Accueil > Travaux en séance > Les comptes rendus > Les comptes rendus de la session > Compte rendu intégral

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 3 juillet 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Marc Le Fur

1. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur – Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée,
d'un projet de loi organique et d'un projet de loi (discussion générale commune)

Motion de renvoi en commission (projet de loi organique)

Mme Annie Genevard

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, Mme Paola Zanetti, M. Philippe Gosselin, M. Michel Piron, M. Sergio Coronado, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Motion de renvoi en commission (projet de loi)

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Christophe Borgel, rapporteur, M. Manuel Valls, ministre, Mme Monique Rabin, M. Michel Piron, M. Frédéric Reiss, M. François de Rugy

Discussion générale commune

M. Marc Dolez

Mme Laurence Dumont

M. Philippe Gosselin

M. Michel Piron

M. Sergio Coronado

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Mme Monique Iborra

M. Guy Geoffroy

M. Gilles Bourdouleix

Mme Isabelle Attard

M. Joël Giraud

Mme Marion Maréchal-Le Pen

Mme Christine Pires Beaune

M. Lionel Tardy

M. Bernard Lesterlin

M. Michel Heinrich

Mme Elisabeth Pochon

M. Edouard Philippe

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Suite de la discussion,
après engagement de la procédure accélérée,
d’un projet de loi organique et d’un projet de loi (discussion générale commune)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (nos 885, 1173) et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (nos 886, 1174).

Motion de renvoi en commission
(projet de loi organique)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mesdames et messieurs les députés, une députée influente de la majorité me disait en substance il y a quelques jours : « C’est simple, cette loi correspond à un engagement du Président de la République et les Français y sont majoritairement favorables ». Le propos semblait se nourrir de la force de l’évidence.

M. Régis Juanico. Tout à fait !

Mme Annie Genevard. Je voudrais faire une remarque liminaire avant d’examiner les deux arguments avancés par cette collègue. Si la légitimité d’une décision politique se fonde sur la seule volonté du chef de l’État et l’expression d’une opinion acquise à cette idée, alors, dans ce schéma de pensée, où se situe le débat parlementaire, à quoi se trouve réduit le rôle du député ou du sénateur, dont cette loi ambitionne précisément de restaurer l’importance ?

Revenons sur ces deux arguments. Incontestablement, François Hollande met en œuvre une promesse de campagne. Il est des renoncements que l’on déplore et il en est d’autres que l’on espérerait, comme celui-ci. Et pas seulement à droite, mais également dans vos rangs, si j’en crois le sénateur François Patriat, qui affirme : « Cette loi n’était pas une priorité et personne ne l’avait demandée ». Il ajoute : « Ce n’est pas une demande des Français, mais des militants socialistes et des nouveaux élus qui veulent jouer les chevaliers blancs ».

Mme Isabelle Le Callennec. Exactement !

M. Alain Chrétien. Quelle clairvoyance !

Mme Annie Genevard. François Rebsamen enfonce le clou, en affirmant : « Quand je me balade dans ma ville, il n’y a aucune remarque sur le fait que je sois maire et président du groupe socialiste au Sénat. Au contraire, il y a même une certaine fierté. »

Il est intéressant de comparer ces propos avec ceux de David Assouline, porte-parole du parti socialiste, pour qui cette loi « est un marqueur de la gauche » ou avec ceux d’Harlem Désir – qui, rappelons-le au passage, cumule les fonctions de député européen et de premier secrétaire du parti socialiste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Isabelle Le Callennec. Quelle contradiction !

M. Alain Chrétien. Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas le croire !

Mme Annie Genevard. C’est pourtant la vérité, mes chers collègues.

Harlem Désir, disais-je, voit dans l’interdiction du cumul une vision renouvelée de la démocratie. En fait, c’est davantage la vision des militants que celle des élus qui s’impose ici. Est-elle la plus légitime ? La question se pose, d’autant plus que, demain, si ces projets de loi sont adoptés, les représentants des appareils politiques seront plus nombreux au détriment des élus ayant exercé « un cursus républicain », pour reprendre la belle expression d’Alain Tourret.

M. Frédéric Reiss. C’est une évidence !

M. Alain Chrétien. L’excellent Alain Tourret !

Mme Laurence Dumont. Il arrive à l’excellent Alain Tourret de déraper !

Mme Annie Genevard. En confiant à un ancien premier secrétaire du parti socialiste, Lionel Jospin, la présidence d’une commission chargée de formuler des propositions pour contribuer à la rénovation de notre vie publique, la boucle est bouclée.

La véritable démocratie eût consisté à en interroger le bien-fondé et les conséquences institutionnelles, bien réelles et pourtant fort peu évoquées. L’article 1er du décret est assez significatif de la clôture intellectuelle de la démarche : le Président de la République crée « une commission chargée de proposer les réformes pour répondre aux préoccupations exprimées par le Président de la République » – et non par les Français !

Cela m’amène au second point évoqué par cette députée socialiste : selon vous, les Français veulent majoritairement cette réforme, ce qui justifierait l’absence d’états d’âme de votre part. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples, et vous le savez – le sondage que nous avons réalisé le démontre d’ailleurs. Notre collègue Daniel Fasquelle l’a évoqué de façon détaillée, aussi n’y reviendrai-je pas. Où est cette écrasante majorité de Français hostiles au cumul, qui réélisent pourtant sans états d’âme leur député-maire ou leur sénateur-maire ? Le citoyen et l’électeur seraient-ils si différents ?

Une étude récente de l’IFOP – vous ne songez pas à contester une étude de l’IFOP, monsieur le rapporteur ? – montre que le taux de réussite aux législatives pour les députés PS sortants est quasi identique pour les cumulants et pour les non-cumulants – et même pour les primo-candidats. La détention d’un mandat local s’est révélée un précieux atout et a accru sensiblement les chances de l’emporter, tout simplement parce que c’est un gage de sérieux et d’expérience.

Cela, c’était avant le débat sur le cumul – un cumul qui ne vous a pas empêchés d’être élus et même majoritaires, et n’a pas affaibli votre légitimité. (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP.) Vous établissez un lien de causalité entre le non-cumul et le lien de confiance avec l’électeur, lien que rien ne vient attester. Et quand bien même : le rôle du Parlement n’est-il pas moins de suivre docilement une opinion publique supposée que de l’éclairer ?

Or, pour justifier la pertinence de cette loi, certains d’entre vous ou de vos amis s’y prennent de la pire des manières. Ségolène Royal (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP)

M. Patrick Hetzel. Attention aux faux amis !

Mme Annie Genevard. …n’affirme-t-elle pas qu’« imposer tout de suite le non-cumul des mandats, c’est donner un signal fort de moralisation de la vie politique » ? Pire, elle ajoute que « les politiques doivent comprendre qu’ils sont là pour servir, et non pour se servir ». Quel mépris pour le dévouement des élus ! Vous vous trompez si vous croyez restaurer l’image de la politique en jetant l’anathème sur les hommes et les femmes politiques.

Comment, dès lors, ne pas souscrire à la protestation du sénateur-maire de Dijon, qui voit là démagogie et populisme ? Comment comprendre la logique politique qui consiste à s’en prendre à ceux qui ont gagné des scrutins grâce à la liberté laissée aux électeurs de les élire ? Vous voulez tout encadrer, tout enrégimenter.

M. Frédéric Reiss. Absolument !

Mme Annie Genevard. Ce parlement que vous prétendez vouloir mieux servir par cette loi, vous allez le museler, réduisant au silence ceux qui ne partagent pas vos vues – c’est le cas de celle qui a succédé à François Hollande dans sa circonscription. Chère Sophie Dessus, on nous dit que vous vous apprêtez à rendre les armes. Quel dommage !

Mme Sophie Dessus. Vous me connaissez mal !

Mme Annie Genevard. Nous avons placé beaucoup d’espoir en vous, chère collègue.

Loin de restaurer la confiance, ce débat est en réalité un extraordinaire signe de défiance que vous donnez à l’opinion publique. Vous alimentez le poujadisme ambiant et contribuez à la dévalorisation des élus, que ce débat risque fort d’abîmer. Parler des élus et du cumul des mandats comme le fait Mme Royal est proprement scandaleux et d’un manichéisme insupportable et infantilisant – je vous donne acte, monsieur le rapporteur, d’avoir exprimé l’idée selon laquelle il faut combattre ce manichéisme. Pour certains, le bien est dans le mandat unique, tandis que le mal, l’immoralité, la cupidité seraient le propre du cumul !

Je rappelle tout de même que Mme Royal cumule les fonctions de présidente du conseil régional de Poitou-Charentes, de vice-présidente de l’Internationale socialiste et de vice-présidente et porte-parole de la Banque publique d’investissement. Excusez du peu ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Chrétien. Mais comment fait-elle ?

Mme Catherine Quéré. Ce ne sont pas des mandats mais des fonctions, et elles ne sont pas rémunérées !

Mme Annie Genevard. Nous parlerons du cumul des fonctions.

M. le président. Écoutons Mme Genevard. Elle seule a la parole.

Mme Annie Genevard. Pour moi, la seule question qui vaille est celle de savoir, non pas si cette loi est conforme à l’engagement partisan d’un candidat ou à une opinion publique que l’incurie de quelques-uns éloigne de plus en plus de l’ensemble de la classe politique, mais si cette loi est bonne ou non pour notre pays. Est-ce, comme le dit Bruno Le Roux, un énorme progrès ? Je ne le crois pas, et nous sommes nombreux à penser ainsi.

Le Premier ministre pense que « cette réforme vise à renouveler, à aérer ». Convenons que ces termes sont bien vagues et que cette notion d’« aération » – variante de l’expression convenue « respiration de la démocratie » – semble peu convenir à l’évolution probable vers un parlement qui, selon Franck Gintrand, directeur de Global Conseil…

M. Régis Juanico. Qui est cet illustre inconnu ?

Mme Annie Genevard. …« deviendra rapidement le vivier de sélection quasi exclusif des ministrables et des apparatchiks médiatiques. Coupés de leur base arrière locale et écrasés par le Gouvernement, les parlementaires ont donc tout à craindre de la fin du cumul des mandats. »

M. Régis Juanico. N’importe quoi !

Mme Annie Genevard. Dans l’étude d’impact, vous analysez les motivations de cette loi.

Le premier argument est celui selon lequel la décentralisation ayant accru les responsabilités au sein des collectivités locales, un engagement continu de leurs titulaires serait rendu nécessaire. Or, depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, le périmètre du mandat municipal – celui-là même qui est principalement concerné par le cumul – n’a pas été véritablement modifié. En 1982, les communes ont acquis des compétences décentralisées en matière d’urbanisme, d’enseignement, de logement, d’action sociale et de culture. Mais depuis, elles ont eu plutôt tendance à en abandonner d’autres, comme l’économie, dont la compétence a été renforcée au niveau régional en 2004. Beaucoup ont délégué à l’intercommunalité des compétences qu’elles n’exercent plus, comme l’aménagement de l’espace et l’action de développement économique. À mon sens, l’argument de la décentralisation ne tient pas.

Le deuxième argument exposé dans votre étude d’impact affirme qu’il faut prendre en compte l’accroissement de la charge de travail du Parlement. Vous évoquez la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a modifié les conditions d’exercice du travail législatif en accordant un rôle important aux commissions et en dégageant davantage de temps pour l’initiative parlementaire. Vous entendre arguer de cette loi pour justifier l’interdiction du cumul ne manque pas de sel, lorsqu’on se rappelle la violence de vos critiques à l’égard de cette révision constitutionnelle !

C’est vrai, il faut limiter le cumul : un mandat national et un mandat local, c’est mesuré, c’est juste.

M. Frédéric Reiss. Absolument ! C’est le bon sens !

Mme Annie Genevard. En réalité, qu’il s’agisse de l’Observatoire de la vie parlementaire, des enquêtes, des dossiers réalisés par des hebdomadaires – comme L’Expansion, récemment –, tout tend à prouver que c’est faux. Simplisme n’est pas vérité. L’étude CEVIPOF montre que le cumul des mandats n’entraîne pas une moindre activité parlementaire, c’est même parfois le contraire. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alain Chrétien. Eh oui !

Mme Annie Genevard. Regardez les statistiques, mes chers collègues !

Afin d’attirer la bienveillante attention du ministre et du rapporteur sur ce point, je me permets d’insister sur un autre argument de l’étude d’impact ne résistant pas à l’analyse des faits : la majeure partie des projets étant gérés directement et uniquement au niveau local, il ne serait plus nécessaire d’être parlementaire et élu local.

En substance, alors qu’il était, naguère, nécessaire d’être parlementaire pour faire avancer des projets locaux, ce ne le serait plus aujourd’hui ! Là encore, l’étude CEVIPOF nous délivre un enseignement utile : la grande majorité des propositions de loi sont relatives à des questions d’ordre national, comme la protection sociale, la fiscalité ou les questions pénales.

Est-il immoral, quand on est parlementaire, d’essayer de faire aboutir des dossiers qui, s’ils sont bons pour son territoire, ne sont pas fatalement mauvais pour son pays ? Comme il est dit dans le rapport d’information du Sénat, le conflit d’intérêt vise la divergence entre l’intérêt général et des intérêts privés, et ne saurait concerner plusieurs intérêts publics, qu’ils soient nationaux ou locaux.

Laissez-moi vous donner un exemple, emprunté à l’histoire de notre maison : celui de l’un de mes prédécesseurs, dont peut-être certains de vous connaissent le nom, car il a accompli quelque chose dont on continue, aujourd’hui encore, à goûter les bienfaits. Il s’agit du député Charles Beauquier, maître d’œuvre opiniâtre des premières lois de protection des sites pittoresques en France. L’idée lui en est venue lorsque, en 1899, le propriétaire d’un moulin prévoyait de capter l’eau et de remplacer la cascade par une conduite forcée. Les habitants de Nans-sous-Sainte-Anne se mobilisèrent et firent appel au député Charles Beauquier. Et c’est ainsi qu’il fit voter la première loi de protection de l’environnement. Il n’est pas inutile de rappeler que Charles Beauquier avait proposé la suppression des départements pour diviser la France en une vingtaine de régions, préfigurant ainsi le conseiller territorial que vous avez supprimé.

M. Alain Chrétien. Quel talent !

Mme Annie Genevard. Vous n’entendez pas ce lien au territoire que tisse de façon incomparable l’exercice d’un mandat local, et singulièrement celui de maire,…

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

Mme Annie Genevard. …qui est le plus concerné par le cumul. En effet, 41 % des députés et 35 % des sénateurs sont maires, et ce n’est pas seulement, monsieur le rapporteur – nous avons eu ce débat en commission –, pour des raisons statistiques. Vous rétorquez que la conservation d’un mandat simple de conseiller municipal, départemental ou régional peut garantir ce lien : c’est absurde ! Votre loi permettrait, à titre d’exemple, d’être parlementaire et conseiller départemental, de représenter avec son binôme 20 000, 30 000 ou 40 000 habitants, mais empêcherait un député ou un sénateur d’être en même temps maire d’une commune de 500 habitants ?

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

M. Régis Juanico. Ça n’a rien à voir !

Mme Annie Genevard. Du reste, je suis à peu près certaine que très peu de parlementaires seront demain conseillers municipaux. Avec la réforme du scrutin départemental, c’est un deuxième très mauvais coup porté au lien de l’élu avec son territoire. Un maire me disait tout récemment : « Les parlementaires ne connaîtront plus que des sommes à six ou sept chiffres ! »

M. Alain Chrétien. C’est une remarque de bon sens !

Mme Annie Genevard. Pourtant, comme vous le dites dans l’étude d’impact, le mandat unique ne paraît pas pertinent ; vous reconnaissez d’ailleurs la nécessité pour les parlementaires de disposer d’un ancrage local. Il n’y a pas de plus bel enracinement que celui d’un maire !

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

Mme Annie Genevard. L’attachement presque viscéral qui nous unit à cette fonction, pourquoi refusez-vous de l’entendre ? Vous, monsieur le ministre de l’intérieur, y avez fait personnellement allusion : vous avez beaucoup pêché en matière de cumul. Reconnaissez-le ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez été maire d’Évry, fonction que vous avez cumulée par la suite avec celle de député de l’Essonne, puis également, quelques années plus tard, avec celle de président de la communauté d’agglomération d’Évry Centre Essonne.

M. Manuel Valls, ministre. C’était avant ! Je ne fais pas les choses à moitié !

Mme Annie Genevard. C’était avant que M. le ministre ne soit ministre. Défendriez-vous avec la même ardeur le non-cumul si vous n’étiez pas à ce banc ?

M. Jean-Luc Reitzer. Au fond de lui-même, il partage notre sentiment !

Mme Annie Genevard. Nous vous épargnerons la réponse, monsieur le ministre.

Quel sera l’impact de la loi ? Voilà une question importante à laquelle vous consacrez une page sur dix dans l’étude d’impact. La question est expédiée en trois paragraphes de quelques lignes : il est fait mention de quelques éléments d’impact juridique, d’une absence d’impact financier, ce qui est faux – j’insiste sur ce point – en raison de l’écrêtement…

M. Patrick Hetzel. Oui, exactement !

Mme Annie Genevard. …et d’une absence d’impact direct sur la parité. Cet argument est étonnant. Si la parité est en soi une question très importante, est-ce la question la plus fondamentale en matière de cumul des mandats ? Moi qui suis une femme, je peux me permettre d’en douter.

Tout cela est bien mince et, surtout, passe à côté des aspects principaux de la question.

Mesdames et messieurs les députés, si cette loi est adoptée, ce sera sous un gouvernement socialiste…

M. Régis Juanico. Eh oui !

Mme Annie Genevard. …que l’on aura mis fin à la possibilité pour le législateur de conserver un mandat de service à la population, qui est l’essence même du mandat local,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr !

Mme Annie Genevard. …tout en maintenant la possibilité du cumul avec une activité privée vers laquelle, comme cela est probable, un certain nombre de parlementaires se tourneront.

Tel ce député socialiste – dont, par charité, ou bienveillance, je tairai le nom –…

Mme Isabelle Le Callennec. On le retrouvera !

Mme Annie Genevard. …qui, à l’occasion de l’examen de deux textes de loi, à quelques semaines de distance, a revendiqué, pour lui-même, le droit de rester avocat tout en étant député et prétend interdire à ses collègues de rester maire.

Mme Claudine Schmid. C’est scandaleux !

Mme Annie Genevard. Oui, c’est sous un gouvernement socialiste que cela se sera produit. Tout cela n’est pas sérieux, ni cohérent, ni bon pour notre assemblée.

Plutôt que de vous précipiter pour adopter un texte purement démagogique, qui n’aura pour effet que de renforcer l’antiparlementarisme en éloignant députés et sénateurs du terrain, n’aurait-il pas été préférable pour la démocratie d’élaborer un beau texte réfléchi qui intègre les nécessaires évolutions du statut de l’élu, comme le préconisait le sénateur socialiste Georges Labazée dans son rapport d’information du 4 février 2012 – comme vous le voyez, nous n’avons pas que des mauvaises références.

M. Alain Chrétien. C’eût été faire preuve de bon sens.

Mme Annie Genevard. À propos du cumul, il déclarait : « Il s’agit d’un sujet délicat, indissociable du statut de l’élu… ». C’est en effet un sujet délicat : pas moins de trois anciens premiers ministres se sont penchés sur la question : Pierre Mauroy, Jean-Pierre Raffarin, puis Lionel Jospin. Si le problème avait été aussi simple, peut-être l’auraient-ils déjà résolu.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Et Balladur ?

Mme Annie Genevard. Balladur : en voilà un quatrième. Merci de me le rappeler.

M. Jean-Luc Reitzer. Il ne faut pas oublier Balladur !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. « Je vous demande de vous arrêter ! » (Sourires.)

Mme Annie Genevard. Monsieur le ministre, si vous ne voulez pas écouter les arguments de l’opposition, prenez tout au moins en compte ceux de votre majorité.

Une commission mixte députés-sénateurs aurait dû être constituée et travailler en amont. En fait, ces projets de loi ont été élaborés par des énarques aux ordres de l’Élysée, qui ne savent pas à quel patrimoine ils touchent : celui d’un modèle original qui, quoi que l’on en dise, a fait ses preuves – la preuve de son utilité et de son altruisme.

Surtout, cette loi stigmatise les parlementaires. Un ministre peut toujours légalement être maire d’une grande commune. Même s’il ne l’est pas dans les faits, il peut légalement l’être.

Enfin, cette loi n’évoque pas du tout les cumuls de mandats locaux.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous demandons le renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. En préambule, je veux indiquer à notre collègue Vercamer, qui s’est plaint tout à l’heure de la difficulté à amender ce texte de loi, que la commission des lois, sur ma proposition, a émis un avis favorable à un amendement qu’il a déposé.

M. Frédéric Reiss. Attendons de connaître l’avis du Gouvernement !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pouvez-vous nous dire quel est son objet ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Il est donc possible, non seulement d’amender ce texte, mais aussi, lorsqu’on est un parlementaire d’opposition, de bénéficier d’un avis favorable sur ses amendements. N’en faites donc pas trop sur le thème de la limitation des possibilités d’amendements ouvertes aux parlementaires !

Madame Genevard, je vous prie de ne pas m’en vouloir pas si je vais plus vite que lors de mes réponses précédentes, car j’ai le sentiment d’avoir déjà entendu un certain nombre d’arguments.

Vous avez choisi d’interpeller l’une de nos collègues, peut-être parce que sa circonscription était auparavant celle du Président de la République. Je ne vous renvoie pas à la liste que j’ai évoquée dans la réponse que j’ai apportée, hier, à M. Daniel Fasquelle. Nous verrons si tous ceux qui, sur vos bancs, mesdames et messieurs de l’opposition, se sont clairement exprimés en faveur d’une limitation du cumul des mandats et, pour certains, de manière extrêmement précise, du non-cumul des mandats dans les termes de l’actuel projet de loi, voteront oui ou non ce texte…

M. Daniel Fasquelle. Occupez-vous de la majorité !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …et nous verrons de quel côté se trouve la liberté.

M. Daniel Fasquelle. Mais oui, on a bien compris !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous avez choisi d’évoquer les conflits d’intérêts, affirmant qu’ils ne sauraient exister dans le cadre du cumul. Je vous recommande d’en parler avec l’ancien président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, qui, dans son intervention, évoquait très justement ce problème. S’il ne se pose pas dans tous les cas, le problème des conflits d’intérêts a toutefois été évoqué, à propos du cumul, par des parlementaires siégeant sur tous les bancs de cette assemblée.

Vous avez évoqué une personnalité importante de la formation politique à laquelle j’appartiens, qui a évoqué une date d’application de la loi. Je veux simplement vous rappeler, sans renier le droit de chacun à s’exprimer dans le débat public,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Heureusement !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …que la date de 2014 n’est pas celle figurant dans le projet de loi. Notre discussion gagnerait en densité et nos arguments seraient plus convaincants si nous acceptions de nous concentrer, non pas sur tous ceux qui, dans l’espace public, ont parlé du non-cumul des mandats au cours de ces dix dernières années,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne vous le fais pas dire, monsieur le rapporteur !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …mais sur le contenu des deux projets de loi.

Vous avez évoqué l’absence de développement des compétences des communes s’agissant du mandat municipal. Oserais-je vous rappeler, moi qui suis un député quelque peu hors-sol, ne disposant pas d’un autre mandat,…

M. Alain Chrétien. Quel aveu !

M. Jean-Luc Reitzer. Hors-sol, cela veut tout dire !

M. le président. Écoutons M. le rapporteur, mes chers collègues.

M. Christophe Borgel, rapporteur. …– mais il m’arrive de parler à un grand nombre d’élus de ma circonscription – qu’au-delà des compétences des communes, un secteur s’est beaucoup développé : celui des intercommunalités, sous toutes leurs formes. Or, vous savez pertinemment que la plupart des maires sont, soit président, soit vice-président de leur intercommunalité.

M. Jean-Luc Reitzer. Ils pourront continuer à cumuler, car seuls les parlementaires seront sanctionnés !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Il ne paraît donc pas donc sérieux d’expliquer qu’au sein de l’espace territorial des communes, aucune évolution n’a contribué à accroître le temps que le maire doit consacrer à ses fonctions locales.

Vous avez évoqué la révision constitutionnelle de 2008 et avez mis en doute le soutien que la majorité actuelle y avait apporté. Or, je crois en effet me souvenir d’une tribune en faveur du renforcement des pouvoirs du Parlement, qui avait été signée, à l’époque, par l’actuel président de la commission des lois et par l’actuel ministre de l’intérieur. Ce n’était donc sans doute pas le meilleur argument à faire valoir aux interlocuteurs que vous aviez en face de vous.

M. Daniel Fasquelle. Pour l’heure, M. Valls est ministre, mais ça ne durera pas !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous avez enfin affirmé – et j’en terminerai par là – que notre objectif était de couper tout lien entre le parlementaire et le territoire. J’espère que, dans la suite de nos discussions, certains iront jusqu’au bout et essaieront de mettre au jour le nouveau plan, caché dans ce texte de loi, qui viserait à interdire aux députés, une fois élus, de mettre les pieds dans leur circonscription.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est excessif !

M. Patrick Hetzel. Quel manichéisme !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Soyons sérieux : chacun sait que l’on trouvera un autre moyen de faire du terrain. Tant que le mode de scrutin…

M. Jean-Luc Reitzer. « Tant que »…

M. Philippe Gosselin. C’est une menace !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …– je le redis, puisque, manifestement, vous avez besoin que cela soit répété – est un mode de scrutin par circonscription, chacun d’entre nous demeurera un représentant de la nation tout entière, tout en étant attaché à la parcelle du territoire national que constitue sa circonscription. Nous continuerons à faire du terrain. Ce qui va changer, c’est la manière utilisée, qui sera, à mon avis, beaucoup plus articulée avec notre travail à l’Assemblée nationale qu’elle ne l’est pour le moment.

M. Jean-Luc Reitzer. Et la proportionnelle, c’est pour quand ?

M. Daniel Fasquelle. C’est la taille des circonscriptions qui va changer. Vous n’êtes pas convaincant !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame Genevard, je vous remercie pour le ton de votre intervention, que nous avons écoutée avec attention, et la qualité de vos arguments. Vous avez cité beaucoup d’élus et de responsables socialistes ; le rapporteur, par un effet de symétrie tout à fait remarquable, avait, quant à lui, rappelé un certain nombre de prises de position d’élus ou de responsables de l’actuelle opposition.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises le travail de la commission et du rapporteur. Pour le Gouvernement, il n’y a aucune raison de renvoyer le texte en commission.

En préparant ce texte et cette discussion, j’ai regardé de près – nous avons tous la mémoire et l’amour de l’histoire de notre pays, de la République et de la construction de notre démocratie – comment le cumul des mandats s’est progressivement construit.

Dans un texte lumineux, Guy Carcassonne, avec lequel beaucoup d’entre nous s’étaient liés d’amitié et qui a été…

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas le seul constitutionnaliste !

M. Manuel Valls, ministre. Oui, mais il a beaucoup compté.

M. Philippe Gosselin. On ne cite que lui ! Paix à son âme, mais quand même ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Sébastien Denaja. C’est lamentable !

Mme Julie Sommaruga. Vous n’avez aucun respect !

M. Sébastien Denaja. Ces propos sont en dessous de tout !

M. le président. Nous vous écoutons, monsieur le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Je poursuis, monsieur le président.

Cher monsieur Gosselin, vous êtes un jeune député plein de fougue qui nous appelez au respect des personnes en permanence. Je vois que, pour votre part, vous vous affranchissez très vite de ces règles.

M. Philippe Gosselin. Pas du tout ! Mais ce n’est pas le seul constitutionnaliste !

M. Sébastien Denaja. Il fait autorité !

M. Manuel Valls, ministre. Permettez-moi d’aller au bout de mon propos, monsieur le député. Il se trouve que j’ai été son collaborateur, notamment lorsqu’il était conseiller aux relations avec le Parlement. Il est donc assez logique que je le mentionne dans mon intervention.

Dans un bel article paru dans Le Monde, disais-je, il avait fait deux rappels. Il avait tout d’abord souligné qu’il n’était pas souhaitable qu’une formation politique s’applique une règle de non-cumul à elle seule ; je le dis pour répondre à ceux qui, tout à l’heure, nous donnaient un certain nombre de conseils. Il rappelait également que, dans ce vieux pays qu’est la France, très souvent, seule la loi permet d’imposer des choix. Cela a été vrai pour la parité : vous n’en avez pas voulu pour l’élection des conseillers départementaux. Il en va de même pour le cumul : vous nous donnez des leçons sur la manière dont cela doit s’appliquer…

M. Patrick Hetzel. Parce que vous n’en donnez pas, vous !

M. Manuel Valls, ministre. …mais personne n’est parvenu à l’imposer, et ce, quelle que soit la formation politique au pouvoir…

Mme Annie Genevard. Qui donne des leçons ?

M. Daniel Fasquelle. Vous nous provoquez en permanence !

M. Manuel Valls, ministre. C’est difficile de s’exprimer ! J’irai néanmoins jusqu’au bout de mon intervention.

M. le président. Mes chers collègues, veuillez écouter le ministre, s’il vous plaît ! Chacun pourra prendre la parole ensuite.

M. Manuel Valls, ministre. En 1985 comme en 2000, il a fallu en passer par la loi. D’ailleurs, en 2000, Lionel Jospin – il était alors, non pas premier secrétaire mais Premier ministre, et il fut un grand Premier ministre –…

M. Patrick Hetzel. Tout le monde n’est pas d’accord sur ce point !

M. Manuel Valls, ministre. …n’a pas pu faire aboutir la réforme parce que, déjà à l’époque, le Sénat n’en a pas voulu. Par conséquent, chaque fois qu’il y a des oppositions, c’est la loi qui doit imposer la réforme – ici, le cumul, là, la parité – parce que, à défaut de le faire, les forces les plus conservatrices, d’où qu’elles viennent, bloquent les avancées démocratiques dans ce pays.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est un jugement de valeur !

M. Manuel Valls, ministre. Ainsi que je l’ai dit lors de mon intervention, c’est le rôle du Parlement de légiférer.

Dans ce même texte, Guy Carcassonne rappelait la genèse du phénomène : le succès des socialistes aux cantonales de 1976, puis aux municipales de 1977 et aux cantonales de 1979,…

M. Patrick Hetzel. C’est du révisionnisme !

M. Manuel Valls, ministre. …s’était traduit par l’arrivée d’une nouvelle génération de parlementaires sans que cela leur permît toutefois d’emporter la victoire aux législatives de 1978, qui avaient eu lieu dans des circonstances bien particulières. C’est cette configuration politique qui, progressivement, a fait que le cumul des mandats s’est installé. Mais trente années se sont écoulées et, aujourd’hui, compte tenu des lois de décentralisation, on voit bien qu’on est au bout d’un système.

M. Patrick Hetzel. On est au bout du socialisme !

M. Manuel Valls, ministre. Cette réforme ne permettra pas de régler tous les éléments qui fondent la crise politique, laquelle est parfois alimentée par les attitudes de certains au sein de cet hémicycle et par des propos qui dépassent les pensées des uns et des autres, comme ceux qui ont pu être échangés lors du débat sur le mariage pour tous.

M. Daniel Fasquelle. Arrêtez de faire ces amalgames !

M. Manuel Valls, ministre. Les termes qui ont été employés montrent l’absence de respect dont font preuve des députés pourtant talentueux. Ce que vous avez dit voilà quelques instants, monsieur Gosselin, est indigne d’un parlementaire : vous n’avez pas affiché le moindre respect pour une personne qui a compté pour beaucoup d’entre nous et avec laquelle nous avons lié une longue amitié ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Gosselin. Arrêtez de faire monter la mayonnaise, monsieur le ministre !

M. Manuel Valls, ministre. Et vous osez nous donner des leçons sur le rôle de la police à l’égard de telle ou telle personne ! Soyez au moins digne de votre fonction, monsieur le député ! (Mêmes mouvements.)

M. Philippe Gosselin. C’est de la manipulation !

M. Manuel Valls, ministre. Il y a des choses qu’on ne peut pas laisser passer dans cet hémicycle ! Il y a des choses que je ne laisserai jamais passer concernant un parlementaire !

M. Philippe Gosselin. Nous non plus !

M. Jean-Frédéric Poisson. Arrêtez de vous adresser à nous comme à des gamins !

M. Manuel Valls, ministre. À partir de là, il y a des changements dont nous devons tirer les leçons. Ces changements, ce sont ceux que la société nous impose. Et nous devons aller jusqu’au bout. C’est ce qui est proposé dans ce texte.

Comme l’a très bien dit M. le rapporteur voilà quelques instants, le mode de scrutin pour les élections législatives et la réalité de la vie politique font que jamais un député, dans aucune circonscription, ne sera coupé du peuple qui lui a fait confiance ; jamais !

MM. Daniel Fasquelle et Jean-Luc Reitzer. Et la dose de proportionnelle ?

M. Manuel Valls, ministre. C’est ce mode de scrutin, auquel je suis très attaché parce qu’il est au cœur même de la démocratie, qui nous le garantit. N’ayez pas peur, allez jusqu’au bout et votez ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. Nous en venons…

M. Manuel Valls, ministre. Merci, monsieur le président !

M. le président. Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Merci !

M. le président. Il n’y a aucune difficulté. Pour ma part, je suis très calme…

M. Manuel Valls, ministre. Moi aussi !

M. le président. Je n’ai aucun souci, aucune difficulté. Les choses se passent très bien et cela va continuer.

M. Sébastien Denaja. Nous avons besoin d’un président qui préside !

Mme Julie Sommaruga. Il faut faire respecter la parole du ministre, monsieur le président !

M. le président. Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à Mme Paola Zanetti, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Paola Zanetti. Anatole France disait : « À l’endroit du public, répéter c’est prouver. » Je vais certainement répéter ce qui a déjà été dit mais, ayant pour ma part démissionné de la fonction exécutive locale que j’occupais, j’espère que cette répétition viendra prouver la nécessité de ce projet de loi.

Il y a des réformes qui sont des grands rendez-vous pour la République. Personne ici n’ignore la défiance d’un nombre croissant de nos concitoyens à l’égard des élus. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la faiblesse des taux de participation à chaque élection. Soyons honnêtes : au moment où nous exigeons des efforts de la part des autres, nous sommes attendus sur notre capacité à en fournir nous-mêmes.

M. Jean-Luc Reitzer. Cela n’a rien à voir avec le cumul !

Mme Paola Zanetti. Ce débat ne doit pas être celui qui stigmatise les élus ou qui renforce l’antiparlementarisme. Il doit être celui qui fait battre le cœur de la démocratie politique, qui apporte une réponse nouvelle à la volonté réitérée par les Français à de nombreuses reprises de mettre fin à un cumul trop extensif des mandats,…

M. Jean-Luc Reitzer. Le cumul ne concerne que deux mandats !

Mme Paola Zanetti. …qui permet de renouer le lien de confiance entre les citoyens et leurs représentants.

Les projets de loi qui nous sont proposés vont au-delà de la limitation en posant une interdiction : c’est un acte fort, car les différentes réformes qui ont modifié la loi électorale n’ont pas entraîné une inflexion significative de la pratique du cumul des mandats.

Interdire le cumul entre une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire est une réforme nécessaire, parce que les lois de décentralisation successives ont augmenté la charge des élus locaux et que la dernière révision constitutionnelle a accru les prérogatives parlementaires. Face à cet accroissement de la charge de travail à l’échelle tant locale que nationale, il est logique que les conditions d’exercice des mandats s’adaptent.

M. Jean-Luc Reitzer. Voilà qui est nouveau ! On disait le contraire, auparavant !

Mme Paola Zanetti. Cependant, si cette réforme est nécessaire, elle n’est pas une fin en soi. Elle doit être un des éléments constitutifs d’un Parlement rénové et renforcé dans ses prérogatives.

M. Jean-Frédéric Poisson. Rien que cela !

Mme Paola Zanetti. À ce rendez-vous de la démocratie et de la modernisation de la vie politique, les socialistes prennent une fois de plus l’initiative, comme cela a été le cas pour chaque progrès majeur que notre pays a connu.

M. Jean-Frédéric Poisson. Pour les retraites, par exemple !

Mme Paola Zanetti. En déposant cette motion de procédure, chers collègues, vous envoyez un très mauvais signal. Vous êtes en décalage avec les Français que vous et nous représentons. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les résultats des élections partielles !

M. le président. Écoutons Mme Zanetti.

Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Paola Zanetti. Vous avez utilisé à tort l’opinion publique sur le mariage pour tous et aujourd’hui vous en faites fi ; vous l’utilisez quand cela vous arrange, en somme !

M. Daniel Fasquelle. Vous avez perdu huit élections partielles !

Mme Paola Zanetti. Vous empêchez par cette motion que la porte de l’antiparlementarisme ne se referme. C’est vous-mêmes, par vos propos, qui continuez à donner aux citoyens la possibilité de stigmatiser encore les élus que nous sommes.

M. Daniel Fasquelle. Et Cahuzac ? Et DSK ?

Mme Paola Zanetti. Il y a une réelle différence de conception de la démocratie politique entre le parti socialiste et la droite.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre cette motion et permettra ainsi que la parole donnée par le Président de la République et réitérée par le Premier ministre soit une parole tenue. (Applaudissements sur les sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jean-Luc Reitzer. Nous verrons cela dans cinq ans !

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Gosselin. J’aimerais beaucoup que la parole du Président de la République soit aussi importante dans toutes les enceintes et que les promesses soient tenues, notamment dans les matières économiques, fiscales et sociales. Là où on peut cliver et s’opposer, le Président de la République est toujours très présent, je n’en doute pas un seul instant !

Oui, nous demandons le renvoi de ce texte en commission, car c’est un texte dogmatique qui vise à instaurer, sans le nommer, un mandat unique. La commission des lois a de surcroît aggravé la situation – je dis bien « aggravé » – en modifiant le texte du Gouvernement pour en faire un texte « Canada dry ».

Mme Elisabeth Pochon. Vous utilisez toujours la même dialectique, comme avec la PMA !

M. Philippe Gosselin. On nous donne le sentiment que nous pourrons continuer de siéger dans un certain nombre de conseils et ainsi garder un lien avec le local alors que, en réalité, en tant que parlementaires, nous ne pourrons plus siéger de façon correcte dans un conseil municipal, dans un conseil général et que nous n’y serons présents que de manière occasionnelle.

Petit à petit, le fil qui nous relie aux électeurs et au terrain sera distendu. Je sais que le terme d’élu « hors-sol » ne vous convient pas, mais il qualifie avec justesse les élus que nous aurons.

Mme Julie Sommaruga. Ce n’est pas dans le texte !

M. Philippe Gosselin. Le dogmatisme s’exprime également dans des positions telles que celle de Mme Dumont ou d’autres, qui estiment que le cumul des mandats est synonyme de présomption de conflit d’intérêts. Nous serions dans le régime de la présomption de culpabilité, présumés coupables de défendre uniquement l’intérêt de nos territoires.

Je rappelle que nous sommes des élus de la nation et que, si nous avons besoin de nous incarner dans un territoire, cela ne signifie pas que nous soyons en permanence coupables de conflit d’intérêts. Nous n’avons pas cette obsession,…

Mme Elisabeth Pochon. L’incarnation, tout est là !

M. Philippe Gosselin. …mais je vois qu’elle est dans d’autres esprits !

En outre, le rapporteur nous dit : « Tant qu’il y aura des circonscriptions »… Ah, tant qu’il y aura des circonscriptions ! Mais jusqu’à quand ? Et quelle sera la dose de proportionnelle retenue : 15 %, 20 %, 30 % ? Quel est le redécoupage électoral qui accompagnera cette réforme ?

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument ! Nous aimerions le savoir !

M. Philippe Gosselin. Comprenez donc que nous puissions nous inquiéter de voir des mercenaires des partis politiques se projeter sur tel ou tel territoire ! D’ailleurs, vous savez bien que certains ici ont pu être désignés élu national dans un département et conseiller régional dans un autre département de la région Île-de-France ; il est inutile que je donne son nom, vous voyez de qui je veux parler. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je m’attendais à ce que vous y fassiez allusion plus tôt dans le débat !

M. Philippe Gosselin. Le rapporteur se serait-il senti visé ?

Mme Marie-Françoise Clergeau. Monsieur le président, présidez !

M. le président. Chers collègues, veuillez écouter M. Gosselin, qui va conclure !

Mme Marie-Françoise Clergeau. Nous n’appelons pas cela présider !

M. Philippe Gosselin. Je terminerai mon intervention par une réponse à M. le ministre. J’ai beaucoup de respect pour Guy Carcassonne, mais son décès brutal ne nous exonère nullement de procéder à un examen critique de son bilan. Ce n’est pas, je le maintiens, le seul constitutionnaliste de France. Il a sans doute énormément fait progresser le droit constitutionnel, mais si vous l’avez placé à votre panthéon de la République, je ne dois pas nécessairement en faire de même.

Je conclurai par ces mots : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »

M. Sébastien Denaja. Il a eu quarante-cinq secondes de plus que Mme Zanetti pour s’exprimer !

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

Mme Laurence Dumont. Monsieur le président, M. Gosselin a eu trois minutes pour s’exprimer et les autres seulement deux minutes !

M. le président. Je vous en prie, madame Dumont !

Vous avez la parole, monsieur Piron.

M. Michel Piron. Avant mon intervention dans la discussion générale, je voudrais dès à présent souligner que les arguments que l’on vient d’entendre sont de valeur tout à fait inégale – c’est le moins qu’on puisse dire.

J’apprécie Anatole France, mais je ne connaissais pas la citation qui a été faite ; elle ne me paraît pas faire partie des pensées les plus solides attribuées à cet écrivain.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est à peu près sûr !

M. Michel Piron. Dire que la répétition suffit en elle-même à constituer une preuve ne me semble pas très convaincant : on peut persévérer dans l’erreur, et je crains qu’en la circonstance Anatole France ait fait plutôt l’éloge de l’erreur que celle de la recherche de la vérité.

Concernant le sujet qui nous occupe, j’ai entendu dire à plusieurs reprises que la charge des élus s’était considérablement accrue du fait de la décentralisation. Êtes-vous sûr, monsieur le ministre, que cet accroissement n’est pas au moins autant imputable à la perpétuation de la centralisation ?

Par ailleurs, je ne peux m’empêcher de relier la question du cumul des mandats, qui est un sujet complexe, difficile, à ce qui différencie notre système de gouvernance de celui de nos voisins européens. J’y reviendrai tout à l’heure.

Pour conclure, il me semble que confondre dans une même argutie le présent projet de loi sur le cumul et la loi sur le mariage pour tous exige d’immenses capacités de confusion ou au moins une disposition tout à fait exceptionnelle au syncrétisme. N’ayant pas de telles capacités, il est bien évident que je n’adhère pas à ce texte et que je voterai la motion.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Madame Genevard, j’ai écouté votre intervention avec attention, ce que permettait le ton modéré avec lequel vous vous êtes exprimée. Vous avez évoqué le gage de sérieux et de compétence que procurait la détention d’un mandat exécutif local, y voyant même une sorte d’appétence des électeurs pour le cumul des mandats. Vous expliquez de manière à peine déguisée que c’est au fond la garantie d’une réussite aux élections législatives. Je pense qu’on peut interpréter la réussite des « cumulards » d’une autre manière.

Je voudrais vous parler en tant qu’élu « hors-sol », puisque je suis simplement parlementaire et que je n’ai pas pour but d’occuper un autre mandat. Dans ma circonscription, il y a des pays qui ont interdit aux détenteurs d’un mandat local de se porter candidat à un mandat parlementaire. Pour être candidat à un mandat national, il faut en effet au préalable démissionner de son mandat local, afin de ne pas mobiliser de manière totalement éhontée des fonds publics pour faire campagne, car cela rendrait la compétition tout à fait inégale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Il y a des textes en France qui régissent cela !

M. Sergio Coronado. En effet, quand on occupe un mandat local, on bénéficie de moyens, de réseaux, d’une audience qui n’est pas celle d’un candidat n’occupant aucun mandat. Sur cette question-là, les choses sont donc un peu plus compliquées que vous ne le dites.

Permettez-moi d’aborder une autre question liée aux circonscriptions des Français de l’étranger. Vous avez parlé des députés hors-sol ; je souhaite pour ma part évoquer les députés parachutés. En effet, l’opposition a fait le choix, de n’envoyer dans les circonscriptions des Français de l’étranger que des candidats parachutés, c’est-à-dire des candidats qui n’avaient aucun lien avec les territoires qu’ils prétendaient vouloir représenter.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !

M. Sergio Coronado. Et cette logique a permis à l’un de vos candidats de rester conseiller général de la Haute-Vienne, tout en étant élu député de l’Afrique subsaharienne.

M. Patrick Hetzel. C’est faux !

M. Sergio Coronado. Et ainsi, il peut prétendre qu’il est tout aussi proche de ses électeurs de Haute-Vienne que de ceux d’Afrique subsaharienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Alexis Bachelay. C’est peut-être le début d’un jumelage ! (Sourires.)

M. Sergio Coronado. Je vous laisse juger des effets de cette logique, que vous avez défendue à cette tribune. Je crois qu’il est temps de poursuivre la marche qui a été entamée en 1985, de limiter encore davantage le cumul des mandats et de mettre un terme à cette tradition du député-maire. Je crois que les écologistes ont été parmi les premiers à mettre en œuvre cette pratique. Nous avons eu parfois des difficultés avec certains de nos collègues, et c’est pourquoi nous avons besoin, nous aussi, du recours à la force de la loi.

Nous ne voterons donc pas votre motion de procédure et nous serons très heureux de voter les deux projets du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je reviendrai seulement sur un point précis. Le texte de loi, tel qu’il a été déposé par le Gouvernement, ne comportait pas une mesure, qui semble importante et qui figure maintenant dans le texte de la commission, à la suite de l’adoption d’un amendement en commission des lois. Cette nouvelle disposition prévoit, de mémoire, que nul ne puisse exercer plus de trois mandats successifs.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est exact !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je comprends très bien qu’une assemblée doive concilier le renouvellement apporté par de nouveaux élus et l’expérience de ceux qui connaissent déjà l’activité parlementaire. Mais une interdiction de ce type semble assez inopportune, parce que l’essentiel, au fond, c’est la liberté de choix de l’électeur :…

M. Frédéric Reiss. Eh oui !

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument ! C’est la liberté !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …c’est à lui d’apprécier s’il souhaite, ou non, renouveler le mandat d’un parlementaire qui aurait effectué trois mandats successifs.

Mais je me dis surtout que si cette disposition avait été appliquée par le passé, elle aurait privé cette assemblée de François Mitterrand, de Jacques Chaban-Delmas, de Jacques Chirac, de Valéry Giscard d’Estaing, de Pierre Mendès-France, et de beaucoup d’autres aussi.

M. Patrick Hetzel. Absolument !

M. Matthias Fekl. C’était une autre époque !

Mme Elisabeth Pochon. Et il n’y aurait pas de femmes aujourd’hui !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La vie publique aurait-elle gagné à cet ostracisme ? Je ne le pense pas.

Je voudrais rappeler, pour terminer, un fait historique que chacun connaît : les constituants de 1791 avaient interdit que les membres de leur assemblée puissent siéger à l’Assemblée législative, la nouvelle assemblée issue de la Constitution. Le résultat, c’est que l’Assemblée législative a compté des personnalités de moindre importance que l’assemblée précédente, et qu’elle fut privée de personnalités telles que Robespierre ou Barnave, pour prendre deux tendances.

M. Jean-Christophe Lagarde. Et on en arrive à 1792 !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Cette assemblée a eu un mandat assez bref, qui n’a pas été extrêmement positif. Je crois donc que cet amendement devra faire l’objet d’un examen plus approfondi encore que d’autres. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

M. Frédéric Reiss. Ce fut très serré !

Motion de renvoi en commission
(projet de loi)

M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Louis Borloo et des membres du groupe Union des démocrates et indépendants une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement, sur le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le tirage au sort a voulu que nous intervenions en dernier, sur une portion du débat…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. On va crescendo !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Le meilleur pour la fin ! (Sourires)

M. Jean-Christophe Lagarde. …mais puisque la discussion est commune, vous comprendrez que j’embrasse les deux textes dont il est question.

Nous entamons aujourd’hui l’examen de deux projets de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec les mandats de député, de sénateur et de parlementaire européen. Ce débat fait partie des marronniers de la vie politique française. Depuis des années, chaque responsable qui veut se rendre populaire reprend ce refrain facile : « Non au cumul des mandats ! » Les plus démagogues fustigent ce qui constituerait une spécificité ou une anomalie française ; les médias applaudissent naturellement, car cela flatte ce qu’ils pensent être le peuple ; et de nombreux candidats aux élections ont pris sur le sujet des engagements qu’ils ne se sont jamais appliqués à eux-mêmes.

Mieux encore : les députés socialistes – vous-mêmes, mes chers collègues ! – s’étaient tous engagés, lorsqu’ils ont été investis par leur parti, à anticiper la future loi en cessant de cumuler un mandat de parlementaire avec celui d’un exécutif local, y compris dans des structures intercommunales, trois mois après leur élection, en application d’une réforme de leurs statuts. Mais lorsqu’il a fallu passer aux actes, la grande majorité des parlementaires socialistes n’a pas respecté cet engagement. Un de plus, me dira-t-on, mais un quand même ! Force est en tout cas de constater que ce n’est qu’à ce moment-là que beaucoup d’entre eux se sont mis à réfléchir sérieusement aux conséquences de cette réforme, ou plutôt de cette promesse démagogique.

En effet, si ce sujet a donné lieu, depuis des années, à beaucoup de démagogie, d’hypocrisie et de discours simplistes – ce qu’illustrent parfaitement ces projets de loi – il y a eu bien peu de réflexions de fond, cherchant à savoir pourquoi le cumul des mandats existe en France. Non pas dans le temps, monsieur le ministre, mais sur le fond. Quels sont ses avantages et ses inconvénients ? En quoi participe-t-il de l’équilibre des pouvoirs dans notre pays ? Pose-t-il des problèmes de conflits d’intérêts ? Comment garantir l’égalité d’accès aux mandats publics si on limite le cumul ? Quel statut de l’élu devrait accompagner une telle réforme et quels changements institutionnels devraient la précéder ?

Nous avons souhaité défendre cette motion de renvoi en commission, pour que l’Assemblée nationale prenne le temps de la réflexion avant de se lancer dans ce changement de règles, qui réalise l’exploit de cumuler un déséquilibre de nos institutions avec une parfaite hypocrisie quant à ses objectifs. En réalité, ces projets de loi, comme le texte relatif à la transparence que l’Assemblée nationale vient de voter, loin de favoriser le renouveau démocratique, aboutiront, dans l’état actuel de nos institutions, à un résultat opposé à celui que vous poursuivez. Naturellement, dans le climat d’antiparlementarisme ambiant, il est très confortable d’être le promoteur de ce projet, en avançant des arguments qui sont infondés, comme je tenterai de le démontrer au cours de mon intervention.

Au risque de vous surprendre, mes chers collègues, monsieur, le ministre, je vous dirai pour commencer que je ne suis pas hostile à toute idée de légiférer pour limiter le cumul des mandats, et le groupe UDI non plus. J’avais moi-même proposé, il y a plusieurs années déjà – le président Schwartzenberg me pardonnera – de limiter le nombre de mandats successifs d’un élu dans les mêmes fonctions.

De même, il m’a toujours semblé peu crédible de prétendre qu’une même personne pouvait gérer efficacement, et sans conflits d’intérêts, deux mandats exécutifs en même temps. Pour moi, le bon équilibre serait de limiter strictement le cumul d’un mandat exécutif et d’un mandat représentatif, quel qu’il soit. Mais votre projet de loi n’aborde pas ces sujets ; il les évite même soigneusement, pour ne pas froisser les intérêts partisans de certains de vos amis.

Vous vous contentez de priver les parlementaires de toute assise locale sérieuse et solide, et vous voulez ainsi faire croire que vous aurez rénové notre démocratie : cruelle illusion qui n’aboutira qu’à accroître encore davantage le déséquilibre entre pouvoirs exécutif et législatif que nous subissons aujourd’hui. En effet, à ceux qui déplorent le cumul des mandats et y voient une spécificité française, nous voulons faire observer qu’il trouve sa source dans une autre spécificité, double celle-ci, de l’organisation institutionnelle française.

La France est à la fois un État extrêmement centralisé et celui où le pouvoir exécutif national concentre le plus de pouvoirs, sans réels contre-pouvoirs : c’est une situation unique au monde, qu’on ne retrouve chez aucune des autres démocraties occidentales. Il n’y a guère qu’en Russie, chers collègues, qu’on trouverait un chef d’État ayant davantage de pouvoir. Et encore, je n’en suis pas sûr, car celui-ci est au moins limité par l’oligarchie qui l’a mis en place, ce qui n’est même pas le cas dans notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Matthias Fekl. Magnifique !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je le répète : la France est un État extrêmement centralisé, contrairement aux pays avec lesquels on la compare, dès qu’il s’agit de débattre du cumul. En Allemagne, l’État est fédéral et une grande partie des règles est entre les mains des Länder, ce qui leur permet d’adapter les règles de l’éducation, de l’économie, du travail, ou encore des relations sociales, aux réalités locales.

Il est donc moins important, dans une telle structure fédérale, de relayer les pouvoirs locaux au sein du Parlement, car les règles nationales sont moins nombreuses, et le plus souvent adaptables par les assemblées locales. Un certain nombre de règles fédérales ne peuvent être décidées que si les pouvoirs locaux acceptent d’y consentir. Mieux encore, il n’est pas nécessaire, et même parfaitement inutile, de briguer des responsabilités au Bundestag, ou même au Bundesrat, si l’on veut peser sur la politique monétaire, et donc économique, du pays. En effet, ce sont les représentants des exécutifs locaux qui siègent au sein du conseil de la banque fédérale et qui y exercent une réelle influence.

On voit bien qu’en Allemagne, c’est le partage des responsabilités entre pouvoir national et pouvoir local qui a rendu inutile, sans fondement et sans intérêt le cumul de responsabilités locales et nationales. En effet, point n’est besoin, de l’autre côté du Rhin, d’être parlementaire pour espérer peser sur la politique économique, sociale et culturelle de son pays. Si l’on ajoute à cela le fait que l’Allemagne jouit d’un régime parlementaire qui permet aux partis politiques de peser réellement sur les décisions du Gouvernement fédéral, on comprend que les grands élus locaux ont, dans les débats nationaux, une influence au moins aussi importante que les parlementaires.

Rien de tel en France : les partis politiques ne servent que de rampe de lancement présidentielle lorsqu’ils sont dans l’opposition – leur contribution au programme est d’ailleurs minime – et de simples exécutants de la volonté du prince, pour ne pas dire de paillassons des gouvernements, lorsqu’ils se retrouvent dans la majorité. Ce texte nous en donnera, je crois, une nouvelle illustration.

Aux États-Unis, le cumul des mandats n’existe pas non plus : là encore, c’est la nature fédérale de l’État qui explique le caractère non nécessaire du cumul des mandats, et même son impossibilité pratique. En effet, le pouvoir des États, des comtés et des villes étant incomparablement plus étendu aux États-Unis que les quelques bribes de pouvoir qui sont concédées aux exécutifs locaux en France, il n’est nul besoin là-bas – et ce serait même souvent contre-productif – de vouloir rassembler pouvoir local et pouvoir national pour être efficace.

Le premier détermine si largement la vie des citoyens que le second est presque relégué et cantonné aux échanges internationaux, à la défense nationale et aux affaires étrangères : c’est le niveau de pouvoir qui, aux yeux des Américains, a le moins d’effets sur leur vie quotidienne, et sur lequel ils exercent le moins d’influence. Chacun comprendra que tel n’est pas le cas en France. Et là encore, la puissance des exécutifs locaux est telle qu’un gouverneur, par exemple, dispose, dans les grands débats qui traversent ce pays, d’une voix plus forte, plus entendue et plus respectée que les parlementaires nationaux.

Les États-Unis disposent, par ailleurs, d’un Parlement qui exerce un rôle législatif réel, loin de l’ersatz que la Constitution de la Ve République offre aux parlementaires français, si bien qu’être un simple parlementaire aux États-Unis est une réelle source d’influence, à la fois dans le processus législatif et sur le Gouvernement. Ce n’est absolument pas le cas dans notre pays, comme chacun et chacune d’entre nous le sait bien. Aux États-Unis, les élus couvrent des circonscriptions si larges et si peuplées, ils jouent un rôle législatif si concret et si réel, qu’on voit bien qu’ils ne pourraient pas exercer d’autres responsabilités en même temps.

Je pourrais naturellement poursuivre la comparaison avec d’autres démocraties occidentales, avec des États fédéraux comme l’Espagne, des régimes parlementaires comme l’Italie ou le Royaume-Uni : chaque fois, on s’apercevrait que le non-cumul des mandats est le résultat d’un système institutionnel donné, qui ne correspond en rien à la situation française.

Aussi, à nos yeux, pourrait-on envisager en France une règle interdisant le cumul des mandats locaux et nationaux, si celle-ci était la résultante d’un changement institutionnel profond et salutaire pour notre pays, si elle venait couronner un véritable mouvement de modernisation de la démocratie française, et si elle ne se contentait pas d’en ripoliner la façade. Cette démocratie prisonnière d’une monarchie républicaine, que tous nos princes successifs ont dénoncée lorsqu’ils prétendaient à la magistrature suprême, ils s’en sont fort bien accommodés une fois en place, notre actuel chef de l’État ne faisant aucunement exception à la règle.

Contrairement à de nombreuses autres démocraties plus modernes, l’exécutif concentre, en France, un nombre impressionnant de pouvoirs, que nous jugeons excessifs. Il peut à sa guise dissoudre l’Assemblée nationale, ce qui induit une quasi-impossibilité pour la majorité parlementaire de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement ; il nomme, sans réel contrôle, aux plus hautes fonctions de l’État ; il nomme aussi les dirigeants des grandes entreprises publiques et des entreprises dans lesquelles l’État est fortement présent ; il est à l’origine de la plupart des projets de loi ; il peut interrompre à tout moment une discussion parlementaire, revenir sur un vote des assemblées quand bon lui semble, et même faire adopter des textes sans vote et sans majorité grâce à l’article 49-3 – désormais, il se contente même de menacer de l’utiliser.

Il n’a aucun compte à rendre sur les décisions prises dans le domaine réglementaire et la ratification par le Parlement de traités internationaux, à la négociation desquels il n’est en rien associé, n’est qu’une formalité ; l’engagement militaire des armées ne dépend que du bon plaisir du Président et les débats, désormais obligatoires au bout de trois mois, ont montré toute leur limite ; la défense nationale n’est décidée que par lui ; les services secrets ne rendent aucun compte réel à la représentation nationale, comme c’est le cas, par exemple, aux États-Unis. Je m’arrête ici, tant l’inventaire à la Prévert serait fastidieux, et parce que chacun d’entre nous, une fois les masques tombés, a conscience de tout cela, qu’il le regrette ou qu’il s’en réjouisse.

Et cette concentration excessive des pouvoirs n’est contrebalancée, contrairement à ce qui se passe dans les autres grandes démocraties, par aucun autre pouvoir qui puisse l’arrêter ou le démettre. Ainsi, le Président de la République gouverne le pays sans être politiquement responsable devant le Parlement, et la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement – pardonnez-moi, monsieur le ministre – est une fiction qui n’a d’ailleurs été démentie qu’une seule fois en cinquante-cinq ans.

Et c’est dans ce contexte que vous prétendez renforcer le rôle des parlementaires en les affaiblissant électoralement ?

Un grand bouleversement institutionnel pourrait rendre utile, et même bénéfique, une limitation stricte du cumul des mandats. Mais sans cette concomitance, le simple fait d’interdire le cumul entre le mandat de parlementaire et celui d’un exécutif local ne pourra avoir que de lourdes conséquences sur notre système institutionnel.

Chacun d’entre nous, et plus particulièrement les promoteurs de ce projet de loi, devrait le mesurer plutôt que de se laisser aller à la facilité d’arguments populistes. Pour reprendre la formule d’un de vos amis sénateurs, et pas le moindre puisqu’il s’agit de Gérard Collomb : « La suppression pure et simple du cumul, c’est bête et méchant ».

M. Philippe Gosselin. Très belle référence !

M. Jean-Christophe Lagarde. Cela ne sert à rien, et fera régresser la démocratie française – cette dernière phrase n’est pas de Gérard Collomb : je le précise pour le ministre, qui commençait à s’inquiéter !

En effet, si le non-cumul peut-être un objectif louable à atteindre dans nos démocraties modernes, il doit être précédé par un réel rééquilibrage des pouvoirs du Président de la République et du Parlement en faveur de ce dernier.

De grandes voix d’intellectuels indépendants se sont exprimées publiquement sur le sujet, illustrant ainsi que notre position n’est pas – comme la presse aime à le faire croire, ou comme vous voulez le faire croire – celle de la défense des intérêts particuliers des horribles « cumulards » contre de pseudo-modernes qui défendraient l’intérêt général.

Pour ne pas allonger mon propos, je ne citerai que les professeurs de droit ou de sciences politiques Pierre Avril, Olivier Beaud et Laurent Bouvet, ainsi que l’historien et politologue Patrick Weil – le rapporteur a raison de le préciser – qui ont écrit au Président de la République, au président de l’Assemblée et au président du Sénat pour les alerter sur les méfaits qu’aurait l’interdiction du cumul des mandats pour les parlementaires, nuisible à leurs yeux à « l’équilibre des pouvoirs ». Réfléchissez avant qu’il ne soit trop tard. Ils étaient favorables à une telle mesure il y a peu de temps.

L’équilibre des pouvoirs théorisé par Montesquieu est une des conditions fondamentales de la démocratie. Or, dans notre régime français, sur-présidentialisé, la présence d’élus locaux au Parlement contribue indispensablement à cet équilibre.

Monsieur le ministre, si vous souhaitez réellement que cette réforme ait un sens, elle ne devrait être que l’aboutissement d’une modification profonde de nos institutions. Elle pourrait alors paraître assez équilibrée.

Il vous faudrait la faire précéder de remises en cause constitutionnelles considérables redonnant au préalable toute sa place au Parlement, comme c’est le cas dans les pays qui ne pratiquent pas le cumul des fonctions. Par exemple en limitant strictement l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 aux PLF et PLFSS, seules lois réellement nécessaires chaque année dans notre pays ; ou en supprimant la responsabilité, au demeurant très virtuelle, du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, de sorte que celle-ci soit libérée du chantage politique qu’exerce tout gouvernement sur le moindre texte qu’il propose.

Vous élargiriez considérablement le champ et la possibilité de créer des commissions d’enquête dotées de véritables moyens. Vous accepteriez que les décrets d’application des lois que nous votons soient soumis à un débat préalable dans les commissions des deux chambres, au lieu d’être parfois dévoyés par l’administration. Vous élargiriez la capacité du Parlement à amender les projets budgétaires. Vous renonceriez à la faculté du Gouvernement de demander une seconde délibération. Vous encadreriez plus strictement le droit de dissolution, qui ne devrait plus être entre les seules mains du chef de l’État, afin de n’être utilisé qu’en cas de crise grave.

Vous donneriez également au Parlement un droit de contrôle sur les nominations de l’exécutif. Monsieur le président de la commission des lois, je vous ai tant entendu le réclamer lorsque vous étiez dans l’opposition que je désespère de vous voir prendre une initiative en ce sens ! Vous pourriez imposer, par exemple, que les nominations les plus sensibles n’aient lieu qu’après avoir recueilli l’assentiment des trois cinquièmes des membres des commissions concernées. C’étaient vos propositions. Comme vous avez changé ! Le changement est parfois permanent !

Vous donneriez au Parlement un vrai contre-pouvoir dans les domaines diplomatiques, militaires et pour ce qui concerne les services de renseignements.

Je m’arrête là, mais vous qui aimez tant comparer la France quand vous choisissez de parler de cumul des mandats, vous oubliez totalement de le faire lorsqu’il s’agit de comparer la faiblesse de notre Parlement croupion, dont vous prétendez redorer le blason, avec de vrais parlements, comme on en connaît dans les autres démocraties occidentales – tel le Bundestag, où nous nous sommes rendus il y a quelques mois.

Cette réforme aurait pu avoir du sens si elle donnait les moyens au Parlement d’une plus grande indépendance, d’une plus grande force et d’une utilité plus réelle dans le processus législatif. À ce compte-là, si telle avait vraiment été votre démarche, votre objectif, nous aurions pu vous suivre et voter cette mesure.

Mais vous, socialistes, communistes, radicaux de gauche et même Verts, vous qui avez dénoncé, combattu et stigmatisé ce déséquilibre des pouvoirs, vous ne l’avez jamais remis en cause lorsqu’il vous a été donné de gouverner, depuis François Mitterrand.

Vous, parlementaires qui vous revendiquez de la gauche, vous vous accommodez fort bien de cette impuissance, de ce carcan, de cet affaiblissement parlementaire auquel vous allez encore ajouter une couche.

Car, chers collègues de la majorité, vous vous apprêtez à commettre la même erreur, le même contresens qu’avec la réforme du quinquennat. Souvenez-vous : elle apparaissait au départ comme un progrès démocratique qui se contentait de réduire la durée du mandat du chef de l’État. Le président Giscard d’Estaing la résumait en une réforme très simple. Il suffisait, disait-il, « de changer un mot dans notre Constitution ». Nous étions sans doute nombreux, même si je n’étais pas encore parlementaire, à penser faire preuve de modernisme – terme dont vous avez beaucoup usé dans vos discours – et œuvrer au rééquilibrage des pouvoirs tout en évitant une nouvelle cohabitation.

Quelques années plus tard, force est de constater que le vrai résultat a été d’accentuer encore davantage la concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l’État, d’affaiblir fortement la fonction de Premier ministre et de réduire encore plus la capacité du Parlement, et singulièrement des députés, à peser sur la politique de la nation. Je distingue le cas des députés car la concomitance des élections législatives et présidentielle a réduit la première à une simple formalité, et a surtout anéanti toute forme d’indépendance des députés élus dans la foulée de la majorité présidentielle, même lorsque ceux-ci avaient pris des engagements précis vis-à-vis de leurs électeurs.

Rien que depuis mai 2012, les exemples sont légion. Mais pour ne pas vous indisposer je n’en citerai qu’un seul : l’engagement que vous aviez tous pris solennellement devant vos électeurs, chers collègues de la majorité, de ne pas ratifier le traité européen négocié par M. Sarkozy et Mme Merkel. Vous suiviez ainsi la promesse faite par le candidat Hollande, qui la réitéra une fois élu Président, le temps de vous permettre de conquérir vos mandats législatifs. Las ! une fois les tréteaux de campagne repliés, votre nouveau chef vous a demandé de renier toute honte bue cette promesse et vous avez été une écrasante majorité à accepter ce reniement…

M. Jean-Luc Laurent et M. Christian Hutin. Pas tous !

M. Jean-Christophe Lagarde. …en essayant de l’habiller d’un faux plan de relance européen de 120 milliards, dont chacun savait déjà et peut constater aujourd’hui qu’il n’existait pas le premier centime.

Vous n’avez pas ainsi abjuré vos engagements parce que vous aviez changé d’avis, ni même parce que le traité ou la politique européenne avaient été un tant soit peu modifiés, encore moins parce qu’on vous aurait montré combien cette promesse était démagogique. Pas du tout ! Seulement, votre nouveau chef a aisément pu vous faire sentir combien vous deviez vos fonctions parlementaires à la dynamique née de sa victoire. Et aujourd’hui encore, quand certains s’égarent à demander le droit de vote aux étrangers, une réforme fiscale d’ampleur ou bien l’extension de la PMA aux couples homosexuels, l’exécutif sait bien faire sentir à chacun d’entre vous qui vous a fait comte et combien il dépend du roi, de sa victoire et de sa bonne volonté que vous le restiez demain. Rassurez-vous : il se passait la même chose sous notre majorité.

Or le fait que les parlementaires ne puissent plus disposer d’un ancrage politique solide au sein d’un exécutif local, disposant d’une incontestable légitimité propre, extérieure à l’élection présidentielle, d’une indépendance qui leur permet d’être élus même quand cela déplaît au nouveau pouvoir, aura deux conséquences inévitables. La première, c’est le retour du régime des partis que la Ve République prétendait éviter. La seconde, c’est l’éloignement du législateur de la réalité du pays, de sa diversité, de sa complexité.

Avec votre nouveau système, pour être parlementaire, et plus encore pour le rester, mieux vaudra en effet arpenter les couloirs de son parti plutôt que les communes de sa circonscription, mieux vaudra ne pas déplaire à l’appareil politique dont on attend le soutien. Il ne sera plus possible à des élus de s’affranchir de la sacro-sainte discipline de groupe en sachant pouvoir compter sur sa force locale pour résister aux pressions dont chaque parlementaire fait un jour l’objet. Ces assemblées que vous entendez dessiner seront majoritairement composées – vous regrettez le mot, il n’a rien d’insultant – de fins connaisseurs des appareils, d’apparatchiks, plus habiles à être courtisans de leurs maîtres que serviteurs de leurs électeurs et de leurs territoires.

C’est d’ailleurs ce qu’exprime notre collègue Sophie Dessus, ancienne suppléante de François Hollande et qui lui a succédé comme députée.

Mme Sophie Dessus. Non !

M. Jean Launay. Elle n’a jamais été suppléante, mais toujours titulaire !

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans Le Populaire d’août 2012, elle affirmait : « J’estime qu’il est préférable que les parlementaires émanent du terrain plutôt que d’un système technocrate de partis imposants leurs candidats. » Elle ajoutait : « Martine Aubry fait de la démagogie ».

De même, notre collègue Jean-Pierre Fougerat, suppléant de M. le Premier ministre, affirmait en septembre 2012 dans les colonnes de 20 minutes : « Imaginez que Jean-Marc Ayrault redevienne député ; il faut faire attention à ce qu’il n’y ait pas un jour des parlementaires coupés des réalités ». Voilà des paroles de parlementaires proches des plus hautes autorités de l’État qui me semblent frappées au coin de la sagesse et du bon sens. Nous sommes en réalité une majorité à les partager au sein de cet hémicycle – peut-être pas ce soir, mais lorsque nous sommes au complet –, même si nous verrons lors de l’étude de ce texte à quel point l’exécutif sait tordre le bras aux plus réticents de la majorité.

Et ne vous cachez pas, monsieur le ministre, en opposant l’intérêt national censé être représenté par les partis, par les appareils, à ceux qui tirent leur légitimité de la gestion de leurs territoires. Une fois ôtés les masques de l’hypocrisie, nous savons tous ici combien les appareils politiques doivent aujourd’hui tenir compte du poids électoral et de la force de leurs grands élus locaux dans la désignation de leurs candidats. Ces appareils seront libérés de ce poids demain, particulièrement s’agissant des élections législatives.

Pis encore, si les élus locaux continuaient à peser électoralement sur la désignation des députés, cela reviendrait à faire d’un grand nombre d’entre eux de simples commettants de leurs soutiens locaux ; des espèces de super-sénateurs.

Si l’on ajoute à cela les règles de financement des campagnes électorales dans notre pays, où le Président de la République ne peut faire campagne et être élu qu’avec l’aide du financement du parti politique qui le soutient, parti qui lui-même reçoit l’essentiel de ses ressources du financement public lié aux élections parlementaires, on constate alors un renforcement considérable du pouvoir du Président de la République sur les députés de sa majorité, un véritable corsetage déjà à l’œuvre et que l’exécutif souhaite aggraver en rendant les parlementaires encore plus dépendants de lui. Et vous allez y consentir !

Le quinquennat – présenté à l’époque comme une grande avancée démocratique – et ses conséquences sur le calendrier électoral ont ainsi réduit l’Assemblée nationale et Matignon à des annexes de la présidence. Avec votre projet de loi, vous vous apprêtez à porter le coup de grâce à ces institutions.

Dans le système institutionnel tel qu’on le connaît aujourd’hui, et plus encore depuis la réforme du quinquennat, la présence au Parlement de présidents d’exécutifs locaux est ainsi un atout, et même une nécessité, pour notre démocratie face à la concentration à outrance du pouvoir dans les mains du Président de la République. Affirmer le contraire serait nier la réalité.

Pour nous, cette présence d’élus locaux au Parlement est nécessaire à double titre.

D’une part, le statut de ces élus ne dépend pas du seul mandat parlementaire. Ainsi, face au pouvoir exécutif, ils ont plus de puissance et d’indépendance qu’ils n’en auraient face à leur parti politique s’ils n’avaient qu’un seul mandat.

D’autre part, alors que notre culture politique est trop faite d’affrontements, dont le paroxysme est atteint lors de l’élection présidentielle, il serait malsain que, dans la foulée de cette dernière, les députés ne soient élus que sur une base partisane, sans réel ancrage local. Si vous souhaitiez d’ailleurs éviter, même partiellement, cet écueil, vous devriez accepter nos amendements prévoyant que les élections législatives et présidentielle aient lieu les mêmes jours. Cela aurait au moins l’avantage de libérer le premier tour de la pression de l’élection présidentielle.

À y regarder de près, l’exception française du cumul des mandats n’est donc pas une anomalie au regard des pratiques des autres démocraties, mais une réponse adaptée et nécessaire au système institutionnel de ce pays.

Face à la concentration extrême des pouvoirs entre les mains du Président de la République, le cumul entre un mandat de parlementaire et celui d’un exécutif local contribue, sans doute de façon insatisfaisante, à l’équilibre des pouvoirs et permet souvent à nos débats de sortir de l’idéologie pour remettre les pieds dans la réalité vécue par les élus locaux et nos concitoyens. Vous le savez, monsieur le ministre, puisque vous avez été maire et parlementaire pendant dix ans.

Je garde le souvenir du jeune Manuel Valls, député, lors du débat sur la LOPPSI.

M. Marcel Rogemont. Il est toujours jeune !

M. Jean-Christophe Lagarde. Il était encore plus jeune, cher collègue. Il n’y a rien de vexant à cela !

Il défendait alors des amendements pour que le député puisse participer aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance de l’ensemble de sa circonscription, et pas seulement de la commune dont il est maire. Oui, ne pas y siéger, c’est s’éloigner de la réalité locale. C’est ce qu’il défendait à l’époque.

Si ces projets de loi veulent se présenter sous des aspects louables et populaires, ils comportent ainsi en germe un grave dysfonctionnement de notre démocratie.

En plus d’être dangereux pour l’équilibre de nos institutions, vos projets de loi sont hypocrites puisque vous ne respectez aucune des logiques qui sont sous-tendues par votre proposition. Parfois vous affirmez qu’il s’agit de moderniser la vie politique française par un renouvellement des élus. Outre le fait que les précédentes limitations du cumul n’ont en rien donné à nos concitoyens la bouffée d’oxygène qu’on leur annonçait, si l’objectif était vraiment le renouvellement, il est évident que vous auriez choisi de réduire le nombre de mandats locaux et nationaux consécutifs, afin de mettre fin à la possibilité de diriger vingt-cinq, trente ou quarante ans une collectivité, ou de passer la même période dans ces murs, alors même que depuis la réforme constitutionnelle de 2008 – que vous n’avez pas votée – le nombre de mandats présidentiels successifs est lui limité à deux.

Pour dénoncer l’hypocrisie du Gouvernement, je suis contraint de nouveau, mes chers collègues, à citer l’un de vos amis les plus éminents, François Rebsamen, président du groupe PS au Sénat, qui affirmait au sujet de votre projet de loi : « Un peu plus de pédagogie et moins de populisme permettrait un débat plus rationnel [...] Pourquoi passer sous silence le cumul dans le temps et le cumul des fonctions ? Et que dire de l’absence d’un véritable statut de l’élu ? »

Dans d’autres occasions, on nous déclare la main sur le cœur que le non-cumul est nécessaire parce que la fonction de parlementaire nécessite un travail à plein-temps, incompatible avec la charge d’un exécutif et même d’une partie d’exécutif local, telle que celle de maire-adjoint ou de vice-président d’une assemblée régionale ou départementale. Mais dans le même temps, monsieur le ministre, le Gouvernement et la majorité viennent de permettre à tous les députés, dans le texte visant prétendument à la transparence, de poursuivre leurs activités professionnelles.

M. Gérald Darmanin. Très juste !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour ces parlementaires-là, la fonction ne serait-elle donc pas à plein-temps ? Votre beau raisonnement moral connaîtrait-il des éclipses ? Être parlementaire est donc compatible avec les métiers de médecin, d’avocat, de professeur d’université, de chercheur, de gérant d’entreprise, de promoteur ou d’agent immobilier,…

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

M. Jean-Christophe Lagarde. …mais en revanche, il est totalement incompatible avec l’exercice d’un mandat de maire ou d’adjoint au maire, de président ou même seulement de vice-président d’un exécutif local.

M. Daniel Fasquelle. Quelle incohérence !

M. Jean-Christophe Lagarde. Chacun peut voir le ridicule du raisonnement et constater combien la Gouvernement se moque de nous, en prenant par la même occasion les Français pour des imbéciles !

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Jean-Christophe Lagarde. Deux fonctions très différentes, l’une publique et l’autre privée, vous paraissent plus compatibles – pour ne pas dire recommandées – que deux fonctions semblables au service du public, qui doivent à vos yeux être désormais proscrites.

Dans d’autres circonstances encore, vous prétendez que ces projets de loi permettront de limiter les conflits d’intérêts entre les fonctions nationales et locales. Là encore, on se moque de nous !

M. Marcel Rogemont. Ne vous emballez pas !

M. Jean-Luc Reitzer. Il y a, parmi nous, des professeurs d’université qui sont concernés !

M. Jean-Christophe Lagarde. En effet, chacun sait que la défense de dossiers locaux auprès des différentes administrations et du Gouvernement fait partie intégrante de la fonction parlementaire et que cela continuera, cumul des mandats ou non ! Monsieur le ministre, vous en félicitiez d’ailleurs tout à l’heure le président Urvoas, à propos de Quimper.

De même, chacun sait bien que les cas éventuels de conflits d’intérêts entre le mandat local et les votes législatifs que nous sommes amenés à émettre sont rarissimes, pour ne pas dire inexistants. En revanche, prétendant vouloir vous attaquer aux conflits d’intérêts, vous oubliez totalement que les vrais conflits d’intérêts ne se trouvent pas chez les parlementaires, mais chez les élus qui cumulent plusieurs exécutifs locaux et qui sont en mesure, eux réellement, de se servir des moyens dont ils disposent dans le cadre d’un mandat pour favoriser la collectivité au sein de laquelle ils exercent un autre mandat.

M. Marcel Rogemont. Déposez des amendements, alors !

M. Jean-Christophe Lagarde. Mais, de cela non plus, vous ne voulez pas entendre parler. Peu vous importe, en fait, la réalité des problèmes : seule compte l’image que vous parvenez à jeter en pâture à un peuple en colère pour pallier les sombres résultats économiques du Gouvernement !

M. Martial Saddier. Tout à fait !

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas tant le cumul des mandats que les citoyens regrettent : il suffit pour s’en convaincre de constater les suffrages qu’ils donnent à des élus locaux qu’ils tiennent par ailleurs à conserver. Non, c’est l’impuissance politique qu’ils condamnent, et de ce point de vue, depuis un an, ils sont servis !

Enfin, pour en finir avec cette question du cumul des mandats et des nombreuses incohérences et hypocrisies de vos projets de loi,…

M. Alexis Bachelay. Nous attendons vos propositions !

M. Jean-Christophe Lagarde. …la question de l’équité financière dans l’indemnisation des élus mérite d’être abordée. En effet, si ces projets de loi étaient adoptés, l’impossibilité de cumuler un mandat de parlementaire avec une fonction exécutive locale aboutirait à ce qu’une majorité de parlementaires soient indemnisés uniquement par leur indemnité parlementaire.

M. Marcel Rogemont. Et alors ? Ils ont faim ? (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi pas ? Or, à l’inverse, le cumul des fonctions de maire et de vice-président d’un conseil régional, d’un conseil départemental ou de vice-président d’un établissement public intercommunal n’est pas prohibé.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est juste !

M. Jean-Christophe Lagarde. Ainsi, des milliers d’élus locaux, dont vous avez la charge, monsieur le ministre, et qui cumulent des fonctions locales percevront des indemnités jusqu’à 50 % supérieures à celles des parlementaires. Quel paradoxe !

M. Jean-Luc Reitzer. C’est absurde !

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le ministre, cette situation n’aboutira qu’à une seule chose : pousser un certain nombre de parlementaires à exercer, en plus de leur mandat de parlementaire, un mandat de conseiller départemental ou de conseiller régional, puisque vos projets de loi n’interdisent pas ce cumul. On aboutira donc exactement aux effets inverses de ceux que vous dites rechercher, à savoir avoir des parlementaires qui consacrent 100 % de leur temps à leur mandat et assurer un renouvellement de la classe politique.

Ainsi, mieux vaudra demain être élu local, puisque seul ce dernier pourra cumuler plusieurs mandats, plusieurs indemnités et une activité rémunérée dans le privé sans aucune forme de contrôle.

M. Marcel Rogemont. Vous êtes jaloux !

M. Jean-Luc Reitzer. C’est la vérité !

M. Jean-Christophe Lagarde. Ici aussi, vous auriez pu éviter cet écueil en créant au préalable un véritable statut de l’élu, toujours annoncé mais jamais mis en œuvre. Là encore, rien de rien dans votre texte !

J’en viens à une dernière idée fausse, trop souvent véhiculée afin de pourfendre le cumul des mandats et à laquelle il convient de tordre le cou. On prétend que les parlementaires travailleront moins – pardon : mieux ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC) – …

Mme Catherine Quéré. Lapsus révélateur !

M. Jean-Christophe Lagarde. …et qu’on ne verra plus ces images d’hémicycle vide s’ils exercent un mandat unique. Or, selon Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS déjà cité, il n’y a pas plus de cancres – ni de bons élèves, d’ailleurs – chez les cumulards que chez les autres. « On pense que les députés qui ont des responsabilités locales sont plus souvent absents de Paris que leurs collègues, c’est faux », explique-t-il.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Non, c’est vrai !

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce chercheur a étudié l’activité des députés et sénateurs de 2007 à 2012. Ses critères – les interventions en séance, la participation aux missions d’information, la présence dans les délégations et les groupes d’études, ou encore les interventions en commission – en valent d’autres. Le verdict est simple : ces critères n’ont pas d’incidence réelle sur le travail des parlementaires. La qualité de leur travail est davantage liée à la façon dont ils ont été élus – au premier tour ou de façon beaucoup plus difficile – qu’à autre chose. Voilà, encore une fois, une fausse idée véhiculée par les partisans de cette réforme !

Quant aux images d’un hémicycle vide où nous ne sommes qu’une poignée à débattre, chacun sait ici – et la presse qui nous regarde le sait aussi, même si elle nous stigmatise souvent – qu’il n’y aura pas plus de monde dans l’hémicycle lors de nos futurs débats, car seuls ceux qui ont vocation à intervenir sont présents en séance à un instant donné : ils auront d’autres activités après leur intervention. Là encore, une présence massive des parlementaires en séance n’est que le fait de régimes parlementaires, dont les assemblées ne siègent d’ailleurs pas autant que nous. C’est la session unique et continue qui rend nos travées désertes ; le non-cumul n’y changera rien.

M. Daniel Fasquelle. Absolument !

M. Jean-Christophe Lagarde. Chers collègues de la majorité, j’ai essayé de vous démontrer que ces projets de loi sont dangereux. Vous les voterez, même si nous savons bien que de nombreux élus y sont en réalité hostiles sur les bancs de la majorité. Si le vote avait lieu à bulletins secrets, libérant chacun des pressions que le groupe, le parti, le Gouvernement et l’Élysée font peser sur chacun de vous, si l’on vous permettait ainsi de dire ce que vous pensez vraiment de ces projets, je suis persuadé qu’ils seraient rejetés. Ce sera d’ailleurs le cas au Sénat, dont la liberté législative est bien plus grande que la nôtre.

D’ailleurs, le Premier ministre a déjà sifflé la fin de la récréation. Dès le départ, il a déclaré qu’il n’accepterait aucun amendement : circulez, camarades, et mettez le doigt sur la couture du pantalon !

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Christophe Lagarde. En concluant mon propos, je pense à l’hommage unanime que nous venons de rendre à Aimé Césaire, lui qui a eu l’outrecuidance, selon vous, de cumuler pendant quarante-huit ans les fonctions de maire de Fort-de-France et de député de la République.

M. Philippe Gosselin. Quel exemple !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je n’ose songer à quel affaiblissement de la République il s’est livré tout au long de son parcours public !

M. Jean-Luc Reitzer. Même chose pour Pierre Mauroy !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je pense à votre grand maître, François Mitterrand, qui cumula les mandats de sénateur et de maire de Château-Chinon en même temps qu’il créait le parti socialiste. Comment sa ville et son département ont-ils pu se relever après avoir été si longtemps victimes d’une pratique si abjecte et dangereuse selon vous ?

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je pense enfin à Pierre Mauroy, qui fut en même temps Premier ministre dans des circonstances exceptionnelles et maire de Lille, sans qu’il ait semblé que les habitants de sa ville n’aient eu à en pâtir.

En pensant à celles et ceux que vous dénoncez par vos projets de loi, je me remémore cette sentence de Pierre Avril, Olivier Beaud, Laurent Bouvet et Patrick Weil : « Ce n’est pas parce qu’une réforme est populaire qu’elle est une bonne réforme. Ce n’est pas parce qu’elle semble démocratique qu’elle le sera ». (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Reitzer. Cela gêne la majorité, mais c’est la vérité !

M. Jean-Christophe Lagarde. J’ajouterai : « Bien au contraire, hélas ! » (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Avant de répondre à notre collègue Lagarde, je veux dire quelques mots à notre collègue Gosselin, car j’ai eu le sentiment qu’il m’interpellait.

Monsieur Gosselin, je vous ai connu plus élégant, assis à votre place ou debout devant le micro, que lorsque vous avez évoqué un constitutionnaliste que j’ai eu le plaisir d’auditionner.

M. Jean-Luc Reitzer. M. Gosselin n’a rien dit de mal !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Le ministre a dit ce qu’il fallait.

Je vous ai également connu plus avisé que lorsque vous avez tenté de m’interpeller sur le cumul des mandats. Je suis député de la Haute-Garonne et n’exerce pas d’autre mandat. Sur les réseaux sociaux, un certain nombre de militants de votre formation politique ont du mal à s’y faire : tous les matins, ils me demandent de démissionner des mandats que j’exercerais encore. Chaque matin, j’essaie de réécrire au préfet de la région Île-de-France que je voudrais à nouveau démissionner de mon poste de conseiller régional d’Île-de-France pour faire plaisir à quelques militants de votre formation politique ; je crois qu’il s’en lasse ! (Sourires sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Vous n’avez plus ce mandat, mais vous l’avez exercé !

M. Christophe Borgel, rapporteur. L’Île-de-France est loin de la Haute-Garonne. J’ai démissionné de mon mandat de conseiller régional, comme je l’avais annoncé pendant la campagne électorale.

M. Daniel Fasquelle. Il y a combien de temps ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Notre collègue Coronado l’a rappelé : sur vos bancs, un député est élu d’une circonscription comprenant l’Afrique du Sud (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP)

M. le président. Mes chers collègues, laissez parler le rapporteur !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …tout en étant conseiller général de la Haute-Vienne. Si ma mémoire est bonne – c’était il y a quelque temps –, vous avez eu dans votre formation, pendant de très longues années, quelqu’un qui était à la fois maire d’une grande ville et député d’un département de province. Très honnêtement, là encore, vous faites chou blanc.

Monsieur Lagarde, j’ai le sentiment que vous avez défendu devant l’Assemblée, avec talent, une motion de renvoi en commission de la Constitution de la Ve République…

M. Jean-Christophe Lagarde. Oui, aussi !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …et non du projet de loi.

M. Jean-Christophe Lagarde. Des deux !

M. Christophe Borgel, rapporteur. J’avoue que, sur un certain nombre de critiques que vous faites à la Ve République, notamment sur le déséquilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif…

M. Jean-Luc Reitzer. La Ve République, c’est la stabilité !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Monsieur Reitzer, il faut vous tourner vers M. Lagarde !

…je partage un certain nombre de vos remarques. Nous pourrions en débattre, mais je vois peu de rapports avec le texte dont nous discutons.

M. Jean-Christophe Lagarde. Si !

M. Christophe Borgel, rapporteur. À la limite, en cohérence avec votre discours, vous auriez pu amender ce texte en commission, pour en inverser la logique et y introduire une série d’articles qui auraient modifié la concentration des pouvoirs dans notre République.

M. Jean-Christophe Lagarde. C’était impossible : il se serait agi de cavaliers législatifs !

M. le président. Monsieur Lagarde, nous vous avons écouté pendant une demi-heure : vous pouvez donc écouter le rapporteur !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Ces amendements vous auraient au moins permis de manifester votre volonté, mon cher collègue.

Vous posez la question suivante : faut-il attendre la révision de la Constitution de la Ve République…

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous y sommes prêts !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …et la création d’un statut de l’élu avant d’avancer sur le sujet du non-cumul, que nous considérons comme une rénovation nécessaire de notre vie politique ? Vous estimez que le non-cumul doit être le point d’arrivée absolu…

M. Jean-Christophe Lagarde. Oui !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …de chantiers assez colossaux. Avouons-le : nous pourrons obtenir le statut de l’élu, mais nous devrons nous battre !

M. Jean-Luc Reitzer. Cela n’arrivera jamais ! Vous n’en aurez pas le courage !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Quant à la révision de la Constitution de la Ve République, je ne crois pas qu’elle se fera tout de suite, d’autant qu’il faudra commencer par convaincre vos collègues de l’opposition parlementaire.

M. Jean-Christophe Lagarde. Pas nous : nous sommes déjà convaincus !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Mon cher collègue, il me semble que vous avez appartenu, pendant cinq ans, à une majorité…

M. Jean-Luc Reitzer. Ah ! Nous y voilà !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …dont le Président de la République appliquait non seulement la Constitution, mais revendiquait aussi le fait d’assumer toutes les responsabilités et tous les pouvoirs.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il ne les a pas utilisés de la même façon que vous !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je n’ai pas souvenir que vous ayez prononcé un discours à la tribune de cette assemblée avec la même virulence que celle dont vous venez de faire preuve.

M. Gérald Darmanin. Vous n’y étiez pas !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Mon cher collègue, on peut ne pas siéger sur les bancs d’une assemblée tout en se tenant informé de ses travaux : c’est ce que je fais pour chaque collectivité territoriale de ma circonscription.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le rapporteur, je vous invite à relire les débats de 2008 !

M. le président. Monsieur Lagarde, écoutez le rapporteur !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous avez évoqué des comparaisons étrangères. Je n’ai pas bien compris si vous considériez que le Bundestag était plus ou moins puissant que notre Parlement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est plus puissant !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Au début de votre démonstration, vous avez dit : « En dehors des Länder, point de pouvoir réel en Allemagne ». À la fin, vous avez affirmé que le Bundestag était un Parlement autrement plus puissant que le nôtre. Pris dans le feu de votre démonstration, vous avez même évoqué des pouvoirs budgétaires dont le Parlement américain dispose pour nous convaincre que la réalité du cumul en France se reflétait dans un certain nombre de pouvoirs du Parlement américain qui étaient différents des nôtres.

M. Gérald Darmanin. Ce n’est pas en votant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire que nous augmenterons les pouvoirs budgétaires de notre Parlement !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Pourtant, il me semble que le Parlement américain comme le nôtre votent le budget du pays.

Vous avez évoqué le régime des partis. Avouez, mon cher collègue, que ces propos sont cocasses de la part de quelqu’un qui a voulu être président du sien !

M. Jean-Christophe Lagarde. Et alors ?

Mme Annie Genevard. Ce n’est pas très élégant, monsieur le rapporteur !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Sur les bancs de cette assemblée, devons-nous être prisonniers de l’air du temps et nous laisser aller à cette facilité…

M. Philippe Gosselin. Vous manquez d’élégance, monsieur le rapporteur !

M. le président. Monsieur Gosselin !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …qui consiste à attaquer les formations politiques et les partis, à chercher à les dévaluer ? Croyez-vous sérieusement qu’un parti politique, quel qu’il soit, serait capable de faire investir dans 577 circonscriptions des candidats qui auraient contre eux l’ensemble des élus locaux de ce même parti ?

M. Martial Saddier. Oui !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Allons, soyons sérieux…

M. Philippe Gosselin. Cela s’est déjà vu !

M. Gérald Darmanin. Ségolène !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je n’ai pas observé que cela s’était traduit par une grande victoire électorale !

Monsieur Lagarde, je crois que vous et moi faisons un peu le même travail dans nos partis respectifs. Nous savons très bien qu’une telle situation est totalement impossible. Là encore, n’invoquons pas des arguments qui ne tiennent pas debout !

M. Daniel Fasquelle. Tout le monde sera beaucoup plus docile ! C’est le but de ces projets de loi !

M. Christophe Borgel, rapporteur. À nouveau, vous avez évoqué l’étude de ce chercheur du CEVIPOF en indiquant qu’il avait examiné, entre autres, un indicateur tout à fait pertinent : la présence dans les groupes d’études. En effet, il s’agit d’un point sur lequel nous avons été éclairés lors de l’audition, contrairement à d’autres pour lesquels nous n’avons obtenu aucun élément d’explication quant au recueil des données et à la méthodologie utilisée. Sur ce point, le chercheur nous a expliqué qu’il avait mesuré l’activité des parlementaires dans les groupes d’études en consultant, sur le site de l’Assemblée nationale, leur composition et en comptant le nombre de groupes d’études auxquels chaque parlementaire appartenait. Honnêtement, nous en savons tous long sur le sujet :…

M. Daniel Fasquelle. Allez !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …je crois qu’il n’est pas besoin de faire plus de commentaires !

M. Philippe Gosselin. Vous avez botté en touche ! Quand les arguments ne vous conviennent pas…

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je termine par une dernière remarque. Monsieur Lagarde, vous avez voulu revenir sur un débat qui ne relève pas de ce projet de loi, mais d’une loi relative aux fonctions professionnelles que nous avons adoptée récemment dans notre assemblée. Vous avez essayé de faire comme s’il s’agissait juste d’une question de décision politique, alors que vous savez très bien que le problème que nous avons rencontré est d’abord et avant tout, pour un certain nombre de ces fonctions, d’ordre constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous ne prenez pas de décision politique !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le député Lagarde, vous avez défendu avec conviction et force arguments votre motion de renvoi en commission. Mais vous vous êtes borné à expliquer que nous ne pouvons pas avancer sur la voie du non-cumul des mandats si nous ne changeons pas en profondeur non seulement nos pratiques politiques, mais d’abord nos institutions.

M. Jean-Christophe Lagarde. En effet.

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez, du reste, fait une critique des institutions de la Ve République pas très éloignée de celle qui a été développée dans un livre célèbre paru il y a quelques années.

M. Jean-Christophe Lagarde. Resté sans lendemain !

M. Jean-Luc Reitzer. L’auteur s’en est bien accommodé des institutions !

M. Manuel Valls, ministre. Je vous invite à méditer sur le contenu de ce livre et sur la capacité de son auteur de se conformer ensuite aux institutions de la Ve République. Celle-ci mérite évidemment d’être réformée,…

M. Jean-Christophe Lagarde. Je vous y invite.

M. Manuel Valls, ministre. …d’être améliorée, afin de donner le maximum de pouvoir au Parlement, mais à la condition que les parlementaires s’en saisissent.

M. Marc Dolez. Absolument !

M. Manuel Valls, ministre. Je reste convaincu – c’est peut-être davantage l’ancien député que le ministre qui vous parle : c’est pourquoi je reste prudent – qu’il existe des outils, des moyens et des pouvoirs dont chaque parlementaire peut se saisir.

M. Régis Juanico. Bien sûr !

M. Manuel Valls, ministre. Je dois d’ailleurs reconnaître que la majorité actuelle se saisit de ces moyens, beaucoup plus que cela ne s’est fait par le passé. Au plan politique, votre groupe a sans doute souffert de la situation, je veux bien l’admettre.

Une réforme profonde de la Constitution représenterait un bouleversement dont, j’en suis convaincu, les Français ne veulent pas. Ils sont attachés à l’équilibre actuel des pouvoirs, à l’élection du Président de la République au suffrage universel et au dialogue qui doit se nouer entre le Président, le Gouvernement et le Parlement. Et c’est ce que nous faisons ici.

En fait, vous brandissez ces arguments afin de ne pas avancer. Or avec les textes que nous vous présentons, nous réformons davantage que vous, qui nous proposez l’impuissance.

M. Jean-Christophe Lagarde. Non !

M. Manuel Valls, ministre. Au demeurant, lorsque le Président de la République propose des réformes importantes, qui nécessitent une révision constitutionnelle, vous faites passer un message très négatif. Cela montre bien que ce que vous proposez est impossible. Pour réformer, il faut avancer, texte après texte.

Ces projets de loi ne nécessitent aucune réforme constitutionnelle et ils révolutionneront en profondeur notre vie politique. Si vous voulez réellement réformer, monsieur Lagarde, si vous voulez être moderne et approfondir notre démocratie, votez donc nos textes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Monique Rabin, pour le groupe socialiste, radical et citoyen.

Mme Monique Rabin. L’exercice de M. Lagarde a été intéressant à plus d’un titre. Il a en effet utilisé l’intégralité de son temps de parole non pour parler de l’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen,…

M. Jean-Luc Reitzer. Si !

Mme Monique Rabin. …mais pour parler de notre pays, de la Constitution.

M. Gérald Darmanin. C’est déjà pas mal !

M. Philippe Gosselin. C’est lié !

Mme Monique Rabin. Comme c’est la période du bac, si je devais noter la copie, je mettrai : « Hors sujet » ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Encore une enseignante !

M. Philippe Gosselin. Nous ne sommes pas dans une classe, mais au Parlement !

Mme Monique Rabin. Vous avez en effet évoqué le quinquennat,…

M. le président. Nous écoutons Mme Rabin, mes chers collègues.

M. Gérald Darmanin. Écoutons la maîtresse !

Mme Monique Rabin. …caricaturé l’exécutif, le fonctionnement du Parlement, brossé un tableau catastrophique du fonctionnement des partis, ce qui ne fait que contribuer au populisme ambiant.

M. Gérald Darmanin. Où sont les polycopiés ?

Mme Monique Rabin. Vous avez ostracisé les conflits d’intérêts possibles pour les élus locaux. Bref, vos arguments sont de circonstance car, au fond, vous n’avez pas de réels arguments à opposer au texte. (Rires sur les bancs du groupe UDI.)

M. Jean-Luc Reitzer. N’importe quoi !

Mme Monique Rabin. Vous n’y croyez pas.

M. Jean-Luc Reitzer. Mais si, nous y croyons !

Mme Monique Rabin. Si vous vouliez refonder la Ve République, vous l’auriez fait : vous aviez dix ans pour cela. Nous, en dix mois, nous avons préparé…

M. Jean-Luc Reitzer. Une belle défaite électorale !

Mme Monique Rabin. …une réelle refondation de la République, qui passera par le non-cumul des mandats. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. Monsieur Chrétien, nous écoutons Mme Rabin.

Mme Monique Rabin. En conclusion, le non-cumul peut naître dans la douleur.

M. Gérald Darmanin. C’est vrai !

Mme Monique Rabin. Prenons garde au sectarisme. Pour ma part, je déteste le terme de « cumulard » que l’on entend beaucoup prononcer sur ces bancs. La critique généralisée du passé est inadmissible : nous vivions dans une société d’un autre type. La société avance…

M. Gérald Darmanin. Le chômage aussi !

Mme Monique Rabin. La population souhaite cette réforme.

M. Daniel Fasquelle. Les militants du PS, pas les Français !

Mme Monique Rabin. Nous devons refonder notre République, car notre pays en a besoin. Les élus devront s’habituer. Il nous faut beaucoup de volontarisme pour y parvenir, mais, dans quelques années, nous compterons les points (« Assurément ! » sur les bancs des groupes UMP et UDI) et nous serons fiers de ce que nous aurons fait. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Nous aurons accompli une vraie réforme sociétale et sociopolitique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Reitzer. On verra dans quatre ans !

M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’union des démocrates et indépendants.

M. Michel Piron. Nous sommes décentralisateurs. L’objet du débat est d’ordre institutionnel.

M. Sébastien Denaja. Centralisateur ou décentralisateur ?

M. Michel Piron. La Ve République est beaucoup citée ce soir. Mais de quelle VRépublique parle-t-on ? De celle de 1958 ? Il y a longtemps que nous ne sommes plus dans le parlementarisme rationalisé voulu et conçu par Michel Debré.

M. Daniel Fasquelle. C’est sûr !

M. Michel Piron. De celle qui, après avoir adopté l’élection du Président de la République au suffrage universel, a transformé le septennat en quinquennat, poussant à une présidentialisation sans cesse accrue au détriment, disons-le, d’un pouvoir parlementaire de plus en plus affaibli ?

Tel est le contexte dans lequel vous voulez interdire le cumul, fragilisant davantage encore la fonction et le rôle de parlementaire, déjà bien effacés. Nous ne pouvons vous suivre dans cette voie, monsieur le ministre, pour les raisons exposées tout à l’heure. C’est pourquoi nous voterons la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Daniel Fasquelle. Excellente motion !

M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Frédéric Reiss. L’intervention de Jean-Christophe Lagarde comme celle d’Annie Genevard tout à l’heure prouvent que toutes les conséquences de ce projet de loi n’ont pas été mesurées et que des études d’impact, notamment financières, n’ont pas été approfondies. Le partage des responsabilités locales et nationales, mais aussi la complémentarité des mandats locaux et nationaux montrent que la situation n’est pas aussi simple que cela ; les exemples internationaux cités par M. Lagarde sont significatifs à cet égard.

M. Philippe Gosselin. Très éclairants !

M. Frédéric Reiss. Nous avons besoin d’un changement institutionnel profond. Or les projets de loi ne posent pas la question de fond, qui porte sur le fonctionnement du Parlement et sur le statut de l’élu, notamment de l’élu local.

M. Jean-Christophe Lagarde. En effet !

M. Frédéric Reiss. Peut-être faudrait-il réduire le nombre de parlementaires et leur donner les moyens de travailler avec efficacité. L’interdiction stricte du cumul des mandats, en rendant incompatible tout mandat exécutif local avec celui d’un parlementaire, ne changera rien.

M. Gérald Darmanin. C’est vrai !

M. Frédéric Reiss. Bien au contraire, elle portera préjudice au fonctionnement de notre démocratie.

Jeter l’anathème sur les parlementaires, qu’ils siègent à l’Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen, est contreproductif. Pour avoir du sens, cette réforme devrait revoir le fonctionnement de notre République. Il conviendrait de préciser qu’il revient à l’électeur de décider s’il choisit de donner ou non son suffrage à tel ou tel candidat, cumulard ou non.

M. Marcel Rogemont. Pourquoi avez-vous limité à deux le nombre de mandats pour le Président de la République ?

M. Frédéric Reiss. Aujourd’hui, la majorité nous dit que le bien réside dans le mandat unique et que c’est une avancée démocratique majeure. Nous pensons qu’un mandat local peut nourrir un mandat national (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC),…

M. Yann Galut. Engraisser ?

M. Frédéric Reiss. …et inversement.

Avec ce texte, le fossé va se creuser entre les Français et nos institutions. Et l’on peut réellement s’interroger sur la représentation de nos concitoyens dans nos différentes assemblées, nationales, départementales, régionales ou locales. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Il est évident qu’un enracinement local donne du poids à un parlementaire. Aujourd’hui, la majorité est appelée à voter comme un seul homme ce projet de loi.

Mme Catherine Lemorton. Comme une seule femme !

M. Frédéric Reiss. L’amendement voté en commission pour limiter à trois le nombre de mandat n’a aucun sens. Se priver de l’expérience d’un élu serait une erreur.

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Frédéric Reiss. Ce projet de loi, comme ceux relatifs à la transparence ou au mariage pour tous, est un rideau de fumée qui masque l’indigence de la politique économique du Gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Les Français attendent des réformes courageuses en matière de dépenses publiques, de retraite ou de résorption du chômage. (Mêmes mouvements.) Nous voterons cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Qu’elles sont sectaires, ces femmes !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Monsieur Lagarde, vous n’avez pas prononcé une seule fois les mots de « député européen ». Et pour cause : si vous aviez dû vous lancer dans une démonstration destinée à défendre la possibilité de cumuler un mandat exécutif local avec le mandat de député européen, vous auriez été bien en peine, vu l’organisation du Parlement européen.

Vous avez procédé à une comparaison avec l’Allemagne. J’ignore quelle est votre connaissance de ce pays, monsieur Lagarde. Peut-être étiez-vous avec nous, lorsque nous sommes allés au Bundestag au début de l’année ? Pour ma part, j’ai discuté avec nos homologues allemands : il n’est pas imaginable qu’un député soit à la fois député au Bundestag et au niveau régional. Le titre est en effet le même : les élus des Länder sont députés, les présidents sont ministres-présidents et les vice-présidents sont ministres régionaux. Il est absolument inconcevable d’exercer les deux mandats en même temps.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est un système fédéral !

M. François de Rugy. Si l’on veut faire des comparaisons internationales, il faut aller au bout de la démonstration.

Les députés de droite ne cessent de dénoncer les députés « hors-sol ». Nous avons déjà eu droit à cette accusation lorsque nous avons parlé du cumul des fonctions privées avec les mandats politiques. Si je vous comprends bien, si l’on veut, lorsque l’on est député, garder un contact avec les habitants d’une commune, il faut être élu de cette commune.

M. Jean-Luc Reitzer. Il faut être sensible aux problèmes.

M. François de Rugy. Faut-il en conclure que vous n’avez pas de contact avec les habitants des communes de votre circonscription dont vous n’êtes pas l’élu, que vous ne les rencontrez jamais ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous refusez sans doute de les rencontrer et de discuter avec eux : c’est absolument grotesque ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Luc Reitzer. Caricature !

M. le président. Seul M. de Rugy a la parole.

M. François de Rugy. Je dirai un mot d’un sujet que vous passez systématiquement sous silence, mais que M. Reiss a, peut-être à son corps défendant, évoqué en employant le verbe « nourrir ». En fait, lorsqu’il a dit : « nourrir le mandat », il fallait comprendre « nourrir l’élu ». (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est minable !

M. Daniel Fasquelle. Poujadisme !

M. François de Rugy. Il faut le dire : il existe une inégalité – et la loi doit y mettre fin – entre les députés qui exercent uniquement ce mandat et disposent des moyens y afférents et les députés qui sont à la tête d’un exécutif local, avec les ressources liées à cet exécutif local.

M. le président. Merci de conclure !

M. François de Rugy. Non, monsieur le président. Nous n’intervenons pas beaucoup, et notre collègue Reiss s’est exprimé plus longtemps. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Nous écoutons votre conclusion.

M. François de Rugy. Vous savez très bien ce qu’il en est : seule la loi peut changer cet état de fait. Nous voterons donc ces projets de loi, car ils proposent un dispositif complet pour mettre fin à cette inégalité, à cette situation de cumul. Ils permettront d’instiller, en France, une autre culture démocratique, non parmi les Français, mais parmi les élus conservateurs qui, comme vous, chers collègues de l’opposition, la refusent. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. Jean-Luc Reitzer. Ça n’a aucun sens !

M. Daniel Fasquelle. Et vous restez au Gouvernement ?

M. Jean-Luc Reitzer. Minable !

M. Daniel Fasquelle. Mme Batho a eu le courage de dire ce qu’elle pense !

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, débattre du non-cumul des mandats revient à traiter de la crise de la représentation politique qui mine la République depuis plusieurs années. Interdire ou limiter strictement le cumul, c’est apporter une réponse nécessaire, mais bien sûr insuffisante, pour retisser le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus, pour réconcilier les Français avec leur démocratie et leurs représentants.

Aujourd’hui, le cumul d’un mandat parlementaire avec des responsabilités locales est une pratique courante : le non-cumul est l’exception et le cumul, la règle.

Malgré les améliorations apportées en 1985 et en 2000, la législation actuelle reste très permissive. Elle ne prévoit aucune incompatibilité entre un mandat parlementaire et l’exercice de responsabilités exécutives locales, elle n’inclut pas l’intercommunalité dans son champ d’application, elle autorise même le cumul avec deux mandats locaux si l’un concerne une commune de moins de 3 500 habitants.

Convenons-en : ce phénomène de grande ampleur, qui concerne tous les partis politiques suscite les critiques et la méfiance de nos concitoyens. C’est ainsi que, selon un récent sondage à propos du regard des Français sur leur représentation politique, sept personnes sur dix ne font pas confiance aux responsables politiques et six sur dix sont favorables à l’interdiction du cumul des mandats.

Oui, l’enjeu est bien ici de mettre fin à une exception française.

Comme l’ont souligné de nombreuses études, quelles que soient les différences entre les systèmes politiques des grandes démocraties comparables, aucune ne pratique le cumul des mandats à l’échelle qui est observée en France.

En France, près de 90 % des députés et sénateurs exercent un mandat local en même temps qu’un mandat parlementaire, tandis que dans la quasi-totalité des autres pays occidentaux la proportion ne dépasse jamais les 20 %.

Pour leur part, les députés du Front de gauche sont favorables à une stricte limitation des mandats en nombre et dans le temps, qui s’inscrit dans un ensemble de mesures fortes qu’ils préconisent pour une profonde rénovation de la vie politique dans la perspective d’une VIe République parlementaire, sociale et participative qu’ils appellent de leurs vœux.

Au-delà du débat sur l’absentéisme ou la disponibilité des parlementaires, la pratique du cumul pose aussi la question des situations de conflits d’intérêts dont le professeur Yves Mény dénonçait, il y a quinze ans déjà, les risques d’institutionnalisation.

Quoi qu’on en dise, diriger un exécutif local incite souvent à privilégier l’intérêt local par rapport à l’intérêt national. La limitation stricte des mandats doit permettre de rompre avec cette culture démocratique que le même Yves Mény qualifiait de « conception hyper-élitiste de la société, de la crainte de la compétition et de l’affrontement concurrentiel et donc d’une stratégie tendanciellement monopoliste qui fait le vide autour du cumulant ».

Le cumul des mandats fige le personnel politique en nombre et dans le temps. Les femmes, les jeunes, les ouvriers et employés, les Français issus de l’immigration sont sous-représentés au Parlement. L’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaires est de nature à briser le cercle vicieux de l’appropriation du pouvoir. Elle encouragera le renouvellement du personnel politique et permettra aux citoyens de se sentir mieux représentés.

Mais la pratique du cumul est aussi un handicap pour l’efficacité de l’action publique et la limitation drastique des mandats des parlementaires correspond aux exigences d’une démocratie moderne.

C’est d’abord une question de principes.

L’exercice de la fonction parlementaire – représenter la nation, voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques – ne saurait se satisfaire d’un temps partiel. L’argument toujours rabâché de la nécessité d’un ancrage local pour être à l’écoute de ses concitoyens ne saurait être sérieusement retenu. Plusieurs d’entre nous dans cet hémicycle qui ne se sentent absolument pas « hors sol » pourraient en témoigner. On n’a évidemment pas besoin de cumuler pour être un député de terrain.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très juste !

M. Marc Dolez. Mais le non-cumul est aussi une exigence démocratique, l’absentéisme parlementaire étant bien sûr un signe de l’affaiblissement du Parlement. Face au déséquilibre institutionnel au profit de l’exécutif, accentué depuis dix ans par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, le renforcement de la place et du rôle du Parlement passe par la volonté des parlementaires de se saisir pleinement des pouvoirs qui leur sont conférés par la Constitution.

C’est indispensable sous peine d’accroître encore ce que d’aucuns appellent la dérive localiste du Parlement, sous peine aussi de se résigner irrémédiablement à ce déséquilibre institutionnel.

Pour toutes ces raisons, nous sommes favorables aux dispositifs proposés par ces deux projets de loi qui prévoient que les députés et sénateurs ainsi que les représentants au Parlement européen pourront continuer à exercer un mandat local, mais ne pourront plus avoir de fonction exécutive dans une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale.

C’est un dispositif équilibré à la fois dans son périmètre et dans son calendrier, qui répond ainsi aux vœux que formulait Guy Carcassonne que je me plais aussi à citer : « Le cumul des mandats est une plaie, il faut la cautériser. Rien n’interdit de le faire intelligemment ».

M. Philippe Gosselin. « Cumulatio delenda est »…

M. Marc Dolez. L’objectif est, je crois, ici atteint même si à titre tout à fait personnel, je souhaite que ce point d’équilibre ne soit qu’une étape vers le mandat unique, comme le préconise d’ailleurs très clairement le rapport de la commission Jospin, car je crois cette évolution inéluctable.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Absolument !

M. Marc Dolez. Pour en revenir à l’équilibre du texte à la suite de son examen en commission, nous nous réjouissons de l’élargissement des incompatibilités aux fonctions de président et vice-président de syndicats intercommunaux et de syndicats mixtes, à certaines fonctions dérivées des mandats locaux telles que les celles de président d’établissements publics locaux, du Centre national de la fonction publique territoriale ou d’un centre de gestion de la fonction publique territoriale, d’une société d’économie mixte locale, d’une société publique locale ou d’une société publique locale d’aménagement.

Nous regrettons cependant que le dispositif soit en retrait par rapport à la commission Jospin, à sa proposition n° 15 tendant à rendre incompatible le mandat de parlementaire avec toutes les fonctions dérivées des mandats locaux. Les fonctions de membre des assemblées délibérantes des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, de membre des conseils d’administration ou de surveillance d’établissements publics locaux, de société d’économie mixte locale, de sociétés publiques locales ou de tous les autres organismes dans lesquels siègent des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales sont en effet tout aussi importantes et inconciliables avec le mandat parlementaire que les fonctions exécutives locales.

J’ajoute que disposer d’un mandat local non exécutif mais exercer au sein d’un conseil régional ou d’un conseil départemental la présidence d’une grande commission comme la commission « Action économique » ou la commission de l’aménagement du territoire occupe autant que l’exercice d’une fonction exécutive locale et qu’il y aura peut-être à améliorer le texte sur ce point.

Nous aurions aussi aimé que soit retenue une autre proposition de la commission Jospin visant l’exercice à titre bénévole du mandat local simple que pourra conserver le parlementaire. Cela aurait été un élément supplémentaire de clarification.

S’agissant enfin de la modification des règles de remplacement des parlementaires, nous souscrivons à la modification adoptée en commission, à l’heureuse initiative du rapporteur, qui restreint par rapport au projet de loi initial les possibilités dans lesquelles un parlementaire démissionnaire est remplacé par son suppléant. Cela ne sera possible qu’en cas de cumul et, dans les autres cas, une élection partielle continuera d’être organisée. Cela nous semble effectivement plus conforme au respect de la souveraineté populaire. Nous ne pouvons adhérer à l’argument invoqué par l’étude d’impact selon lequel des élections partielles fréquentes entraîneraient la lassitude des électeurs : les causes de ladite lassitude sont évidemment à rechercher ailleurs.

Pour conclure, même si évidemment d’autres questions comme le cumul des mandats locaux ou le statut de l’élu devront être traitées, nous l’espérons, monsieur le ministre, dans le courant de la législature, nous considérons que ces deux projets de loi constituent une avancée réelle et décisive sur le chemin de l’indispensable rénovation de notre vie politique. En les adoptant, c’est un message fort que notre assemblée adressera aux Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont.

Mme Laurence Dumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le sans détour : la mise en œuvre du non-cumul des mandats est pour la gauche une obligation.

Nous militons, nous, depuis toujours pour que le savoir ne soit pas l’apanage d’une élite, pour que la richesse ne soit pas concentrée dans les mains de quelques-uns, pour que l’autorité au sein de la famille ne soit pas le seul fait du père, pour que le pouvoir politique ne soit pas la propriété monopolistique de quelques-uns.

En 1985 et en 2000, la gauche – et uniquement la gauche – a limité le cumul des mandats pour plus de démocratie, plus de diversité, plus de transparence et plus de parité.

Aujourd’hui, nous poursuivons ces objectifs et nous sommes, je le crains, les seuls à le faire. Il y a des discussions, parfois des désaccords, c’est légitime. Mais ceux-ci ne doivent pas masquer que seule la gauche agit en la matière.

M. Philippe Gosselin. La gauche agit au moins là-dessus, c’est déjà ça !

Mme Laurence Dumont. Fidèles à nos valeurs, nous portons une réelle volonté d’élargir la représentation politique.

Enfin, nous rompons avec le cumul systématique des mandats qui gangrène notre démocratie.

M. Philippe Gosselin. Vous en parlerez au maire de Lyon !

Mme Laurence Dumont. Un mandat n’est pas une charge, c’est un exercice, un travail que l’on doit accomplir au jour le jour. Et chacun sait que, pour bien faire ce travail, il faut d’abord le faire soi-même et non le faire faire.

Le travail de parlementaire est un travail à plein-temps. Il demande de la disponibilité intellectuelle et personnelle.

M. Edouard Philippe. Et il y a deux ans, demandiez-vous à M. Ayrault d’être plus présent ?

Mme Laurence Dumont. Il faut faire la part entre le terrain, où l’on confronte nos réflexions avec la réalité, et le travail à l’Assemblée nationale. Exercer un pouvoir politique, ce n’est pas simplement prendre des décisions préparées par d’autres, c’est prendre le temps de s’informer et prendre le temps de la réflexion. Et quand la décision a été prise, prendre encore le temps d’en rendre compte et de l’expliquer.

Tous ces temps demandent du temps et le temps n’est pas extensible. Et parce que tous les mandats, quels qu’ils soient, exigent le respect de tous ces temps, le cumul des mandats ne peut être que l’ennemi d’un bon exercice de la responsabilité politique.

Notre conviction est que l’action politique, si souvent décriée par nos concitoyens, a tout à gagner à la limitation du cumul des mandats.

Lorsqu’il y a cumul des mandats, inévitablement surgit une confusion, a minima une confusion des genres, voire un conflit d’intérêts entre mandat local et national. Car un parlementaire est là pour légiférer et, dans ce cadre, il doit toujours se placer du point de vue de l’intérêt général.

C’est la Constitution même qui définit la loi comme l’expression de l’intérêt général.

En cas de cumul, monsieur Piron, nul ne contestera que l’élu, dans son rôle de législateur, aura toujours en tête une grille de lecture qui le conduira à faire la loi l’œil rivé sur l’intérêt particulier de son territoire.

M. Michel Piron. C’est un procès a priori !

M. Philippe Gosselin. Vous vous comportez en procureur !

Mme Laurence Dumont. Mais l’intérêt général ne coïncide pas forcément avec la somme des intérêts particuliers.

Une circonscription n’est pas un fief dont le député aurait la charge de défendre les intérêts particuliers.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Laurence Dumont. C’est un territoire qui récapitule l’ensemble des dimensions de la nation : communes, intercommunalités, départements, régions – une petite France, en quelque sorte.

Au contact de celle-ci, le parlementaire peut appréhender concrètement les réalités. Cet ancrage dans un territoire évite à un parlementaire de porter un regard abstrait, distant, sur les problèmes des Français. Mais en cas de cumul des mandats, cet ancrage menace toujours de lui faire appréhender les problèmes de façon partielle ou partiale.

Voilà pourquoi nous défendons ce texte : parce que des élus plus nombreux seront plus représentatifs, parce que des élus plus disponibles seront plus responsables, parce que des élus recentrés sur leur fonction seront plus justes et plus efficaces, le non-cumul des mandats constitue un progrès démocratique majeur.

Aussi, en votant ce texte, la gauche continuera de marquer durablement sa volonté de changement et de renouveau de la vie politique. J’espère que la droite – ou une partie de celle-ci – saura nous rejoindre dans cette ambition. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Philippe Gosselin. Vous verrez cela avec la gauche au Sénat !

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, par touches successives, cette majorité modifie profondément les textes qui régissent les élus et les conditions d’exercice des mandats : loi Cahuzac dite « de transparence », forme modernisée de voyeurisme ; mode de scrutin aux élections municipales et départementales – le fameux scrutin binominal que le monde entier va nous envier – ; mode de scrutin aux élections sénatoriales, et peut-être d’autres encore à venir.

Nous attaquons ce soir l’examen du cumul des mandats – la fameuse proposition n° 48 du candidat Hollande –, non pour tous les élus, car cela serait trop simple, mais en stigmatisant, comme le Gouvernement a choisi de le faire, une catégorie d’entre eux : les parlementaires, qu’ils soient nationaux ou européens.

Voilà un texte dogmatique qui fait grincer les dents, y compris dans la majorité – du côté de Lyon ou ailleurs – et que la commission des lois a jugé utile de corseter encore davantage la semaine dernière. Elle fait ainsi preuve d’un aveuglement certain en élargissant le non-cumul à tous les syndicats mixtes, aux établissements publics de coopération intercommunale ainsi qu’aux organismes satellites des collectivités territoriales.

J’y vois une forme d’hypocrisie : il serait plus clair de dire que c’est le mandat unique qui est voulu. Si c’est le cas, alors banco, mais dès 2014, et sans que les suppléants puissent prendre le relais quand le parlementaire aura fait le choix du mandat local ! Et par conséquent, banco également pour que toutes les élections partielles se déroulent dans les semaines qui suivent ! Dès lors, évidemment, la stratégie commence à changer !

Oui, la législation relative au cumul des mandats mérite aujourd’hui d’être revue en raison de la nouvelle place des collectivités territoriales sous l’effet de la décentralisation et aussi des progrès de l’intercommunalité.

Prenons garde cependant aux comparaisons avec d’autres pays : ainsi que cela a été rappelé tout à l’heure, les structures étatiques et les pouvoirs étant différents, les organisations sont elles-mêmes différentes. C’est, une fois de plus, l’illustration que « comparaison n’est pas raison ».

Prenons garde également à ne pas céder aux sirènes de la démagogie des enquêtes d’opinion. En réformant « à l’aveugle », nous allons à l’encontre même de l’objectif poursuivi, à savoir l’amélioration du fonctionnement de notre démocratie.

Le lien entre le citoyen et l’élu est précieux : gardons-le ! C’est la clé d’une démocratie vivante et même vivace ! L’ancien Premier ministre Pierre Mauroy qualifiait le mandat local de « courroie d’enracinement » : ne déracinons pas nos élus, s’il vous plaît !

S’il n’apparaît plus défendable aujourd’hui de cumuler un mandat de parlementaire avec de grands exécutifs, a contrario le mandat unique aboutirait inévitablement à un affaiblissement du Parlement. Voulons-nous des apparatchiks issus des partis politiques, quels qu’ils soient, des « élus hors sol » loin de la société et des préoccupations des citoyens – citoyens auxquels ils auraient d’autant moins besoin de se frotter que le scrutin proportionnel aurait fait son œuvre ?

Voulons-nous « fonctionnariser » les parlementaires qui, perdant leur représentativité citoyenne, perdraient leur rôle de contrepoids à l’égard du pouvoir exécutif ? Avec un Parlement affaibli car moins représentatif, c’est bien le pouvoir des citoyens, donc la démocratie qui s’en trouveraient affectés. En fait, à terme, en modifiant ainsi le Parlement, c’est toute la structure de la Ve République que vous voulez maltraiter ; or ni les dernières élections, ni les précédentes ne nous ont donné mandat en ce sens.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est dit, aucune donnée, aucune étude sérieuse ne permet de conclure que le non-cumul entraînerait un changement significatif dans l’activité des parlementaires.

Le projet de loi organique dont nous allons débattre, aggravé par la commission des lois,…

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Pas aggravé : enrichi !

M. Philippe Gosselin. …tend à rendre purement et simplement incompatible l’exercice d’un mandat national et celui de fonctions exécutives locales – maire, adjoint, président et vice-président – ; ranger ces différentes responsabilités sous un vocable unique de « fonctions exécutives locales » est un raccourci expéditif et inapproprié.

Il est évident qu’être maire d’une commune n’implique pas la même charge de travail ni les mêmes exigences en termes de représentation qu’un mandat d’adjoint, de président ou de vice-président de conseil régional ou général.

De même, traiter de manière identique les petites communes et les grandes villes est une aberration ! Le mandat d’un maire d’une commune de 2 000 habitants ou moins n’a rien à voir avec le mandat d’un maire d’une ville de 100 000 habitants ou plus : ce n’est pas comparable !

Sur ce point comme sur d’autres, du reste, l’étude d’impact est plutôt indigente : elle disserte, elle balaye des arguments sans vraiment rien démontrer. Il aurait été préférable, si on avait voulu un texte équilibré, d’instaurer des seuils ; mais cela était bien entendu trop simple, car ce n’est pas le consensus que vous recherchez mais le clivage ! S’il est aujourd’hui nécessaire de progresser, je ne pense pas qu’il faille aller aussi loin que ce que vous affirmez.

Pour conclure, il est regrettable que ce texte n’aborde pas la question du cumul des mandats, ou seulement pour les parlementaires nationaux et européens, d’une façon qui plus est biaisée. Cela revient à stigmatiser les représentants de la nation, et participe d’un antiparlementarisme toxique pour notre démocratie. Certains députés de la majorité voient même dans le cumul des mandats une présomption de conflit d’intérêt !

M. Michel Piron. En effet.

M. Philippe Gosselin. Le parlementaire titulaire d’un mandat local serait ainsi soupçonné de nier l’intérêt général : c’est la théorie défendue par Mme Dumont.

Si l’intérêt général n’est pas la seule addition des intérêts particuliers des différents territoires, il ne saurait résulter de la vision purement parisienne de députés qui ne sortiraient pas de leur bocal, qui ne sortiraient pas de l’hémicycle.

En traitant ainsi du cumul des mandats, à la découpe, pour les seuls parlementaires, ce projet de loi fait malheureusement l’économie d’une réflexion globale.

M. le président. Veuillez conclure.

Mme Elisabeth Pochon. Il parle depuis bien plus de cinq minutes !

M. Philippe Gosselin. Au-delà du cumul des mandats, la démocratie française a besoin d’un véritable statut de l’élu – je remercie du reste le rapporteur d’avoir eu l’amabilité de rappeler ce rapport que nous avons déposé il y a quelques semaines avec Philippe Doucet, qui vise à réformer le statut de l’élu. En nous emparant de ce texte, nous ferions œuvre utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Piron.

M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, il est des textes importants que l’écume de l’actualité peut transformer en textes de circonstances. Nous craignons qu’avec ces deux projets de loi, vous ne soyez tombés dans ce travers.

Oui, le cumul des mandats est un vrai problème ; mais pourquoi perdure-t-il depuis si longtemps ? D’abord parce qu’il est mal posé.

Oui, le cumul des mandats est un vrai problème français à l’aune des comparaisons européennes. Tout le monde ou presque en convient ; mais combien se demandent pourquoi ? Pourquoi cette exception bien française ? En effet, 82 % de députés et 77 % de sénateurs sont en situation de cumul en France, alors qu’ils sont moins de 20 % en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, et même moins de 10 % en Allemagne.

Force est d’abord de constater que dans tous les pays précités, des réformes profondes ont été accomplies voilà plus de vingt ou vingt-cinq ans – et même beaucoup plus en Allemagne, dont le système fédéral remonte à l’après-guerre et repose sur une décentralisation d’autant plus forte qu’elle a été très réfléchie.

Dans les régions de tous ces pays – qu’on les appelle Länder ou comunidades, qu’on parle de l’Écosse ou du Pays de Galles –, dans quasiment tous ces régimes, fédéraux de droit ou de fait, les trois-quarts des règles sont fabriqués par les élus territoriaux.

M. Jean-Christophe Lagarde. Exactement !

M. Michel Piron. Qu’il s’agisse d’accompagnement des entreprises ou de formation professionnelle, d’éducation voire de santé, on légifère dans toutes ces régions – je n’en demande pas tant ! – alors qu’on réglemente à peine dans les nôtres.

Or notre système apparemment mixte, vous le savez, continue de privilégier une centralisation inavouée mais toujours très prégnante dans la totalité du champ législatif et dans une grande part du champ réglementaire, à une décentralisation inachevée. Nous fabriquons ainsi en France, et contrairement à nos voisins européens, la quasi-totalité des règles au niveau national, dans cet hémicycle, celui du Sénat et au Gouvernement.

En conséquence, un élu local, par exemple un conseiller régional, n’a pas d’autre possibilité pour modifier les règles du jeu et peser sur elles que d’être également élu au niveau national.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Michel Piron. C’est vrai pour les maires de grandes villes ; c’est vrai pour les présidents des grandes agglomérations ou des régions, qui savent que non seulement l’exercice des responsabilités territoriales se fait sous des contraintes réglementaires fortes, au point d’être parfois étouffantes, mais que le seul moyen d’influer sur leur définition, c’est d’être parlementaire. Voilà qui incite, qui invite même au cumul dans notre pays !

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

M. Michel Piron. On ne peut donc pas séparer la réflexion sur le cumul de celle sur notre système de gouvernance. Et c’est bien là une invitation à franchir une étape et à aller beaucoup plus loin dans le sens de la décentralisation. Nous sommes décentralisateurs et nous savons que nous ne résoudrons pas correctement la question du cumul sans poser en même temps celle de la gouvernance en général, et celle du rapport entre les collectivités locales et l’État.

Oui, faute de vous demander pourquoi le cumul est si répandu dans notre pays, vous ne traitez pas la cause mais seulement l’effet car le cumul est, au fond, l’enfant naturel de la centralisation.

Je ne crois donc pas que ce soit au détour d’un projet de loi réducteur que l’on puisse régler une question en réalité beaucoup plus vaste et profonde.

Pire, on peut – on doit ! – craindre que ce projet de loi, dans un système de gouvernance inchangé, conduise demain à étendre toujours plus le champ législatif, au nom bien entendu des meilleures intentions, voire de l’intérêt général, et à multiplier les normes dont l’applicabilité sur les territoires est déjà souvent douteuse et contestée ; c’est le premier risque qui guette des élus nationaux certes sans entrave, mais aussi sans lest et sans contrepoids territorial.

Un second risque a été évoqué : il tient à la nature même de notre régime politique, car l’interdiction faite aux parlementaires de cumuler des mandats exécutifs locaux accroîtra encore les pouvoirs du président de la République. Ces pouvoirs, déjà exceptionnels en France, je le rappelais tout à l’heure, ont encore été renforcés par la réforme de 2000, parachevée par l’inversion du calendrier électoral.

Les députés de la majorité, dorénavant élus dans la foulée du Président de la République et pour la durée de son mandat, sont rééligibles avec lui et donc, plus fortement qu’hier, dans sa dépendance.

Parmi ces députés cependant, certains sont maires, présidents de conseil général ou régional. Leur statut d’élu ne dépend pas alors de leur seul mandat parlementaire.

Face au pouvoir exécutif, ne disposent-ils pas d’une plus grande indépendance que ceux qui sont « seulement » parlementaires ?

Aussi bien, si vous tenez, malgré tout, monsieur le ministre, mes chers collègues, à légiférer sur le seul cumul, je vous invite à bien en mesurer toutes les conséquences dans un pays fragilisé et, comme nous le savons tous, difficile à gouverner. Acceptez donc au moins que l’on tempère ce projet en autorisant certains cumuls entre mandats territoriaux et nationaux.

Ce ne serait qu’un pis-aller, sans doute, mais au moins n’aggravons pas la situation dans laquelle nous sommes – avec une réforme territoriale enlisée – et qu’à la crise économique et sociale, voire sociétale, profonde qui affecte notre pays comme d’autres en Europe, n’ajoutons pas, chez nous, les prémisses d’une crise de gouvernance majeure à venir.

C’est rien moins que cela qui nous semble ici en question. Vous ne serez donc pas surpris que le groupe UDI se prononce majoritairement contre ces deux projets de loi même si, compte tenu de l’esprit qui a animé ce texte, certains de mes collègues s’abstiendront. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tâche de législateur est parfois ardue. Dès lors qu’il s’agit de conduire une réforme qui nous concerne au premier chef, cela paraît même un objectif hors de portée.

Après avoir œuvré, parfois avec difficulté, pour une plus grande transparence de la vie publique, nous allons clarifier et limiter l’exercice de notre mandat de parlementaire.

Les restrictions au cumul des mandats n’ont jamais été conduites à l’initiative du Parlement. Ce sont des gouvernements de gauche qui se sont attelés pour l’essentiel à cet exercice périlleux et c’est à ces occasions que le Parlement semble retrouver de sa superbe pour s’opposer à l’exécutif et faire valoir ses droits. Vous conviendrez qu’il existe bien d’autres domaines, en dehors de la limitation du cumul des mandats et de la transparence de la vie politique, qui justifieraient que le Parlement s’opposât parfois à certains projets gouvernementaux. Mais c’est ainsi.

C’est en 1985 que le gouvernement de François Mitterrand a fait voter les premières restrictions, marquant ainsi un tournant majeur dans la tradition de la Ve République. Et je vous invite, comme l’a fait le rapporteur, à vous replonger dans les débats d’alors. Les arguments pour le maintien du statu quo sont toujours les mêmes : il faut cumuler pour connaître le pays réel, il faut cumuler pour être un parlementaire à part entière, il faut cumuler pour avoir cette légitimité indispensable qu’octroient nos territoires. Un parlementaire qui considère que son mandat est mieux exercé à temps plein, qu’il n’est nul besoin de collectionner les fonctions pour représenter pleinement ses électeurs, n’est aux yeux de ceux qui pratiquent le cumul avec décontraction qu’un apparatchick ou un fonctionnaire socialiste, si j’ai bien entendu ce qu’a dit mon collègue Tourret.

La loi de 1985 rendit incompatible la possibilité de présider à la fois un département et une région. Ce fut une première avancée. Le gouvernement de Lionel Jospin reprit le flambeau en 1997 afin de moderniser la vie publique. Dès la formation de son gouvernement, il invita ses ministres à céder progressivement leurs fonctions exécutives locales. Il tenta même d’aller plus loin. Mais c’est encore en raison de l’opposition du Parlement que la loi de 2000 ne fut finalement qu’un rendez-vous avorté. Elle ne fit que renforcer les règles existantes en plafonnant les indemnités et en rendant plus strictes les incompatibilités. Une même personne ne peut exercer à la tête de deux exécutifs locaux parmi les suivants : maire – les communes de moins de 3 500 habitants étant épargnées –, président de conseil général, président de conseil régional. Jacques Chirac conserva la règle en multipliant les dérogations, ouvrant ainsi la porte au retour du cumul. En 2003, le gouvernement Raffarin autorisa à nouveau un parlementaire européen à diriger un exécutif local. Mes chers collègues de l’opposition, vous conviendrez que, sur le fond de ces réformes-là, vous n’avez jamais été des réformateurs. Votre opposition au projet de loi présenté par le Gouvernement n’est donc pas une surprise.

La limitation du cumul des mandats, c’est l’engagement 48 de François Hollande sur le renforcement des pouvoirs du Parlement. II s’agit là d’un engagement fort du candidat socialiste pour répondre à la crise de la représentation.

Je l’ai dit en commission : sur la transparence et la limitation du cumul des mandats les écologistes seront les meilleurs alliés du Président de la République et du Gouvernement et de celui qui les représente ici, le ministre de l’intérieur. D’une part, parce que nous avons mis en place au sein même de notre mouvement une politique stricte de refus des cumuls et que nous considérons que la démocratie s’en porte mieux, que cela permet en effet du renouvellement, de la diversité, de la parité dans la représentation. D’autre part, parce que nous savons que la bonne volonté ne suffit pas. Nous-mêmes n’avons pas réussi à mettre un terme définitif à ces pratiques. Il nous faut donc recourir à la force de la loi. Le non-cumul des mandats est un des éléments clé pour refonder le lien à la politique et restaurer la confiance avec les citoyens.

Aujourd’hui, 58 % des députés et 59 % des sénateurs détiennent en plus de leur mandat de parlementaire une fonction exécutive locale de direction d’une collectivité territoriale ou d’un EPCI ; 468 députés et 264 sénateurs cumulent plusieurs mandats ; 8 députés sur 10 détiennent plus d’un mandat, contre une moyenne de 20 % dans le reste de l’Europe. Pour le dire autrement, seuls 105 députés et 84 sénateurs se consacrent entièrement à l’exercice de leur mandat parlementaire.

La proportion du cumul de fonctions locales avec celle de parlementaire européen est moins répandue, mais atteint la proportion de 48,6 %, soit deux fois plus que les Allemands, et quatre fois plus que les Italiens. Les chiffres du cumul dans les autres grandes démocraties européennes méritent d’être évoquées : 24 % seulement en Allemagne, 20 % en Espagne, 7 % en Italie, 3 % au Royaume-Uni.

Cette spécificité française n’est pas une fatalité. Des restrictions ont été apportées à partir de 1985, avec l’assentiment majoritaire de la population. Vous ne trouverez aucune enquête d’opinion depuis 1985 qui fait état d’une opinion favorable au cumul des mandats. Les écologistes se félicitent du vote dans ce sens par la commission de trois éléments majeurs venus renforcer le texte du Gouvernement, dont l’élargissement du périmètre de l’incompatibilité aux syndicats intercommunaux, ainsi qu’aux sociétés publiques locales et, surtout, la limitation du cumul des mandats dans le temps à trois mandats successifs.

Les écologistes souhaitent que le cumul des mandats de parlementaires, quelle que soit l’assemblée concernée, soit limité à trois mandats ; nous avons déposé un amendement en ce sens.

Le cumul des mandats dans le temps est en effet un véritable frein au renouvellement de la classe politique. Faut-il rappeler que seuls 27 % des députés sont des femmes, et que le Sénat ne compte que 22 % de sénatrices ?

L’âge moyen des députés est de 54,6 ans, Seuls 55 d’entre nous ont moins de 40 ans. La baisse de l’âge moyen par rapport à la législature précédente est d’ailleurs largement due à l’alternance et non au renouvellement effectué par les partis eux-mêmes.

Nous sommes un certain nombre, certes minoritaire, à penser que la démocratie se porte mieux lorsqu’elle est l’affaire de tous les citoyens et non pas seulement de ceux qui en sont devenus des professionnels.

Quinze ans à l’Assemblée ou au Parlement européen, dix-huit ans au Sénat : cela donne largement le temps d’apprendre, de s’affirmer dans ses fonctions.

Nous avons déposé un amendement qui va donc plus loin que celui adopté par la commission. Il nous semble essentiel que cette disposition reste dans le texte et soit validée en séance.

Le mandat de parlementaire doit être un mandat à temps plein. Nous avons donc déposé des amendements pour soutenir le mandat parlementaire unique.

Ces projets de loi nous sont présentés au même moment que les projets sur la décentralisation, qui visent à donner plus d’autonomie et de pouvoir aux collectivités territoriales. Ils permettent d’insuffler un nouveau visage à notre démocratie. Ainsi, aux réformes constitutionnelles ayant renforcé le rôle et la responsabilité des parlementaires s’ajoute le renforcement des mandats locaux.

Redonner du sens à notre démocratie, c’est également encourager les élus à s’investir pleinement dans chacun de leurs mandats, et leur permettre d’être chaque jour au plus près de leurs électeurs. À cet égard, il est d’ailleurs dommage que nous n’ayons pas pu, pas su, pas voulu aller plus loin sur la limitation de l’exercice d’activités professionnelles en parallèle du mandat parlementaire, comme nous l’avions proposé en commission et le proposerons en séance.

L’amendement de repli que nous avons déposé ouvre la possibilité de cumuler le mandat de parlementaire avec un mandat de conseiller municipal. Il nous faut en effet aller plus loin que les recommandations de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, qui établissait de très bons constats, mais s’est censurée, semble-t-il, dans ses préconisations.

Nous sommes à un moment clé de la rénovation de nos pratiques. Nous ne pouvons pas arguer que le Gouvernement ne va pas assez loin pour refuser de faire de petits pas. La question du statut de l’élu ne peut pas être un prétexte pour s’opposer au vote des projets de loi qui nous sont présentés. La question du statut de l’élu ne peut en effet être éludée. C’est à une véritable révolution culturelle que nous devons aujourd’hui nous atteler. Pour beaucoup, l’engagement politique, et parfois même associatif, constitue un frein aux carrières professionnelles. L’instauration d’un statut de l’élu permettra de créer des conditions et un climat plus favorables à l’engagement des citoyens dans la vie publique.

Enfin, nous soutiendrons par voie d’amendement la proposition d’un changement de calendrier. Nous avons entendu les préconisations du conseil d’État, ainsi que la jurisprudence en la matière. Nous ne demandons donc pas une application immédiate de la limitation du cumul des mandats, mais l’application la plus rapide possible, soit dès le renouvellement des mandats en cours, c’est-à-dire en 2014. Je crois que les citoyens attendent que nous rénovions le fonctionnement de notre démocratie. Il est temps que le Parlement donne un signal fort à la population. Mes chers collègues, il nous faut répondre aujourd’hui positivement à ce rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, je tiens d’emblée à apporter une précision. Ces propos ne sont pas un plaidoyer pro domo ou la défense d’une cause personnelle. En effet, si j’ai été longtemps à la fois député du Val-de-Marne et maire de Villeneuve-Saint-Georges – mea maxima culpa –, j’ai volontairement choisi de n’être plus candidat aux dernières élections municipales et je détiens donc aujourd’hui un mandat unique, celui de parlementaire.

Comme vient de le rappeler Sergio Coronado, avant 1985 le cumul des mandats était sans limite. Au sommet de la hiérarchie politique, il n’était alors pas rare d’être à la fois maire, président de conseil général ou régional, administrateur d’établissements publics locaux, député ou sénateur, et membre du Parlement européen. Certains de ces hommes-orchestres étaient sans doute des virtuoses. Mais, pour beaucoup d’autres, comment exercer à la fois, avec une pleine efficacité, autant de responsabilités distinctes ?

Ce cumul des mandats alors sans limitation pouvait avoir un effet négatif : le risque du localisme, d’une vision principalement locale de la vie publique, prêtant davantage d’attention aux questions locales qu’aux grandes questions nationales. Avec ce cumul non limité entre mandat parlementaire et fonctions locales, tel député ou tel sénateur pouvait être tenté de laisser la charge essentielle de la politique nationale à l’exécutif pour se consacrer surtout aux problèmes de son territoire. Par ailleurs, ces charges nombreuses et absorbantes devenaient chronophages. Elles provoquaient un manque de disponibilité avec, parfois, une assiduité limitée au Parlement et une connaissance trop rapide des dossiers, pour pouvoir contrôler vraiment l’exécutif, appuyé sur la technocratie administrative.

Il ne s’agissait pas, bien sûr, de prohiber tout cumul. Mais, à l’évidence, il convenait de le limiter pour éviter des excès qui pouvaient nuire à l’exercice de la fonction parlementaire.

À l’initiative de deux Gouvernements de gauche, les gouvernements Fabius et Jospin, auxquels j’ai appartenu, les lois organiques du 30 décembre 1985, puis du 5 avril 2000 ont légitimement instauré une limitation de ce cumul. Elles ont établi une situation mesurée et équilibrée qu’il convient de maintenir.

En revanche, le nouveau projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui interdit radicalement le cumul du mandat de député ou de sénateur avec des fonctions exécutives. Une prohibition de ce type paraît présenter plus d’inconvénients que d’avantages.

En effet, il est utile de pouvoir exercer à la fois un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale. Le fait d’être maire, par exemple, place au contact direct des préoccupations de ses concitoyens, de ce qui concerne leur vie de tous les jours : le logement, les transports, l’école, la santé, l’action sociale, etc. Cet enracinement dans les réalités quotidiennes permet d’être, au Parlement, un législateur mieux informé donc plus efficace.

Certes, selon le présent projet de loi, les députés et sénateurs pourront continuer à exercer « un mandat local simple ». Toutefois, la fonction de maire, de président de conseil général ou régional assure une connaissance plus générale, plus globale des divers domaines d’action des collectivités concernées.

Au demeurant, des responsables politiques de premier plan ont jugé possible de cumuler un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale. J’en mentionnerai seulement deux, un de chaque côté.

L’un a été député de la Gironde et maire de Bordeaux, tout en présidant par ailleurs l’UMP – ce qui n’apparaît guère comme une fonction de tout repos. L’autre a été député de la Corrèze et maire de Tulle ou président du conseil général, tout en étant, par ailleurs, premier secrétaire du PS – ce qui, dit-on, n’est pas une sinécure… Cela ne les a pas empêchés d’être l’un et l’autre des parlementaires très actifs.

Deuxième point : la désignation des parlementaires doit prendre en compte leur implantation locale, sans dépendre principalement des appareils de parti. Sinon, à terme, le Parlement risque de comporter surtout des élus issus des états-majors partisans ou des cabinets ministériels, plutôt que des parlementaires venus de la vie publique locale, restés en relation directe avec leurs concitoyens et leurs préoccupations quotidiennes. Ce qui conduirait à un autre type de Parlement.

Par ailleurs, ne plus admettre la compatibilité du mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale risquerait de fausser l’équilibre institutionnel entre le législatif et l’exécutif. En effet, la présence au Parlement de maires de grandes villes et de présidents de conseil général ou régional, disposant d’une audience importante et d’une existence politique autonome, contribue à l’autorité du Parlement par rapport à l’exécutif.

En revanche, cet équilibre des pouvoirs risque d’être remis en cause si le Gouvernement ne trouve plus en face de lui, au Parlement, des élus ayant cette influence et cette indépendance.

La Ve République s’est toujours caractérisée par un déséquilibre au profit de l’exécutif : il importe de ne pas l’aggraver et de ne pas rendre le Parlement moins représentatif et influent qu’aujourd’hui.

Enfin, les États qui n’admettent pas ou ne pratiquent pas le cumul entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale sont très généralement ceux où les collectivités de base et leurs dirigeants disposent de prérogatives considérables, qu’il s’agisse d’États à forte décentralisation ou, a fortiori, d’États fédéraux. Dans ce cas, les responsables d’entités décentralisées ou fédérées détiennent de très importants pouvoirs et disposent donc, de ce fait, d’une moindre disponibilité qu’un président de conseil général ou régional en France.

En dernier lieu, si une réforme du régime des incompatibilités intervenait, elle devrait logiquement commencer par le commencement et se conformer à la hiérarchie des normes juridiques, en révisant d’abord l’article 23 de la Constitution relatif aux incompatibilités qui concernent les membres du Gouvernement, avant de modifier les lois relatives aux parlementaires.

En effet, actuellement, au plan juridique, rien n’interdirait à un ministre d’exercer simultanément une fonction exécutive locale, alors qu’il serait très préférable qu’il se consacre exclusivement à sa fonction gouvernementale.

Si, en pratique, depuis mai 2012, aucun ministre n’exerce une fonction exécutive locale, il importerait, pour assurer la pérennité de ce non-cumul, d’inscrire une interdiction dans la Constitution. Cela constituerait un préalable nécessaire à d’autres modifications éventuelles du régime des incompatibilités.

Autre point à mentionner : le non-cumul des indemnités. Si le cumul du mandat parlementaire et d’une fonction exécutive locale continuait d’être autorisé, il serait très souhaitable que le cumul des indemnités liées à ces deux fonctions soit désormais interdit, de manière à dissiper une ambiguïté et à bien faire comprendre que si certains parlementaires souhaitent détenir un mandat local, ce n’est pas par intérêt financier, mais par conviction.

Enfin, ce texte modifie très profondément les règles de remplacement des parlementaires et prévoit notamment qu’en cas de démission pour incompatibilité, ceux-ci seront remplacés par leur suppléant.

Actuellement, en dehors de cinq cas énumérés dans la loi organique, cela n’est pas possible. Si un député décide de renoncer à son mandat parlementaire, il ne peut être fait appel à son suppléant pour le remplacer. Une élection partielle doit être organisée.

En revanche, l’article 3 du présent projet de loi organique prévoit que, désormais, un député se trouvant en situation de cumul et choisissant d’opter pour sa fonction locale sera remplacé par son suppléant.

Cette nouvelle disposition semble doublement inopportune. D’une part, il paraît difficilement envisageable de changer les règles relatives au remplacement des députés en cours de législature. D’autre part – et l’étude d’impact le souligne – ces nouvelles règles de remplacement seraient établies pour éviter « l’organisation d’un grand nombre d’élections partielles ». Il y a là une sorte de volonté d’évitement du suffrage universel qui n’est guère conforme à la démocratie.

Pour terminer, le cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction élective locale n’est pas aussi généralisé ou fréquent qu’on le croit. L’étude d’impact accompagnant ce texte l’indique : 42 % des députés et 41 % des sénateurs n’exercent aucune fonction exécutive locale. Et cela par leur propre choix. Sans qu’il ait été besoin de les y contraindre par la loi.

Après tout, si on est favorable au non-cumul, pourquoi faudrait-il absolument compter sur une loi pour le mettre en pratique ? Et pourquoi ne pas l’appliquer directement soi-même à soi-même, sans s’en remettre à une loi qui, de surcroît, ne s’appliquerait que dans quatre ans ?

Monsieur le ministre, quelle que soit l’estime que nous avons pour vous-même et pour votre action, nous voterons contre ce projet de loi, qui nous paraît comporter des interdictions trop générales et trop automatiques. Certes, il n’est plus interdit d’interdire, mais il n’est pas souhaitable, non plus, d’accumuler les prohibitions, les interdictions, les injonctions, surtout quand il s’agit de la vie publique, espace de liberté.

Au lieu d’établir telle ou telle interdiction, il est préférable de laisser le suffrage universel se déterminer par lui-même, sans être contraint. Le libre choix des électeurs doit être la règle fondamentale en démocratie. Il faut nous rappeler de ce que Lamartine disait ici même, dans cet hémicycle : « Le suffrage universel est donc la démocratie elle-même. » (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Iborra.

Mme Monique Iborra. Nous examinons aujourd’hui un texte que la majorité des Français attendent, doutant cependant que les parlementaires que nous sommes – députés mais aussi sénateurs – franchissent le pas, se réformant ainsi de l’intérieur. C’est donc sous le regard de nos concitoyens que nous légiférons aujourd’hui. Sans doute faut-il rappeler que la limitation du cumul des mandats a toujours été défendue par la gauche. Seule la gauche a légiféré sur le sujet. Que la droite aujourd’hui s’inscrive en faux est un non-événement, ce n’est pas une surprise. Personne ne pensait que nos collègues à droite, sauf quelques-uns qui ont d’ailleurs été cités, voteraient la limitation du cumul des mandats.

M. Christian Jacob. Il n’y a pas de risque, en effet !

Mme Monique Iborra. Il est plus facile de se montrer réformiste pour les autres et de se protéger soi-même des réformes qui pourraient bousculer le paysage institutionnel.

Ce texte répond à l’engagement du Président de la République, oui : nous devons donc le mettre en œuvre. Les députés de la majorité actuelle se sont par ailleurs engagés, lors de leur désignation, à renoncer à un exécutif local. Un an après l’élection présidentielle, nous légiférons sur le sujet. Certains diront que nous sommes au pied du mur. En fait, nous ne sommes pas au pied du mur : nous agissons avec courage et détermination, dans le respect de nos engagements, et un nombre important d’entre nous a déjà démissionné d’un mandat exécutif local. Il convient cependant de ne pas hiérarchiser les mandats, mais bien de redéfinir et de renforcer le rôle du Parlement, qui se trouvera forcément modifié dans un sens plus exigeant pour l’intérêt général, en cohérence avec les engagements pris au moment des candidatures.

Il me paraît incontestable, cependant, que l’exercice d’un mandat local, l’expérience du fonctionnement d’une collectivité, l’expérience de l’action de proximité, restent des acquis et des avantages importants pour l’exercice d’un mandat parlementaire. Mais rien ne justifie la concomitance d’un mandat local et d’un mandat parlementaire, les deux pouvant parfaitement être dissociés dans le temps, ce qui éviterait les conflits que nous pouvons connaître entre des intérêts locaux et l’intérêt général.

Le Parlement ne peut être un lieu où s’expriment d’abord les lobbies de toute nature. Il est faux de dire que seul un mandat exécutif local, exercé concomitamment avec un mandat local, peut garantir l’action de terrain, sous réserve que nous modifiions notre type d’intervention dans nos circonscriptions et que nos rapports avec les élus locaux soient constructifs, respectueux des responsabilités et du rôle de chacun.

Il s’agira donc, nous le voyons bien, d’une redéfinition du rôle de chacun, qui nécessite d’ailleurs une clarification des compétences entre les collectivités, mais aussi du rôle du Parlement et de ses principes d’intervention.

Pour certains, les parlementaires peuvent être confondus avec des experts, des technocrates. En fait, la technocratie domine quand les élus sont absents. C’est bien la priorité du politique qui doit s’affirmer par rapport aux gestionnaires ou à la technocratie. C’est la démocratie qui doit pouvoir sortir renforcée et avec elle, les citoyens.

Enfin, personnellement, j’aurai un regret : que l’application de la loi ne vienne pas avant 2017. J’en comprends les raisons constitutionnelles, mais je pense que la promulgation de la loi devra aller de pair avec l’information de nos concitoyens. C’est une exigence démocratique. C’est faire le pari du politique, c’est faire le pari de la rénovation.

C’est également le pari de la reconquête, pour rendre à nos concitoyens confiance en l’action publique, en l’action politique. Parce que nous ne pouvons décevoir ceux qui nous regardent et nous écoutent, nous voterons majoritairement ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Poser la question de la place des parlementaires dans nos institutions n’est pas une impertinence. Le faire de la manière que votre Gouvernement a choisie n’est pas en soi une insulte à la République. Mais nous regrettons très profondément le sens, ou plutôt l’absence de sens qui caractérise cette réforme, marquée par ce que j’appellerai la stratégie de l’axiome : vous partez d’un certain nombre d’informations auxquelles vous donnez l’onction de la modernité, de la rénovation, et vous avez tout dit.

Et vous habillez tout ceci de la certitude – dans laquelle vous voulez enfermer la représentation nationale et les élus dans leur ensemble – que les Français attendraient avec une impatience devenue insoutenable que l’on mît fin – enfin ! – à ce que vous décrivez, mais sans jamais le démontrer, comme une incongruité : le parlementaire qui exerce concomitamment à son mandat une fonction exécutive locale. Là est votre erreur : aucun de vos arguments n’est réellement concluant et aucun ne résiste durablement à l’analyse et à la contre-expérience.

Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre : nombreux sont ceux qui, comme vous, ont été capables, sans être un génie et sans négliger leurs mandats, d’assumer en même temps d’importantes fonctions, et plutôt bien, à l’échelle nationale autant qu’au niveau local. Et s’ils l’ont fait, c’est qu’il y a une tradition dans notre République, vous le savez bien, et cette tradition n’est pas méprisable qui voit l’émergence d’élus locaux qui, ensuite, forts de la double confiance de leurs concitoyens et du parti auquel ils appartiennent, ont pu donner le meilleur d’eux-mêmes au service de leurs idées, de leur parti et de la République.

Pourquoi vouloir à tout prix – quitte à le reporter habilement à 2017 pour ne mécontenter personne dans votre camp – imposer définitivement, puisque vous prétendez que personne n’y reviendra, l’idée selon laquelle il serait moderne et utile à la République de ne cumuler aucun mandat exécutif local avec la fonction parlementaire ?

Tout ceci est bien regrettable. Nous aurons l’occasion d’en discuter un peu plus au fond à l’occasion de l’examen des articles et des amendements. Permettez-moi néanmoins, pour conclure, d’affirmer que vous auriez été probablement plus crédibles si vous aviez accepté de présenter vos intentions d’une manière globale, cohérente, lisible car nous, nous avons bien compris ce que vous avez à l’esprit, et que vous avez le droit d’avoir à l’esprit mais que vous devriez revendiquer.

Ce que vous voulez, c’est changer l’élu de la République.

Mme Elisabeth Pochon. Ça, c’est vrai !

M. Guy Geoffroy. Vous voulez changer la représentation parlementaire, lui donner une autre forme. Vous avez à vous en expliquer et vous devez, pourquoi pas, essayer de convaincre. Vous avez commencé, avec la loi dite de modernisation et de moralisation de la vie publique, la loi sur la transparence, à vouloir faire des élus de la République quelque nouveauté qui échapperait au contexte dans lequel nous évoluons. Vous voulez ensuite, avec le mandat unique – votre objectif final –, sérier la représentation nationale entre les territoires puis entre l’usage local et l’usage national. Vous voulez, ensuite, ajouter cette dose de proportionnelle – mais dans quelle mesure ? – qui mettra davantage encore entre les mains des partis les élus de la République que nous sommes.

Nous ne parlons pas de la même République. Vous avez peut-être le droit d’en vouloir une autre mais dites-nous laquelle ! Nous sommes pour notre part profondément attachés à la Ve République, à ses équilibres, à la responsabilité qu’elle a permis à chacun d’entre nous d’exercer au fil du temps. Pour ces raisons, sans dénier à ce débat sa pertinence, vous auriez mieux fait de prendre le temps d’une réflexion globale avec comme base et non pas comme conséquence éventuelle, le statut de l’élu. Vous ne l’avez pas voulu, campant sur le dogme du respect absolu de vos engagements que vous balayez par ailleurs, quand cela vous est confortable.

En agissant ainsi, plutôt que d’avoir amélioré le fonctionnement démocratique de nos institutions, vous allez donner un coup malheureusement fatal aux savants équilibres de la Ve République à laquelle, pourtant, monsieur le ministre, je vous sais beaucoup plus attaché que ne le laisse paraître votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Murmures sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Gilles Bourdouleix.

M. Gilles Bourdouleix. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il faut saluer toute initiative qui entend réformer les situations de cumul des mandats et des fonctions ; le chantier est complexe et mérite une analyse fine. Hélas, le Gouvernement nous livre ici un brouillon simpliste.

On nous parle d’exemples étrangers. En réalité, il y a très peu d’interdiction dans les autres pays mais des habitudes, souvent en lien avec l’organisation étatique, comme le rappelait très justement notre collègue Piron.

On nous parle de sondages. Sur le plan collectif, peut-être que les Français disent non au cumul parce qu’on leur évoque de façon péjorative les cumulards et le cumul des indemnités ; mais, sur le plan individuel, constatons qu’ils élisent et réélisent des élus qui cumulent les mandats.

On nous parle de promesse électorale – je crois que c’est la quarante-huitième. Il est tellement plus facile en effet de tenir des promesses qui ne coûtent rien, comme le mariage pour les couples homosexuels, il y a quelques mois, comme le non-cumul des mandats aujourd’hui. Mais ne pas augmenter les impôts, ne pas augmenter la TVA, ne pas augmenter les déficits publics, voilà des promesses qui demandent beaucoup de volonté et de courage pour être tenues. Or je regrette, pour les Français, que le Gouvernement et la majorité soient à cet égard aux abonnés absents.

On nous parle de la révision constitutionnelle de juillet 2008. C’est un comble que cette réforme rejetée par l’opposition d’hier soit l’alibi de cette opposition devenue majorité pour nous présenter un texte qui repose in fine sur une série d’absurdités au sens littéral du terme.

Absurdité dans l’organisation du non-cumul : on ne prend en compte que le mandat parlementaire et on ne retient que les exécutifs des collectivités. Un député pourra être conseiller régional,…

M. Jean-Christophe Lagarde. Eh oui !

M. Gilles Bourdouleix. …membre de la commission permanente et devoir faire 150 kilomètres par semaine jusqu’à la capitale régionale ; en revanche, il ne pourra pas être maire d’une commune de sa circonscription.

M. Jean-Christophe Lagarde. Eh non !

M. Gilles Bourdouleix. On ne prévoit rien pour le cumul entre mandats locaux. Un président de conseil général pourra continuer à être vice-président du conseil régional.

M. Guy Geoffroy. Inconvénient qu’eût évité l’application de la réforme du conseiller territorial !

M. Gilles Bourdouleix. Le résultat est que d’ici à deux ou trois législatures nous aurons une Assemblée totalement composée d’apparatchiks…

M. Alexis Bachelay. Oh !

M. Gilles Bourdouleix. …choisis par les partis politiques et élus sur leur seule étiquette partisane en fonction du résultat de l’élection présidentielle dont on sait qu’elle joue un rôle déterminant dans le résultat des élections législatives. Des élus qui pourront, au demeurant, pratiquer un nomadisme électoral au gré des opportunités – je ne vise personne.

Et que dire de l’abandon quelque part entre Paris et Versailles – le président Schwarztenberg le rappelait très justement tout à l’heure – de la révision constitutionnelle qui aurait rendu incompatible la fonction ministérielle et un exécutif local, même si c’est actuellement une pratique ?

Absurdité dans la logique de vos arguments pour interdire le cumul, de vouloir appliquer la loi aux deux assemblées : le Sénat, qui représente, en application de la Constitution, les collectivités territoriales, ne comportera plus de sénateurs exerçant des responsabilités dans un exécutif local. En ajoutant l’élargissement de la proportionnelle aux élections sénatoriales, nous aurons à moyen terme une deuxième assemblée d’apparatchiks. Alors ayez le courage de votre logique : supprimez carrément le Sénat.

M. Jean-Christophe Lagarde. Eh oui !

M. Gilles Bourdouleix. Absurdité dans la condamnation du passé récent. Parce qu’ils étaient cumulards, il y a encore quinze mois, M. Hollande, M. Ayrault, M. Bartolone, M. Valls étaient-ils de mauvais élus ? C’est ce que je déduis des arguments de certains défenseurs du non-cumul. Je suis décidément inquiet pour la France puisque c’est entre leurs mains que repose, à court terme, l’avenir de la France.

Absurdité dans l’incapacité d’aller jusqu’au bout d’une réforme : le mode de scrutin des députés les obligera toujours à une présence hebdomadaire dans leur circonscription. Qui s’interroge plutôt sur l’organisation du travail dans nos assemblées ? Qui s’interroge sur la différence entre le député qui exerce des responsabilités particulières à l’Assemblée nationale et le député de base ? Qui s’interroge sur notre capacité à résister au pouvoir de la technocratie ? Comme le professeur Gicquel l’indiquait en 1998 : « Le cumul apparaît comme le meilleur moyen de lutter contre la technocratie. Un élu, fort de son expérience au plan local, peut résister à l’argument d’autorité des technocrates et développer une autre approche des problèmes. » Sages paroles !

Absurdité dans le caractère totalement liberticide de ce texte : on tue la liberté des élus et des électeurs. Un élu est contre le cumul, il ne cumule pas. Un élu est favorable au cumul, laissons-le cumuler et organiser sa vie pour assumer ses mandats. La décision finale doit revenir aux électeurs qui choisiront en toute liberté s’ils acceptent le cumul pour le candidat à leurs suffrages.

Absurdité suprême que l’amendement adopté en commission visant à limiter le nombre des mandats à trois successifs. Examinons l’Histoire et qu’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit d’une autre époque. Le Tigre n’aurait jamais rugi : Georges Clemenceau aurait été médecin de campagne en 1917. L’archange de la Paix n’aurait pas déployé ses ailes et reçu le prix Nobel : Aristide Briand serait redevenu depuis longtemps avocat en 1929.

Mme Chaynesse Khirouni. Des hommes, encore des hommes !

M. Gilles Bourdouleix. Léon Blum n’aurait pas conduit le Front Populaire en 1936.

Mme Chaynesse Khirouni. Et un troisième homme !

M. Gilles Bourdouleix. Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande…

Mme Chaynesse Khirouni. Toujours des hommes !

Mme Elisabeth Pochon. Il pourrait au moins évoquer Simone Veil et Roselyne Bachelot !

M. Gilles Bourdouleix. …n’auraient sans doute jamais été Présidents de la République puisqu’on les aurait mis à la retraite depuis un certain temps.

Il y avait beaucoup à faire sur la question du cumul, mais avec une réflexion approfondie, pas avec cette approche caricaturale. Il est dommage, finalement, que le Gouvernement et sa majorité n’aient pas décidé de supprimer un cumul qui fait tant de mal à la France et aux Français :…

Mme Chaynesse Khirouni. Et aux femmes !

M. Gilles Bourdouleix. …le cumul de ces absurdités que je viens de dénoncer. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Chaynesse Khirouni. Moi je suis pour le cumul des tâches ménagères et la prise en charge partagée des enfants le mercredi !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Monsieur le Président, monsieur le ministre, chers collègues, j’aimerais comprendre. J’aimerais comprendre comment il est possible de cumuler. Je suis députée depuis un an et ma semaine classique se déroule ainsi :

Le lundi, je reçois à ma permanence des particuliers, des associations, des élus. Je me déplace aussi dans quelques-unes des cent soixante et une communes de ma circonscription.

Le mardi, j’arrive à l’Assemblée nationale. Je participe à la réunion de mon groupe, à la séance de questions au Gouvernement – dont j’apprécierais d’ailleurs qu’elle se déroule dans le calme, ne serait-ce que pour entendre les députés et les ministres qui s’expriment.

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous avez raison !

Mme Isabelle Attard. Le mercredi, je participe aux travaux de ma commission, ainsi qu’aux séances. Je reçois aussi des personnes qui en font la demande. Ces rendez-vous m’aident à mieux comprendre les nuances des textes qui nous sont présentés.

Le jeudi est partagé entre l’Assemblée nationale et ma circonscription.

Le vendredi est similaire au lundi, sauf qu’il faut bien caser une petite réunion d’équipe faute de quoi elle ne tiendra pas très longtemps.

Tous les week-ends, je participe à des événements tels que des commémorations, des repas des anciens, des inaugurations.

Je sais que tout cela est très banal, que c’est notre quotidien à tous. Mais lorsque j’ai raconté cela à quelques journalistes, je me suis retrouvée caricaturée en Wonder Woman.

M. Christian Jacob. Une nouvelle Karine Berger ? (Sourires.)

Mme Isabelle Attard. Ce n’est pourtant pas ainsi que je me vois. J’ai simplement l’impression de remplir les fonctions que les électeurs m’ont confiées, au mieux de mes capacités.

J’aimerais comprendre comment, dans cet agenda, il me serait possible d’être à la tête d’une mairie, d’un conseil général ou d’un conseil régional – concrètement. Une journée ne dure que vingt-quatre heures, il y a donc forcément une partie des mandats qui sont délaissés.

Je ne vois qu’une seule possibilité pour expliquer le cumul : les cumulards disposent de capacités qui manquent au commun des mortels.

M. Joël Giraud. Eh oui !

Mme Isabelle Attard. Peut-être sont-ils capables de se déplacer du Parlement à leur circonscription en bondissant entre les immeubles, tel Spiderman ? (Sourires.) Ou peut-être peuvent-ils travailler le jour comme la nuit, à la façon de Batman ? (Nouveaux sourires.) À moins que les murs et les plafonds ne soient pas un obstacle pour eux, à la manière du Passe-muraille de Marcel Aymé…

Mme Colette Capdevielle. Très bien !

Mme Isabelle Attard. Trêve de plaisanterie. Le mythe du surhomme politique n’a que trop duré.

J’entends déjà les réponses à mes propos, les mots magiques comme le fameux ancrage local. Ces mots ont justifié bien des abus. Mais si j’étais maire d’une des communes de ma circonscription, comment pourrais-je m’intéresser également aux cent soixante autres ? Comment ne serais-je pas tentée de favoriser ma commune au détriment des autres ? La presse regorge en ce moment d’usages plus que douteux de la réserve parlementaire. (« Oh oui ! » sur les bancs du groupe écologiste.)

Mettre fin au cumul, c’est réduire considérablement les conflits d’intérêts, donc mieux servir l’intérêt général.

Il y a un point qui ne relève pas de la loi, mais de l’organisation interne de l’Assemblée nationale. Il est évident que les parlementaires cumulards utilisent les ressources de leur collectivité locale pour compléter les moyens de fonctionnement accordés aux parlementaires. Combien de parlementaires ont leur secrétariat dans leur mairie ?

M. Sergio Coronado. Très juste !

Mme Isabelle Attard. Or, nous devrions tous être à égalité face aux tâches et aux responsabilités qui nous incombent.

Mme Elisabeth Pochon. Absolument !

Mme Isabelle Attard. Lorsque la loi sera mise en application, il appartiendra aux futurs parlementaires de réfléchir aux moyens indispensables à leur travail. Cela passera probablement par l’augmentation du crédit collaborateur et de l’IRFM, l’indemnité représentative de frais de mandat.

Enfin, le renouvellement de la classe politique ne doit pas être un vain mot. Il m’arrive de réécouter les délicieux réquisitoires du « Tribunal des flagrants délires » de Pierre Desproges. Rappelons que cette émission s’est arrêtée en 1983. Or, trente ans plus tard, une part importante des personnalités politiques alors évoquées sont toujours en poste. Il est temps de passer des paroles aux actes, et de contraindre au renouvellement de la classe politique.

Il n’y a aucune raison logique pour qu’il y ait moins de talent politique au XXIe siècle qu’au XXe. C’est pourquoi les écologistes ont déposé un amendement qui vise à limiter, pour chaque citoyen, le nombre des mandats parlementaires à trois, qu’ils soient successifs ou non. Nous parlons là d’au moins quinze années consacrées à l’élaboration des lois de notre pays et de l’union européenne. C’est quasiment la moitié d’une vie professionnelle.

Cela me paraît bien suffisant pour garantir à nos concitoyens un parlement composé de représentants motivés, énergiques, et suffisamment proches du reste des Français pour les représenter. À défaut, le texte issu de la commission, qui limite à trois mandats successifs, est déjà une belle avancée.

Vous l’aurez compris, ce projet, même si je souhaiterais le voir aller plus loin sur quelques points, est un grand progrès pour notre démocratie. Il correspond aux attentes de nos concitoyens, ainsi qu’à l’accord signé entre le parti socialiste et Europe Écologie Les Verts en 2011.

J’espère donc qu’il sortira de nos débats encore meilleur, et que j’aurai la fierté de le voter des deux mains, avec vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud.

M. Jean-Christophe Lagarde. La sagesse de la montagne ! (Sourires.)

M. Joël Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous vivons depuis quelque temps une curieuse époque de la vie parlementaire française.

Il y a quelques jours, nous planchions sur la transparence de la vie publique. Parce que l’un d’entre nous avait fauté, il fallait expier collectivement, il fallait que l’acte de contrition soit public et, pourquoi pas, que chacun d’entre nous s’adjoigne un télé-évangéliste afin que le repentir de l’un devienne la repentance de tous, dans un État pourtant laïc.

Ce faisant, nous avons surtout inventé un système en défaveur des fonctionnaires devenant députés, au lieu d’améliorer l’accès de tous aux fonctions électives en travaillant sur un vrai statut de l’élu. Cela suggère que bien des maux dus aux dérapages éthiques des élus viendraient du fait qu’ils sont fonctionnaires, et pas chirurgiens esthétique – métier qui ne relève pas encore du statut de la fonction publique. (Sourires.)

M. Sergio Coronado. Quelle attaque !

M. Joël Giraud. Nous passons aujourd’hui à une deuxième phase, celle du cumul des mandats. Sur fond de déclarations poujadistes, et toujours sans avoir travaillé sur le statut de l’élu, le responsable de tous les maux de la société est désigné à la vindicte populaire. Le député maire est pourtant l’un des piliers de notre système démocratique, qui s’est construit sur cette double fonction, la France n’étant pas un pays fédéral.

Dans d’autres pays, comme l’Allemagne – qui, comme c’est curieux, n’a pas été prise pour modèle cette fois –, le cumul est la règle. Outre-Rhin, dans cet État pourtant fédéral, il faut être conseiller régional pour être sénateur. Les présidents des Länder cumulent tous une fonction exécutive et un mandat de parlementaire, s’ils les exercent dans le même Land.

En France, on pourrait être conseiller régional à Toulouse et député de Paris – à moins que ce ne soit l’inverse ; mais on ne peut surtout pas être député-maire, la nouvelle version des Versets sataniques ayant entraîné une fatwa,...

M. Sergio Coronado. Ça dérape ! (Sourires.)

M. Joël Giraud. …on crie haro sur l’infidèle ! Pourtant, celui qui se coltine au quotidien les conséquences, sur sa commune et ses concitoyens dont il est si proche, des textes qu’il vote, aurait pu ne pas être godillot et exprimer un point de vue différent, celui d’un pratiquant au quotidien de son territoire.

Mais retournons en Allemagne. Le cumul entre le mandat de député et la fonction de maire d’une petite commune, si elle est exercée à titre bénévole, est possible. Étonnant, non ? C’est qu’il s’agit là de l’éthique du non-cumul des indemnités, un non-cumul que les élus radicaux de gauche ont toujours demandé. Une telle avancée serait de nature à faire comprendre aux Français que la chose publique ne constitue pas pour certains un refuge pour cumuler des rémunérations. Mais, et c’est là que réside tout le problème, le texte n’évoque pas le cumul des indemnités.

Ainsi, le député pourra-t-il cumuler allègrement ses indemnités avec celles de conseiller régional membre de la commission permanente. Il pourra aussi être député et conseiller départemental d’un canton rural presque aussi grand que sa circonscription, ce qui, au passage, détruit l’argument du rapporteur sur le député à temps plein. En revanche, il ne pourra être député et maire à titre bénévole d’une commune de 200 habitants. Cherchez l’erreur !

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Joël Giraud. Plus grave, le cumul des mandats locaux, qui conduit à quelques féodalités bien installées, voire à des confusions des genres encore plus organisées lorsque le maire d’une grande ville préside l’agglomération – bientôt la métropole – ainsi que toutes les sociétés d’économie mixte et toutes les sociétés publiques locales possibles et imaginables, sera non seulement autorisé, mais pratiquement encouragé. Où sont vraiment les conflits d’intérêts ?

Lorsque l’on parle de vertu, l’on cache souvent les vices. Vous auriez proposé un texte sur le mandat unique, cela aurait eu une logique, et je l’aurais voté à titre personnel.

M. Sergio Coronado. Votez donc notre amendement, cher collègue !

M. Joël Giraud. Mais il n’y a dans ce texte ni logique ni éthique. En voulez-vous encore une preuve ? Que le suppléant puisse se substituer au député-maire, si celui-ci a souhaité privilégier sa fonction locale – ce qui évite un nouveau passage devant les électeurs – constitue un déni de démocratie.

Où est l’éthique dans tout cela ? Vous voulez seulement évacuer du paysage politique une catégorie d’élus, celle des députés-maires et des sénateurs-maires, quand bien même ils exercent à titre bénévole dans un village. À ce compte, vous devriez interdire aussi aux maires de travailler : il n’y aurait ainsi plus que des retraités à la tête des communes de France.

Les radicaux de gauche n’acceptent pas cette vision de la société et invitent tous ceux qui, au-delà de leurs opinions politiques, veulent simplement s’élever contre ce simulacre de démocratie, à faire de même. Méditez bien cet adage : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, une fois n’est pas coutume, vous tenez l’une de vos promesses !

Il est vrai que s’il avait fallu compter sur l’autorité de Martine Aubry, qui, il y a quelques mois, exhortait les cumulards de la majorité à démissionner, nous aurions dû attendre longtemps. Aussi, je me félicite de l’examen de ce projet de loi.

Toutefois, il est regrettable que l’une des rares promesses à laquelle vous soyez fidèles ne prenne effet qu’à la fin du mandat de François Hollande, en 2017. Assez légitimement, les Français risquent de vous soupçonner de ne faire qu’une loi d’affichage, dont vous savez qu’elle sera immédiatement abrogée si – par malheur – l’UMP revenait aux affaires.

Ainsi, chaque fois que l’occasion vous est donnée d’envoyer un message fort de réconciliation avec les attentes du peuple français, vous vous dérobez. Il en a été ainsi pour la séparation des activités bancaires, totalement factice, ou pour la transparence de la vie politique, vidée de sa substance.

Cette réforme répond néanmoins à une nécessité criante, due aux évolutions de nos institutions. La décentralisation, la libre administration des collectivités territoriale et l’évolution des mandats locaux nous amènent inéluctablement à repenser le modèle spécifiquement français qu’est la tradition du cumul.

Aujourd’hui, la fonction de maire a largement évolué : elle demande une disponibilité importante mais aussi des compétences administratives, juridiques, financières ou encore de gestion des ressources humaines.

Prévoir un seuil d’habitants à partir duquel il serait possible d’être parlementaire et maire serait inefficace, car les petites communes, majoritaires, impliquent assez paradoxalement une charge de travail supérieure, les services étant moins importants.

La lutte contre l’absentéisme parlementaire passe donc par cette réforme. Même s’il n’est pas illogique qu’un Parlement vidé peu à peu de ses compétences se vide peu à peu de ses élus…

Du point de vue de l’Assemblée, les ordres du jour chargés, la technicité des dossiers qui nous sont soumis ne peuvent qu’entraîner une délégation des responsabilités par les cumulards.

Je sais que certains considèrent que lorsque l’on est déjà député, maire et président d’un parti politique, l’on peut encore prodiguer des conseils en tant qu’avocat… Mais M. Copé a découvert il y a quelques semaines que finalement, il ne pouvait tout faire, faute de temps.

L’argument principal de l’UMP, celui de la prise en compte des réalités locales, ne tient pas. Seuls seront concernés les cumuls avec les exécutifs locaux : il sera toujours possible d’être parlementaire et conseiller régional par exemple. Par ailleurs, l’existence du Sénat a justement pour objet la représentation des collectivités territoriales, même si cela n’est plus vraiment perceptible aujourd’hui.

C’est éviter bien des confusions que de cantonner chacun à son rôle. Trop souvent, le député est sollicité pour des raisons relevant de compétences locales. Or, le député représente la nation, il est censé raisonner pour l’intégralité du territoire et du peuple français.

D’autant que le mélange des genres peut entraîner certaines dérives. J’ai vu des députés intimement opposés à l’idée des emplois d’avenir voter la loi pour pouvoir bénéficier de ces contrats au sein de leur mairie. Ce genre de comportement n’est pas tolérable ; il montre que l’intérêt personnel et local peut prendre le pas sur l’intérêt général que les parlementaires sont censés défendre.

Les opposants arguent du fait que cette réforme fera apparaître des députés « hors sol », du recrutement de cabinet. Comme si le cumul empêchait d’ores et déjà aux partis de placer comme bon leur semble leurs candidats ! Comme si l’origine territoriale était un élément déterminant ! Les exemples nombreux de candidats dissidents prouvent que, en cas de nécessité, les partis se soucient bien peu de l’ancrage territorial.

J’entends l’argument de la limitation à trois mandats successifs mais je ne crois pas qu’il faille priver les électeurs de la possibilité de réélire les candidats de leur choix.

Mme Elisabeth Pochon. Cette jeune demoiselle est directement intéressée…

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Cette réforme est indispensable à la restauration de la légitimité de l’assemblée. Trop de députés sont effacés, absents, inconnus. Les dossiers sont survolés, le pouvoir est laissé aux assistants parlementaires ou aux conseillers de groupe, tandis que croît le risque d’une toute puissance des fonctionnaires technocrates, en lieu et place d’élus responsables.

Le maintien du cumul permet également l’accaparement du pouvoir politique par une élite restreinte, fige la représentation au détriment de l’émergence d’une nouvelle génération et favorise la corruption, faute de renouvellement de la classe politique.

En définitive, partisans et opposants au non-cumul invoquent la nécessité de préserver la légitimité des élus. Alors, qu’ils fassent en sorte que chaque voix compte et qu’ils défendent la proportionnelle ! Ainsi, ils lutteront contre les intérêts purement partisans que préserve le scrutin uninominal à deux tours.

Car au-delà du cumul des mandats, c’est bien la représentativité et la crédibilité de nos institutions qui sont en jeu. Vous n’avez à la bouche que la réconciliation des Français avec leurs élus. Dans ce cas, attelez-vous en priorité à la représentation de leurs idées !

Il n’y a pas que pour le cumul que nous sommes une exception européenne ; l’absence totale de proportionnelle est aussi une spécificité française, si l’on exclut le scrutin britannique, uninominal à un tour. De cela, nous ne pouvons tirer aucune gloire. Je voterai donc ce texte, même si je souhaite qu’il ne soit qu’une étape vers le défi majeur de ce quinquennat, le retour d’une véritable démocratie représentative dans ce pays.

M. Christian Jacob. Les socialistes pourraient l’applaudir, tout de même !

M. le président. La parole est à Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée débute aujourd’hui l’examen de deux projets de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec un mandat de parlementaire national ou européen.

Notre majorité honorera ainsi l’engagement de campagne n° 48 du chef de l’État. Le cumul est une spécificité française, qui concerne aussi bien les parlementaires que les élus locaux, et qui résiste malheureusement aux alternances politiques. Pourtant, je considère qu’il s’agit là d’une tradition néfaste qu’il nous faut enfin corriger.

Ainsi, nous allons abolir une pratique quasiment aussi vieille que notre République et permettre le renforcement du rôle du Parlement, avec des députés et des sénateurs exclusivement consacrés à leur mandat ainsi qu’à leur mission législative et de contrôle.

Cette réforme marque une nouvelle étape dans la revalorisation du Parlement. En 2008, nos collègues de l’opposition avaient souhaité modifier la Constitution. Ils voulaient notamment moderniser les institutions, en particulier renforcer les pouvoirs du Parlement, en accord avec les recommandations du Comité pour la modernisation des institutions de la Ve République, comité présidé par M. Balladur, et ils avaient raison !

Ce comité affirmait que « le renforcement du Parlement par le biais d’attributions nouvelles et de méthodes de travail mieux adaptées aux exigences de la démocratie n’a de sens que si les membres du Parlement sont mis en mesure d’exercer pleinement la mission que le peuple leur a confiée. ». Il ajoutait : « dans ces conditions, il est apparu au comité qu’afin de donner aux parlementaires la possibilité d’exercer la plénitude des fonctions que leur mandat leur confère, l’on devait s’acheminer vers l’interdiction du cumul des mandats et des fonctions ». M. Sarkozy, pourtant si proche de M. Balladur, comme sa majorité UMP, ont bien vite envoyé aux oubliettes cette proposition…

Pour justifier votre opposition à cette réforme, mesdames et messieurs de l’opposition, vous invoquez régulièrement l’argument selon lequel le cumul des mandats est le garant d’une articulation entre l’échelon local et le niveau national, qui permet aux parlementaires de connaître la réalité du terrain.

Cette justification n’est qu’un artifice, un rideau de fumée, d’autant qu’aujourd’hui, les moyens modernes de communication permettent de répercuter instantanément l’information à tous les citoyens, y compris aux parlementaires.

De plus, nous avons tous une permanence locale, où nous recevons nos concitoyens pour parler de leur situation et de leur vie quotidienne. Nous rencontrons des dizaines d’élus locaux chaque semaine lors de nos déplacements en circonscription. Disons les choses, arrêtons l’hypocrisie : aujourd’hui, beaucoup de ceux qui cumulent le font pour asseoir leur pouvoir, pour ancrer leur domination, pour ne pas laisser émerger de nouvelles têtes.

Dégagés d’autres responsabilités, les parlementaires auront plus de temps à consacrer à ces échanges avec leurs administrés. Ils seront aussi plus disponibles pour rencontrer les élus locaux et partager leurs expériences, entendre leurs difficultés. Ces enseignements seront plus riches que ceux qu’ils tirent de l’exercice de leur propre mandat local.

Quand nous aurons des parlementaires qui ne seront plus en situation de cumul, ce seront des parlementaires qui exerceront pleinement leur fonction législative et de contrôle, qui s’investiront davantage, qui maîtriseront davantage leurs dossiers, qui seront donc plus performants pour les défendre et moins soumis aux hauts fonctionnaires ou au Gouvernement.

Ainsi, l’adoption de ces projets de loi va permettre un rééquilibrage entre les pouvoirs, au détriment – et c’est plutôt rare sous la VRépublique – de l’exécutif, en particulier du Gouvernement. C’est, à n’en pas douter, une excellente nouvelle.

Grâce à cette mesure, nous allons aussi rattraper notre retard sur les démocraties qui nous entourent. Notre pays reste l’un des derniers États européens à accepter cette pratique du cumul des mandats. Dans les autres démocraties européennes, le cumul n’existe quasiment pas, en voici deux exemples :

Au Portugal, le cumul entre mandat de député et fonction de maire ou de vice-président d’un exécutif municipal est interdit, quelle que soit la taille de la commune.

En Grande-Bretagne, si aucune incompatibilité n’existe entre le mandat parlementaire et les fonctions de maire élu ou de conseiller de comté, de district ou de paroisse, la coutume interdit cette pratique, et seulement 3 % des membres de la Chambre des Communes cumulent avec un mandat local.

La France va donc suivre le chemin tracé par nos voisins. Je crois que le Gouvernement et la majorité s’honorent en respectant cette promesse de campagne. Cette mesure du non-cumul, largement souhaitée par nos concitoyens, contribue à répondre à la crise de confiance.

Je suis venue à la politique sous l’impulsion de Pierre-Joël Bonté, président du conseil régional d’Auvergne, trop tôt disparu. C’était un ardent partisan du non-cumul des mandats, qui se l’est toujours appliqué à lui-même. Je terminerai donc cette intervention en le citant : « On ne peut pas mener correctement de front deux mandats importants. Ou alors on triche : on ne va pas au fond des dossiers, on fait surtout de la représentation. Le cumul, c’est la facilité pour soi et la médiocrité pour les électeurs. »

Mes chers collègues, offrons le meilleur à nos électeurs : un parlementaire à temps plein ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est sans doute ce soir une des rares fois où il m’arrive de soutenir, à quelques réserves près, un texte du Gouvernement.

Autant je suis en profond désaccord sur de nombreux sujets, notamment sur la politique économique qui nous mène à la catastrophe, autant je suis en phase avec les textes portant sur la transparence de la vie publique et la limitation du cumul des mandats.

Depuis mon élection en 2007, je suis intervenu à de nombreuses reprises sur ce sujet, en déposant des amendements ainsi qu’une proposition de loi. Je me suis personnellement appliqué cette règle du non-cumul, alors que j’aurais très facilement pu avoir une place de conseiller général, de conseiller régional ou de maire.

Je suis satisfait de ce texte, car il va très loin, interdisant le cumul sans qu’il soit question d’un seuil de population en dessous duquel on pourrait cumuler, et visant non seulement les maires et les présidents, mais aussi les adjoints et les vice-présidents.

Je suis également satisfait de voir que ce texte de loi s’attaque au cumul de mandats et de fonctions annexes dans les syndicats intercommunaux et les établissements publics locaux. On empêche ainsi certains élus nationaux de maintenir leur emprise locale en étant simples conseillers municipaux mais délégués partout et présidents d’organismes HLM ou d’autres lieux de pouvoir. Cette règle devra également s’appliquer tôt ou tard aux élus locaux.

Le travail en commission a permis d’éliminer le problème des règles de remplacement par les suppléants. Je suis heureux d’avoir été entendu et que ce texte exclue désormais toute possibilité de céder son siège à un suppléant en cas de démission pour convenance personnelle.

Le seul point qui me dérange est la limitation du cumul dans le temps, qui pose un problème à la fois juridique et politique. Juridiquement, nous limitons de ce fait l’éligibilité de certaines personnes, ce qui porte atteinte à la règle constitutionnellement affirmée selon laquelle, sauf raisons très clairement motivées, tous les citoyens sont électeurs et éligibles, les seules exceptions à cette règle étant la privation des droits civiques par la justice – à cause d’une condamnation ou d’une mise sous tutelle – et l’âge en dessous duquel on estime que les citoyens n’ont pas la maturité suffisante pour accéder aux fonctions publiques.

Je pense que l’on doit en rester là, à moins d’ouvrir une brèche dangereuse. Aujourd’hui, on rend inéligibles les élus nationaux qui ont fait trois mandats, mais quelles limitations demain ? On ouvre une boîte de Pandore…

Politiquement, cela me gêne d’inscrire cette disposition dans la loi. C’est la preuve d’une absence de courage politique et d’éthique. Camus disait : « Quand on n’a pas de principes, il faut des règles. » C’est exactement le cas ici : nous créons une règle car nous sommes incapables d’autodiscipline.

On peut très bien traiter la question du cumul dans le temps sans l’inscrire dans la loi. Il suffit aux partis politiques de ne plus investir les élus ayant déjà fait trois mandats. On le sait tous, et cela s’est encore vérifié en 2012, même pour un scrutin uninominal l’étiquette et l’investiture pèsent lourd, et des sortants privés d’investiture ont été battus par un jeune candidat qui disposait, lui, de l’investiture officielle. Si on cesse d’investir les sortants ayant déjà accompli trois mandats, en choisissant à leur place des candidats plus jeunes et tout aussi compétents, les électeurs le comprendront et adhéreront à cette volonté de renouvellement des élus nationaux. Les partis politiques n’ont malheureusement pas ce courage d’agir à bon escient, au bon moment, avec le bon levier…

Malgré ce petit défaut, qui ne devrait d’ailleurs pas survivre au passage devant le Conseil constitutionnel, sauf à ce que le Gouvernement rectifie les choses en séance – ce à quoi, ai-je compris, il s’est engagé – ce texte me convient parfaitement. Je voterai donc pour. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Lesterlin.

M. Bernard Lesterlin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il faut toujours faire ce que l’on a promis, mais il est aussi de notre responsabilité de s’assurer que nos revendications aboutissent et entrent dans les faits, donc dans la loi.

Oui, le non-cumul des mandats est une revendication de longue date des socialistes et d’une grande partie de la gauche, une revendication, déjà, de la campagne présidentielle de 2007, reprise par François Hollande en 2012. Une revendication de longue date donc, une promesse à nos concitoyens.

Nous sommes en passe de réaliser un grand pas démocratique, en mettant un terme à cette incongruité nationale qu’est le cumul, au demeurant majoritaire, des fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaire.

Par ailleurs, ce n’est pas nous faire insulte à nous-mêmes que de dire que nous avons besoin de rénover notre démocratie, de rénover notre représentation pour qu’elle se rapproche le plus possible de la réalité démographique et sociale du pays.

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Bernard Lesterlin. La parité, l’accès des nouvelles générations aux décisions, l’ouverture du Parlement aux classes sociales sous-représentées : voilà les objectifs sous-jacents du présent projet de loi organique.

Par conséquent, si nous voulons réformer notre système actuel, il faut avoir à l’esprit que le mandat politique ne doit jamais devenir un métier. C’est pourquoi ce projet de loi organique appelle à l’avenir une réforme plus en profondeur du statut de l’élu, pour permettre à ceux qui le veulent de pouvoir se présenter, d’être élu et de retrouver leur emploi à la fin de leur mandat. Cette réforme du statut de l’élu effacera ainsi une inégalité entre les différentes origines professionnelles des élus.

Les opposants à ce texte nous ont fait le procès de vouloir créer des « députés hors-sol ». Au contraire, les députés qui ne cumulent pas sont souvent ceux qui sont le plus au contact des populations, car ils ont moins de réunions et de contraintes institutionnelles que leurs collègues qui cumulent. Ne pas cumuler, c’est avoir plus de temps pour se déplacer dans sa circonscription, aller à la rencontre de nos concitoyens, des associations et des entreprises. C’est aussi avoir plus de temps pour contrôler l’exécutif et évaluer nos politiques publiques.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Bernard Lesterlin. De même que la politique n’est pas un métier, il faut considérer qu’en démocratie personne n’est irremplaçable. Le cumul des mandats n’a pas permis de régler les dysfonctionnements de la VRépublique ; le cumul des mandats n’a pas contribué à rapprocher les élus des citoyens ni à renforcer la confiance en la politique, donc en la démocratie.

Avant de conclure, je souhaiterais attirer votre attention sur l’article 3 du projet de loi organique. Le Gouvernement a souhaité que le suppléant puisse siéger à la place du député ou du sénateur exerçant un mandat d’exécutif local après 2017. Je soutiens cette disposition qui est de bon sens puisqu’un parlementaire est élu avec son suppléant, qu’ils partagent donc la même légitimité.

Alors, on aurait pu faire plus vite, plus loin, plus fort. Mais à quel prix ? J’ai plaidé pour l’application de cette loi dès 2014 ainsi que pour la limitation du cumul dans le temps. Cependant, je soutiendrai la position de la majorité de la gauche et du Gouvernement, car je considère que cette loi est un premier pas vers une réforme plus globale et une rénovation de la vie publique. Vous avez parlé, monsieur le ministre, d’une « vraie révolution démocratique » : c’est le cas.

Pour finir, je tiens à dire à ceux d’entre nous qui seront amenés à exercer jusqu’en 2017 un mandat de député-maire ou qui cumuleront leur mandat parlementaire avec la vice-présidence d’un conseil départemental ou régional, voire avec la présidence d’un EPCI, qu’ils devront le faire dans la perspective claire de préparer le renouvellement de ces fonctions en privilégiant la parité et la promotion des nouvelles générations.

Construisons ensemble, mes chers collègues, la République exemplaire que le Président de la République et nous-mêmes appelons de nos vœux, et qu’attend la grande majorité des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Michel Heinrich.

M. Michel Heinrich. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, la constitution de la Ve République voulue par le général de Gaulle en 1958 et parachevée par l’élection du Président de la République au suffrage universel, combattue à l’époque avec violence par la gauche et son chef de file, a assuré une grande stabilité des institutions de notre pays.

Toutefois, force est de constater qu’au nom d’une certaine modernité, nous sommes régulièrement tentés de la modifier et de dénaturer par là même l’esprit de cette constitution. Ce fut le cas avec le passage du septennat au quinquennat, qui a considérablement présidentialisé notre régime.

Ce soir, le projet de loi qui nous est proposé ne modifie pas la Constitution mais participe à la dénaturation de son esprit originel et accentue encore et à coup sûr la présidentialisation, en atténuant la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, et en renforçant les partis politiques qui donnent l’investiture.

Ce projet de loi, c’est la fin de la présence dans nos assemblées, d’élus qui, par leur notoriété ou leur autorité, continuent à donner du poids au Parlement face à l’exécutif ; c’est donc le renforcement considérable des partis politiques, qui n’auront plus à composer avec l’élu local implanté, incontournable et pouvant faire preuve d’indépendance.

Ajoutez à cela une dose de proportionnelle, qui permettra aux partis de caser les apparatchiks souvent inéligibles dans un scrutin majoritaire, lesquels encadreront une assemblée de députés le petit doigt sur la couture du pantalon, et veilleront, si besoin est, à ce que tout le monde marche à la baguette.

M. François de Rugy. Bien sûr ! Il n’y a qu’à voir Lionel Tardy !

M. Michel Heinrich. C’est un nouveau coup porté à la démocratie. Plus de libre arbitre, plus d’indépendance, les réalités des territoires ne seront plus prioritaires, le dogme sera partout et l’exécutif aura tout pouvoir !

L’ambition de ce texte, cachée derrière une opération de communication – une de plus –, est de mettre le Parlement aux ordres des partis et du Président en place. Voilà ce que nous nous apprêtons à faire si nous votons ce texte. Moi, je préfère un parlementaire à l’écoute de son électorat plutôt qu’un parlementaire aux ordres de son parti.

Au plan local, le préfet sera quant à lui face à un pouvoir local dispersé, donc affaibli.

Mes chers collègues, ce texte aurait eu un début de crédibilité s’il donnait aux élus un vrai statut et aux parlementaires de véritables moyens pour accomplir leur mission. Mais sur ces points, c’est le mutisme total, ce qui est une démonstration supplémentaire de la volonté d’affaiblissement du Parlement.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Mais bien sûr…

M. Michel Heinrich. Certes, on ne manquera pas de nous dire qu’ailleurs, dans tous les autres pays, le cumul n’existe pas. Je vous encourage donc à aller vérifier, et vous serez étonnés. Quand il est moins pratiqué que chez nous, c’est que l’on se trouve dans un pays fortement décentralisé ou fédéral, où l’élu a un pouvoir législatif dans sa région ou son État.

Alors bien sûr, on vous dira que les Français le veulent ! Pas si sûr ! Tout dépend de quelle façon on leur pose la question. Lorsque nos concitoyens parlent « cumul », ils pensent souvent « cumul des indemnités » ignorant en général que le cumul des mandats n’est pas le cumul des indemnités.

Il est encore plus intéressant d’observer la façon dont ils votent. On constate ici même, dans cette enceinte, que les députés, maires, adjoints, présidents d’EPCI, de département, de région, sont très largement majoritaires.

Puis mes chers collègues, nos concitoyens vont très rapidement trouver la pilule amère si j’en crois l’interview qu’a accordée notre collègue René Dosière à la presse quotidienne régionale, dans laquelle il défend ce projet de loi et nous explique qu’une fois les élus boutés hors du Parlement, l’État pourra s’affranchir, par exemple, je le cite, des 25 % de taxe d’habitation qu’il prend en charge, sous-entendu le contribuable local paiera la note.

Je pourrais m’étendre longtemps sur ce que le mandat local apporte au parlementaire dans l’exercice de ses fonctions en lui permettant d’être informé des préoccupations quotidiennes mais je m’arrêterai là.

Vous l’aurez compris, toutes ces raisons me feront voter avec détermination contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christophe Borgel, rapporteur. Sans blague.

M. le président. La parole est à Mme Elisabeth Pochon.

Mme Elisabeth Pochon. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui sur le non cumul des mandats répond à une question essentielle de nos concitoyens : qui seront les élus de demain ?

L’abstention est là pour nous rappeler, scrutin après scrutin, qu’un fossé se creuse entre les Français et leurs représentants.

La République est en chantier permanent et comme nous y sommes tous très attachés, cette responsabilité de la maintenir vivante et ardente incombe à chacun d’entre nous, élu ou citoyen. Il nous faut la revisiter de façon permanente et perpétuelle.

Je propose que chacun d’entre nous adopte une approche positive de cette redéfinition des parlementaires de demain.

À quoi cela servirait-il d’alimenter la suspicion des citoyens à l’encontre des parlementaires en abordant ce texte par le petit bout de la lorgnette, en ne montrant que des réticences à en parler ou à changer ?

Il convient d’abord de ne pas abonder dans le sens populiste qui tendrait à rejeter sur les seuls élus la totale responsabilité de la situation de la représentation nationale.

C’est vrai, beaucoup de députés et de sénateurs cumulent leur mandat avec un autre. Cette tendance n’a fait qu’augmenter au fil des Républiques pour constituer une exception bien française. Ce n’est pas la seule et notre pays adore les cultiver.

Cette inclination a suscité peu de réactions citoyennes en période de prospérité. Les Français doivent assumer dans leur ensemble ce paradoxe d’avoir privilégié, recherché et voté la pluralité des mandats pour un seul et même élu dans le passé, de continuer de nos jours à les élire tout en dénonçant le phénomène à grands cris tant qu’il ne s’agit pas de leur propre maire.

Sans doute les électeurs pensent-ils garantir ou renforcer les pouvoirs de leurs élus locaux en les portant également vers les mandats parlementaires, censés permettre de déjouer la concentration des pouvoirs à Paris, favoriser la proximité avec le pouvoir central, et développer le réseau relationnel pour espérer des retombées favorables pour la collectivité. Une vraie stratégie d’électeurs en somme. La pratique s’est installée au fil du temps en accréditant l’idée que pour peser, voire être considéré, il n’était point d’autre voie que celle du cumul des mandats.

Guy Carcassonne, lors de son audition ici même quelques jours avant sa disparition, l’exprimait par cette phrase : « Aussi longtemps que le cumul des mandats n’est pas interdit, il est politiquement obligatoire ».

Il est bon de rappeler que les élus qui cumulent ne sont pas hors la loi, qu’ils sont régulièrement élus, donc légitimes.

Le cumul, c’est à la fois notre originalité et un tabou, que nous devons lever si nous voulons que les citoyens qui s’expriment encore démocratiquement et ceux qui s’éloignent de cette nécessité démocratique nous écoutent. C’est en changeant les mentalités de tous que nous avancerons vers un renouveau démocratique.

Ce débat n’est pas si récent mais aujourd’hui, le cumul cristallise les reproches et les méfiances que le peuple nous faits.

Militants en veine de s’ouvrir des perspectives légitimes ou citoyens ayant seulement envie d’élus qui leur ressemblent davantage, à l’heure de tous ses changements pour nos concitoyens, il paraîtrait indécent que seule la classe politique s’accroche à des pratiques sans accepter d’en changer.

Le temps est fini où le choix majeur des électeurs se portait sur des notables locaux auxquels il était réclamé peu de comptes. Dès la campagne présidentielle, le quarante-huitième engagement de François Hollande s’est hissé comme le flambeau de la recherche de la République exemplaire et nul ne pouvait ignorer que le débat aurait lieu dans cette législature.

Mon très cher collègue Bernard Roman écrivait déjà dans son rapport sur ce thème, il y a quinze ans : « L’opinion est portée par une puissante aspiration à la transparence, à l’égalité, à l’ouverture du monde politique à la société civile et à l’instauration d’un lien d’une nature nouvelle entre les élus et les citoyens. Il n’est que temps de faire entrer notre pays dans la modernité politique ». Il n’y a pas un mot à changer quinze ans plus tard !

Il est plus que temps de s’attaquer au cumul et non pas à ceux qui cumulent. Que les Français ne doutent pas une seconde de l’attachement affectif profond de leurs maires à leurs communes et des dilemmes qu’engendrera l’application de cette loi qui va décider du non cumul des mandats.

Mais la chose publique est en jeu, faisons fi des situations personnelles.

Il ne s’agit pas de s’aligner sur une vindicte populaire qui fait son lit des malheurs et des difficultés sociales, mais bien de réfléchir et de proposer de nouvelles façons de travailler pour tous, qui se révèlent indispensables avec les compétences nouvelles et accrues des élus.

Les missions se professionnalisent indubitablement.

Nos rêvons tous ici de revaloriser le rôle et le travail du Parlement, nous y sommes ! Il convient de réaffirmer que les parlementaires ont en charge les intérêts de la nation et non une multitude d’intérêts locaux.

Cette loi permettra de redéfinir des circuits de décisions et de compétences claires entre les différents échelons de notre organisation politique, de donner plus de lisibilité à l’action politique pour nos concitoyens qui doivent être à même d’identifier et d’apprécier la part de travail de ses élus, d’ouvrir le champ politique à de nouveaux élus, d’y faire entrer sans doute plus de diversité, de couper court aux procès qui sont faits autour des conflits d’intérêts supposés d’une société politique fermée sur elle-même.

Regardons l’avenir de notre démocratie avec confiance et sortons des idées reçues.

Certains craignent qu’il soit impossible d’être élu député sans être maire, beaucoup d’exemples dans cette assemblée prouvent le contraire et plaident pour une autre forme d’investissement local.

Le mandat de maire est très encouragé par les électeurs mais des études montrent que la prime électorale au mandat de maire est nulle. Ce n’est pas le mandat, mais la popularité qui fait gagner l’élection. Et là encore, de nombreux parlementaires parmi nous ne doivent qu’à leur popularité, leur notoriété, leur célébrité pour des raisons parfois autres que politiques ou même à leur nom seulement d’être là, mais pas à leur mandat local.

Ce sera aussi le bouleversement de tous les us et coutumes fréquents dans le monde politique. Il faudra également que les partis revoient leurs habitudes d’investiture.

Ce texte est une avancée majeure pour la transformation du paysage politique. Il ne réglera pas d’un coup de baguette la distance avec nos concitoyens mais il rétablira le dialogue.

Certains d’entre nous ont envisagé un cumul des mandats dans le temps pour aller au bout de la rénovation. C’est une proposition sans doute encore trop révolutionnaire qui devra cheminer encore.

Il s’agissait d’avancer, non pas de bouleverser le paysage politique. Réjouissons-nous nous du gué franchi par la gauche.

Ce sujet éminemment politique est devenu sujet de société et la gauche est au rendez-vous pour porter le changement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Edouard Philippe.

M. Edouard Philippe. Ce n’est pas une mince affaire que celle de ce projet de loi interdisant le cumul. La discussion générale étant bien avancée, l’heure tardive, je serai bref et je me contenterai d’évoquer trois points.

Posons-nous tout d’abord une question : fallait-il une loi ? On peut être pour ou contre l’interdiction du cumul des mandats mais on peut au moins se poser la question de la nécessité de cette loi, d’autant plus qu’une loi existe déjà. Le cumul des mandats est déjà encadré par un dispositif juridique. Fallait-il aller plus loin ? Si interdire le cumul des mandats est un impératif moral, si c’est la condition du bon exercice d’un mandat, une loi n’est pas nécessaire et chacun peut, à titre individuel, parfaitement respecter cet impératif moral. Si l’on considère qu’il est dangereux de cumuler les mandats, ne nous présentons pas.

Vous avez dressé la longue liste, monsieur le ministre, de ceux qui ont fait ce choix, ils l’ont fait sans qu’une loi soit nécessaire, sans même qu’une loi soit votée. Ils l’ont fait parce qu’ils croyaient bon de se soumettre à cette obligation qu’ils s’imposaient à eux-mêmes. Ils ont obéi à un impératif moral et tout va bien.

S’il s’agit d’un impératif pratique, s’il est nécessaire d’aller jusque là pour garantir je ne sais quoi, là non plus une loi n’est pas nécessaire. Des partis politiques se sont vigoureusement engagés contre le cumul. Ils ont diffusé une doctrine, qui a été inégalement respectée. Nous avons tout à l’heure cité un certain nombre de maires issus d’une famille politique qui s’était positionnée sur ce sujet et qui avait respecté l’engagement qu’ils avaient pris. Nous pourrions en citer beaucoup d’autres qui n’ont pas démissionné mais qui n’ont pas été désavoués par leur famille politique, à qui on a confié des responsabilités. J’entendais tout à l’heure notre collègue expliquer qu’un élu local très fortement enraciné et maire pouvait privilégier son territoire lorsqu’il était à l’Assemblée nationale. Je n’ai pas vu que le Gouvernement ait hésité longtemps à confier au maire de Caen, par ailleurs député du Calvados, la présidence de la commission Mobilité 21 alors même que son territoire était également concerné par les sujets qu’il convenait de traiter.

J’observe que chez deux éminents membres du monde politique, Martine Aubry et Alain Juppé, le choix de ne pas cumuler les mandats résulte sans doute d’un raisonnement intellectuel, probablement d’une vertu, mais on pourrait aussi considérer qu’il découle d’une nécessité, liée dans les deux cas à une défaite électorale…

En matière de cumul des mandats, il n’y a pas beaucoup de vertus mais beaucoup d’intérêts. Souvent, ceux qui n’ont qu’un mandat et n’en veulent qu’un, estiment que c’est le mieux et inversement.

Mes chers collègues, à ceux qui refusent le cumul, je dirai : « Ne vous présentez pas, rien ne vous y oblige, vous aurez la chance d’être en accord avec vos convictions sans ajouter une contrainte pour l’électeur ». L’électeur peut voter pour quelqu’un qui fait ce choix, il le fait souvent. Il est aussi légitime quand il le fait que lorsque vous choisissez de ne pas vous présenter.

Je voudrais évoquer en second lieu le sujet de l’exemple individuel pour vous prouver que, justement, il ne montre rien. Nous connaissons tous, nous avons tous autour de nous, quels que soient les bancs de cette assemblée, des exemples, à droite comme à gauche, d’élus qui ont laissé une trace, qui nous ont influencés et nous ont donné l’envie de faire de la politique. Ces élus étaient des cumulards ou non.

Mme Chaynesse Khirouni. Balkany ?

M. Philippe Baumel. Je n’ai pas entendu, quand Pierre Mauroy est mort, que ceux qui avaient apprécié son action politique, ceux qui s’en sont inspirés aient considéré que la seule limite de son action politique était d’avoir cumulé.

Mme Chaynesse Khirouni. Et si nous parlions un peu de l’avenir ?

M. Philippe Baumel. Je n’ai pas entendu, sur les bancs de cette assemblée, que l’on ait reproché à quiconque d’avoir cumulé. J’observe même, à votre suite monsieur le ministre, qu’en 1981, au moment d’une alternance politique qui aurait pu secouer le pays – qui l’a d’ailleurs secoué à bien des égards –, le Président de la République de l’époque avait choisi d’accorder dans son dispositif une place éminente à deux élus majeurs, Pierre Mauroy, Gaston Defferre, qui étaient à la fois des parlementaires chevronnés et des présidents d’exécutifs locaux. Je ne suis pas certain qu’il s’agissait là d’un hasard, il me semble même que c’était une bonne chose.

Mme Chaynesse Khirouni. Vous parlez du passé, nous, nous légiférons pour l’avenir !

M. Philippe Baumel. Les exemples individuels montrent à l’évidence que l’on peut cumuler et être un bon parlementaire, cumuler et être un mauvais parlementaire, ne pas cumuler et être un bon parlementaire, ne pas cumuler et être un mauvais parlementaire. Encore faudrait-il donner une définition du bon parlementaire, ce qui est plus compliqué…

J’en viens à ma dernière question : quel impact pour nos institutions ? La vraie question ne se pose pas, en effet, pour nos élus, mais pour nos institutions. Nous ne sommes pas là pour défendre des privilèges, des positions, nous nous adapterons à la loi et c’est bien ainsi. Nous sommes là pour nous interroger sur les effets de la loi sur nos institutions. Il nous semble qu’elle se traduira par une plus grande emprise des partis sur les élus. On peut vouloir l’assumer mais je suis, à titre personnel, très attaché à la liberté que je peux avoir vis-à-vis de mon parti. Elle m’arrange et je m’en honore. Je ne suis pas certain qu’un système qui interdise le cumul des mandats renforce la possibilité, pour les élus, d’être toujours et totalement libres à l’égard de leur parti.

On accentuera probablement l’ampleur des alternances et il faut accepter l’idée que, dans notre pays, sans cumul des mandats, les alternances seront plus prononcées, les vagues seront plus fortes, plus puissantes et les coups de barre à droite puis à gauche de notre pays plus nombreux.

M. le président. Merci de conclure.

M. Philippe Baumel. Le passage à la proportionnelle s’en trouvera aussi, malheureusement, facilité puisqu’il est quasiment induit par le texte.

Ce texte aura des conséquences majeures sur le fonctionnement des institutions et je ne suis pas certain que, dans quelques années, quand les alternances auront joué leur rôle et que nous nous retrouverons, nous trouverons que nous avons bien travaillé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce matin, à neuf heures trente :

Suite du projet de loi organique interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député, de sénateur ou de représentant au Parlement européen.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 4 juillet 2013, à une heure quinze.)