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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 23 janvier 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Desserte aérienne de la Guyane

M. Gabriel Serville

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche

Pacte pour l’artisanat

Mme Jeanine Dubié

Mme Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme

Réforme de l’école

M. Jacques Lamblin

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative

Situation au Mali

M. Jean Glavany

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Fuite de gaz à Rouen

Mme Isabelle Attard

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Rythmes scolaires

M. Patrick Hetzel

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Rythmes scolaires

M. Michel Zumkeller

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative

Mariage entre personnes de même sexe

Mme Véronique Louwagie

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Commémoration du traité de l’Élysée

Mme Élisabeth Guigou

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes

Intervention de la France au Mali

M. Guy Teissier

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Plan de lutte contre l’exclusion et la pauvreté

Mme Hélène Geoffroy

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Réforme territoriale

M. Olivier Marleix

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Violences urbaines à Mulhouse

M. Francis Hillmeyer

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Situation de l’artisanat

M. Rémi Delatte

Mme Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme

Installation d’éoliennes en mer

Mme Sylviane Bulteau

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Suspension et reprise de la séance

Présidence de M. Denis Baupin

2. Contrat de génération

Explications de vote

M. Christophe Cavard, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Jacqueline Fraysse, Mme Kheira Bouziane, M. Gérard Cherpion, M. Arnaud Richard

Vote sur l’ensemble

3. Situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière

Explications de vote

M. Marc Dolez, M. Jean Grellier, M. Éric Straumann, M. Franck Reynier, M. François de Rugy, Mme Jeanine Dubié

Vote sur la demande de création de la commission d’enquête

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques

Suspension et reprise de la séance

4. Débat sur les politiques industrielle et commerciale européennes

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes

Mme Seybah Dagoma

Mme Nicole Bricq, ministre

M. Dino Cinieri

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

M. Thierry Benoit

Mme Nicole Bricq, ministre

M. François de Rugy

Mme Nicole Bricq, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Mme Nicole Bricq, ministre

M. André Chassaigne

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Mme Nicole Bricq, ministre

M. Razzy Hammadi

Mme Chantal Guittet

Mme Marietta Karamanli

Mme Monique Rabin

Mme Marie-Françoise Bechtel

M. Michel Liebgott

M. Jean Lassalle

Mme Nicole Bricq, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Desserte aérienne de la Guyane

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre des transports.

Récemment le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif de défiscalisation outre-mer pour rupture d’égalité devant les charges publiques. Nous pourrions faire une longue liste des domaines dans lesquels ce principe d’égalité ne correspond à aucune réalité dans les outre-mer. En matière d’éducation, d’investissements, d’infrastructures publiques, d’accès à la santé et au logement, la rupture d’égalité de traitement est vécue quotidiennement par nos concitoyens.

En matière de transport, cette rupture d’égalité devient même alarmante. Le prix du billet d’avion entre la métropole et certains départements et territoires d’outre-mer, notamment la Guyane, constitue une entrave au développement. Ce prix exorbitant, quelle que soit la période de l’année, y compris en classe économique, décourage la mobilité des individus, notamment des plus jeunes. À titre d’exemple, un aller-retour en classe économique aux périodes où les familles ont besoin de voyager avoisine les 1 500 à 2000 euros. Comment, dans ces conditions, faire vivre le principe d’égalité ?

De tels prix découragent l’activité économique et ne sauraient contribuer au désenclavement d’un territoire aux potentialités pourtant innombrables. Il n’est pas acceptable que le développement de la Guyane soit si lourdement entravé.

Le principe de liberté de commerce ne peut suffire à justifier cette situation dès lors qu’il se trouve en contradiction même avec la liberté de circulation des Guyanais, leur liberté d’entreprendre, leur droit à l’éducation et l’exercice plein de leur citoyenneté.

La réponse étant à la fois d’ordre économique et politique, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles actions vous comptez mettre en œuvre et nous préciser quelles contreparties l’État envisage pour modérer le prix du billet, notamment entre Paris et Cayenne, et donc endiguer la rupture d’égalité de traitement entre les citoyens de l’hexagone et ceux de la Guyane ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, je tiens tout d’abord à vous assurer que la desserte de l’outre-mer est pour le Gouvernement une préoccupation majeure, d’autant qu’elle constitue un élément essentiel de la continuité territoriale. Il a ainsi décidé d’instaurer une dotation de continuité territoriale et proposé aux collectivités une dotation financière destinée à des réductions tarifaires tenant compte de considérations sociales, au bénéfice des étudiants, des chômeurs ou des familles à bas niveau de revenus. Ce dispositif vient se substituer au financement direct de certaines lignes opérées par des transporteurs aériens. Par ailleurs, nous avons à cœur de garantir aux différentes compagnies l’attribution de créneaux horaires qui permettront d’assurer cette continuité territoriale.

Cependant, vous avez raison de souligner que certains prix peuvent apparaître structurellement très élevés alors même que la présence de compagnies différentes pourrait laisser supposer un effet vertueux de la concurrence. C’est pourquoi, avec Victorin Lurel – à qui nous adressons un message de sympathie –, nous avons à cœur qu’un observatoire soit créé.

La loi LODEOM, de 2009, prévoyait que les compagnies aériennes bénéficiant de subventions rédigent un rapport sur la structuration de leurs tarifs pour les liaisons avec l’outre-mer. Le précédent gouvernement ne l’a jamais exigé d’elles. Pour notre part, nous souhaitons que d’ici au 31 juillet, nous disposions d’un rapport extrêmement précis sur les conditions tarifaires en vigueur, comme l’article 2 de la loi du 20 novembre 2012 le prévoit. Comme vous le savez, monsieur le député, le Gouvernement s’est engagé dans une politique très forte de lutte contre la vie chère en outre-mer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Pacte pour l’artisanat

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Ma question s’adresse à Mme la ministre du commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Madame la ministre, en pleine bataille contre le chômage, l’artisanat et le commerce de proximité sont l’un des pivots non négligeables de la relance économique du pays.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Première entreprise de France, l’artisanat a un poids économique conséquent : plus de trois millions d’actifs, et plus d’un million de petites entreprises. Autant dire que ce secteur est vital pour notre économie ainsi que pour nos territoires ruraux et urbains, qu’il dynamise, car ces emplois ne sont pas délocalisables. De plus, en offrant des services de proximité au plus près de la population, il contribue à maintenir du lien social, si utile aujourd’hui.

Toutefois, ce secteur n’est pas épargné par la crise. La situation des entreprises artisanales devient de plus en plus préoccupante car, à l’image d’autres secteurs, elles enregistrent une baisse d’activité. C’est le cas notamment dans le bâtiment, les travaux publics ou la petite hôtellerie restauration. Elles font aujourd’hui face à des difficultés croissantes : difficultés de trésorerie, frein à la reprise et à la transmission. En outre, et c’est l’un des paradoxes, ce secteur est en souffrance d’emplois puisque l’on estime actuellement à 50 000 le nombre de postes annuels à pourvoir, faute de main-d’œuvre qualifiée.

Ce secteur mérite une attention soutenue de la part du Gouvernement. Un vrai travail doit être mené pour valoriser ces métiers, certes difficiles et exigeants, mais qui offrent de réelles perspectives en termes de carrières et de rémunérations pour les jeunes.

L’artisanat est un gisement d’emplois important, alors même que le chômage atteint des records, en particulier pour les moins de 25 ans, premières victimes de la crise, avec un taux de 24 %.

Il en va des emplois de notre jeunesse et de la croissance économique de demain. Madame la ministre, pouvez-vous nous expliquer en quoi le pacte pour l’artisanat, présenté ce matin en Conseil des ministres, permettra de créer des emplois et de participer à la lutte contre le chômage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme.

Mme Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme. Madame la députée Jeanine Dubié, vous m’interrogez sur le pacte pour l’artisanat.

Vous avez rappelé les chiffres-clés et l’importance de ce secteur pour l’économie de notre pays. En effet, ces petites entreprises sont une chance pour l’économie sur l’ensemble de nos territoires : que ce soit dans les quartiers ou dans les zones rurales, elles jouent en rôle essentiel.

C’est la raison pour laquelle, à côté du pacte de compétitivité, le Gouvernement a choisi de présenter ce pacte pour l’artisanat. Il s’agit d’accompagner de manière spécifique ces chefs d’entreprises et répondre à leurs préoccupations, tout en portant une attention particulière à l’emploi des jeunes.

Vous avez en effet raison de rappeler ce paradoxe : 50 000 postes restent non pourvus dans des métiers en tension, comme les métiers de bouche, le bâtiment ou l’artisanat de production industrielle. Nous devons donc inciter les jeunes à se diriger vers ces filières d’avenir.

Nous mènerons avec les professionnels des actions de communication, en liaison avec les chambres de métiers et de l’artisanat. Nous inciterons aussi à la rénovation de l’orientation, dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école que Vincent Peillon a présenté aujourd’hui en Conseil des ministres, afin que l’orientation ne soit plus réalisée par défaut mais choisie.

Enfin, nous consentirons un effort particulier en faveur de la transmission d’entreprises. En effet, 30 000 entreprises ne sont aujourd’hui pas reprises. Il s’agit là aussi d’un vivier important pour la création d’emplois. Le contrat de génération sera un outil indispensable, tout comme le kit d’information sur la transmission que nous diffuserons aux chefs d’entreprises atteignant les 57 ans.

Enfin un service mutualisé au niveau national permettra d’accompagner les entreprises, mais aussi et surtout de gagner notre bataille contre le chômage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Réforme de l’école

M. le président. La parole est à M. Jacques Lamblin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jacques Lamblin. Je m’adresse à M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, pour lui poser deux questions.

La première est de dimension régionale. La Lorraine est la seule région de France à perdre des postes à la rentrée 2013. Une fois passée la satisfaction fugace de voir les élus socialistes lorrains atterrés par votre décision, je voudrais vous demander ce que les enfants de Lorraine ont fait au Gouvernement pour être victimes d’une telle exclusion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Roman. Intéressez-vous donc à toutes les régions !

M. Jacques Lamblin. Ma seconde question est de dimension nationale. Elle a trait à l’aménagement des rythmes scolaires.

Je fais partie des maires qui, au départ, regardaient avec la plus grande bienveillance le principe d’une réforme de l’enseignement primaire, comprenant, entre autres, un aménagement des rythmes scolaires. Mais force est de constater qu’aujourd’hui rien ne va plus, monsieur le ministre.

Rejet du projet par le Conseil supérieur de l’éducation ; rejet du projet par le Comité technique ministériel ; rejet du projet par la Commission d’évaluation des normes ; rejet du projet par les enseignants et leurs syndicats ; rejet du projet par vos amis – je cite le peu charitable Jean-Christophe Cambadélis, qui juge que Vincent Peillon « n’a pas toujours le doigté nécessaire »… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) J’arrête là les anaphores, cela pourrait m’emmener loin.

Ce dossier, en or au départ, est aujourd’hui en plomb. Regardant par le petit bout de la lorgnette, vous avez réduit une grande réforme à cette affaire quasi improvisée du mercredi matin. L’erreur est là, et nulle part ailleurs !

Aujourd’hui, chacun se sent bousculé, les consignes changent chaque jour ou presque. Chacun est pressé de s’engager, pressé de décider. Chacun se méfie, car chacun sait que le diable est dans les détails.

Ma question est simple : quand les élus locaux sauront-ils définitivement, précisément et irrévocablement ce que vous attendez d’eux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Mes chers collègues, vous savez pertinemment que c’est le Gouvernement qui choisit quel ministre répond aux questions.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. Mesdames et messieurs les députés, je vous prie d’excuser M. Vincent Peillon, qui accompagne aujourd’hui le Président de la République en province.

Vous avez, monsieur le député Lamblin, posé deux questions. La première concerne la Lorraine qui, nous dites-vous, subira des diminutions de postes. Je tiens à vous indiquer que ce gouvernement a sensiblement accru le nombre de professeurs qui se trouveront devant les élèves. Toutefois, dans certaines académies, le nombre d’élèves a nettement diminué ; il convient par conséquent d’adapter le nombre de professeurs au nombre d’élèves, en tenant compte des besoins.

Par ailleurs, vous avez souligné que la réforme des rythmes scolaires entraînera nombre de difficultés pour les collectivités territoriales. Nous ne sous-estimons pas l’effort d’adaptation qui sera demandée aux professeurs et aux collectivités territoriales ; mais cette réforme n’en demeure pas moins indispensable, parce qu’elle est dans l’intérêt de nos enfants. Ils sont en effet les plus maltraités parmi tous les enfants des pays de l’OCDE, ceux qui ont le moins de jours de classe – 144 jours par an, contre 187 pour les enfants des autres pays.

Par conséquent, il faut impérativement que la situation évolue. Nous avons mené une grande concertation pendant plusieurs mois (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.). Tout le monde a été entendu.

Il faut savoir que la réforme des rythmes n’aura pas d’incidence sur le nombre d’heures pendant lesquelles les enfants seront devant leurs professeurs, ni sur la charge de travail des enseignants. La modification que nous proposons permettra à nos enfants d’apprendre dans de meilleures conditions. La concertation s’ouvrira donc sur les modalités d’application de la réforme, laquelle, je le rappelle, est indispensable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Situation au Mali

M. le président. La parole est à M. Jean Glavany, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean Glavany. L’engagement de nos troupes au Mali est une affaire sérieuse, grave, lourde. C’est probablement l’occasion, pour notre République, pour nos institutions et en particulier pour l’institution parlementaire, de tirer les leçons du passé d’un certain nombre d’opérations extérieures et de nouer avec le Gouvernement un dialogue qui éclaire nos concitoyens sur la gravité de cette intervention.

De nombreuses questions sont posées : celle, bien évidemment, de la situation militaire sur le terrain qui, par nature, change chaque jour ; celle de nos négociations diplomatiques avec nos partenaires européens, et au-delà avec ceux de l’Alliance ; celle de la situation d’un certain nombre de nos compatriotes otages ; celle des familles des victimes françaises – je pense plus particulièrement au département voisin du mien qui a déjà connu deux victimes : un militaire et un otage ; celle de nos expatriés qui sont menacés dans leur intégrité physique et dans leur sécurité ; enfin celles qui sont liées à l’avenir de la démocratie malienne, à l’avenir de l’identité touareg qui ne peut pas être confondue avec quelques actions de bandes armées, à l’avenir du Sahel et de l’Afrique subsaharienne. Bien évidemment, il faudra demain un plan pour l’avenir du Sahel et de l’Afrique subsaharienne, et – pourquoi pas ? – un plan européen.

On connaît ce vieil adage : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». On peut en citer un autre : « Si tu fais la guerre, prépare la paix ».

Monsieur le Premier ministre, les relations entre le Gouvernement et le Parlement se sont engagées sur de bonnes bases puisque vous avez reçu un certain nombre de responsables parlementaires et que le ministre de la défense s’est engagé à venir chaque semaine devant la commission de la défense. Mais il faut aller plus loin. Êtes-vous prêt à nouer un dialogue public au quotidien avec le Parlement pour que nos concitoyens soient éclairés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député, oui il faut en permanence que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif puissent construire en quelque sorte une relation de confiance sur l’ensemble des questions qui concernent évidemment la France mais encore davantage une opération extérieure.

Avant de préciser les modalités auxquelles je pense, je voudrais rappeler les raisons pour lesquelles nous sommes engagés au Mali.

Aux côtés de ses forces armées, le Président de la République, a pris la décision, après les réunions du Conseil de défense, de répondre favorablement à la demande des autorités maliennes en situation de grand danger. Le déploiement de nos troupes se fait dans de bonnes conditions auprès des forces maliennes en attendant la mise en place de la force multinationale africaine.

Je rappelle que le premier objectif est d’arrêter l’offensive des forces terroristes qui étaient déployées en direction du sud. Si nous n’étions pas intervenus dans l’urgence, le Mali serait aujourd’hui aux mains des terroristes et c’est toute une région, l’Afrique de l’ouest, qui serait complètement déstabilisée. D’ailleurs, il suffit pour s’en convaincre de constater l’accueil qui est fait par les populations maliennes aux troupes qui, avec les troupes maliennes, libèrent un certain nombre de villes et font reculer les terroristes. Je pourrais aussi prendre pour exemple la réunion à laquelle le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a participé samedi dernier, la réunion des États de l’Afrique de l’ouest ainsi que des représentants de l’union africaine. C’était un vrai soulagement que la France soit intervenue. Il y avait en quelque sorte un remerciement solennel exprimé par tous les chefs d’État qui étaient réunis là. En même temps, je le dis, la détermination de ces pays était encore plus forte à organiser la mise en place de la MISMA suite à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU du 20 décembre dernier.

Oui, aujourd’hui les contingents en provenance du Togo, du Nigeria, du Burkina Faso, du Bénin et du Sénégal sont en train de se déployer. Le renfort du Niger et du Tchad se concrétise. Ce sera bientôt le cas de la Guinée et du Ghana.

Quant au soutien financier, la réunion des donateurs se tiendra lors de la conférence d’Addis-Abeba qui aura lieu le 29 janvier prochain. Là encore, Laurent Fabius y représentera la France.

Quant au soutien de nos partenaires européens sur le plan politique, il est unanime, et nous en avons eu encore la preuve hier à l’occasion du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée. Ils considèrent, en effet, que l’intervention en urgence de la France contre le terrorisme était nécessaire et ils nous apportent leur soutien opérationnel.

M. Bernard Deflesselles. Paroles, paroles !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je pense aux moyens militaires des Britanniques, des Danois, des Belges, des Allemands, des Néerlandais. Quant à la mission européenne de formation des troupes maliennes et de la MISMA, elle débutera au début du mois de février.

J’ajoute que les États-Unis et le Canada sont également à nos côtés.

Je veux dire à ceux qui seraient sceptiques qu’aucune intervention n’avait été autant préparée sur le plan international. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.)

Dès son entrée en fonction, le Président de la République a appelé l’attention de nos partenaires européens et internationaux. À l’Assemblée générale des Nations unies, c’est lui qui a lancé un appel à la communauté internationale en rappelant les menaces qui pesaient sur le Mali, sur l’Afrique de l’ouest ainsi que sur l’Europe et sur la France. Sans cette mobilisation, sans ce travail de conviction, jamais la résolution du conseil de sécurité de l’ONU du 20 décembre dernier n’aurait pu être prise et jamais la MISMA n’aurait pu être mise en place.

Quant à la prise d’otages d’une violence inouïe avec des moyens militaires considérables qui a eu lieu la semaine dernière en Algérie, à In Amenas, elle était préparée depuis des mois. Elle vise l’Algérie mais elle souligne encore davantage la nécessité d’être unis, d’abord entre Français, mais aussi avec la communauté internationale, pour arrêter la menace terroriste. Ce qu’a fait l’Algérie était difficile. Je crois que ce pays a souffert depuis tant d’années du terrorisme qu’il sait ce que cela veut dire. Là encore, il fallait dire non à la violence telle qu’elle s’est exprimée. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Mesdames, messieurs les députés, l’engagement au sol de nos troupes était également nécessaire pour réduire cette menace. Bien sûr, l’intervention aérienne et héliportée complète est indispensable. En tout cas, l’engagement français préfigure la mission des forces africaines. Aujourd’hui, 2 300 hommes français sont sur le terrain, les frappes dans la profondeur pour désorganiser et affaiblir les moyens des groupes terroristes sont en cours.

M. Jean-François Lamour. Arrêtez de lire vos fiches ! Ce n’est pas d’un communiqué de presse dont nous avons besoin !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Avec notre appui, les forces armées maliennes ont repris, lundi, le contrôle de Diabali et de Douentza et se préparent à poursuivre leur progression.

La France va poursuivre son engagement mais n’a pas vocation à rester au Nord-Mali. Ce sont les Africains eux-mêmes, d’abord les Maliens et la MISMA, qui doivent prendre le relais. D’ores et déjà, à Bamako, l’état-major de la MISMA est installé, les troupes vont compléter.

En tout cas, nous souhaitons également que le gouvernement malien prépare la transition politique. Elle a démarré. Elle doit se faire aussi dans le dialogue, y compris avec les Touaregs, avec l’ensemble des communautés du Mali, sans concession aucune aux forces terroristes.

En tout cas, cette transition politique doit s’accompagner aussi d’une ambition en matière de développement. C’est l’affaire de la France, c’est l’affaire de l’Europe et c’est l’affaire des pays africains qui ont besoin de se développer. Sans développement, il n’y a pas de sécurité et, comme je l’ai dit la semaine dernière, sans sécurité il n’y a pas de développement.

Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a répondu ce matin aux questions des députés. Le ministre des affaires étrangères l’a fait et tous les deux le feront encore davantage autant que nécessaire.

Mardi prochain, je recevrai à nouveau les représentants des groupes parlementaires de la majorité et de l’opposition, les présidents des deux assemblées ainsi que les présidents des commissions.

M. Jean-François Lamour. Ce n’est pas une réponse, c’est un monologue !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. S’il faut un débat plus large avec les parlementaires, le Gouvernement y est prêt. Il se fera dans la transparence, l’information de chacun, pour que cette action de solidarité avec les Maliens soit un succès, pour la liberté et l’indépendance de ce pays, pour la lutte contre le terrorisme, pour la sécurité du Mali, de l’Afrique de l’ouest, mais aussi pour la sécurité de l’Europe et des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Fuite de gaz à Rouen

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Ma question s’adresse à Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Lundi 21 janvier 2013 à Rouen, dans l’usine Lubrizol, une fuite de gaz mercaptan se produit dans un four. Le mercaptan, de son vrai nom méthanethiol, est un produit toxique, nocif par inhalation. Le soir même, un arrêté préfectoral stoppe l’exploitation de l’usine. Mais, dans la nuit, le mercaptan se propage jusqu’à Paris. Mardi matin, madame la ministre, vous vous rendez sur place.

Les odeurs ont provoqué maux de tête, problèmes respiratoires et vomissements. C’est une situation surréaliste en matière de gestion des risques industriels. Où sont les problèmes ?

Problèmes d’information ou, devrais-je dire, problèmes de désinformation, d’abord. Est-ce normal que la population de Rouen jusqu’à Paris soit avertie par des réseaux sociaux comme Twitter ?

Problèmes de sécurité, ensuite. Effectivement, on décrète que ces nausées sont sans conséquence sur des personnes bien portantes. Mais pour les personnes fragiles, cela n’est pas anodin.

Problèmes de protection enfin. Les plans de prévention des risques technologiques, les PPRT, émettent des recommandations pour la protection des riverains, mais encore faut-il qu’ils en aient les moyens.

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour que les PPRT autour des usines classées Seveso soient enfin achevés ? Je précise que l’agglomération de Rouen compte soixante et onze sites classés Seveso.

Appuierez-vous notre demande de constituer un fonds public d’aide aux résidents pour la réalisation des travaux prescrits dans ces PPRT ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Mesdames et messieurs les députés, madame la députée, la politique du Gouvernement face à cet accident, c’est celle de la sécurité, celle de la transparence, celle du principe de précaution, celle du principe de responsabilité du pollueur. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)

La transparence, d’abord : effectivement, ce gaz est toxique – mais lorsqu’il est concentré vingt mille fois plus que le seuil olfactif ! Il n’y a donc pas eu, dans ce dégagement de gaz, de danger pour la santé, même si, il ne faut pas le nier, des personnes ont pu être incommodées par ces mauvaises odeurs et ressentir, pour certaines d’entre elles, des maux de tête et des nausées. En tout cas, il n’y a pas de danger pour la santé.

Le principe de précaution, c’est de traiter la cause de ces émanations de gaz : c’est le travail qui est fait actuellement par les services de l’État. Au moment où je vous parle, 10,4 tonnes de substance ont d’ores et déjà été neutralisées, c’est-à-dire un tiers à peu près de la masse totale. Un protocole est mis en place. Cela prendra un certain temps – et comme je l’ai dit, nous préférons prendre du temps que prendre des risques, pour que cette réaction chimique soit en permanence sous contrôle et que la cause de cette pollution soit traitée.

Pour ce qui est de la responsabilité du pollueur, il y aura une enquête administrative pour établir la responsabilité de l’entreprise. Le parquet a indiqué aussi qu’il y aurait une enquête judiciaire. Le procureur sera d’ailleurs à 17 heures aux côtés du préfet pour une conférence de presse.

Enfin, vous évoquez d’une façon plus générale le problème des risques industriels. Il est vrai que nous hérité d’une situation où, sur 404 sites Seveso qui font l’objet de la prescription d’un plan de prévention des risques technologiques, seulement 200 à peu près ont été approuvés aujourd’hui. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il faut donc redoubler d’efforts. Nous avions proposé, dans la loi de finances, des mesures pour le financement des travaux que vous évoquez ; cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, mais le Gouvernement la présentera de nouveau. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe écologiste.)

Rythmes scolaires

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire

M. Patrick Hetzel. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Elle concerne les rythmes scolaires.

En effet, mes collègues Sophie Dion et Didier Quentin ont interrogé le ministre de l’éducation nationale, qui à chaque fois a répondu à côté. Il est hors sujet et ne semble pas savoir où il veut aller. D’ailleurs, vous l’aviez-vous même recadré sur ce point, monsieur le Premier ministre, à peine quelques jours après votre prise de fonction. C’est pourquoi je m’adresse directement à vous, de telle sorte que vous puissiez nous éclairer sur cette question. Vous avez sans doute dû noter qu’un certain nombre de vos propres amis sont en train de dire que rien ne va rue de Grenelle.

Hier a eu lieu une grève massive dans les écoles parisiennes au sujet de cette réforme. Elle suscite de très sévères critiques. Christian Pierret, qui n’est pas de l’UMP, a dit que les rejets répétés de ce texte posaient clairement la question de sa fragilité et des importants risques de contentieux.

Cette réforme n’a donné lieu à aucune véritable concertation. Le ministre de l’éducation nationale a même réussi l’exploit de faire, sur ce sujet, un très large consensus contre lui.

Pour réussir cette réforme, il faut tenir compte de tous les paramètres : l’intérêt de l’enfant, la performance scolaire, le mode de vie des familles, le coût pour la collectivité et les contribuables et les impératifs pédagogiques des enseignants.

Cette réforme est menée à la hussarde. Elle aura un coût exorbitant, alors qu’elle ne repose sur aucune base sérieuse et scientifique. (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le Premier ministre, je voudrais savoir si vous allez demander à votre ministre de reprendre ce dossier qui, pour le moment, est totalement enlisé et donne lieu à une pagaille monstre dans l’ensemble des communes françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, ce matin le Conseil des ministres a adopté le projet de loi pour la refondation de l’école. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

C’est là une vaste ambition et un devoir national. George Pau-Langevin a déjà donné des éléments il y a quelques instants, mais je voudrais quand même rappeler que…

M. Christian Jacob. Arrêtez de lire ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur Christian Jacob, je vous respecte ; ayez un minimum de respect pour les autres ! (Applaudissements et huées sur les bancs du groupe SRC.)

Ce que nous souhaitons que les enfants apprennent à l’école, c’est le respect : commencez donc vous-même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Je voudrais donc rappeler – et si je reprends mes notes, c’est pour être précis – que 15 % des enfants, à l’entrée en sixième, sont en grande difficulté et 25 % en difficulté – ils sont au moins 35 % dans les zones d’éducation prioritaire. Ce qui veut donc dire que la promesse de l’école républicaine, celle qui permet l’égalité des chances et la progression sociale de tous, n’est plus tenue et qu’il est temps de reprendre ce chantier de la reconstruction de l’école de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

C’est pourquoi ce projet de refondation de l’école est la priorité de la nation tout entière. Cela passe d’abord par le rétablissement des moyens : les 60 000 postes, c’est-à-dire un engagement budgétaire massif, sont là pour ça. Mais cela ne suffira pas. C’est pourquoi le Gouvernement, dans son projet de loi, va faire porter l’effort d’abord sur la formation des maîtres.

M. Guy Geoffroy. La question porte sur les rythmes scolaires !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Formation académique certes, mais d’abord formation pédagogique, pour que les maîtres répondent aux attentes des enfants. Dès la rentrée prochaine, les écoles supérieures de formation des maîtres seront en place.

Deuxième priorité : l’effort sur l’école primaire, parce que c’est de là que tout part, notamment l’apprentissage de la lecture et des fondamentaux. Pour cela, il faudra parfois plus de maîtres que de classes. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)

Et puis, troisième effort : les rythmes scolaires. Vous savez bien que 144 jours de classe, c’est beaucoup moins que la moyenne européenne. Tous les experts, qu’ils soient enseignants, parents d’élèves, élus parlementaires de tous bords ou psychopédagogues, disent que ce n’est plus possible et qu’il faut changer les rythmes scolaires. Les partenaires de la concertation démarrée en juillet sont arrivés au même constat.

Alors maintenant, il faut passer à l’exercice pratique. C’est vrai que c’est difficile, parce que cela va se jouer école par école, commune par commune. Pour cela, il faut poursuivre encore la concertation. J’ai d’ailleurs demandé au ministre de l’éducation nationale de prolonger d’un mois, donc jusqu’à la fin du mois de mars, cette concertation entre le ministère, les enseignants dans chaque école et les maires dans chaque commune, afin que la rentrée 2013 soit une réussite pour ceux qui auront décidé de changer les rythmes scolaires et que ceux qui ne pourront pas y parviennent à la rentrée 2014. Pour les communes qui ont le plus de difficultés, j’ai débloqué une aide financière de 250 millions.

Je ne doute pas que les élus, dont vous faites partie, mettent au-dessus de tout la réussite des enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Au-delà des intérêts des uns et des autres, une fois que la concertation aura été améliorée, ce que nous créerons, c’est les conditions de l’égalité des chances pour tous les enfants de la République. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, et RRDP et sur plusieurs bancs du groupe GDR.)

Rythmes scolaires

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller, pour le groupe Union des démocrates et indépendants

M. Michel Zumkeller. Ma question va porter sur la réforme des rythmes scolaires et il serait souhaitable que nous obtenions une vraie réponse sur ce sujet. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Tout le monde s’accordait sur la nécessité de réformer les rythmes scolaires en réduisant le nombre d’heures de classe. Pourtant, de cette opinion globalement consensuelle, nous sommes passés à une opposition quasiment unanime.

De fait, le décret que vous prévoyiez d’adopter a été largement retoqué par le Conseil supérieur de l’éducation nationale, qui rassemble notamment les syndicats et les parents d’élèves. En comité technique ministériel, il n’a reçu aucune voix et c’est maintenant le mécontentement des uns et des autres qui s’exprime dans la rue.

Comment en est-on arrivé là, si ce n’est simplement par une absence de concertation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Là même où vous disposiez de tout le temps nécessaire pour aborder sereinement et en profondeur ce sujet fondamental, vous donnez une fois encore le sentiment de l’impréparation et de la précipitation.

Les parents se plaignent de l’absence de garanties de qualité du suivi des enfants pendant la période périscolaire et d’un risque d’inégalité de traitement, d’un établissement à un autre et d’un territoire à un autre.

Les collectivités se retrouvent à assumer un transfert de charges sans qu’il soit précisé ce qui est pris en charge par l’éducation nationale dans le temps scolaire et ce qui relève de l’initiative communale dans un temps périscolaire non obligatoire. Par exemple, dans une commune de 5 000 habitants, la charge supplémentaire est de 80 000 euros par an et il faudra embaucher 34 animateurs rémunérés quatre heures par semaine.

Mais au-delà de ces chiffres, c’est la mise en œuvre de la réforme qui est en cause. Comment voulez-vous que les communes, en particulier rurales, puissent s’organiser en si peu de temps ?

Aussi, monsieur le ministre, je vous demande solennellement, au nom du groupe UDI, de reporter à la rentrée 2014 cette réforme des rythmes scolaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la réussite éducative.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative. Désolée, c’est encore moi, mais cela fait partie de mes attributions !

Nous sommes conscients que ce changement dans les rythmes scolaires et donc dans la vie quotidienne va entraîner un certain nombre d’inconvénients que nous devrons affronter.

M. Guy Geoffroy. Qui va payer ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Sur le principe, nous ne pouvons pas faire autrement. C’est dans l’intérêt de nos enfants et je crois que tous, tant les élus que les éducateurs, sont prêts à faire cet effort.

Aujourd’hui, nous devons effectivement répondre à un certain nombre d’interrogations, à commencer, comme l’a dit le Premier ministre, par des interrogations financières. C’est la raison pour laquelle un fonds de 250 millions d’euros existe…

M. Laurent Wauquiez. Ce n’est pas assez !

Mme George Pau-Langevin, ministre. …qui permettra d’accorder une aide de l’ordre de 50 euros par élève, 90 euros dans les endroits de difficultés particulières.

Il y a aussi des interrogations sur la manière de faire. Un guide pratique de la réforme sera adressé prochainement à toutes les collectivités, indiquant à la fois les manières de procéder et les ressources pour parvenir à régler les difficultés pratiques.

Les services académiques et notamment les recteurs seront à la disposition des élus pour travailler avec eux sur la mise en œuvre pratique de cette réforme.

Enfin, je vous signale que Mme Fourneyron va prochainement assouplir les taux d’encadrement : cela fait partie des questions que les élus mettent en avant s’agissant du secteur périscolaire.

Nous avons du travail pour réussir dans de bonnes conditions le passage des quatre jours à quatre jours et demi. Mais souvenons-nous que les quatre jours avaient été adoptés dans la précipitation, sans réfléchir à l’intérêt de nos enfants. Il est urgent d’y mettre fin. (Protestations sur les bancs des groupes UMP et UDI. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mariage entre personnes de même sexe

M. le président. La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Véronique Louwagie. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, vous avez, il y a quelques minutes, en ce qui concerne les rythmes scolaires, évoqué un mois de plus pour la concertation. Nous en prenons acte. Aussi, dans le cadre du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, nous sollicitons également la concertation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Depuis plus de trois mois, des membres de l’entente parlementaire, demandent à rencontrer le Président de la République. En vain. Il y a quelques heures, une délégation d’élus – députés, sénateurs, maires –, ceints de leur écharpe tricolore, représentant 250 parlementaires, ont décidé de se rendre au palais de l’Élysée. Accueillis au poste de garde dans des conditions qui laissent perplexes et qui interpellent, nous avons remis un courrier pour le Président de la République lui demandant de nouveau de nous recevoir. Nous n’osons imaginer un seul instant que le Président de la République puisse refuser une rencontre avec les parlementaires. Nous ne pouvons croire que le Président de la République n’entende pas la demande des 800 000 personnes…

M. Guillaume Bachelay. Non, 300 000 !

Mme Véronique Louwagie. …et non des seules 300 000 que la préfecture de police a cru dénombrer, qui ont manifesté le 13 janvier dernier. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Notre demande est claire. C’est d’organiser un référendum,…

Plusieurs députés du groupe SRC. Jamais !

Mme Véronique Louwagie.…c’est de donner la parole aux citoyens. Prétendre que le référendum en matière de mariage est « constitutionnellement impossible » est inexact. La décision incombe au Président de la République.

Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous enfin décider d’appuyer notre légitime demande de référendum sur cette question de société auprès du Président de la République ?

Vous avez parlé, il y a quelques instants, de besoin de respect. Ne serait-ce pas un message de respect à l’égard de ces milliers de Français que de les écouter ? Monsieur le Premier ministre, nous en appelons à votre responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, nous sommes heureusement dans un état de droit. Et dans un état de droit, même l’action et les initiatives du Président de la République sont encadrées. Elles le sont par la loi fondamentale.

Il est regrettable que vous n’ayez pas été assez disponible pour participer à nos débats, en commission des lois, la semaine dernière (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), parce qu’au cours de ces débats, nous avons largement abordé la question du référendum, qui est, effectivement, encadré par l’article 11 de la Constitution. Et je ne doute pas que vous, parlementaire et législateur, soyez respectueuse de cette loi fondamentale. Vous savez que les champs d’intervention du référendum concernent l’organisation des pouvoirs publics et des institutions, les réformes relatives à la politique économique, sociale et environnementale, ainsi qu’aux services publics qui y concourent, ou, éventuellement, une ratification de traité.

Je suis absolument persuadée que vous savez aussi que ce n’est pas par omission que les questions de société n’ont pas été incluses dans ces champs référendaires, que les débats ont eu lieu, et que ceux qui appartiennent comme vous à l’opposition et qui étaient alors dans la majorité ont dit très clairement que ce n’était pas souhaitable, que le législateur – exécutif et parlementaires – refusait d’inclure les questions de société parce que ces demandes de référendum sont susceptibles de démagogie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Je vous rappelle, madame la députée, que l’examen du projet de loi en séance publique débutera mardi prochain. Et puisque vous n’avez pas pu participer aux travaux de la commission des lois, je suis absolument sûre que, par respect pour vos électeurs et pour les citoyens de ce pays en général, vous viendrez exercer vos responsabilités de législateur en participant à nos débats. (De nombreux députés des groupes SRC et RRDP se lèvent et applaudissent longuement. - Applaudissements sur certains bancs des groupes écologiste et GDR.))

Commémoration du traité de l’Élysée

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Élisabeth Guigou. Hier après-midi, à Berlin, où était célébré le cinquantième anniversaire du traité d’amitié qui lie notre pays à l’Allemagne, j’ai éprouvé – comme, j’en suis sûre, beaucoup d’entre vous, chers collègues – une grande émotion lorsque j’ai entendu, au Bundestag, les députés allemands chanter avec nous La Marseillaise.

M. Guy Geoffroy. Tout le monde ne l’a pas chantée !

Mme Élisabeth Guigou. Cette journée restera un moment fort de l’amitié franco-allemande, qui a été salué par l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Bundestag.

Après leurs illustres prédécesseurs, le Général de Gaulle et Konrad Adenauer, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et Helmut Kohl, le Président François Hollande et la Chancelière Angela Merkel ont affirmé leur volonté d’agir ensemble pour l’Europe.

Bien sûr, notre relation spéciale avec l’Allemagne n’est pas un long fleuve tranquille. Mais il faut se garder des préjugés : il ne s’agit pas de gommer nos différences. Le moteur franco-allemand est précisément cette capacité à bâtir des solutions d’avenir en dépassant nos différences. C’est ce qui fait la force de notre union, et, par extension, celle des projets que la France et l’Allemagne portent ensemble.

Monsieur le ministre chargé des affaires européennes, qu’allons-nous faire de nouveau sur la jeunesse, où, déjà, le bilan du traité est très positif ? Sur l’énergie, projets anciens, malheureusement aux maigres résultats jusqu’ici, comment avancer ? Quel sera l’agenda du nouveau dialogue social franco-allemand qui a été annoncé hier ? Une question cruciale est évidemment l’existence d’un salaire minimum dans chaque pays européen, pour éviter le nivellement par le bas des salaires en Europe. Car la consolidation de l’Union économique et monétaire passe aussi par l’harmonisation sociale.

Enfin, la situation au Mali nous montre une fois de plus la nécessité et l’urgence d’une politique européenne de sécurité. Monsieur le ministre, le Gouvernement a-t-il l’intention de relancer une stratégie européenne de sécurité, et d’agir pour que soit créée une force de projection rapide ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Madame la députée, vous avez raison de souligner l’émotion et la force des événements qui se sont produits à Berlin hier, et qui ont rassemblé toute la représentation nationale française et allemande. C’était d’abord, pour nous, un grand moment de commémoration de la signature du traité de l’Élysée, qui, il y a cinquante ans, avait vu deux hommes politiques visionnaires, le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer, faire montre d’audace, dans un contexte historique où la réconciliation n’allait pas de soi.

Ce sont cette audace, cet esprit, ce souffle qui ont présidé au Conseil des ministres franco-allemand qui s’est tenu hier, parce que la Chancelière Angela Merkel et le Président de la République avaient souhaité, ensemble, que nous puissions nous doter d’un agenda ambitieux pour l’avenir. Cet agenda va nous conduire, sur tous les sujets que vous avez à juste titre évoqués, à porter ensemble des politiques ambitieuses pour nos deux pays et pour l’Europe.

S’agissant de la jeunesse, il s’agit de redonner des moyens à l’Office franco-allemand pour la jeunesse, pour que l’apprentissage de nos langues, dans nos pays respectifs, soit davantage approfondi, et que les jeunes Français parlent davantage allemand, et vice versa.

Il s’agit également, pour notre jeunesse, d’offrir de nouvelles garanties sociales, un droit à la formation, un droit à l’accès à l’emploi. Et dans la volonté qui est la nôtre de renforcer les relations entre les partenaires sociaux, en faisant en sorte qu’un dialogue puisse se nouer sur la compétitivité et les garanties sociales, la question de la jeunesse sera présente.

C’est aussi la politique énergétique, avec la volonté, dans le domaine des énergies renouvelables et du bilan thermique des bâtiments, de progresser ensemble.

C’est la volonté que nous avons, en matière de politique industrielle, d’avancer de concert sur la question de l’automobile.

C’est la volonté aussi qui nous anime, en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense, de contribuer ensemble à la construction de l’Europe. Le soutien apporté hier par tous les groupes parlementaires au sujet du Mali témoigne de ce travail en marche. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Intervention de la France au Mali

M. le président. La parole est à M. Guy Teissier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Teissier. Monsieur le Premier ministre, au onzième jour de guerre au Mali, nos 2 000 soldats continuent leur progression vers le Nord et la grande ville de Tombouctou. Qu’il me soit permis, au passage, de féliciter une fois encore nos troupes pour leur réactivité et pour leur professionnalisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI et sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Tombouctou est l’un des points stratégiques pour la libération du Nord-Mali des groupes politico-religieux islamistes qui l’occupent. Mais, au onzième jour du conflit, monsieur le Premier ministre, nos forces restent désespérément seules dans cette guerre, (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) malgré les récentes déclarations du Président de la République, chef des armées, et les vôtres à l’instant. Tout ce que nous percevons, à l’instar de l’ensemble de nos concitoyens, ce sont des promesses d’aides ou des sortes de bénédiction.

Nous connaissons les difficultés des troupes de la CEDEAO à se mettre en place, mais qu’en est-il des pays européens ? Et que penser par ailleurs du positionnement curieux, atypique, voire hostile de l’Égypte, de la Tunisie, du Qatar ? N’est-il pas révélateur d’un manque de préparation diplomatique de cette intervention ?

M. Patrick Lemasle. Ridicule !

M. Guy Teissier. Monsieur le Premier ministre, à l’exception de l’Allemagne, du Royaume Uni et des États-Unis, dont l’aide est plus que limitée, comme de nombreux Français ne manquent pas de nous le rappeler quotidiennement, j’aimerais que vous nous indiquiez quels pays, au sein de l’Union européenne, entendent concrétiser leur aide dans ce conflit dont la durée et la stabilisation suscitent plus que des inquiétudes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, ayons avant tout à l’esprit qu’au moment où nous nous exprimons les uns et les autres, les troupes françaises et les troupes maliennes, côte à côte, sont en train de faire reculer les terroristes. En votre nom à tous, j’en suis sûr, je leur dis notre reconnaissance et notre soutien. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Comme vous le savez, monsieur Teissier, la France agit au nom de la communauté internationale et, compte tenu de la rapidité de la descente des terroristes à Bamako, il fallait décider vite sinon, comme l’a très bien dit le Premier ministre il y a quelques instants, il n’y aurait plus de Mali – le Mali serait un État terroriste (« Islamiste » sur les bancs du groupe UMP).

Tout cela a bien sûr été préparé : vous vous rappelez, puisque vous suivez attentivement ces questions, qu’au mois de décembre, à la demande de la France, une résolution a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité ; vous savez aussi que l’Europe avait pris des dispositions. Mais il a fallu aller vite et seule la France était en mesure d’aller vite.

M. Jacques Myard. Comme toujours !

M. Laurent Fabius, ministre. Vous posez une question sur l’Europe. Je veux vous répondre de la manière la plus précise. Le Royaume Uni va mettre à disposition deux C 17, un A 330 et des moyens de renseignement. Pour ce qui est de l’Allemagne, qui s’est exprimée hier : deux C 160. La Belgique, quant à elle, enverra deux C 130 ; le Danemark, un C 130. Pour ce qui concerne l’Espagne, il est question d’un C 130 et, pour l’Italie, de deux C 130 et d’un 767.

M. Henri Guaino. Et les hommes ?

M. Laurent Fabius, ministre. D’ici à quelques jours, nous disposerons de 500 formateurs européens. Sont déjà à pied d’œuvre plus de mille soldats africains, et ils seront 5 800 dans le cadre de la MISMA. Voilà pour ce qui est acquis. Mais bien sûr, si l’on enregistre des soutiens supplémentaires, et il y en aura, ils seront les bienvenus.

Monsieur le député, j’ai encore à l’esprit ce que le président de l’Union africaine – cinquante et un États – a déclaré l’autre jour à Abidjan : « Merci la France, bravo la France ! » Ce « merci » et ce « bravo », je veux le transmettre à vous tous et au peuple français. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. le président. Merci, monsieur le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre. Je dirai pour conclure qu’au moment où la communauté internationale est réunie autour du gouvernement français, il serait tout de même paradoxal que la représentation nationale ne le soit pas tout autant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP. – Plusieurs députés applaudissent debout.)

Plan de lutte contre l’exclusion et la pauvreté

M. le président. La parole est à Mme Hélène Geoffroy, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Hélène Geoffroy. Madame la ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, nous nous félicitons du changement de tonalité dans le discours sur la précarité et l’exclusion. Ainsi, le Premier ministre, à la fin de la conférence nationale des 10 et 11 décembre derniers, a affirmé que la précarité et la pauvreté étaient non pas une marque d’infamie mais le fruit d’un processus que l’on pouvait combattre. Nous sortons en effet de dix ans de politiques publiques erratiques et de discours stigmatisants sur l’exclusion, la précédente majorité ayant tenté de convaincre les Français que la solidarité était suspecte. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Près de neuf millions de personnes vivent aujourd’hui dans la précarité. La forme de la pauvreté a changé, nous en prenons toute la mesure dans nos circonscriptions, car nul n’est épargné : l’emploi lui-même ne protège plus de la grande difficulté.

Réuni pour la première fois depuis 2006, le comité interministériel de lutte contre les exclusions a tracé, le 21 janvier dernier, des pistes claires de réformes. Le plan pluriannuel que vous coordonnez, madame la ministre, et dont l’avancée sera évaluée annuellement, concerne tous les champs de la vie : santé, logement, école, surendettement, emploi, familles, et nous nous en félicitons – la lutte contre l’exclusion doit être globale.

Ce plan vise à réduire les inégalités et donne aussi les moyens de cheminer vers l’autonomie en améliorant l’accompagnement à l’emploi, en s’attelant à l’hébergement et à l’accès à l’école des tout petits. Mieux encore, les personnes en situation de précarité ne seront plus considérées comme des dossiers et passeront du statut de sujets à celui d’acteurs de leur vie.

Madame la ministre, face aux attentes sur le terrain, pouvez-vous nous préciser le phasage dans le temps de ce double enjeu que porte ce plan pluriannuel : répondre à l’urgence sociale du moment en améliorant les outils et structurer une politique de la solidarité sur le long terme faisant ainsi partager à la nation un pacte rassemblant les plus pauvres, les ménages modestes, les classes moyennes et aisées – pacte consubstantiel au redressement économique de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame Geoffroy, lundi dernier le Premier ministre a en effet annoncé un plan de lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Il s’agit d’un plan pluriannuel, c’est-à-dire que des mesures vont être prises en urgence, dès 2013, mais qu’il se déploiera sur les cinq ans qui viennent. Il implique une mobilisation exceptionnelle : vingt ministres sont mobilisés, chacun pourvu d’une feuille de route dont le seul objectif est de faire reculer la pauvreté.

Je ne citerai que quelques-unes des mesures urgentes que nous allons prendre car je dispose de peu de temps. Nous mettrons fin au décrochage du RSA que nous revaloriserons dès le 1er septembre 2013 pour atteindre une réévaluation de 10 % au bout de cinq ans. Dès le 1er septembre, également, nous augmenterons le plafond de la CMU-C de manière en à faire bénéficier 750 000 personnes de plus.

Pour les mesures à court terme, nous vous proposerons assez rapidement une réforme du RSA-activité et de la prime pour l’emploi car nous devons mieux accompagner les travailleurs modestes. Une garantie jeunes sera soumise à votre examen au mois de juin pour être opérationnelle au mois de septembre.

Nous prévoyons donc énormément de mesures. Il n’est pas question de laisser un seul jeune au bord du chemin. Il s’agit de proposer un projet de vie et un parcours à chaque jeune de ce pays.

Ce plan prévoit nombre d’autres mesures ; très volontariste, il montre que le Gouvernement oriente toute sa politique vers la solidarité et le retour à l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Réforme territoriale

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Olivier Marleix. Monsieur le président, mes chers collègues, monsieur le Premier ministre, votre gouvernement vient de connaître au Sénat un échec sans précédent.

C’est la première fois, sous la Ve République, qu’un gouvernement voit un projet de réforme territoriale rejeté d’entrée de jeu par sa propre majorité au Sénat, chambre représentant les territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe UDI.) Il faut dire que vous n’y êtes pas allés de main morte, puisque votre texte ne prévoit rien de moins que de supprimer un canton sur deux dans notre pays…

M. Jean Glavany. C’est vous qui les avez supprimés, les cantons !

M. Olivier Marleix. …et en réalité de faire disparaître au moins deux cantons sur trois dans la ruralité, en les fusionnant dans des grands ensembles sans cohérence historique ou géographique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Olivier Marleix. Le rejet de votre texte par le Sénat exprime le rejet massif, de la part des élus locaux, non seulement d’un mode de scrutin ubuesque, avec un ticket comprenant un homme et une femme élus conjointement dans une même circonscription, mais plus fondamentalement le rejet de ses « conséquences néfastes dans les territoires ruraux ». Je ne fais que reprendre ici les mots du président Mézard, président du groupe radical de gauche du Sénat.

Non, monsieur le Premier ministre, les cantons ne sont pas des reliquats désuets de notre histoire !

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Olivier Marleix. C’est peut-être la vision de quelques élus urbains, dont vous êtes, mais ce n’est pas celle des élus locaux, ni de beaucoup de nos concitoyens, qui savent qu’en milieu rural les cantons déterminent l’organisation de nombreux services publics, comme les brigades de gendarmerie, la poste, les collèges ou les maisons de retraite (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI.) et garantissent leur proximité sur nos territoires.

M. Jean Launay. Les cantons, ce sont les communautés de communes !

M. Olivier Marleix. Aussi, monsieur le Premier ministre, ma question est simple : allez-vous passer en force contre le Sénat, en utilisant votre majorité absolue à l’Assemblée nationale ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui !

M. Olivier Marleix. Ou allez-vous entendre le message des sénateurs et des élus ruraux et abandonner cette réforme pour vous concentrer sur les vrais sujets, par exemple le chômage, qui a explosé depuis le début du quinquennat de M. Hollande ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, il y a eu au Sénat, au terme d’un débat tout à fait intéressant, une majorité pour abroger le conseiller territorial.

Mme Catherine Coutelle et M. Jérôme Lambert. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Il y a eu, ensuite, une majorité pour reporter les élections cantonales et régionales en 2015. Il y a eu, enfin, une majorité très large pour renforcer le scrutin intercommunal. Il reste désormais, effectivement, la question du scrutin cantonal.

Ce que souhaite le Gouvernement, c’est un scrutin départemental, qui garantisse à la fois la proximité, c’est-à-dire le lien avec le territoire, et la parité. Ces deux objectifs ne peuvent être atteints, ni avec la proportionnelle intégrale, ni avec le scrutin actuel, qui est inégalitaire. Nos conseils départementaux comptent seulement 13,5 % de femmes – deux départements n’en comptent aucune ! – et les candidatures féminines ont encore régressé à l’occasion des dernières élections cantonales.

Il faut convaincre ! Ce scrutin binominal garantit à la fois la proximité et la parité. Nous allons essayer de convaincre le Sénat après le vote de l’Assemblée…

Un député du groupe UMP. Cela n’a pas de sens !

M. Manuel Valls, ministre. …pour une meilleure représentation des territoires ruraux et de la montagne, car vous avez raison de rappeler que c’est là un sujet de préoccupation.

Il faut que le redécoupage qui aura lieu demain sous le contrôle du Conseil d’État tienne compte de ces éléments. Je ne doute pas, monsieur le député, que, fort de votre expérience et de votre filiation, vous nous y aiderez. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. - Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Labaune et M. Céleste Lett. Il n’y a que dans le mariage qu’il n’y a pas de parité !

Violences urbaines à Mulhouse

M. le président. La parole est à M. Francis Hillmeyer, pour le groupe Union des démocrates et indépendants

M. Francis Hillmeyer. Monsieur le président mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Samedi dernier, à Mulhouse, une marche silencieuse réunissait plus de mille sapeurs-pompiers, accompagnés de leurs élus, pour sensibiliser la population aux risques qu’ils encourent, puisqu’ils sont désormais la cible des violences urbaines.

Le 31 décembre, simultanément, en plusieurs endroits de la ville, ils ont été pris au piège dans de véritables guets-apens, dont l’objectif était clairement d’atteindre leur intégrité physique, par le caillassage, l’usage de barres de fer et de cocktails Molotov ; un tramway a même été attaqué.

Vous étiez alors sur place, monsieur le ministre. En septembre 2012, vous aviez déjà annoncé, à la suite d’incidents similaires survenus à Mulhouse, le « retour de l’ordre républicain » partout, et nous en avions pris acte. Vous avez classé trois quartiers en zone de sécurité prioritaire, ou ZSP. Or, depuis 1996, six quartiers mulhousiens sont classés en zone urbaine sensible, ou ZUS, ce qui n’a pas empêché la montée en puissance des violences urbaines.

Quatre mois plus tard, le bilan de ce « retour de l’ordre républicain » dans les rues de Mulhouse est sans appel : malgré les détachements de CRS, les arrestations et les comparutions immédiates – je signale, à ce propos, que le tribunal de grande instance de Mulhouse s’est vu supprimer un poste –, la délinquance a atteint un niveau jamais vu auparavant.

Il est vrai, monsieur le ministre, que les sapeurs-pompiers exercent un métier dangereux, et qu’ils le savent. Cela fait partie de leur ADN : ils interviennent coûte que coûte et n’ont pas le droit de retrait. Mais s’ils acceptent ces dangers, c’est pour sauver des vies, non pour faire face à des combats de rue. Or, ils ne bénéficient pas, comme d’autres catégories de fonctionnaires en situation de risque, de la prime de sujétion pour exercice dangereux. Il serait légitime qu’elle leur soit attribuée.

Ma question est double. Monsieur le ministre, quelles mesures efficaces allez-vous prendre pour endiguer les violences urbaines à Mulhouse ? Quelles mesures concrètes allez-vous adopter pour protéger les sapeurs-pompiers qui attendent, de votre part, des réponses précises à leurs demandes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous posez une question juste, mais vous rappelez en même temps, avec beaucoup d’honnêteté, que les problèmes que connaît la ville de Mulhouse, et que connaissent d’autres villes, viennent de loin, malgré l’effort de l’État en matière de politique de la ville, et malgré l’effort des élus.

Cela signifie que le mal est profondément enraciné et que la réponse doit d’abord venir de l’État et de la justice. Je veux d’ailleurs saluer des décisions de justice, ce que je fais rarement, qui ont condamné lourdement – et elles devront continuer à le faire – ceux qui se livrent à des actes intolérables. S’attaquer aux policiers, aux gendarmes, aux sapeurs-pompiers, s’attaquer au chauffeur de ce tramway, qui a été courageux et à qui j’ai rendu hommage, c’est intolérable et la réponse doit être ferme : c’est celle de l’autorité. Nous ne pouvons pas permettre qu’une bande de voyous prenne en otage des quartiers qui font aujourd’hui l’objet de l’attention de l’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, et sur de nombreux bancs des groupes UDI et UMP.)

Cela nécessite une mobilisation de tous et, avec le ministre de la ville, nous dialoguons évidemment avec les élus de Mulhouse. Les moyens que nous consentons, dans le cadre de la zone de sécurité prioritaire, doivent renforcer cette sécurité.

Vous avez raison, monsieur le député, de souligner le travail remarquable des sapeurs-pompiers. Il est intolérable que ceux-ci tombent dans de véritables guets-apens : à Mulhouse, on a voulu tuer des sapeurs-pompiers. Ils ont droit à la protection : c’est tout le sens du dialogue que nous avons engagé avec les sapeurs-pompiers, qu’ils soient professionnels ou volontaires. Ils ont droit à la protection et à la reconnaissance de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, UDI et UMP.)

Situation de l’artisanat

M. le président. La parole est à M. Rémi Delatte, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Rémi Delatte. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, mais je vois qu’il est déjà parti…

Vendredi dernier, le monde de l’artisanat était dans la rue pour lancer un cri d’alarme au Gouvernement. Avez-vous entendu la colère des artisans, le plus gros employeur de France avec 4 millions d’actifs, dont 3 millions sur des emplois non délocalisables ? À vous écouter, j’en doute, car ce n’est pas votre pacte pour l’artisanat qui va les rassurer ! Vous leur imposez en effet toujours plus de taxes et de charges, encore plus d’administration et de tracas.

Dans une conjoncture économique éprouvante, alors que le carnet de commandes des entreprises se restreint – particulièrement dans le secteur du bâtiment – et que nous subissons une perte d’emplois considérable, il est urgent que votre gouvernement prenne les mesures utiles pour combattre le déclin de tout un pan de notre économie, dont l’activité représente 400 milliards d’euros.

Donnez les signes qui s’imposent ! Renoncez à la hausse de la TVA à 10 % ! Reconsidérez vos récentes mesures qui caractérisent un acharnement fiscal et contributif contre nos artisans et nos commerçants : le déplafonnement de la cotisation maladie, le gel du barème de l’impôt sur le revenu, la suppression de l’abattement de 10 % pour frais professionnels des gérants majoritaires, les cotisations sociales sur les dividendes, la taxation des titres de participation cédés… Ouvrez aux travailleurs indépendants le bénéfice du crédit d’impôt compétitivité emploi ! Cessez de dévaloriser la formation par l’apprentissage ! Adaptez l’auto-entreprise aux exigences de la situation actuelle !

Vous avez l’opportunité de montrer aux professionnels artisans que vous les avez compris. Qu’allez-vous faire pour leur redonner confiance ? Quels moyens dégagerez-vous pour les aider à surmonter la crise et leur assurer de préserver leur place prépondérante au service d’une économie prospère ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme.

Mme Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme. Monsieur le député, je vois – mais je peux le comprendre – que vous n’avez pas encore regardé dans le détail les mesures du pacte pour l’artisanat que j’ai présenté ce matin.

M. Yves Censi. Si, nous les avons lues ! Pourquoi dites-vous cela ?

Mme Sylvia Pinel, ministre. J’espère en tout cas que vous les étudierez attentivement à la sortie de cette séance.

Vous avez rappelé que les entrepreneurs du bâtiment avaient manifesté vendredi dernier leur inquiétude. Le Gouvernement les comprend. Nous travaillons, en lien avec les cabinets de Pierre Moscovici, Jérôme Cahuzac, Cécile Duflot et Delphine Batho, sur des sujets qui les concernent directement.

Parmi leurs préoccupations figurent effectivement la hausse de la TVA et le crédit d’impôt compétitivité emploi. Sur ce point, nous avons beaucoup travaillé avec eux.

Mme Catherine Vautrin. Ce n’est pas tout à fait ce qu’ils disent !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Nous avons constaté que les entreprises du bâtiment bénéficieraient du CICE à hauteur de 2 milliards d’euros, alors que la TVA représenterait 1,8 milliards d’euros, soit un gain de 200 millions d’euros pour les entreprises du bâtiment.

Mme Catherine Vautrin. Ils n’en sont pas vraiment convaincus !

Mme Sylvia Pinel, ministre. À cela il faut ajouter les mesures du contrat de génération, qui permettront à ces entreprises de créer de l’emploi et de maintenir leur activité, puisque 50 000 emplois ne sont pas pourvus dans ce secteur et que 30 000 entreprises ne trouvent pas de repreneur. Le contrat de génération est l’un des outils qui permettra aux artisans, notamment à ceux du bâtiment, d’aller de l’avant.

Vous avez dit qu’il fallait valoriser l’image de ces métiers : c’est exactement ce que nous proposons dans le pacte pour l’artisanat.

Quant aux spécificités du secteur du bâtiment, nous allons réunir, avec mes collègues, un groupe interministériel pour leur présenter nos programmes en matière de logement social, de logement, de construction, mais aussi de rénovation énergétique, qui seront des leviers de développement créateurs de richesses pour nos artisans. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Installation d’éoliennes en mer

M. le président. La parole est à Mme Sylviane Bulteau, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Sylviane Bulteau. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Le 8 janvier 2013, vous avez annoncé le lancement du second appel d’offres pour l’installation d’éoliennes en mer. Les deux zones retenues sont situées au large de la commune du Tréport, en Seine-Maritime, et entre les îles d’Yeu et de Noirmoutier, en Vendée. Il faut saluer cette décision, qui débloque enfin un dossier dont l’issue est longtemps restée incertaine, notamment dans mon département, après de nombreuses années d’attente inutile et de temps perdu en vaines polémiques.

Dans le contexte d’une nécessaire transition énergétique, ces éoliennes apporteront à nos territoires une source d’énergie propre, mais aussi une activité pérenne, créatrice d’emplois non délocalisables.

La puissance annoncée de chacun des deux parcs est de l’ordre de 480 à 500 mégawatts. En Vendée, elle devait pourtant être initialement de près de 576 mégawatts pour 96 mâts – et même de 120 éoliennes lors de la genèse du projet. Nous sommes donc capables d’aller plus loin.

Ce dossier illustre la volonté du Gouvernement et de la majorité d’accélérer l’effort de conversion de notre système productif aux exigences du développement durable et de la protection de l’environnement. Alors que les négociations sur le climat sont rendues difficiles du fait de l’aveuglement d’une partie de la communauté internationale et que la conversion écologique de nos économies apparaît comme une source évidente de croissance économique, pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, dans quelle stratégie s’inscrit le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Madame la députée, je souhaite d’abord remercier les élus de Vendée qui se sont mobilisés pour ce projet. Effectivement, le lancement d’une deuxième procédure d’appel d’offres sur l’éolien offshore fait partie des mesures d’urgences prises par le Gouvernement pour soutenir le développement des énergies renouvelables, dans l’attente des conclusions du débat national sur la transition énergétique qui permettra de fixer, dans la loi de programmation qui en résultera, un cap et une planification de nos objectifs en matière de développement des énergies renouvelables mais aussi d’efficacité énergétique.

Votre question me donne l’occasion d’expliquer ce que j’appelle le « patriotisme écologique » :chaque euro investi par la nation dans la transition énergétique et dans le développement des énergies renouvelables doit aussi être au service du développement local, des créations d’emplois et du développement industriel.

Lundi matin, j’étais avec le Premier ministre à Saint-Nazaire pour poser la première pierre d’une usine d’Alstom. La mise en œuvre de ces projets d’éoliennes offshore permettra, au total, la création de 10 000 emplois directs et indirects en France. Pour Alstom, ce sont 1 000 emplois qui seront créés, à Saint-Nazaire et à Cherbourg. On voit donc bien que ce défi considérable de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique peut être aussi un levier pour sortir de la crise et créer des emplois. Voilà notre objectif.

Par ailleurs, nous allons mobiliser les investissements d’avenir pour soutenir le développement de l’éolien et des énergies marines. C’est aussi le sens des mesures d’urgence pour l’éolien terrestre, qui figurent dans la proposition de loi de François Brottes et qui sont très attendues pour créer de nouveau des emplois dans ces filières industrielles, alors que les mesures prises par le précédent gouvernement ont détruit des emplois et ont déstabilisé un certain nombre d’entreprises. (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Denis Baupin.)

Présidence de M. Denis Baupin
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

2

Contrat de génération

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi portant création du contrat de génération (nos 492, 570).

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, monsieur le ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur le projet de loi portant création du contrat de génération. Comme cela a été rappelé tout au long de nos débats, il ne s’agit pas d’un contrat de travail à proprement parler, mais d’un engagement signé entre une entreprise et l’État visant à développer l’emploi des jeunes et des seniors au sein des entreprises.

Le premier objectif de la loi est de répondre à une urgence : le sous-emploi structurel des deux catégories de population visées par la loi. Le succès dépendra, nous le savons, d’une amélioration de la conjoncture générale et des actions plus globales de lutte contre le chômage que nous mettrons en œuvre à cette fin. Néanmoins, la loi doit produire ses propres effets et nous lirons avec attention les évaluations qui en seront faites dans les prochains mois. Tel est l’objet du rapport qui sera remis au Parlement, proposition que nous avons voulu ajouter dans la loi et qui a été cosignée par mon collègue Christophe Sirugue.

Le second objectif de la loi consiste à dénoncer une contradiction importante entre l’allongement des durées de cotisations pour une retraite à taux plein et le rétrécissement des périodes d’emploi. La conséquence de cette contradiction est explosive à moyen terme, avec la paupérisation des personnes âgées et le défi concomitant de la dépendance qu’il nous faudra régler.

Nous, écologistes, soutiendrons cette loi, pour deux autres raisons.

Tout d’abord, elle constitue une nouvelle approche des rapports humains au sein de l’entreprise ; les décrets d’application seront à cet égard déterminants pour en garantir la portée. Dans son esprit, la loi tend en effet à rompre avec la concurrence permanente entre salariés et, a fortiori, entre catégories d’employés mis en opposition de façon artificielle. Nous devons rompre avec la défiance entre les générations, entre les hommes et les femmes, entre les travailleurs et les chômeurs et porter un modèle de coopération et de solidarité au cœur de nos outils de production. Aujourd’hui, le niveau historique du chômage a largement contribué à opposer les chômeurs aux salariés, opposition qui a été renforcée lors de la dernière campagne présidentielle par un discours mettant à mal la cohésion sociale de notre pays. Je pense à ce discours de la droite sur l’assistanat qui est, en effet, insupportable quand on sait la passivité coupable avec laquelle elle a traité cette question.

Avec ce texte, nous faisons donc un premier pas vers la réconciliation. Il devra nous conduire, dans un deuxième temps, à mener une réflexion plus globale sur la gouvernance de nos entreprises. En effet, comme nous l’avons dit pendant nos débats, la question du chômage ne sera pas résolue par une seule loi. Le Gouvernement a, du reste, rappelé, par la voix du ministre du travail, que le texte que nous nous apprêtons à voter s’inscrivait dans une série plus large de textes que la représentation nationale aura à adopter.

De même, le dialogue et la coopération doivent faire l’objet d’une action suivie de notre majorité. Pour nous, écologistes, la transformation de notre société passe par une rénovation en profondeur de nos modes d’organisation politique ou économique. Ainsi, l’économie sociale doit être développée de façon beaucoup plus massive. Cette branche de l’économie ouvre en effet des perspectives très intéressantes en matière d’innovation environnementale, d’économie non délocalisable ou encore de gouvernance partagée. Trop souvent considérée comme un secteur marginal ou de simple expérimentation, elle doit maintenant connaître, grâce à l’action du Gouvernement, un changement d’échelle.

Pour conclure mon propos, je reviendrai sur les riches débats que nous avons eus durant l’examen de ce texte. Celui-ci est le résultat d’un travail préalable des organisations représentatives, ce dont nous nous félicitons. Cependant, il est de notre devoir de parlementaires d’y apporter des améliorations, quand elles ne dénaturent pas l’esprit de l’accord issu du dialogue.

Parmi ces améliorations, nous aurions souhaité que les mesures d’incitation soient plus importantes. À cette fin, nous avions déposé un amendement visant à conditionner l’octroi du crédit d’impôt compétitivité emploi – CICE – aux seules entreprises ayant mis en œuvre le contrat de génération. Comme nous l’avons dit, l’absence de conditionnalité dans l’attribution du CICE nous semble préjudiciable à la mise en œuvre d’une véritable politique économique de transformation écologique. Nous souhaitons que les prochains textes marquent davantage de détermination dans le soutien de ces objectifs.

Néanmoins, certaines améliorations figurent dans le texte final. Je tiens notamment à insister sur la clarification des dispositions concernant l’intégration des jeunes embauchés dans le plan de formation de l’entreprise. L’adoption à l’unanimité de cet amendement, que nous avons cosigné, est un signe important de notre attachement à la formation professionnelle dans les entreprises.

Pour toutes ces raisons, nous voterons sans réserve le présent texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et RRDP.)

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Tant mieux !

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Jean-Noël Carpentier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, chers collègues, lors de la discussion générale, j’avais indiqué que, selon les députés du groupe RRDP, la nation devait parler d’une seule et même voix sur la question essentielle de la jeunesse et de l’emploi.

J’avais dit mon sentiment qu’il faut parfois savoir se rassembler, fût-ce au prix de l’abandon de certains clivages un peu artificiels. J’avais espéré que ce projet, soutenu par l’ensemble des partenaires sociaux, serait porté par toute la représentation nationale et que cela permettrait d’envoyer un signal fort à l’ensemble de la nation, par le biais du soutien à notre jeunesse.

Je crains que ce vœu ne soit sans doute qu’un vœu pieu, une naïveté de ma part. Si la droite est un peu gênée, il est vrai, par un texte dont elle voit bien qu’il va dans le bon sens, elle n’en a pas moins, tout au long des débats, tenté d’adopter des postures d’opposition qu’elle croit malheureusement existentielles. Ce fut notamment le cas lors de la discussion générale, au cours de laquelle l’UMP a annoncé qu’elle voterait contre.

Je le regrette. La jeunesse mérite beaucoup plus que cela.

Je n’ai d’ailleurs entendu du côté droit de l’hémicycle que de faux arguments, des prétextes, voire des doutes, non sur le fond mais sur la forme ou encore sur l’incertitude de la réussite du dispositif.

Qui ne tente rien ne peut rien, et personne ne peut lire dans le marc de café. À vous entendre, mesdames et messieurs de l’opposition, il faudrait laisser faire et attendre des jours meilleurs. Nous avons, nous, choisi l’action.

Monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, chers collègues, oui, nous sommes favorables au projet de contrat de génération. Ce dispositif est positif.

Oh, bien sûr, il ne va pas résorber à lui seul les effets de la crise et les conséquences de la politique néfaste menée par la droite ces dix dernières années, (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP), mais il affiche clairement l’ambition de s’attaquer au double fléau du chômage des jeunes et des salariés plus âgés.

Nous le savons bien, les jeunes sont touchés de plein fouet par la crise. Le taux de chômage de 25 % pour cette catégorie d’âge est devenu insupportable. Il précarise notre jeunesse, brise ses espérances et handicape lourdement notre économie.

La situation des seniors n’est malheureusement pas meilleure, nous le savons tous. Nous savons aussi qu’il est devenu quasi impossible, lorsque l’on perd son emploi passé cinquante ans, d’en retrouver un autre. C’est un terrible gâchis.

Aussi, plutôt que de mettre en concurrence les générations entre elles, ce texte prévoit-il de les associer. Lors de son évaluation, nous serons, pour notre part, extrêmement attentifs aux résultats en matière de formation et nous veillerons aux effets d’aubaine inhérents à ce type de dispositif.

Enfin, je veux saluer ici le résultat de la démarche de concertation du Gouvernement qui a permis, sur ce texte-ci, un accord entre l’ensemble des partenaires sociaux, avec toutes les organisations syndicales. J’aimerais que cette démarche aboutisse aussi sur d’autres dossiers, comme celui de la sécurisation de l’emploi. Sans un accord unanime des organisations syndicales à ce propos, il faudra bien, monsieur le ministre, qu’on en reparle dans cet hémicycle.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, nous voterons donc en faveur de ces contrats de génération.

Pragmatique, ce projet de loi complète utilement le dispositif des emplois d’avenir. Il donne une cohérence à nos choix en faveur de l’emploi. Il est un signe positif, un signe d’espoir, un signe de soutien. Notre jeunesse en a besoin, la République doit agir. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, chers collègues, avec plus de quatre millions et demi de chômeurs inscrits à Pôle emploi, soit plus de 10 % de la population active, le chômage a atteint dans notre pays un niveau insupportable. La situation est particulièrement préoccupante pour les jeunes et les seniors, les premiers étant dans l’impossibilité de trouver leur place dans la société, les seconds se trouvant rejetés et subissant de plein fouet les suppressions d’emploi et les effets de la réforme des retraites de 2010.

Contrairement au gouvernement précédent, que cette situation ne troublait guère,…

M. Guy Geoffroy. Oh !

Mme Jacqueline Fraysse. …l’actuel a affiché sa volonté de s’attaquer à ce fléau.

C’est dans ce cadre qu’après les emplois d’avenir, nous traitons aujourd’hui des contrats de génération.

Bien évidemment, nous approuvons les objectifs de ce texte, qui sont de favoriser l’emploi des jeunes, leur intégration durable dans l’entreprise, le maintien en activité des seniors et la transmission des savoirs.

Comme vous le savez, nous contestons la distribution de fonds publics aux entreprises sans contrepartie et sans contrôle de leur utilisation, sans distinction selon leur taille, leur situation financière et leur politique en matière d’investissement et d’emploi. Si nous avons vivement regretté que le Gouvernement ne revienne pas sur ces exonérations lors du dernier PLFSS, nous avons noté avec intérêt son souci, dans ce texte, d’encadrer les contrats de génération.

Ainsi, les aides ne seront accordées qu’aux entreprises de moins de 300 salariés en contrepartie de l’embauche effective d’un jeune et de l’embauche, ou du maintien dans l’emploi, d’un senior. Vous avez cherché, autant que faire se peut, à éviter les effets d’aubaine et d’optimisation.

Ce texte s’inscrit dans le cadre d’un accord interprofessionnel qui a fait l’unanimité des organisations syndicales, patronales et salariées, ce qui mérite d’être salué et implique que le contenu de la loi soit fidèle à cet accord, puisqu’il recueille l’assentiment de tous. Cela ne nous a pas empêchés de l’améliorer, en jouant notre légitime rôle de parlementaires ; je tiens à le souligner, pour aujourd’hui et pour plus tard.

Nous avons ainsi introduit l’obligation d’embaucher en CDI pour les jeunes. Sur ce point, je regrette votre refus de l’exiger également pour les seniors, comme nous le demandions. De même, je regrette l’adoption de l’amendement présenté par le Gouvernement, qui ouvre une dangereuse brèche dans l’obligation du temps plein et risque de pénaliser ces salariés, notamment les femmes.

Nous avons renforcé l’encadrement des conditions d’accès à ces aides, en ajoutant à l’absence de licenciement la prise en compte des ruptures conventionnelles.

Nous avons également élargi la place et le rôle des salariés aux différentes étapes de l’élaboration du contrat, ainsi que dans le contrôle de son exécution.

Le volet formation, enfin, a été amélioré, même si sur ce point, nous aurions voulu davantage d’audace.

Ainsi, dans un climat constructif et de respect mutuel, nous avons avancé. Les députés du groupe GDR voteront ce texte, comme ils ont voté les emplois d’avenir.

Permettez-moi cependant de redire notre préoccupation de voir que le Gouvernement reste sur la ligne politique de la réduction de ce qu’il est convenu d’appeler le coût du travail, donc les salaires et cotisations sociales, en injectant toujours plus d’argent public dans les grandes entreprises privées, sans jamais remettre en cause le coût des dividendes et de la financiarisation.

Nous sommes préoccupés parce que cette voie, je veux le redire, ne permettra pas de redresser le pays, au contraire. L’exemple de Sanofi est éclairant à cet égard. Cette entreprise florissante, qui a réalisé, en 2011, 33 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 9 milliards de bénéfices, et qui devrait bénéficier de 30 à 40 millions d’euros dans le cadre du crédit d’impôt compétitivité emploi – voté sans nous au mois de décembre dernier – annonce en même temps la suppression de plus de 2 000 emplois, et je ne vous parle pas de ce que viennent d’annoncer Renault et tant d’autres d’entreprises. De telles annonces confirment que cette stratégie ne permet pas de lutter contre le chômage.

Alors, bien sûr, nous allons voter ce texte qui, nous l’espérons, apportera un plus, mais il y a urgence, monsieur le ministre, à abandonner la politique d’austérité tous azimuts si nous voulons relancer l’économie et recréer des emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes écologiste et RRDP.)

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée.

La parole est à Mme Kheira Bouziane, pour le groupe SRC.

Mme Kheira Bouziane. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, chers collègues, encourager, favoriser l’accès des jeunes à l’emploi, tout en maintenant les seniors en activité : tel est le challenge de ce projet de loi, un projet qui instaure une solidarité, dans le travail, entre jeunes et seniors pour gagner la bataille de l’emploi. C’est l’idée ambitieuse et audacieuse du contrat de génération.

Après les emplois d’avenir et l’accord sur la sécurisation de l’emploi, que nous aurons l’occasion d’examiner, le contrat de génération est le troisième volet de l’engagement du Gouvernement, avec l’ensemble des partenaires sociaux, pour relever le défi du chômage.

Ce projet s’inscrit, d’une manière générale, dans la lutte pour la croissance. Dans ce cadre, nous avons déjà eu l’occasion de valider le pacte de compétitivité, le CICE, la banque publique d’investissement.

La situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui en matière d’emploi est particulièrement grave. Le chômage des jeunes a atteint un niveau record. Moins d’un jeune salarié sur deux est en CDI, et une grande partie des jeunes subissent la précarité de l’emploi, sous la forme de contrats courts, missions d’intérim et stages répétitifs et démobilisants. On ne peut admettre qu’un jeune doive attendre en moyenne dix ans pour obtenir un CDI.

Cette situation est encore plus criante pour certains publics : les seniors, bien sûr, mais aussi les femmes, les personnes porteuses d’un handicap, les habitants de certains territoires, comme les quartiers relevant de la politique de la ville et les départements et territoires d’outre-mer. Toutes ces problématiques ont été prises en compte dans le projet de loi ou évoquées dans le débat.

Ce contrat propose un pacte entre les générations. L’enjeu est central, notamment en termes de compétitivité. Plus de cinq millions d’actifs partiront à la retraite d’ici à 2020 tandis que six millions de jeunes feront leur entrée sur le marché du travail. Plus de 70 000 entreprises artisanales attendent de jeunes repreneurs, et attendent cette loi, monsieur le ministre. Nous devons honorer ce rendez-vous.

La force du dispositif du contrat de génération réside dans son acceptation unanime par tous les partenaires sociaux. Il a fait l’objet d’un riche débat parlementaire et d’amendements émanant de tous les bancs de cette assemblée.

Les incitations financières et les pénalités s’adapteront aux entreprises en fonction de leur taille et de leur situation économique. Une évaluation devra avoir lieu ; elle est déjà prévue dans le dispositif. Ce contrat traduit un engagement phare de notre Président de la République François Hollande en direction de la jeunesse.

Aussi, le groupe socialiste, républicain et citoyens, avec conviction et force, défend et soutient ce projet de loi. Le contrat de génération, prenant en compte les deux extrémités de la pyramide des âges, répondra aux aspirations des seniors à rester actifs dans l’entreprise sans se sentir menacés. Le contrat de génération, qui ne remplace nullement les contrats de formation qui existent déjà, permettra aux jeunes d’accéder à de vrais emplois de qualité, un contrat de droit commun leur garantissant la concrétisation de leur projet professionnel et leur insertion dans une vie sociale digne.

Vous l’aurez compris, chers collègues, je vous invite à voter ce projet de loi, le premier de l’année 2013. Nos concitoyens l’attendent. Les jeunes de notre pays espèrent et leur espoir est entre vos mains. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour le groupe UMP.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne sommes pas dans un débat artificiellement clivant, comme vous avez pu le dire, monsieur le ministre, lors de la discussion générale. Nous sommes dans un débat d’une importance fondamentale : quelle politique de l’emploi voulons-nous pour notre pays ? Quelles réponses devons-nous apporter à la situation actuelle du chômage ? Comment assurer au mieux l’insertion des jeunes sur le marché du travail et comment y maintenir les seniors ? Oui, la situation est grave : 3,2 millions de chômeurs, 1 000 chômeurs de plus par jour, 25 % de chômage chez les jeunes, 89 600 chômeurs indemnisés de plus pour la seule année 2013 selon la prévision de l’UNEDIC ; ce n’est pas parce que nous validons le diagnostic de la situation que nous partageons vos solutions.

Au terme de la discussion de la semaine dernière, un grand nombre d’interrogations subsistent.

Le lien intergénérationnel n’est présent que dans l’intitulé du projet de loi et la formation des jeunes est absente du texte, en dépit d’un amendement adopté à l’unanimité, ce qui montre l’attente des parlementaires mais aussi des partenaires sociaux.

La question du financement n’est pas réglée. Les contrats de génération seront en partie financés par le crédit d’impôt compétitivité emploi. Les vingt milliards d’euros prévus sont donc d’ores et déjà amputés, et ce avant même leur mise en place. Le ministre a admis que personne n’était capable d’évaluer de manière précise le coût de ce dispositif, y compris, donc, le Gouvernement.

Une telle déclaration est au mieux inquiétante, au pire dangereuse. Il est de sa responsabilité de nous dire comment et à quelle hauteur est financé le dispositif qu’il nous demande de voter, et quelles seront les conséquences sur les enveloppes budgétaires utilisées pour le financer.

En tout état de cause, le Gouvernement prévoit que 500 000 contrats de génération seront conclus en cinq ans. L’Observatoire français des conjonctures économiques parle, quant à lui, de 21 000 créations d’emplois par an. Nous avons entendu les ministres évoquer un puzzle de mesures destinées à l’emploi et nous expliquer que nous ne pouvons pas critiquer un projet sans considérer les textes dans leur globalité. Sur les quatre pièces qui composent ce puzzle, deux ont été votées ou sont en passe de l’être : les emplois d’avenir et les contrats de génération. Ces deux mesures cumulées coûteront 5 milliards d’euros, pour un nombre d’emplois créés estimé à 50 000 par an. Comparé aux 3,2 millions de chômeurs que connaît notre pays, ce chiffre semble bien peu ambitieux, alors que la dépense fiscale, elle, se fera douloureusement sentir sur nos finances publiques.

Un des points positifs de ce texte est issu d’un amendement à l’article 5, qui étend la possibilité d’embauche à des jeunes présents dans l’entreprise avant leurs 26 ans et avant la mise en œuvre de la présente loi. Ce dispositif, que j’avais suggéré dès la discussion générale, corrige une inégalité en permettant à certains jeunes déjà présents dans l’entreprise, notamment en alternance, de bénéficier également du contrat de génération.

Le groupe UMP a mis en garde le Gouvernement et la majorité quant aux dispositions prévoyant la perte de l’aide en cas de licenciement. Plusieurs députés ont déposé des amendements visant à supprimer ou à restreindre la perte de l’aide mentionnée à l’alinéa 59 de l’article 1er. Cette disposition aura comme conséquence néfaste de limiter l’embauche des seniors. Nous n’avons malheureusement pas été entendus sur ce point, mais, au cours de l’examen du texte, la majorité est allée encore plus loin ! Une disposition introduite par voie d’amendement stipule en effet que les entreprises ne pourront pas toucher l’aide en cas de rupture conventionnelle précédant la conclusion de contrats de génération. L’absence de prise de position du Gouvernement est un signe fort de sa volonté de mettre en cause la rupture conventionnelle, pourtant voulue par les partenaires sociaux.

Le ministre a d’ailleurs lui-même déclaré, durant les débats, que cet amendement risquait de « créer des situations préjudiciables à l’embauche d’un certain nombre de jeunes ». Eh bien, je vous le confirme, monsieur le ministre : oui, cette disposition aura des effets considérablement négatifs sur l’emploi des jeunes. Pourtant, vous ne vous y êtes pas opposé. En d’autres termes, au lieu de favoriser l’emploi des jeunes et des seniors, vous tendez vers l’effet inverse. Devant une telle rigidité, les employeurs ne souscriront pas à votre dispositif ! L’engagement de la procédure accélérée ne permettra pas, d’ailleurs, de corriger cette erreur.

Après ces exemples, je n’aborderai pas en détail tous les points du texte qui posent problème ou sont extrêmement flous, comme la négociation dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, les seuils choisis pour les tailles des entreprises, le cavalier législatif présenté par le Gouvernement relatif aux inspecteurs du travail ou les délais trop courts. Vous le voyez, les griefs que nous avons contre ce texte sont nombreux et n’ont pas été atténués par son examen.

Pour toutes ces raisons, et parce que nos concitoyens attendent des mesures fortes et courageuses en matière de chômage et de baisse des déficits de l’État, le groupe UMP votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens d’abord à vous féliciter de la qualité du travail que nous avons fourni sur ce texte. Y ont participé aussi bien les députés, sur tous les bancs de cette assemblée, que les ministres présents dans l’hémicycle.

Nous nous sommes efforcés de travailler de façon constructive sur ce sujet majeur qu’est l’emploi. Notre seule préoccupation, traduite par les amendements que nous avons défendus, a été de rendre le contrat de génération efficace et opérationnel, à défaut de la politique beaucoup plus ambitieuse sur l’emploi, la formation et l’apprentissage que nous souhaitons voir mise en œuvre.

Admettez d’abord que le terme de contrat de génération est un abus de langage. Le projet soumis à notre vote est bien loin de la proposition faite durant la campagne. En effet, le contrat de génération ne se traduira pas – ou très rarement – par une transmission effective des savoirs et des compétences entre un senior et un jeune. Autrement dit, messieurs les ministres, vous créez un leurre intergénérationnel aux apparences flatteuses. Vous partez d’un bon diagnostic – celui de la difficulté pour les entreprises de libérer du temps pour encadrer des jeunes arrivants – et d’une belle idée – celle du lien générationnel dans l’entreprise –, mais vous ne parvenez pas à leur donner du sens ni un véritable contenu. Je crois qu’il eût été plus sage de conserver, quitte à les améliorer, les dispositifs qui existaient jusque-là au bénéfice des seniors, dispositifs que vous assouplissez au risque d’en affaiblir l’efficacité.

Le texte aurait au moins pu distinguer l’accueil du jeune en entreprise du travail de transmission des savoirs techniques, de sorte qu’un parrainage par un senior soit effectivement réalisable. Nous vous l’avons proposé, vous l’avez refusé. Plus concrètement encore, le texte n’évoque pas la territorialisation du contrat de génération. C’est bien dommage. Pourquoi ne pas prévoir un « bonus » pour les entreprises qui intégreraient des jeunes venant de quartiers difficiles, où le taux de chômage atteint les 40 % ?

Pour autant, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir donné un avis favorable à notre amendement relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales. Malheureusement, votre majorité ne vous a pas suivi : c’est bien dommage. Il est vrai que vous avez été à l’écoute de nos nombreuses propositions relatives à l’amélioration des conditions de travail des seniors, au principe du temps plein – que nous avions adopté à l’unanimité en commission et sur lequel vous êtes, hélas ! revenu –, à la garantie de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes et à la lutte contre les discriminations à l’embauche. Pour ce qui concerne la formation – vous savez à quel point nous y sommes attachés –, seuls quelques amendements ont été adoptés. Ils ne modifient que marginalement, il faut bien le dire, le texte.

Tout compte fait, en dégradant les dispositifs proposés aux seniors par rapport à ceux qui existent déjà et en ne répondant qu’insuffisamment au véritable enjeu de l’employabilité de la jeunesse, ce projet de loi ne nous semble pas être à la hauteur de ses ambitions. Malheureusement, une fois encore, nous regrettons le manque d’ambition de ce texte concernant la formation et la qualification professionnelle. Sous le prétexte juridique qu’il s’agit là d’un contrat de droit commun et non d’un contrat aidé, vous avez négligé le coup de pouce déterminant qu’aurait pu apporter une formation élargie, seule susceptible d’ouvrir aux jeunes les portes d’un cursus professionnel.

Enfin, pour faire face aux risques d’effet d’aubaine intrinsèquement liés à ce type de dispositif, vous en arrivez à des excès surprenants. Vous considérez notamment que tout licenciement d’un senior doit empêcher le recrutement d’un nouveau senior non seulement sur le même poste, ce qui se comprendrait, mais dans la même catégorie d’emploi. Vous bloquez ainsi potentiellement une démarche globale de gestion des ressources humaines. Là encore, nous craignons que le remède soit pire que le mal.

Dans la même veine, vous avez instauré un contrôle par l’administration des accords d’entreprise et des plans d’action. Là encore, vous faites preuve d’une certaine méfiance à l’égard des entreprises et prenez ainsi le risque de retarder et de complexifier des procédures jusqu’à les rendre décourageantes. Enfin, ne fallait-il pas mieux définir le public visé par ce contrat de génération ? Sans aller jusqu’à élargir la cible à celle des emplois d’avenir, le dispositif aurait gagné en efficacité s’il avait été recentré sur les jeunes non diplômés de l’enseignement supérieur.

Mes chers collègues, alors que la souplesse, la confiance et le contrat entre les partenaires sociaux sont les premiers gages de la réussite de la bataille pour l’emploi, ce texte introduit plus de cadres, de strates, de contrôles et de sanctions. Alors que ce projet de loi néglige l’obligation d’objectif, nous considérons que la compétence et la formation sont la garantie d’un travail durable. Enfin, les mots doivent avoir un sens précis ; or ce texte ne traduit pas concrètement cette belle idée de solidarité intergénérationnelle et le grand chantier qui reste à ouvrir sur la transmission des savoirs et des savoir-faire.

Tirant les conséquences de cette analyse, messieurs les ministres, nous ne pouvons que nous abstenir sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix l’ensemble du projet de loi portant création du contrat de génération.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 537

Nombre de suffrages exprimés 500

Majorité absolue 251

(Le projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

3

Situation
de la sidérurgie française et européenne
dans la crise économique et financière

Discussion d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de résolution de M. Alain Bocquet tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement (nos 99 et 627).

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, madame la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie, mes chers collègues, l’étude que l’INSEE a rendue publique en décembre dernier concernant l’industrie manufacturière en France confirme que cette activité « a été durement touchée par la crise depuis 2008 » et que « la production n’a toujours pas retrouvé son niveau antérieur ». Elle situe les premières étapes de la désindustrialisation de notre économie au tournant des années 1980 et souligne que « certaines dynamiques défavorables enregistrées depuis 2008 étaient en fait déjà à l’œuvre ».

Ce double constat suffirait, à lui seul, à justifier la création de la commission d’enquête proposée par les députés membres du front de gauche sur la situation et l’avenir de la sidérurgie française et européenne.

Les récentes annonces du Gouvernement concernant l’industrie ferroviaire, qui prolongent pour l’essentiel les vingt-cinq propositions que la commission d’enquête parlementaire présidée par notre collègue Alain Bocquet avait adoptées à l’unanimité à l’été 2011, montrent – s’il en était besoin – que le travail parlementaire peut apporter un concours déterminant sur un enjeu aussi décisif que la réindustrialisation de notre économie. Nous croyons en effet qu’il nous faut situer notre objectif à ce niveau.

Comment la sidérurgie pourrait-elle rester étrangère à une telle problématique, elle qui regroupe en France 45 000 emplois directs et mobilise 30 000 emplois indirects ? Elle répond, de plus, aux besoins d’industries considérables, comme l’automobile, le ferroviaire, l’électroménager, l’agroalimentaire, la construction navale, l’énergie, le BTP.

Face au défi de la mondialisation, et alors qu’il faudrait mettre plus radicalement en œuvre des politiques de rupture avec les logiques ultralibérales afin de permettre à notre pays de sortir de la crise par le haut, la sidérurgie participe aussi – cela a été souligné au cours des travaux de la commission des affaires économiques – de l’indépendance de la France.

Pour plusieurs régions, la Lorraine – dont la commune de Florange, bien entendu – mais aussi le sud-est et le Nord-Pas-de-Calais, la question se pose de porter un coup d’arrêt à la fermeture ou à la mise en sommeil des sites de production, et de définir les perspectives d’un développement de la production, de la recherche et des emplois.

Nous devons également être attentifs à la dimension européenne de la question qui se pose, peu ou prou, dans les mêmes termes à l’heure où l’Espagne, le Luxembourg, la Belgique, l’Europe centrale subissent des décisions de liquidations préjudiciables à toute l’économie de l’Union européenne.

Le rapport de la commission des affaires économiques souligne précisément l’ensemble de ces enjeux auxquels s’ajoute celui du remplacement, d’ici à 2015, des 11 000 salariés de la sidérurgie française qui partiront à la retraite. Le renouvellement des générations de salariés, l’insertion des jeunes par l’emploi, la transmission des savoirs acquis sont au cœur de cette proposition de création d’une commission d’enquête.

Alors que la demande d’acier mondiale progresse et que la demande européenne devrait suivre dès 2014, il est essentiel de donner à notre pays et à l’Europe les moyens d’être présents et de rester exportateurs au lieu de devenir une région du monde importatrice nette d’acier.

Pour toutes ces raisons, le groupe GDR souhaite que tous les groupes de notre assemblée acceptent la création de cette commission d’enquête. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean Grellier, pour le groupe SRC.

M. Jean Grellier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution présentée la semaine dernière à la commission des affaires économiques tend à créer une commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement. Le titre même de cette résolution s’inscrit dans une ambition forte. À partir d’un diagnostic de la situation actuelle et de l’évolution constatée depuis plusieurs années, il s’agit de définir avec l’ensemble des acteurs de la filière la ou les stratégies à mettre en œuvre pour assurer un avenir au secteur de la sidérurgie ainsi qu’aux nombreuses autres activités qui en découlent et, surtout, pour garantir la pérennité des emplois et des savoir-faire qui ont pu être développés sur de nombreux territoires.

Dans ce cadre, le groupe socialiste, républicain et citoyen donne un avis favorable à ce projet de résolution et participera de façon dynamique et positive à la future commission d’enquêté dès qu’elle sera créée. Son élargissement à la métallurgie permettra d’étendre encore le périmètre des actions, comme l’avait demandé en commission mon collègue Christophe Léonard et comme l’a proposé François Brottes, président de la commission des affaires économiques.

Vous avez d’ores et déjà, monsieur Bocquet, présenté une sorte d’état des lieux du secteur de la sidérurgie et des évolutions qui ont été engagées, surtout au cours de la dernière décennie. Lorsque j’ai rédigé, au mois d’octobre dernier, mon rapport pour avis sur le budget de l’industrie, le président de notre commission des affaires économiques, François Brottes, m’avait demandé d’insister sur la situation de la sidérurgie. J’ai pu le présenter comme un rapport d’étape à la fin du mois d’octobre dernier. Une grande partie du diagnostic peut être partagée sur l’évolution et la situation de la filière. Il est possible de tracer quelques pistes de réflexion et d’action concernant les perspectives de plusieurs territoires, en particulier lorrains, et les restructurations qui touchent à la filière chaude, mais aussi le développement de technicités nouvelles sur la filière froide, en soulignant notamment les capacités réelles qui existent dans notre pays en matière de recherche et d’innovation, capacités qu’il faut surtout soutenir, sauvegarder et développer.

Le 3 décembre dernier, le journal Le Monde titrait de manière caustique : « La sidérurgie a-t-elle encore un avenir en France » ? ArcelorMittal s’est engagé à investir 180 millions d’euros dans les cinq ans à venir sur le site mosellan, mais il sera nécessaire d’être vigilant sur la réalisation de ces investissements et les perspectives d’avenir qu’ils peuvent offrir. Notre sidérurgie est passée, en vingt ans, du neuvième au quinzième rang mondial. Pourtant, nous avons des atouts et ce secteur est incontestablement stratégique pour l’ensemble de notre industrie. L’importance de cette filière « […] dans l’économie résulte moins de sa taille que de sa place dans la chaîne de production, comme fournisseur direct ou indirect de l’industrie métallurgique [...] des fabricants de biens d’équipement, de l’industrie du bâtiment [...] et de beaucoup de fabricants de biens de consommation », ainsi que le souligne le rapport Faure. Ce rapport, remis au Gouvernement en juillet dernier, constitue une ressource très complète en termes de réflexion sur les enjeux de la filière dont la structuration, à l’avenir, se révélera fondamentale pour d’autres secteurs industriels complètement interdépendants.

Gardons à l’esprit qu’avant la crise de la sidérurgie, plus de 165 000 salariés travaillaient pour la filière. Nous savons que la crise de 2008 a eu des conséquences immédiates, dans la droite ligne des problèmes du secteur de l’automobile et de la construction. Le marché est devenu, ensuite, surcapacitaire et menace la production européenne et française. La production européenne a chuté de 25 % depuis 2008. La Chine produit, aujourd’hui, 45 % de l’acier vendu dans le monde. Nos usines européennes spécialisées dans les aciers plats payent le prix fort de cet environnement dégradé. Seuls quatorze des vingt-cinq hauts-fourneaux européens d’ArcelorMittal fonctionnent encore aujourd’hui. Pourtant souvent présenté comme le joyau du groupe, le site de Dunkerque n’a pas été épargné, même si nous pouvons nous satisfaire de la réouverture d’un de ces hauts-fourneaux le 17 janvier dernier.

Ces éléments démontrent la pertinence d’établir un diagnostic rationnel, de dégager rapidement des solutions concrètes et de tracer des perspectives d’avenir, en ayant à l’esprit les maîtres mots : innovation, qualité, aciers spéciaux à forte valeur ajoutée, nouveaux marchés vers les pays émergents et, bien entendu, le projet ULCOS.

Il y a quelques semaines, le Gouvernement a négocié un accord avec ArcelorMittal sur la spécificité de l’avenir du site de Florange avec, notamment, l’avenir de la filière chaude, sachant que la filière froide conserve, sur ce site, une activité significative. Le cadre de cet accord constituera, me semble-t-il, un élément important du travail de la commission d’enquête ; le projet ULCOS, qui en est un des axes majeurs, devra y être intégré.

La dimension européenne est, bien entendu, essentielle et elle doit être prise en compte ; encore faut-il y ajouter une dimension mondiale, du fait de l’industrialisation des pays émergents, tant en termes de ressources en matières premières qu’en termes de production et de débouchés. Dans ce cadre, il sera également permis d’aborder la sidérurgie et la métallurgie sous l’angle stratégique de la souveraineté et de l’indépendance nationale et européenne – même si l’expression est forte –, compte tenu des enjeux industriels que représente ce secteur de la sidérurgie. Cet enjeu donne toute son importance à un élargissement potentiel du périmètre de la commission, qu’il faudra bien maîtriser pour ne pas se disperser. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann, pour le groupe UMP.

M. Éric Straumann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe GDR a souhaité déposer une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne. La commission des affaires économiques a adopté un amendement visant à inclure la métallurgie dans le périmètre de cette commission d’enquête. Je tiens à affirmer que le groupe UMP porte un regard attentif sur la création de ladite commission et qu’il participera activement à ses travaux. La sidérurgie est, en effet, un domaine structurant de notre industrie. Elle concerne, dans notre pays, 45 000 emplois directs et 30 000 emplois induits. Si elle ne représente que 2 % de l’emploi industriel sur notre territoire, il s’agit néanmoins d’une industrie stratégique dont dépendent de nombreuses branches d’activité situées en aval. Malheureusement, la part de la sidérurgie française dans la production européenne et mondiale a diminué très rapidement entre 1950 et 1980 pour se stabiliser autour de 10 % à 12 % de la production totale européenne et ne compte plus, aujourd’hui, que pour 1 % dans la production mondiale d’acier. Paradoxalement, la demande mondiale ne cesse d’augmenter : 165 millions de tonnes d’acier ont ainsi été produites en 2012 et la demande attendue pour 2014 est estimée à 180 millions de tonnes. La filière doit donc faire face à de nouveaux défis pour se reconstruire. Cette situation est douloureuse, nous le savons tous, comme l’ont montré les récentes décisions concernant le site de Florange.

C’est pourquoi cette commission d’enquête aura pour mission de faire toute la lumière sur le dossier de Florange, car de nombreuses questions restent aujourd’hui toujours sans réponse. Y avait-il un repreneur sérieux pour ce site ? Pourquoi a-t-il été écarté ? Pourquoi le ministre a-t-il brandi la menace d’une nationalisation ? Quel est l’état réel du projet européen ULCOS ? Quels seront les impacts des annonces du Premier ministre sur l’ensemble de la filière ? Plus précisément, pour éviter tout plan social à Florange, d’autres sites et d’autres emplois ont-ils été sacrifiés ? À quoi vont servir concrètement les 180 millions d’euros qu’ArcelorMittal doit consacrer au site ? Nous pouvons d’ailleurs nous interroger avec force sur l’intérêt que le Gouvernement a porté à Florange – même si nous comprenons aisément qu’il s’agit de maintenir des emplois – alors qu’il a, au même moment, décidé de fermer la centrale de Fessenheim, en Alsace. Bien que l’Autorité de sûreté nucléaire ait autorisé le fonctionnement de cette dernière pour dix années supplémentaires, il a été décidé de rayer d’un trait de plume 2 000 emplois. Je souhaiterais que l’on défende les emplois de Fessenheim avec la même énergie que l’on met à défendre ceux de Florange.

M. François de Rugy. Quel est le rapport ?

M. Éric Straumann. Il s’agit, mon cher collègue, de défendre des filières d’excellence !

À la lecture de son intitulé, cette commission d’enquête aura un large champ d’investigation et de proposition, ce qui permettra d’avoir une vision d’ensemble et à long terme. L’angle européen mérite d’autant plus d’être souligné que la construction européenne s’est bâtie autour de l’acier avec la CECA.

Pour autant, mes chers collègues, il nous est difficile de voter en faveur de la proposition de résolution telle qu’elle est présentée ; nous nous abstiendrons donc. En effet, nous regrettons que l’exposé des motifs et le rapport tendent, d’ores et déjà, à prendre un certain parti – un parti « antipatronal », dirons-nous – et à apporter des réponses à des questions essentielles. Le groupe UMP souhaite que cette commission travaille en toute objectivité et en toute transparence. Il optera, en conséquence, pour une abstention constructive. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Franck Reynier, pour le groupe UDI.

M. Franck Reynier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, l’arrêt prolongé des lignes de production de Florange a provoqué un choc dans la région et, au-delà, dans l’ensemble de notre pays. Les derniers hauts-fourneaux lorrains à l’arrêt représentent, aujourd’hui, le triste étendard d’une sidérurgie en perte de vitesse sur le territoire national. Avec eux, c’est une partie de notre histoire industrielle qui s’éteint avec, en toile de fond, des centaines d’hommes et de femmes qui sont confrontés à un véritable drame social.

Le contexte international explique en partie ce phénomène : la crise économique et financière de 2008 a provoqué une chute particulièrement marquée du marché de l’acier en Europe, qui a atteint 50 % en France. En dépit d’une embellie temporaire, un nouveau repli de la consommation s’est amorcé depuis 2011. Des surcapacités substantielles de production en Europe, déjà résorbées dans les années 1980, se font à nouveau jour de façon probablement durable, selon l’ensemble des projections recensées aujourd’hui. Les chiffres de l’emploi et de la production de la filière sont en diminution depuis les grandes restructurations des années 1970. Parallèlement, la part de la sidérurgie française dans la production mondiale ne cesse de reculer : notre pays, qui ne compte plus que pour 1 % dans la production mondiale d’acier, est passé en vingt ans du neuvième au quinzième rang mondial. Si la filière ne représente que 1,9 % de l’emploi industriel, de récentes études montrent que son poids réel dans l’économie de notre pays représente bien davantage à travers les interconnexions qu’elle établit avec le développement des autres activités industrielles, comme la métallurgie, les fabricants de biens d’équipement ou encore l’industrie du bâtiment.

Dans ce contexte, notre rôle est de nous pencher sur les origines de la perte de vitesse de notre industrie sidérurgique, d’analyser les raisons qui expliquent que la perte de parts de marché de la France – 27 % – se soit faite au profit de l’Allemagne, de l’Espagne ou de l’Italie. Cela implique d’avoir une vision globale et à long terme de la situation de la sidérurgie en France et en Europe, puisque celle-ci a été au cœur de la naissance du projet européen. À travers ces questions, c’est celle de notre indépendance industrielle qui nous est directement posée. Nous devons parvenir à anticiper les mutations du secteur dans le but d’apporter des solutions pragmatiques aux 75 000 salariés qui travaillent encore dans l’industrie sidérurgique française.

La création de cette commission d’enquête doit aussi permettre de faire toute la lumière sur le dossier de Florange et sur les atermoiements de l’exécutif au sujet de la reprise éventuelle du site.

Quels événements ont bien pu conduire M. le ministre du redressement productif à affirmer qu’un aciériste était prêt à investir 400 millions d’euros pour la totalité du site, brandissant alors d’une main menaçante le spectre de la nationalisation en cas de refus d’ArcelorMittal, avant d’être recadré, deux jours plus tard, par le Premier ministre qui ne retenait finalement aucune des options triomphalement présentées par son ministre ? Dans ce contexte de drame social, de telles attitudes ajoutent de la désespérance au désespoir.

La commission d’enquête devra également se pencher sur l’accord intervenu entre Mittal et le Gouvernement, sur la réalité des investissements qui seront véritablement engagés et sur la diversification et la pérennisation des activités sur ces sites.

Le groupe UDI, s’il ne partage pas la virulence de l’exposé des motifs de la résolution, qui désigne des responsables tout trouvés de la situation du marché de la sidérurgie, apportera naturellement son soutien à la création de cette commission d’enquête.

Le fait que l’on inscrive ses futurs travaux dans le cadre européen et que l’on élargisse son champ à la métallurgie nous renforce dans notre soutien.

Ce soutien se veut lucide et constructif, car nous souhaitons avant tout que la future commission ne se cantonne pas à établir un état des lieux. De nombreux experts s’accordent à dire que seule l’innovation peut sauver la filière.

L’essentiel de notre travail devra donc se focaliser sur nos potentialités technologiques, celles qui nous donneront un temps d’avance dans la concurrence avec les pays émergents et permettront de pérenniser notre industrie sidérurgique en apportant un espoir aux salariés concernés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Monsieur le président, mes chers collègues, nous étions, hier, en Allemagne. Il est de bon ton, dans notre pays, de saluer la puissance industrielle allemande. C’est en effet une réalité et cette puissance repose sur toute l’industrie, y compris les industries traditionnelles, comme la sidérurgie.

Pour nous, écologistes, la sidérurgie – certains feignent de l’ignorer – reste une industrie centrale dans la panoplie des activités de notre pays. Tout d’abord, l’Europe consomme de l’acier. Il est donc logique, rationnel, que cet acier y soit fabriqué. Ensuite, c’est un secteur important pour le nombre d’emplois qu’il représente aujourd’hui encore dans notre pays et pour le rôle qu’il peut jouer dans la transformation écologique de l’économie que nous appelons de nos vœux.

Qu’il s’agisse de développer les transports publics, et notamment l’industrie ferroviaire – dont notre pays, on l’oublie trop souvent, est l’un des leaders mondiaux –, de mettre en œuvre des plans industriels de soutien aux énergies renouvelables, et en particulier les éoliennes, de renforcer le transport fluvial ou d’assurer le soutien à nos chantiers navals, la sidérurgie est indispensable à notre ambition économique et industrielle.

Elle représente à nos yeux une industrie stratégique, non seulement du point de vue de ses débouchés, mais également au regard des enjeux technologiques et de modification des process de production auxquels elle est confrontée. Développer la filière du recyclage de l’acier, produire des aciers de haute valeur technologique, tout en minimisant l’impact environnemental des activités sidérurgiques, ce n’est pas seulement un impératif écologique, c’est aussi une opportunité économique. Nos savoir-faire industriels doivent y trouver de nouveaux débouchés.

Les sites de production européens, et singulièrement les sites français, doivent jouer un rôle prépondérant dans l’avènement de cette nouvelle sidérurgie. Des dispositifs existent en matière de recherche-développement. Des programmes européens et des fonds affectés sont disponibles. Encore faut-il que les industriels jouent le jeu et acceptent de voir plus loin que leurs bénéfices ou le cours de bourse du moment.

En tant qu’élu de Loire-Atlantique, je connais les conséquences concrètes des stratégies de groupes industriels comme ArcelorMittal, qui a annoncé la fermeture d’une activité sur le site de Basse-Indre. Lors des débats autour de l’avenir du site de Florange, nous avons été très nombreux au sein de mon groupe à signer l’appel en faveur d’une nationalisation temporaire, le temps de trouver un repreneur, car nous pensons que ces activités sont viables.

C’est pourquoi nous nous réjouissons de l’initiative de nos collègues communistes, et nous soutiendrons cette demande de création d’une commission d’enquête. Celle-ci devra s’attacher à apporter des réponses à certaines interrogations récurrentes, non seulement pour dénoncer, mais aussi et surtout pour éviter que des erreurs ne se reproduisent, qui nous ont amenés à la situation actuelle.

Quel rôle une erreur stratégique commise par l’acteur principal de la sidérurgie française, le groupe Mittal, a-t-elle joué dans la crise actuelle ? Chacun sait qu’après le rachat d’Arcelor en 2006 – et, à l’époque nous étions nombreux à regretter qu’on ait laissé faire –, ce groupe a décidé d’investir massivement dans le secteur des mines, au prix d’un endettement colossal, qu’il fait aujourd’hui payer à la sidérurgie alors que la conjoncture s’est retournée. ArcelorMittal n’est pas pour autant une multinationale en faillite : en 2011, elle a engrangé 2,3 milliards de dollars de bénéfices, son chiffre d’affaires s’est accru de 8 % et ses revenus de 20 %.

De quelles largesses le groupe a-t-il bénéficié, en particulier au titre de la politique climatique européenne ? On le souligne généralement assez peu, mais les menaces de délocalisation, le chantage à l’emploi et les combines financières ont permis à l’entreprise de s’affranchir de ses obligations en matière de réduction des émissions de gaz carbonique. Dans tous les pays européens où il est installé, le groupe Mittal s’est vu délivrer gratuitement un montant faramineux de ces permis de CO2 qui s’échangent en bourse, lui permettant d’accumuler un trésor de guerre évalué à 1,9 milliard d’euros. Ces « droits à émettre » concernent parfois des sites industriels dont l’arrêt a été décidé peu après l’adjudication des permis, comme c’est le cas à Seraing en Belgique. Flouées, les autorités ont regardé Mittal passer à la caisse, car la revente d’une petite partie de ces quotas a déjà rapporté au groupe 70 millions d’euros en 2010 et 105 millions en 2011.

La commission d’enquête devra également établir les conditions dans lesquelles le groupe Mittal bénéficie de crédits au titre du crédit d’impôt recherche.

Oui, toutes ces questions devront être au cœur des travaux de la commission, mais il faudra aller plus loin, et s’interroger également sur les raisons de l’impuissance des États à combattre cette stratégie de restructuration menée à l’échelle mondiale et à marche forcée, une stratégie qui met en concurrence les sites de production et les États à travers leurs normes sociales et environnementales, leurs régimes fiscaux et leurs aides publiques.

Ne pas s’interroger sur les conditions de l’intervention de la puissance publique, ce serait se résoudre à assister à la lente disparition de la sidérurgie en Europe, les interventions publiques ne faisant que reculer les échéances.

Au cercle vicieux de Mittal, l’Europe doit opposer un cercle vertueux fondé sur l’innovation, la performance énergétique et carbone, la responsabilité sociale, la régulation du commerce mondial, bref la compétitivité par le haut. Pour ce faire, les travaux de la commission pourront constituer un socle utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe RRDP.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, la France traverse une période de désindustrialisation massive, qui a des conséquences économiques et sociales graves pour nos concitoyens. Face à cette situation, nous avons le devoir de chercher sans cesse des réponses pour améliorer nos capacités productives et retrouver le chemin de la compétitivité.

La sidérurgie est un bon exemple de cette situation et de la nécessité de l’action de la puissance publique. Elle renvoie à une histoire, à une vision collective, à des territoires, à tout un imaginaire et à une culture populaire. Pour toutes ces raisons, les députés du groupe RRDP accueillent avec bienveillance la proposition de nos collègues du groupe GDR et se félicitent de l’extension du champ de la commission à la métallurgie.

Les récents événements concernant le groupe ArcelorMittal et son site de Florange donnent une pertinence toute particulière à cette proposition de résolution pour la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation de la sidérurgie française déposée en juillet dernier.

Le groupe ArcelorMittal est né en 2006 du rachat d’Arcelor par l’entrepreneur indien Lakshmi Mittal. Premier groupe sidérurgique mondial, il a réalisé 73 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier et emploie quelque 260 000 salariés, dont 20 000 en France. Mais n’oublions pas qu’il en employait 320 000 en 2006, ce qui est bien souligné dans la proposition de résolution.

Cette proposition met en lumière la financiarisation récente et progressive de cette industrie, au détriment de l’emploi, et montre en détail le cynisme qui domine cette logique strictement financière.

Le 1er octobre, le groupe Mittal avait officialisé l’arrêt des deux hauts-fourneaux du site industriel de Florange, donnant deux mois au Gouvernement pour trouver un éventuel repreneur. Maintenus « sous chauffe » de façon à pouvoir éventuellement être redémarrés, ces deux fourneaux font partie de la filière dite « liquide » de Florange, qui concerne la production d’acier brut et emploie 630 salariés.

Le 22 novembre, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, a évoqué au Sénat l’éventualité d’un contrôle public, même temporaire, du site, en insistant sur le fait que l’entrepreneur n’avait jamais tenu ses engagements à l’égard de l’État français et en s’appuyant sur le rapport rendu par Pascal Faure fin juillet, rapport qui confirme la rentabilité du site de Florange. Mi-décembre, selon une note interne signée de la direction et fournie par la CFDT, le site de Florange serait l’un des plus rentables du groupe sidérurgique.

L’issue pour Florange, du fait de l’accord entre le Gouvernement et le groupe sidérurgique ArcelorMittal, qui garantit la réorganisation du travail sur le site de Florange sur des bases exclusivement volontaires et promet de réaliser de manière inconditionnelle un montant minimal d’investissements de 180 millions d’euros dans les cinq ans à venir, est finalement moins dramatique que ce que l’on pouvait redouter, mais la conduite des opérations a été particulièrement tumultueuse, au point que, pour l’opinion publique, il s’agit d’un échec politique et social.

Au vu de ce qu’il fait ailleurs, la stratégie de Mittal semble bien consister à arrêter les équipements pour faire remonter le cours de l’acier lorsque l’on se trouve dans une phase conjoncturelle de surcapacité, comme c’est le cas aujourd’hui. Dans une période de chômage massif et de désindustrialisation, c’est tout simplement inacceptable. Nous ne devons pas faire preuve d’une naïveté coupable.

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme Jeanine Dubié. N’oublions pas que, lorsqu’un site comme Florange ferme, ce sont évidemment des emplois qui disparaissent, mais aussi, ce qui est plus grave, des savoir-faire, des techniques, une activité locale, des emplois induits. Or, tout cela se reconstruit très lentement.

La sidérurgie représente une valeur. Il est assez irresponsable de penser qu’il s’agit uniquement du passé, que l’acier doit être produit ailleurs et qu’il faut passer à autre chose.

Dans ces conditions, proposer un outil comme une commission d’enquête parlementaire nous paraît être une bonne initiative. Les députés du groupe RRDP considèrent donc que la forte résonance dans l’opinion publique de ce sujet justifie la création d’une telle commission pour bénéficier d’éléments d’information supplémentaires sur la situation de la sidérurgie mais aussi de la métallurgie et faire des propositions sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

Vote sur la demande de création
de la commission d’enquête

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que la commission des affaires économiques a ainsi rédigé l’intitulé de la commission d’enquête : « Commission d’enquête chargée d’investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement ».

Je rappelle qu’aux termes de l’article 141, alinéa 3 du règlement, la demande de création d’une commission d’enquête est rejetée si la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée s’y oppose, soit 347 voix. En outre, seuls les députés défavorables à la création de la commission d’enquête participent au scrutin.

Je soumets à l’Assemblée la demande de création d’une commission d’enquête.

Qui est contre ?...

La majorité requise n’est pas atteinte.

En conséquence, la demande de création d’une commission d’enquête est adoptée. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

La parole est à M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Je me félicite de ce vote unanime en faveur de la création de cette commission d’enquête.

Je remercie particulièrement Alain Bocquet et son groupe d’avoir accepté d’élargir le champ de l’investigation à la métallurgie. Nous avons évoqué l’aluminium et le cuivre. Il s’agit d’industries extrêmement proches, tout d’abord parce qu’elles fabriquent des produits qui ont souvent les mêmes usages, ensuite parce que ce sont des activités électro-intensives. S’agissant des dérives, évoquées par l’un de nos collègues, l’utilisation du marché de CO2 ne doit pas être analysée seulement pour la sidérurgie. Par ailleurs, ces métiers sont assez proches quant à leurs savoir-faire. Enfin, il est important que le Parlement démontre que toutes ces industries comptent pour l’avenir industriel de la France.

Cette commission d’enquête, qui, comme toutes les commissions d’enquête, a des pouvoirs d’investigation assez considérables, nous offrira des moyens conséquents qui nous permettront d’aller au bout d’un certain nombre d’analyses, complétant ainsi utilement le travail de la mission de suivi et de contrôle mise en place par la commission des affaires économiques, qui n’est pas une commission d’enquête à part entière, les temps n’étant pas tout à fait les mêmes. Je me réjouis donc que ce travail puisse être réalisé. J’ajoute que, demain matin, la mission de suivi et de contrôle traitera également de l’accord entre ArcelorMittal et l’État.

Nous avons beaucoup de travail, mes chers collègues, mais il nous passionne. Il y a un grand nombre d’emplois à la clé. C’est donc un travail très important et très attendu. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le débat relatif aux politiques industrielle et commerciale européennes, inscrit à l’ordre du jour de cet après-midi, se tiendra salle Lamartine, à dix-sept heures trente-cinq.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Débat sur les politiques industrielle et commerciale européennes

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat relatif aux politiques industrielle et commerciale européennes.

La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat sous forme de questions.

Je donnerai dans un instant la parole à Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, puis à M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Nous en viendrons ensuite aux questions et réponses, avec d’éventuelles répliques et contre-répliques.

La parole est à Mme la ministre du commerce extérieur.

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Nos politiques commerciales se décident aujourd’hui, pour beaucoup, au niveau des vingt-sept partenaires de l’Union européenne. Le 17 janvier, le commissaire européen pour le commerce extérieur, M. De Gucht, est venu prendre la parole devant la commission des affaires européennes de votre assemblée. J’étais en Turquie mais j’ai lu le compte rendu ainsi que la dépêche qui s’en sont suivis, et je partage certains points de son intervention. Le commerce contribue indéniablement à la croissance et à l’emploi. C’est évidemment vrai en Allemagne, et cela doit être pour nous une priorité. Je rappelle que 1 milliard réalisé à l’export représente 10 000 emplois en France, et qu’en 2012, le commerce extérieur a contribué à la croissance française à hauteur de 0,6 point.

Dans les années à venir, la croissance mondiale sera concentrée à 90 % en dehors de l’Europe. Il faut avoir ce chiffre en tête. J’ai publié à ce sujet une tribune dans un journal économique, la semaine dernière : le protectionnisme est une impasse historique, et il faut trouver notre place dans la mondialisation ; c’est mon travail et celui de tout le Gouvernement.

Dans dix ans, quarante-sept pays, dont j’ai fait la priorité de mon action, concentreront 80 % de la demande mondiale. Parmi eux se trouvent de nouvelles terres de croissance : je pense aux grands émergents, regroupés sous l’acronyme BRICS, aux émergents intermédiaires, les CIVETS, mais aussi à d’autres qui émergent à peine, en Asie du sud-est comme en Afrique, terre de toutes les potentialités. Ma mission, au commerce extérieur, est d’aider les entreprises qui ont l’esprit de conquête à gagner dans la mondialisation, à faire progresser leur place dans un monde ouvert.

Le commissaire De Gucht évoquait devant vous la réciprocité positive, une réciprocité qui amènerait nos partenaires à notre niveau d’ouverture. Dès lors que l’on qualifie un substantif, il faut regarder de quoi il retourne, dans la volonté exprimée par le commissaire européen.

Ce matin, je suis rentrée de Chine, premier exportateur et deuxième puissance mondiale. La Chine est un partenaire stratégique dans deux de nos domaines d’excellence, l’aéronautique et le nucléaire. Ces grands contrats, comme on les appelle, ne sont pas déterminants dans le commerce extérieur de la France, en valeur absolue – ils représentaient en 2011 une trentaine de milliards sur les 430 milliards de l’ensemble du commerce extérieur français –, mais ils assurent beaucoup d’activité et revêtent une grande importance en termes d’image pour la marque France.

Nous devons aussi nous occuper du commerce courant. En Chine, où les besoins agroalimentaires sont phénoménaux, en tout cas exponentiels, j’étais accompagnée d’entreprises de ce secteur, du champ à l’assiette. C’est une de mes familles prioritaires : nous avons de belles espérances dans ce secteur, comme nous en avons, dans tous les grands émergents, autour du concept de ville durable, une autre de mes priorités.

Je veux dire un mot de la réciprocité. Il faut comprendre que l’accès à ces marchés porteurs a sa contrepartie, à savoir l’internationalisation des entreprises françaises, ce qui nécessite des implantations dans les pays d’accueil.

L’Union européenne, ces dernières années, a beaucoup, et peut-être trop rapidement, ouvert ses marchés, sans suffisamment s’appuyer dans la négociation sur la force qu’elle représente. J’ai l’habitude de le dire et je vous le redis, mesdames et messieurs les députés : l’Europe est le premier marché du monde, le deuxième étant les États-Unis, la Chine ne venant qu’ensuite.

Le traité de Rome comportait l’objectif de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges mondiaux. Où en est-on au terme de cinquante ans d’abaissement de nos barrières tarifaires ? Le marché européen est plus ouvert que celui des autres pays, dont certains, lorsqu’ils ont adhéré à l’OMC, n’ont pas pris sur l’ouverture les mêmes engagements que l’Union européenne.

Surtout, nous n’avons pas, au niveau européen, suffisamment veillé, dans la négociation des accords de libre-échange, à la suppression en parallèle des barrières non tarifaires. Quand, sur les accords de libre-échange récents ou en cours de négociation, nous avons donné mandat au commissaire De Gucht, nous avons réussi à obtenir que la discussion de la baisse des tarifs douaniers s’accompagne des « prérequis » de la baisse des barrières non tarifaires. J’y reviendrai.

Le système multilatéral, qui a connu son heure de gloire au début des années quatre-vingt-dix, s’étant aujourd’hui enlisé, les accords bilatéraux de libre-échange se sont multipliés dans la dernière période. Ces négociations bilatérales, il fallait bien sûr en être, mais en étant plus vigilant quant au mandat de négociation donné à la Commission européenne. Le traité de Lisbonne, entré en vigueur fin 2010-début 2011, donne des moyens au Parlement européen, lequel se révèle, comme nous l’avons vu avec le Japon, un précieux allié des États, dans leurs demandes.

L’Europe, je l’ai dit, est le premier marché du monde – 500 millions de consommateurs –, le premier importateur, mais aussi le premier exportateur. Si elle se fait respecter dans les négociations, personne ne s’en étonnera donc : c’est la première puissance commerciale du monde. Tous les pays veulent un accord de libre-échange avec elle. Il faut s’appuyer sur cette force ; c’est un levier dans les négociations, et c’est pourquoi j’ai entamé une tournée des capitales européennes pour trouver des alliés de la réciprocité. J’ai envoyé à certains de mes collègues un courrier à signer en commun pour l’adresser à la Commission, au nom de cette réciprocité.

La France n’est pas seule : elle ne peut pas tout, mais c’est un pays qui compte en Europe. Sa voix est entendue, mais nous devons convaincre, car rien n’est pire que l’isolement dans une négociation. Des échéances nous attendent, et il ne faut pas les manquer.

Nous nous battons pour voir adopter rapidement le projet de règlement sur l’accès aux marchés publics dans les pays tiers, qui devront s’ouvrir sous peine des mesures restrictives dont seront victimes leurs entreprises dans nos propres marchés. Un progrès est visible, puisque, le 18 décembre 2012, grâce au travail accompli au sein du Conseil de compétitivité, la commission marché intérieur du Parlement européen a réintroduit, dans le paquet de révisions des directives de 2004, le principe de réciprocité. S’agissant du paquet de modernisation des marchés publics, actuellement en discussion au Parlement, nous sommes en bonne voie. Nous pourrons ainsi obtenir ce que nous n’avons pas encore obtenu dans le domaine du règlement, en raison d’un blocage de l’Allemagne. Le vote en séance plénière est prévu pour avril 2013 : ce sera un pas important. Je remercie à ce propos Mmes les députées Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort, qui ont fait voter mardi par la commission des affaires européennes une résolution en faveur de l’adoption rapide du projet de règlement – la commission des affaires européennes du Sénat avait adopté une proposition de résolution avant la fin de l’année dernière.

Par ailleurs, tous les pays ne sont pas identiques du point de vue de la politique commerciale. Notre approche des négociations avec le Japon ou les États-Unis ne peut pas être la même qu’avec le Maroc, l’Algérie, le Kenya ou la Côte d’Ivoire. Entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, des accords de partenariat économique sont en cours de négociation. Le Président de la République a plaidé pour que leur signature, d’abord prévue en 2014, soit repoussée, et que ces accords soient renégociés. Tel est également le vœu du Parlement européen. Ce délai est nécessaire pour consolider la confiance et reprendre la négociation sur d’autres bases. Ces pays en effet sont fragiles – l’intervention au Mali nous le rappelle : ils doivent être soutenus et accompagnés.

S’agissant des marchés développés comparables aux nôtres, nous devons parvenir à trouver des compromis qui soient bénéfiques à l’emploi et à la croissance dans notre pays. Tel est le sens de mon action lors du Conseil des affaires étrangères européen en format Commerce, qui a décidé de l’ouverture des négociations avec le Japon. J’ai obtenu des avancées, avec l’appui des alliés que j’avais su trouver au sein de ce Conseil. Ainsi le mandat de négociation exige que le Japon abaisse aussi ses barrières non tarifaires et le secteur automobile est classé comme secteur sensible.

La négociation relative à cette clause de surveillance sera suivie de très près. La fermeté a porté ses fruits, puisque, après douze années de fermeture, le marché japonais va enfin s’ouvrir à notre viande bovine – la décision devrait être prise officiellement la semaine prochaine. Les marchés publics japonais également sont particulièrement fermés, notamment le marché ferroviaire – j’en veux pour preuve que nous n’avons pas obtenu un seul contrat depuis 1999 et qu’en Europe, seule l’entreprise Siemens en a bénéficié –, mais il devrait s’ouvrir bientôt.

Les exigences que j’ai vis-à-vis du Japon seront les mêmes vis-à-vis des États-Unis, notamment au sujet de l’exception culturelle. À cet égard, la présidence irlandaise a donné son calendrier : elle veut aller vite et souhaite qu’en juin 2013, le mandat de négociation soit donné à la Commission. Les discussions avec le Canada ne sont pas terminées : la Commission a repoussé la date de conclusion au mois de février, alors qu’elle devait avoir lieu en décembre. Son approche est très ferme : je la soutiens, car un accord en l’état nous affaiblirait dans le cadre de nos négociations avec les États-Unis. Or, je prête une attention particulière au secteur agricole et aux services de l’audiovisuel.

Nous avons avec ces pays, comme avec d’autres États, des intérêts à la fois offensifs et défensifs. Cela nous interdit les postures de refus, les déclarations péremptoires ou les positions de principe : il faut trouver des compromis favorables à nos intérêts, tout en comprenant ceux de nos partenaires. Voilà qui exige un patient travail de conviction. Le bon point de compromis n’est pas facile à trouver, mais nous pouvons bâtir des échanges commerciaux plus justes et favoriser le développement de nos entreprises dans le monde. Celles-ci ont des cartes à jouer, elles ont des atouts, mais elles ont également besoin de disposer d’armes égales – notamment en matière de financement à l’exportation – et d’organisations plus performantes. Tels sont mes objectifs et ceux du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je serai bref, de façon à nous laisser le temps de débattre de la politique industrielle et commerciale de l’Union européenne. Par souci de complémentarité avec Mme la ministre, je vais insister sur les aspects de politique industrielle.

D’abord, quand on évoque le rôle des institutions européennes en matière de politique industrielle, on ne peut se dispenser de constater qu’il y a quelque temps encore, évoquer ce sujet au sein de l’Union européenne était incongru. Il a en effet fallu attendre octobre 2010 pour entendre une véritable communication sur les politiques industrielles portées par l’Union européenne, qui témoigne de la volonté de celle-ci de se doter d’outils et d’orientations claires en la matière.

J’insisterai sur les outils qui peuvent et doivent être mobilisés, selon le souhait du Gouvernement. Si nous voulons atteindre les objectifs que s’est assignés la Commission – à savoir que l’industrie représente 20 % du PIB de l’Union européenne dans les années qui viennent –, nous ne devons, en effet, rien négliger et mobiliser toutes les ressources qui sont à notre disposition.

Le premier outil dont nous disposons, ce sont les budgets dont l’Union européenne se dote en vue de la croissance et de l’emploi. Je ne reviens pas sur le pacte de 120 milliards : il peut être utilisé en faveur de l’industrie, grâce notamment à trois dispositifs. Le premier correspond aux fonds structurels : une enveloppe de 55 milliards avait été budgétée à l’occasion du précédent cadre financier sans être mobilisée. Elle peut l’être désormais, et ce au service d’outils qui, sur les territoires, peuvent accompagner l’innovation, les transferts de technologies et le développement d’un certain nombre d’entreprises organisées au sein de filières. De plus, l’organisation elle-même des filières industrielles portées par les régions peut faire l’objet d’un accompagnement au titre de la mobilisation des fonds structurels. Il en est de même pour le FSE, qui peut accompagner la modernisation des ressources humaines des entreprises des filières concernées. Il faudra donc utiliser cette enveloppe de 120 milliards dans les territoires.

S’agissant de la France, 2,5 milliards de fonds structurels sont d’ores et déjà garantis et nous escomptons 7 à 8 milliards d’euros de retour des prêts de la BEI. Nous savons également qu’au titre des obligations de projets, le secrétariat général pour les affaires européennes s’est mobilisé pour que des projets industriels puissent s’inscrire dans ces perspectives.

Deuxième outil : le projet de budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020. Les 120 milliards du pacte ne sont pas pour solde de tous comptes : il doit y avoir une suite. Le budget de l’Union européenne, qui sera acté, nous l’espérons, à l’occasion du Conseil européen des 7 et 8 février, doit permettre de mobiliser des moyens significatifs au profit de la politique industrielle.

Au titre de la rubrique 1A de ce budget, nous disposons, selon les propositions de la Commission, de 139 milliards d’euros qui peuvent être mobilisés au service des objectifs de l’Europe 2020 : développement des PME-PMI sur les territoires et soutien de la politique industrielle. Sur ces 139 milliards d’euros, un certain nombre de moyens seront affectés plus particulièrement au développement des PME-PMI – notamment les 2,5 milliards du programme COSME consacrés à l’accompagnement de celles qui souhaitent se développer sur les territoires.

Il m’arrive d’entendre dire que le budget consacré par l’Union européenne à la croissance serait en diminution. Or il est passé de 90 milliards à 139 milliards, augmentant de 50 %, en complète cohérence avec la déclaration de l’Union européenne d’octobre 2010. Si aucune coupe supplémentaire n’est imposée à l’occasion des négociations du mois de février, l’augmentation des moyens alloués à la politique industrielle sera donc bel et bien significative.

En outre, le programme Connecting Europe voit ses budgets augmenter de 400 % : le plancher, très bas dans ses débuts, est passé de 8 milliards à 40 milliards. On constate donc que, dans le domaine de l’équipement numérique des territoires, qui n’est pas neutre en matière de compétitivité industrielle et économique, de transition énergétique et de développement des transports propres, les enveloppes sont fortement dopées.

Par ailleurs, je veux insister sur la nécessité d’organiser une réflexion par filières. La politique industrielle ne peut pas se réduire à une articulation de budgets alloués à des politiques. Encore faut-il que ces politiques soient cohérentes. Sur ce sujet aussi, nous pouvons observer un progrès, certes moins rapide que nous aurions pu l’espérer.

L’Union européenne a décidé d’organiser une réflexion sur les filières stratégiques et sur celles qui appellent des décisions et des orientations particulières. Prenons l’exemple de la sidérurgie, qui représente plus de 350 000 emplois en Europe, répartis dans 23 pays : les interrogations portent sur les surcapacités et sur la nécessité de moderniser l’appareil industriel sidérurgique – notamment via le dispositif ULCOS, souvent évoqué à propos de Florange, qui permettrait de contenir le CO2 produit par les hauts-fourneaux – de manière à pouvoir développer l’activité sidérurgique en Europe, dans des conditions davantage respectueuses de l’environnement.

Un groupe de travail, associant les États, les industriels et les organisations syndicales, a été mis en place par le commissaire Tajani, dont les objectifs sont de réfléchir à ce que pourrait être une politique européenne de la sidérurgie. Nous soutenons cette initiative. J’ai proposé à Arnaud Montebourg d’examiner dans quelles conditions nous pourrions accueillir ce groupe de travail au mois de mars ou d’avril en France, afin de voir comment se déclinent ces réflexions et comment nous pourrions les articuler à nos politiques nationales – qu’il s’agisse du plan de compétitivité de croissance et d’emploi ou de l’accompagnement par la BPI d’un certain nombre d’entreprises qui souhaitent se moderniser.

Il en va de même pour l’automobile, avec le groupe Cars 2020, qui développe une réflexion de filières, dans le domaine de l’industrie automobile, notamment celui de l’électro-mobilité. La lettre signée par Arnaud Montebourg et le ministre luxembourgeois, envoyée à tous les ministres de l’industrie, a suscité l’intérêt d’une dizaine de pays européens, autour des orientations de politique industrielle que la France se proposait de porter au sein de l’Union.

Il convient donc de bien utiliser les budgets, de bien intégrer les orientations annoncées par la Commission dans sa communication d’octobre 2010, de commencer à développer une activité de filières et, enfin, d’essayer de faire en sorte que nos industries se protègent.

Il ne s’agit pas de les protéger du libre-échange : nous sommes libre-échangistes, nous croyons à la nécessité de développer le commerce international. Lorsque nous rappelons la nécessité de mettre en place le juste échange, Nicole Bricq, moi-même et les autres ministres français concernés entendons souligner qu’il est indispensable d’élaborer des règles, de les faire vivre et de les mettre en œuvre pour permettre au commerce international de se développer dans un contexte qui soit juste et qui garantisse les intérêts de nos industries.

Je vais donner un exemple très concret de sujets sur lesquels les choses ont progressé : les directives relatives aux marchés publics et aux concessions. Le gouvernement français a obtenu des résultats tangibles au cours de la négociation. Celle-ci n’est pas encore achevée, mais ils sont intégrés dans les textes, on voit que les autres pays de l’Union et les institutions européennes ont manifesté de l’intérêt à nos propositions. Qu’avons-nous obtenu ? Tout d’abord, que les offres anormalement basses puissent être écartées dès lors qu’elles reposent sur des conditions de chiffrage ou des distorsions de concurrence entre États qui pénalisent notre industrie. Deuxièmement, nous avons obtenu que quand les industries d’un pays candidates à un marché public présentent dans leur offre 50 % de matières, de produits ou de contributions émanant d’États tiers auxquels ne nous lient pas des accords, et que manifestement ces 50 % résultent de la mise en œuvre de clauses sociales ou environnementales qui ne correspondent pas aux standards européens, il puisse en être tenu compte pour écarter l’offre. Nous allons ainsi progresser, notamment à travers cette disposition, dans la prise en compte des conditions sociales et environnementales qui président, aux frontières de l’Europe, à l’élaboration d’un certain nombre de produits susceptibles de venir sur le marché européen et d’y créer une situation de distorsion de concurrence complète du fait de notre haut standard de protection sociale et environnementale.

Je veux également indiquer qu’il a été acté que quand les États n’ont pas ouvert leurs marchés publics à nos propres entreprises, nous aurons la possibilité de faire de même à leur égard. Cela préside de plus en plus à nos réflexions dans la négociation des accords de libre-échange. Il doit y avoir un parallélisme des formes dans les conditions dans lesquelles s’effectuent l’ouverture des marchés publics et des barrières douanières, qu’elles soient ou non tarifaires, si nous voulons éviter d’exposer nos industries et que les efforts que nous faisons pour structurer une politique industrielle ne soient ruinés par des distorsions de concurrence dues au fait que nous n’aurions pas veillé à l’élaboration de règles pour un commerce juste et équitable.

Dernier point : la nécessité de bien faire comprendre quelle est notre position sur de tels sujets. Nous voyons que les choses progressent, et la meilleure manière de les faire progresser plus encore, c’est d’acter ce qui a été engrangé et d’avoir, avec l’Union européenne, la volonté d’aller plus loin. Ce n’est pas en remettant en cause le libre-échange, les relations avec l’Union ou même avec l’OMC de façon déclaratoire et unilatérale que la France parviendra à consolider davantage encore ce qu’elle obtenu. C’est pourquoi il faut être attentif à la manière dont nous gérons les mesures antidumping, mesures auxquelles nous sommes attachés : nous devons être extrêmement vigilants à ce qu’elles s’appliquent lorsque c’est nécessaire – car il est arrivé que nous ayons des difficultés à cet égard – tout en devant absolument comprendre qu’elles ne peuvent pas s’appliquer en dehors du respect des procédures européennes. Ainsi, avant d’enclencher une procédure de sauvegarde, il y a une période d’observation au terme de laquelle l’on voit quel est l’impact de la fin des mesures de protection, des mesures antidumping, sur l’industrie concernée, et s’il y en a effectivement un, on est en droit d’utiliser ladite procédure. Mais ces étapes doivent être respectées, il est impossible de les brûler. On ne peut pas non plus demander l’application de ces procédures sans discernement ni sans s’être assuré que nous sommes légitimes à les évoquer. Il faut les évoquer systématiquement mais seulement à ces conditions, sinon nous perdons de la crédibilité. C’est dans une telle stratégie, qui doit être à la fois maîtrisée, mesurée et équilibrée, que réside une grande partie de l’efficacité des démarches que la France engage.

Voilà ce que je voulais dire des sujets qui relèvent de la politique industrielle et des progrès qui ont été accomplis au sein de l’Union européenne.

M. le président. Nous en venons aux questions.

La parole est à Mme Seybah Dagoma.

Mme Seybah Dagoma. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, alors que les négociations multilatérales du cycle de Doha sont à l’agonie, l’Union européenne s’est engagée sur la voie de la négociation d’accords bilatéraux de libre-échange. Les échanges doivent, selon nous, être loyaux et équitables. Madame la ministre, vous l’avez évoqué lors de l’audition du commissaire au commerce, et il a fait référence à l’idée de réciprocité positive. Mais sa définition n’est pas celle du règlement instaurant le principe de réciprocité dans les marchés publics. Par conséquent, les actions que vous menez sont-elles en faveur de la définition du règlement et non pas de celle du commissaire ?

S’agissant des accords bilatéraux, alors que les négociations entre l’Union européenne et les États-Unis devraient prochainement débuter, je souhaite savoir, madame la ministre, quelles sont les attentes de la France sur ce point ? Pouvez-vous nous donner le calendrier de ces négociations ? Et puis considérez-vous comme raisonnable de mettre sur le même plan les pays en développement et ceux dits émergents comme la Chine, l’Inde ou la Brésil – je pense au système de préférences généralisées ?

À l’intérieur de l’Europe, l’abolition des frontières telle qu’envisagée depuis son origine devait s’accompagner d’un processus d’harmonisation réglementaire, notamment dans les domaines de la fiscalité et de la solidarité. L’Europe sociale demeure malheureusement embryonnaire et l’harmonisation fiscale est soumise à l’unanimité au sein du Conseil. Mais ces chantiers demeurent cruciaux pour l’avenir de la construction européenne. En conséquence, la France envisage-t-elle d’engager des initiatives pour faciliter la convergence de nos modèles de développement ?

Je ne crois pas que l’on puisse traiter pleinement le sujet de la politique commerciale sans aborder la question monétaire. Il existe une forme de consensus sur l’existence d’un dumping monétaire chinois avec une sous-évaluation volontaire du yuan, et cette politique monétaire n’est pas sans effet sur nos échanges commerciaux. La Chine n’est pas le seul pays à user de cet outil. Ainsi, le dollar demeure nettement sous-évalué par rapport à l’euro : la parité euro-dollar s’est appréciée de 40 % par rapport à son niveau d’il y a dix ans. Sur cette question aussi, l’Europe, plus particulièrement la BCE, ne doit pas faire preuve de naïveté et subir les stratégies mercantiles de nos partenaires. Quelle est votre position à ce propos ?

J’en viens à deux autres questions.

M. le président. Très rapidement, je vous prie...

Mme Seybah Dagoma. En matière industrielle, il existe un problème d’identification des dispositifs d’aide et de soutien mis à la disposition des entreprises par les institutions européennes ; ils demeurent souvent méconnus, notamment dans les PME, les ETI et les TPE. Comment pouvons-nous améliorer les relations entre l’Union européenne et les entreprises industrielles pour mieux mobiliser nos énergies vers les marchés à l’export ?

Ma dernière question porte sur la politique de la concurrence. Indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur, celle de l’Union européenne est l’une des plus exigeantes du monde. Rares ailleurs sont les pays qui disposent d’une législation aussi restrictive sur les aides d’État. La présomption de distorsion, appliquée par la Commission presque systématiquement face à toute intervention étatique, en est une illustration frappante. Quelles actions d’influence menez-vous auprès de la Commission européenne dans ce domaine et pouvez-vous nous éclairer sur les positions de nos partenaires ? Par exemple, sont-ils favorables à une éventuelle généralisation de la clause d’alignement au-delà des domaines liés à la R & D ?

M. le président. Si ce type de réunion est en partie informelle, j’invite malgré tout chacun à concentrer le temps dévolu à ses questions. À défaut, ceux qui interviendront à la fin risqueront d’être sanctionnés par le manque de temps ou par le départ de collègues.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Il faut être bien au clair en ce qui concerne la définition de la réciprocité dans le règlement intérieur. C’est pourquoi le commissaire européen a rappelé qu’il n’y en a qu’une : que le principe de réciprocité, c’est l’ouverture. Cela est bien inscrit dans le règlement dont la France préconise l’adoption par les États. Mais, évidemment, il y a des exceptions, des mesures de défense commerciale pour lesquelles nous, Français, nous battons – et nous ne sommes pas les seuls. La mise en œuvre de ce règlement intérieur sera essentielle pour accéder aux marchés publics des pays tiers, mais le problème est politique, il se situe au niveau des États. C’est pour cette raison que je fais le tour des capitales européennes – je serai encore à Berlin la semaine prochaine et au Danemark en février –, parce que la France est relativement isolée. Le blocage essentiel vient de l’Allemagne qui, après nous avoir soutenus est revenue en arrière depuis juillet dernier. Il faut savoir que le concept de réciprocité n’est pas spontanément admis, y compris à l’intérieur de l’Union européenne. Certains pays me disent clairement qu’ils considèrent que c’est un mécanisme protectionniste. Il faut donc absolument les convaincre. C’est aussi pour cette raison que j’ai adressé une lettre à la présidence irlandaise, au commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, et au commissaire au commerce, Karel de Gucht, avec copie à mes partenaires européens pour qu’ils la cosignent. Il faut vraiment que la France trouve des alliés. Pour l’instant, notre position n’est pas majoritaire : seule une petite dizaine d’États membres font leur la nécessité de se doter de ce règlement intérieur. Il en reste donc à convaincre parmi les vingt-six.

Vous avez évoqué aussi l’accord de libre-échange avec les États-Unis qui pointe à l’horizon des années 2013-2015. La présidence irlandaise, je l’ai dit, veut aller vite. J’ai rencontré le représentant irlandais à Bruxelles, à la fin du mois de novembre, et il m’a présenté son calendrier : donner un mandat de négociation à l’Union européenne à la fin de sa présidence, au mois de juin. On aura de gros problèmes avec les États-Unis, et c’est un partenaire d’importance. Nous sommes très vigilants sur cette négociation car si nous n’avons pas les mêmes problèmes qu’avec d’autres pays tiers, ils sont très lourds, qu’il s’agisse des indications géographiques, que les États-Unis ne reconnaissent pas et auxquelles nous, Français, tenons beaucoup ; qu’il s’agisse de la libéralisation des services, dont nous n’avons pas du tout la même conception ; qu’il s’agisse encore de l’exception culturelle. Je rappelle que nous avions obtenu celle-ci dans les années 1990 dans le cadre d’un mandat européen. Il y avait alors une position européenne sur le sujet, mais l’Europe de 2013 n’est pas la même qu’à l’époque. C’est un gros sujet et ma collègue Aurélie Filippetti y est particulièrement attentive.

Vous avez dit qu’avec de gros pays émergents tels que la Chine, l’Inde, le Brésil, on ne pouvait avoir la même position qu’avec d’autres pays. Je m’arrête sur la Chine : il ne faut pas que les Européens en fassent le bouc émissaire de leurs propres difficultés. Nos pays ont un problème global de compétitivité et un problème de croissance. Vous avez vu les chiffres : en ce moment, même l’Allemagne tousse, et quand l’Europe s’enrhume, le monde va tout de même très mal. Mais il faut bien voir que la Chine devient certes une grande puissance, qui n’a pas du reste pris encore conscience des responsabilités que cela entraîne, mais que le PIB par habitant est cinq fois inférieur à celui de la France : il y a beaucoup de pauvres en Chine, ne l’oublions pas, et il y a de très graves déséquilibres.

Notre place sur le marché chinois est très insuffisante et nous ne devons pas utiliser la politique monétaire de l’Union européenne pour masquer nos difficultés : la part de marché de l’Allemagne est cinq fois supérieure à celle de la France alors que nous avons la même monnaie, l’euro. Nous devons nous poser des questions sur notre compétitivité et notre présence sur le marché international.

Parmi les grands pays émergents, citons aussi le Brésil. C’est une grande puissance, riche de potentialités extraordinaires, mais qui a un problème comme le montre sa croissance en 2012 : avec un taux inférieur à 2 %, ce pays ne peut nourrir la totalité de sa population.

S’ils sont puissants, ces grands pays émergents ont des faiblesses structurelles et doivent faire des choix douloureux, ce dont ils se servent lors des négociations : « nous sommes encore des pays en développement », arguent-ils pour jouer sur les deux tableaux. Nous leur répondons qu’ils sont tout de même de grandes puissances qui ont émergé.

La Chine a utilisé la faiblesse de sa monnaie durant les premières années de sa croissance et, actuellement, le yuan ne correspond pas à ce qu’elle est devenue dans le jeu mondial.

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Les récentes fermetures d’usines annoncées un peu partout en Europe illustrent bien les conséquences dramatiques de la crise économique et sociale pour les ouvriers de l’automobile, les PME sous-traitantes et l’industrie européenne en général.

Cette crise industrielle n’est pas limitée à l’automobile, à la sidérurgie, au secteur textile ou aux services, elle touche également la défense ou encore l’industrie des télécommunications ainsi que nous l’ont rappelé les représentants d’Alcatel récemment auditionnés par la commission des affaires économiques. En effet, sur les huit industriels occidentaux qui dominaient le marché des télécommunications il y a dix ans, seulement quatre existent encore. Dans le même temps, deux industriels chinois, Huawei et ZTE, sont devenus des champions mondiaux.

Certains pensent à tort que l’avenir de l’Europe est lié aux services et que nous pourrions nous passer d’industrie alors que 80 % des innovations et 75 % des exportations de l’Union européenne proviennent de l’industrie. Pour chaque emploi manufacturier, il s’en crée deux dans le secteur des services.

Nous avons vraiment besoin de l’industrie. Pour qu’elle soit forte, il nous faut une politique industrielle à vingt-sept plutôt que vingt-sept politiques industrielles nationales, comme le rappelait très justement notre ami Michel Barnier, actuellement commissaire européen chargé des marchés intérieurs et des services financiers.

Madame la ministre, monsieur le ministre, votre gouvernement a supprimé la TVA antidélocalisation que nous avions instituée à l’initiative du président Sarkozy. Nos industriels doivent être en mesure d’exporter leurs produits, ce qui nécessite de poursuivre les efforts engagés au niveau national pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, notamment – mais pas uniquement – en réglant le problème du coût du travail et de la distorsion de concurrence au sein de l’Union.

Comment pensez-vous inverser le processus de désindustrialisation et faire passer la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de 15,6 % actuellement à 20 % en 2020 ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Sans m’attarder sur la TVA antidélocalisation, je vais simplement rappeler qu’en matière de commerce extérieur, la France accuse un déficit de 70 milliards d’euros tandis que l’Allemagne enregistre un excédent de 150 milliards. Si les mesures prises au cours des dix dernières années avaient été efficaces, nous ne serions pas dans cette situation.

Si nous voulons aborder ce débat de façon méthodique, sérieuse, sans polémique, il vaut mieux que nous essayions, toutes tendances politiques confondues, d’aller au-delà des arguties échangées pendant la campagne présidentielle pour regarder ce que nous pouvons faire concrètement pour conduire le redressement industriel. Il s’agit d’adopter des mesures nationales susceptibles d’amplifier l’effet des politiques de l’Union afin de permettre des relocalisations industrielles en Europe car, vous l’avez dit très justement, la désindustrialisation touche toute l’Europe à l’exception de l’Allemagne.

Si nous voulons procéder à des relocalisations industrielles, il faut utiliser plusieurs outils déjà cités : moyens de l’Europe 2020 prévus à la rubrique 1A du budget de l’Union, sur lesquels nous devons parvenir à un compromis au mois de février, programme pour la compétitivité des entreprises et des PME, programmes cadre de recherche et développement, Fonds social européen pour former et moderniser les ressources humaines de nos entreprises. Si nous parvenons à mobiliser toutes ces ressources, nous serons en mesure de favoriser les implantations industrielles en Europe.

Par ailleurs, nous devons absolument parvenir à mieux accompagner les PME au sein de l’Union européenne, en facilitant leur accès aux moyens de financement de l’innovation car, y compris dans le secteur industriel, ce sont celles qui sont les plus innovantes, qui accompagnent le plus le transfert de technologies et qui ont le plus besoin de financement. L’intelligence et les capacités des ingénieurs ne doivent pas buter sur les difficultés de financement.

Au-delà du programme COSME, tous les pays doivent mieux articuler leurs dispositifs de financement de l’innovation. À l’occasion de ses vœux, le Président de la République a indiqué qu’il entendait favoriser l’investissement public et privé. Il a souhaité que nous réfléchissions à une meilleure coordination entre les régions, les industriels et les apporteurs de moyens de financement tels que la Banque publique d’investissement, la Caisse des dépôts et consignation et les sociétés de capital-risque, de manière à favoriser l’innovation et la réindustrialisation dans notre pays.

Il faut également alléger les formalités administratives qui pèsent sur les PME-PMI et qui handicapent parfois leur dynamique d’innovation. L’Union européenne s’était engagée à réduire de 25 % la charge administrative des entreprises entre 2007 et 2012 ; elle doit poursuivre cet effort. À travers les tests PME, nous devons bien veiller à l’impact des réglementations européenne et nationale sur l’alourdissement des charges administratives qui pèsent sur les entreprises.

Enfin, nous devons avoir des guichets uniques pour les PME-PMI qui veulent avoir accès aux financements européens et nationaux, afin qu’elles n’aient qu’un interlocuteur. Le dispositif « Dites-le nous en une seule fois », étudié conjointement par l’Union européenne, les États et les régions devrait permettre d’atteindre cet objectif, les entreprises n’ayant plus à fournir à plusieurs reprises les mêmes informations à différentes administrations lorsqu’elles veulent investir et innover.

Par ailleurs, il y a toutes les mesures dont j’ai dressé la liste et qui sont destinées à protéger l’industrie des concurrences déloyales. Les réformes des directives marchés publics et concessions doivent permettre d’aller dans cette direction.

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Je suis venu avec un petit appareil sécurisé qui fonctionne bien : un briquet Bic…

Monsieur le ministre, lors d’une séance de questions au Gouvernement en décembre, je vous avais interrogé sur la levée de la taxe antidumping décidée par la direction générale du commerce de la Commission européenne. Loin de défendre une approche protectionniste pour l’Europe et pour la France, je pense au contraire que l’Europe doit veiller à ce que ses entreprises puissent lutter à armes égales sur la scène internationale dans le cadre de la globalisation des échanges et de la mondialisation. Chacun reconnaît que pour tout appareil, la fragmentation de la production dans le monde permet d’aboutir à des équipements performants.

Sachant que des fabricants de briquets pourraient exporter leurs produits en Europe – je pense notamment à nos amis chinois – l’Union a-t-elle pris des garanties quant aux conditions de fabrication ? Sur le plan social, a-t-on veillé à ce que tout ou partie de ces produits ne soit pas fabriqué par des enfants ? A-t-on veillé au respect des normes environnementales ?

En tant qu’élu breton, je voulais vous interroger sur un deuxième sujet : le granit de ma région. Les donneurs d’ordres, les importateurs, voire les producteurs ont parfois financièrement intérêt à importer du granit de Chine, même s’il est différent du granit breton. L’Union prend-elle des dispositions destinées à encourager l’utilisation des matériaux nobles dont nous disposons en Europe, en France en particulier ? Importer du granit de Chine soulève des questions sociales et environnementales en raison de l’empreinte écologique liée notamment au transport. Pour couvrir la place du Parlement à Rennes, ce n’est pas la même chose d’utiliser du granit breton ou du granit chinois !

Dernier sujet : les panneaux photovoltaïques et les tablettes informatiques qui arrivent en Europe en provenance d’autres parties du monde. L’Union prend-elle des garanties ? Exige-t-elle de ses partenaires ce qu’elle exige de ses entreprises, ce que vous appeliez l’un et l’autre la réciprocité ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Votre question est à tiroirs puisque vous êtes parti des briquets pour arriver à la responsabilité sociale et environnementale. De même, en partant de Bic et en passant par le granit, je vais m’attacher à parler de la responsabilité sociale et environnementale.

La Commission européenne n’a pas reconduit les droits antidumping dont Bic bénéficiait depuis 1991. Avec Arnaud Montebourg, j’étais intervenue au mois de novembre auprès du commissaire de Gucht. J’avais pu voir le commissaire en aparté à l’occasion du conseil des ministres européens du commerce, le 29 novembre. J’étais intervenue sur le sujet devant mes collègues, du reste, pas pendant le conseil puisque ce n’était pas à l’ordre du jour, mais lors d’une réunion informelle avec l’ensemble des ministres.

Ces interventions n’ont pas été infructueuses. Alors que le commissaire ne voulait rien entendre, la direction de Bic discute désormais avec les membres de la direction du commerce de la Commission européenne.

L’entreprise fait passer des messages dans les journaux et à l’État français. Elle défend sa position. Je crois que le fait que cette discussion ait lieu est en soi positif.

Vous avez utilisé l’expression « fragmentation de la production », je n’emploierai pas ces termes.

Je veux vous rappeler aussi qu’il faut toujours s’inquiéter, comme le fait notamment l’OMC, du lieu où se crée la valeur ajoutée. Dans le cas d’Airbus par exemple, je sais que les commandes de la Chine vont être importantes et porter désormais sur les gros-porteurs. D’abord, Airbus est européen. Il faut aussi savoir que des composants sont fabriqués dans les pays auxquels nous vendons des Airbus parce qu’ils veulent se doter à terme d’une industrie aéronautique. Pour obtenir des pays d’accueil que leurs marchés soient moins fermés, il faut accepter aujourd’hui – je l’ai dit précédemment – qu’ils deviennent, s’ils en ont la capacité, des concurrents alors qu’ils sont des partenaires industriels. C’est le cas de la Chine dans l’aéronautique : elle deviendra notre concurrent parce qu’elle voudra elle-même se doter d’une industrie aéronautique. J’étais en Turquie la semaine dernière, les Turcs nous disent : « on vous achète des Airbus mais à un moment donné on voudra avoir aussi notre propre avion ». Cela n’arrivera pas tout de suite parce qu’avant de fabriquer un très gros porteur, un A380 par exemple, il faut quelques années… L’essentiel est de conserver une avance en matière de création de valeur ajoutée. Si on introduisait le critère de la valeur ajoutée dans notre commerce extérieur, nous n’aurions pas tout à fait les mêmes résultats qu’avec la simple balance des produits.

Vous avez évoqué un sujet extrêmement important, la loyauté des échanges au travers des critères sociaux et environnementaux. C’est essentiel. Je l’ai dit, c’est l’une des exigences de la France que de fixer certains critères pour accepter la signature d’accords au niveau européen. Parmi ces critères, figure la haute exigence environnementale et sociale dans le commerce international. Aujourd’hui, la Banque mondiale est en train de réviser les critères fixés dans son code des marchés publics. Il s’agit d’un enjeu important parce que le taux de retour des seuls marchés publics passés par la Banque mondiale est faible et que ce code sert de modèle à de nombreux pays en voie de développement. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à Pierre Moscovici qui représente la France au board de la Banque mondiale de faire en sorte que les marchés passés par elle intègrent les critères d’exigence environnementale et sociale.

Je veux dire que la responsabilité sociale et environnementale que nous commençons à prendre en compte fortement en Europe, particulièrement en France qui en a été à l’initiative, est un atout en matière de compétitivité plutôt qu’un handicap. C’est aussi un moyen d’obtenir dans les pays tiers, je pense à l’Afrique, que les marchés d’infrastructures passés grâce à l’aide publique au développement ne soient pas systématiquement attribués à ceux qui disposent de la puissance de feu financière – je ne citerai pas d’États – sans qu’ils subissent les contraintes que représente le contrôle des aides d’État pour l’Union européenne. Cela leur permet d’être le moins disant et d’utiliser des critères environnementaux et sociaux qui ne correspondent pas aux standards européens. La prise en compte de la dimension sociale et environnementale dans les financements à l’export doit vraiment retenir notre attention. C’est déjà le cas dans la garantie qu’apporte la COFACE, dans le FASEP, le fonds d’étude et d’aide au secteur privé, c’est-à-dire les aides aux projets fournies par la direction du Trésor à Bercy, et dans le mécanisme de réserve pour les pays émergents. Ce dernier est une aide liée : en contrepartie de l’accès pour un pays à cette réserve, une offre française doit obtenir 70 % du marché passé. Là aussi, nous introduisons petit à petit les critères sociaux et environnementaux. Nous ne sommes donc pas dépourvus.

Je me rendrai bientôt au Danemark. Ce pays est très libéral, donc rarement de notre côté dans les négociations de libre-échange. En revanche, il est très attaché aux critères environnementaux. J’aurai donc un allié qui ne sera pour une fois ni un pays d’Europe du Sud ni un pays d’Europe orientale. L’Angleterre, qui est aussi très libérale mais très allante sur la question environnementale, sera également un allié. Je disais précédemment qu’il faut savoir trouver des alliés en fonction des situations, donc savoir avancer avec eux pour faire basculer les autres : on n’est jamais majoritaire tout seul.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. J’ai eu du mal à ne pas bondir sur mon siège en entendant certains propos. Vous avez dit, madame la ministre, que le protectionnisme est une impasse historique.

Mme Nicole Bricq, ministre. Cela finit mal en général…

M. François de Rugy. Je veux bien en accepter l’augure…

J’observe avec intérêt que le mot « protection » est plutôt bien vu dans de nombreux domaines : on parle de la protection sociale, de la protection des biens et des personnes, on parle de protéger beaucoup de choses. Bizarrement, lorsqu’il s’agit de commerce mondial, cela devient subitement un gros mot. Il est vrai qu’en servant à justifier la protection d’intérêts particuliers le protectionnisme a donné lieu à des dérives et qu’elles ont pu mener à des affrontements. On pourrait néanmoins se demander quels ont été la cause et les effets de ces dérives.

La question que l’on pourrait se poser en miroir, si je puis dire, est : le libre-échange est-il l’horizon indépassable de toute politique commerciale aux niveaux mondial et européen ? Le ministre Cazeneuve a dit en substance qu’il ne servait à rien de se lancer dans une remise en cause unilatérale et en bloc du libre-échange de l’Union européenne et de l’OMC. Bien sûr ! Loin de moi cette idée… Nous les écologistes sommes favorables aux échanges internationaux, y compris commerciaux, même si l’on peut quand même s’interroger sur le caractère artificiel de nombreux échanges aujourd’hui. Je vous donne un exemple concret : à l’occasion d’un voyage en Chine, il y a trois ans, j’ai visité une usine appartenant à une grande entreprise française implantée à Shanghai pour fabriquer des verres de lunettes. Ces verres sont fabriqués à partir de matière première importée des États-Unis et sont ensuite réexportés vers les États-Unis. On peut sérieusement se poser la question du caractère fondé d’un tel échange et de l’intérêt général que présentent ces échanges.

On doit aussi s’interroger plus concrètement sur le bilan d’une politique car la politique de libre-échange a été menée de façon continue, avec beaucoup de persévérance, à l’échelle européenne, vous l’avez dit. C’est indéniable. On a souvent justifié ce choix en disant que les échanges créent de la croissance qui profitera à tout le monde. Un auteur a même défendu cette thèse dans un livre sur la mondialisation heureuse. Aujourd’hui pourtant, on voit bien que cette croissance est très inégalement répartie puisque, vous l’avez dit madame la ministre, l’Europe a une croissance faible. Mais cela ne date pas que de quelques années : c’est une tendance lourde depuis plusieurs dizaines d’années que le taux de croissance baisse. Dans les pays où la croissance est forte, comme la Chine, les inégalités sont très importantes et, vous l’avez dit, il y a une population très pauvre.

M. Jean Lassalle. C’est vrai !

M. François de Rugy. Dans l’usine chinoise que j’évoquais, l’équivalent du SMIC était à 125 euros. Une augmentation de 10 ou 15 %, qui se produit parfois, n’équivaut qu’à 1 % chez nous !

Ma question porte sur le rapport de forces que l’on veut établir, sur le bras de fer, même si, vous l’avez compris, ma réflexion est plus large. La réciprocité en matière d’ouverture des marchés paraît logique. Mon collègue Thierry Benoît évoquait pour sa part la réciprocité des normes sociales et environnementales. Eh bien oui, j’ai envie, moi, de protéger les normes de notre continent européen et de notre pays. Quelle peut être la réciprocité en la matière ? Comment parvenir à une ouverture par étapes, négociée avec les partenaires commerciaux, plutôt qu’à une ouverture générale et sans transition ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Je persiste et je signe. Le protectionnisme est une impasse et une impasse historique. C’est une impasse car tous les pays peuvent tenir ce raisonnement, et c’est une impasse historique, parce que c’est ce qui s’est passé pendant les années trente. Et on sait que cela finit toujours très mal, c’est pourquoi j’ai utilisé ces termes qui peuvent paraître forts.

Cela étant, si l’ouverture est le principe, je l’ai dit aussi, chaque fois que nous pouvons faire valoir des intérêts défensifs, il faut le faire. Pour être majoritaire, il faut convaincre les autres. Nous avons déjà su le faire, j’ai cité le cas du Japon avec lequel nous avons des difficultés dans l’automobile. Nous avons l’exemple de ce qui s’est passé en Corée. Nous avons demandé à la Commission de mettre en place la clause de sauvegarde. Celle-ci a considéré que ce n’était pas justifié. Je suis allé à Bruxelles pour défendre notre décision sur la Corée. Je ne veux pas que cela recommence avec le Japon. Nous avons un secteur en difficulté, il faut faire valoir la mise en place d’un mécanisme défensif. C’est pourquoi j’ai demandé et obtenu l’application d’une clause de surveillance régulière dans la négociation et après, quand l’accord sera conclu. Nous pourrons alors regarder quand nous arriverons au terme de cette négociation qui sera longue et difficile avec un pays comme le Japon, qui est traditionnellement fermé.

Dans le même temps, je dois faire valoir nos intérêts offensifs. Il est évident que l’agroalimentaire français a un intérêt à l’accord de libre-échange. Il faut donc faire la part entre nos intérêts défensifs et offensifs, il faut faire le compte : le compromis est possible si le compte est positif. Il faut qu’il soit positif pour l’emploi en France, positif pour les exigences environnementales et positif pour les exigences sociales. C’est là que la réciprocité trouve vraiment à s’exercer, c’est-à-dire qu’il faut que les barrières non tarifaires soient abaissées. Il n’est pas normal – je prends encore l’exemple du Japon – sans me focaliser sur ce pays – que depuis la crise de la vache folle, alors que nous répondons à toutes les exigences sanitaires, le Japon ait traîné des pieds pour envoyer ses inspecteurs vérifier, douze ans après, que la viande bovine était exportable. J’espère que cela servira d’exemple à la Chine qui a le même réflexe de refuser d’importer nos bovins. On le voit, il faut se battre pied à pied. Il faut dans ce cas faire valoir nos intérêts défensifs mais regarder aussi ce que cela peut nous rapporter.

Avec la Corée, il est vrai qu’il y a eu une explosion relative du nombre de voitures coréennes en Europe. Mais cela s’est produit l’année où, pour la première fois dans l’exécution de l’accord de libre-échange, le solde était positif : jusque-là, nous avions toujours été en solde négatif.

Il faut manier l’un et l’autre et c’est ce que je m’efforce modestement, à la place qui est la mienne, de faire.

J’ai répondu tout à l’heure à la question que vous avez posée, monsieur de Rugy, qui, je le sais, correspond à vos préoccupations pour les normes sociales et environnementales. Je n’y reviens donc pas.

J’ai évoqué les États-Unis, je pourrais citer aussi le Canada avec qui nous avons des négociations sur le feu. Il est évident que nous avons à son égard des intérêts défensifs, notamment dans tout le secteur agricole. Il n’est pas question de céder. C’est pourquoi nous avons renforcé le mandat que nous avons donné à la Commission européenne, laquelle a entendu notre message puisqu’elle a reculé la date de conclusion de l’accord. Si nous cédons sur certains points avec le Canada, nous nous retrouverons en position de faiblesse vis-à-vis des États-Unis car ce que nous accepterons de céder au Canada, les États-Unis, deuxième puissance commerciale du monde, ne manqueront pas de le demander à leur tour. Il faut donc faire très attention.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur de Rugy, lorsque vous évoquez les raisons qui vous poussent à sauter sur votre chaise, je n’en vois aucune qui justifierait une condamnation de notre action au sein de l’Union européenne. Je n’ai aucune raison de m’indigner de ce que vous venez de dire et vous n’avez aucune raison de sauter sur votre chaise lorsque nous exprimons ce que nous avons à exprimer.

Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas un État au monde qui préconise le protectionnisme aujourd’hui ; parce qu’il n’y a pas un entrepreneur, fût-il adepte du commerce équitable, qui réclame la fermeture de toutes les frontières. Nous avons besoin de vendre et d’acheter : les industriels mourraient s’ils n’avaient pas la possibilité d’acheter des matières premières et des composants produits hors de nos frontières pour pouvoir eux-mêmes produire.

La question du protectionnisme et du libre-échange ne se pose pas de façon aussi théologique qu’au XIXe siècle. Nous avons besoin d’acheter et de vendre, je le répète, et la question est de savoir quelles règles élaborer au sein de l’Union européenne pour faire en sorte que l’Europe ne se désindustrialise pas massivement, ne perde pas d’emplois et que la préoccupation que votre groupe exprime souvent pour les conditions sociales et environnementales soit prise en compte.

Telle est notre préoccupation lorsque nous demandons que puissent être rejetées les offres anormalement basses soumises pour un marché public par les pays qui ne respectent pas nos clauses sociales et environnementales.

Je préfère voir l’Europe avancer dans cette voie – lorsqu’elle modifie ses directives, lorsqu’elle prend en compte nos préoccupations en matière de régulation du commerce international – plutôt que de déclarer de façon idéologique un grand soir européen qui va produire des antagonismes, affaiblir notre position au sein de l’Union européenne et nous conduire à ne plus rien obtenir de ce que nous souhaitons voir prévaloir.

Je n’ai pas de désaccord de fond avec vous, Mme Bricq non plus, je crois. Je ne suis même pas sûr que nous ayons un désaccord de méthode parce que je suis absolument convaincu que vous vous rallierez assez facilement à l’idée que l’on ne pourrait plus obtenir de l’Union européenne ce que nous souhaitons si nous créions des conditions politiques telles qu’elle se ferme totalement à nos demandes. Nous ne pouvons pas non plus, lorsque nous commençons à obtenir ce que nous souhaitons, ne pas vouloir aller plus loin en continuant à discuter, à dialoguer et à porter notre parole.

Mme Bricq l’a dit tout à l’heure avec raison, lorsque nous sommes autour de la table des Vingt-sept, des pays comme le Danemark ou la Suède n’ont pas nécessairement la même approche que nous du juste échange. Mais malgré cela, nous parvenons à faire avancer nos thèses. Nous proposons donc très pragmatiquement que nous nous adossions à ce que nous avons déjà engrangé pour aller plus loin.

Quand je vous dis qu’il ne me paraît pas souhaitable de remettre en cause les institutions et les politiques européennes de façon unilatérale et déclaratoire, c’est parce que j’ai pu constater, notamment au cours des derniers mois, qu’il est possible au sein de l’Union d’avancer très concrètement dans le sens de ce qui nous paraît souhaitable afin que le juste échange, le mieux-disant social, le mieux-disant environnemental et l’harmonisation fiscale progressent. Telle est notre politique.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. J’aimerais revenir quelques instants, monsieur de Rugy, sur l’exemple que vous donniez des verres de lunettes. Comme le souligne Bernard Cazeneuve, il faut avoir une approche pragmatique.

Il peut y avoir, il doit y avoir des relocalisations. Les entreprises se livrent à des arbitrages économiques. Elles prennent en compte le fait qu’aujourd’hui, en Chine, notamment dans le Sud, les salaires augmentent de façon très rapide. Dans la province du Guangdong, extraordinaire plateforme du développement économique du pays où je me suis rendue, un ingénieur est désormais payé au même niveau que les standards européens. Elles prennent aussi en considération les coûts de transport. Leurs calculs faits, certaines se rendent compte qu’elles n’ont plus intérêt à produire dans ces pays et se relocalisent.

La Chine, qui polarise décidément beaucoup de nos débats, est concurrencée par des pays comme le Vietnam et elle est copiée : elle s’intéresse elle-même à la protection de ses intérêts et cherche à s’approcher des standards européens.

Nous sommes face à des mécanismes dynamiques. Il ne faut pas en rester à des visions statiques : un pays qui émerge est confronté très vite à ses propres contradictions, du fait que d’autres pays le concurrencent et le copient.

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je partage les propos de François de Rugy, mais d’une certaine manière, je conçois que le format de ce débat ne permette pas au Gouvernement d’exprimer autre chose. Vous donnez en effet l’impression, madame la ministre, monsieur le ministre, de vous en tenir à des réponses très pragmatiques et très technocratiques. Nous pouvons toutefois attendre du débat parlementaire une autre vision que celle-ci. Il est normal de vouloir faire avancer une autre conception.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. André Chassaigne. Sinon, tout le monde serait interchangeable. Ceux qui sont au Gouvernement appliqueraient la même politique, quelles que soient leurs sensibilités, quels que soient les discours qu’ils ont tenus avant les élections.

Je comprends que ce débat ne soit pas pour vous le cadre adéquat pour montrer d’autres visions, dont vous êtes aussi sans aucun doute imprégnés, et je comprends aussi vos difficultés pour faire avancer vos idées au niveau européen.

J’aimerais poser une question précise. S’agissant des marchés publics, j’ai trouvé très intéressantes ces avancées obtenues par grignotages. Mais comment vont-elles se traduire dans notre réglementation, dans le code des marchés publics ? Pouvons-nous éventuellement aller plus loin ? Je rappelle que dans le cadre du Grenelle de l’environnement, nous avons réussi à faire inscrire le critère de proximité pour la restauration collective alors même que certains nous disaient qu’il était impossible de le faire figurer dans le code des marchés publics et cela a été une avancée pour nos agriculteurs.

Par ailleurs, j’aimerais savoir si, dans les échanges internationaux, une réflexion est menée sur la prise en compte des coûts externes, même si elle ne se traduit pas immédiatement dans les textes. En dehors des coûts de production, prend-on en considération les coûts pour l’environnement, les coûts pour la biodiversité, les coûts pour le climat ? Ce sont aussi des questions qui peuvent être posées en matière de relations internationales.

J’aimerais également vous interroger à propos du marquage des produits. Je prendrai un exemple que je connais bien : les couteaux. Aux États-Unis, tous les couteaux comportent un marquage d’origine. En Europe, il n’en existe aucun. Les professionnels des arts de la table tentent donc d’obtenir des instances européennes un tel marquage. Il faut savoir si un laguiole est produit à Thiers – où 95 % des laguioles français sont fabriqués – au Pakistan ou en Chine. Ce serait une avancée concrète, qui permettrait d’accompagner notre production industrielle.

M. Jean-Paul Bacquet. Et les thiers ?

M. André Chassaigne. Autre exemple : les brevets. Certains ont plus d’un siècle, ils sont liés à notre histoire, au patrimoine de nos régions, aux savoir-faire de nos territoires. Or, lorsqu’une entreprise est vendue, rien ne s’oppose à ce qu’un produit relevant d’un brevet déposé à l’INPI soit fabriqué à l’étranger. Ne pourrait-on prévoir une forme de protection de ces brevets ? Pourquoi ne pas envisager une telle évolution dans le cadre du projet de loi à venir sur les indications géographiques protégées ?

M. Jean-Paul Bacquet. Vous n’avez pas évoqué les chapelets d’Ambert !

M. André Chassaigne. J’aimerais enfin poser une question à propos du TSCG. Il est prévu dans le cadre du pacte de croissance une hausse de 60 milliards d’euros de la capacité de prêt de la Banque européenne d’investissement grâce à une augmentation de 10 milliards d’euros de son capital, par un effet de levier bien connu des économistes. Ne pourrait-on pas ajouter des critères – et je rejoins ici François de Rugy – et établir des priorités d’action, en fonction de choix politiques ? Je pense en particulier au financement de la transition écologique ou au rééquilibrage industriel entre les pays du Nord et du Sud de l’Europe.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’aimerais vous remercier, monsieur Chassaigne, pour votre clarté, votre sincérité et la passion que vous mettez dans vos questions, qui rejoignent certains échanges que nous avons pu avoir lors de la ratification du TSCG.

Vous entendez montrer qu’il n’y a pas de réponse unique aux problématiques du libre-échange, du juste échange et que les ministres apportent des réponses techniques et technocratiques quand il faudrait faire de la politique.

Ainsi, lorsque vous intervenez lors des débats de l’Assemblée nationale pour dire qu’il faudrait un autre ordre économique mondial et une réorientation de l’Union européenne, lorsque vous appelez de vos vœux un renforcement de la protection sociale et environnementale, vous feriez de la politique et nous, lorsque nous sommes autour de la table des Vingt-sept pour faire en sorte que ces préoccupations se traduisent concrètement dans le droit européen, nous ferions de la technocratie. C’est un peu facile, monsieur le député !

Lorsque nous nous battons, afin de maintenir un haut niveau de protection sociale en Europe, pour qu’il soit possible d’empêcher, dans les directives européennes, les offres anormalement basses provenant de pays ne respectant en aucun cas les normes sociales et environnementales, donnant dans le moins-disant social et le moins-disant environnemental et n’assurant aucune protection sociale, nous ferions de la technocratie là où vous feriez de la politique. Non, nous faisons de la politique sérieusement. Nous faisons de politique en faisant en sorte que les principes auxquels nous tenons – le mieux-disant social, le mieux-disant environnemental, la protection de notre industrie, la préservation de notre système de protection social – soient garantis.

Certes, avec Mme Bricq, nous nous employons à dire ce que nous faisons le plus précisément possible parce que c’est pour nous une manière de manifester le respect que nous devons à la représentation nationale, mais, rassurez-vous, cela ne traduit en aucun cas une incapacité de notre part à approcher ces questions autrement que sous forme technocratique.

Cette précision me paraît utile car tous les sujets que nous avons évoqués – la directive sur les marchés publics, la directive sur les concessions, la mise en place d’une politique industrielle assortie d’une réflexion sur la sidérurgie à laquelle les organisations syndicales sont associées – relèvent de préoccupations politiques que nous exprimons autour de la table des Vingt-sept.

Il nous arrive, autour de cette table, de nous sentir plus seuls que nous ne le souhaiterions, et de devoir par conséquent mettre davantage d’énergie que d’autres à convaincre que nos thèses sont justes. En dépit de cela, nous y parvenons, moins vite que nous ne le souhaiterions, mais nous y parvenons.

Ensuite, vous nous interrogez – c’est une préoccupation très juste – sur les conditions dans lesquelles ces 60 milliards de prêts seront utilisés afin de promouvoir de bonnes politiques, qui préservent l’environnement, aident notre industrie et favorisent la croissance.

C’est cette cohérence européenne, à laquelle nous tenons beaucoup même si elle ne va pas de soi, que nous tentons de faire prévaloir. Nous avons tout d’abord clairement indiqué que les projets que nous porterions, au titre des prêts de la Banque européenne d’investissement comme des obligations de projets, devaient concerner l’équipement numérique des territoires, le développement des transports de demain et le développement de la transition énergétique.

Ainsi, et cela vous intéressera directement, monsieur Chassaigne, nous considérons qu’avec les prêts de la Banque européenne d’investissement et les obligations de projets, nous pourrions accompagner le projet de la numérisation du département du Puy-de-Dôme,…

M. André Chassaigne. Il s’agit de la région Auvergne !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …de la région Auvergne, qui nous a présenté un projet de numérisation du territoire pouvant aider au développement des PME-PMI.

M. Jean-Paul Bacquet. Cela représente 5 millions d’euros par an pendant 24 ans !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce projet peut être pris en compte – je ne dis pas qu’il sera retenu par les instances européennes car je ne veux pas « griller » nos chances de l’obtenir en donnant le sentiment que c’est déjà fait, alors que nous présentons le dossier ; mais nous le soutenons.

Nous allons aussi intervenir dans le domaine du développement des énergies renouvelables, et nous serons d’autant plus en situation de le faire que, concernant l’utilisation des fonds structurels européens, il a été décidé de faire émerger une « convergence thématique » plutôt que de procéder à un saupoudrage entre de multiples projets n’ayant pas de cohérence en termes de politique européenne.

Nous faisons désormais en sorte que soient davantage aidés, au titre de la mobilisation de fonds européens, des projets qui entrent dans le cadre des préoccupations de l’Europe 2020, telles que le numérique, le transport propre et le développement des énergies renouvelables. Nous œuvrons ainsi pour que les fonds structurels, les prêts de la Banque européenne d’investissement et les obligations de projets s’articulent dans le financement des projets de l’Union. Telle est la perspective dans laquelle nous nous inscrivons.

Nous cherchons par ailleurs, dans la négociation du budget de l’Union européenne, à obtenir les sommes nécessaires, ainsi que des textes législatifs suffisamment précis pour définir leurs conditions d’allocation. Tel est, en effet, le rôle du Parlement européen, de la Commission et du Conseil, dans le cadre du trilogue, afin que nos objectifs de convergence thématique, c’est-à-dire de cohérence de nos politiques de financement, soient bien prévalents.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Monsieur Chassaigne, la prochaine fois que je rencontrerai un haut responsable, je m’interrogerai ; je ne sais pas si je faisais hier de la politique ou de la technocratie lorsque je rencontrais le secrétaire général du parti communiste chinois de la province la plus dynamique de Chine, qui représente à elle seule 100 millions d’habitants.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est de l’humanisme, pas de la politique !

Mme Nicole Bricq, ministre. Ledit responsable faisant en outre partie des 25 membres du bureau politique, je lui ai évidemment vanté les mérites de nos entreprises et de nos produits. Je ne sais pas si c’est faire de la politique ou de la technique, mais il n’empêche… Je m’arrête là, parce que c’est une boutade !

Vous avez posé des questions dynamiques et intéressantes, en évoquant notamment la propriété intellectuelle à propos des indications géographiques. Sachez que dans tous les accords de libre-échange que nous sommes amenés à négocier, que ce soit avec Singapour, le Canada ou le Japon, ce sujet fait à chaque fois partie de nos discussions.

Je citerai quelques exemples. Ainsi, concernant la Corée, …

M. André Chassaigne. …du Sud !

M. Jean-Paul Bacquet. Avec la Corée du Nord, il est plus difficile de faire du commerce !

Mme Nicole Bricq, ministre. …voyez tout ce que nous avons réussi à intégrer, pour les produits agro-alimentaires, dans l’accord avec ce pays : le cognac, le comté, le roquefort, le camembert de Normandie, le brie de Meaux, les pruneaux d’Agen, le jambon de Bayonne, les huîtres de Marennes Oléron… Il y a de quoi faire un très bon repas !

Vous avez également évoqué les couteaux laguiole. Votre exemple était bien choisi, car nous voulons que l’indication géographique soit étendue aux produits non alimentaires. Cette disposition sera intégrée dans le projet de loi sur la consommation que défendra notre collègue Benoît Hamon, en collaboration avec Sylvia Pinel. Ce projet de loi sera déposé en Conseil des ministres en mars ou en avril, de manière à ce que le Parlement – qui, lui, fait de la politique – en soit saisi avant l’été. J’espère donc que vous serez là pour vous battre afin que cela soit bien précisé !

M. André Chassaigne. Je serai là à chaque fois !

Mme Nicole Bricq, ministre. Quoi qu’il en soit, nous avançons sur ce sujet, et nous obtiendrons cette disposition.

Quant aux marchés publics, sujet encore une fois très politique, nous disposons d’outils, comme le règlement concernant l’accès des pays tiers aux marchés publics de l’Union européenne. La Commission, qui en a élaboré le projet, est pour, tout comme le Parlement européen ; mais les États bloquent. C’est donc à ce niveau que je me bats pour faire avancer la situation.

C’est l’Allemagne qui aujourd’hui fait basculer la décision des États. Deux conseils européens de suite ont inscrit cette priorité dans la déclaration finale. Et pourtant, rien n’avance, parce que l’Allemagne bloque : elle ne souhaite pas en effet prendre une position, afin de ne pas subir de mesures de rétorsion de la part de pays tiers où elle exporte beaucoup. Il faut donc la convaincre, en même temps que les autres.

De plus, il existe un projet de révision de la directive 2004 sur les marchés publics ; nous en avons déjà parlé tous les deux. Bernard Cazeneuve vous a expliqué que nous avions obtenu des avancées. Cette révision, qui intègre donc ces avancées très positives pour les marchés publics, sera soumise en avril 2013 au Parlement européen, celui-ci ayant en effet son mot à dire.

Ainsi, la Commission et le Parlement sont d’accord ; il reste à obtenir l’accord des États. C’est ce que l’on appelle le trilogue. La directive devra ensuite être transposée dans le droit français, contrairement au règlement qui est d’application immédiate dans les États. Tels sont les deux outils à la disposition des parlementaires, qu’ils soient européens ou nationaux.

M. le président. Merci, madame la ministre.

Nous avons entendu un orateur par groupe. Compte tenu de l’heure avancée, je vous propose d’écouter d’abord l’ensemble des questions des orateurs qui se sont inscrits, puis les réponses groupées des ministres.

La parole est à M. Razzy Hammadi.

M. Razzy Hammadi. Ainsi que vous l’avez rappelé en introduction, madame la ministre, le protectionnisme est une impasse historique. Le libre-échange total et aveugle l’est tout autant, raison pour laquelle cette majorité et le Président de la République se sont dotés de ce qui, plus qu’un slogan ou une doctrine, constitue le premier acte de la ligne de négociation que vous présentez dans nos différentes instances, à savoir le concept de juste échange.

Je souhaite aborder ce concept de juste échange à propos du cas des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, dits ACP, et de ce que l’on appelle communément les accords de partenariats économiques, ou APE, visant à développer les objectifs de libre-échange. Ils sont officiellement destinés à améliorer l’environnement des entreprises, à créer des marchés régionaux et à encourager une bonne gouvernance économique grâce à une coopération régionale renforcée dans le domaine commercial.

À ce jour, seul un APE complet a été signé et mis en œuvre, et l’Union européenne continue à octroyer des préférences commerciales unilatérales à certains pays ACP. Vous avez rappelé la volonté du Président de la République, du Gouvernement et de cette majorité d’obtenir plus de temps. Or, la Commission européenne souhaite mettre un terme à ce traitement préférentiel et a proposé la date du 1er janvier 2014 pour que les négociations aboutissent.

Comme l’ont souligné le Président de la République et la plupart des pays de l’ACP, qu’ils fassent ou non partie des pays les moins avancés, ce délai est manifestement trop court au regard des contextes, des conditions et des contenus de ces accords.

Les APE prévoient la libéralisation de 90 % des échanges entre l’Union européenne et les pays ACP, avec 100 % d’ouverture du marché européen et 80 % pour celui des ACP. Ceux-là pourront par conséquent protéger 20 % de leur marché en désignant des produits sensibles, ce qui soulève de grandes discussions sur les secteurs à protéger compte tenu de la faible marge de manœuvre que laisse ce chiffre.

Les pays ACP, ainsi qu’ils l’ont déclaré à plusieurs reprises, ne sont pas prêts, et la mise en œuvre de tels accords entraînera un choc fiscal, agricole et industriel, ainsi que sur la balance des paiements, d’une ampleur telle que nos partenaires ne pourront s’en remettre.

Pour illustrer très rapidement ce propos, j’indiquerai qu’il est difficile de défendre l’accroissement des échanges entre la zone ACP et l’Union européenne tout en défendant l’intégration de marchés régionaux. Il suffit d’analyser la manière dont cela s’est déroulé au cours des vingt années précédentes, notamment avec le rétrécissement de la part de marché des pays ACP au sein de l’Union européenne qui, en 20 ans, est passée de 7 % à 3 %.

Je citerai de même l’exemple très connu des tomates du Ghana : alors que celles-ci constituaient une culture vivrière importante pour le nord du pays, les importations de tomates sont passées dans les années 1990 de 3 600 tonnes à 24 000 tonnes en moins de 15 ans, en dépit d’un accord sectoriel par produit.

Pour conclure, je rappelle qu’il a fallu 50 ans à l’Union européenne pour atteindre par étapes, et en ayant quelquefois recours à diverses barrières, progressivement levées, ce niveau d’intégration dans le marché mondial. Comment pouvons-nous demander aux pays de l’ACP d’y parvenir dans les mêmes conditions en seulement quelques années ?

Quelles sont aujourd’hui les orientations défendues, en plus du report de la date du 1er janvier 2014 ? Comment se passent actuellement les négociations ?

L’actualité brûlante en Afrique subsaharienne nous rappelle l’importance de cet enjeu : la coopération économique, le co-développement et l’intégration des marchés régionaux doivent être soutenus et préférés à une ouverture libre-échangiste, aveugle et totale, contrairement à ce qui a pu être préconisé par le passé dans le cadre des APE – avant, du moins je l’espère, la remise en équilibre de la négociation par ce gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Je souhaiterais aborder la question de la politique européenne de l’énergie.

J’aimerais tout d’abord savoir où en est la France dans l’application du plan d’action en faveur des énergies renouvelables : pensez-vous que les objectifs de 2020 seront atteints ? Un communiqué de l’Agence européenne de l’énergie préconisait en décembre dernier une cohérence des aides publiques au niveau de l’Europe et une coopération entre États : pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Autre question : où en est la taxation de l’énergie ? Un compromis avait été élaboré sous la présidence chypriote, prévoyant des niveaux minimaux de taxation, avec deux composantes de référence : énergie et CO2. Où en sont les discussions sur cette question ?

Troisième point concernant la politique européenne de l’énergie, notamment en faveur des énergies renouvelables : le coût de l’énergie est un élément déterminant de la compétitivité. Or, si l’Europe n’arrive pas à parler d’une seule voix pour élaborer une politique commune, elle ne pourra pas faire face à la concurrence mondiale.

Nous possédons un atout majeur : un vaste domaine maritime, avec environ 65 000 kilomètres de côtes. Je souhaiterais donc connaître votre opinion concernant la mise en place d’une réelle politique européenne des énergies renouvelables : peut-on par exemple envisager, au niveau de l’Europe, une filière intégrée dans ce domaine, notamment dans les domaines de l’éolien et de l’offshore ?

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Je souhaite revenir sur la question du renforcement de la compétitivité européenne qui semble parfois être vue à l’aune d’une seule référence, celle des économies d’échelle que permet l’harmonisation des marchés nationaux des États membres de l’Union européenne. Il s’agirait de privilégier seulement le marché intérieur, question qui est souvent abordée en commission des affaires européennes.

On peut dire aussi que l’innovation nécessiterait un accès au marché des capitaux risques jusqu’à présent peu développé. Quelles initiatives l’Europe aurait prises ou pense prendre dans ce domaine ?

Le renforcement de la compétitivité européenne peut aussi passer par l’excellence européenne à laquelle vous avez fait référence tout à l’heure, madame la ministre. Souvent, cette excellence européenne tire partie de spécificités anciennes, des territoires, des savoir-faire. On a parlé des biens industriels haut de gamme, des produits protégés par des labels et des appellations, des produits industriels de petite série ayant une haute technologie. Il faut mieux valoriser ce qui fait l’excellence européenne : les labels, les appellations, les réseaux d’entreprise, les relations avec les grandes institutions de recherche. Existe-t-il, à votre connaissance, en matière d’excellence européenne, d’autres axes diversifiés pour renforcer la compétitivité européenne et une réflexion sur les actions à mener pour développer un modèle européen d’industrie, un modèle dit de compétitivité qualité ?

La priorité a été souvent donnée à l’uniformisation des pratiques en matière de commerce international des États membres avec un abaissement progressif des barrières douanières. Tout à l’heure, vous avez fait référence aux industries de l’audiovisuel où existe une vision d’exception européenne. Mais la proposition de directive européenne visant à limiter l’aide publique au cinéma a du mal à aboutir.

À l’inverse, on voit que les États-Unis mènent une politique agressive en matière de défense de leurs intérêts commerciaux. Où en sont les négociations entre l’Union européenne et les autres grands États en ce qui concerne la libéralisation des échanges industriels ? Quelle place occupe encore aujourd’hui dans les discussions le cycle de Doha dont l’intérêt était l’organisation, sous l’égide de l’OMC, de négociations multilatérales mais qui ne permettait pas de tête à tête entre des États aux pouvoirs très différents, ce qui fait que le cycle de Doha a connu l’issue que l’on sait ?

M. le président. La parole est à Mme Monique Rabin.

Mme Monique Rabin. Je suis frappée de voir que plusieurs orateurs ont situé le débat sur le plan de la philosophie économique. Dans la majorité à laquelle j’appartiens, nous n’étions pas des militants de la concurrence acharnée, libre et non faussée.

M. Jean Lassalle. C’est vrai !

Mme Monique Rabin. Toute la politique que vous menez tire sa substance de cette philosophie.

Nous sommes soucieux de ces marques d’origine car nous sommes plusieurs ici à souhaiter, par exemple, que les Palestiniens puissent vendre l’huile qui vient de Palestine et pas d’ailleurs, d’où cette notion de juste échange.

Madame la ministre, vous savez que je suis attentivement l’action que vous menez en matière d’échanges commerciaux. Permettez-moi de centrer ce soir mon propos sur les éléments de réciprocité.

À travers le débat, on voit bien qu’il y a deux champs d’intervention : d’une part le champ du marché intérieur que Mme Karamanli vient d’évoquer abondamment, d’autre part le champ de l’ensemble de la planète qui ne doit pas être traité de la même manière. Nous devrions avoir une parole forte sur ce qui relève de l’Europe et ce qui relève de nos autres échanges.

Comment traitons-nous la question des représailles ? J’ai cru comprendre que les Allemands étaient soucieux de l’action que vous menez sur la réciprocité, notamment par rapport à leurs filiales ailleurs dans le monde. Vous avez dit, ainsi que M. Cazeneuve, à quel point vous pouviez vous sentir seuls. Hier, nous étions à Berlin. Pour ma part, j’ai évoqué ces questions avec le groupe SPD. Il me semble que l’action du Parlement devrait être plus forte et je m’engage devant vous à essayer, avec mes collègues, de faire en sorte que nous puissions agir pour être mieux compris puisque c’est aussi une question culturelle.

Je ne parlerai pas des éléments de réciprocité sur les normes environnementales et sociales, sujet sur lequel vous avez déjà répondu.

Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que nous devrions élever le seuil de minimis pour mieux aider nos entreprises ? Si nous le faisons, comment pouvons-nous évaluer clairement ces montants ? Pour avoir travaillé dans de grandes collectivités, je sais que nous avions beaucoup de mal à identifier les aides aux entreprises. Pourtant, comme nous sommes dans une situation de crise, les aides sont importantes, nombreuses et structurantes. Le seuil me paraît un peu juste en ce moment.

S’agissant d’Erasmus pour les entreprises, il serait important de réanimer et donner du corps à cette mesure.

Mme Bricq a évoqué les relocalisations possibles. J’ai beaucoup apprécié les propos tenus le 10 janvier dernier par le Président de la République à propos d’indicateurs autres que la fiscalité et le coût du travail, que le Gouvernement mettrait en place pour démontrer aux entreprises qu’elles ont intérêt à revenir sur le territoire français. Pensez-vous pouvoir avancer dès 2013-2014 sur la question de l’identification des indicateurs ?

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le président, je limiterai mon intervention car je suis en très grand accord avec celle de Mme Rabin.

Je ne sais pas si le débat que nous avons eu portait sur la politique et la technocratie, mais il avait trait certainement à l’ambition opposée au principe de réalité, chacun d’entre eux pouvant d’ailleurs se caricaturer.

L’ambition, c’est celle de notre pays qui vient de se doter de ce que le Premier ministre a appelé un nouveau modèle français. Ce modèle repose sur le pacte de compétitivité avec le crédit d’impôt compétitivité emploi. Mme Bricq a annoncé récemment dans la presse un certain nombre de mesures visant à soutenir à l’exportation des filières en fonction de domaines prioritaires. Mais cette ambition se heurte manifestement au principe de réalité, c’est-à-dire aux difficultés que nous rencontrons pour négocier dans le cadre européen, d’abord parce que l’Europe est très large, ensuite parce que c’est une mécanique institutionnelle extrêmement lourde.

Sur le plan industriel, le ministre du redressement productif a récemment indiqué que, dans le cadre des conseils intergouvernementaux réunissant ses homologues de l’industrie, il avait soutenu si ce n’est initié un mouvement tendant à ce que les objectifs européens prennent enfin en compte plus fortement l’objectif industriel et à fixer un taux de 20 % de la valeur ajoutée dans chaque pays – ce qui est très supérieur à nos 12,8 %.

Je note avec intérêt que cette ambition est d’autant plus soutenable qu’elle a lieu dans une démarche intergouvernementale hors de la pure mécanique de transposition des directives, voire d’application des règlements.

Contrairement à l’industrie, l’Europe a une politique commerciale. Là aussi, on voit très bien la tension entre la mécanique et l’ambition. La directive marchés publics nous place dans de graves difficultés de négociations avec certains pays, et nous retrouvons en effet les intérêts du partenaire allemand. Il sera donc très difficile de déboucher sans avancées timides. D’un autre côté, il faudrait prendre des mesures visant à protéger d’une manière ou d’une autre nos productions propres. Le débat sur le protectionnisme m’a paru complètement irréel. Personne ici n’a soutenu, je crois, qu’il fallait passer au protectionnisme. Chacun sait que de nombreuses zones du monde se protègent peu ou prou en prenant des mesures plus ou moins claires. Souvenez-vous de l’American selling price : Nous savons très bien que la fourniture à l’armée américaine par un certain nombre d’industries et de services est en réalité une mesure de protection. Et je ne parlerai pas d’autres pays, y compris asiatiques.

Il y a certainement quelque chose à faire en la matière, mais je reconnais que la difficulté est extrême. Madame la ministre, vous avez parlé des pays scandinaves. Je crois que le Royaume-Uni et les pays de l’Est ne sont pas chauds du tout, c’est le moins que l’on puisse dire, pour des mesures de protection ou de juste échange qui est une forme de protection.

Ma dernière remarque concernera le taux de l’euro. La balance commerciale française s’est effondrée de plus de 90 milliards depuis dix ans, c’est-à-dire depuis que l’euro existe. Madame la ministre, vous nous avez objecté que l’Allemagne ne s’effondrait pas, bien au contraire. Mais chacun sait que l’Allemagne vend 66 % de sa production dans la zone euro ou en Europe. Dans ces conditions, la structure de production de la France, qui est une puissance exportatrice, la place dans une situation totalement différente de celle de l’Allemagne. Nous aurions la possibilité, non d’avoir une posture qui ne mène pas à grand-chose, mais d’avoir une position de nature politique qui pourrait peut-être aider.

M. le président. La parole est à M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. Beaucoup d’orateurs se sont exprimés sur la présence de la Chine dans le monde aujourd’hui et personne ne peut y échapper. Pour ma part, je souhaite vous interroger sur la présence, en Lorraine, à cinq kilomètres du site d’ArcelorMittal, du projet ITEC Terra Lorraine, projet de nature privée qui en réalité est financé à hauteur de 150 millions d’euros par des fonds luxembourgeois. L’objectif est d’implanter un show room permettant la création, dans les trois ans, de 3 000 emplois via 2 000 entreprises et, d’ici dix ans, de 30 000 emplois via 20 000 entreprises. Bien sûr, ce show room n’a pas une dimension Lorraine, ni même française, mais européenne. Si ce projet est situé en Lorraine, c’est parce qu’elle est proche du Luxembourg, paradis fiscal, et près des grands marchés européens, notamment du marché allemand. Par ailleurs, le conseil général de la Moselle a mis à sa disposition un terrain qui était réservé, en sa qualité de mégazone, à des implantations mobiles. En l’occurrence, ce projet occupera sans doute la totalité du terrain puisqu’il couvre environ 150 hectares.

Ce projet paraît complètement démesuré par rapport aux normes européennes. On peut se demander si c’est un cheval de Troie pour l’importation de produits chinois ou si c’est plus globalement une plate-forme de commercialisation qui pourrait être aussi utile aux entreprises françaises, en particulier à celles qui créent des produits convoités par la middle class chinoise qui veut se distinguer de la majorité de sa population qui vit encore malheureusement dans une certaine pauvreté, notamment dans les campagnes.

Si je vous interroge sur ce dossier, c’est parce que, jusqu’à présent, l’État français n’a pas pris position sur ce projet, ce qui place les élus locaux et les parlementaires que nous sommes dans une situation plutôt délicate puisque nous sommes régulièrement interpellés par les populations qui veulent savoir si nous soutenons ou non ce type d’initiatives.

…qui je le rappelle est purement privée et qui n’engage pas de fonds publics, sauf que, vous l’imaginez aisément, il va falloir aménager un certain nombre d’infrastructures autour de ce projet et que ces infrastructures seront évidement payées par les collectivités publiques, à commencer par l’État, la région et les départements.

C’est un projet important, d’autant plus qu’il se situe non loin de l’endroit où on va supprimer quelques milliers d’emplois – avec les emplois induits – dans la sidérurgie. C’est une véritable reconversion du territoire.

Pour mémoire, dans le domaine de la sidérurgie, sur 1,5 milliard de tonnes produites aujourd’hui dans le monde, 650 millions sont produites par la Chine et 15 millions par la France. C’est dire que nous ne sommes pas du tout dans les rapports et les références qui nous sont habituels. C’est vrai aussi pour ce centre sino-français.

M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle.

M. Jean Lassalle. Merci monsieur le président. En participant à ce débat, je mesure l’extrême complexité des questions soumises à nos ministres. Fort heureusement, ils sont armés pour cela. Tout le monde connaît le talent légendaire de M. Cazeneuve et je découvre celui de Mme Bricq. Je ne peux m’empêcher de penser à ce que disait hier M. le Président de la République fédérale allemande, qui observait que depuis cinquante ans, la communauté européenne était obligée de se construire entre deux pensées très fortes – celle d’Adenauer qui était plutôt pour une Europe fédérale et celle du général de Gaulle qui était pour l’Europe des patries – et que, malgré, tout il fallait garder espoir parce que l’Europe continuait à avancer. C’est le sentiment que vous me donnez en écoutant vos réponses.

Je ne vais pas poser de questions parce que vous avez déjà assez à faire (Sourires.), mais je voudrais faire une ou deux réflexions qui me viennent à l’esprit.

On parle beaucoup de la Chine. Moi, j’y ai fait un voyage, il y a deux ans. Quand on parle de la Chine, il faudrait dire « les Chine », car c’est un pays où 100 millions d’habitants – à peu près une Allemagne – ont le même standing que nous, mais où ce que j’ai vu dans l’arrière-pays, pas très loin de Pékin ou de Shanghai, c’est le Moyen Âge plus que moyenâgeux, c’est terrifiant ! Il y a aussi, dans le grand jeu géopolitique auquel la France doit participer, des questions à se poser.

Ma deuxième réflexion porte sur le rôle des grands chefs et des grandes entreprises françaises. À part quelques exemples notables, notamment dans l’aviation ou la haute technologie, j’ai l’impression qu’un certain nombre de très grandes entreprises ne se battent plus comme il le faudrait pour défendre les intérêts français.

Je prendrai l’exemple de Total. Vous avez peut-être entendu parler de cela : Total est venu sur le site de Lacq pour récupérer les immenses concessions pétrolières qu’avaient accumulées avant elle – d’une manière parfois un peu pittoresque, c’est vrai – Elf et la SNPA. Voilà un groupe qui ne paie pratiquement pas un centime d’impôts en France et qui affichait l’an dernier des millions de bénéfices. Il y a quand même là un problème. Pas le moindre début de réhabilitation du site : c’est le conseil général des Pyrénées-Atlantiques et le conseil régional d’Aquitaine qui sont obligés de le faire, en se saignant aux quatre veines. Pire : pour donner le sentiment qu’ils font du développement, ils piquent les entreprises qui se trouvent dans un rayon de cent cinquante kilomètres à la ronde et les font venir chez eux. Vous voyez, moi qui suis républicain, comme vous, j’ai du mal à l’encaisser. Et quand j’apprends qu’ils ont 250 employés croates, polonais, qu’ils paient sept euros de l’heure, certes par une société italienne, probablement écran, je dis que ce n’est pas de nature à donner le moral aux Français !

Pour le reste, je me suis beaucoup retrouvé dans les interventions de Mme Rabin et de Mme Bechtel, c’est pourquoi je ne ferai pas plus long. Je vous ai trouvés tous très aimables, merci de m’avoir écouté. Mais il y a un problème français quand même : je ne peux pas croire que la France, qui était il y a vingt ans l’un des pays les plus entreprenants et les plus industrialisés du monde, soit aujourd’hui scotchée à la volonté de quelques entreprises qui ne veulent plus avancer, si ce n’est pour nous faire payer des URSSAF et des ASSEDIC.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre. Je répondrai aux questions auxquelles je peux répondre.

S’agissant du volet commercial, M. Razzy Hammadi a évoqué une question fort importante, les accords de partenariat économique. Actuellement, trente-sept accords sur soixante-dix-huit ont été conclus, mais se pose le problème – comme l’a dit le Président de la République dans sa déclaration de Dakar – du délai qu’on laisse à ces pays et du contenu des accords - il a posé les deux problèmes en même temps.

Moi, je plaide pour un délai supplémentaire. Vous l’avez dit, la Commission est pour une application stricte : la fin des préférences et des latitudes laissées à ces pays en développement au 1er janvier 2014. Déjà le commissaire accepte officieusement d’attendre le 1er octobre 2014. Nous, nous disons 2016. Il y a eu un débat au Parlement européen. Le rapporteur était un travailliste anglais, M. Martin, qui lui aussi a plaidé pour 2016 et le Parlement européen a approuvé son plaidoyer. Je pense qu’on doit pouvoir y arriver, sachant que l’année 2014 est importante car c’est la fin du mandat de la Commission actuelle : il faudra faire attention à ce que le commissaire ne soit pas pressé de se débarrasser du problème à la fin de son mandat. C’est très important, mais il y a les élections européennes : M. Chassaigne en appelait à la politique, il faut que ce soit un débat des élections européennes.

Je vais m’appuyer sur les Anglais pour faire progresser l’idée que et le contenu, et le délai ne vont pas, et peser pour que les positions des pays ACP soient entendues. J’ai le Parlement européen et une partie des Anglais avec moi : je ne sais pas si c’est le principe de réalité, mais nous allons essayer de trouver des compromis. Sachez que je suis déterminée.

Madame Bechtel, vous avez parlé de l’euro, vous avez fait allusion à l’adoption de la monnaie européenne. C’est un raccourci, parce que l’Allemagne a la même monnaie que nous et elle fait de meilleures performances.

Mme Marie-Françoise Bechtel. J’ai répondu sur ce point.

Mme Nicole Bricq, ministre. Vous avez dit une chose tout à fait juste, mais qu’on peut retourner : l’Allemagne fait les trois quarts de son commerce extérieur avec l’Union européenne, mais le commerce extérieur des États-membres est intra-européen à plus de 60 %. Les deux tiers du commerce se font à l’intérieur de l’Europe, ne l’oublions pas, et l’Europe, pour nous Français, est notre premier marché : c’est notre marché de proximité. Ce n’est pas un problème lié à l’euro : tout à l’heure Bernard Cazeneuve a cité les chiffres qui nous différencient de l’Allemagne.

Il est vrai que la Chine a utilisé la monnaie pour accompagner sa croissance et son rattrapage industriel, mais maintenant elle pourrait faire mieux. J’observe tout de même que ce débat a été très prégnant aux États-Unis mais que les Américains ne parlent plus du réalignement du yuan, parce qu’ils ont retrouvé eux-mêmes un dynamisme peut-être fragile mais que l’Europe n’a pas retrouvé. Je crois qu’il faut se battre pour que la croissance revienne en Europe : c’est la priorité n° 1 du Président de la République et de nous tous dans les discussions que nous avons avec nos partenaires.

Monsieur Liebgott, vous avez parlé du projet Terra Lorraine. Il est connu, je sais que le président du conseil général de votre département y est favorable mais, vous l’avez rappelé avec insistance, c’est un projet privé. Il pose le problème des investissements chinois en France. Moi je préfère un projet que j’ai eu l’honneur de découvrir quand je suis allée en Bretagne il y a quinze jours : quand une grande entreprise chinoise, Sinutra, vient en Bretagne pour faire une unité de production de lait en poudre, parce qu’elle sait qu’en France elle aura une qualité sanitaire exceptionnelle et reconnue au plan international, qu’elle investit 100 millions et crée cent soixante emplois, là je dis oui. J’ai passé deux journées en Chine et je suis rentrée ce matin : j’ai appelé à des investissements chinois dans le secteur industriel.

J’observe aussi une chose : les Chinois veulent absolument entrer en Europe au niveau des télécommunications. Officiellement – je ne sais s’il faut que ce soit inscrit au compte rendu – l’Allemagne a comme nous une position défensive. Mais c’est là qu’on retrouve le principe de réalité, madame Bechtel. Il y a deux grands groupes chinois dans les télécoms, Huawei qui est connu internationalement et ZTE. L’un est très ouvertement un groupe d’État, l’autre est quasiment un groupe d’État. L’Allemagne dit des choses, mais dans la réalité ZTE est très présent en Allemagne. Faisons attention, parce que la réalité quelquefois nous éloigne du discours et qu’il y a une compétition féroce dans ce domaine entre le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. Moi je préfère des investissements dont je connais l’objet, c’est l’économie réelle. Je n’en dirai pas plus là-dessus. Les collectivités locales sont libres de fournir des facilités à des entreprises : c’est leur liberté.

Mme Rabin m’a dit que j’étais souvent seule, mais je n’ai pas dit cela : j’ai dit qu’on pouvait partir d’une position minoritaire et arriver à une position majoritaire, c’est-à-dire bâtir des compromis avec nos partenaires européens. Ce n’est pas spectaculaire, cela ne se fait pas à coup de déclarations mais dans les enceintes communautaires et par les contacts bilatéraux que nous avons. On peut y arriver, même si c’est difficile.

Vous avez évoqué le recours à des instruments défensifs : il faut bien sûr le faire chaque fois que c’est possible, mais à bon escient, car il peut y avoir des représailles.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Nous ne menons jamais de représailles, nous !

Mme Nicole Bricq, ministre. En Chine, il y a un otage tout trouvé : c’est le vin. Nous sommes très performants, nous pouvons avoir des problèmes un jour, il faut savoir dire que des pratiques ne vont pas, mais à bon escient. Nous, nous le faisons, ce que ne font pas tous nos partenaires…

Pour terminer, monsieur Lassalle vous posez, à travers Total, le problème des grands groupes.

M. Jean Lassalle. Oui !

Mme Nicole Bricq, ministre. Il est vrai que les grands groupes, tous ceux du CAC40, se sont beaucoup internationalisés. Cette internationalisation a été réussie, parce que derrière les grands groupes, il y a aussi des petites et moyennes entreprises, ainsi que des entreprises de taille intermédiaire. Hier, j’étais sur le chantier nucléaire de Taishan, avec l’ensemble de la famille du nucléaire : grâce à EDF, AREVA et Alstom – les trois majors –, quatre-vingt-cinq entreprises ont maintenant une projection sur le marché chinois. Je prends l’exemple d’une entreprise qui fait de la robinetterie pour le nucléaire. Sachant faire de la robinetterie pour le nucléaire, elle sait en faire dans bien d’autres domaines, et elle peut se développer de manière autonome.

Mais ces grands groupes, en s’internationalisant, se sont parfois éloignés, c’est vrai, de certains territoires. Ils ont souvent réussi leur internationalisation grâce à l’aide de la puissance publique, qu’il s’agisse des régions, des départements, des collectivités en général, ou de l’État. Je ne leur fais pas la morale, mais je leur demande, puisque la puissance publique les a aidés, d’aider eux aussi les petites et moyennes entreprises à pouvoir un jour devenir de grands groupes. Et c’est tout le pari du Gouvernement que de faire en sorte que nous puissions préparer les grands groupes de demain, parce que, comme vous le savez, les PME qui réussissent leur croissance rencontrent, à un moment donné, un plafond de verre : elles ne peuvent plus progresser. Elles se font racheter, ou elles disparaissent. Et cela, ce n’est pas possible ! C’est tout le pari industriel que la France est en train de relever avec le plan de compétitivité et d’attractivité du Gouvernement.

M. Jean Lassalle. Merci de m’avoir répondu, madame la ministre.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J’ajouterai quelques précisions pour répondre à des questions qui avaient un caractère technique.

Dans le cadre de la révision des dispositifs relatifs aux aides d’État au sein de l’Union européenne, nous sommes très attentifs à la question des seuils de minimis, qui a été posée par Mme Rabin. C’est un sujet extrêmement important, et sur lequel nous avons la possibilité d’agir, puisque ce cadre des aides d’État est en cours de modernisation, de refonte. Votre question, madame la députée, tombe donc à point nommé. Nous avons là une possibilité d’intervenir très concrètement.

Nous, nous considérons – et nous l’avons déjà fait savoir – que le contrôle doit porter désormais sur les aides d’État les plus importantes, attribuées aux industries les plus importantes, c’est-à-dire là où il y a une véritable possibilité qu’elles affectent le bon fonctionnement du marché intérieur. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à un relèvement des seuils de minimis. Nous avons réussi, il y a de cela quelque temps, à faire en sorte que cela soit envisagé et rendu possible pour les services publics locaux.

Une question m’a été posée par Mme Marietta Karamanli au sujet de la mobilisation des moyens du capital-risque en faveur des entreprises européennes. Que fait l’Europe pour accompagner les capital-risqueurs, ou en tout cas favoriser la création de capital-risqueurs qui viennent en soutien des PME, des PMI, ou des entreprises les plus innovantes ?

Le sujet a un peu progressé sous la présidence chypriote. Un accord a été trouvé pour permettre aux fonds de capital-risque nationaux d’investir plus facilement dans les autres États membres de l’Union européenne, afin d’assurer le financement des PME-PMI innovantes. Cela n’était pas possible jusqu’à présent. Cela l’est devenu. Et d’ailleurs, cela renforce la dynamique propre au marché intérieur.

Des questions énergétiques ont été évoquées par Mme Guittet. Vous savez l’engagement de la France sur le plan climat. Nous avons d’ailleurs décidé d’accueillir, en 2015, la conférence sur le climat, ce qui fait l’objet d’une très forte mobilisation des ministres concernés, Laurent Fabius, Pascal Canfin et Delphine Batho. Comme nous allons accueillir cette conférence, par-delà ce qui nous mobilise en termes de convictions, de politiques publiques, nous sommes bien entendu très désireux de voir ces sujets progresser.

S’agissant de la taxation de l’énergie, les négociations sont toujours en cours sur la révision de la directive de 2003. L’idée est d’ajouter une composante CO2 à la taxe actuelle, puisque celle-ci ne porte aujourd’hui que sur la part énergétique. Mais les négociations sont très difficiles, parce qu’elles ne peuvent aboutir, comme vous le savez, que si l’on a réussi à recueillir l’unanimité. La France s’emploie à essayer de faire en sorte qu’un môle de pays convaincus de la nécessité d’aller dans le sens d’une véritable fiscalité énergétique harmonisée puisse se mobiliser à nos côtés.

Pour ce qui concerne la définition d’une politique énergétique européenne en faveur du renouvelable, outre le fait que nous sommes liés par les objectifs du plan climat, vous avez remarqué qu’hier, à Berlin, ont été rendus publics des objectifs franco-allemands dans trois domaines.

Le premier, ce sont des programmes communs de développement des énergies renouvelables, ce qui appelle des coopérations industrielles, qui seront d’autant plus faciles à mettre en œuvre que ce sont des filiales françaises qui ont pour partie développé l’offshore maritime en Allemagne. Je pense notamment à l’implantation à Bremerhaven d’AREVA Wind, filiale d’AREVA. Par conséquent, il existe aujourd’hui la possibilité de coopérations industrielles, en raison de ce qui a déjà été initié.

Nous avons aussi la volonté de nous engager ensemble dans l’utilisation optimale du MIE dans son volet énergétique – l’interconnexion énergétique.

Nous avons enfin la volonté de nous engager ensemble dans l’amélioration du bilan thermique des bâtiments, qui est un facteur considérable de croissance et qui peut permettre d’améliorer sensiblement nos résultats au titre du plan climat.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je voulais dire en complément des propos de Mme Bricq.

M. le président. Le débat est clos.

5

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Questions à un ministre sur la politique industrielle.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)