un dialogue social qu’elle n’a jamais su organiser.

La vérité, c’est que cet accord répond aujourd’hui à une situation de crise et qu’il offre les moyens aux entreprises de sauver l’essentiel c’est-à-dire l’emploi. La vérité, c’est que ces souplesses sont encadrées par une obligation de négocier. La vérité, c’est que cet accord consacre de nouveaux droits et de nouvelles garanties pour les salariés. La vérité, surtout, c’est que cet accord est la traduction d’un rapport de force à un moment T, qu’il correspond à une situation économique et que l’histoire sociale ne s’arrête pas ce soir.

Ce texte est une étape importante, un succès parce qu’il a permis de dépasser des blocages décennaux. Il appellera d’autres étapes, dès lors que nous savons respecter les résultats du dialogue social. Il appellera d’autres succès, dès lors que nous voulons bien comprendre que ce qui est négocié, ce qui est accepté, a plus de chance d’être appliqué que ce qui est imposé.

C’est une autre façon de concevoir les rapports sociaux. C’est celle de ce Gouvernement. Et, monsieur le ministre, je voulais, ce soir, vous en remercier. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte n’est pas dans la réalité. Sécurisation de l’emploi : quel drôle de titre pour un accord qui devait traiter de la compétitivité et pour un texte dont la commission des affaires économiques n’est même pas saisie pour avis !

Depuis le 6 mai 2012, François Hollande et le Premier ministre ont fait légiférer pour effacer toute trace du mandat de Nicolas Sarkozy. Ils ont donc fait sauter tous les freins destinés à limiter les effets de la crise. En refiscalisant les heures supplémentaires, ils ont bloqué la consommation. En augmentant tous les impôts, ils ont pulvérisé le pouvoir d’achat.

Tentant de défendre sa politique à l’Assemblée la semaine dernière, le Premier ministre nous a dit : « Je sais où je vais ». Eh bien, vous y êtes, monsieur le Premier ministre !

M. Michel Sapin, ministre. Je ne suis pas Premier ministre !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Plus besoin d’y aller, ni de chercher le chemin que vous avez rapidement su emprunter : vous êtes dans le mur et la France avec vous ! J’entends dire partout que nous allons dans le mur. C’est faux : nous l’avons bel et bien tapé.

Vous n’êtes pas dans la réalité, et les signataires de l’accord non plus. Mais cela fait quarante ans que nous avons pris le chemin du mur. Cela fait quarante ans que l’État français élabore des budgets en déficit. Cela démontre qu’on a perdu le bon sens paysan : éviter de dépenser plus que ce qu’on a gagné. On a imposé plus, taxé plus, malheureusement sans se soucier du retour productif de l’impôt et de la taxe.

À chaque fois que cela est apparu nécessaire, on a tiré les œufs au cul de la poule. On a sans cesse taxé, retaxé, voire surtaxé le travail et donc, petit à petit, alourdi le handicap de nos entreprises. Qui plus est, meilleures elles étaient, plus on augmentait leurs charges. Notre bon État français, confortablement installé dans notre belle capitale, siège central de notre beau patrimoine national, a oublié qu’une poule ne pond qu’à condition qu’elle soit bien nourrie, et régulièrement.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. On a commencé avec un âne, on va finir avec une poule !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ceux qui nourrissent la poule aux œufs d’or, ce sont bien ceux qui prennent des risques avec leur argent, qui hypothèquent leur maison pour gérer tout le système privé qui crée toute l’activité génératrice de richesses. Ce sont tous ceux qui entreprennent à leur compte, qu’ils n’aient aucun salarié ou qu’ils en aient plusieurs milliers, qu’ils soient artisans, commerçants, chefs d’entreprises, agriculteurs, professions libérales.

Sans prise de risques, pas de travail ; sans travail, pas d’emploi : il n’y a pas d’autre option dans le privé. C’est le chef d’entreprise devenu député qui vous le dit. On embauche quand on ne peut plus exercer tout seul l’activité qu’on a créée. Mais, parallèlement à cette activité qui crée la richesse, il faut structurer et organiser la société qui en consomme une partie. Ce sont tous nos services publics et parapublics utiles au bon fonctionnement de notre administration, de notre santé, de notre instruction, de nos solidarités et de notre cadre de vie. Ils fonctionnent, à condition que ce système public ne consomme pas plus que ce que produit le système privé.

Malheureusement, on n’a pas respecté ce bon principe dans nos ministères depuis quarante ans. On a embauché sans compter dans un système public qui s’est mis à organiser, à administrer, à réglementer, à s’autocontrôler, à s’autosatisfaire et, à la longue, à se couper des réalités.

En complexifiant ainsi le système, on a compressé la poule jusqu’à l’étouffer dans certaines filières qui ont complètement disparu. Dans les autres filières qui tiennent encore, la poule résiste, respire encore un peu, mais elle pond moins bien.

M. Christian Hutin. C’est Pâques !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le ministre, votre majorité votera le texte de cet accord conçu pour les très grosses entreprises et leurs salariés, mais pas pour les TPE-PME.

Le droit du travail en ressort encore plus complexe. Un article sur deux représente un surcoût pour les entreprises : les avocats sont assurés d’une belle charge de travail. Avec la complémentaire santé, les institutions de prévoyance se frottent les mains et pourront continuer à faire des dons aux œuvres sociales que sont les syndicats, par exemple.

L’accord d’entreprise contenu dans ce texte n’est pas celui que nous voulions, notamment pour les TPE-PME : un accord par entreprise qui prime sur le code du travail en fonction des spécificités de chacune.

La mobilité renforce un effet de seuil qui va freiner le passage d’une PME à la dimension d’une ETI. Sans une révolution des mentalités chez les électeurs, chez les élus, chez le législateur, chez le fonctionnaire, à Matignon et à l’Élysée, notre pays ne retrouvera pas sa compétitivité, qui consiste juste à pouvoir travailler lorsqu’il faut travailler.

Alors, ayons le courage de regarder la vérité en face en portant justement un regard bienveillant sur tous ceux qui entreprennent à leur compte – ce n’est pas le cas, ici. Ce n’est pas l’accord national interprofessionnel, ni ce texte de loi sur la sécurisation de l’emploi qui rendront plus compétitives nos petites et moyennes entreprises. La meilleure sécurisation de l’emploi, c’est d’abord de libérer le travail, dont l’emploi n’est que la conséquence logique.

Monsieur le ministre, dites, s’il vous plaît, au Président de la République et au Premier ministre qu’ils réagissent. On a tapé dans le mur. Il n’est plus temps de se demander si les secours vont arriver dans un camion bleu, blanc ou rouge. Votre texte sur la sécurisation de l’emploi n’a aucun sens, ou plutôt si : il ment aux salariés et aux chefs d’entreprise, alors même que la dépense publique est menacée parce que le travail quitte le territoire. Cela veut bien dire que le privé ne crée plus assez de richesses pour financer le public. Vous avez tout simplement oublié que c’est le travail qui crée l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord national interprofessionnel porté par François Hollande et notre gouvernement est une nouvelle illustration du changement pour un nouveau modèle économique et social, au service de la compétitivité des entreprises, de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés.

Une nouvelle méthode a été mise en place avec les partenaires sociaux : elle repose sur la concertation et la négociation. Il s’agit pour chacun de faire un pas en avant, pour aboutir à un accord qui rassemble et soit profitable à tous et à l’emploi.

Ce sont les germes d’une nouvelle approche des relations sociales qui ont été semés le 11 février. Aujourd’hui, nous, députés socialistes, proposons de respecter cette négociation en transposant l’accord national interprofessionnel dans le droit français.

En effet, cet accord a permis d’ouvrir à nouveau un dialogue social en berne, au niveau national mais aussi au niveau de chaque entreprise. La mutation de notre économie et la nécessaire capacité de nos entreprises à s’adapter sans passer systématiquement par la case « fermeture et licenciements » nous impose de redéfinir notre conception des liens sociaux dans l’entreprise.

Si l’entreprise est portée par ses dirigeants, elle ne prospère que par les compétences, le savoir-faire et la capacité d’adaptation de ses salariés. L’accord donne une nouvelle place aux salariés pour qu’ils soient mieux informés des stratégies de l’entreprise. Il leur permet d’être présents dans les conseils d’administration des grandes entreprises, mais aussi de disposer d’une base de données unique, accessible et actualisée en permanence.

C’est une culture de la confiance qu’il s’agit de bâtir, la seule qui permettra d’anticiper les évolutions.

Cet accord a le mérite de garantir aux salariés, notamment à ceux des PME, de nouveaux droits. Le plus emblématique est la garantie, pour les quatre millions de salariés qui, parfois, renonçaient aux soins, de bénéficier d’une complémentaire santé.

Mais mon propos concerne surtout la précarité et la flexibilité, qui seront désormais mieux encadrées. Dès juillet 2012, la grande conférence sociale indiquait que la négociation à venir comporterait un volet relatif à la lutte contre la précarité excessive du marché du travail.

Huit salariés à temps partiel sur dix sont des femmes et 25 % des salariés sont à temps partiel dans des entreprises de moins de dix salariés. L’objectif est d’améliorer le niveau de rémunération des salariés à temps partiel. Près d’un temps partiel sur trois est subi, faute de mieux. Cette forme d’emploi touche surtout les secteurs qui nécessitent peu de qualification.

L’accord prévoit une durée minimale de travail de vingt-quatre heures par semaine ; la rémunération du temps complémentaire sera majorée pour le salarié. Cette majoration incitera l’employeur à augmenter la base horaire contractuelle. Elle l’incitera également à améliorer l’organisation du temps de travail, en évitant les coupures trop nombreuses, et permettra ainsi au salarié de cumuler son emploi avec un autre temps partiel afin d’atteindre une durée de travail plus importante. C’est une avancée, même si cette règle peut donner lieu à des aménagements et n’est pas applicable aux salariés âgés de moins de vingt-six ans poursuivant leurs études.

Cette lutte contre la précarité se traduit également par la taxation des contrats courts. Ainsi, les contrats de moins de trois mois devront contribuer davantage aux cotisations chômage. Les contrats courts coûteront plus cher à l’employeur : c’est une incitation financière à la conclusion d’un CDI ou, à défaut, une incitation à l’allongement des CDD de courte durée. En contrepartie, une baisse des cotisations est prévue sur les embauches de jeunes de moins de vingt-six ans en CDI. Cette mesure contribue, avec les emplois d’avenir et les contrats de génération, à intégrer durablement les jeunes dans le monde du travail.

La précarité est une caractéristique de notre marché du travail, elle se traduit aussi par une alternance de périodes d’emploi et de chômage : des allers-retours qui ne sont pas suffisamment pris en compte par les modalités d’indemnisation. Ce texte améliore l’indemnisation des personnes qui ont ce type de parcours. Le nombre de ces actifs s’est développé depuis dix ans et constitue aujourd’hui une part importante des inscrits à Pôle Emploi.

Les droits à l’assurance chômage non utilisés avant la reprise d’un éventuel travail seront maintenus, l’objectif étant bien d’encourager la reprise d’emploi, d’éviter le risque d’un éloignement durable du marché du travail et d’inciter à la reprise d’un emploi avec l’espoir d’une meilleure indemnisation si une nouvelle perte d’emploi devait intervenir.

Dans ce contexte de mutation de notre économie et d’une nécessaire adaptabilité de nos entreprises, ce texte incite très fortement à la reprise du dialogue entre employeurs et salariés.

Un accord entre les partenaires sociaux ne peut donner entière satisfaction à toutes les parties ; il s’agit nécessairement d’un compromis équilibré. Ce compromis est un progrès qui en appellera d’autres, j’en forme le vœu. Il invite à promouvoir la discussion dans l’entreprise, à assurer la transparence des informations et à favoriser la reconnaissance de la place de chacun, notamment celle des représentants du personnel dans l’entreprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Kheira Bouziane.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le rapporteur, je tiens tout d’abord à saluer le travail que vous avez fourni depuis plusieurs mois, sans ménager vos efforts.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça devient suspect.

Mme Kheira Bouziane. Oui, mes chers collègues. Vous avez peut-être pris le train en marche, mais reconnaissez qu’il a beaucoup travaillé.

Vous avez conduit avec détermination de nombreuses auditions, pour que l’examen de la transposition et du prolongement de l’accord national interprofessionnel dans le projet de loi soit constructif. Vous avez su prendre en considération les inquiétudes et les attentes de l’ensemble des partenaires sociaux, ainsi que celles des parlementaires, pour amender ce projet de loi.

M. Olivier Audibert Troin. Si ce n’est pas de l’amour, ça y ressemble !

Mme Kheira Bouziane. Le texte qui nous a été présenté devait et doit faire l’objet d’amendements, afin de remédier aux flous et aux ambiguïtés parfois relevés par les signataires eux-mêmes.

Inscrite dans la feuille de route de la grande conférence sociale de juillet 2012, cette négociation interprofessionnelle sur la sécurisation de l’emploi se traduit désormais dans ce projet de loi dont l’objectif ambitieux est de lutter contre la précarité du travail, d’anticiper les mutations économiques et de rechercher des solutions collectives pour sauvegarder l’emploi.

Nous examinons donc aujourd’hui un texte censé relever le défi de la sécurisation de l’emploi et apporter de nouveaux droits aux salariés.

Les partenaires sociaux – même les non-signataires – se sont engagés et, en participant à la négociation, se sont voulus acteurs du changement, même si l’on peut toujours regretter que l’accord n’ait pas été signé par deux syndicats dont l’importance est incontestable.

Ce projet de loi, comme il a été déjà dit plusieurs fois, crée de nouveaux droits, individuels et collectifs, pour les salariés.

Monsieur le ministre, je ne doute ni de votre volonté de trouver des solutions au problème de l’emploi, préoccupation majeure de nos concitoyens, ni de votre sincérité lorsque vous dites qu’avec ce projet de loi, vous êtes venu proposer du sens, une lueur d’espoir et des armes contre le chômage. Cependant, un certain nombre de dispositions restent en question ; des amendements devraient contribuer à apporter des réponses et à combler les manques.

Je voudrais évoquer le rôle du droit du travail, qui organise les relations de travail et notamment la protection des salariés, partie faible dans le contrat. Je crains que l’accord ne déplace le niveau auquel est définie la norme régissant les relations de travail. En effet, le projet de loi, comme l’ANI, modifie et remet en cause les dispositions d’ordre public du droit du travail qui garantissent un socle minimum de droits et de protection pour les salariés. Dans le projet de loi, l’accord collectif prend le pas sur le contrat de travail, dont la protection est remise en question.

Par certaines dispositions, ne risque-t-on pas de vider le contrat de ses éléments essentiels ? L’absence de contrôle en amont du motif économique et les procédures vont-elles vraiment dans le sens d’une plus grande sécurisation des salariés ? Les nouvelles règles régissant la prescription de l’action en justice ne seront-elles pas préjudiciables aux droits des salariés ?

Concernant la « sécurisation » de l’emploi, qu’en est-il en matière de licenciement collectif pour motif économique ? Les délais, qui varient entre deux et quatre mois selon le nombre de licenciements envisagés, seront-ils suffisants pour trouver la meilleure solution, pour l’entreprise et pour les salariés ?

Le projet de loi vise à accroître le contrôle par l’administration des procédures applicables, ce dont on peut se féliciter, mais ce transfert de compétences va modifier les règles du procès. Le débat judiciaire ne mettra plus en présence, d’un côté, les salariés et leurs représentants, et, de l’autre, l’employeur qui aura décidé une restructuration et la suppression d’emplois. Ce dernier se retrouvera dans un rôle d’acteur de second plan dans un débat judiciaire qui le concerne en premier lieu.

D’autres sujets de préoccupation ont été évoqués par mes collègues ; quant à moi, je m’en tiendrai là. Tout en respectant le principe de démocratie sociale, les députés du groupe auquel j’appartiens ont travaillé à enrichir le projet de loi, pour garantir l’équilibre de l’accord en veillant à la protection des droits des salariés, partie la plus faible dans le contrat de travail. C’est le rôle du parlementaire de faire la loi. Évaluation et contrôle de ces nouvelles dispositions seront nécessaires pour vérifier que les objectifs fixés sont bien atteints. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez aujourd’hui reprend exactement le même principe que les accords compétitivité-emploi du précédent gouvernement, accords qui avaient été condamnés en son temps avec force par l’actuel Président de la République.

M. Michel Sapin, ministre. Nous devrons nous expliquer de nouveau !

M. Gilles Lurton. J’ajoute qu’un tel accord n’aurait pu être envisagé sans la loi Larcher du 31 janvier 2007 sur la modernisation du dialogue social. Sur la base de cette loi, en effet, le gouvernement Fillon avait défini le principe général d’un accord collectif pour diminuer ou augmenter le temps de travail en fonction des besoins de l’entreprise. Ce sont aujourd’hui ces accords compétitivité-emploi, rebaptisés « accords de maintien dans l’emploi », que nous examinons : une sémantique différente pour un même principe.

Ces quelques points rappelés, je reconnais dans la méthode employée une nouvelle étape de la démocratie sociale, qui ne peut cependant se soustraire au rôle du Parlement et à son pouvoir d’amender.

Dans un contexte de crise grave, devant un taux de chômage record depuis 1997, cet accord me semble aller dans la bonne direction. Son objectif est de permettre aux entreprises, syndicats et chefs d’entreprises de mieux anticiper et préparer les évolutions tout en préservant l’emploi.

Je soutiens ainsi les dispositions concernant les accords de maintien dans l’emploi. Elles s’imposeront au contrat de travail et, en cas de refus de la diminution du temps de travail et de la rémunération du salarié, la rupture du contrat de travail sera sous forme d’un licenciement économique pour cause réelle et sérieuse.

Les dispositions sur la mobilité au sein des entreprises constituent également une innovation intéressante qui sécurisera le développement de cette pratique.

La création de droits rechargeables en cas de retour à l’emploi pendant une période de chômage me paraît être une réelle avancée pour des demandeurs d’emploi, sous réserve qu’elle n’augmente pas le déficit de l’UNEDIC.

Cet accord, qui manifeste l’esprit de responsabilité de l’ensemble des signataires, doit donc être salué pour ses avancées. Aussi notre volonté sera-t-elle de ne pas le dénaturer au cours de la discussion, mais de le perfectionner, afin que cet outil remplisse pleinement son objectif d’amélioration de l’emploi. Pour autant, il me paraît grandement insuffisant au regard de la gravité de la situation économique de notre pays.

Le texte introduit la généralisation de la complémentaire santé pour l’ensemble des salariés, quatre millions et demi d’entre eux n’étant pas couverts actuellement. Les partenaires sociaux avaient privilégié la liberté de choix de l’entreprise assurantielle.

M. Michel Sapin, ministre. Non !

M. Gilles Lurton. Or, le projet de loi comporte une disposition contraire à ce principe en prévoyant la possibilité d’une clause de désignation pour le choix de l’assureur. Celle-ci aura inévitablement pour effet d’imposer un opérateur aux entreprises d’une même branche et de faire perdre à toute une série de mutuelles moins importantes les parts de marché auxquelles elles pouvaient jusqu’alors prétendre. Ce sont 30 000 emplois qui sont ainsi menacés, loin de l’objectif recherché !

Mon temps de parole étant limité, je souhaite mettre l’accent sur un point concernant la taxation des contrats courts. En effet, des exemples récents nous montrent que certaines entreprises, parfois publiques, ont pu abuser de ce type de contrat, mais il ne faudrait pas non plus les empêcher de recourir à ces contrats à durée déterminée pour des remplacements ou pour des périodes saisonnières. C’est aussi un moyen de permettre à des personnes de retrouver du travail.

Nous devrons aussi être vigilants sur l’article 8, qui prévoit la durée minimale d’activité de vingt-quatre heures hebdomadaire pour les contrats à temps partiel. Cette mesure est totalement inappropriée à certaines catégories de professions, comme celle des services à la personne.

Ce texte n’est donc pas suffisant pour la restauration de notre compétitivité. Il ne bénéficiera pas aux demandeurs d’emploi, puisqu’il vise surtout à éviter à ceux qui en ont un de le perdre. Pour créer de nouveaux emplois, il faudra accepter de faire sauter d’autres barrières, qui entravent depuis trop longtemps notre marché du travail.

Je forme le vœu que cet accord y contribue, mais malheureusement votre Gouvernement, en supprimant la défiscalisation des heures supplémentaires, a lourdement porté atteinte à cette relance. Par cette décision, vous avez découragé bon nombre de salariés, souvent modestes, qui trouvaient dans les heures supplémentaires un moyen d’améliorer leur pouvoir d’achat.

Nous sommes dans une opposition constructive, soucieux que nous sommes de voir redémarrer notre économie et d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. C’est notre préoccupation principale. C’est en tout cas ma préoccupation principale.

Les partenaires sociaux sont parvenus le 11 janvier dernier à un équilibre difficile à trouver. Il nous appartient aujourd’hui de retranscrire dans la loi cet équilibre global.

Si nous souhaitons que la méthode perdure, que le dialogue social engagé se poursuive, il est important de respecter leur travail.

Vous nous avez dit, monsieur le rapporteur, votre volonté de poursuivre la concertation avec les partenaires sociaux tout au long de ce débat. Pour ma part, j’ai également été informé par les syndicats signataires de leur volonté que nous respections l’accord.

Mon vote dépendra donc de la capacité du Parlement à ne pas dénaturer ce texte, mais à accepter un certain nombre d’amendements susceptibles de l’améliorer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Guedj.

M. Jérôme Guedj. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, à cette heure avancée de la nuit et au terme d’une journée pour le moins éprouvante pour tous ceux qui ont chevillés au corps le souci de la chose publique et le service désintéressé et loyal de l’intérêt général, je renonce pour partie à mon intervention initiale, que je voulais documentée et précise sur les avancées – il y en a – de cet accord et de ce projet de loi, et sur les zones d’incertitude et d’inquiétude – et il y en a aussi.

Plusieurs interventions dans la discussion générale attestent, monsieur le ministre, de la volonté d’obtenir des éclaircissements, des précisions et peut-être aussi des avancées et des améliorations – terme qui est revenu à plusieurs reprises dans la bouche de certains d’entre nous. En exprimant ces attentes, ces espérances, nous sommes les porte-voix de tant de salariés qui suivent avec intérêt ce qui se noue ici.

Je préfère, dans ce temps suspendu de la nuit profonde, poser quelques jalons, définir quelques marqueurs du débat à venir.

D’abord, nous pourrions discuter sans fin de la légitimité de cet accord, de la force que lui conférerait sa dimension majoritaire incontestable. Mais ce n’est pas le débat, ce n’est plus le débat. Nous entendons, c’est une évidence, le message des partenaires sociaux signataires de l’accord. Reste que nous tenons compte aussi de ce que nous disent les non-signataires, et pour cause : nous ne sommes pas, ici, nous, membres de la représentation nationale, les greffiers d’une minorité ou d’une majorité de salariés, nous sommes le législateur de 100 % des salariés car nous sommes les garants de l’intérêt général, de l’esprit et de la lettre du code du travail, de ce gros livre rouge tant décrié, tant honni, tant méconnu et pourtant si essentiel, si précieux, si intime, si indispensable dans le quotidien de 18 millions de salariés.

Je disais « décrié » : il suffit de se rappeler les propos hallucinants de celle qui, encore présidente du MEDEF, assénait sans rire il n’y a pas si longtemps que la liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail. Pourtant, ce code est essentiel pour corriger le déséquilibre intrinsèque à la relation de travail, au contrat de travail, au lien de subordination juridique. « Entre le fort et le faible […], c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »

M. Michel Sapin, ministre. Et ce sont les organisations syndicales qui protègent !

M. Jérôme Guedj. Nous avons besoin de la loi protectrice. C’est celle que nous voulons construire. C’est celle que nous devons faire avancer à partir des points d’appui solides qui se trouvent dans le texte. Personne ne conteste ici que, par rapport à l’ANI, le texte qui nous est soumis, vous l’avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, comporte déjà des enrichissements, des améliorations, des précisions nécessaires.

Il est tout autant nécessaire pour nous tous de ne pas nous laisser éblouir par l’apologie de l’équilibre intrinsèque du projet et de l’examiner article par article, alinéa par alinéa, afin de déterminer s’il répond à l’exigence première : renforcer la protection des salariés et la sécurisation de l’emploi – termes composant l’intitulé même du texte.

C’est ce qui nous a conduits, pour ce qui est de la méthode, à soutenir le travail collectif que nous avons mené. Je salue à mon tour le rôle essentiel du rapporteur Jean-Marc Germain, véritable animateur de notre réflexion et parfois aussi mateur de l’ANI (Murmures sur les bancs du groupe SRC), dompteur des chausse-trappes qui pouvaient figurer dans le texte.

Nous avons d’ores et déjà soumis des amendements sur les accords de maintien dans l’emploi, sur l’information et l’utilisation du crédit d’impôt compétitivité-emploi, sur le nécessaire renforcement de la présence des salariés dans l’entreprise, sur un encadrement et une protection des travailleurs et notamment des travailleuses à temps partiel, sur des garanties plus fortes en matière de mobilité, sur l’incongruité, qui nous surprend tous, de la mesure relative aux délais de prescription ou au barème de conciliation. Certaines de nos propositions ont été adoptées en commission. J’espère que le débat qui s’ouvre nous permettra collectivement de nous placer dans la grande lignée de tous ceux qui, à l’instar de Jean-Baptiste Lebas avec Léon Blum, de Jean Auroux avec Pierre Mauroy, ou de Martine Aubry avec Lionel Jospin, ont construit, renforcé et consolidé ce grand et beau code du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, je souhaite tout d’abord répondre à notre collègue Xavier Bertrand qui soutenait tout à l’heure que nous ne pouvions pas amender ce texte, nous, députés socialistes. Non, monsieur Bertrand, ce droit n’a pas été dénié aux députés socialistes. Pour preuve, près de 90 amendements du groupe SRC ont d’ores et déjà été adoptés par la commission des affaires sociales, et pas des moindres : je pense en particulier à l’article 12 du texte, qui intègre désormais la notion de proportionnalité des efforts des actionnaires autant que des salariés pour les plans de maintien de l’emploi.

Non, ni la primauté du politique ni la primauté de la loi ne seront remises en cause par la future constitutionnalisation du dialogue social. Il est en effet absurde d’enfermer démocratie sociale et démocratie politique dans une logique d’opposition alors qu’il faut se placer dans une logique d’enrichissement et de renforcement. Car, oui, la loi sera d’autant plus forte et plus grande qu’elle pourra s’appuyer sur celle du dialogue social.

Le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi illustre une conception renouvelée du dialogue social, placée sous le sceau du respect et de la confiance.

François Hollande avait tracé le chemin. Fini les décisions unilatérales, fini la stigmatisation des corps intermédiaires et des forces syndicales. Nous faisons, au contraire, retour vers un principe fondateur d’une démocratie sociale française moderne : le choix de la concertation et de la négociation entre partenaires sociaux.

Dans la crise que nous traversons, il est essentiel que les partenaires sociaux se mobilisent pour construire ensemble une société plus sûre, moins précaire, où retrouver le chemin de l’emploi et de la croissance.

Ils l’ont fait. À l’automne dernier, la grande conférence sociale a permis de partager le constat qu’on ne pouvait plus continuer ainsi, avec un chômage de masse qui ronge la France, pousse les quartiers vers la marginalité sociale, et avec la précarité qui assèche les territoires ruraux et fragmente le lien social. Un grand quotidien évoque le nombre de près de 9 millions de Français touchés à un titre ou un autre par cette gangrène. Et que dire des travailleurs précaires, le plus souvent des travailleuses, payés quelques heures à temps partiel, qui craignent pour leur couverture santé, qui craignent la fin du CDD et le retour au non-emploi ?

Alors, chers collègues, si le mot politique a un sens, notre devoir d’élus est de tout engager pour faire reculer le chômage et la précarité. Or, contrairement à ce que pensent les plus défaitistes et les déclinistes de tout poil, non, tout n’a pas été essayé contre le chômage.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est Mitterrand qui disait cela, pas nous !

M. Sébastien Denaja. Pour réussir, nous avons besoin d’une mobilisation générale de tous les acteurs ; c’est le sens de la démarche du Gouvernement, que nous devons soutenir.

Le texte issu de la négociation entre partenaires sociaux est maintenant entre nos mains pour examen et amélioration.

La commission des affaires sociales a déjà beaucoup travaillé, je l’ai dit, et je souhaite, comme mes collègues avant moi, souligner le remarquable travail du rapporteur Jean-Marc Germain et l’éthique de la discussion qui a guidé le travail des parlementaires socialistes : respecter et consulter l’ensemble des partenaires sociaux, signataires comme non-signataires.

Allons-nous changer la vie quotidienne d’un grand nombre de Français en votant ce projet de loi ? Je le pense, car le texte comporte de réelles avancées. Nous allons permettre à près de 400 000 Français qui en sont aujourd’hui privés d’accéder à une couverture complémentaire. Nous bâtissons un nouveau droit fondamental en créant un compte personnel de formation. Nous inscrivons dans la loi le concept de droits rechargeables à l’assurance chômage – et dans une région touristique comme la mienne, ce sera une avancée importante pour les travailleurs saisonniers. Dans le même esprit, la fixation d’une durée minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures limitera les contrats partiels subis – par les femmes, le plus souvent, qui ne bénéficiaient pas, la plupart du temps, de couverture chômage, de droits à la santé, de droits à la formation. Enfin, la réforme du dispositif national de chômage partiel peut être un outil efficace pour éviter la destruction d’emplois : nos voisins allemands, qui ne sont pas toujours des modèles, ont sauvé des centaines de milliers d’emplois grâce à des outils similaires.

M. Jean-Frédéric Poisson. Tout à fait !

M. Sébastien Denaja. Je n’allongerai pas cette liste mais, pour conclure, j’insisterai sur un point : les salariés vont désormais être représentés dans les conseils d’administration de 200 grands groupes représentant près de 4 millions de salariés. Je compte sur ces nouveaux administrateurs pour être vigilants sur la bonne utilisation du CICE et sur les rémunérations des actionnaires par dividendes. Permettez-moi sur ce point de souhaiter que nos débats permettent encore d’envisager une composition des conseils d’administrations qui tende vers la parité. Cela sera un pas de plus en faveur de l’égalité réelle entre hommes et femmes.

Mais j’ai confiance, monsieur le ministre, car je sais que le travail d’amélioration du texte va se poursuivre dans un esprit constructif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Audibert Troin, dernier orateur inscrit.

M. Olivier Audibert Troin. Les derniers seront les premiers.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le meilleur pour la fin !

M. Olivier Audibert Troin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, le dialogue social constitue un levier essentiel de la performance des entreprises. C’est en améliorant son fonctionnement et sa qualité au plus près du terrain qu’on peut espérer parvenir à sortir les relations sociales françaises de leur situation de blocage permanent.

Sur tous les bancs, tous s’accordent à dire combien ces blocages sont une singularité française dont on se passerait bien. En témoigne le nombre impressionnant de rapports produits sur la question : une petite vingtaine depuis 2005, soit pratiquement trois par an, émanant de toutes les parties prenantes de la société : État, partenaires sociaux, politiques, think tanks, institutions internationales…

Malgré le diagnostic qui s’en dégage, la qualité du dialogue social laisse toujours à désirer en France. Ces relations dégradées entraîneraient ainsi, selon certains économistes, la perte de plusieurs points de croissance.

Le dialogue social est donc à la recherche d’un nouveau souffle permettant à la fois d’arrêter l’hémorragie de la syndicalisation dans le monde salarié – à peine 7 à 8 % au total et moins de 5 % dans le secteur privé, contre 25 % dans les années 1970 – et d’écrire les nouveaux principes sur lesquels le dialogue social pourrait se refonder.

Le texte que vous nous présentez aujourd’hui pourrait donc être considéré comme l’acte de la refondation sociale que nous appelons tous de nos vœux. Je n’irai pas jusqu’à dire, monsieur le ministre, comme vous l’affirmiez ici même cet après-midi, qu’il s’agit d’un texte historique, même s’il s’agit d’un texte fondateur, fruit de quatre mois de négociations intenses, issu de séquences de négociations interprofessionnelles ambitieuses et soutenues.

Après le temps du dialogue social vient donc aujourd’hui le temps, tout aussi essentiel, de la transcription de cet accord dans la loi, son complément nécessaire. Ce qu’induit ce texte, ce sont donc les prémices d’une culture différente dans laquelle la négociation se substitue à l’affrontement. La confiance envers les partenaires sociaux est renouvelée, mais elle est aussi encadrée.

Sur la forme, la méthode ne peut que recueillir l’assentiment de tous. Enfin presque.

Ce texte traduit d’ailleurs la volonté de dialogue social défendue par notre famille politique – on l’a déjà évoqué à plusieurs reprises –, notamment à travers la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, dite loi Larcher. À cet égard, il convient de rappeler que cet accord est le quatorzième depuis l’entrée en vigueur de cette loi, ce qui enlèvera, monsieur le ministre, un peu lustre au caractère historique de l’accord que vous évoquiez tout à l’heure.

M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !

M. Olivier Audibert Troin. Enfin, et toujours sur la forme, nous avons été très sensibles aux propos du Président de la République, qui soulignait, jeudi dernier, évoquant cet accord national interprofessionnel : « L’accord, tout l’accord, rien que l’accord. »

Comment pourrait-il en être autrement ? Dès lors que l’on a confié aux partenaires sociaux la responsabilité d’une grande négociation sur la sécurisation de l’emploi, il convient de respecter et de retranscrire fidèlement l’accord ainsi trouvé.

Malheureusement, ces avancées, qui font de notre pays une démocratie moderne et apaisée, ne font pas l’unanimité. C’est le moins qu’on puisse dire : sur la gauche de cet hémicycle, nombre de députés alliés à l’extrême gauche refusent ce climat apaisé et consensuel, préférant la confrontation et le refus de toute négociation sérieuse.

Il suffisait d’ailleurs d’entendre cet après-midi Jacqueline Fraysse nous expliquer, au nom du Front de gauche, que son rôle n’était pas d’encadrer, mais de combattre cet accord, ou encore que cet accord portait un coup fatal à la négociation de branche.

C’est d’ailleurs la fracture idéologique – ou le péché originel – des communistes et de l’extrême gauche que de penser que le dialogue social pourrait trouver son âge de raison, comme au sortir de la guerre froide, avec des négociations de branche ultra-centralisées aux mains d’une grande centrale syndicale.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Comme en Allemagne.

M. Olivier Audibert Troin. Or le principe fondamental du dialogue social veut que celui-ci soit envisagé à partir de l’entreprise, en cohérence avec la réforme de la représentativité syndicale du 20 août 2008.

Les négociations au niveau de la branche professionnelle et au niveau national interprofessionnel doivent présenter un caractère subsidiaire, préservant la capacité d’initiative et d’expérimentation au niveau de l’entreprise. L’entreprise reste en effet le lieu privilégié de toute négociation ; d’ailleurs, bon nombre d’accords conclus au niveau national ou au niveau de la branche renvoient fréquemment, pour leur application, à une négociation d’entreprise.

Puisque le dialogue social doit être envisagé à partir de l’entreprise, nous ne pouvons accepter que, dans votre texte – contrairement d’ailleurs à la volonté affichée par le Président de la République –, l’accord initial concernant la généralisation de la complémentaire santé à l’ensemble des salariés ait été modifié et enlève la possibilité à l’entreprise de faire le choix de son assureur.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous faites une lecture très sélective du texte !

M. Jean-Frédéric Poisson. Comme vous, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Il faut tout lire, même les codicilles !

M. Olivier Audibert Troin. En privilégiant la clause de désignation, vous ne respectez pas la volonté des signataires de l’accord, d’une part, et vous privez l’entreprise d’une liberté de choix, élément indispensable à la bonne marche du dialogue social et gage de compétitivité, d’autre part.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. La fin de votre intervention contredit le début.

M. Olivier Audibert Troin. La recherche d’une mutualisation ne suffit pas à justifier l’existence d’une clause de désignation ; ce serait méconnaître les principes assurantiels en vigueur dans notre pays. Il faut donc tout à la fois laisser aux entreprises la liberté de choisir l’assureur et prévoir un panier de soins de qualité…

Mme la présidente. Merci.

M. Olivier Audibert Troin. …de façon à garantir que le contrat complémentaire proposé ne soit pas un contrat de second ordre.

Mme la présidente. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Olivier Audibert Troin. Je conclus.

Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, la position de notre groupe dépendra de l’accueil que vous réserverez à nos amendements et des modifications que vous aurez acceptées.

Le risque est de voir le texte totalement dénaturé par des principes idéologiques. Soyez assuré que les députés du groupe UMP, conscients du risque que représente cette dérive pour l’avenir du dialogue social, seront vigilants quant au respect de l’esprit de l’accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, mercredi 3 avril à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Suite du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 3 avril 2013, à deux heures vingt.)