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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du lundi 18 février 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Le Fur

1. Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral –
Élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux

Suite de la discussion d'un projet de loi et d'un projet de loi organique

Motion de renvoi en commission (projet de loi organique)

M. Bernard Gérard

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, M. François Sauvadet, M. Sergio Coronado, M. Alain Tourret, M. Carlos Da Silva, Mme Annie Genevard

Rappel au règlement

M. François Sauvadet

Suspension et reprise de la séance

Discussion générale commune

M. François Sauvadet

M. Paul Molac

M. Alain Tourret

M. Marc Dolez

M. Carlos Da Silva

Mme Marie-Jo Zimmermann

M. Yannick Favennec

M. Sergio Coronado

M. Alfred Marie-Jeanne

Mme Laurence Dumont

M. Patrice Verchère

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Alain Calmette

M. François Vannson

Mme Nathalie Appéré

M. Pierre Morel-A-L’Huissier

Mme Marie-Anne Chapdelaine

M. Thierry Mariani

M. Vincent Feltesse

M. Dominique Le Mèner

Mme Christine Pires Beaune

M. Jean-Claude Mathis

M. Jean-Jacques Cottel

M. Marc-Philippe Daubresse

Mme Françoise Descamps-Crosnier

M. Dino Cinieri

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Élection des conseillers départementaux,
des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral

Élection des conseillers municipaux,
des délégués communautaires et des conseillers départementaux

Suite de la discussion d’un projet de loi et d’un projet de loi organique

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, rejeté par le Sénat, relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (nos 631, 701) et du projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (nos 630, 700).

Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Motion de renvoi en commission
(projet de loi organique)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux

La parole est à M. Bernard Gérard.

M. Bernard Gérard. Monsieur le président, madame la ministre des droits des femmes, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la commission des lois, madame la présidente et madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, j’ai l’honneur de défendre au nom de mon groupe une motion de renvoi en commission sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux.

La réforme proposée pose de nombreuses difficultés que nous tenons à souligner et que nous mettrons en exergue tout au long de ces débats.

Nous sommes en présence d’une réforme sans précédent tant sur la forme que sur le fond : sur la forme, car il est proposé une modification du calendrier électoral un an avant l’ouverture d’une campagne électorale ; sur le fond, car il est proposé la création inédite d’un nouveau mode de scrutin des conseillers généraux à tout le moins exotique.

Les deux projets de loi qui nous sont soumis sont liés par une même volonté du Gouvernement de conduire une réforme présentée comme la première étape de son acte III de la décentralisation, réforme qui modifie en profondeur le système des élections cantonales et qui touche au cœur de nos institutions et de nos territoires. Dès lors, nous pouvons nous étonner qu’elle soit présentée dans notre assemblée sans qu’une véritable concertation ait été menée en amont.

Le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, a rejeté en première lecture le projet de loi ordinaire, estimant inopportuns et dangereux tant le mode de scrutin proposé pour les conseilleurs départementaux que le redécoupage cantonal qui en découlera, lequel affaiblira considérablement la représentation des territoires ruraux. En revanche, il a adopté le projet de loi organique. Mais il convient ici de souligner que sans le projet de loi ordinaire, le projet de loi organique n’a pas de sens. Mon propos concernera donc dans une large mesure le projet de loi ordinaire.

Il importe de s’arrêter quelques instants sur l’article 2 du projet de loi organique qui prévoit de changer les termes de « conseil général » et « conseiller général » pour leur préférer ceux de « conseil départemental » et « conseiller départemental ». Nous ne sommes pas ici en présence d’une révolution sémantique mais plutôt d’une opération cosmétique. Nous estimons en effet qu’il ne sert à rien de changer le nom du conseil général : nous lui préférions le principe du conseiller territorial, siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional. Le conseiller territorial avait, sur le plan pratique, le mérite de la simplification : un réfèrent territorial unique était institué, ce qui constituait une mesure de clarification, donc de transparence et de démocratie.

Parmi les mesures de l’article 1er du projet de loi organique relatives à la participation des citoyens européens à l’élection des délégués communautaires, certaines apparaissent superflues et floues.

En outre, l’article 1er A du projet de loi organique abaisse le seuil d’application de la législation sur le cumul des mandats alors même que le Président de la République a annoncé une réforme à ce sujet. Il aurait été plus opportun d’en traiter dans une réflexion globale sur le cumul.

Les deux projets de loi étant étroitement liés, la motion de renvoi en commission que je développe devant vous est motivée par plusieurs éléments.

Premièrement, le Gouvernement nous demande de légiférer sur l’élection du conseiller départemental avant même qu’une réforme de fond sur les compétences et les missions des collectivités territoriales nous ait été proposée. L’acte III de la décentralisation aurait bien évidemment dû être discuté avant ces projets de loi.

Deuxièmement, le Gouvernement propose un mode de scrutin pour le moins inédit et procède en conséquence à un redécoupage cantonal contestable et contesté, qui préfigure un nouveau découpage de nos circonscriptions législatives.

Troisièmement, sous le couvert de renforcer la démocratie locale, il modifie les élections municipales et intercommunales un an avant l’ouverture de la campagne électorale.

Lors des états généraux de la démocratie territoriale qui se sont tenus à la Sorbonne en octobre dernier, le Président de la République a mis en avant sa volonté d’opérer un acte III de la décentralisation, apportant ainsi sa pierre à un édifice construit depuis de nombreuses années par les différents gouvernements en place, en lien étroit avec le législateur. Il avait alors annoncé que le Parlement serait saisi au début de l’année 2013 d’une réforme territoriale visant notamment à clarifier les compétences de chaque collectivité. Les projets de loi qui nous sont aujourd’hui soumis ne portent aucune trace de l’ambition alors affichée et nous nous étonnons de la méthode utilisée car ces textes sont exclusivement de nature électorale.

Nous avons véritablement l’impression que le Gouvernement met la charrue avant les bœufs et que sa préoccupation est uniquement électoraliste alors que des réflexions sont indispensables pour répondre aux attentes des collectivités locales qui voient leurs dotations baisser, contrairement aux engagements du Président de la République, et leurs charges croître, notamment en raison de la mise en œuvre de réformes gouvernementales contestées comme celle relative aux rythmes scolaires qui sera à la charge des collectivités.

Dans la précipitation, vous nous proposez ce que nous pourrions appeler un acte I de votre action sans que l’on sache ce qui va suivre. Pas moins de quatre ministres sont en charge des collectivités territoriales mais aucune stratégie ni vision claire ne se dégagent pour appuyer les annonces faites par le Président de la République. La démarche utilisée est pour le moins contestable. Nous entendons le démontrer ici.

Alors que les usages républicains veulent que dans l’année précédant une élection, aucun changement dans les modes de scrutin n’intervienne, vous procédez à une modification pour les élections municipales, les élections départementales et les élections régionales. Le Gouvernement entend repousser à 2015 ce que vous appelez les « élections départementales » ainsi que les élections régionales. Pourtant aucun motif d’intérêt général, comme le veut la Constitution, ne justifie un tel report. Celui-ci semble davantage destiné à servir vos intérêts électoraux pour les élections sénatoriales de septembre 2014 qui devraient en principe s’effectuer via un collège de grands électeurs renouvelés.

Nous sommes, vous le comprendrez, vivement opposés à de telles méthodes qui apparaissent contraires à la Constitution et aux usages républicains.

Venons-en maintenant au nouveau mode de scrutin que vous créez de toutes pièces pour le conseiller départemental. La loi de décembre 2010 voulue par la précédente majorité instaurait le conseiller territorial qui constituait le moteur d’une indispensable dynamique de convergence et de cohérence.

Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Sans la parité !

M. Bernard Gérard. Il répondait à un objectif de rationalisation et de simplification de la vie territoriale : il s’agissait d’en accroître l’efficacité et la lisibilité aux yeux de nos concitoyens, incapables de se repérer dans notre complexité administrative. Avec près 37 000 communes, 100 départements, 26 régions et près de 3 000 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, sans oublier les divers services déconcentrés de l’État, l’empilement de nos strates, à nul autre pareil en Europe, était un frein à notre développement et représentait un coût devenu inacceptable dans le contexte budgétaire actuel.

Lors de cette réforme, l’opposition dénonçait la création d’un élu hybride qu’elle accusait de tous les défauts. Dans son rapport, M. Popelin note même : « le conseiller territorial figurera sans doute au rang des curiosités de l’histoire du droit électoral de notre pays. » Il faut croire que cela vous a inspirés. Vous vous êtes empressés de supprimer ce conseiller territorial dans une proposition de loi essentiellement démagogique. On aurait pu penser que c’était pour revenir à une formule plus classique. Mais vous instituez comme nouveau mode de scrutin le scrutin majoritaire binominal homme-femme. Quelle curiosité ! Aucun pays n’y a jusqu’à présent pensé ; vous, vous le créez. Élus ensemble, ils peuvent même être punis ensemble, au mépris de tous les principes généraux du droit, la faute de l’un pouvant entraîner la sanction de l’autre.

À notre tour donc de dénoncer ce mode de scrutin pour le moins curieux et même fantaisiste. Comment penser qu’il sera aisé pour deux personnes solidaires avant leur élection et indépendantes lors de l’exercice de leur mandat d’agir sur un même territoire ? Vous défendez la création de ce binôme en mettant en avant l’exigence de la parité voulue par la Constitution. Certes, la parité est essentielle. Certes, tout le monde constate que les femmes sont sous-représentées dans les conseils généraux. Certes, il faut agir pour y remédier. Toutefois, la solution proposée n’est pas satisfaisante. Elle ne vient pas simplifier l’exercice de ce mandat pourtant essentiel au service de nos concitoyens. Ceux-ci auront le sentiment dans bien des cas de ne plus être représentés alors que là est pourtant l’essentiel.

En agissant ainsi, vous confondez action pour une meilleure intégration de la parité et précipitation. Comment ne pas craindre une confusion voire une compétition au sein du binôme dans l’exercice par chacun des conseillers de son mandat ? Comment ne pas craindre les doublons ? Bref, plutôt que de rationaliser le travail des élus comme nous le proposions avec le conseiller territorial, vous le compliquez à l’envi et peut-être même au détriment de la qualité du service rendu à nos concitoyens, ce qui n’est pas souhaitable.

Le Sénat a exprimé toutes ses réticences à cet égard en rejetant le principe du binôme homme-femme, estimant qu’un autre mode de scrutin pourrait tout aussi bien répondre à cet objectif de respect de la parité comme c’est le cas pour les élections régionales.

En outre, ce mode de scrutin binominal homme-femme est lourd de conséquences pour la carte cantonale, comme l’indique le rapport : « En conséquence, la mise en œuvre de la réforme nécessitera de procéder au remodelage de l’ensemble des cantons que compte notre territoire. Une telle opération n’a jamais été réalisée depuis la création des cantons en 1789 ». Avec le binôme vous multipliez par deux le nombre de conseillers départementaux ; en contrepartie, vous divisez par deux le nombre de cantons. Vous procédez ainsi à un redécoupage répondant à des critères démographiques. Or, ceux-ci affaiblissent considérablement les territoires ruraux, en contrevenant au principe de proximité entre élu et territoire qui se trouve au cœur des élections cantonales depuis deux siècles. Vous supprimez même le sens donné au mot « canton » !

Dans les territoires ruraux, le conseiller général est un élu de terrain qu’à l’image du maire, l’on vient consulter pour tel ou tel problème. Mais, en secteur urbain, qui sera donc surreprésenté par le biais de votre réforme, cela est beaucoup moins évident.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Où se trouve la population ?

M. Bernard Gérard. Lors du redécoupage législatif, sous la précédente législature, une véritable concertation a été menée pendant de très long mois. Votre texte à l’inverse prévoit un redécoupage par décret, c’est-à-dire décidé par le Premier ministre dans le secret des cabinets ministériels. Vous dites que les conseils généraux seront consultés et pourront émettre leur avis ; or, nous observons d’ores et déjà le bouleversement que cela induira dans nos départements.

Le département du Nord, dont je suis élu, passera de 79 cantons à 40 selon les critères du Gouvernement, ou 41 selon le dispositif voulu par le rapporteur de la commission des lois. Les conseillers départementaux seront ainsi au nombre de 82.

Les élus locaux que nous côtoyons quotidiennement sont eux-mêmes très perplexes, inquiets et, je vous le dis très clairement, particulièrement en colère, quel que soit leur bord politique, en découvrant les superficies extrêmement importantes de certains cantons, notamment ruraux.

De plus, les ciseaux que vous vous apprêtez à utiliser à votre seul bénéfice pour votre réorganisation cantonale vous conduiront à ne pas respecter les limites des circonscriptions législatives, alors même que, lors du découpage de ces circonscriptions, validé par le Conseil constitutionnel, cette donnée essentielle avait été intégrée pour respecter la logique territoriale.

Sur ce point, il nous parait essentiel que le Gouvernement accepte que cette opération de redécoupage se fasse dans des conditions de parfaite transparence au nom du respect de l’intérêt général.

Pour ce faire, nous proposons qu’une commission indépendante soit obligatoirement consultée par le Gouvernement, et que les avis émis sur les projets et modalités de redécoupage soient publiés au Journal officiel avant la saisine des conseillers généraux et du Conseil d’État.

Cette méthode, à laquelle nous sommes attachés et que nous réclamons, est refusée par le Gouvernement. Nous espérons donc qu’il changera de position eu égard aux nombreuses oppositions qui s’expriment, sauf à corroborer le fait qu’il est uniquement animé par des visées électoralistes.

M. Rémi Pauvros. Mais non !

M. Bernard Gérard. Nous sommes, comme vous pouvez le constater, en présence d’une réforme considérable, justifiant un renvoi en commission pour opérer un véritable travail de fond et une consultation de toutes les parties concernées, car nous ne pouvons accepter ce tripatouillage électoral et ce bricolage des scrutins.

Pour être complet, j’insisterai sur quelques autres points. Tout d’abord, alors que la loi du 16 décembre 2010 fixait le seuil retenu pour le maintien au second tour à 12,5 % des inscrits, vous proposez de l’abaisser à 10 %. Nous dénonçons encore une fois une manœuvre électoraliste, tant nous savons que ce seuil de 10 % favorise les triangulaires, qui ne sont pas satisfaisantes. Vous avez beau arguer du respect du pluralisme, nous savons que cela ne se passe pas ainsi en pratique. Le seuil de 12,5 % étant le bon, nous souhaitons son maintien.

Intéressons-nous maintenant aux élections municipales : le texte du Gouvernement propose de modifier le mode de scrutin pour les communes à partir de 1 000 habitants. Le scrutin serait désormais un scrutin proportionnel de liste paritaire. Si tout le monde s’accorde sur la nécessite de baisser le seuil à partir duquel les élections se font sur la base d’un scrutin de liste, aucun consensus clair ne se dégage toutefois puisque le rapporteur de la commission des lois a souhaité baisser ce seuil à 500. Peut-être est-ce la bonne solution ; je ne suis d’ailleurs pas loin de le croire à titre personnel.

Là encore, la concertation serait la bienvenue pour obtenir un consensus avec tous les acteurs de la démocratie locale. Nous allons en effet assister à une profonde modification des règles applicables aux communes de moins de 3 500 habitants, quelques mois seulement avant le renouvellement de leur conseil, alors qu’elles constituent l’essentiel de notre tissu local.

En outre, à une modification du scrutin pour les municipales s’ajoute une réforme du mode d’élection des délégués communautaires, appelés conseillers intercommunaux, qui seront désormais élus au suffrage universel direct en même temps que les élections municipales.

Ce principe du fléchage avait été retenu par la précédente majorité ; nous nous réjouissons donc qu’il soit maintenu et officialisé. L’intercommunalité étant de plus en plus présente et pesant de plus en plus dans la conduite des projets locaux, une plus grande transparence est la bienvenue.

Plusieurs questions se posent néanmoins, qui appellent des réponses précises de la part du Gouvernement. Ainsi, le problème du financement de la campagne électorale intercommunale et de la présidence de l’EPCI doit être abordé.

Lille Métropole, dont je suis un élu d’opposition,…

Mme Audrey Linkenheld. C’est sûr !

M. Bernard Gérard. …a été gagnée par la politisation dès les dernières élections municipales. Sa présidente, Mme Martine Aubry, que vous connaissez bien, a fait voler en éclats le consensus jusqu’alors de mise avec son prédécesseur, M. Pierre Mauroy. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Audrey Linkenheld. Ça, c’est moins vrai !

M. le président. Écoutons l’orateur, chers collègues !

M. Bernard Gérard. Une vraie campagne politique a été menée dès 2008, et nul ne doute que cette nouvelle élection des conseillers intercommunaux au suffrage universel direct impliquera en 2014 une campagne à deux niveaux, l’un municipal et l’autre communautaire.

Comment pourra-t-elle être financée alors qu’il n’est nulle part question de modifier le plafond des dépenses de la campagne municipale, qui pourtant en intégrera une autre ? Une telle situation conduira à privilégier des exécutifs sortants au détriment de leurs concurrents et ce, au mépris de la transparence et de l’égalité des candidats, principes qui sont au cœur de notre démocratie.

Une fois de plus, la précipitation empêche toute réflexion approfondie sur un tel sujet, qui mériterait pourtant une vraie évaluation de toutes les conséquences induites et une réelle approche des conséquences qu’il faut en tirer.

Lors de son audition devant la commission des lois, M. le ministre de l’intérieur a précisé que le mandat de président d’un EPCI à fiscalité propre entrerait dans le champ de la loi du non-cumul. Mais sur ce point comme sur la date à laquelle s’appliquerait la loi à venir sur le non-cumul des mandats, nous restons dans le flou le plus total.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, et contrairement à l’objectif affiché de « rénover en profondeur notre démocratie locale », le Gouvernement veut en fait préserver autant que faire se peut sa majorité. Les deux textes qui nous sont soumis aujourd’hui nous semblent répondre à une seule logique, celle de favoriser les visées électoralistes de la majorité en place.

Aussi, mes chers collègues, pour les différents motifs exposés, nous vous invitons à adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Vannson. Je suis convaincu !

M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Gérard, je serai relativement brève car M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, a déjà répondu de façon précise aux précédentes motions, et notamment à la motion de renvoi de M. Bussereau.

Je me contenterai de quelques mots, d’abord sur le manque de concertation que vous avez semblé regretter. Je veux simplement vous rappeler que l’ensemble des formations politiques ont bien évidemment été consultées par le ministre de l’intérieur sur ces projets de loi.

Je veux répéter également, puisque vous évoquez le redécoupage des circonscriptions, que la commission indépendante prévue à l’article 25 de la Constitution n’est compétente que pour les circonscriptions législatives.

M. Guillaume Larrivé. C’est pour cela qu’il faut étendre ses missions !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Du reste, puisque vous parez désormais de toutes les vertus votre projet de conseiller territorial, je vous renvoie à ce que vous avez fait à l’époque, car vous avez semble-t-il oublié de saisir une telle commission concernant le redécoupage des cantons.

Sur la question du calendrier, la loi de décentralisation sera présentée dans un mois à peine en Conseil des ministres : ne vous inquiétez donc pas, le Gouvernement travaille. Ainsi que le ministre de l’intérieur vous l’a déjà expliqué à de nombreuses reprises, l’abrogation du conseiller territorial rendait de fait nécessaire une réforme du scrutin départemental, et donc ce découpage. Celui-là était du reste, je le rappelle, déjà prévu pour la mise en place du conseiller territorial, telle que vous l’aviez imaginée.

M. Guillaume Larrivé. Ce n’est pas exact !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je note tout de même, avec un petit sourire, que M. Gérard au moins revendique le projet de conseiller territorial, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Ainsi, l’Association des départements de France elle-même affirme aujourd’hui que ce scrutin binominal est la meilleure réponse à apporter. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. François Vannson. Ce sont vos amis !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Oui, mais vos collègues de l’opposition ne sont pas tous d’accord avec votre formidable projet de conseiller territorial.

L’Association des départements de France, qui me semble tout de même être un interlocuteur digne d’être écouté, reconnaît que le scrutin binominal constitue en effet la meilleure solution qui ait été imaginée pour respecter tant la parité – ne venez pas me dire que votre projet de conseiller territorial faisait du bien à la parité ! – que la proximité.

Avant d’en venir au fond du texte, je souhaiterais m’interroger sur le principe même de votre motion concernant ce projet de loi organique car, après tout, ce texte a été adopté par votre groupe au Sénat, et nous pouvions espérer de votre part une position cohérente avec celle exprimée par vos collègues au Sénat !

M. Thierry Mariani. Nous ne sommes pas ici au Sénat !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Par ailleurs, un renvoi en commission se justifie-t-il vraiment alors que la commission a travaillé sur ce texte pendant six heures et que le Sénat a siégé plus de trente heures, ainsi que M. Manuel Valls vous l’a rappelé ? La procédure normale, avec le jeu des navettes entre les deux assemblées et le respect des délais constitutionnels, est parfaitement garantie.

En bref, les parlementaires, députés comme sénateurs, ont pu travailler dans les meilleures conditions possible, s’exprimer et défendre leurs amendements ; il n’existe donc pas de raison de renvoyer ce texte en commission.

Venons-en maintenant au fond. Comme vous le savez – même si vous n’avez pas apporté la moindre solution à ce problème –, les conseils généraux sont aujourd’hui composés à plus de 86 % d’hommes.

M. Olivier Marleix. Parce qu’ils sont de gauche !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. La moindre des choses est donc de réfléchir un instant à un mode de scrutin qui, bien qu’inédit – c’est en effet du jamais vu, car on n’en connaît pas d’équivalent à l’étranger –, réponde parfaitement à deux de nos objectifs, que nous assumons totalement : la parité et la proximité.

La parité tout d’abord car, dès les prochaines élections cantonales, seront élus 50 % d’hommes et 50 % de femmes. Je ne crois pas qu’un tel binôme puisse porter atteinte, de quelque façon que ce soit, au service à rendre aux électeurs, comme je vous l’ai entendu dire. Cela créera au contraire une plus-value évidente pour la vie politique, la rénovation attendue de longue date.

La proximité ensuite, car le scrutin majoritaire l’assure. À ce sujet, je souhaiterais vous poser une question, car je n’ai pas compris ce point dans votre intervention : quelle alternative proposez-vous concrètement ? Voulez-vous revenir à un scrutin de liste ? Voulez-vous maintenir le statu quo ?

Je crois avoir compris que vous préfériez le statu quo ; eh bien nous, nous sommes du côté du changement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, mes chers collègues, à la quatrième motion de procédure, la lassitude commence à nous gagner ! Je ne voudrais pas, par une répétition de réponses, retarder la discussion générale que vous avez du reste largement anticipée, de manière quelque peu artificielle.

Je limiterai donc ma réponse au seul point conforme avec l’objet de votre motion de renvoi, puisque je vous rappelle que celle-ci porte sur la loi organique, ce qui n’avait rien d’évident à l’écoute de votre intervention.

Je vous répondrai donc sur l’abaissement du seuil mettant en œuvre la limitation du cumul des mandats pour les fonctions de maire, pour préciser que, naturellement, ce texte ne porte pas sur la limitation du cumul des mandats.

Je vous renvoie à ce sujet à la page 211 du rapport que j’ai rédigé au nom de la commission des lois : « si le Conseil [constitutionnel] reconnaît au législateur organique la faculté de ne retenir “ le mandat de conseiller municipal qu’à partir d’un certain seuil de population ”, c’est à la condition “ que le seuil retenu ne soit pas arbitraire ” et que si “ cette condition est remplie en l’espèce [dans la loi organique], dès lors que le seuil de 3 500 habitants détermine, en vertu de l’article L. 252 du code électoral, un changement de mode de scrutin pour l’élection des membres des conseils municipaux ”, ce n’était plus le cas si le seuil retenu dans le régime de limitation de cumul différait de celui du changement de régime électoral. »

Dès lors que le mode de scrutin change par rapport à la strate de communes, alors la loi organique – dont Mme la ministre a rappelé qu’elle avait été adoptée au Sénat, notamment par les membres de votre groupe – prévoit cette naturelle coordination.

Certes, j’ai qualifié le conseiller territorial de « curiosité » ; certes, le scrutin binominal majoritaire est une novation. Mais pour ma part, je ne confonds pas curiosité et novation ; je ne confonds pas le recul de la parité et l’encouragement au cumul avec le respect de l’indépendance des collectivités et l’arrivée de la parité dans les dernières assemblées démocratiques de notre république dans lesquelles l’ordre naturel des choses n’a pas permis de progression depuis douze ans.

Voilà pourquoi, chers collègues, je vous invite à ne pas adopter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Je serai assez bref. Tout d’abord, au nom de la parité, je salue l’arrivée de Mme la porte-parole du Gouvernement. Mais je n’en regrette pas moins l’absence du ministre de l’intérieur sur un sujet aussi important. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

À chaque fois vous nous faites le même cinéma ! Mais lorsque nous étions aux affaires et au Gouvernement, sur un sujet de cette importance, nous avons toujours siégé – surtout lorsqu’il était question de l’avenir de nos collectivités !

M. le président. Le Gouvernement est représenté, et de plus M. le ministre de l’intérieur a eu la délicatesse de s’excuser. Poursuivez, mon cher collègue !

M. François Sauvadet. Vous pouvez faire les commentaires que vous voulez,…

M. le président. C’est bien pourquoi je me suis exprimé !

M. François Sauvadet. …mais la parole est libre dans cet hémicycle.

M. Bernard Roman. Votre attaque est scandaleuse : M. Valls était là cet après-midi !

M. François Sauvadet. Je le répète, tout en saluant votre présence au nom de la parité, madame la ministre, je regrette l’absence du ministre de l’intérieur.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est injurieux pour la ministre !

M. François Sauvadet. J’espère qu’il sera là pour écouter les orateurs des différents groupes, sinon je serai contraint de demander une suspension de séance afin qu’il puisse venir nous répondre.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes. Lamentable ! Les ministres femmes seraient-elles des ministres de seconde zone ?

M. François Sauvadet. Vous avez évoqué différents sujets en essayant de noyer le poisson. En réalité, votre projet aboutira à un laminage de la représentation des territoires ruraux.

Vous pouvez toujours tenter de nous faire croire que le conseiller territorial constituait un recul par rapport au texte que vous nous présentez aujourd’hui, vous n’arriverez pas à nous convaincre.

Vous avez rendez-vous avec l’avenir. Aujourd’hui, vous pouvez raconter ce que vous voulez, demain la réalité territoriale s’imposera. Dans ma circonscription, quand une centaine de communes seront représentées par un binôme incertain, dont les membres élus ensemble exercent leur mandat indépendamment l’un de l’autre en compétition, cela entraînera des difficultés pour assurer des gouvernances territoriales.

Pour ma part, je vais me battre contre ce projet de loi. Vous savez, madame la ministre, le conseiller territorial ce n’était pas la panacée, mais ne nous laissez pas croire que dans un grand pays comme la France un binôme qui réduira la représentation territoriale de l’ensemble de nos territoires ruraux parviendra à ce nouvel équilibre auquel nous aspirons tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Bien entendu, le groupe écologiste ne votera pas la motion de renvoi en discussion.

M. François Vannson. C’est dommage !

M. Sergio Coronado. Monsieur Bernard Gérard, votre intervention traitait finalement assez peu du projet de loi organique. Vous n’abordez pas les questions qui nous préoccupent vraiment de la parité, du renouvellement, du pluralisme politique. Il est difficile de vous suivre étant donné que vous ne faites que défendre le statu quo.

Je ne suis pas insensible à vos propos quand vous parlez de mettre en place un mode de scrutin inédit, quand vous vous interrogez sur la pertinence de cette invention originale qu’est le binôme paritaire et sur le report des élections départementales et régionales. Ces questions me paraissent légitimes et non sans fondement. En revanche, lorsque votre seule proposition est de défendre le statu quo qui d’ailleurs ne fait pas consensus dans vos troupes – j’ai en mémoire les discussions que nous avons eues en commission des lois, et notamment les interventions de certaines de vos collègues au titre de la parité, défendant le pluralisme – je ne crois pas que la bonne solution soit d’évacuer le débat en renvoyant le texte en commission.

Comme M. Dolez, je suis soucieux que ce débat ait lieu parce qu’il va nous permettre de soulever des questions qui ne sont pas réglées par le projet gouvernemental.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. M. Bernard Gérard demande que le projet de loi organique soit renvoyé en commission. Mais encore faut-il le justifier. S’il s’agit seulement de perdre du temps, cela ne sert à rien, sauf à dépasser le délai d’un an avant les élections.

Pour connaître la jurisprudence du conseil d’État en la matière, je sais qu’on peut demander un complément d’étude d’impact si un dossier ne comporte pas une étude d’impact suffisante. Vous auriez pu demander une étude d’impact complémentaire sur tel élément. Mais vous n’avez rien dit. Il y a donc là une absence totale de démonstration. Voilà pourquoi votre demande de renvoi en commission est irrecevable.

M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva.

M. Carlos Da Silva. La façon dont M. Sauvadet s’est adressé à Mme la ministre est proprement scandaleuse. (Protestations sur les bancs des groupes UDI et UMP.) Mme Vallaud-Belkacem est là au nom du Gouvernement et non au nom de la parité.

J’en viens à la motion de renvoi en en commission qui, si j’ai bien compris, porte sur le projet de loi organique. Or pendant les vingt minutes de discours que M. Bernard Gérard nous a infligées, je n’ai pas vu en quoi cette motion correspondait au projet de loi organique. Elle portait plutôt sur le projet de loi ordinaire.

On nous demande de renvoyer ce texte en commission pour examiner différents points, alors qu’ils déjà été débattus pendant six heures, comme l’a rappelé Mme la ministre, et l’avaient déjà été lors de l’examen de la proposition de loi supprimant le conseiller territorial qui nous avait été transmise par le Sénat. Ce que propose M. Gérard, finalement, c’est de revenir à ce conseiller territorial. Pourtant, il m’avait semblé que sa création ne faisait pas l’unanimité dans les rangs de la majorité d’hier.

Pour défendre ce conseiller territorial, on met en avant le respect des territoires. Je prends l’exemple de l’Essonne. Le département compte quarante-deux conseillers généraux, et vingt-trois conseillers régionaux. Au mieux, il y aurait eu trente-trois conseillers territoriaux. J’aimerais que l’on m’explique pourquoi trente-trois conseillers territoriaux c’est mieux que quarante-deux conseillers départementaux pour représenter les territoires ruraux.

M. Olivier Marleix. M. Da Silva voit la ruralité à travers Évry !

M. Carlos Da Silva. Il y a quelque chose qui m’échappe mathématiquement parlant. Mais peut-être que le débat permettra d’éclairer ma lanterne mathématique, extrêmement faible j’en conviens.

Pour toutes ces raisons, le groupe SRC propose de rejeter cette motion.

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Je profite de la présence de Mme le ministre (« Mme « la » ministre ! » sur les bancs du groupe SRC)…

M. Gérald Darmanin. Non, c’est bien Mme « le » ministre ! Lisez ce que dit l’Académie française !

Mme Annie Genevard. …pour m’exprimer sur la question de la parité.

Madame « la » ministre, ce scrutin majoritaire binominal paritaire est-il une bonne réponse à un réel problème ? On a le droit de se poser la question.

La sous-représentation des femmes au sein des assemblées départementales est réelle, et nous la regrettons vivement.

M. Bernard Roman. Que proposez-vous ?

Mme Annie Genevard. C’est de votre projet que nous débattons, cher collègue.

La responsabilité de cette sous-représentation est largement partagée dans l’ensemble de l’échiquier politique.

M. Olivier Marleix. Très bien !

Mme Annie Genevard. Vous entendez y répondre par ce projet de loi. Chacun s’est efforcé d’imaginer ce que cela donnerait sur son territoire.

Avant de poser la question du binôme de personnes se pose celle du binôme territorial – binôme ou trinôme voire davantage. Peut-on marier des territoires qui parfois ne partagent qu’une proximité géographique ?

M. Jean Lassalle. Très bonne question !

Mme Annie Genevard. La proximité géographique suffit-elle à faire un territoire cohérent ? C’est possible, mais ce n’est pas sûr.

Un homme et une femme, sur un territoire parfois artificiellement constitué font-ils un duo efficacement uni par la seule magie de la parité pour porter la dynamique de ce territoire ? C’est possible mais ce n’est pas sûr.

Les femmes y trouveront-elles toute leur place ? Je prends le pari que dans ce binôme une majorité des femmes sera chargée du social et de la culture et les hommes des routes et des finances.

Plusieurs députés du groupe SRC. Caricature !

Mme Annie Genevard. Pas du tout, et vous le savez. Oui, la parité est un objectif. Il faut toutefois le pondérer en fonction de toutes les applications de ce mode de scrutin qui s’accompagne d’un redécoupage brutal des cantons.

Enfin, il y a là la création d’une forme de jurisprudence. Demain, pourquoi ne pas imaginer un binôme pour les élections législatives ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour un rappel au règlement.

M. François Sauvadet. Madame la porte-parole du gouvernement, jusqu’à présent nous avons fait preuve de beaucoup de respect à l’égard de votre fonction, comme il se doit à l’égard de chaque membre du Gouvernement et à l’égard de chaque député, qu’il soit femme ou homme.

Monsieur le président, j’entends que ce débat que je porte avec mes collègues, se déroule dans le plus grand respect de l’opposition, et, bien sûr, de la majorité,. Mais si nous commençons par nous jeter des invectives alors qu’il s’agit de l’avenir de nos territoires, on s’expose à un très long débat. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je n’accepte pas les propos qui ont été tenus par le porte-parole du groupe socialiste sur ce texte, mettant en cause ce que nous avons pu faire pour la parité. J’ai été ministre de la fonction publique. J’ai fait voter ici même une loi par l’ensemble des parlementaires visant à faire en sorte qu’il y ait une juste représentation dans les postes de la fonction publique. Et aujourd’hui me voir, au motif que je conteste…

M. le président. Monsieur Sauvadet, un rappel au règlement n’a pas une vocation biographique !

M. François Sauvadet. Mais si vous voulez que les débats se déroulent dans de bonnes conditions, il faut que vous y mettiez aussi du vôtre, monsieur le président !

M. le président. Veuillez poursuivre !

M. François Sauvadet. Monsieur le président, vous devez protéger l’expression de chaque parlementaire, y compris la mienne.

M. le président. Vous demandez donc ?

M. François Sauvadet. Comme j’ai trouvé que ces propos étaient complètement déplacés et que je souhaite que l’on respecte les prises de position de chacun comme je respecte celles que je ne partage pas, je demande une suspension de séance. Elle devrait permettre au ministre de l’intérieur, parce que c’est sa compétence et non parce que c’est un homme, de venir répondre à tout le moins et d’écouter la position de chaque groupe. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La suspension de séance est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le président – j’allais dire ensuite « monsieur le ministre », mais je vois qu’il n’y a toujours que Mme la ministre au banc du Gouvernement. Certes, vous représentez le Gouvernement, madame la ministre, mais je persiste à déplorer que le ministre de l’intérieur, qui disait regretter que les groupes d’opposition n’aient pas formulé de propositions, ne soit même pas présent pour entendre les porte-parole des différents groupes.

Si M. Valls s’est excusé tout à l’heure auprès de certains, son comportement me paraît tout de même pour le moins étonnant, et j’y vois une forme de mépris à l’égard des élus locaux. Je vais vous dire une chose, madame la porte-parole du Gouvernement : alors qu’il y a eu une quinzaine de visites ministérielles dans mon département, aucun ministre, même ceux dont les attributions touchent au conseil général, n’a daigné s’arrêter pour venir parler de son domaine de compétence – en dépit de mes demandes, je le précise –, ce dont je me suis ouvert au Premier ministre. Lorsque j’ai la tentation de vous dire, du haut de cette tribune, que la coupe est pleine pour les collectivités territoriales, je mesure donc mes propos.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Très bien !

M. François Sauvadet. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à tenir ce discours. En ce qui concerne le projet de loi de décentralisation, l’AMF tout entière, et pas seulement les maires de droite et du centre, dit déplorer un recul des libertés locales.

Je vous le dis avec beaucoup de solennité, madame la ministre, nous n’avons jamais vu autant de décisions prises sans le moindre dialogue, sans la moindre concertation avec l’ensemble des élus locaux, qui constituent pourtant un maillage dont nous avons besoin sur les territoires – car la lutte pour la croissance ne se fera pas seulement d’en haut, sur des modes de scrutin, mais avec l’implication de chacun des acteurs du territoire.

J’ai une certaine expérience parlementaire, et si j’ai demandé une suspension de séance, c’est parce que je souhaite que ce débat soit à la hauteur de ce qu’attendent les élus locaux, qu’il prenne en compte les enjeux essentiels et ne se résume pas à des échanges d’invectives ou des propos sur la parité, comme ceux que l’on a entendus – en matière de parité, je n’ai d’ailleurs pas de leçons à recevoir. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.) Madame la ministre, je suis heureux de vous voir au Gouvernement, et vous souhaite d’en tirer tous les profits possibles. Avec Marie-Jo Zimmermann, mais aussi avec Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes, nous nous sommes bien battus, nous avons bien travaillé.

Ce que je regrette, c’est la méthode employée par le Gouvernement, consistant à décider sur le simple fondement du fait majoritaire, et à s’appuyer sur ce qu’il appelle les errements du passé pour justifier ses propres errements. Ainsi, je considère que s’appuyer sur la réforme du conseiller territorial pour justifier la création d’un binôme, ce n’est pas assumer la responsabilité qui incombe à une majorité.

M. Olivier Marleix. C’est vrai !

M. François Sauvadet. Je regrette l’absence de dialogue sur ce projet. Vous allez redécouper les 4 000 cantons de France et vous prétendez que cela vous serait imposé, au motif que la suppression du conseiller territorial aurait laissé un vide juridique. J’ai moi aussi consulté des constitutionnalistes ; ils m’ont assuré que la suppression du conseiller territorial n’avait pas laissé de vide ; il suffisait de revenir à la situation antérieure.

Le Président de la République s’est lui-même engagé, à Dijon, à établir un pacte de confiance – un nouveau dialogue, puisque vous contestiez la qualité du dialogue engagé jusqu’à présent. Ce nouveau dialogue aurait pu être engagé sur la place faite aux femmes dans la vie politique française. Je m’éloigne un peu de mon propos, mais j’ai trouvé insultants les propos tenus par le suppléant du ministre – le suppléant qui aurait d’ailleurs pu être une suppléante, puisque certains veulent donner des leçons de parité.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Exactement !

M. Jean-Patrick Gille. Rappelez-nous combien le groupe UDI comprend de femmes ! Sauf erreur, il n’y en a qu’une !

M. François Sauvadet. Je le répète, la suppression du conseiller territorial n’a pas créé de vide juridique. Vous auriez pu dialoguer afin d’engager une réflexion sur les conditions dans lesquelles la parité pouvait être mise en œuvre.

Pour notre part, nous avons fait des propositions. Vous prétendez que personne n’était d’accord sur la dose de proportionnelle à retenir. Mais nous aurions pu en discuter ! La prise en compte d’une dose de proportionnelle aurait pu garantir une présence territoriale, tout en permettant d’assurer la parité à laquelle nous sommes tous très attachés…

M. Jean-Patrick Gille et Mme Martine Pinville. Ce n’est pas flagrant quand on voit le groupe UDI !

M. François Sauvadet. …ainsi que la juste représentation des courants de pensée.

Pour faire partie d’un groupe minoritaire de l’opposition – qui a été précédemment un groupe minoritaire de la majorité…

Mme Audrey Linkenheld. Minoritaire et non paritaire !

M. François Sauvadet. …je m’étonne que tous les groupes minoritaires ne s’engagent pas à nos côtés pour dire qu’il faudrait une dose de proportionnelle afin de garantir leur juste représentation. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

En vertu de la Constitution, nous sommes – je crois nécessaire de le rappeler, puisque personne ne l’a fait cet après-midi – dans une république décentralisée. Il aurait d’ailleurs été bon de réaffirmer, à l’article 1er de ce projet de loi, que les collectivités territoriales ne sont pas là simplement pour représenter des populations : comme leur nom l’indique, elles sont chargées de représenter des populations sur les territoires.

M. Jean Lassalle. Très juste !

M. François Sauvadet. L’argument constitutionnel selon lequel un homme égale une voix est fondé sur la circonscription électorale, et non sur je ne sais quel ensemble. Si l’on poussait jusqu’au bout la logique de M. le ministre, il faudrait revoir les découpages des départements eux-mêmes. (« Ah ! » sur tous les bancs à l’arrivée de M. le ministre de l’intérieur dans l’hémicycle.) Certains départements, telle l’Île-de-France, comptent plusieurs millions d’habitants, tandis que d’autres n’en comptent que 200 000. Or, dans les deux cas, vous avez un président de conseil général, vous avez un exécutif. Comme je l’ai déjà dit, je ne vois d’ailleurs pas ce qui impose aujourd’hui au Parlement d’inscrire dans le marbre de la loi l’écart de population de 20 % entre deux cantons d’un même département.

M. Olivier Marleix. Rien du tout !

M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, je salue votre arrivée. Nous aurons à cœur de vous rappeler tout au long de ce débat ce que vous semblez avoir oublié, à savoir que les collectivités territoriales représentent des territoires, tout autant que des populations.

Vous nous dites que votre réforme représente une modernisation. Fort bien, mais de quelle modernisation parlez-vous ? Vous avez critiqué l’hybride constitué par le conseiller territorial, au motif qu’il allait fragiliser les échelons en siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional. Vous êtes un élu local avisé, monsieur le ministre, et j’apprécie d’ailleurs la force de conviction dont vous avez fait preuve dans la défense de ce projet de loi, même si votre ardeur s’explique en grande partie par les résistances que suscite votre projet. Mais saurez-vous m’expliquer en quoi le fait d’avoir deux élus, à savoir un homme et une femme élus ensemble – certes, c’est une avancée en termes de parité, mais nous avons d’autres propositions à faire dans ce domaine –, sur un territoire plus étendu, constitue une modernisation ? En réalité, le fait d’avoir un homme et une femme élus ensemble et exerçant leurs mandats indépendamment l’un de l’autre va donner lieu à une compétition organisée.

Je vais diffuser très largement ce qu’a dit tout à l’heure l’un des porte-parole du parti socialiste, à savoir qu’un conseiller général ou départemental n’est pas un animateur du territoire. Si tel est le cas, pourquoi n’êtes-vous pas allé jusqu’à une proportionnelle intégrale dans les départements…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Eh oui !

M. François Sauvadet. …qui aurait permis à chacun de porter son projet, sa vision des territoires ?

En rupture totale avec ce que nous avons toujours connu, ce que vous proposez – deux personnes élues sur leur nom, exerçant en même temps mais indépendamment l’une de l’autre –, c’est la compétition assurée dans les territoires ! Président du conseil général de la Côte-d’Or, je suis bien placé pour savoir qu’il sera très difficile de gouverner tout cela.

Vous disiez hier que le conseiller territorial allait être un potentat local, qui allait ranimer la flamme des territoires dans ce qu’ils ont de plus petit, en remettant en cause un scrutin de liste ayant toutes les vertus. Franchement, monsieur le ministre, ce n’est pas sérieux !

En tout cas, je n’accepte pas – et, en votre absence, je l’ai dit à votre suppléant, qui aurait d’ailleurs pu être une suppléante (Exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. Jérôme Guedj. C’est le comique de répétition !

M. François Sauvadet. …que l’on tire prétexte de la question de la parité.

Je vous entends encore, monsieur le ministre, dire de l’instauration du conseiller territorial était une erreur de nature à provoquer un désordre territorial. Ce désordre, vous êtes pourtant en train de le mettre en place, de le légitimer – et je ne parle pas des difficultés de gouvernance.

Pourquoi nous battons-nous avec tant d’énergie, monsieur le ministre ? Parce que nous avons le sentiment que ce que vous êtes en train de faire n’est en rien susceptible de redonner un nouveau souffle à la décentralisation. Contrairement à d’autres, y compris dans vos rangs, j’ai toujours été partisan de la décentralisation. Aujourd’hui, chacun a pleinement conscience du fait qu’il faut rechercher la plus grande efficience de l’action publique. C’est en se rapprochant au maximum des territoires, en leur donnant une impulsion, le goût de faire et d’entreprendre, que l’on garantira une France solidaire, pas une France voyant s’opposer la ville et la campagne.

Or, le mode de scrutin que vous proposez va conduire à un laminage total des territoires ruraux. Vous pouvez expliquer les choses comme vous voulez, vous pouvez invoquer la Constitution et tous les arguments possibles, la réalité finira toujours par s’imposer. En Côte-d’Or, quatrième département de France par sa superficie, dans la quatrième circonscription qui représente 54 % du département, on passerait par exemple de dix-sept à quatre cantons. Ainsi, les 500 élus locaux provenant d’autant de communes, qui se battent au quotidien pour garantir la cohésion territoriale, la cohésion de la France, vont se voir représenter par les élus de quelques cantons seulement. Vous estimez que c’est normal ?

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. François Sauvadet. Pour moi, ça ne l’est pas.

Votre projet montre tout simplement que nous avons un désaccord profond dans la manière dont nous envisageons l’avenir de la France – c’est bien de cela qu’il s’agit –, car vous souhaitez fonder le développement sur le fait urbain, sur l’agglomération.

M. le président. Je vous remercie, cher collègue.

M. François Sauvadet. Je vous demande seulement cinq minutes, monsieur le président.

M. le président. Certainement pas, cher collègue !

M. François Sauvadet. Deux minutes, alors ?

M. le président. Non, veuillez conclure.

M. François Sauvadet. Mais on m’a coupé la parole tout à l’heure (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et vous n’arrêtez pas de m’interrompre !

Mme Laurence Dumont. Vous avez interrompu tout le monde cet après-midi !

M. Jérôme Guedj. Et si c’est pour refaire les mêmes plaisanteries…

M. le président. Vous n’avez pas été interrompu. Merci de conclure brièvement, cher collègue.

M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, nous avions proposé d’autres modes de scrutin qui aurait pu permettre de faire coïncider ces deux exigences. Vous les avez balayés d’un revers de main, comme vous l’avez fait pour toutes les propositions parce que, je le répète, c’est du tripatouillage électoral. Vous êtes en train de redécouper l’ensemble du territoire dans la perspective des élections législatives. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

J’ajouterai une dernière chose.

M. le président. Nous avons bien compris, monsieur Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, nous considérons comme un bien précieux – et je vous invite à y réfléchir – le fait que la France est un grand pays, plus grand que l’Allemagne et le Portugal réunis. Or vous déshabillez les élus qui assuraient l’intégrité et la cohésion sociale et territoriale du pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, dans la continuité de l’abrogation du conseiller territorial, notre assemblée examine logiquement aujourd’hui la réforme des modes de scrutins locaux. Il s’agit donc de prévoir les modalités d’élection des conseillers municipaux et des futurs conseillers intercommunaux et départementaux.

Feu le conseiller territorial, élu hybride partageant les responsabilités de conseiller général et de conseiller régional, était potentiellement recentralisateur, dans le sens où il impliquait la négation de la région comme territoire d’expression de l’intérêt général, de la cohésion territoriale et de la prospective stratégique.

C’est donc avec satisfaction que nous accueillons le retour au mode de scrutin antérieur pour les élections régionales, en l’occurrence le scrutin proportionnel à deux tours avec prime majoritaire, et je tiens à la souligner car nous avons trop souvent tendance à l’oublier lorsque nous évoquons l’examen de ce projet de loi. Dans ce cas, le statu quo reste la meilleure des solutions tant ce mode de scrutin fait consensus pour les élections régionales.

Notre collègue M. Alain Tourret soulignait l’imagination féconde du groupe écologiste. Je dois avouer que, pour une fois, je pourrais retourner le compliment au Gouvernement, qui invente avec le scrutin binominal paritaire un mode de scrutin unique au monde. Nous nous posons d’ailleurs des questions sur la pertinence d’une représentation double des cantons. Espérons que ces nouveaux consuls de l’ère moderne sauront faire taire leur ressentiment et leurs divisions pour se consacrer à l’intérêt général ! Espérons également que la maxime de notre collègue Philippe Gosselin, bien connu pour ses qualités d’éthologue, ne se vérifie pas ; on pourra ainsi mettre plusieurs crocodiles dans un même marigot !

M. Gérald Darmanin. Des crocodiles de sexe différent !

M. Paul Molac. Mais, sur le fond, nous sommes opposés à ce mode de scrutin non pas parce qu’il est binominal mais parce qu’il est majoritaire. Il nous sera donc difficile de voter l’article 2 du présent projet de loi ; au demeurant, nous proposerons un mode de scrutin alternatif.

Nous aurions en effet aimé que le mode de scrutin retenu pour l’élection des conseillers régionaux soit étendu aux futurs conseillers départementaux. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, deux choix s’offraient à vous si vous souhaitiez instaurer la parité intégrale : le scrutin de liste proportionnel ou le scrutin binominal. J’ai le regret de constater que la pièce est tombée sur sa mauvaise face ; en fait, cette décision n’est évidemment pas le fruit du hasard.

Le scrutin de liste proportionnel à deux tours avait en effet l’avantage d’être connu et reconnu des citoyens, puisqu’il est utilisé lors des élections municipales et régionales. Il a en outre le mérite d’être totalement paritaire grâce à l’obligation de constituer des listes avec une alternance stricte d’hommes et de femmes. L’ensemble des scrutins locaux auraient ainsi été organisés selon des modalités identiques, ce qui aurait permis d’en améliorer la lisibilité pour les électeurs.

Pour assurer la représentativité des territoires, à laquelle le Président de la République est à juste titre attaché, ce mode de scrutin aurait pu être basé sur des listes de sections infradépartementales d’un nombre réduit. Ce découpage se serait appuyé sur les pays et les communautés de communes.

Contrairement à ce qui a été affirmé en commission, un tel scrutin cumule bien toutes les qualités que nous pouvons attendre : représentation fidèle de l’opinion, ancrage territorial, mise en œuvre de la parité, proximité et caractère gouvernable des assemblées délibérantes issues du suffrage. Il aurait même présenté un avantage supplémentaire : la prime majoritaire de 25 % à la liste gagnante aurait fait émerger des majorités claires. Nous n’aurions pas eu besoin d’en passer par l’astuce de l’instauration d’un nombre impair de cantons afin d’être sûr de voir émerger une majorité a minima en cas de vote très serré sur l’ensemble d’un département.

Ce mode de scrutin nous aurait donc permis de faire œuvre de pédagogie, mais surtout de justice démocratique en rendant possible une plus juste représentation de tous les courants politiques, même minoritaires.

Je note d’ailleurs que mes collègues d’autres groupes de gauche se sont rangés derrière le scrutin proportionnel et que nos collègues du groupe UDI ont quant à eux fait savoir qu’ils étaient favorables à l’insertion d’une dose de proportionnelle afin d’aboutir à une meilleure représentation des forces politiques.

M. François Sauvadet. Absolument !

M. Paul Molac. Faut-il y voir un front des minoritaires contre la logique bipartisane ? En effet, lors des dernières élections cantonales, en mars 2011, sur 2 026 cantons renouvelés, les écologistes, alors qu’ils avaient recueilli 11 % des voix, ne disposaient que de 27 élus et le Modem de 14 élus.

Pourquoi l’élection départementale serait-elle la seule à ignorer la proportionnelle alors que celle-ci sera partiellement introduite pour les prochaines élections législatives ? Surtout, le mode de scrutin proportionnel aurait eu pour bénéfice de nous épargner une douloureuse et coûteuse réforme de la carte des cantons, qui ne pourra d’ailleurs pas s’harmoniser avec les limites des circonscriptions législatives et des EPCI, ce qui est fort regrettable.

Accordons-nous sur un point : la carte cantonale qui, pour 60 % des cantons, n’a pas été revue depuis son établissement initial en 1801, doit être remodelée tant les disparités en terme de population sont dans certains cas criantes. Le ratio peut aller de 1 à 47 dans le même département. On pourrait débattre sur l’écart moyen de 20 % entre les cantons d’un même département ; le fait est que la représentation de la ruralité s’en trouvera forcément affaiblie. Mais le Conseil constitutionnel refuse un écart à la moyenne supérieur à 20 %, ce que nous regrettons également.

Je note que presque tous réclament une prise en compte des réalités géographiques et des bassins de vie, ainsi que des critères liés à la cohérence territoriale ou aux cultures locales. Cette cohérence n’existait déjà plus dans certains anciens cantons, divisés parfois entre plusieurs intercommunalités. Elle ne sera pas plus respectée dans les nouveaux cantons, dont le redécoupage, qui sera un véritable travail d’artiste, ne s’effectuera sans doute pas en priorité selon le critère de l’adaptation au terrain.

Quelle solution proposer pour prendre en compte cette cohérence en assurant l’efficacité de l’action sur les territoires ? Mes chers collègues, la solution est simple : elle réside bel et bien dans l’émergence d’un échelon territorial à part entière, basé sur les bassins de vie. Cet échelon ne peut être que l’intercommunalité, niveau d’organisation qui a fait ses preuves.

Au final, les débats autour de ce projet de loi démontrent que l’échelle du département est dépassée pour la mise en œuvre des politiques de la territorialité et de l’action sociale : pas assez proche pour réaliser une politique d’accompagnement tout au long de la vie, elle n’offre pas une hauteur de vue suffisante pour déployer une politique de territorialité cohérente.

Ce constat devrait mener logiquement à l’effacement progressif du département et à la redistribution de ses compétences entre l’intercommunalité et la région. Vous souhaitez que les cantons gardent une taille humaine et soient le lieu privilégié de l’action sociale ? Transférez-leur les compétences adéquates et permettez qu’ils deviennent des collectivités territoriales à part entière, sur la base des pays ou des bassins de vie.

Comme le disait un collègue socialiste en commission, le problème du projet de loi ne réside pas tant dans le système électoral proposé que dans l’absence d’un changement de paradigme. Nous espérons par conséquent que la future loi sur la décentralisation confortera fortement les compétences des intercommunalités et leur permettra de dépasser le stade des EPCI.

Cela passera par la désignation des futurs conseillers intercommunaux au scrutin universel direct. Le fléchage des noms introduit dans le texte gouvernemental rendra déjà le système plus lisible pour les électeurs. Puisque l’intercommunalité est un succès et qu’elle gère de budgets parfois très importants, pourquoi ne pas avoir cherché à progresser dans cette direction, au lieu d’instaurer un système qui s’avère aussi complexe ?

Monsieur le ministre, j’ai bien relevé vos propos : vous affirmez qu’il ne s’agit que d’une étape et que d’autres seront franchies, au moins dans les grandes agglomérations, d’ici à 2020. Dans le mince espoir de voir s’accélérer une telle évolution, nous déposerons des amendements pour proposer l’élection au scrutin direct dans les communautés d’agglomération et la séparation des listes des élus communaux et intercommunaux sur les bulletins de vote.

Ce texte, qui ne nous convient que partiellement dans la mesure où il n’instaure pas de réelle évolution dans la gouvernance territoriale, comporte un certain nombre d’avancées auxquelles nous souhaitons contribuer.

Plusieurs de nos amendements ont ainsi été adoptés en commission, parfois avec une belle unanimité, par exemple pour l’abaissement du seuil d’application du scrutin à représentation proportionnelle dans les communes à 500 habitants. Ce choix permettra à 7 000 communes de bénéficier d’une représentation de la minorité et d’une composition paritaire au sein de leur conseil municipal, impliquant l’élection de 32 000 conseillères municipales, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas de la moindre…bref. (Sourires.)

M. François Vannson. D’accord !

M. Paul Molac. Représentation des groupes et des familles de pensée minoritaires, renforcement de la parité, renouvellement de la classe politique, lutte contre le cumul des mandats et contre le népotisme : tels sont les objectifs des amendements que notre groupe défendra.

Je tiens tout particulièrement à appeler votre attention sur un dernier point. Il serait très dommageable pour l’image de la politique, parfois bien écornée auprès de nombreux concitoyens, de laisser se présenter un binôme de deux personnes de la même famille. La sanction par les électeurs que l’on nous a opposée ne sera pas forcément une réalité et les candidats seront légitimés alors par le suffrage universel. Dans ce cas, on accusera le législateur de ne pas avoir été suffisamment prévoyant pour mettre en place un système vertueux. Cela, chers collègues, c’est bien de notre responsabilité.

Monsieur le ministre, nous espérons sincèrement que le débat parlementaire et les amendements déposés permettront d’améliorer encore ce texte, pour un renforcement ambitieux de la démocratie locale. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, la France des cantons est celle de 1790, de la monarchie constitutionnelle ; en deux siècles, dix-huit régimes se sont succédé. La France était alors un territoire rural, avec ses fermes de quelques hectares.

Les cantons, notamment en Normandie, comportaient une dizaine de communes. On ne relevait pas de discrimination fondamentale entre les populations des différents cantons.

Certes, à l’époque, le conseiller général est un propriétaire terrien, le plus souvent retraité. Avec le maire dont il est le représentant, et souvent maire du chef-lieu de canton,…

Un député du groupe UMP. Radical-socialiste, de préférence !

M. Alain Tourret. …il assure la permanence de la France rurale, une France où on travaille dur, où on entend, quand on se lève, le chant du coq. Les principales missions de ce maire rural et de ce conseiller général qui, à l’époque, n’est même pas élu, consistent à entretenir les cimetières, curer les rivières et rendre les chemins carrossables.

Le conseiller général est influent car il dispose d’une belle maison voire, souvent, d’un château.

Mme Annie Genevard. C’est beau comme du Flaubert !

M. Alain Tourret. Il distribue les décorations. Il travaille de concert avec le préfet qui, lorsqu’il soutient le Gouvernement, lui remet des bureaux de tabac. Relisez Lucien Leuwen, de Stendhal : le héros, arrivé à Caen, est chargé d’obtenir, grâce à un certain nombre de bureaux de tabac, un vote favorable au Gouvernement dans la circonscription de Vire.

La transition avec la France de l’Ancien Régime s’est faite en douceur. Qui gouvernait dans le département du Calvados il y a cinquante ans ? Les d’Harcourt, les d’Ornano, les Clermont-Tonnerre, les Neuville, les Bourgoin ; Mme Dumont le sait mieux que quiconque, qui mit par terre le dernier des ducs d’Harcourt !

M. Jean-Louis Dumont. C’est une référence, Mme Dumont !

M. Alain Tourret. C’étaient des centristes, des giscardiens, rarement des gaullistes.

La révolution industrielle des XIXe et XXe siècles est venue perturber ce bel équilibre. Les campagnes se sont vidées car des usines se sont installées dans la périphérie des villes. Finalement, le conseil général, qui est demeuré une structure rurale, a été chargé d’assumer la transformation industrielle de la France. Il est devenu progressivement, avec l’apparition des régions, une structure qui a du mal à trouver son équilibre.

M. François Sauvadet. Il va être content, Baylet !

M. Alain Tourret. Certes, c’est une structure de proximité – ce qui, pour certains, justifie sa pérennité – ayant pour vocation le social.

Du fait des révolutions industrielles, les communes rurales se sont progressivement vidées au profit de la ville. Les inégalités entre cantons sont alors devenues tellement fortes que nul ne conteste la nécessité de procéder à leur découpage.

Je ne vous dirai pas que le radical que je suis s’en enchante, puisque je suis bien obligé de constater que c’est dans les départements les plus ruraux, là où il y a le moins de femmes élues, que nous sommes les plus forts. (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. Quel aveu !

M. Alain Tourret. N’est-ce pas ? En Haute-Corse, département radical s’il en est, aucune femme ne s’est même jamais présentée. (Nouveaux rires sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Annie Genevard. Et cela vous fait rire !

M. Alain Tourret. En retenant la moyenne départementale avec plus ou moins 20 % pour déterminer la taille des cantons, le projet de loi répond à un impératif d’équité énoncé par le Conseil constitutionnel.

M. François Vannson. Cela va vous compliquer la tâche !

M. Alain Tourret. C’est certain.

Avec intelligence, le projet prévoit cependant des exceptions, qui sont justifiées par des considérations géographiques, de répartition de la population sur le territoire, d’aménagement du territoire ou par d’autres impératifs d’intérêt général.

M. Éric Straumann. C’est vague !

M. Alain Tourret. Je vous le dis franchement, mon cher collègue : plus c’est vague, plus cela devrait vous satisfaire.

M. François Sauvadet. Cela n’est pas certain !

M. Alain Tourret. Bien sûr que si, puisque cela ouvre la possibilité de dépasser largement les 20 % en plus ou en moins. J’ai d’ailleurs proposé, en ce qui me concerne, que l’on s’en tienne à plus ou moins 30 % dans le cadre de cette amodiation.

L’autre problème est celui des limites géographiques. Ces cantons doivent-ils s’inscrire ou non dans les limites des circonscriptions législatives ? Je vous ai posé la question, monsieur le ministre. Vous m’avez répondu qu’il n’en était pas question que les cantons et que d’ailleurs, actuellement 55 cantons sont déjà fractionnés entre plusieurs circonscriptions. Il n’en reste pas moins que la coïncidence avec les circonscriptions législatives devrait être la règle et la non-coïncidence l’exception.

Il ne peut pas y avoir de redécoupage sans un certain nombre de cadres. Or, en gardant le principe de la circonscription législative, nous conservons un cadre, ce qui me semble particulièrement important. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Olivier Marleix. Très bien !

Mme Annie Genevard. On est d’accord !

M. Alain Tourret. Vous pouvez applaudir : c’est la position du Gouvernement ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)

À cet impératif d’équité répond un autre impératif, celui de parité. Pour avoir commis un certain nombre de rapports sur la nomination des femmes dans la haute fonction publique, je peux dire à quel point je suis favorable à ce principe qui, selon moi, a conquis la possibilité d’accéder au rang constitutionnel, susceptible de s’imposer à nous, législateurs.

Dès lors, que pouvait-on choisir ? Fallait-il opter pour le scrutin régional ? Pourquoi pas. On a préféré s’en tenir au choix du binôme – un hybride selon certains, mais qui maintient tout de même, qu’on le veuille ou non, le principe de proximité territoriale avec le citoyen.

Il est vrai – en tant qu’élu d’une circonscription où il n’y a pas de ville, hormis Vire, qui compte 12 000 habitants, je peux en témoigner – que le conseiller général est un homme…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Et même une femme, dans 14 % des cas !

M. Alain Tourret. …auquel les habitants sont attachés, et plus encore en zone rurale.

Il est parfaitement exact, au demeurant, que l’on doit constater ce phénomène insupportable : les femmes sont éliminées de la représentation au sein des conseils généraux, y compris aux postes de responsabilité.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Absolument !

M. Alain Tourret. Je dois d’ailleurs dire que, dans le Calvados, nous sommes l’exception : nous avons quatre femmes sur six députés.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Cela doit être dur !

M. Alain Tourret. Par ailleurs, le conseil général a été présidé pendant longtemps par une femme, Mme Anne d’Ornano.

M. Étienne Blanc et M. Yannick Favennec. Excellente présidente !

M. Alain Tourret. Qu’adviendra-t-il de ce principe de parité lors des élections législatives ? J’attire votre attention sur cette question, monsieur le ministre. Nous savons bien que l’opposition va saisir le Conseil constitutionnel pour attaquer ce principe.

M. Yannick Favennec. Eh oui !

M. Alain Tourret. Nous savons aussi que, très vraisemblablement, pour ne pas dire à coup sûr, il rejettera cette demande, renforçant ainsi le caractère constitutionnel de la parité, dans le cadre des grands principes de la République.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Eh oui !

M. Alain Tourret. Qu’adviendra-t-il s’agissant des élections législatives ? Pour commencer, que se passera-t-il lorsqu’il y aura un redécoupage, ce qui paraît possible puisque l’on nous annonce l’élection de soixante députés à la proportionnelle ? Je m’oppose d’ailleurs totalement à cette décision. En effet, je ne vois pas pourquoi l’on donnerait des sièges au parti de M. Collard ou de Mme Le Pen,…

M. Gérald Darmanin. Et à Besancenot !

M. Alain Tourret. …qui ne sont d’ailleurs pas là ce soir. Ils sont déjà bien assez nombreux. Cela me dépasse !

M. François Vannson. C’est pour leur renvoyer l’ascenseur !

M. Éric Straumann. Technique mitterrandienne !

M. Alain Tourret. La question que je me pose est donc la suivante : Une règle ne vaut que s’il est de sanctionner son non-respect, que ce soit à travers des dommages et intérêts ou le non-financement de l’organisation politique visée. C’est d’ailleurs ce qui m’avait été répondu en ce qui concerne les nominations dans la haute fonction publique française, dont j’avais parlé avec Mme Zimmermann.

Or, pour m’être entretenu de cette question avec M. le vice-président du Conseil d’État et un certain nombre de personnalités, je peux vous dire que la sanction financière n’est pas la seule possible. À mon avis, il existe aussi la possibilité, pour une personne saisissant le Conseil constitutionnel, de faire annuler un redécoupage qui ne prendrait pas en compte la parité.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Tout à fait !

M. Alain Tourret. À cet égard, nous devrons avoir une discussion sur ce principe constitutionnel : quelle est la sanction du non-respect de la parité, aussi bien pour les nominations que pour les élections ? Selon moi, cette sanction est la nullité. En tant que juriste, on m’a toujours appris que le principe de nullité était fondateur en cas de non-respect de la règle. Les dommages et intérêts ou les sanctions financières ne sont que subsidiaires.

À partir du moment où ce principe est retenu, il faudra supprimer la moitié des circonscriptions françaises et faire en sorte que, dans chacune d’entre elles, puissent se présenter un homme et une femme.

En ce qui concerne les élections municipales, vous avez proposé de favoriser au maximum la parité. Mais jusqu’où faut-il aller ? Nous avions proposé que l’on retienne le seuil de 1 500 habitants et que l’on ne descende pas, en tout état de cause, en dessous de 1 000. Je pense vraiment, mes chers collègues, que le chiffre de 500 habitants est trop bas. Il n’est pas si facile que cela, dans les petites communes, de constituer des listes, surtout si l’on doit les présenter dans un certain délai à la sous-préfecture. Un équilibre avait été trouvé à 1 000 habitants ; ne descendez pas en dessous.

M. Jean Lassalle. C’est vrai !

M. Éric Straumann. Il a raison !

M. Alain Tourret. En ce qui concerne les délégués communautaires, on a peut-être raté l’occasion de donner à l’intercommunalité une véritable existence en ouvrant la possibilité de désigner directement ses membres, ce qui se fera prochainement – dans trois, quatre ou cinq ans – car on perçoit bien une évolution. Dans un premier temps, les membres étaient désignés à l’intérieur du conseil municipal. Dorénavant, il y aura un fléchage, c’est-à-dire un vote direct. À partir de là, les choses évolueront encore.

M. Jean Lassalle. Moi, je ne le souhaite pas !

M. Alain Tourret. Il faut louer les mobiles avancés par le Gouvernement, à savoir la parité, la proximité et l’équité. Quelles sont, cependant, les questions qui fâchent ?

L’élection entraîne la pérennité de toutes nos structures. Or, monsieur le ministre, je vous le demande franchement : n’y en a-t-il pas trop en France – les communes, les départements, les conseils généraux, les conseils régionaux, les pays, les intercommunalités, sans oublier toutes les autres structures qui fleurissent au niveau de l’agglomération ?

J’ai le sentiment qu’il fallait faire un choix. Or celui du Gouvernement a été de maintenir le département, ce qui n’allait pas de soi ; les communes, ce qui n’allait pas non plus de soi ; les intercommunalités et les régions, même si, dans ce dernier cas, personne ne le contestait. Les pôles métropolitains, quant à eux, vont enlever des pouvoirs aux régions. En effet, plus vous créez de structures, plus vous êtes obligés de prendre des pouvoirs à des structures préexistantes. Or la structure d’avenir, c’est la région. L’élaboration d’autres structures se fera au détriment de la région, qui est pourtant la véritable structure d’avenir.

Pour avoir eu à étudier la question au sein du conseil régional de Basse-Normandie, je dois dire que j’ai été très intéressé par l’exemple de l’Alsace, qui est un modèle à prendre en compte. Avec un courage extraordinaire, deux départements ont décidé de fusionner.

M. Gérald Darmanin. C’est la droite !

M. Alain Tourret. Ces départements ont décidé, par ailleurs, de fusionner avec la région, ce qui constitue une double fusion.

Moi qui me bats depuis toujours pour la réunification de la Normandie, je me demande s’il ne serait pas possible de permettre à l’avenir – et même dans les prochains mois, puisque nous allons être saisis de la question – le rassemblement des départements. Pourquoi les trois départements de ma région, la Basse Normandie, n’en feraient-ils pas plus qu’un ? Pourquoi les départements de Haute-Normandie ne feraient-ils pas de même, alors qu’ils ont déjà créé ce que l’on appelle le « 276 » ?

M. Gérald Darmanin. Parce qu’ils sont de gauche !

M. Alain Tourret. Voilà une possibilité qui, à mon avis, doit nous conduire à nous interroger. Le mille-feuilles est insupportable ; toutes ces dépenses de fonctionnement sont insupportables.

À cet égard, j’ai lu les déclarations de M. Didier Migaud.

M. Gérald Darmanin. Très intéressantes !

M. Alain Tourret. N’aurions-nous pas dû avoir le courage de nous engager avec force dans la fusion des départements et des régions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mon sentiment sur ce texte, monsieur le ministre, est globalement positif, même si je crains que tout le monde se mette d’accord pour plumer la volaille radicale que je représente et favoriser le rat des villes au détriment du rat des champs… (Applaudissements sur divers bancs.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux projets de loi dont nous débattons engagent un processus important de transformation de notre démocratie locale. Ils font suite à l’abrogation du conseiller territorial, dont nous nous félicitons. Nous avons en effet demandé, proposé et voté la suppression de cet élu hybride, créé contre l’avis des élus locaux au terme d’un processus législatif pour le moins chaotique.

M. Éric Straumann. Aujourd’hui, les élus le regrettent !

M. Marc Dolez. Loin de constituer un instrument de simplification de la carte territoriale, la création de ce conseiller territorial organisait un rapprochement artificiel du couple département-région, en méconnaissance de la spécificité de ces deux échelons et laissait présager une régression démocratique sans précédent. Sous couvert d’une rationalisation des compétences et des dépenses publiques, la création de ce nouvel élu revenait en réalité à programmer la suppression des départements.

Pour notre part, nous demandons toujours l’abrogation de la réforme territoriale de 2010 dans son ensemble et souhaitons une autre réforme, réalisée en lien avec les élus locaux et les populations, visant à redonner tout son sens à la décentralisation, afin de mieux répondre, sur l’ensemble du territoire, aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.

On peut, monsieur le ministre, s’interroger légitimement sur le calendrier retenu par le Gouvernement. Décider d’un mode de scrutin avant que ne soit établi le contenu de la réforme institutionnelle, n’est-ce pas prendre les choses à l’envers ? À notre sens, il eût été plus logique de reporter la date des élections départementales et régionales à 2015 puis d’examiner le projet d’acte III de la décentralisation qui est annoncé, et de finir en déterminant les modalités d’élection des conseillers départementaux.

M. François Sauvadet. C’est tout à fait vrai !

M. Marc Dolez. Cela étant précisé, j’en viens au fond du texte, d’abord pour souligner ses aspects positifs.

Le report des élections départementales et régionales à 2015 nous semble justifié, dans la mesure où il permettra d’éviter la tenue de cinq scrutins en 2014. Ce report prévient, d’une part, le risque d’abstention lié à un trop grand nombre de consultations et il écarte, d’autre part, les difficultés techniques d’organisation dans bon nombre de communes. Nous sommes, par voie de conséquence, satisfaits que le scrutin municipal soit organisé de façon autonome, tant nous tenons à sa spécificité.

Nous sommes également favorables au changement de dénomination des conseils et conseillers généraux ainsi qu’au renouvellement complet des conseils départementaux tous les six ans.

Nous soutenons l’abaissement du seuil de 3 500 à 500 habitants, suite à la modification adoptée par la commission des lois, seuil au-dessus duquel les conseillers municipaux sont élus au scrutin majoritaire de liste paritaire avec représentation proportionnelle.

L’abaissement du seuil de 1 000 habitants, comme prévu initialement, à 500 habitants permettra à 7 000 conseils municipaux supplémentaires de disposer d’une représentation pluraliste et paritaire.

Vous l’aurez compris, si j’ai commencé par les aspects positifs du texte, c’est pour mieux évoquer ses aspects négatifs et plus particulièrement deux dispositions essentielles que nous ne pouvons approuver en l’état.

Je veux d’abord parler de la réforme du scrutin départemental. Le nouveau mode de scrutin, binominal et majoritaire à deux tours, est censé relever le défi d’une représentation réellement équilibrée entre les femmes et les hommes.

Si, bien sûr, nous partageons la volonté de garantir une parité effective, nous ne pouvons adhérer à un mode de scrutin qui fera reculer le pluralisme sans pour autant garantir la proximité dans des cantons dont le nombre sera réduit de moitié.

Élire en même temps deux candidats entraînera de façon quasi automatique un renforcement du bipartisme. Alors que sur un même territoire, deux candidats de sensibilité différente pouvaient être élus, il y aura dorénavant deux élus de la même sensibilité.

Le binôme républicain, c’est pour nous la conjugaison de la parité et du pluralisme grâce au scrutin de liste à la proportionnelle.

Si le projet du Gouvernement devait être retenu, l’élection départementale serait paradoxalement le seul scrutin sans aucune représentation proportionnelle, puisque celle-ci existe déjà pour les régionales et les municipales et qu’elle est envisagée pour les élections législatives. C’est en ce sens que nous avons déposé des amendements qui permettent d’éviter une telle exception, synonyme pour nous de régression démocratique.

Quitte à être un peu seul dans cet hémicycle, je veux aussi évoquer notre opposition aux modalités proposées pour la désignation des délégués des communes dans les intercommunalités.

Le changement de terminologie adopté par la commission des lois nous paraît lourd de signification et de conséquences. Les délégués deviennent des « conseillers intercommunaux », ce qui traduit un changement de statut. Les délégués ne seraient plus les représentants des conseils municipaux, auxquels ils n’auraient plus de comptes à rendre, mais des élus du suffrage universel direct.

Avec cette élection, c’est la nature de la coopération intercommunale qui se transforme et le déplacement du pouvoir qui s’accentue.

M. Jean Lassalle. Tout à fait !

M. Marc Dolez. Désormais, on parle couramment de « bloc communal », mettant sur un pied d’égalité communes et intercommunalités, comme si ces dernières étaient déjà devenues des collectivités territoriales de plein exercice. À la logique d’une intercommunalité de projet se substitue une logique de supracommunalité.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. Marc Dolez. Alors que la réforme de 2010 réduit la libre administration des communes et force parfois leur intégration au sein d’intercommunalités dans des périmètres élargis, l’avant-projet de l’acte III de la décentralisation, pour ce que l’on en connaît, renforce encore l’intégration communautaire.

Nous sommes opposés à cette intercommunalité à marche forcée car nous y voyons l’inévitable processus menant à l’évaporation et, à terme, à la disparition des communes.

M. Jean Lassalle. Moi aussi !

M. Marc Dolez. À cet égard, nous pensons que le fléchage pour désigner en même temps les conseillers municipaux et les délégués de commune ouvre la porte à une élection différenciée pour les élections suivantes, dès 2020. Vous avez d’ailleurs indiqué tout à l’heure, monsieur le ministre, que le fléchage n’était pour vous qu’une étape vers la désignation directe au suffrage universel. Vous n’êtes pas le seul au sein du Gouvernement à le penser.

À n’en pas douter, cette évolution sera présentée le moment venu comme indispensable et elle sera justifiée par les imperfections que l’on peut d’ores et déjà pointer dans la désignation par le fléchage.

M. Jean Lassalle. Eh oui !

M. Marc Dolez. La mise en place de ce système de désignation ne sera en effet que peu lisible pour les électeurs : à l’occasion des élections municipales, ils continueront de choisir un seul bulletin, sur lequel figurera une seule liste, celle des candidats à l’élection municipale. La grande majorité des électeurs ne saura pas que les candidats placés en tête de cette liste siégeront automatiquement à l’intercommunalité. On nous expliquera alors qu’il faut passer à l’étape suivante.

Je veux rappeler ici que lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés au Sénat au printemps 2012, la majorité des 20 000 élus locaux se sont prononcés en faveur du maintien de l’élection des délégués des communes par les conseils municipaux.

M. Jean Lassalle. C’est vrai.

M. Marc Dolez. Pour toutes ces raisons, nous réitérons notre souhait d’abroger la réforme territoriale de 2010, qui institue le fléchage, et proposons l’élection des délégués des communes par les conseils municipaux, tout en assurant la promotion du pluralisme et de la parité par l’élection de ces délégués dans les communes de plus de 500 habitants à la proportionnelle sur liste, liste comportant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir et composée alternativement d’un candidat de chaque sexe.

C’est le sens de l’amendement que nous avons déposé, réaffirmant ainsi notre attachement à une coopération entre collectivités locales à la fois volontaire et utile, à l’approfondissement de la démocratie locale, au respect de la libre administration communale et de ses choix de coopération intercommunale.

L’importance de nos désaccords sur les deux points essentiels que sont le mode de scrutin départemental et la désignation des délégués dans les intercommunalités ne nous permet pas, monsieur le ministre, de soutenir ce projet de loi en l’état. Si nos débats ne devaient pas permettre une amélioration significative sur ces deux points, notre groupe ne pourrait que voter contre l’ensemble du texte.

M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva.

M. Carlos Da Silva. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les deux projets que nous examinons sont particulièrement importants.

Cette importance ne se mesure pas seulement au nombre d’amendements déposés. Elle tient à la cohérence territoriale qu’elle instaure et à la juste représentation des citoyennes et des citoyens qu’elle introduit dans les instances politiques locales.

Je ne peux croire que le nombre des amendements traduise une quelconque volonté d’obstruction. Gageons qu’ils permettront de débattre sur le fond de la loi et sur les principes qui doivent tous nous animer : clarté pour les électeurs, légitimité des élus, égalité devant le suffrage.

Ce projet de loi est important car il permet d’en finir une bonne fois pour toutes avec le conseiller territorial, qui avait suscité des critiques de toutes parts et un enthousiasme particulièrement modéré dans la majorité d’hier, même si j’ai compris, à l’occasion de la présentation d’une des motions, qu’il reprenait de la vigueur.

M. Olivier Marleix. Laissez-le là où il est. Parlez-nous d’avenir !

M. Carlos Da Silva. Le conseiller territorial réussissait le tour de force de réunir à lui seul un nombre considérable de défauts : cumul institutionnalisé entre les mandats de conseiller général et de conseiller régional ; recul de la parité pour les régions ; assemblées régionales pléthoriques et sujettes à dysfonctionnements ; disparition du fait rural et de la défense de nos territoires ; superposition de deux mandats aux logiques diamétralement opposées.

Avec ces projets de loi, nous poursuivons aussi nos objectifs que sont l’égalité de nos concitoyennes et de nos concitoyens devant le suffrage et la réduction de certaines injustices intolérables.

Ils nous conduiront à réaffirmer, dans l’attente de la grande loi sur la décentralisation que prépare la ministre Marylise Lebranchu, les vocations distinctes des départements et des régions, tant dans les compétences effectivement exercées que dans les rapports aux différents territoires de la nation.

Enfin, et ce n’est pas là la moindre de leurs qualités, ces projets de loi permettent d’avancer dans la mise en œuvre d’un engagement de François Hollande : ancrage territorial d’un côté, exigence de parité de l’autre.

M. Patrice Verchère. Vous parlez de parité pour les suppléants ?

M. Carlos Da Silva. Oui, ces projets de loi sont utiles et nécessaires car ils feront progresser largement la parité dans tous les niveaux de collectivités.

Cela concernera d’abord les départements. Nous ne cesserons de le répéter : aujourd’hui, la France ne compte que 13,8 % de femmes parmi les 4 030 conseillers généraux et seulement six des 101 présidents de conseils généraux sont des femmes. Dès la mise en œuvre de ce projet de loi, nos assemblées départementales deviendront de fait strictement paritaires, au même titre que leurs exécutifs et leurs commissions permanentes.

Nos communes bénéficieront aussi d’un progrès particulièrement important avec l’abaissement du seuil à partir duquel il est obligatoire de présenter une liste. Le projet de loi initial prévoyait un seuil de 1 000 habitants.

M. François Sauvadet. C’était très bien.

M. Carlos Da Silva. Le rapporteur a souhaité l’abaisser à 500 habitants. Nous nous en félicitons. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ce seuil de 500 habitants est un compromis acceptable et il permettra à plusieurs milliers de femmes d’être élues conseillères municipales.

L’introduction de davantage de clarté et de transparence constitue l’autre grand apport de ces projets de loi. En effet, que devons-nous viser lorsque nous faisons évoluer un mode de scrutin ? Avant tout que nos concitoyennes et concitoyens s’y retrouvent, qu’ils sachent clairement quel est le mandat qu’ils attribueront à telle ou tel. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

De ce point de vue, nous le démontrerons au cours du débat, les avancées portées par les deux projets de loi, au premier rang desquelles le report à 2015 des élections départementales et régionales, sont tout à fait significatives. Organiser quatre élections majeures la même année aurait conduit à une congestion électorale qui, en complexifiant la lisibilité des différents échelons locaux, allait à l’encontre de l’intérêt général.

Les modifications proposées bénéficieront aux petites communes comptant entre 500 et 3 500 habitants. En effet, combien de maires auront-ils été victimes du panachage, alors même qu’ils avaient mené durant leur mandat des projets ambitieux et utiles ? Combien de maires auront-ils dû composer, pendant toute la durée de leur mandat, avec une équipe plus qu’hétéroclite, formée de conseillers municipaux aux vues divergentes ?

M. Alain Chrétien. Des socialistes, surtout !

M. Carlos Da Silva. Demain, ce sont des listes cohérentes qui seront présentées aux électeurs, comprenant des candidates et des candidats déclarés…

M. Alain Chrétien. Encartés !

M. Carlos Da Silva.… s’appuyant sur un projet. C’est un pas important que nous ferons vers une démocratie locale plus transparente.

M. Alain Chrétien. Ce ne sera plus la France !

M. Carlos Da Silva. Nous apportons aussi davantage de clarté au scrutin départemental. Je l’ai dit et cela a été démontré cent fois : le conseiller territorial, c’était la confusion institutionnalisée !

Certains ont plaidé pour un scrutin de liste départementale, soit sur l’ensemble du département soit à l’échelle d’un arrondissement. Celui-ci aurait eu l’avantage de promouvoir la parité. Mais qu’en aurait-il été de l’ancrage territorial ? Il aurait probablement été effacé. En effet, on sait comment sont composées les listes régionales. Ce sont d’abord les partis politiques…

M. François Vannson. Quel aveu !

M. Carlos Da Silva.… qui, bien sûr, ont toute leur place dans notre République, mais qui ne choisissent pas les candidats, loin s’en faut, en fonction de leur implantation locale.

Garantir tout à la fois la parité et l’ancrage territorial nécessitait d’inventer, de créer un mode de scrutin nouveau.

M. Alain Chrétien. Expliquez mieux les leçons que vous donnez !

M. Carlos Da Silva. Nous assumons cette part de créativité. Et si l’argument de la concurrence entre élus d’un même canton a été servi pendant les motions et le sera à satiété durant notre débat, il ne résiste pas à une analyse sérieuse.

Les élus de liste le savent : leur tempérament, leurs sujets de prédilection, le rôle exécutif qu’ils obtiennent leur permettent d’être complémentaires.

Par ailleurs, en zone urbaine – j’en suis moi-même le témoin – les conseillers généraux élus d’une même ville vivent parfaitement cette situation et personne n’a à déplorer qu’une émulation saine ait un jour desservi la population.

Enfin, cette loi fait franchir un cap important au fait intercommunal. Nous le savons, les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les communautés urbaines prennent une place de plus en plus importante dans la mise en œuvre des projets d’investissement et dans le développement des services publics locaux. Pour autant, tout cela se fait encore trop souvent à l’insu de nos concitoyennes et concitoyens, qui parfois même ne connaissent ni les limites ni les compétences des intercommunalités dans lesquelles ils vivent.

La loi Marleix de 2010 en est le parfait exemple.

M. Olivier Marleix. Vous en gardez la moitié !

M. Carlos Da Silva. Ce texte prévoyait de confier aux préfets, en collaboration avec les collectivités concernées, l’élaboration d’un schéma départemental de coopération intercommunale. Or, force est de constater qu’aujourd’hui, il n’y a pour nos concitoyens ni visibilité accrue des compétences et du rôle des intercommunalités dans l’échiquier politique local, ni véritable prise en compte des conséquences territoriales, sociales et économiques de la refonte qu’entraîne un tel schéma.

M. Olivier Marleix. Vous ne changez rien !

M. Carlos Da Silva. En d’autres termes, rares sont les électrices et les électeurs qui connaissent aujourd’hui le nom de leurs représentants au sein de ces intercommunalités, le rôle qui leur est conféré, pour ne rien dire des prérogatives des structures au sein desquelles ils siègent.

Dès lors, avec le fléchage sur le bulletin de vote de celles et ceux qui devront siéger dans les intercommunalités à l’issue du scrutin municipal, l’électeur saura précisément qui il envoie à l’intercommunalité. Cela améliorera tant la représentativité que la visibilité démocratique. Cela obligera également les candidates et les candidats à présenter ou à soutenir un projet à l’échelle intercommunale. Enfin, cela ouvrira, pour les oppositions municipales, la possibilité de siéger dans les intercommunalités, et permettra donc que le pluralisme s’invite pleinement dans ces assemblées.

M. Laurent Furst. Mais non !

M. Carlos Da Silva. Je le sais, certains, y compris dans les rangs de la majorité, auraient souhaité que nous allions plus loin dès maintenant. Néanmoins, compte tenu des spécificités de l’intercommunalité et du temps nécessaire pour adapter nos structures intercommunales et organiser nos lois relatives à l’organisation territoriale, je pense qu’il est important de procéder pas à pas.

Nous voterons ce texte, après un débat qui, je le pense, nous permettra d’avancer et de clarifier un certain nombre de points. Je tiens, à ce stade, à saluer l’état d’esprit du Gouvernement, votre état d’esprit, monsieur le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), et la très grande qualité du travail, la hauteur de vue du rapporteur de ce projet de loi.

M. François Sauvadet. Que c’est beau !

M. Carlos Da Silva. Nous avons déjà pu, en commission, apporter des améliorations importantes au projet, tel qu’il nous a été soumis. Et si l’opposition consent à sortir des rimes en « -age » qui lui ont tenu lieu de discours en commission – « tripatouillage », « découpage », « charcutage », « détricotage », jusqu’au « déshabillage » qu’a osé François Sauvadet – pour entamer l’examen au fond de ce projet de loi et nous présenter un autre modèle que celui que nous vous proposons, nos débats s’en trouveront enrichis, et notre assemblée pourra entamer l’examen de ce que devra être demain notre organisation territoriale, dans la perspective de la future loi que nous présentera Mme Marylise Lebranchu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les conseils généraux sont un des derniers bastions où la parité n’a quasiment pas progressé au cours des dernières décennies. C’est sous cet angle que j’organiserai mon propos, en examinant les forces et les faiblesses du projet de loi que nous abordons.

Chacun le sait, dès qu’une élection se joue au scrutin majoritaire uninominal, la proportion de femmes parmi les élus reste très faible. Le mode de scrutin prévu pour l’élection des conseillers territoriaux était ainsi très pénalisant pour la parité. La délégation aux droits des femmes, que je présidais à l’époque, l’avait d’ailleurs déploré, et il est important de revenir sur les arbitrages qui avaient été rendus.

Pour parvenir à une parité effective, le scrutin de liste à la proportionnelle est en revanche une solution à la fois simple et efficace. Pour autant, doit-il être élargi à l’ensemble des élections ? Je ne le crois pas, car cela reviendrait à sacrifier l’exigence d’ancrage territorial indispensable au mandat du conseiller général.

Alors, pour neutraliser l’impact négatif du scrutin uninominal sur la parité, vous nous proposez, monsieur le ministre, un système binominal majoritaire, très original puisqu’il n’existe dans aucun autre pays. Il a été l’objet de diverses critiques, mais il reste une des solutions qui concilie le mieux la forme majoritaire du scrutin avec un objectif de stricte parité.

En cela, votre intention est louable, mais elle suscite un certain nombre d’interrogations sur l’exercice du mandat des futurs conseillers départementaux. Ces binômes répondront-ils à une véritable logique de partage du pouvoir ou à une logique de complémentarité, ne laissant aux femmes que les tâches subsidiaires du mandat ? Le danger de cette asymétrie ne peut être exclu, surtout lors des premières élections, car peu de femmes pourront s’y présenter en qualité de sortantes.

Par quel miracle, un homme qui a exercé seul son mandat pendant des années acceptera-t-il de partager le pouvoir ? Je pose la question. Il y a fort à parier que la lune de miel de la victoire électorale ne résistera pas au quotidien de l’exercice du mandat de conseiller départemental.

M. Gérald Darmanin. Comme dans un couple !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Comment coordonner l’indépendance d’action de deux élus sur un même territoire dans l’exercice de leur mandat ? Que se passera-t-il en cas de divergences au cours du mandat ? Autant de questions que soulève ce scrutin binominal majoritaire. Il faudra donc être vigilant, si l’on ne veut pas que la réforme brouille un peu plus les cartes de l’élection dans l’esprit de nos concitoyens et les dissuade de prendre le chemin des urnes.

Toujours dans l’objectif d’améliorer la représentation des femmes, le projet modifié par notre commission des lois propose de ramener de 3 500 à 500 habitants le seuil au-delà duquel les conseillers municipaux seront élus au scrutin de liste avec contrainte de parité. Ce changement de seuil devrait permettre l’élection de 18 000 conseillères municipales supplémentaires : une mesure positive pour la parité, à laquelle je suis évidemment favorable. Bien sûr, la délégation aux droits des femmes vient de se prononcer pour la suppression de tout seuil, en souhaitant une parité totale. Cependant, je pense qu’il est préférable, dans ce domaine, de faire preuve de pragmatisme et de tenir compte des difficultés que cela engendrerait pour les très petites communes.

Une réflexion parallèle devrait également être menée quant aux conséquences de la diminution du nombre de conseillers municipaux dans les petites communes. Je pense plus particulièrement au cas spécifique des communes de 500 à 3 500 habitants, soumises à l’obligation de parité mais où la réduction du nombre des conseillers municipaux compliquera encore la phase transitoire de la parité.

Ainsi, prenons l’exemple d’une commune de 1 000 habitants ayant actuellement quinze conseillers municipaux se répartissant entre trois femmes et douze hommes. À effectif constant du conseil municipal, la parité imposerait d’avoir huit hommes au plus, obligeant le maire à évincer quatre hommes parmi les conseillers municipaux sortants. Si, en plus de cela, on réduit l’effectif du conseil municipal, ce ne sont plus quatre mais cinq conseillers municipaux sortants qu’il faudra évincer, soit près de la moitié des hommes membres de l’actuel conseil municipal.

Pour les communes de 500 à 3 500 habitants, il est donc particulièrement malvenu de coupler la réforme du mode de scrutin avec la diminution du nombre de conseillers municipaux. En la matière, le projet initial du Gouvernement était, à mon sens, beaucoup plus pertinent que celui de notre commission des lois, puisque, précisément, la réduction des effectifs ne concernait que les conseils municipaux des communes de moins de 500 habitants.

En conclusion, monsieur le ministre, votre projet de loi apporte des réponses certes constructives mais vraiment perfectibles. Toutefois, je regrette une fois encore que nous n’ayons pas profité de cette occasion pour mener une réflexion d’ensemble sur la coordination des échelons locaux et sur la lisibilité à laquelle nos concitoyens aspirent pour le bon fonctionnement de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est ni plus ni moins que la chronique d’une mort annoncée de nos territoires ruraux.

L’instauration de ce scrutin binominal, qui s’opère sans augmenter le nombre total d’élus, amène à diviser par deux le nombre de nos cantons. Et pour y parvenir, un redécoupage général va être opéré sur des bases exclusivement démographiques. Pour créer un canton, il faudra regrouper plusieurs cantons ruraux. Vous vous livrez ainsi, monsieur le ministre, à un véritable détricotage ou, comme le disait tout à l’heure François Sauvadet, à un déshabillage du monde rural.

M. Olivier Marleix. Le mot est faible !

M. Yannick Favennec. Dans certains départements, le nombre d’élus des zones rurales pourra être divisé par deux, voire par trois. Seize cantons sur trente-deux vont, par exemple, être supprimés dans mon département de la Mayenne ; dans ma circonscription du nord de la Mayenne, on passera ainsi de onze à quatre cantons.

C’est en cela que ce projet de loi est néfaste pour la ruralité : dans les conseils généraux, les élus urbains seront surreprésentés, et la politique d’aménagement et de solidarité territoriale sera, par la force des choses, remise en cause. Or, le conseil général doit non seulement représenter la population de son département, mais également être représentatif de la diversité des territoires qui le composent. Nous avons d’ailleurs déposé, avec mes collègues de l’UDI, un amendement en ce sens.

Une autre difficulté se pose : les territoires d’élection des conseillers départementaux porteront toujours le nom de cantons, mais sans avoir le moindre rapport avec ce que sont les cantons actuels. Pourtant, nos cantons sont une belle réalité, ils représentent beaucoup plus qu’un simple mot : un canton, c’est une réalité géographique et historique, une réalité humaine et économique, que l’on ne peut faire disparaître d’un simple trait de plume.

Aussi, il paraît primordial que les nouveaux cantons puissent assurer la représentation démocratique de nos territoires au sein des conseils généraux. Le nouveau découpage doit donc tenir compte des cantons existants et respecter les limites des circonscriptions législatives actuelles ou, à défaut, celles des arrondissements.

Pour faciliter la prise en compte des cantons actuels, il faut se donner suffisamment de marge par rapport à la moyenne départementale et accepter la possibilité d’un écart de population entre les nouveaux cantons plus important que celui que vous prévoyez ; pour ce qui nous concerne, nous proposons de passer de 20 % à 50 %. Le poids démographique des cantons variera alors de un à trois, quand l’écart peut aller aujourd’hui de un à dix, voire beaucoup plus dans certains départements !

J’en viens maintenant au mode de scrutin des élections départementales. Pour limiter la mauvaise représentation de nos territoires ruraux, nous avons déposé plusieurs amendements. Nous proposons en particulier de créer un scrutin mixte, qui permettrait de prendre en compte les spécificités des territoires ruraux. Le scrutin uninominal à deux tours serait réservé aux zones rurales, dans lesquelles le canton a une signification et correspond aux réalités locales, tandis que dans les zones urbaines, où les limites des cantons ne correspondent à aucune réalité, on appliquerait le principe de la représentation proportionnelle. Ce scrutin mixte permettrait en outre de progresser vers la parité et d’améliorer la représentation des diverses sensibilités politiques.

Un autre aspect de votre texte, sous une intention apparemment louable, soulève des difficultés au regard de notre tradition républicaine ; je veux parler de l’obligation de présenter ensemble, dans chaque nouveau canton, une candidate et un candidat.

Vous avez abondamment dénoncé le conseiller territorial, le qualifiant d’élu hybride. Vous l’avez supprimé. Or vous proposez aujourd’hui de mettre en place un scrutin binominal tout aussi hybride et qui, de surcroît, n’existe nulle part ailleurs !

Les deux candidats seront solidaires pendant la campagne électorale mais, une fois élus, l’homme et la femme composant le binôme pourront exercer leur mandat indépendamment l’un de l’autre. Comment ces élus se répartiront-ils la tâche ? En cas de désaccord, des conflits politiques et humains se feront jour : comment cela se traduira-t-il pour le citoyen ? Où sera l’efficacité au service de l’intérêt général ? Il est à craindre que ce système de binôme n’ait bien du mal à fonctionner.

Enfin, s’agissant des élections municipales, en particulier dans les territoires ruraux, le scrutin de liste apparaît peu adapté aux plus petites communes et risque de politiser d’abord les campagnes électorales, puis le fonctionnement des conseils municipaux. Nous savons tous que, dans la grande majorité des petites communes, des élus de différentes sensibilités arrivent à travailler ensemble dans l’intérêt des habitants. Le scrutin de liste risque de fragiliser ce consensus.

Nous proposons ainsi de revenir au seuil des 1 000 habitants, qui correspond davantage à la réalité des territoires et qui maintiendra le scrutin majoritaire dans un plus grand nombre de communes. La diminution du nombre de conseillers dans les petites communes me paraît, en revanche, aller dans le bon sens.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, nous sommes nombreux dans cette assemblée à défendre nos territoires ruraux, au-delà des clivages habituels, et ce projet de loi est bien loin de faire l’unanimité. Le rejet du Sénat démontre bien votre échec à convaincre votre majorité.

M. François Sauvadet. Très bien !

M. Yannick Favennec. Finalement, ce texte ne répond en rien aux préoccupations des élus de terrain. Pire, il programme la disparition des territoires ruraux au sein des assemblées départementales.

M. Jean Lassalle. Hélas !

M. Yannick Favennec. Monsieur le ministre, vous êtes ministre de l’intérieur mais en aucun cas vous n’êtes le ministre de la ruralité, cette ruralité qui fait pourtant partie intégrante de l’identité de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les deux projets de loi qui réorganisent les modalités d’élection des conseillers municipaux, départementaux et intercommunaux étaient très attendus. C’est l’occasion pour nous de refonder la démocratie locale.

Rappelons que les écologistes s’étaient opposés avec virulence, avec l’ensemble de la gauche, à l’instauration du conseiller territorial, qui avait été essentiellement pensée sur la base de calculs électoraux, voire électoralistes, sans réflexion sur ce que doit être une véritable représentation démocratique.

En effet, la réforme mettant en place le conseiller territorial faisait l’économie de la parité dans des instances où elle brille encore aujourd’hui par son absence, où le pluralisme politique fait toujours défaut et où le renouvellement des élus ne se fait que très lentement.

Monsieur Sauvadet, il ne suffit pas de se dire, la main sur le cœur, très attaché à la démocratie. Les Français se rendent bien compte qu’en l’absence d’une loi qui l’impose, le nombre de femmes est toujours très inférieur à ce qu’ils souhaiteraient, que ce soit au sein de l’Assemblée nationale ou des assemblées départementales.

Cette réforme faisait, enfin, l’économie du nécessaire rééquilibrage démocratique entre les territoires, notamment en raison du poids injustifié des cantons ruraux. Cette situation constitue d’ailleurs une véritable inégalité devant le suffrage.

M. Jean Lassalle. Je ne le crois pas.

M. Sergio Coronado. Deux censures par le Conseil constitutionnel, une loi vidée de sa substance au Sénat, à l’initiative d’une majorité frondeuse et de l’opposition de la gauche, tel a été le parcours législatif du conseiller territorial. Ce fut le résultat de la politique de l’ancienne majorité et de sa volonté de passer en force.

M. Olivier Marleix. Cette loi a été votée trois fois par l’Assemblée nationale !

M. Sergio Coronado. Je ne crois pas aujourd’hui que la meilleure façon de s’opposer à la réforme gouvernementale soit de défendre sans discernement le conseiller territorial. Je ne doute pas que cette façon de faire explique en partie le basculement du Sénat à gauche, pour la toute première fois dans l’histoire de la VRépublique. Lorsque les territoires et leurs élus se sentent méprisés, la révolte se traduit implacablement dans les urnes.

M. Dominique Le Mèner. Vous le verrez bientôt !

M. Sergio Coronado. Je ne doute pas, d’ailleurs, que le Gouvernement procèdera cette fois tout autrement, veillant par exemple à mieux associer le Sénat à cette réforme.

Après l’abrogation du conseiller territorial, la reconstruction de la démocratie locale s’impose.

C’est peu dire que nous, écologistes, attendions cette réforme. Et nous attendons toujours avec impatience le troisième acte de la décentralisation. Le Gouvernement n’a pas fait le choix du statu quo, et c’est une bonne nouvelle. Celui-ci était indéfendable, notamment au niveau départemental, où la proportion des femmes élues s’élève péniblement à 13 %. Il était également indéfendable en l’absence de pluralisme politique des assemblées départementales. Comme mon collègue Paul Molac l’a rappelé, en 2011, sur 2026 cantons, les écologistes n’ont obtenu, malgré 11 % des suffrages, que vingt-sept élus.

M. Olivier Marleix. Ce n’est pas notre faute si les gens ne votent pas pour vous !

M. Sergio Coronado. Mais force est de constater qu’au-delà de cet accord de principe, nous ne partageons pas le choix du Gouvernement sur le mode de scrutin départemental. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Si le volontarisme dont il a fait preuve quant à la parité est à saluer, il ne suffit pas à légitimer l’OVNI électoral qu’est le binôme paritaire.

Il y a dans notre système électoral un mode d’élection qui a fait ses preuves à l’échelle locale et régionale, en assurant à la fois la parité, le pluralisme, le renouvellement et la représentation de la diversité. Une meilleure représentation des citoyens, de tous les citoyens, passe d’abord et avant tout par le scrutin de liste à la proportionnelle. C’est d’ailleurs ce que disait souvent le Président de la République avant son élection, et c’était l’accord que les écologistes et les socialistes avaient passé ensemble avant le changement de majorité.

Le binôme paritaire prétend régler la question de l’ancrage territorial. Est-ce à dire qu’un maire, qu’un conseiller régional, sont des élus hors sol sans lien avec leurs administrés ?

Plusieurs députés UMP. Hélas oui !

M. Sergio Coronado. Les maires et les élus régionaux vous remercieront, chers collègues de l’UMP, pour cette définition de leur mandat !

Peut-on croire à la proximité que l’on nous vante, lorsque l’on sait que les cantons vont être redécoupés et leur taille élargie ?

Vous ajoutez donc, monsieur le ministre, au paysage électoral un autre mode d’élection. À chaque élection, son mode d’élection. Au besoin de lisibilité et de clarté, le Gouvernement ajoute une feuille supplémentaire à un millefeuille déjà complexe.

Par petites touches, nous procédons ici à une refonte de la représentation, sans traiter de ce qui intéresse de manière prioritaire les Français, par exemple la lutte contre le cumul des mandats.

C’est pour ces raisons que les écologistes proposeront des amendements pour rajeunir la représentation et voteront ceux portés par la délégation aux droits des femmes sur la parité.

Enfin, nous porterons l’exigence d’une élection au suffrage universel direct des conseillers intercommunaux. Ceux-ci assument de plus en plus de responsabilités et gèrent plus de 20 milliards d’impôts locaux. Il est nécessaire que leur élection soit identifiée.

Nous mettons en place un nouveau mode électif sans débattre des besoins de nos territoires ni des nouveaux défis auxquels ils sont confrontés.

Nous reportons à plus tard des questions urgentes.

Nous n’avons aujourd’hui aucune visibilité sur les choix qui présideront au troisième acte de la décentralisation.

Il n’est ni sage, ni raisonnable, de considérer les modes de scrutin indépendamment de la réalité sociale, économique et démocratique de nos territoires, et des missions que nos collectivités assurent aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne.

M. Alfred Marie-Jeanne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mise en place de la collectivité unique en Martinique procède indubitablement d’un accouchement aux forceps.

C’est un parcours d’obstacles inédit, incompréhensible et surprenant puisque la réforme attendue non seulement relève du bon sens, mais surtout corrige l’hérésie juridique qui a créé la région monodépartementale sur un territoire exigu.

La révision de la Constitution en mars 2003 a permis cette évolution institutionnelle à la suite de laquelle des consultations populaires ont été organisées, la première en 2003, les deux autres en 2010 – plus précisément, les 10 et 24 janvier 2010. Les Martiniquais, consultés, ont approuvé la collectivité unique.

Après les consultations de 2010, la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique a défini les modalités de mise en place de ces nouvelles collectivités, ainsi que la détermination de leur date de création.

Sur ces deux points, le texte mérite quelques aménagements.

Concernant tout d’abord les modalités du scrutin, il s’agissait de garantir l’équilibre entre les exigences démocratiques tout en évitant les disproportions et les perversités liées aux cumuls des avantages. Nous préconisons à ce titre de ne pas accorder de prime à la liste arrivée en tête et ayant obtenu la majorité absolue, ce qui serait la logique même, et d’instaurer une prime adaptée tenant compte des principes de proportionnalité afin de permettre à la fois une répartition des sièges qui soit la plus proche possible de la réalité des urnes, et la stabilité au sein de la majorité. L’objectif est d’assurer à la liste arrivée en tête la majorité absolue sans pour autant aller au-delà de sa performance réelle, c’est-à-dire sans lui octroyer un nombre de sièges exorbitant.

Si on ne souhaite pas « écraser » la démocratie, la répartition des autres sièges doit se faire seulement entre les autres listes.

J’insiste sur le fait que le système tel qu’il est prévu permet de cumuler des avantages importants en faveur de la liste arrivée en tête, avec des possibilités d’écarts allant bien au-delà de la volonté populaire réelle.

Venons-en maintenant à la date préconisée. Les interventions prononcées en 2011 tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale témoignaient de la nécessité unanimement reconnue d’instituer au plus vite la collectivité unique.

C’est ainsi que l’ancienne ministre des outre-mer, Mme Marie-Luce Penchard déclarait : « Le Président de la République avait souhaité que l’on puisse mettre en place cette collectivité le plus rapidement possible. C’est pourquoi le texte a prévu que l’élection devait se dérouler au plus tard fin 2012. Mais le Président de la République a toujours indiqué qu’il était prêt à entendre les arguments des élus concernant l’organisation de ces élections afin qu’elles se déroulent dans de bonnes conditions. Au regard des arguments des uns et des autres, il a été décidé de fixer les élections en 2014 ». D’où un premier renvoi de deux ans.

C’est ainsi que Mme Christiane Taubira, actuelle ministre de la justice, alors parlementaire de Guyane, avait indiqué ici même : « Ce calendrier ne me fait pas nager dans le bonheur. La date de 2014 ne correspond pas à mon choix. Je considère encore que le calendrier de travail doit fixer l’échéance à 2012 ».

C’est ainsi encore que le député Serge Letchimy affirmait sans ambages : « Depuis 1982 et même avant, un processus s’est engagé, mais nous avons effectivement perdu trente ans. En choisissant 2014, c’est la raison et la sagesse qui ont prévalu. Tant mieux pour la Martinique, tant mieux pour la Guyane. Même si cela ne correspond pas à votre agenda politique, cela correspond certainement à un nouveau rendez-vous de l’histoire, qu’il ne faut pas manquer ».

Comme vous le constatez, monsieur le ministre, mes sources sont diverses et indéniables. Elles se rejoignent toutes pour fixer à 2014 l’année de naissance de la collectivité unique.

Comment alors ne pas être surpris de constater que les mêmes réclament aujourd’hui une rallonge supplémentaire d’un an ? Je dis bien, les mêmes.

Pour ma part, j’ai plaidé contre tous les renvois successifs, d’où qu’ils venaient. Je suis pour 2014 au plus tard. En effet, je continue de penser que le temps perdu n’a pas servi l’intérêt général des Martiniquais. Le peuple s’est exprimé clairement en 2010. Attendre cinq ans pour honorer la parole qu’il nous a confiée ne peut que renforcer sa méfiance à l’égard de ses représentants et de l’action politique, lorsque l’on se rappelle que pour cette réforme, l’urgence avait été déclarée.

M. Olivier Marleix. Bravo !

M. Jean-Philippe Nilor. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. La moitié du ciel, la moitié de la terre, la moitié du pouvoir : c’est logique, non ? C’est l’évidence même. Pourtant, seule la gauche en France, n’en déplaise à M. Sauvadet, a eu vraiment à cœur de prendre en compte ces données incontestables : en 1980, avec François Mitterrand, qui créait le ministère des droits des femmes ; en 1999, avec Lionel Jospin, qui installait dans cette assemblée une délégation aux droits des femmes et faisait adopter une révision de la Constitution pour y ajouter cet alinéa à l’article 3 : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Cette même majorité de gauche a voté la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, et a imposé aux partis politiques de présenter un nombre équivalent de femmes et d’hommes aux scrutins de liste, ce qui aujourd’hui apparaît à tous comme une évidence.

Pourtant, cela n’a pas suffi, et certains partis préfèrent toujours payer des pénalités plutôt que d’investir des femmes.

Aux dernières élections législatives, la gauche a investi 45 % de candidates alors que la droite en présentait 39 %, mais quand il s’agit du nombre de femmes élues, il suffit de balayer d’un regard cet hémicycle pour comprendre le problème.

La gauche n’a jamais failli pour que l’article 3 de la Constitution qu’elle a voté ne reste pas qu’une simple déclaration d’intention. Pourtant, le chemin est encore long à parcourir pour atteindre pleinement cet objectif.

Avec ce projet de loi, nous sommes sur la bonne voie et nous innovons pour répondre à plusieurs enjeux.

Le premier est celui de la parité, que je viens d’évoquer. Aux dernières cantonales, les femmes ne représentaient que 13 % des assemblées élues. Six d’entre elles sont à la tête d’un exécutif et trois conseils généraux ne comptent aucune femme élue dans leur assemblée.

Le second enjeu tient à la nécessité d’assurer une réelle démocratie locale. Actuellement, le rapport entre le canton le moins peuplé et le plus peuplé d’un même département peut aller de un pour vingt à un pour quarante-sept. Les délimitations actuelles sont un frein au bon fonctionnement de la démocratie locale. Aujourd’hui, grâce à ce texte, nous refondons cette démocratie locale et la représentation des territoires.

Nous le faisons tout d’abord en redécoupant les cantons. Par souci de rééquilibrage des territoires, ce redécoupage est devenu incontournable au regard de la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel.

Je tiens d’ailleurs à rappeler que la mise en place du fameux conseiller territorial prévoyait aussi un redécoupage cantonal, dont on n’a jamais rien su.

Deuxièmement, nous créons un conseiller départemental de proximité, ancré sur le territoire, afin qu’il assure ses missions de manière cohérente, à l’inverse de ce fameux conseiller territorial qui n’aura pas eu le temps de nous convaincre de sa pertinence.

Enfin, j’y reviens, nous installons la parité, tellement absente des réformes de la droite, tellement absente de ses instances, de ses discours et de ses actes. Oui, avec la gauche aux responsabilités, cette parité sera établie et incontournable :…

M. Olivier Marleix. C’est bien tout ce que vous aurez fait : la parité et le chômage ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il est lourd, celui-là !

Mme Laurence Dumont. …par le mode de scrutin que nous proposons avec l’élection d’un binôme ; par les amendements que nous avons adoptés pour les désignations au sein des instances des assemblées départementales ; et par l’abaissement du seuil du scrutin de liste paritaire pour l’élection des conseillers municipaux.

Le chemin de l’égalité est long. Il y a trente ans, le même François Mitterrand disait : « Il s’agit là d’un combat qui durera à travers le temps et qui exigera beaucoup des femmes ». Il est vraiment temps que la représentation nationale assure cette égalité politique à tous les niveaux, tout simplement parce que la moitié du ciel, la moitié de la terre, la moitié du pouvoir, c’est l’évidence même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Laurent Furst. Mais pas la moitié des mariages !

M. le président. La parole est à M. Patrice Verchère.

M. Patrice Verchère. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les grandes lois de décentralisation des années quatre-vingt ont jeté les bases de notre démocratie locale, en conférant à la fois l’autonomie et une dimension politique et administrative à nos collectivités territoriales.

Malheureusement, ces deux projets de loi, ordinaire et organique, ne s’inscrivent pas dans cette ambition et ressemblent plus, sous couvert notamment de la parité, à un tripatouillage électoral comme jamais notre démocratie n’en a connu.

Prenons la création du nouveau mode de scrutin proposé pour l’élection des futurs conseillers départementaux : le scrutin majoritaire binominal. Il a un caractère inédit, et imposera un redécoupage général des cantons.

En effet, actuellement, les conseillers généraux sont élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, dans le cadre des cantons. Si l’on reconnaît traditionnellement à ce mode de scrutin le mérite de faciliter la proximité et l’ancrage territorial de l’élu, nous savons aussi qu’il ne favorise pas la parité, c’est vrai.

Pour y remédier, vous proposez, à l’article 2 du projet de loi, de faire élire dans chaque canton deux candidats de sexe différent, qui se présenteraient en binôme et seraient solidairement élus ou battus. La dimension paritaire de ce binôme n’est pas un problème en soi, mais c’est son fonctionnement en pratique qui me laisse dubitatif.

Ainsi, la solidarité entre les deux membres du binôme est entière quant à l’issue du scrutin et pendant toute la durée des opérations électorales, ainsi que pour les comptes de campagne. Mais, une fois élus, les deux conseillers départementaux deviendront indépendants l’un de l’autre.

Monsieur le ministre, avez-vous une idée des conséquences que cela aura dans l’exercice de leurs mandats ? Pourriez-vous préciser devant la représentation nationale comment vous voyez ce fonctionnement ?

Quand vous étiez maire, auriez-vous imaginé un instant être accompagné d’un binôme de sexe différent disposant de la même légitimité et des mêmes compétences que vous ? Imaginez-vous aujourd’hui avoir à vos côtés une collègue qui soit comme vous ministre de l’intérieur ?

Oui, monsieur le ministre, la dimension binominale fait de cette «innovation politique » une expérimentation bien hasardeuse pour la vie politique locale, source de confusion sur le terrain comme dans les assemblées.

Il est vrai que le chiffre de 13,5 % de femmes élues dans les conseils généraux est très insatisfaisant. Je pense que c’est un constat que nous partageons tous. Mais si, depuis la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, l’article 1er de notre Constitution dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », il ne s’agit là que d’un objectif, c’est-à-dire d’un but à atteindre, non d’une obligation constitutionnelle à mettre en œuvre séance tenante et coûte que coûte. Oui, la loi doit favoriser la parité. Elle ne permet pas, et elle impose encore moins.

Avec la parité telle qu’elle est prévue dans votre texte, il s’agit d’imposer une égalité de résultat : quelles que puissent être d’ailleurs les qualités des candidats potentiels de l’un et de l’autre sexe, c’est une égalité purement arithmétique. Mais est-elle si démocratique que cela ?

Avec votre texte, comme trop souvent dans notre pays, un excès est corrigé, non par une mesure équilibrée, mais par un excès en sens inverse. Ce sont près de 3 000 conseillers généraux actuels sur un peu plus de 4 000 qui vont être virés, non par les électeurs, mais par votre loi.

Mais cet excès cache en réalité un vrai tripatouillage électoral, car, pour maintenir inchangé l’effectif actuel des conseils généraux, l’article 3 de votre projet de loi prévoit de diviser par deux le nombre actuel de cantons. Ainsi, votre texte aura pour conséquence un redécoupage systématique de la carte cantonale et donnera, sous un habillage plutôt vendeur de la parité, une latitude très grande au parti socialiste pour favoriser les siens, pour favoriser tout simplement ses amis politiques. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Certes, les évolutions démographiques de ces dernières décennies ont entraîné des écarts de représentation de la population, en particulier entre zones urbaines et zones rurales, au sein d’un même département, parfois avec des écarts très importants, mais qu’il fallait corriger avec mesure.

La conjonction du critère démographique interdisant que la population d’un canton soit supérieure ou inférieure de 20 % à la population moyenne des cantons du département et de la réduction de moitié du nombre des cantons sera très défavorable à la ruralité et à la proximité de l’élu avec les citoyens.

La vérité, c’est que votre projet, s’il n’est pas amendé au niveau de ce critère des 20 %, aura des retombées dramatiques pour les territoires ruraux. En l’état, monsieur le ministre, votre projet de loi est funeste pour la démocratie des territoires, c’est un projet de loi ruralicide.

Mes chers collègues de la majorité, je suis très surpris de constater que vous soutenez aujourd’hui un projet de loi qui cause, non seulement aux départements, mais aussi plus largement à la ruralité, un dommage considérable puisqu’il va laminer la représentation des cantons ruraux et menacer les équilibres déjà très fragiles entre le monde urbain et le monde rural.

Alors même, je m’en souviens, que c’était au nom de la défense des départements et du lien de proximité entre l’élu et son territoire d’élection que nos collègues de gauche avaient dénoncé, lors de l’examen de la loi de réforme des collectivités territoriales, la création du conseiller territorial.

M. Olivier Marleix. C’était du baratin !

M. Patrice Verchère. La deuxième raison, monsieur le ministre, qui laisse à penser que vous êtes plus dans le tripatouillage électoral que dans une volonté de réformer, c’est l’abaissement à 10 % des inscrits du seuil pour le maintien d’un candidat au second tour, qui conduira inévitablement à la multiplication des triangulaires. Avec cet abaissement à 10 %, le Gouvernement démontre ses intentions politiciennes et machiavéliques. À l’évidence, cette volonté délibérée de démultiplier les triangulaires a pour objet unique d’affaiblir l’opposition de droite et de favoriser incontestablement et volontairement le maintien des extrêmes. Cette disposition met en pleine lumière la manipulation électorale qui se cache derrière cet abaissement de seuil. On voit bien là l’instrumentalisation des extrêmes par la majorité qui motive l’abaissement du seuil de maintien au second tour.

Enfin, la troisième raison qui nous laisse penser que votre projet de loi est un projet de tripatouillage électoral est le report à 2015 des élections au département, et surtout à la région, que rien ne justifie. Ce report des élections régionales est la preuve ultime de la cuisine électorale à laquelle vous vous livrez, puisqu’il aura une incidence sur le résultat des élections sénatoriales de 2014.

Monsieur le ministre, avec vos deux textes, nous allons assister à une vaste opération de tripatouillage électoral et le terme de « hold-up électoral » résume très bien cette réforme scandaleuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Ça fait plaisir, tant d’équilibre et de finesse dans le propos.

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je voudrais commencer par quelques chiffres édifiants des dernières cantonales de 2011. Je cite le pourcentage de voix au premier tour, véritable mesure des scores des partis, et le nombre total de sièges.

Modem : 1,22 %, 16 sièges. PC : 7,91 %, 116 sièges. UMP : 16,97 %, 369 sièges. FN : 15,06 %, 1 siège.

Monsieur le ministre, en entendant ces chiffres, croyez-vous vraiment que votre réforme soit à la mesure de votre prétendu objectif de représentativité ? Croyez-vous vraiment que votre mesure phare du binôme homme-femme soit la solution adéquate? Monsieur Valls, n’avez-vous pas un tout petit peu le sentiment d’être à côté de la plaque ?

Il est vrai qu’il y a quelques mois, vous rejetiez d’office la proportionnelle aux cantonales, arguant du fait qu’avec ce mode de scrutin, il y aurait 400 conseillers généraux FN et que le Vaucluse « tomberait aux mains du Front national » – c’est vrai, je vous l’avoue, c’est bien parti ! Faut-il rappeler ici que la démocratie, avant d’être un ensemble de droits fondamentaux, c’est avant tout un mécanisme : celui qui veut que le peuple délègue son pouvoir de décision à de véritables représentants.

Comment, après les chiffres que j’ai rappelés, peut-on s’étonner de l’abstentionnisme des Français ? Comment peut-on s’en étonner lorsque M. Vidalies, ministre chargé des relations avec le Parlement, déclare : « Ce n’est pas parce qu’à un moment donné une partie de l’opinion, donnant son point de vue, s’égare sur le vote FN, qu’il faut lui donner une réponse institutionnelle ». Avec ce genre de phrase, scandaleuse, on comprend que, dans votre bouche, le mot « République » a plus la valeur d’un slogan que celui d’une conviction.

Naïvement, je pensais que ces textes en discussion auraient été l’occasion de respecter un engagement de campagne du candidat Hollande : remettre une dose de proportionnelle dans nos institutions.

C’est amusant de constater comme le Gouvernement est bien plus prompt à tenir certains engagements plutôt que d’autres, quand bien même ils feraient l’objet d’un plus large consensus.

À défaut d’une véritable vision politique, vous vous contentez, une fois de plus, de détricoter les textes de l’ancienne majorité avec la suppression du conseiller territorial, pourtant à même de lutter contre le coûteux et incohérent millefeuille territorial.

Quant au nouveau gadget qu’est le binôme paritaire, il est une nouvelle entorse à la représentation juste de l’opinion en ce qu’il accentuera la prime majoritaire. En effet, une voix de majorité donnera, non plus un, mais deux élus d’un coup.

M. Olivier Marleix. C’est vrai !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Le binôme consacre une fois de plus une conception absurde de l’égalité, celle des résultats et non des chances. D’ailleurs, à quand le binôme jeune-vieux ou le binôme homosexuel-hétérosexuel, le binôme Français de souche-Français issu de l’immigration, ou même encore le binôme valide- handicapé ?

En quoi, selon votre logique largement développée lors du débat sur le mariage homosexuel, le sexe serait-il finalement un critère plus pertinent que celui de l’orientation sexuelle, de l’origine ou de l’âge ? Affaire à suivre.

Évidemment, cette modification profonde d’un scrutin vieux de deux siècles va surtout donner au pouvoir la possibilité de remodeler la totalité des cantons.

C’est la voie ouverte à du sur-mesure pour la gauche, qui entend bien faire taire les ruraux, jugés peu productifs électoralement, car trop conservateurs, pour favoriser à l’inverse l’urbain branché à la mode Delanoë.

M. Olivier Marleix. Absolument !

Mme Marion Maréchal-Le Pen. L’UMP critique vertement le texte, mais j’aimerais ici dire combien la droite ferait bien de balayer aussi devant sa porte, elle qui a supprimé la proportionnelle en 1986 et a, par deux fois, revu à son profit le découpage des circonscriptions.

Récemment encore, c’est le gouvernement Fillon qui remontait discrètement le seuil de maintien au second tour des législatives à 12,5 % des inscrits et non plus des exprimés, dans le seul but de renforcer encore le bipartisme. Pour justifier tout cela, on invoque toujours les mêmes excuses : la proportionnelle, ce serait le retour à l’instabilité du pouvoir que l’on a connue sous les anciennes républiques.

On ressort inlassablement l’argument de Michel Debré, exprimé en 1948, selon lequel la proportionnelle serait une véritable bombe atomique, comme si l’eau n’avait pas coulé sous le pont des institutions depuis Vincent Auriol. Les exemples étrangers démentent cette vision, et la Ve République, associant prépondérance présidentielle et parlementarisme rationalisé, rend cet argument parfaitement inopérant.

Mais il est vrai que la proportionnelle a cet encombrant défaut d’obliger l’exécutif à travailler. L’Assemblée est plus diverse, il faut donc sans cesse aller chercher les voix, convaincre les élus, faire preuve de consensualisme pour coller au mieux à l’avis du Parlement, et donc du peuple. Il est tellement plus simple d’avoir sa confortable majorité dont on sait qu’elle votera le projet de loi le doigt sur la couture du pantalon, envie de réélection oblige !

Alors, nous avons déposé des amendements, destinés à ouvrir le débat. Nous proposons la proportionnelle aux législatives et aux cantonales, des seuils d’accès au second tour harmonisés et raisonnables pour les élections régionales et cantonales, ainsi qu’un amendement décalant l’entrée en vigueur des réformes des modes de scrutin, afin d’empêcher des réformes purement électoralistes.

J’ai entendu plusieurs orateurs de l’UMP déplorer le changement d’un mode de scrutin à moins d’un an des échéances. J’espère donc qu’ils prendront soin de voter cet amendement !

Même remarque pour les Verts, qui ne cessent de réclamer la proportionnelle lors des campagnes, à moins qu’ils ne se soient rendu compte que vivre sous la perfusion du PS est finalement plus avantageux, compte tenu de la modestie de leur score.

En définitive, il est temps que les formations dites de gouvernement assument avec impartialité leurs responsabilités lorsqu’il s’agit de toucher au cœur de la démocratie, dans l’intérêt des Français et pour la crédibilité de la voix de la France dans la défense du modèle démocratique dans le monde.

M. le président. La parole est à M. Alain Calmette.

M. Alain Calmette. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi ouvre de grandes perspectives de rénovation et de renouvellement de notre démocratie locale. Il transforme en profondeur le mode de scrutin pour les conseillers généraux, devenus conseillers départementaux, renouvelés intégralement tous les six ans. Il permet par ailleurs des améliorations sensibles du mode d’élection des conseillers municipaux dans les petites communes et du mode d’élection des conseillers intercommunaux.

Je ne reviendrai pas sur la suppression du conseiller territorial, qui cumulait les contresens en induisant à la fois un recul de la parité, une institutionnalisation du cumul des mandats et des assemblées pléthoriques.

Le mode de scrutin proposé, s’il peut générer des inconvénients – il n’existe pas de mode de scrutin parfait –, allie néanmoins trois caractéristiques majeures : la parité, la proximité et la juste représentation des populations, y compris rurales – j’y reviendrai.

S’agissant de la parité, on passe d’une situation sclérosée, indigne de notre démocratie en 2013, à une solution innovante et efficace. Pourquoi avons-nous dû en arriver là ? Parce que les partis politiques ont fait preuve d’une incroyable résistance à l’entrée des femmes en politique, et en particulier au niveau départemental. Depuis les élections de 1958, le pourcentage de femmes élues aux élections cantonales est passé – rendez-vous compte ! – de 0,7 % à 13,5 % seulement en 2011. Cinquante ans à faire confiance à la bonne volonté des partis politiques pour de si maigres résultats ! Les assemblées départementales comptent plus de 85 % d’hommes et sont les plus masculines de toutes. Il faudrait à ce rythme, d’après l’Observatoire de la parité, plus de 70 ans pour atteindre la parité dans les conseils généraux.

Nous ne pouvons donc plus négliger de trouver une solution qui garantisse la parité. C’est pourquoi je soutiens sans état d’âme l’instauration du scrutin binominal paritaire. L’exigence de parité n’est ni une lubie ni un gadget. Le partage du pouvoir à égalité obéit d’abord à un principe de justice et de représentation démocratique. Il est aussi un outil de changement des représentations du pouvoir. En un mot, la parité donne du sens au caractère universel de notre République.

Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Très bien !

M. Alain Calmette. La proximité et la juste représentation des populations rurales aussi. Je rappelle ici une précision déjà évoquée au cours des débats en commission des lois et depuis le début de cette discussion, mais qu’il faut répéter à nos concitoyens, moins avertis que nous des subtilités du code électoral.

Dans toutes les hypothèses – je dis bien, dans toutes –, que ce soit celle du retour à la situation antérieure après suppression du conseiller territorial, ou celle d’un nouveau mode de scrutin, il faut procéder à un redécoupage électoral.

M. Olivier Marleix. C’est faux !

M. Alain Calmette. Le redécoupage est une obligation, en conformité avec les recommandations du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, en particulier la fameuse règle de 20 % d’écart à la moyenne départementale, règle qui, de toute façon, aurait été applicable à la mise en place du conseiller territorial.

M. Olivier Marleix. C’est faux !

M. Alain Calmette. Chers collègues, pour discuter sereinement de la suite, chacun doit accepter ces deux postulats de départ : le redécoupage est obligatoire et doit être essentiellement basé sur un critère démographique.

M. Olivier Marleix. Il ne faut pas rêver ! Ce que vous dites est faux, même si cela vous arrangerait bien !

M. Alain Calmette. Dans ces conditions, la solution proposée me semble la meilleure. Certes, ce rééquilibrage démographique, impératif mais nécessaire, pourrait entraîner une sous-représentation des zones rurales au sein d’un département.

M. Olivier Marleix. Ça, c’est vrai !

M. Alain Calmette. D’où l’importance des dérogations proposées à l’article 23. Je souhaite que la discussion autour de cet article nous permette d’assurer, d’une part, la représentation la plus juste possible des zones rurales et, d’autre part, l’indispensable convergence démographique. Je pense, par exemple, que l’introduction d’un critère lié au nombre de communes par canton serait de nature à garantir cet équilibre.

Par ailleurs, n’exagérons rien et arrêtons ce procès en ruralité bafouée, déconsidérée ou déshabillée !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !

M. Alain Calmette. Mon département, le Cantal, dont le caractère rural ne peut être contesté par personne, est représenté à l’Assemblée nationale par un binôme non paritaire que je constitue avec Alain Marleix, éminent spécialiste en matière électorale.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Hélas !

M. Alain Calmette. Je considère que le scrutin binominal garantit mieux la juste représentation des populations que le conseiller territorial souhaité par l’ancienne majorité. Il y a aujourd’hui dans le Cantal vingt-sept conseillers généraux. Nous n’aurions eu que vingt conseillers territoriaux, alors que demain nous aurons trente conseillers départementaux !

M. Bernard Roman. Voilà !

M. Alain Calmette. Pour l’image et l’efficacité de notre démocratie locale, pour l’image de la ruralité elle-même, je préfère le conseil départemental de demain comptant trente conseillers dont quinze femmes plutôt que le conseil général d’aujourd’hui comptant vingt-sept conseillers dont trois femmes. Je préfère l’exécutif de demain avec huit vice-présidents dont quatre femmes plutôt que celui d’aujourd’hui avec huit vice-présidents dont aucune femme !

M. Manuel Valls, ministre. Excellent !

M. Alain Calmette. C’est donc une transformation en profondeur de l’organisation électorale de l’échelon départemental qui est proposée. Ce scrutin innovant, qui par ailleurs supprime l’archaïsme du renouvellement par moitié, ce qui est aussi une avancée importante, sera un puissant accélérateur de modernisation, de rajeunissement et de renouvellement de notre démocratie locale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Manuel Valls, ministre. Très bien ! La grande voix du Cantal s’exprime !

M. le président. La parole est à M. François Vannson.

M. François Vannson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans une démocratie représentative comme la nôtre, la réforme des modes de scrutin est toujours, par définition, un moment important. Préparer l’avenir de manière constructive et objective en définissant au mieux les conditions de représentation de nos concitoyens sur l’ensemble des territoires et en veillant à renforcer autant que possible le lien entre l’élu local et sa terre d’élection, tel est notre rôle de législateurs. C’est dans cet esprit que le Parlement avait adopté la loi du 16 décembre 2010, qui donnait naissance au conseiller territorial que vous souhaitez, monsieur le ministre, balayer d’un trait de plume par le texte que vous soumettez aujourd’hui à notre examen.

Il y a quelques mois, le président du Sénat a organisé les états généraux de la démocratie territoriale. De nombreux élus, toutes tendances politiques confondues, se sont investis dans ce débat en se montrant force de proposition. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons que dresser un constat amer face au texte que vous nous proposez, qui, en plus d’être animé par des intentions politiciennes, ne répond pas aux attentes de nos concitoyens ni des élus concernés. En effet, si j’ai souvent été interpellé sur la clarification des compétences et le problème du financement des collectivités territoriales, je n’ai encore jamais entendu quiconque évoquer l’urgente nécessité de réformer le mode d’élection dans les départements, ou encore de changer la dénomination des élus.

Je crains donc, monsieur le ministre, que vous ne preniez le problème à l’envers en proposant un texte sur la redéfinition des conditions de l’élection avant même de nous proposer un projet de fond sur les compétences et les missions des collectivités territoriales. Ne soyez pas étonné que certains, dont je fais partie, voient derrière cet empressement à changer les règles du jeu l’ombre de calculs purement politiciens. Votre intention de revenir sans justification apparente sur la règle des 12,5 % pour se maintenir au second tour me conforte dans cette idée.

Mais ma préoccupation la plus vive, à la lecture de ce texte, réside dans le préjudice que porteront certaines de ses dispositions à la représentation électorale dans les territoires ruraux. En tant qu’élu de la montagne, je ne peux que me montrer dubitatif face à certaines de vos propositions qui mettent à mal la ruralité. Je pense notamment à la création du binôme paritaire prévu à l’article 2. Si l’on peut trouver un mérite à cette disposition, c’est bien son originalité, puisqu’un tel dispositif n’existe dans aucun autre pays. En effet, si l’on combine cette disposition avec l’article 3 du texte qui vise à diviser par deux le nombre de cantons, nous allons nous trouver, dans les zones rurales, en présence de vastes territoires qui, sitôt découpés, seront eux-mêmes implicitement divisés du fait même de la désignation de deux élus. Rien ne dit que des tensions n’apparaîtront pas entre eux et que le duo ne se transformera pas en duel avec le temps. Très concrètement, il est fort probable que l’un des élus vienne d’une partie du territoire et que son colistier ou sa colistière d’une autre, où les enjeux sont différents. Que se passera-t-il si leurs avis divergent ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Il faudra faire preuve d’intelligence politique !

M. François Vannson. Si l’on obtient une réponse négative d’un côté, ne s’empressera-t-on pas alors de se rapprocher de l’autre pour avoir une réponse positive ? Cela risque de décrédibiliser considérablement le rôle de l’élu et de dégrader son image auprès de nos concitoyens. Au lieu d’avoir un interlocuteur, comme le prévoyait la loi de 2010, nous en auront trois : le conseiller régional et les deux conseillers départementaux. On fait mieux, vous en conviendrez, en matière de simplification !

M. Olivier Marleix. Très bien !

M. François Vannson. Si le binôme ne me paraît donc pas être une solution appropriée, je suis également réticent à l’idée d’imposer une parité systématique et arithmétique, comme le propose le texte. Je comprends les intentions louables qui fondent ces dispositions, mais il est possible de favoriser la diversité sans pour autant imposer la parité de manière rigide, sans prendre en considération les contextes locaux. Imposer par la loi un quota de femme sous-entendrait qu’elles n’ont pas les capacités d’accéder aux mandats par leurs convictions et leur compétence. Je suis ravi à l’idée de voir toujours plus de femmes briguer des mandats électoraux,…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Vous n’en avez pas l’air !

M. François Vannson. …mais la considération que je leur porte m’amène à penser que si elles sont élues, c’est parce qu’elles en exprimaient le souhait et non pas parce qu’il fallait un quota.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Même Mme Zimmermann n’y croit pas !

M. François Vannson. J’aimerais conclure mon propos en évoquant l’impact négatif de ce texte sur la représentativité des futurs conseillers départementaux dans les territoires ruraux, en particulier dans les territoires de montagne. Plusieurs associations d’élus de ces territoires ont fait part de leurs inquiétudes face au redimensionnement des cantons. Il est en effet primordial de prendre en considération la particularité de certains départements dans lesquels l’élu départemental risquerait de perdre sa qualité d’élu de proximité. Aussi, je pense qu’il serait raisonnable, dans cette optique, d’établir dans les départements les moins peuplés un nombre minimal de cantons.

De même, prévoir un écart de population de plus ou moins 20 % par rapport à la population moyenne des cantons du département entraînerait la fusion de plusieurs cantons ruraux, ou de montagne, dans des cantons uniques de trop grande superficie. Certains de ces cantons, qui disposent actuellement de plusieurs conseillers généraux, seraient donc bien moins représentés au sein du futur conseil départemental. Un écart de 40 % me semblerait plus approprié.

Je pense enfin, en matière de remodelage de la carte cantonale, qu’il serait opportun de définir avec plus de précision les considérations prises en compte au titre des critères énoncés pour le redécoupage des cantons en instaurant notamment des critères tels que la superficie, le relief et l’insularité des départements et des territoires.

J’aurai l’occasion de défendre des amendements en ce sens lors de la discussion des articles, et j’espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement accueillera favorablement ces propositions visant à défendre notre spécificité rurale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Appéré.

Mme Nathalie Appéré. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur et madame les rapporteurs, mes chers collègues, « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » Le message de l’article 1er de notre Constitution est on ne peut plus clair, mais la réalité politique résiste opiniâtrement à l’installation de la parité dans toutes nos assemblées d’élus, et en particulier dans nos conseils généraux.

C’est pourquoi le texte proposé, en particulier l’introduction du scrutin binominal, est une réforme courageuse et efficace. C’est une réforme courageuse car elle met en place un mode de scrutin inédit, qui aura pour conséquence de renouveler en profondeur les assemblées départementales : nouveaux visages, nouvelles pratiques. C’est une réforme efficace car elle permettra enfin de faire respecter mathématiquement l’égalité entre femmes et hommes dans ces assemblées, et ce dès 2015.

Compte tenu des débats parfois passionnés que cette réforme engendre, permettez-moi d’adresser quelques réflexions à destination de nos collègues de l’opposition.

À celles et ceux qui affirment que deux élus ne pourront cohabiter sur une même circonscription d’élection, nous répondons que les sénateurs et sénatrices ont pourtant l’air de s’en accommoder. Oui, il faudra mettre en place de nouvelles modalités de fonctionnement. Qui représentera le président du conseil départemental dans une prise de parole officielle ? Les collègues adjoints au maire ou conseillers régionaux ne se posent pas tant de questions et trouvent des réponses pragmatiques et adaptées.

M. Laurent Furst. Je ne crois pas !

Mme Nathalie Appéré. Qui présidera telle ou telle réunion à vocation cantonale ? L’analyse du fonctionnement des départements, confirmée par l’ADF, montre que beaucoup d’instances se tiennent déjà à des niveaux supra-cantonaux – je pense en particulier à l’organisation de l’action sociale – et que personne ne prend ombrage d’un pilotage collectif et d’une gouvernance partenariale. Faisons confiance aux élus !

D’ailleurs, ces critiques émanent parfois de ceux qui étaient, il y a quelques temps, les ardents promoteurs du conseiller territorial, réforme baroque caractérisée par sa complexité et son absence de lisibilité, sans parler du cumul organisé ou du recul de la parité.

À celles et ceux qui affirment que cette égalité quantitative ne donnera pas lieu à une répartition égale du pouvoir entre femmes et hommes au sein des cantons, nous répondons, d’abord, qu’il est impossible d’en préjuger, et, ensuite, qu’il n’y a a priori aucune raison, vraiment aucune, pour que les femmes ne soient pas les égales des hommes dans le cadre de leur mandat. Ou alors, que les tenants de l’inégalité des sexes, maquillée en altérité, assument franchement leurs penchants régressifs !

Enfin, à celles et ceux – surtout ceux – qui, au Sénat et ici, encore ce soir, ont affirmé qu’il y avait des combats plus importants à mener en matière de parité, que la volonté de mettre en place des assemblées départementales strictement paritaires relevait « du gadget », voire de l’obsession, pour ne pas dire davantage, et que bon nombre de femmes élues risquaient de « se retrouver en situation de potiches », nous répondons qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la sorte – rassurez-vous, messieurs ! –, que ces assemblées composées pour moitié de femmes n’en fonctionneront pas plus mal, que nos institutions ne seront pas en péril, et qu’ils sont bien la preuve que les mœurs évoluent lentement, surtout sur certains bancs, et que le rééquilibrage ne se fera jamais de lui-même.

Mes chers collègues, cessons de feindre que le combat de l’égalité en politique est gagné. Certains nous disent qu’ils n’ont pas de leçons à recevoir en la matière, mais lorsque l’on regarde la composition de notre assemblée, on se dit qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler notamment qu’un important parti politique français, que chacun aura reconnu, a préféré s’acquitter de pénalités financières importantes plutôt que de présenter davantage de femmes aux élections législatives de 2012.

Toutefois, il faut reconnaître, pour être juste, que les objections que provoque ce texte ne se limitent pas aux craintes conservatrices que suscite la parité. À celles et ceux qui craignent le redécoupage cantonal – il est vrai que le maniement des ciseaux par les précédents gouvernements a pu fournir des motifs légitimes d’inquiétude –, nous répondons que, quel que soit le mode de scrutin choisi, le redécoupage était de toute façon nécessaire. Le respect du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage impose en effet de remédier aux écarts démographiques des cantons. C’est aussi affaire de modernisation politique. Quelle est la pertinence d’un découpage qui n’a pas connu de modifications depuis plus de deux siècles et qui, en dehors de sa vocation de circonscription électorale, n’a plus aujourd’hui de réalité authentique en matière d’organisation des services publics ou d’administration territoriale ?

Ce texte est porteur d’innovations, motivées par la conviction que la décentralisation n’est pas qu’une affaire d’optimisation de la gestion publique, mais qu’elle est aussi un enjeu d’appropriation démocratique. Ainsi, l’abaissement du seuil démographique à 500 habitants pour un scrutin de liste municipal permettra la construction de projets clairs présentés aux électeurs, et le fléchage des conseillers intercommunaux sera une première étape pour renforcer la légitimité démocratique des EPCI. Le scrutin binominal est une réponse, même si elle n’est pas la seule, pragmatique et efficace. C’est une première étape que viendra compléter l’acte III de la décentralisation, et qui sera très vite suivie – nous l’espérons sincèrement, monsieur le ministre – par de nouvelles dispositions indispensables en matière de limitation du cumul des mandats, laquelle doit être adoptée rapidement, mais appliquée rapidement aussi.

M. le président. Merci, ma chère collègue.

Mme Nathalie Appéré. Grâce à ces textes, nous sommes au rendez-vous de la modernisation de nos institutions et de l’approfondissement de la démocratie locale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très juste !

M. le président. La parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le ministre, j’avais un a priori sympathique à votre égard, (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC), notamment en raison du choix que vous avez fait de déplacer la Base avions de la sécurité civile – la BASC – de Marignane à Nîmes-Garons. Je tenais, au préalable à vous remercier pour cette décision.

M. Manuel Valls, ministre. Mais ?… (Sourires.)

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il y a un mais, oui. En revanche, je suis plus circonspect et critique envers le ministre des élections que vous êtes.

Votre projet de loi institue un conseiller départemental, qui remplacera le conseiller général, et crée, au nom de la parité, un nouveau découpage qui consiste à diviser par deux le nombre de cantons dans chaque département. Chaque nouveau canton élira deux conseillers départementaux, obligatoirement un homme et une femme, qui formeront un binôme. Les nouveaux cantons devront avoir une continuité territoriale et leur population devra être comprise entre plus et moins 20 % de la moyenne cantonale départementale. Le projet de loi dispose toutefois qu’il sera possible de déroger à ces critères – de manière limitée, hélas ! – pour des considérations géographiques ou d’autres impératifs d’intérêt général. Nous verrons ce que cela donnera.

Les présidents de conseil général de droite, du centre et des indépendants se sont élevés, par la voix de Bruno Sido et François Sauvadet – que je salue, car il a été excellent – contre ce projet, qu’ils considèrent comme un laminage politique et durable des territoires ruraux. Ils ont, du reste, lancé avec moi une pétition à ce sujet sur le site jaimemonterritoire.fr.

Cette réforme, non seulement détruit les cadres cantonaux familiers aux citoyens – les nouveaux noms qu’il faudra donner aux cantons ne manqueront d’ailleurs pas de provoquer des guerres picrocholines entre les chefs-lieux –, mais aboutit à augmenter le nombre des cantons urbains et à diminuer celui des cantons ruraux. De surcroît, dans les zones rurales et de montagne, le nouveau découpage aboutira à la création de cantons dont la superficie pourra aller jusqu’à 500 km² et, dans certains départements, la population moyenne des cantons dépassera 75 000 habitants.

Dès lors, monsieur le ministre, je me permets de vous interroger sur les objectifs réels de cette réforme : que cache-t-elle ? Je crains que de sombres calculs politiciens soient au cœur de cette réforme,…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Je connais le ministre, ce n’est pas son genre !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. …en dépit des dénégations du président de la commission des lois.

Pour m’en tenir à la ruralité, je voudrais attirer votre attention sur la réalité que je vis tous les jours. Connaissez-vous la ruralité, les mentalités et les habitudes rurales ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Manuel Valls, ministre. Je vais reprendre la BASC ! (Sourires.)

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Contact, proximité, relations humaines, racines authentiques : notre ruralité présente bien des aspects particuliers en France. Le canton administratif est encore une réalité que l’urbain a dépassée.

Votre texte très novateur est une remise en cause de cette alchimie entre élu local et terroir. Pourquoi aujourd’hui, alors que l’intercommunalité, voulue et acceptée, fait son chemin et que la richesse de notre ruralité repose sur ses élus municipaux, ancrés dans leurs terres, avec lesquels le conseil général entretient des relations privilégiées ?

Faut-il casser ce dispositif ? À l’instar du Sénat, je ne le crois pas, d’autant que l’entité cantonale, et c’est là le problème, sert actuellement de base à tous les services publics locaux, que ce soit la gendarmerie – il existe en principe une brigade par canton –, La Poste, les écoles, voire les perceptions.

Votre texte m’amène à dénoncer avec force les atteintes inacceptables que représente l’abandon par le Gouvernement de toute politique nationale d’aménagement du territoire – mais je ne sais pas si je parviendrai à vous convaincre, monsieur le ministre. J’en veux pour preuve la réforme des rythmes scolaires – qui crée des écoles à deux vitesses : rurales et urbaines –, la diminution drastique des dotations de l’État aux collectivités territoriales – 4,5 milliards de moins dans les deux ans à venir – la suppression de l’ingénierie publique de l’Assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, la TESAT – à laquelle on n’avait jamais touché et dont tous les maires demandent le maintien –, la réorganisation programmée des sous-préfectures, les atteintes portées au dispositif d’exonération de charges sociales dans les ZRR au profit des associations par un amendement scélérat déposé par le ministre du travail au budget pour 2013, et la réduction drastique de 14 % du budget de la PAC.

Aujourd’hui, vous privilégiez la ville et les critères démographiques. Je ne peux me satisfaire de la déclaration que vous avez faite devant le Sénat, et encore moins la cautionner. En affirmant que « les élus représentent des citoyens avant de représenter des hectares », vous exprimez une logique purement démographique et vous faites le deuil de la ruralité.

En conclusion, je veux dénoncer une certaine duplicité du Gouvernement, qui, après nous avoir imposé le mariage pour tous, veut nous imposer un mariage forcé bisexué, voire une forme de mariage blanc. Je veux évidemment parler de l’apparition du scrutin binominal cantonal, véritable novation puisqu’il est inconnu au niveau mondial. Gageons que si ce texte était adopté, notre pays serait observé, épié, étudié, analysé…

Mme Nathalie Appéré. Et peut-être copié !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. …par les journalistes et les universitaires de tous horizons.

Certes, le Conseil constitutionnel a retenu l’objectif de la parité, mais le recours à cet artifice absurde ne se justifie pas. Cette forme de mariage blanc, où les protagonistes ne sont tenus de s’exposer ensemble que le temps d’une joute électorale et sont ensuite autorisés à vivre librement leur vie, quitte à s’écharper sur des dossiers intéressants leur canton, est contraire, dans l’esprit, à la parité. Car, si les deux élus seront solidaires durant la campagne, ils recouvreront leur totale indépendance aussitôt proclamés les résultats du scrutin, notamment la liberté d’adopter des positions divergentes.

M. Yannick Favennec. C’est vrai !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Lequel des deux élus aura alors vocation à s’exprimer et au nom de quelle partie du nouveau canton le fera-t-il ? Pas sûr que nos concitoyens modifient leur perception de la classe politique si on leur offre en spectacle une telle confusion et une situation aussi ubuesque !

L’ironie de l’histoire est que, à quelques jours d’intervalle, notre pays aura connu la remise en cause de l’institution du mariage comme fondement de la famille avec son ouverture aux personnes de même sexe et la sacralisation d’un binôme homme-femme dans le droit électoral. Comprenne qui pourra ! Décidément, la géométrie variable est devenue une pratique du Gouvernement.

Pour toutes ces raisons, je m’opposerai à ce texte, comme l’a fait le Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure, mes chers collègues, qu’est ce que la démocratie ? Qu’est ce que la République ? Il n’est jamais inutile de rappeler que l’un des fondements de notre démocratie est l’accès de plein droit des citoyens au vote, à la justice et à une pleine égalité juridique.

Longtemps, le corps social s’est privé de la moitié de sa capacité, de sa moitié féminine. Notre réforme vise notamment à poursuivre la réconciliation de la République avec la moitié de ses membres.

Le projet de loi est le prolongement d’un contrat passé entre nos concitoyens et ceux qu’ils représentent. Ce corps social, nous ne pouvons manquer à l’obligation de le faire vivre, de le faire grandir, de le faire s’épanouir. Les hommes et les femmes de notre pays se sont battus, à chaque génération, contre les tyrannies et les oppressions, qu’elles soient sociales, économiques ou morales.

Les hommes et les femmes de Tunisie nous rappellent qu’il n’existe pas de bien plus précieux que la liberté. Ils nous rappellent que, lorsqu’on laisse s’éteindre la démocratie, on ouvre la voie au fanatisme. Ils nous rappellent que, si la liberté de conscience et de vote est, ici, une évidence, elle est, ailleurs, un interdit. Des gens meurent encore en luttant pour acquérir le droit de vote.

Cette mise en perspective nous oblige à améliorer nos institutions, à garantir la souveraineté du peuple et à prendre en compte ses besoins et exigences.

Sans la capacité d’exercer leurs droits ni la possibilité de s’approprier pleinement leurs institutions, nos concitoyens perdront confiance dans notre héritage, dans leur héritage républicain. La tentation des extrêmes, la montée de l’abstention nous alertent sans cesse sur leur éloignement, réel ou ressenti, et sur la fragilité de notre idéal fraternel.

Notre majorité, la majorité du changement, assume cette difficulté et cet héritage, consciente que la démocratie française n’est pas une nature morte mais une eau vive, fruit du pacte sans cesse renouvelé entre le peuple et ceux qu’il mandate. C’est aujourd’hui encore notre devoir de le faire vivre et, oserai-je le dire, un impératif républicain.

Notre objectif est de nous appuyer sur les territoires et leurs acteurs afin de réconcilier les citoyens et leurs représentants. Lorsqu’en 1982, avec les lois Defferre nous avons initié le processus de décentralisation et de déconcentration des services de l’État, nous avons rappelé que, si celui-ci garantit par la péréquation l’égalité de chaque citoyen, ses politiques se déclinent en fonction des aspirations et dynamiques locales.

Nous appuyer sur les hommes et les femmes acteurs de nos territoires, ce n’est ni fuir les responsabilités de l’État, ni l’éloigner de ses responsabilités. C’est, au contraire, les assumer en reconnaissant les compétences des élus et futurs élus.

Élue municipale, élue de quartier, j’ai suffisamment de preuves du besoin de proximité de nos concitoyens, en particulier dans les situations collectives ou individuelles difficiles.

Les coopérations intercommunales, les réalisations portées par les agglomérations, sont essentielles et nombreuses. Elles changent au quotidien les conditions de vie de nos concitoyens et, pourtant, leur légitimité démocratique est mise en doute. La clarification des modalités d’élection des conseillers communautaires répond à ce manque de lisibilité.

La perspective d’un redécoupage à la hache inquiète nos élus. Qu’ils se rassurent, nous ne sommes pas favorables à la brutalité d’une logique strictement comptable.

M. Guillaume Larrivé. Lisez le texte !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Ainsi, notre ambition de faire vivre la démocratie locale ne peut faire l’économie de dérogations à un découpage uniquement fondé sur la population. Cela nous paraît cohérent, dans la mesure où notre proposition veut offrir un souffle nouveau à la démocratie locale. Redéfinir un canton, c’est construire une logique en termes d’aménagement du territoire et de projets collectifs, lesquels seront portés par ses deux élus.

Le projet de loi répond donc à une double exigence d’équité et de justice : équité dans l’obligation de représentativité des élus, grâce notamment à la parité ; justice par la prise en compte des logiques de gouvernance territoriale et des intercommunalités.

Nous sommes tout à fait conscients, et fiers, d’établir et d’imposer, grâce au nouveau mode de scrutin binominal, la parité dans les conseils généraux. Nous savons que cela ne se fera pas sans mal et qu’il y aura des résistances. Pourquoi en serait-il autrement, alors que, dans notre assemblée, le principal groupe de l’opposition compte vingt-sept femmes parmi ses 194 membres, soit 14 % ? Pour le groupe SRC, qui compte 35 % de femmes, l’égalité des droits ne s’arrête pas aux portes du Parlement. Il est ironique de constater que l’idée de l’altérité homme-femme, dont l’opposition a usé ces dernières semaines, a, somme toute, peu trouvé sa place dans ses propres rangs. Quant à nous, lorsque nous parlons d’égalité et de pluralité, nous passons aux actes, en cohérence avec nos discours, tout en sachant que nous heurterons des habitudes et des conservatismes.

C’est notre choix et notre responsabilité d’affronter le défi du désenchantement démocratique. Il ne tient qu’à nous de reconstruire le lien qui devrait unir chaque Français à la République, faute de quoi le fossé entre la société et ses lois continuera de se creuser.

La société, c’est la France des territoires, c’est la France de la diversité, c’est la France des citoyens.

La loi, c’est celle de la reconnaissance de ce fait, celle de la reconnaissance d’une moitié féminine du corps social longtemps ignorée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les plans sociaux se multiplient, alors que chaque mois amène un nouveau record en matière de chômage, alors que les prévisions budgétaires, comme on le voit encore aujourd’hui, sont alarmistes, alors que, monsieur le ministre de l’intérieur, les collectivités locales vont avoir 4,5 milliards de dotations en moins d’ici 2015, il y a urgence : il y a urgence, oui, mais pour vous l’urgence c’est de changer la plupart des textes qui concernent nos élections.

Et je dois dire franchement que ce texte restera dans les annales. Je connaissais « l’effet Kiss Cool », deux en un, mais là c’est cinq en un ! Dans le même texte, vous arrivez à nous faire : le report des élections des départements ; le report des élections pour les régions ; le gel du corps électoral pour les élections sénatoriales de 2014 ; la politisation des petites communes, qui jusqu’à présent étaient épargnées ; la suppression, au passage, de trois conseillers de Paris dans des arrondissements traditionnellement à droite au profit, comme par hasard, de trois conseillers dans des arrondissements traditionnellement à gauche – j’espère sincèrement que la municipalité de Paris ne se jouera pas à trois élus près ; et pour finir, cerise sur le gâteau, un redécoupage des cantons.

Franchement, monsieur le ministre, félicitations : en vingt ans de vie parlementaire, je n’ai jamais vu un texte aussi efficace en matière de manipulation électorale ! Mais à votre place, je m’inquiéterais, parce que l’expérience – y compris la nôtre – prouve que, quand on veut changer les modes de scrutin, la loi, comme Frankenstein, se retourne parfois contre ses auteurs.

Nous sommes aujourd’hui sollicités à propos d’un texte dont l’un des principaux objectifs consiste en réalité à reporter les élections régionales et départementales : 2 650 élus supplémentaires par rapport à la loi sur les conseillers territoriaux, une dépense pour les collectivités territoriales estimée à plus de 50 millions, voilà un texte qui, en pleine crise, ne restera pas sans impact.

On peut se demander ce qui fonde le caractère d’urgence d’une telle loi qui augmente le nombre de conseillers départementaux. Le seul objectif que l’on devine dans ces réformes, est bien sûr d’ordre électoral. Et on vous comprend, car vous avez de quoi être inquiets quand les élections approchent.

M. Carlos Da Silva. Nous sommes morts de peur !

M. Thierry Mariani. En effet, le résultat de ces élections locales a des conséquences sur le collège des grands électeurs, et par conséquent sur les élections sénatoriales de septembre 2014.

Je déplore également, comme mes collègues, la disparition du conseiller territorial, siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional. Le conseiller territorial avait en effet le mérite de la simplification et de la clarification. Un référent unique était mis en place, favorisant ainsi la transparence et donc la démocratie.

Avec ce projet de loi, non seulement le conseiller territorial est supprimé, mais en plus il y aura deux conseillers départementaux, avec, comme cela a été dénoncé, une possibilité de concurrence entre les deux.

Au bout du compte, j’en suis sûr, ceux qui n’aimaient pas le conseiller territorial en viendront peut-être – y compris dans vos propres rangs – à le regretter.

M. Jean-Luc Laurent. Il n’y a aucun risque !

M. Thierry Mariani. Le scrutin binominal que vous proposez est quand même fantaisiste. Nous serons la seule démocratie au monde à l’adopter. Je ne sais si c’est un texte avant-gardiste : est-ce qu’on verra bientôt dans le découpage électoral des circonscriptions, parce que l’Assemblée nationale est aussi en retard sur la parité, des doubles circonscriptions ? Et pourquoi pas étendre cette logique, en prévoyant que tout jugement devra être rendu par deux juges, dont un homme et une femme ? On est en train de jouer aux alchimistes : on sait où cela commence, on ne sait où cela s’arrêtera.

Je pense que vous avez tenté de concilier les avantages de deux systèmes, le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. Cependant, à l’arrivée, je crains que ce soient les inconvénients de ces deux systèmes que nous découvrirons bientôt.

On nous demande de légiférer sur l’élection du conseiller départemental avant même qu’une réforme de fond, et là il y a vraiment urgence, sur les compétences et les missions des collectivités territoriales ne nous ait été proposée. Cette loi nous est annoncée : monsieur le ministre, j’aurais compris que vous nous la présentiez aujourd’hui, parce que je faisais partie de ceux qui n’étaient pas satisfaits par la précédente réforme. Je pense à titre personnel qu’on aurait dû aller plus loin. Il y a vraiment un effort de simplification à faire. Ce texte-là m’eût semblé plus utile et j’aurais préféré que ce soit celui-ci qui soit soumis ce soir à notre examen.

Autre manque de cohérence de ce gouvernement : avec le mariage pour tous, il nous a demandé en quelque sorte d’asexuer les parents ; il nous demande, quinze jours plus tard, de resexuer les élus. Par moments, il y a des coïncidences bizarres.

M. Manuel Valls, ministre. Comme c’est fin !

M. Thierry Mariani. Avec le principe du binôme de candidats dans le cadre de l’élection départementale, bien loin de simplifier le fonctionnement des élections et des collectivités territoriales, la promotion d’un ticket homme-femme à l’échelle d’un canton agrandi apportera au contraire bien des complications.

En conclusion, l’obligation de parité ne peut justifier un accroissement du nombre de conseillers. Sans compter que rien ne garantit que l’entente entre la femme et l’homme du binôme durera dans le temps, une fois passée la victoire électorale. La solidarité juridique cesse entre eux une fois l’élection acquise.

J’en profite pour citer les propos de notre collègue de la majorité, Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes, propos rapportés sur le site de La Nouvelle République le 10 décembre dernier.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Quel honneur !

M. Thierry Mariani. Pour cette fois, j’étais à 100 % d’accord avec vous : « La parité oui, mais pas à ce prix-là. C’est un dévoiement de la parité. Je n’ai pas envie, si je devais me présenter au conseil général, d’aller chercher un homme pour le faire. » Vous êtes l’exemple, madame la présidente, qu’une femme n’a pas besoin de cette parité pour être élue, et je vous en félicite.

Ainsi, à vouloir trop d’équité, je crains qu’on génère trop de difficultés. Derrière les grands principes des lois électorales, nous savons que se cachent souvent de petits calculs électoraux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Feltesse.

M. Vincent Feltesse. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, quelques mots à mon tour. Il y a maintenant trois mois, nous avons supprimé le conseiller territorial, créature territoriale hybride, golem si l’on reprend le Livre des psaumes ou Frankenstein si l’on reprend votre terme, monsieur Mariani. Je me permets seulement de vous signaler que Frankenstein est un personnage créé au début du xixe siècle par Mary Shelley, et que celle-ci est considérée comme une auteure pré-féministe : vous en êtes bien éloigné.

Ces deux textes de loi, monsieur le ministre, sont précurseurs d’une succession de textes qui vont reconfigurer profondément notre organisation territoriale et notre démocratie locale : bien sûr, l’acte III de la décentralisation ; bien sûr, le non-cumul des mandats ; j’espère aussi le droit de vote des étrangers aux élections locales ; l’adoption de la proposition de loi du Sénat sur le statut des élus.

Je voudrais m’appesantir plus particulièrement sur une question à mes yeux fondamentale, celle de la démocratie : à la fois parce que nous sommes dans une période de défiance à l’égard de toutes les politiques et parce qu’en matière de démocratie territoriale, c’est toujours la gauche, depuis l’échec du référendum de 1969, qui a porté la démocratie locale, qui a porté les avancées. Que ce soit la présence de l’opposition dans les conseils municipaux en 1982, la loi de 1992 relative à l’administration territoriale de la République, la parité en 2000, la démocratie de proximité en 2002, à chaque fois c’est la gauche qui a fait un pas en avant.

M. Marc-Philippe Daubresse. Et Raffarin, il n’a rien fait en 2003 et 2004 ?

M. Vincent Feltesse. Nous allons continuer à faire ces pas en avant grâce à l’institution de la parité dans les conseils départementaux, mais aussi grâce au fléchage dans les intercommunalités. Et c’est naturellement sur ce point, monsieur le ministre, que je veux m’appesantir.

La carte de l’intercommunalité s’est renforcée ces dernières années, elle a été complétée, mais il faut remarquer que le degré d’intégration est différent selon les territoires. Entre la communauté urbaine de Bordeaux, que je préside, instituée par la loi de 1966, et les communautés de communes les plus récentes, il y a pratiquement quarante-cinq à cinquante années d’écart. Durant ces quelques décennies, les élus urbains ont pris l’habitude de travailler ensemble, de trouver des modes opératoires sur le terrain. Demain, à l’occasion des différentes réformes, il faudra aller plus loin.

Le fléchage n’est qu’une première étape ; le projet de loi de décentralisation de Marylise Lebranchu prévoit quelque part une décentralisation à la carte, actant le fait que toutes les régions de France n’ont pas les mêmes problématiques, que celle du Grand Paris est différente de celle de la région lyonnaise ou de la métropole marseillaise. Et nous, les territoires les plus avancés en termes d’intercommunalité, nous demandons à ce que, à courte échéance, la démocratie soit renforcée. Sinon, comment expliquer que le président d’une intercommunalité urbaine qui peut gérer, comme c’est mon cas, un budget de 1,2 milliard d’euros – pratiquement autant que la région Aquitaine, trois fois plus que le budget de la ville centre – ne soit jamais connu quand le bulletin de vote est introduit dans l’urne ? Cela n’est pas forcément contradictoire avec la préservation des communes. Il y a différents modes opératoires – la séparation entre l’exécutif et le législatif, une part de proportionnelle dans les scrutins intercommunaux –, mais en tout cas, dans les mois et années qui viennent, il faudra que la gauche continue à faire avancer la démocratie territoriale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Le Mèner.

M. Dominique Le Mèner. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le Sénat a rejeté, le 18 janvier dernier, le projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et communautaires que vous nous présentez ce soir comme une urgence législative.

Pourtant, loin des attentes exprimées par les élus lors des états généraux de la démocratie territoriale, ce projet de loi ne contient aucune proposition pour renforcer la décentralisation, pour offrir des perspectives de ressources pérennes aux collectivités locales ou pour accompagner l’exercice des mandats locaux.

Et pourtant, il y a bien une urgence. Le Gouvernement a confirmé le 12 février dernier au comité des finances locales une réduction historique des dotations aux collectivités locales. Selon le président du Comité des finances locales, c’est une baisse de 4,5 milliards d’euros pour la période 2013-2015, dans la mesure où la baisse de 2015 sera calculée sur une enveloppe amputée de 1,5 milliard en 2014. C’est deux fois plus que ce qui était prévu par la loi de programmation budgétaire votée en décembre dernier.

À cette rupture historique, s’ajoute, pour un total de 2 milliards d’euros en 2014, l’impact des charges supplémentaires mises sur le compte des collectivités, que ce soit la réforme des rythmes scolaires, la hausse des cotisations des employeurs ou les normes nouvelles en tous genres.

En prenant en compte le poids de ces charges ainsi que l’inflation, les ressources des collectivités vont être impactées pour un montant compris entre 6,5 et 7 milliards d’euros entre 2013 et 2015 : c’est ce qu’estime le Comité des finances locales.

On aurait donc pu espérer qu’avec ce nouveau projet de loi, le Gouvernement songe à réaliser quelques économies. Malheureusement, il n’en est rien et le Gouvernement a déployé un trésor d’inventivité en matière d’organisation des collectivités pour proposer la modification, là aussi historique, de toutes les élections, municipales, cantonales et sénatoriales, sous le prétexte fallacieux du développement de la parité. Il s’agit là d’une préoccupation légitime, mais elle devrait se réaliser dans le respect du pluralisme de la représentation des territoires de la République, y compris les plus défavorisés, les moins peuplés, notamment les territoires ruraux.

La réforme des conseils généraux rejetée par le Sénat est emblématique de cette volonté du Gouvernement de changer les règles électorales, en sa faveur bien entendu, mais sans aucune économie financière – à la différence de la précédente réforme territoriale que vous avez abrogée – et en s’abritant derrière un alibi pratique.

Ainsi, sous couvert d’une garantie de stricte égalité entre le nombre d’élus femmes et hommes dans les départements, le Gouvernement a proposé un mode de scrutin sans équivalent au monde, dont l’objectif inavoué est d’affaiblir la représentation des territoires ruraux.

L’élection de binômes paritaires dans de super-cantons taillés sur un critère strictement démographique aura pour effet de fusionner jusqu’à cinq cantons en un seul dans certains départements.

Dans mon département, la Sarthe, la taille moyenne des cantons passera, avec le futur découpage, de 14 000 habitants actuellement à un chiffre compris entre 22 000 et 33 000 habitants. Dans certains départements, la taille moyenne des cantons dépassera 75 000 habitants.

La conjugaison des deux réformes, réforme du mode de scrutin et redécoupage des cantons, aura pour effet d’écraser la représentation des territoires ruraux au sein des assemblées départementales et porte en elle la disparition, à terme, des départements au profit des régions, dont les compétences seront élargies.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est ce que vous vouliez faire, non ?

M. Dominique Le Mèner. C’est donc également un affaiblissement de cet échelon de proximité que constitue aujourd’hui le conseil général.

Avec ce binôme, vous inventez, en quelque sorte, le « mariage électoral hétéro obligatoire avec divorce immédiat », divorce dès l’élection. Comme l’indique l’exposé des motifs du texte dans sa formulation savoureuse : « Une fois élus, les deux membres du conseil départemental exerceront leur mandat indépendamment l’un de l’autre ». Quelle légitimité pour ce couple séparé-divorcé dès son élection ? Quelle représentativité ?

Et que dire de l’économie globale réalisée en conservant le même nombre de conseillers et en multipliant, de fait, le nombre de représentants dans les quartiers urbains ?

Cette réforme constitue une transgression du principe d’égalité de la République, au détriment des territoires ruraux. Elle attentera gravement à l’équilibre historique du pays, qui repose sur les représentations et les péréquations, en écrasant la représentation des cantons ruraux.

Considérant que le Sénat, auquel la Constitution confère le rôle de représenter les collectivités locales, a rejeté ce texte, je suis sûr que vous conviendrez avec moi, monsieur le ministre, qu’il serait contraire à l’esprit de nos institutions de vouloir passer en force à l’Assemblée nationale. Si vous ne voulez pas être accusé de charcutage électoral, il vous appartient d’accepter bon nombre d’amendements qui visent à rétablir les équilibres, tant démographiques que territoriaux.

La richesse de la France, à bien des égards, ce sont des villes et des campagnes. Il est légitime d’assurer une juste représentation des territoires, qui tienne compte à la fois d’une pondération nécessaire du nombre d’habitants représentés par le conseiller, et du territoire lui-même, dont la superficie et les problématiques sont, par nature, très différentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, avec ces deux premiers projets de loi relatifs aux collectivités territoriales, notre assemblée aborde la première étape de la réforme de la démocratie locale dans notre pays, réforme qui se poursuivra dans quelques mois par une nouvelle étape de la décentralisation.

Mais si nous légiférons aujourd’hui, c’est aussi parce que nous sommes contraints par l’héritage de la précédente majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il était en effet nécessaire d’abroger le conseiller territorial. Le Président Sarkozy, estimant que nous avions trop de niveaux de collectivités territoriales,…

M. Alain Chrétien. Il avait raison !

Mme Christine Pires Beaune. …souhaitait, sans le dire explicitement, supprimer le département, vœu difficile à réaliser étant donné la forte représentation parlementaire des départementalistes. D’où l’idée du conseiller territorial.

Cette réforme ratée de 2010 avait créé un nouveau Janus de la politique française, un conseiller qui aurait dû siéger dans deux collectivités territoriales, aux compétences bien différentes, le conseil régional et le conseil général.

M. Jean-Luc Laurent. Une stupidité !

Mme Christine Pires Beaune. Ce conseiller territorial, voulu par certain nos collègues de l’opposition, n’a pas été créé dans l’intérêt des collectivités territoriales, ni dans celui de la décentralisation, ni bien évidemment dans celui de la démocratie locale.

La réalité était beaucoup plus simple. Deux objectifs étaient visés.

Le premier était de diminuer le nombre d’élus locaux,…

M. Thierry Mariani. Oui !

Mme Christine Pires Beaune. …comme le rappelait d’ailleurs ce matin Mme Kosciusko-Morizet sur les ondes. On voulait faire de fausses économies sur la démocratie locale.

Le second objectif, inavouable à l’époque, était de créer un « super-élu » qui aurait constitué le premier étage d’une fusée visant à affaiblir les conseils généraux demain et à les supprimer après-demain.

M. Jean-Luc Laurent. Exact !

Mme Christine Pires Beaune. Cette réforme de 2010 aurait abouti à réduire la parité puisque, si nous avons aujourd’hui des régions paritaires, les assemblées départementales sont les assemblées les plus masculinisées de France. Quel progrès !

Elle aurait abouti également à une confusion entre départements et régions, alors que nous avons besoin de clarification et de lisibilité pour nos concitoyens.

M. Jean-Luc Laurent. Fort juste !

M. Thierry Mariani. Ça, c’est sûr !

Mme Christine Pires Beaune. Sans parler du risque réel de conflit d’intérêts entre départements et région ! Comment l’élu territorial aurait-il arbitré, par exemple, entre la création d’un gymnase et un projet de recherche ? Le conseiller territorial devait être le nouveau « Superman » de la politique française mais toute cette aventure s’est terminée en un gigantesque charcutage de nos institutions locales, rien de plus, et il est de notre responsabilité de mettre un terme définitif au bricolage électoral de l’ex-majorité.

Pour compenser cette suppression, il est nécessaire d’instaurer un mode de scrutin pour les conseillers départementaux. Nous aurions pu revenir au mode de scrutin qui prévalait avant 2010,…

M. Olivier Marleix. Ça, c’est vrai !

Mme Christine Pires Beaune. …mais cela aurait été faire fi de la parité et de la démocratie locale, valeurs auxquelles nous sommes très attachés.

M. Marc-Philippe Daubresse. Du coup, c’est le supermarché du bricolage !

Mme Christine Pires Beaune. En effet, comme M. le ministre de l’intérieur l’a rappelé, à juste titre, lors de l’ouverture de notre débat, quatorze départements n’ont élu aucune femme lors du renouvellement partiel de 2011 et, pire encore, dans trois départements, l’assemblée délibérante est exclusivement composée d’hommes.

M. Laurent Furst. Quel scandale, la démocratie !

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ce n’est pas la démocratie, ça !

Mme Christine Pires Beaune. Second constat, ce mode de scrutin ne permet plus une représentation équitable de la population et des territoires, alors que, rappelons-le, les limites géographiques de trois cinquièmes des cantons sont inchangées depuis le premier découpage cantonal de 1801.

La mise en place de ce scrutin binominal à deux tours, invention d’une ancienne ministre auvergnate, viendra y remédier en instaurant une parité parfaite dans tous les départements et en procédant à un redécoupage complet des cantons. Cette situation nouvelle renforcera notre démocratie locale, qui reflétera mieux la société.

Cette réforme du mode de scrutin départemental s’accompagne de la fin du renouvellement triennal par moitié, qui sera remplacé par un renouvellement intégral. Cette mesure permettra aux équipes départementales d’avoir six années, au lieu de trois aujourd’hui, pour mettre en place une politique de long terme sur nos territoires.

Cette volonté d’améliorer la parité et de renforcer la démocratie est également le principe dont procède la réforme des modes d’élection des échelons communaux qui nous est proposée par le Gouvernement.

D’une part, l’abaissement du seuil du nombre d’habitants pour l’application du scrutin proportionnel de liste aux élections municipales est une bonne chose pour la parité et pour une meilleure représentation des divers courants politiques ou d’opinion. D’autre part, tous les citoyens, à l’exception des Parisiennes et des Parisiens, éliront désormais les délégués communautaires en même temps que leurs conseillers municipaux grâce au système de fléchage, c’est-à-dire grâce à l’identification des candidats au poste de conseiller communautaire sur les listes municipales. C’est une grande évolution, qui permettra aux citoyens de désigner directement celles et ceux qui seront amenés à faire des choix politiques au sein des intercommunalités, à l’heure où les compétences de ces dernières s’élargissent. C’est une première étape ; il nous faudra aller plus loin, monsieur le ministre, vous l’avez dit.

Justice, parité et modernité, telles sont les ambitions portées par le Gouvernement. Vous en conviendrez, mes chers collègues, ce sont des objectifs auxquels nous ne pouvons que souscrire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Pascal Popelin, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Mathis.

M. Jean-Claude Mathis. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, les deux projets de loi dont nous commençons l’examen aujourd’hui visent à modifier le mode d’élection des conseillers généraux – c’est d’ailleurs la véritable originalité de cette réforme –, à élargir le champ du scrutin proportionnel mixte pour les municipales et à instaurer le fléchage pour l’élection des délégués communautaires. Ils modifient également le calendrier électoral du prochain renouvellement des assemblées régionales et départementales.

Définir un mode de scrutin est un acte éminemment politique, qui s’applique à des réalités de terrain variées. Aussi sa mise en œuvre doit-elle être lisible et respecter le droit de nos concitoyens à être justement représentés.

Il faut bien en convenir, le mode de scrutin départemental actuel n’est plus satisfaisant ni légitime, eu égard aux mouvements de populations qui ont créé des déséquilibres démographiques, aux mutations économiques et aux politiques départementales qu’elles rendent nécessaires, ainsi, bien entendu, qu’à la faible présence des femmes parmi les élus départementaux.

Or, et je le regrette vivement, la seule innovation réelle de ce projet de réforme réside dans un mode de scrutin qui désorganisera l’action des élus départementaux et, surtout, portera une atteinte grave aux territoires, en particulier aux territoires ruraux. Au lieu de conforter la démocratie locale, votre projet, dont on a bien compris l’objectif, risque, en l’état, de décourager un peu plus nos concitoyens de se rendre aux urnes lors des élections locales,…

M. Thierry Mariani. C’est sûr !

M. Jean-Claude Mathis. …sans clarifier aucunement les responsabilités et les enjeux, ce qu’exigerait une vraie simplification des structures locales. Cela représenterait une réelle avancée en matière de démocratie locale.

En effet, la solution que vous proposez, le scrutin binominal, est compliquée, illisible et dangereuse. Elle crée un vrai risque de confusion en cas de désaccord au sein du binôme. En outre, que dire d’une solidarité entre les deux candidats qui disparaîtrait une fois ceux-ci élus ?

Alors, comment à la fois favoriser l’impératif constitutionnel d’un égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives et assurer une juste représentation des territoires ? Comme trop souvent dans notre pays, un excès est corrigé non par une mesure équilibrée mais par un excès en sens inverse.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. La parité, c’est un excès ?

M. Jean-Claude Mathis. Faut-il passer, dès 2015, c’est-à-dire dès demain, de 13 % ou 14 % de femmes conseillères générales à 50 % de femmes conseillères départementales,…

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ça alors !

M. Jean-Claude Mathis. …soit une multiplication par quatre de leur nombre ?

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est terrifiant, n’est-ce pas ?

M. Jean-Claude Mathis. Je soutiens l’objectif de composition paritaire des futurs conseils départementaux, mais je regrette la méthode du Gouvernement qui confond vitesse et précipitation.

Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. C’est incroyable, ça ! Il ne s’était rien passé en l’espace de 200 ans !

M. Jean-Claude Mathis. Cette innovation, conjuguée avec votre conception du redécoupage des cantons, écrasera la représentation des territoires ruraux.

Chacun doit en convenir, le redécoupage cantonal est nécessaire et urgent.

M. Jean-Luc Laurent. Enfin un aveu !

M. Jean-Claude Mathis. La plupart des cantons – cela a été dit et redit – n’ont pas été redessinés depuis 1801. Certains départements ont connu une forte expansion démographique, et il y a eu des déplacements de population. Cela a conduit à de très forts écarts entre les poids démographiques respectifs des différents cantons au sein d’un même département. Il faut corriger ces disparités.

L’écart maximum de 20 % proposé entre la population d’un canton et la population moyenne des cantons du département est très nettement insuffisant, non seulement pour les zones de montagne mais aussi pour toutes les zones à faible densité de population, pour lesquelles le respect de ce seuil conduira à la constitution de cantons gigantesques, sans aucune cohérence géographique ou historique, des cantons qui n’obéiront qu’à la seule exigence arithmétique de la loi. La taille des cantons ruraux peu peuplés va donc croître et ils se dilueront. Que restera-t-il alors de la proximité ?

Je souhaiterais donc que les dérogations prévues dans le texte en fonction des contraintes géographiques soient couplées aux considérations démographiques. Là où le nombre d’habitants au kilomètre carré est faible – je propose, par exemple, de retenir un seuil de 20 habitants par kilomètre carré –, il serait nécessaire d’aller bien au-delà de la règle des plus ou moins 20 %.

Par ailleurs, le redécoupage des cantons n’implique pas qu’il soit nécessaire de changer le mode de scrutin. En effet, le lien entre l’élu et le territoire est l’un des avantages principaux du mode de scrutin majoritaire. Renforcer ce lien, du moins le préserver, fait partie des objectifs reconnus.

Or c’est tout le contraire qui se produira dans les nouveaux cantons ruraux en raison des modalités du remodelage électoral. Il y a une différence notable entre le conseiller général urbain et le conseiller général rural. Celui-ci tient des permanences, parcourt le terrain, visite les communes, tandis que le premier existe à peine en dehors du conseil général, surtout s’il n’est pas membre de la commission permanente ou vice-président.

Je suis convaincu que le système qui ferait élire les conseillers généraux urbains au scrutin proportionnel et les conseillers généraux ruraux au scrutin majoritaire uninominal est une meilleure solution que ce que l’on nous propose aujourd’hui. C’est pourquoi je propose que l’on introduise la proportionnelle en milieu urbain, dans les communautés d’agglomération, à partir de 100 000 habitants par exemple.

M. le président. Merci, cher collègue.

M. Jean-Claude Mathis. Ainsi, nous augmenterons automatiquement la représentation féminine en attendant d’arriver à une représentation parfaitement égale des hommes et des femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Cottel.

M. Jean-Jacques Cottel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure de la délégation aux droits des femmes, chers collègues, il était nécessaire de revenir sur les dispositions de la réforme des collectivités territoriales de décembre 2010, qui avait notamment instauré le conseiller territorial. Comment celui-ci aurait-il pu siéger à la fois à la région et au département ? Comment aurait-il pu porter simultanément les projets de ces deux collectivités bien distinctes sans instaurer la confusion ? N’était-ce pas aller à grands pas vers la suppression des départements ? Où était la parité ?

Sous le gouvernement précédent, l’absence de concertation et l’attaque frontale et répétée contre les collectivités – particulièrement contre le département, qui fut sans cesse menacé dans son existence – ont fait naître, chez la majorité de nos élus locaux, la plus grande méfiance à l’égard de cette réforme territoriale voulue par l’ancien Président de la République.

Les élus, quels qu’ils soient, se sont sentis menacés, et surtout sans cesse remis en question dans leurs fonctions. Ils étaient toujours perçus comme ceux qui coûtent cher, comme ceux qui n’ont pas toute leur utilité sur le terrain. À force de véhiculer ces idées, le fossé se creuse entre élus et citoyens, et ce n’est pas bon du tout pour la démocratie.

Une fois ce doute éveillé, et lorsque le soutien escompté de l’État est mis à mal, il n’en faut pas plus pour que se produise une rupture entre un pouvoir en place et les élus de base. Tout cela, concrètement, s’est manifesté par le basculement du Sénat à gauche en 2011. Alors aujourd’hui, faisons confiance à nos élus de proximité, ceux qui, chaque jour, se battent pour plus de justice et de solidarité.

Il fallait donc revoir cette réforme des collectivités territoriales et proposer ce projet de loi. Le conseiller départemental remplacera ainsi le conseiller général : cela est judicieux, pour une meilleure compréhension de la fonction. Ce conseiller départemental sera élu pour six ans, sans renouvellement intermédiaire : il s’agit, là encore, de gagner en lisibilité, et d’assurer une plus grande stabilité dans les politiques menées, avec des majorités durables.

Ce qui est novateur dans ce projet – cela a été dit à de nombreuses reprises – c’est bien entendu l’élection d’un binôme composé d’un homme et d’une femme, dans des cantons renouvelés. Vous auriez pu, monsieur le ministre, proposer une élection à partir d’une liste élue au scrutin proportionnel, mais je pense pour ma part que les représentants ruraux, dont je suis et dont il fut question ce soir, auraient été dans ce cas insuffisamment représentés, et les élus, mal identifiés.

Je suis donc d’accord avec cette idée nouvelle, qui consiste à présenter ce binôme paritaire : cela fera progresser considérablement la parité.

Le mode d’élection qui est préconisé aura l’avantage de maintenir le lien de proximité nécessaire entre les élus et les territoires qu’ils sont chargés de représenter. N’oublions pas que toute l’action départementale, qu’il s’agisse de l’action sociale, de l’aide à la ruralité ou encore des services au public, est fondée sur la proximité. Pour les cantons ainsi renouvelés, leur remodelage viendra corriger les écarts actuels. Il faudra néanmoins veiller, cela fut dit également, à constituer des cantons homogènes, respectueux d’un certain nombre d’impératifs, prenant en compte la spécificité de certains territoires.

Sachant que ce projet de loi aura un impact sur le mode d’élection de trois échelons locaux différents, à savoir les départements, les communes et les EPCI, je voudrais faire quelques remarques complémentaires et relever trois points satisfaisants : d’abord, le seuil de transparence qui va guider chaque élection, avec l’obligation de faire acte de candidature avant tout suffrage, même dans les plus petites communes ; ensuite, l’écrêtement des indemnités, qui seront directement reversées aux collectivités ; enfin, le renforcement des projets politiques, avec, pour davantage de communes, l’instauration de listes, au détriment des candidatures uniques ou de listes incomplètes.

À ce sujet, je pense que le seuil de 1 000 habitants est raisonnable, pour instaurer le scrutin par liste ; descendre plus bas risquerait de bloquer le débat démocratique, faute de candidats en nombre suffisant. En revanche, pour les communes qui ne sont pas concernées par le scrutin à la proportionnelle, laissons le maximum de conseillères et conseillers municipaux participer à la vie citoyenne, telle que définie aujourd’hui par strates de population, car après tout, ce sont des bénévoles qui s’investissent.

En tout cas, et c’est important, l’identité communale est préservée, vous l’avez souligné, monsieur le ministre. Par ailleurs, le département est aujourd’hui légitimé et confirmé dans sa politique de proximité et de solidarité.

Un nouveau souffle est aujourd’hui impulsé à notre vie locale. C’est la raison pour laquelle je suis favorable à ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse.

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous poursuivons, à cette heure avancée de la soirée, la discussion générale de ce texte, je ne peux m’empêcher de relire avec délectation les interventions qu’avaient faites nos collègues Bruno Le Roux et Jean-Jacques Urvoas, lors de la précédente législature, à un moment où nous étions, les uns et les autres, à contre-emploi sur la question du redécoupage électoral : à cette époque-là, c’était pour le redécoupage législatif.

M. Thierry Mariani. Partiel !

M. Marc-Philippe Daubresse. Partiel, en effet. Sur les rangs de la gauche, on s’interrogeait sur la pertinence du découpage, alors que le gouvernement de l’époque avait strictement observé les règles jurisprudentielles – vous pourrez le vérifier dans les attendus du Conseil d’État. Tel n’est pas le cas aujourd’hui.

Définir un mode de scrutin, c’est par nature un acte politique. Encore faut-il le faire dans un esprit de consensus et de sincérité vis-à-vis des territoires et des populations. Personne, dans cet hémicycle, ne pourra enlever à votre texte sa qualité principale : l’imagination. La solution proposée, celle du scrutin binomial, est pour le moins exotique et nous y sommes fermement opposés, pour trois raisons qui ont déjà été exposées.

D’abord, il est antidémocratique de ne prévoir qu’une solidarité provisoire de droit entre deux candidats, qui disparaîtrait une fois qu’ils auraient été élus. Ensuite, nous refusons la mise entre parenthèses de l’une des composantes fondamentales de la nation française, qui s’appelle la ruralité – et c’est un ancien ministre de la ville qui vous le dit. Enfin, en prenant comme base de votre découpage la règle imposant, pour la population de chaque canton, un écart de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne des cantons du département, vous appelez, de fait, à transgresser les limites des circonscriptions législatives, et tout le monde voit bien ce que cela signifie pour la suite.

Donc, je le dis franchement : plutôt que d’empêcher les départements de fonctionner – car c’est bien ce qui va se passer avec ce découpage et ce nouveau mode de scrutin –, autant annoncer dès à présent leur suppression et leur fusion avec les structures intercommunales. Autant supprimer d’un trait la représentation politique de la ruralité ; autant le faire en toute franchise et en toute transparence. Notre collègue Olivier Marleix a brillamment démontré tout à l’heure les fortes disparités qui existeraient entre les différents cantons et les différents départements. Si vous supprimiez la représentation politique de la ruralité, cela aurait au moins le mérite de la clarté !

Je l’ai dit, au vu de ces éléments, il n’est pas très compliqué de déduire que la règle des plus ou moins 20 % est très nettement inadaptée, sans aucune cohérence géographique, ni politique, puisqu’elle va aboutir, de fait, et on le voit bien arriver, à un nouveau découpage des circonscriptions législatives, qui se basera sur ces nouveaux cantons, lesquels auront eux-mêmes transgressé les anciennes limites des circonscriptions législatives, que nous venons pourtant de redécouper.

Si l’on ajoute à cela le retour au seuil de 10 % pour être présent au second tour, qui favorise, comme chacun sait, le Front national,…

M. Thierry Mariani. Eh oui !

M. Marc-Philippe Daubresse. …on voit bien que l’objectif non avoué de votre réforme est de favoriser ce que vous pensez être l’intérêt purement électoral de la majorité actuelle. Or, vous le savez, le Conseil d’État peut annuler un découpage pour détournement de pouvoir, s’il est établi que des considérations étrangères à son objet ont influé sur son élaboration. On voit chaque jour se propager, département après département, venant du parti socialiste, des projets de découpage qui démontrent assez bien que vous êtes mus par des considérations étrangères à son objet.

Je récapitule.

Acte I : au nom des engagements du candidat Hollande, on supprime le conseiller territorial, alors que cette réforme aurait permis de réduire la dépense publique des collectivités territoriales, que vous cherchez à réduire.

Acte II : pour découper sans avoir l’air de charcuter, on pose trois postulats – je dis bien « postulats », car ils n’ont pas été démontrés à ce jour. Premier postulat : un bon découpage doit privilégier la représentation des populations sur celle des territoires. Deuxième postulat : pour garantir une stricte parité dans les assemblées départementales, il faut créer un objet juridique non identifié, le scrutin binomial. Il y avait pourtant d’autres manières de garantir cette parité.

M. Christophe Borgel. Lesquelles ?

M. Marc-Philippe Daubresse. Troisième postulat : la population de chaque canton ne doit pas s’écarter de plus ou moins 20 % par rapport à la population moyenne des cantons du département, ce qui impose, je viens de le dire, de ne pas respecter les limites des circonscriptions. Cette disposition a une conséquence mathématique et tragique : on tue la ruralité au bénéfice des agglomérations.

Acte III : la réforme de l’élection des conseilleurs d’agglomération par fléchage sera le prélude, tout le monde l’a dit, à leur élection au suffrage universel. Je ne suis pas contre : j’ai voté pour, du temps où Bernard Roman était président de la commission des lois. Mais il faut être clair : cela signera, à terme, la mort programmée du conseiller départemental, qui sera absorbé par le conseiller d’agglomération, puisqu’on aura tué, entre-temps, les conseillers départementaux dans les zones rurales.

Acte IV : tout cela fera finalement une bonne base pour le redécoupage des circonscriptions législatives, autre engagement du candidat Hollande. On sera ainsi passé, logiquement et mathématiquement, en quatre actes, du découpage au charcutage, pour finir par le tripatouillage.

Euclide disait que les plus belles démonstrations sont celles qui s’appuient sur des principes ou des postulats eux-mêmes indémontrables. C’est pourquoi nous allons combattre avec force et détermination cette loi injuste et incohérente qui, s’appuyant sur de mauvais principes, signe la mort de la représentation territoriale dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier.

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur et madame les rapporteurs, mes chers collègues, si l’on en croit les résultats d’une enquête d’opinion parue à la fin du mois de janvier, menée pour le CEVIPOF, Le Monde et la Fondation Jean-Jaurès, une forte majorité de Français estime que les hommes politiques voient avant tout leurs intérêts personnels et que le système politique les représente mal.

M. Thierry Mariani. Il faut les rééduquer !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. C’est dire l’importance fondamentale qui s’attache désormais à chaque réforme du mode de désignation de ceux qui sont destinés à parler et à décider pour le corps citoyen. La confiance doit être restaurée : nous pouvons nous retrouver, de chaque côté de l’hémicycle, sur cet objectif qui sert la République et la démocratie.

Or, quand j’entends les réactions que nourrit le texte que nous examinons aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de remarquer que nombre d’entre nous n’ont pas encore saisi l’importance de l’enjeu et se complaisent dans le traditionnel jeu politicien. Qu’entend-on ? « Usine à gaz », « boucherie », « charcutage », ou encore « tripatouillage » : rien de moins !

Dire que ces mots viennent de ceux qui ont cautionné le redécoupage des circonscriptions législatives de 2009 et les redécoupages qui l’ont précédé ! Dire qu’ils viennent de ceux qui ont créé le conseiller territorial, cet élu hybride qui aurait cumulé deux fonctions territoriales distinctes, ce qui n’aurait pas manqué de l’éloigner du citoyen…

M. Olivier Marleix. Les députés de la majorité sont des perroquets !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. …et ce qui aurait nécessité des travaux dans bon nombre d’hôtels de région. Leur mise en œuvre aurait été fort difficile dans les délais impartis, et ils auraient pesé sur les deniers publics.

M. Thierry Mariani. C’est l’inverse ! Nous aurions fait des économies !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Le conseiller territorial a heureusement disparu, lui qui allait, comme l’ont dit mes collègues, à l’encontre du principe de parité, et donc à l’encontre de nouvelles conquêtes démocratiques.

Quoi de plus aisé, disent certains, que de faire progresser la parité, renforcer le lien de l’élu avec le territoire et garantir l’égalité des Français devant le scrutin, tout en ayant un système électoral extrêmement simple ? Avec toujours la même idée en filigrane, selon laquelle il ne faudrait pas demander un effort intellectuel trop important au citoyen, car il pourrait ne pas comprendre le système qu’on lui propose.

Mais, mes chers collègues, en nous donnant tous les objectifs que nous nous sommes fixés, objectifs attendus des Français, nous ne pouvions pas créer autre chose qu’une architecture novatrice, comme celle qui est envisagée pour les futures élections départementales de 2015.

Face à cette perspective, deux positionnements sont possibles : le premier consiste à attendre le meilleur de nos concitoyens, à considérer qu’ils saisiront que nous avons voulu faire progresser la parité, tout en conservant les aspects positifs de nos scrutins locaux ; le second, ce serait d’attendre le pire de nos concitoyens et de présupposer qu’ils se désintéresseront du scrutin, en raison de sa complexité, ou plutôt de sa prétendue complexité. On sait que la nouveauté suscite toujours des oppositions. Messieurs de l’opposition, c’est bien ce que l’on constate dans vos rangs.

M. Thierry Mariani. Bien sûr, nous sommes de vieux ringards !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Eh bien, en ce qui me concerne, je fais confiance au citoyen. Je pense qu’il sera capable de comprendre que le mode de scrutin proposé permet en même temps de renforcer la parité, de maintenir le lien de l’élu avec son territoire, donc avec la population et de garantir l’égalité des citoyens entre eux face au scrutin. Le cahier des charges est respecté, mes chers collègues, et c’est bien là le principal.

M. le ministre de l’intérieur a dit tout à l’heure que ce projet de loi marquait un commencement.

M. Marc-Philippe Daubresse. Ça, c’est sûr !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Nous sommes, en effet, dans une démarche de transformation positive de notre démocratie.

M. Thierry Mariani. On transforme tout : la société, la démocratie, le chocolat et le cheval !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Ce texte est un texte de progrès, considérablement approfondi en commission des lois : nous entérinons la suppression du conseiller territorial ; nous empêchons que la concentration de scrutins sollicite à l’excès le corps électoral au cours de la même période et fasse peser sur les pouvoirs publics une charge trop lourde, suivant en cela les recommandations habituelles du Conseil constitutionnel ; nous élargissons le scrutin de liste aux communes dont la population est comprise entre 500 et 3 500 habitants ; nous amorçons une refonte indispensable et équilibrée de la carte cantonale ; nous solidifions la légitimité des intercommunalités en ouvrant la voie à leur élection au suffrage universel direct.

Ces modifications vont dans le sens d’une meilleure lisibilité de nos institutions démocratiques infranationales et renforcent, de ce fait, leur légitimité ainsi que celle des élus, alors que nous leur confierons bientôt, grâce au futur projet de loi relatif à la modernisation de l’action publique et à la décentralisation, des compétences stabilisées et renforcées.

L’apparition du conseiller intercommunal me paraît représenter une importante innovation de ce texte et je souhaite m’y arrêter un instant pour souligner à quel point l’instauration d’un lien direct, par le biais du suffrage, entre le citoyen et ses représentants à l’établissement public de coopération intercommunale permettra de mieux faire connaître ces structures appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans la vie quotidienne des Français.

Les EPCI assument une mission essentielle dans le développement de nos territoires, ce sont bien souvent des structures de projet et non simplement de gestion : à l’heure où le chômage ne cesse d’affaiblir l’unité nationale, il est fondamental que les citoyens puissent s’approprier l’idée que leurs territoires représentent une partie de la solution et, ainsi, puissent y envoyer des représentants qui ont fait leur cette notion.

M. Thierry Mariani. Voilà qui devrait réconforter les chômeurs !

Mme Françoise Descamps-Crosnier. Chaque texte que nous votons a une incidence sur les autres volets de notre vie nationale : une réforme de scrutin peut, à long terme, permettre de faire progresser aussi l’économie et l’emploi dans notre pays. C’est avec cette idée à l’esprit que je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Thierry Mariani. Il est plus facile de créer des élus que des emplois !

M. Manuel Valls, ministre. À tel point que vous avez même créé des élus pour l’étranger !

M. le président. La parole est à M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure, mes chers collègues, étant profondément attaché à la ruralité, où j’ai mes racines, je suis très heureux de pouvoir participer ce soir à ce débat.

Le véritable enjeu de ces deux textes, ce n’est pas l’élection des divers conseillers, ni même la date des prochaines élections cantonales ou départementales, mais bien l’avenir des territoires ruraux et de nos campagnes, et surtout de leur représentativité.

Car, je veux le dire clairement ici, monsieur le ministre, votre redécoupage va renforcer les zones urbaines au détriment, une fois de plus, de nos très petites communes rurales, qui ne seront plus aussi bien représentées et écoutées dans les instances départementales.

Depuis quelques années, certains indicateurs nous montrent que la vision qu’ont nos concitoyens des territoires ruraux a évolué. La tendance s’est en effet inversée et nos campagnes bénéficient à nouveau d’une véritable attractivité, d’une vraie dynamique.

M. Olivier Marleix. C’est vrai !

M. Dino Cinieri. Ce changement positif, nous le devons notamment aux évolutions de la société et aux politiques menées par les élus de terrain.

Depuis une trentaine d’années, la France rurale a connu une croissance démographique qui a mis fin à un exode commencé vers 1850 et qui s’était accéléré après la Première Guerre mondiale. Ce mouvement est perceptible dans la quasi-totalité des régions françaises.

Les nouveaux habitants de nos campagnes sont souvent issus des villes. Ce sont de jeunes familles, des retraités, mais aussi des entrepreneurs à la recherche d’une vie moins stressante, de plus de convivialité, d’un environnement plus agréable, ou encore d’espace, tout simplement.

Ces nouveaux ruraux font évoluer nos campagnes et sont demandeurs de nombreux services. S’ils sont venus s’installer sur ces territoires, c’est notamment parce que le désenclavement de nos départements et de nos régions s’est considérablement accéléré avec le développement des lignes à grande vitesse et du réseau routier, dont je mesure chaque jour les effets dans mon département de la Loire, même si des efforts restent encore à faire.

L’évolution formidable qu’a connue le secteur des télécommunications dans son ensemble est aussi une des révolutions technologiques les plus importantes de ces dernières années.

Le monde change très vite, les mentalités aussi. C’est pourquoi nos politiques doivent être flexibles et s’adapter en permanence. Mais au lieu de défendre nos campagnes et nos territoires ruraux, vous préférez une fois de plus vous attaquer à ce qui n’intéresse pas les Français ! Pas un seul de nos concitoyens ne m’a demandé, sur les marchés ou dans mes permanences, de modifier le calendrier électoral ou de réformer le mode de scrutin des conseillers généraux.

Ce que nos concitoyens nous demandent, monsieur le ministre, c’est de continuer la politique lancée par Nicolas Sarkozy en février 2010 pour aider les zones rurales par une série de mesures en faveur du désenclavement économique des territoires ruraux : la mobilité, l’accès aux soins de proximité et à l’internet haut débit ou encore la défense des commerces locaux.

Ce que nos concitoyens me demandent lorsque je parle avec eux de la politique des territoires, monsieur le ministre, c’est que l’on défende notre agriculture. Car nos agriculteurs sont l’âme et la mémoire de nos territoires, qu’ils ont sculptés et qu’ils entretiennent au jour le jour. Sans eux, sans leurs exploitations, ce serait la fin de la ruralité, ou du moins du monde rural tel que nous l’aimons.

Alors, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas que nos territoires valent mieux que ces projets de loi inutiles qui n’ont d’autre intérêt que de maintenir le Sénat à gauche au prochain renouvellement ?

J’ai pour nos campagnes une plus grande ambition. Ce que j’attends, c’est le développement culturel, touristique, social et économique de nos territoires ruraux. Je voterai donc contre vos projets de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 19 février à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Explications de vote et vote par scrutin public sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires ;

Suite de la discussion commune du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral et de la discussion du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mardi 19 février 2013, à une heure vingt.)