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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 19 décembre 2012

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Pression fiscale

M. Jean-Pierre Vigier

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Contrats de génération

Mme Nathalie Nieson

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Précarité des saisonniers

M. Joël Giraud

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Évolution du smic

M. Nicolas Sansu

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Politique du Gouvernement

M. Jacques Myard

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Précarité énergétique

Mme Isabelle Attard

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Mariage pour tous

M. Bernard Perrut

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012

M. Emeric Bréhier

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes

Disparition du PEAD

M. François Rochebloine

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes

Politique économique du Gouvernement

Mme Laure de La Raudière

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Grand Paris

M. Arnaud Richard

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Reprise du site de TRW de Ramonchamp

M. François Vannson

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique

Situation financière des régimes de retraite

Mme Martine Pinville

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Site de Texas Instruments dans les Alpes-Maritimes

M. Lionnel Luca

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique

Modernisation de l’action publique

Mme Cécile Untermaier

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique

Suspension et reprise de la séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

2. Retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d’aide au séjour irrégulier

Présentation

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. Yann Galut, rapporteur de la CMP

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

M. Matthias Fekl

M. Guillaume Larrivé

M. Jacques Alain Bénisti

M. Arnaud Richard

M. Sergio Coronado

M. Roger-Gérard Schwartzenberg

M. Marc Dolez

Mme Marietta Karamanli

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

3. Création de la Banque publique d’investissement

Présentation

M. Guillaume Bachelay, rapporteur de la commission mixte paritaire

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation

Discussion générale

M. Michel Zumkeller

M. Thierry Mandon

M. Lionel Tardy

M. Yves Censi

M. Gaby Charroux

M. François de Rugy

Vote sur l’ensemble

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe Rassemblement-UMP.

Pression fiscale

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vigier.

Plusieurs députés du groupe Rassemblement-UMP. Bravo ! Bravo ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Vigier. Merci, chers collègues.

Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

M. Marc Le Fur. Il n’est pas là !

M. Jean-Pierre Vigier. Jeudi 27 septembre, vous avez déclaré : « À revenus constants, neuf contribuables sur dix ne seront pas touchés par des augmentations d’impôts supplémentaires…

M. Guy Geoffroy. Mensonge !

M. Jean-Pierre Vigier. Ces mesures nouvelles épargnent les classes moyennes et les classes populaires. »

Trois mois plus tard, les Français ont déjà fait les comptes de vos mesures antisociales et anti-classes moyennes : vous avez fiscalisé les heures supplémentaires, supprimé la TVA compétitivité et massivement augmenté la TVA qui pèse sur l’hôtellerie, la restauration et le bâtiment (« Scandale ! » sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP), alourdi les cotisations sociales des retraités (Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP), augmenté la redevance télévisuelle de 5 %.

Par ailleurs, alors que vous allez ponctionner 10 milliards d’euros sur les entreprises, vous prétendez maintenant les aider en faisant adopter un pseudo-crédit impôt compétitivité. (Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.) Vous ne dites pas la vérité aux entreprises françaises car vous savez pertinemment que cette mesure n’est pas financée.

M. Guy Geoffroy. Une honte !

M. Jean-Pierre Vigier. Monsieur le Premier ministre, après les entreprises, après les classes moyennes, après les classes populaires, après les retraités, quelles seront les prochaines victimes de votre matraquage fiscal ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, j’ai le sentiment d’avoir déjà entendu poser cette question dans cette assemblée (Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP), j’ai le sentiment aussi qu’il y a déjà été largement répondu ; mais je vais le faire à mon tour, avec mes mots.

Je veux d’abord vous rappeler une chose, mais je ne m’en lasse pas : c’est vrai, nous faisons des efforts et nous en demandons aux Français, parce que nous voulons et devons réduire les déficits publics à 3 % du PIB, des déficits que vous nous avez laissés supérieurs à 5 % du PIB.

M. Arnaud Leroy. Et voilà !

M. Pierre Moscovici, ministre. Et comme l’a dit la Cour des comptes, il faut trouver 30 milliards d’euros. C’est vrai aussi que certains prélèvements vont augmenter, parce que l’effort est partagé.

Je n’aurai cependant pas la cruauté de vous rappeler, puisque vous rappelez cette formule des neuf Français sur dix, qu’en 2010, d’après les chiffres qui viennent d’être publiés, neuf Français sur dix ont vu leur pouvoir d’achat baisser au profit des plus riches. Je ne vous rappellerai pas non plus qu’entre 2007 et 2012 vous avez créé trente prélèvements supplémentaires : vingt-trois impôts et sept taxes, pour être précis.

Pour le reste, c’est vrai, nous sommes contraints à des prélèvements obligatoires, mais ils sont justes, contrairement aux vôtres. Citons simplement trois exemples.

D’abord la décote, qui permet aux populations les plus fragiles, celles que vous avez touchées, de gagner sur l’impôt sur le revenu.

Ensuite, la TVA. Oui, nous avons supprimé la TVA Sarkozy et nous l’avons remplacée par une modulation des taux (Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP) qui se traduit notamment par une baisse des taux réduits qui s’appliquent notamment à l’alimentation et à l’énergie.

Enfin, les entreprises. Vous devriez quand même, sur ce sujet, faire preuve d’un peu plus d’honnêteté. Pour commencer, le crédit d’impôt compétitivité, c’est nous qui le faisons. Ensuite, il est bel et bien financé. Enfin, il représente 20 milliards d’euros, à comparer aux 10 milliards de prélèvements que vous citiez.

Alors, oui, c’est vrai, nous travaillons à redresser le pays, à redresser les comptes publics.

M. Guy Geoffroy. Mais non !

M. Pierre Moscovici, ministre. Nous le faisons dans la justice ; nous redressons ce que vous avez défait. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Contrats de génération

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Nieson, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Nathalie Nieson. Monsieur le ministre du travail, il y a urgence : cela fait plus de dix-huit mois que le chômage ne cesse d’augmenter dans notre pays.

Le chômage de masse, tel que nous le vivons, est un véritable fléau. Il entraîne nos concitoyens vers la précarité, la rupture des liens sociaux et un sentiment de perte de dignité. Il est encore plus intolérable quand il touche près de 23 % de notre jeunesse, l’empêchant de se projeter positivement dans l’avenir et de prendre son envol dans la vie active.

Il est de l’intérêt de notre pays que toutes nos forces, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales, s’engagent et s’unissent pour relever le défi du redressement et de l’emploi.

Hier, en ces lieux, monsieur le ministre, vous nous avez rappelé le cap du Gouvernement, sa bataille : « l’emploi, l’emploi, encore l’emploi ». Alors que le précédent Gouvernement a péché par manque de réactivité, voire même par inaction, vous, depuis six mois avec l’ensemble du Gouvernement, vous avez d’abord proposé le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, puis vous avez créé le crédit d’impôt compétitivité emploi et ouvert les négociations pour la sécurisation des parcours professionnels. Enfin, vous avez créé les contrats emplois d’avenir. Vous êtes d’ailleurs venu récemment en signer quelques-uns dans la Drôme, à Romans-sur-Isère et à Bourg-de-Péage.

Après toutes ces actions, pouvez-vous nous dire comment les contrats de génération, qui étaient une promesse de campagne de notre Président de la République en faveur de la jeunesse – l’engagement n° 33 de son projet présidentiel, plus exactement – comment ces contrats innovants seront-ils concrètement déclinés dans nos entreprises ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, et RRDP.)

M. Jean-François Lamour. Oui, il peut vous le dire !

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Julien Aubert. Et du chômage !

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la députée Nathalie Nieson, vous avez décrit brièvement la situation de la France sur le front du chômage. Il faut la rappeler sans cesse : en cinq ans, un million de chômeurs supplémentaires ont été recensés ; en dix ans, la précarité au travail a doublé, ainsi que le nombre de contrats à durée déterminée pour une période très courte : en cinq ans, le chômage des jeunes a augmenté…

Mme Marie-Christine Dalloz. Et en six mois ?

M. Michel Sapin, ministre. …jusqu’à atteindre le niveau que vous avez décrit, soit 23 %, ou même 24 % ou 25 % selon la manière de calculer. Ce niveau est le plus élevé jamais atteint en France. Tel est l’état dans lequel la France nous a été laissée.

M. Lucien Degauchy. Cela ne s’arrange pas !

M. Michel Sapin, ministre. C’est contre cet état de fait que nous mettons en œuvre un certain nombre de dispositions. Parmi celles-ci, après le contrat d’avenir, il y a le contrat de génération.

Le contrat de génération n’est pas seulement une belle idée : c’est aussi une bonne idée. Il s’agit de faciliter l’entrée d’un jeune dans une entreprise, tout en maintenant dans cette entreprise un salarié plus âgé qui pourra lui transmettre ses connaissances et son savoir-faire.

Vous connaissez les modalités de ce dispositif. Dans les entreprises qui utiliseront le contrat de génération, et tout particulièrement dans les entreprises de moins de 300 salariés, l’embauche d’un jeune en contrat à durée indéterminée sera appuyée à hauteur de 4 000 euros : 2 000 euros pour le jeune et 2 000 euros pour la personne maintenue dans l’emploi. Nous ne voulons pas de la précarité pour les jeunes.

M. Dominique Dord. Ça ne marchera pas !

M. Guy Teissier. Ça sert à rien !

M. Michel Sapin, ministre. Ce dispositif a été conçu selon une méthode : le dialogue social. Le Gouvernement n’a pas la science infuse, il ne sait pas tout.

M. Dominique Dord. Ça, c’est vrai !

M. Marc Le Fur et M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. Qui connaît le mieux le fonctionnement d’une entreprise ? Les chefs d’entreprise et les représentants des salariés de ces entreprises. C’est eux qui ont décrit ce dispositif dans le détail.

La prochaine étape prévue par le calendrier de cette réforme aura lieu cet après-midi, en commission. C’est le premier texte qui sera débattu à l’Assemblée nationale au début de l’année prochaine. Nous finissons cette année en luttant contre le chômage, et nous entamerons l’année prochaine en luttant contre le chômage.

Précarité des saisonniers

M. le président. La parole est à M. Joël Giraud, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Joël Giraud. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social…

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. Joël Giraud.…lors du vote en première lecture du texte sur les emplois d’avenir, j’avais souligné, au nom du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, l’urgente nécessité de ne plus considérer le sujet des saisonniers et des pluriactifs comme une non-question au niveau national. Ce texte aurait pu en effet être l’occasion d’imposer aux employeurs de saisonniers la clause de reconduction d’une année sur l’autre, en vigueur de manière conventionnelle pour les seules remontées mécaniques, et de l’inscrire dans la loi.

Comme le rappelle l’Organisation mondiale du tourisme, le tourisme demeure l’un des rares secteurs qui résistent à la crise, en France comme dans le monde. Mais il conserve une face cachée : il repose sur une précarité imposée par la saisonnalité des activités. Dès lors, il me semble urgent que le Gouvernement s’attelle à moraliser ce secteur en liant les aides aux systèmes vertueux qui autorisent aussi la sécurisation des parcours professionnels, comme la clause de reconduction automatique des contrats, ou la mise en place de contrats à durée indéterminée saisonniers, encore appelés CDI intermittents.

Savez-vous qu’à ce jour, les saisonniers sont les seuls employés en contrats à durée déterminée à ne pas bénéficier de la prime de précarité, et que des inquiétudes subsistent encore à la veille des négociations de l’assurance chômage quant à une minoration de leurs allocations ? Au-delà de ces insuffisances, le secteur du tourisme a su innover par exemple en mettant en place des dispositifs comme les pactes intergénérationnels des écoles de ski français, plébiscité par la profession. Ce pacte, qui organise collectivement un régime de retraite spécifique et une répartition du travail entre les moniteurs s’appuyant sur un transfert progressif de l’activité vers les jeunes générations, est un modèle de tutorat et d’apprentissage. Cependant il souffre d’une instabilité juridique et doit être encadré pour ne pas prêter le flanc aux accusations de discrimination.

Ma question est simple, et j’y associe mes collègues députées Marie-Noëlle Battistel, Bernadette Laclais et Béatrice Santais : acceptez-vous la mise en place rapide d’une mission d’initiative gouvernementale afin de sortir de la précarité les saisonniers et pluriactifs, plus que jamais indispensables à l’économie de la France ? Acceptez-vous, dans ce cadre, de mettre en place un cadre juridique stable et équitable pour les contrats intergénérationnels des moniteurs de ski ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député Giraud, j’ai parlé, dans la réponse que j’ai apportée à la question de Mme Nieson, de la lutte contre la précarité et pour l’emploi des jeunes d’une manière générale : cela doit concerner tout le territoire, quelles que soient les modalités d’organisation particulières des professions. C’est d’autant plus vrai que ces professions dépendent par ailleurs du climat, et de la quantité de neige. Il y en a beaucoup en ce moment : tant mieux pour vos montagnes, et tant mieux pour ceux qui auront le plaisir de partir en vacances à la fin de cette année. Mais on ne travaille pas de la même manière là où les conditions de travail sont stables et là où elles dépendent des saisons ou, par exemple, de l’attractivité touristique.

Il faut rechercher la sécurité et donc la lutte contre la précarité, tout en permettant de s’adapter à ces conditions. C’est la raison pour laquelle les partenaires sociaux, dans le cadre de la négociation encore en cours, se sont saisis également de ce problème. On ne peut pas en effet se saisir uniquement du problème de la sécurisation pour ceux qui travaillent en plaine. Il faut aussi s’en préoccuper pour ceux qui travaillent en montagne ou au bord de la mer. C’est la raison pour laquelle, au-delà de cette négociation et à l’appui de ses résultats – si elle réussit, ce que je souhaite – je propose de mettre en place une mission, un groupe de travail…

Plusieurs députés des groupes UMP et Rassemblement – UMP. Un de plus !

M. Michel Sapin, ministre. …regroupant les administrations concernées ainsi que les parlementaires qui s’intéressent à ces questions. Il y en a un certain nombre : nous les avons rencontrés hier, avec Thierry Repentin, pour travailler sur cette question. Je dis oui à cette mission, qui permettra d’apporter des solutions durables à une situation qui n’a que trop duré. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Évolution du smic

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Nicolas Sansu. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, alors que le nombre de chômeurs s’accroît de manière inquiétante…

Plusieurs députés du groupe UMP. Que fait la gauche ?

M. Nicolas Sansu. …que des millions de nos concitoyens peinent à boucler les fins de mois, l’exigence de changement est plus que jamais d’actualité.

M. Guy Geoffroy. Et c’est lui qui le dit !

M. Nicolas Sansu. Nous payons les conséquences de dix années de politique de droite, d’une politique au service des privilégiés et de la finance. Les dégâts ont été considérables : un million de chômeurs supplémentaires, 720 000 emplois détruits dans l’industrie, doublement de la dette publique… (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) Nos concitoyens ont voulu tourner la page de ces années de déclin. Or, si en juillet, des signes encourageants ont pu être enregistrés avec le rétablissement de l’impôt sur la fortune ou la suppression de la TVA dite « sociale » instaurée par la droite, les choix récents du Gouvernement vont à rebours en reprenant de vielles recettes injustes et inefficaces.

M. Guy Geoffroy et M. Gérald Darmanin. Oh là là !

M. Nicolas Sansu. Comment justifier en effet un cadeau de 20 milliards aux entreprises sans aucune condition de taille et de secteur d’activité ? Ce cadeau va se traduire, notamment, par un chèque à des entreprises du CAC 40 qui distribuent des milliards de dividendes à leurs actionnaires, ou par un chèque aux cliniques privées au détriment de l’hôpital public, ou par un chèque aux groupes bancaires et assurantiels qui n’en ont pas besoin. Comment justifier qu’en contrepartie les couches moyennes et modestes se retrouveront à payer par une augmentation de la TVA qui viendra encore rogner un peu plus leur pouvoir d’achat et qui pourrait mettre des secteurs en difficulté ? Comment ne pas rapprocher ces 20 milliards du refus de donner un coup de pouce au SMIC, puisque celui-ci va se voir octroyer 0,3 % d’augmentation, soit 4 euros par mois ? Comment enfin ne pas s’insurger devant cette hausse minime du SMIC au moment même où les patrons des entreprises du CAC 40 s’accordent 5 % d’augmentation ?

Il y a onze mois, le Président de la République, alors en campagne, fustigeait la finance, cet adversaire sans visage qui gouverne le monde au détriment de l’économie réelle. Cette analyse est toujours aussi pertinente.

Monsieur le ministre, quels changements allez-vous proposer pour relancer conjointement notre industrie, l’emploi et les salaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Nicolas Sansu, nous partageons, vous le savez, les mêmes objectifs, ceux d’une société plus juste, d’une société plus solidaire et plus décente.

M. Guy Geoffroy. C’est du blabla !

M. Pierre Moscovici, ministre. Je ne peux toutefois pas vous suivre dans votre raisonnement, car, partant du même constat que vous, je n’arrive pas aux mêmes conclusions. Nous ne devons pas vivre dans un déni de réalité. La France est un pays que l’on nous a laissé, à nous, la gauche dans une situation dégradée (Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP) avec un endettement public élevé, avec un chômage insupportable, avec une compétitivité qui, hélas, a reculé. Dans ce contexte, le crédit d’impôt compétitivité emploi n’est pas un cadeau fait aux entreprises ; c’est un effort consenti par la nation pour que nos entreprises insérées dans la compétition internationale puissent, à nouveau, investir et embaucher, et ce, c’est vrai, sans condition, mais pas sans contreparties : elles seront présentées au mois de janvier.

M. Jean-Jacques Candelier. Et la relance de la consommation, c’est pour quand,

M. Pierre Moscovici, ministre. Pour le reste, vous rapprochez cette mesure de l’évolution du SMIC annoncée ce matin par Michel Sapin en conseil des ministres, et dont je suis totalement solidaire. Les 0,3 % sont le résultat des règles de calcul du SMIC ; mais vous devriez, en fait, raisonner sur ce que nous avons fait depuis que nous sommes arrivés : un coup de pouce de 2 % qui n’avait pas été accordé depuis huit ans. Voilà la vérité : cela représente 2,3 % depuis que nous sommes là, alors que le rythme de l’inflation est de 1,3 % par an. C’est dire qu’il y a une augmentation nette du pouvoir d’achat du SMIC. Vous pourriez aussi ajouter tout ce que nous faisons en faveur du pouvoir d’achat : l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, par exemple, les mesures prises pour les prix des carburants, pour les dépassements d’honoraires. Sans parler de l’action menée dans le cadre de la loi bancaire, afin d’améliorer l’inclusion bancaire ou des décisions prises avec le RSA socle pour lutter contre la pauvreté.

Vous me demandez au final ce que nous faisons, monsieur le député. L’emploi, l’industrie, les salaires, telles sont les priorités que nous partageons. C’est précisément le sens de la politique du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jacques Myard. Monsieur le Premier ministre, à l’évidence, la gauche, en particulier le Parti socialiste, a une faiblesse congénitale avec l’économie. À chaque élection, vous nous promettez la lune !

Plusieurs députés du groupe SRC. Vous aussi !

M. Jacques Myard. Après le temps des chimères socialistes – et c’est sans doute un pléonasme ! – vient le temps des réalités et du boomerang, le temps où vous devez faire des entrechats en permanence et du trapèze avec votre idéologie ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Lemasle. Et Myard, du poney-club !

M. Jacques Myard. Mais, au lieu de regarder en face les réalités, vous biaisez et faites diversion. Vous faites diversion en sonnant la charge sur les riches, oubliant que la fuite du capital, c’est des investissements en moins aujourd’hui et des emplois en moins demain. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.) Comme vous le rappelle M. Gerhard Schröder, socialiste allemand, vous faites diversion en voulant taxer les familles et les allocations familiales, oubliant que le renouvellement des générations, c’est la chance de la France ! Pire encore, vous faites diversion avec des projets de société sectaires, tel le mariage des homosexuels (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP), une absurdité au nom d’une prétendue égalité au mépris même de l’intérêt de l’enfant ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous faites diversion avec le vote des étrangers (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC)

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Jacques Myard. …qui accentue les dérives communautaires (Très vives exclamations sur les bancs du groupe SRC), qui met aujourd’hui en péril l’unité nationale !

Je ne suis pas de ceux, monsieur le Premier ministre, qui rangent au rang de ses espérances les malheurs de notre pays ! Mais je vous rappellerai le mot solennel de ce noble de la cour de Louis XVI : « Sire, méfiez-vous, ce peuple est terrible » ! » (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je vous le dis : écoutez le peuple qui gronde ! Quand allez-vous cesser de pousser ces projets de société qui divisent les Français ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. François Rochebloine. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Jacques Myard, nous sommes, ici, dans un exercice de questions d’actualité et je ne sais où se situe, finalement, votre question. J’ai compris qu’il s’agissait d’une charge conduite avec votre finesse, votre subtilité et votre sens des nuances habituels ! (Rires et applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Je tenais à vous en féliciter chaleureusement !

Mais ce que je voulais surtout vous dire, c’est que ce gouvernement entreprend effectivement des réformes de société. Vous comprendrez que le ministre de l’économie et des finances ne s’y étende pas trop, non pas qu’il n’en soit pas solidaire, mais parce que cela relève de la charge d’autres ministres. Mais enfin, le mariage pour tous est un progrès ! (Exclamations sur de nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. Jacques Myard. Non !

M. Pierre Moscovici, ministre. C’est pourquoi ce combat mérite d’être mené et il le sera le moment venu. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Mais surtout, ne laissez pas croire que nous sommes à côté de la réalité. La réalité, c’est ce pays que vous nous avez laissé dans une situation dégradée (Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP), un pays dont la compétitivité recule, comme en atteste le rapport Gallois, un pays endetté au-delà de tout ce qui est possiblement acceptable, un pays qui connaît un chômage de 10 %. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault est attaché au redressement. Nos priorités sont d’abord d’ordre économique et social : l’emploi, l’emploi, l’emploi, mais aussi la jeunesse, la préparation de l’avenir, le redressement de la compétitivité. C’est le sens de tout ce que nous faisons à travers le sérieux budgétaire… (Exclamations et rires sur de nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP) Eh oui, parce que c’est nécessaire pour désendetter le pays. C’est le sens de tout ce que nous faisons à travers la construction européenne que nous voulons refonder et orienter ; C’est le sens enfin de tout ce que nous faisons en faveur de la compétitivité que vous avez délaissée. C’est aussi le sens de mesures telles que les emplois d’avenir ou encore le contrat de génération. Oui, la gauche travaille pour le bien public, la gauche redresse le pays (Exclamations sur de nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP), la gauche est à la tâche ; et vous, vous faites de l’idéologie avec une conception totalement passéiste de ce grand pays qu’est la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Précarité énergétique

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Un foyer français sur deux n’a pas les moyens de se chauffer correctement. Je ne vous raconterai pas l’histoire de la petite fille aux allumettes d’Andersen. Le sujet est trop grave pour que l’on s’en remette aux contes de Noël.

Un foyer français sur deux est mal chauffé, disais-je. Cela signifie que nous connaissons tous des familles concernées par ces difficultés. C’est votre voisin retraité, pourtant propriétaire de son pavillon, qui n’a que 16 degrés chez lui. C’est l’étudiant qui donne des cours du soir à vos enfants, qui a une fenêtre qui ferme mal. C’est la famille qui, face à deux années d’attente pour obtenir un logement social, loue un appartement, certes pas forcément insalubre, mais coûtant 3 500 euros par an de chauffage pour atteindre péniblement 17 degrés.

Il est impossible que je sois la seule, mes chers collègues, à recevoir dans ma permanence ces femmes et ces hommes démunis face à la précarité énergétique.

M. Lucien Degauchy. Pourquoi avoir augmenté le gaz ?

Mme Isabelle Attard. Nous avons déjà débattu dans cet hémicycle du principe de tarification progressive de l’énergie, et le Gouvernement a prévu d’étendre la protection contre les coupures d’électricité et de gaz aux bénéficiaires des tarifs sociaux mais, aujourd’hui, plus de 50 % des ayants droit ne bénéficient ni des aides aux impayés de l’énergie, ni des tarifs sociaux.

Ce n’est pas en rendant le chauffage moins cher que nous réglerons le problème des passoires énergétiques.

Les Français attendent de nous des mesures rapides pour améliorer leur pouvoir d’achat. Voilà un levier efficace que le Gouvernement peut actionner. La construction de logements énergétiquement sobres par les secteurs privé et public doit donc être une priorité absolue, mais la construction ne peut pas tout, et la rénovation thermique doit aussi être réalisée à grande échelle.

Madame la ministre, la question posée hier par ma collègue et amie Véronique Massonneau portait sur le droit à mourir dans la dignité. Quelles seront vos actions pour que tous nos concitoyens puissent enfin vivre dans la dignité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Vous avez évidemment raison, madame la députée, sur le diagnostic que vous portez, d’autant qu’avec le renchérissement du coût de l’énergie, la situation devient plus difficile.

Nous avons donc décidé, comme l’a annoncé le Président de la République lors de la conférence environnementale, de lancer un grand plan énergétique pour rénover 500 000 logements par an. Nous travaillons sur ce dossier avec Delphine Batho et nous aurons l’occasion de vous le présenter, le grand principe étant la simplification des procédures, avec un guichet unique, un numéro vert pour que toutes les familles, tous les foyers puissent avoir accès le plus simplement possible au dispositif.

Nous mobilisons d’ores et déjà les dispositifs existants, comme le programme « Habiter mieux », dont la mise en œuvre avait été difficile, pour que 50 000 familles par an parmi les plus précarisées puissent bénéficier à l’horizon de 2017 d’une rénovation thermique de qualité.

Nous mobilisons également l’ensemble des fonds du fonds d’aide à la rénovation thermique, qui représentent encore aujourd’hui 470 millions d’euros, pour accélérer des rénovations thermiques en cours.

Enfin l’ANAH, qui disposera de bien davantage de ressources pérennes grâce à l’affectation des quotas carbone, va jouer un très grand rôle en identifiant les familles et les ménages qui en ont besoin et en créant, grâce aux emplois d’avenir, des postes d’ambassadeurs de la rénovation thermique permettant d’aller au plus près des ménages, ceux qui n’osent pas demander, ceux qui ne savent pas à quoi ils ont droit et qui, du coup, ne demandent rien, je pense en particulier aux personnes vieillissantes qui sont propriétaires occupants.

M. Alain Marsaud. Blabla !

Mme Cécile Duflot, ministre. Vous pouvez donc compter sur nous à la fois pour réaliser ce grand plan et pour mettre en œuvre dès aujourd’hui les mesures dont nous avons besoin.

J’en profite pour remercier l’association des maires de France, qui a accepté de répondre à mon appel et de faire en sorte que les collectivités locales et les maires mobilisent l’ensemble de leurs services dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mariage pour tous

M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Bernard Perrut. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Les Français sont attachés aux libertés et à l’égalité des droits. Ils sont respectueux des choix de vie de chacun et ne refusent pas les évolutions de notre société, mais ils sont inquiets, voire choqués, quand ils lisent dans la presse cette affirmation de l’un des grands défenseurs du mariage pour tous : « Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? ». (Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Scandaleux !

M. Bernard Perrut. Devant de tels propos, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous dire aux députés et aux Français ce que vous voulez réellement faire à travers cette réforme ?

Voulez-vous, sous prétexte de modernité, détruire le mariage, qui est non pas seulement un contrat, mais une institution fondée sur la réalité biologique de la différence des sexes et qui permet la lisibilité de la filiation ?

Voulez-vous, au nom d’une conception spécifique de l’égalité entre adultes, créer des inégalités entre enfants, avec de nombreuses incertitudes juridiques préjudiciables à tous, et faire disparaître de tous les codes, lois et textes les mots de père et mère ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Ce n’est pas prévu !

M. Bernard Perrut. Voulez-vous, plus grave, après l’instauration de la PMA par un simple amendement, sans respect des lois sur la bioéthique, aller jusqu’à la marchandisation du corps de la femme et légaliser les mères porteuses ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI.) L’humain va-t-il entrer dans la catégorie des biens de consommation commercialisables ? C’est inacceptable.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, vous qui voulez rassembler les Français, pourquoi n’engagez-vous pas avec eux un grand débat public…

Plusieurs députés du groupe UMP. Référendum !

M. Bernard Perrut. …car ce projet les interroge, les bouscule, les divise et suscite des réactions passionnées ?

Craignez-vous à tel point les débats, même au sein de votre groupe, qui ne laissera d’ailleurs pas la liberté de vote sur ce texte ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous n’avez de cesse, monsieur le député, de réclamer un débat public.

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Depuis plusieurs semaines pourtant, il se tient ici même à l’Assemblée nationale.

De nombreux députés du groupe UMP. Non !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Des débats et des auditions sont organisés par les rapporteurs du texte de loi. Or j’ai pu moi-même constater que les députés de l’opposition y étaient extrêmement peu nombreux et très rarement présents. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) Je vous laisse gérer cette contradiction entre vous.

Vous disposez du texte du Gouvernement. Vous le connaissez donc et vous savez que les mots de père et de mère ne disparaissent pas du code civil.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ils sont maintenus en l’état dans l’intégralité du titre VII.

Vous n’allez pas nous faire croire que vous vivez dans un igloo et que vous n’avez aucune connaissance de la diversité des familles dans ce pays (Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste), que vous ignorez totalement qu’il y a des familles homoparentales (Protestations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste), que vous ne savez pas qu’il y a autant d’amour dans des couples homosexuels que dans des couples hétérosexuels, qu’il y a autant d’amour pour les enfants, et que tous ces enfants sont les enfants de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Oui, le Gouvernement présente un texte de loi de grand progrès, de grande générosité, de fraternité et d’égalité. Nous apportons la sécurité juridique à tous les enfants de France, et j’en suis particulièrement fière. (Les députés des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP se lèvent et applaudissent. – Huées sur les bancs des groupes UMP, Rassemblement-UMP et UDI.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Zéro !

M. Philippe Meunier. Vous aurez la rue !

Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012

M. le président. La parole est à M. Emeric Bréhier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Emeric Bréhier. Monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, le Conseil européen des 13 et 14 décembre derniers a permis de franchir une nouvelle étape dans la sortie de crise, en trouvant un accord ouvrant la voie à une véritable union bancaire. Les travaux préparatoires à ce Conseil, au conseil Écofin et à l’Eurogroupe ont également permis de trouver une issue favorable au déblocage d’une aide de plus de 50 milliards d’euros pour la Grèce.

M. Guy Geoffroy. Allô !

M. Emeric Bréhier. Politiquement, il a entrouvert la porte à une intégration renforcée une fois que les échéances électorales italiennes, allemandes et européennes auront livré leur verdict. Le Président de la République a de nouveau fait preuve de pragmatisme au service du volontarisme.

Plusieurs députés du groupe UMP. Allô ! Allô !

M. Emeric Bréhier. Devant le refus de procéder à ce stade à la création d’un budget de la zone euro, François Hollande a fait part de sa volonté de promouvoir des instruments de solidarité en Europe.

Face aux politiques d’austérité, il a imposé des contrats de compétitivité et de croissance qui pourront être soutenus financièrement à hauteur de plusieurs milliards : c’est un grand pas vers la sortie de crise et la réorientation tant souhaitée de l’Union vers davantage de solidarité.

Finalement, ce sommet a montré que les États les plus volontaristes dans l’intégration, ceux en faveur de plus de solidarité, souvent ne sont pas ceux que l’on croit. La France s’est montrée lors de ce Conseil européen à l’avant-garde d’une évolution majeure de notre projet commun. Ce n’est plus la France qui bloque les projets qu’elle a elle-même initiés, ce n’est plus la France qui doute d’elle-même et de sa place au sein du concert européen ; c’est la France qui propose, qui impulse et qui saura, à son rythme mais avec une détermination sans faille, surmonter les obstacles.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer…

M. Maurice Leroy. Il peut le faire !

M. Emeric Bréhier. …les efforts de la France pour promouvoir sa conception, et en quoi les résultats du dernier Conseil européen en constituent la défense et l’illustration ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Maurice Leroy. Allô ! Ne coupez pas !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le député, vous m’interrogez sur les conclusions du dernier Conseil européen. Ce Conseil visait essentiellement trois objectifs : poursuivre l’ambition de croissance portée par le Conseil européen du mois de juin, qui s’était traduit par le pacte de croissance de 120 milliards d’euros ; renforcer les actions en faveur de la remise en ordre de la finance ; essayer de créer de la solidarité.

Tout d’abord, le Conseil européen a eu pour principal acquis de remettre la finance en ordre avec la mise en œuvre de l’Union bancaire. Nous voulions que la totalité des banques européennes soit supervisées pour éviter que les errements spéculatifs d’hier ne se reproduisent demain. C’est ce qui a été acté à l’occasion du Conseil européen de jeudi et vendredi derniers, au terme d’un excellent compromis, notamment entre la France et l’Allemagne, qui permettra la surveillance de toutes les banques,…

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …avec un pouvoir d’évocation de la situation des banques européennes devant la Banque centrale européenne, et une bonne articulation entre les missions des banques centrales nationales et du superviseur européen qu’est la BCE.

Nous poursuivrons cette action avec la mise en œuvre d’un dispositif de résolution des crises bancaires et de garantie des dépôts qui donnera au système bancaire européen tous les moyens de financer l’économie réelle plutôt que la spéculation.

Le volet de la croissance, c’est la volonté qui est la nôtre de faire en sorte que le budget de l’Union européenne ne se réduise pas à une négociation sur les coupes et les rabais, mais qu’il permette de financer de bonnes politiques pour la croissance. Au terme des travaux de l’Eurogroupe – il faut saluer le rôle joué par le ministre des finances Pierre Moscovici pour obtenir cet accord –, nous avons désormais, sur la Grèce, des dispositifs qui permettent de garantir l’intégrité de la zone euro et l’irréversibilité de la monnaie unique.

Enfin, le volet de la solidarité, c’est notre volonté de progresser sur les contrats de compétitivité et de croissance, sur l’Europe sociale, pour que l’Europe envoie aux peuples européens le message qu’ils attendent de l’Union. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Disparition du PEAD

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. François Rochebloine. Monsieur le Premier ministre, je souhaite rappeler ici les très vives inquiétudes des associations humanitaires face aux menaces qui pèsent sur le Programme européen d’aide aux plus démunis. Le PEAD permet depuis 1987 de financer un dispositif original et pragmatique destiné à soulager les plus démunis. En vingt-cinq ans, ce système a donné toute satisfaction, en permettant d’apporter une aide indispensable à 18 millions d’Européens. Né, rappelons-le, d’une idée de Coluche et de Jacques Delors, ce programme a démontré sa grande utilité, que dis-je, son caractère indispensable.

En condamnant le PEAD en avril 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a placé le réseau associatif dans une situation impossible, près du quart des repas distribués en France dépendant directement de ce mode de financement. Une première réponse avait pu être apportée en novembre 2011 par le gouvernement précédent, permettant d’assurer un prolongement de l’aide sur 2012 et 2013. Mais pour 2014, le problème reste entier.

Dans le cadre du dernier Conseil européen, la France s’est engagée à soutenir l’idée d’un fonds spécifique permettant de conforter l’action menée par les associations. Nous saluons le travail remarquable accompli par les Restos du Cœur, la Banque alimentaire, le Secours populaire et la Croix rouge, qui distribuent plus de 130 millions de repas chaque année. Nous le saluons d’autant plus que la pauvreté a malheureusement gagné du terrain. Avec 8,6 millions de pauvres en France, nous ne pouvons pas considérer la situation actuelle comme un fait accompli.

Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous rassurer le groupe UDI et la représentation nationale, ainsi que les associations en charge des plus démunis, qui doivent pouvoir garder leur capacité d’action, et vous engagez-vous à ce que la France assure pleinement sa mission de solidarité pour prendre, le cas échéant, le relais de l’Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le député, je vous remercie pour votre question, qui va me donner l’occasion d’apporter quelques précisions sur la chronologie des faits que vous évoquez.

Contrairement à ce que vous indiquez, le Programme d’aide aux plus démunis n’a pas été sauvé par le précédent gouvernement. Ce dernier a obtenu, en contrepartie de l’accord scellé avec le gouvernement allemand de supprimer ce programme, sa prolongation d’une année. En 2011, il a en effet été décidé, à la demande des Allemands, que ce programme serait supprimé ; la France a demandé, en contrepartie de cette décision, qu’il soit prolongé pendant un an.

M. François Rochebloine. C’est ce que j’ai dit !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Cela signifie que les vingt-sept pays de l’Union européenne se trouvaient, il y a quelques mois, dans une situation où ce programme était condamné et où il fallait trouver les solutions pour le doter et le sauver. C’est ce que nous avons décidé d’obtenir, non pas il y a un an mais en octobre et novembre, lorsque nous avons négocié le cadre financier de l’Union européenne pour la période 2014-2020.

Nous avons décidé à ce moment-là de faire en sorte que ce programme soit financé au titre des fonds structurels, du Fonds social européen, en le dotant d’un budget significatif qui lui permette de venir en aide aux plus démunis, là où il avait été décidé de mettre fin à cette politique.

M. Maurice Leroy. C’est minable !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous nous battons aujourd’hui pour que, dans le cadre des perspectives budgétaires 2014-2020, ce programme soit bien inscrit dans les fonds structurels et qu’il soit correctement doté. C’est le combat de la France, nous le menons avec certains partenaires de l’Union européenne et en très étroite liaison avec les associations auxquelles vous avez fait référence : avec les ministres Stéphane Le Foll et Marie-Arlette Carlotti, nous avons régulièrement visité ces associations et nous les soutenons dans leur action. Je ne doute pas que, dans le cadre des prochaines négociations, nous parviendrons à conforter définitivement ce programme menacé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Politique économique du Gouvernement

M. le président. La parole est à Mme Laure de La Raudière, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

M. Gérald Darmanin. Il ne répond pas !

Mme Laure de La Raudière. Monsieur le Premier ministre, les Français ne comprennent pas votre politique en matière économique ! Et pour cause : vous changez de cap sans cesse, vous ne faites preuve d’aucune cohérence, ni politique ni entre membres du Gouvernement.

M. Guy Geoffroy. C’est vrai !

Mme Laure de La Raudière. Amateurisme et incohérence du Gouvernement dans le traitement du dossier Florange : en quelques jours, avec force communication médiatique, les Français et les salariés de Florange ont vécu l’annonce d’une nationalisation, puis l’arrivée d’un repreneur providentiel, enfin le désaveu du Premier ministre. Autant de coups de poignard portés à des salariés qui attendent désespérément la concrétisation de vos promesses.

Amateurisme et incohérence du Gouvernement lorsque vous décidez, en juillet, de supprimer la TVA anti-délocalisation, avant d’affirmer, en septembre, sur une grande chaîne de télévision que vous n’avez pas « l’intention d’augmenter la TVA parce que c’est une mesure injuste », pour finalement, trois petits mois plus tard, proposer de l’augmenter. Où est le sens de la politique gouvernementale ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Il n’y en a pas !

Mme Laure de La Raudière. Amateurisme et incohérence également lorsque vous fiscalisez les entreprises de 13 milliards d’impôts supplémentaires en juillet et octobre, et que deux mois plus tard, vous instituez un crédit d’impôt compétitivité.

Amateurisme encore quand vous n’expliquez pas comment vous financez plus des deux tiers de ce crédit d’impôt.

Dès lors, monsieur le Premier ministre, pouvez-vous éclairer la représentation nationale et les Français sur le financement exact de cette mesure en faveur des entreprises ? 13 milliards sont encore à trouver. Quelles réductions de dépenses publiques sont prévues ? Quelles seront les suppressions de postes dans la fonction publique ? Quelle sera la nouvelle hausse d’impôts sur les ménages ? Y aura-t-il une hausse du carburant diesel pour financer cette mesure ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Madame la députée de La Raudière, vous dites : « Amateurisme et incohérence. »

M. Guy Geoffroy. C’est vrai !

M. Pierre Moscovici, ministre. Je vous réponds : « Redressement, cohérence et détermination. » (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Exclamations sur de nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Plusieurs députés des groupes UMP et Rassemblement-UMP. Impôts !

M. Pierre Moscovici, ministre. Le redressement est nécessaire. Je ne vais pas revenir sur les causes, c’est-à-dire sur votre échec, sur l’héritage que vous nous laissez, sur l’état du pays, sur la dégradation de la compétitivité, mais on pourrait le faire encore et encore, car les Français n’ont pas oublié ce que vous avez fait, ce que vous avez défait aussi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).

M. Gérald Darmanin. Vous avez vu le résultat des élections partielles ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Ce gouvernement a un cap, une politique, une stratégie : c’est un triptyque.

Tout d’abord, il s’agit de redresser les finances publiques que vous avez laissées dans un état lamentable : réduire les déficits en les faisant passer en un an de 5 % à 3 %, et pour cela demander un effort, mais un effort partagé.

C’est aussi la construction européenne. Bernard Cazeneuve vient d’exposer ce que nous avons fait et ce qui a été décidé dans le cadre du Conseil ECOFIN et de l’Eurogroupe. Nous avons stabilisé la situation de la zone euro, ce qui est un élément fondamental pour faire redémarrer la confiance.

Et puis il y a la compétitivité. Nous pouvons nous enorgueillir d’avoir décidé ce pacte, d’une ampleur sans précédent, pour que nos entreprises puissent demain investir et embaucher. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

Vous m’interrogez sur le financement. Je ne comprends vraiment pas votre question tant tout est clair et documenté. Je rappelle que ce crédit d’impôt montera en charge sur trois ans : 10 milliards en 2013, 15 milliards en 2014, 20 milliards l’année suivante. Je rappelle aussi que le financement en sera assuré – à partir de 2014 puisque c’est un crédit d’impôt – d’abord par une modulation des taux de TVA, ensuite par une augmentation de la fiscalité écologique, pour laquelle nous sommes en train de lancer une consultation sous l’égide de Delphine Batho, enfin par 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires.

M. Yves Censi. Où ça ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Hier encore, nous étions réunis autour du Premier ministre pour voir comment définir une méthode, une modernisation de l’action publique plus intelligente que la vôtre. Voilà ce que nous faisons ! Voilà la vérité ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Grand Paris

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Monsieur le Premier ministre, en vous dissimulant derrière le rapport Auzannet, dont vous êtes le commanditaire, vous tuez une belle ambition collective, celle du Grand Paris au service des Franciliens, une ambition de croissance et d’emploi partagée et élaborée avec les Franciliens, avec l’ensemble des élus, toutes tendances confondues, et avec les acteurs économiques. Allez-vous signer le coup d’arrêt de l’ensemble de ce projet en le morcelant ? Cela ferait de vous et de votre gouvernement Les Tontons flingueurs du Grand Paris. Je ne peux m’y résoudre !

M. Guy Geoffroy. Mais Les Tontons flingueurs c’était drôle !

M. Arnaud Richard. Les réponses qui nous ont été apportées hier n’ont rassuré personne, à l’exception de la cocasse ligne en cul-de-sac entre Massy et Saclay destinée à M. Lamy.

Vous vous devez de lever le voile sur les réelles intentions du Gouvernement et de vous prononcer sur le contenu de ce rapport funeste. S’agit-il de suivre la seule ligne du rééquilibrage Est-Ouest ? S’agit-il de demander aux entreprises de contribuer pour quelque chose qui ne se fera pas ou alors plus tard ? Dans ce cas, faut-il des taxes supplémentaires sans un réseau nouveau ? Le coup d’arrêt porté au Grand Paris par son démantèlement est au-delà de l’inacceptable : il en va du développement économique de la région Capitale, des conditions de transports de millions d’hommes et de femmes qui souffrent quotidiennement de l’inadaptation du réseau actuel.

Au-delà, nous déplorons l’absence de vision, d’ambition et de volontarisme du Gouvernement quant aux grands projets d’infrastructures de transports, souvent initiés depuis plusieurs années et source de croissance et d’emplois pour nos territoires. Aujourd’hui, la quasi-totalité de ces projets semble menacée, au premier rang desquels le Canal Seine-Nord-Europe, provoquant l’inquiétude de nombreux élus et des populations concernées.

Monsieur le Premier ministre, je vous demande de prendre votre responsabilité devant la représentation nationale. Demandez, je vous en conjure, au Père Noël une boussole afin qu’au retour des fêtes, vous puissiez proposer un cap à notre pays ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur de nombreux bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Monsieur le député Richard, il est assez facile d’annoncer de grands projets ; il est souvent plus difficile de les réaliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Un grand projet tel que celui du Grand Paris Express nécessite du compromis, du travail avec tous les élus. J’en reconnais ici avec lesquels nous travaillons en bonne intelligence et qui savent très bien que ce projet, pour des raisons sur lesquels il ne m’appartient pas de revenir, n’avait pas été finalisé pour être mis en œuvre dans les délais prévus, y compris sur un plan technique. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et Rassemblement-UMP.) En effet, réaliser dix-huit kilomètres de métro par an, aucun pays au monde ne l’a fait.

M. Laurent Wauquiez. Et alors ?

Mme Cécile Duflot, ministre. Ce projet ne pouvait donc pas être réalisé en l’état.

En revanche, avec méthode, avec une certaine discipline, le sens du compromis et les engagements réitérés par le Premier ministre, le 30 octobre dernier, que l’État assumera ses obligations d’actionnaire pour financer le projet, nous allons mettre celui-ci en œuvre en répondant aux priorités, aux besoins des populations qui se sont très largement exprimées pendant le débat public. Nous le ferons sans réflexion partisane, avec vraiment l’objectif d’améliorer les transports en commun au quotidien pour les habitants franciliens, d’établir les dessertes de banlieue à banlieue, nécessaires pour les activités professionnelles et le développement de territoires, mais aussi pour le rééquilibrage de zones aujourd’hui enclavées.

Tel est l’état d’esprit du Gouvernement. Nous n’en dévierons pas et je n’en dévierai pas. Nous aurons le plaisir de voir sortir de terre ce nouveau réseau dont les Franciliens ont besoin, mais, je le redis, dans la sérénité et avec méthode. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Reprise du site de TRW de Ramonchamp

M. le président. La parole est à M. François Vannson, pour le groupe Rassemblement-Union pour un Mouvement Populaire.

M. François Vannson. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à monsieur le ministre du redressement productif et porte sur l’avenir de l’usine de sous-traitance automobile TRW Ramonchamp, située dans ma circonscription, qui fait l’objet depuis l’été dernier d’un placement en redressement judiciaire.

Cette situation n’est pas sans générer de vives inquiétudes quant à l’avenir des 313 salariés de ce site dont la fermeture aurait un impact social et économique catastrophique sur ce territoire de la Haute-Moselle déjà fortement touché par la crise économique.

Lors d’une réunion organisée la semaine dernière à Bercy, vos conseillers ont pu constater la qualité du plan de reprise. Cependant, à l’heure où nous parlons, la réussite de ce plan ne dépend, après l’engagement de PSA, que de la volonté de Renault de maintenir ses engagements contractuels auprès du site de Ramonchamp.

Cet engagement, qui n’aurait aucune conséquence financière pour Renault puisque seul un maintien des commandes à hauteur de 7 millions d’euros est demandé, jouerait un rôle déterminant dans la réussite du plan de sauvetage et permettrait de préserver de nombreux emplois.

C’est pourquoi, mercredi dernier, j’ai fait parvenir en mains propres à Carlos Ghosn, PDG de Renault, un courrier lui précisant la situation.

De leur côté, les représentants des salariés, dont le sens des responsabilités mérite d’être souligné, ont été reçus par la direction des achats de Renault et se sont heurtés à un certain scepticisme de la part du constructeur automobile. Cette position semble difficilement compréhensible compte tenu du sérieux des prestations offertes par l’entreprise qui, depuis plusieurs années, donne entière satisfaction à ses clients et notamment à Renault.

Aussi, monsieur le ministre, face à l’urgence de la situation, il est indispensable qu’un accord soit trouvé au plus haut niveau entre vous et le PDG de Renault, un groupe dont je vous rappelle que l’État détient 15 % du capital. Monsieur le ministre, pensez-vous obtenir cet accord ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Monsieur le député Vannson, le groupe américain semblait effectivement fermé à toute négociation et c’est bien grâce à la mobilisation de tous les acteurs que nous avons pu faire venir toutes les parties prenantes à la table des discussions sur l’avenir des capacités industrielles du site.

Je salue avec vous l’attitude de tous les salariés du site de Ramonchamp et de leurs représentants. Face aux difficultés de l’entreprise, ils ont toujours choisi d’être responsables et ils ont construit l’offre à laquelle vous avez fait référence.

TRW offre des garanties aux candidats à la reprise, notamment la cession du site, des bâtiments et des outils, un versement de 18 millions d’euros ainsi que l’utilisation de la marque durant les cinq prochaines années.

Les constructeurs clients du site ont été sollicités pour offrir des perspectives à la société en garantissant le maintien de tout ou partie des contrats passés. Les négociations sont en cours.

Le ministère du redressement productif est pleinement impliqué dans ce projet de reprise. Le cabinet du ministre a réuni hier TRW, les constructeurs, les repreneurs et leurs conseils pour consolider le plan d’affaires qui pourra être offert à la société.

Il en ressort que PSA est très satisfait des productions du site et prêt à s’engager à transférer une part de l’activité actuellement réalisée par TRW à la nouvelle société. Il l’a indiqué à l’administrateur judiciaire. De son côté, Renault est sensible aux engagements et aux garanties apportées à la nouvelle société par TRW. Des échanges sont en cours pour offrir les assurances nécessaires au constructeur s’agissant des pièces de sécurité, tout en construisant un plan d’affaires viable pour les repreneurs.

Notre objectif est bien, comme vous l’avez dit, de disposer d’ici à vendredi, jour de l’audience au tribunal de commerce d’Épinal, un engagement des deux constructeurs.

Comme vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour la préserver les capacités industrielles de notre pays mais aussi la solidarité entre acteurs, petits et grands, de la filière automobile. Le ministère du redressement productif portera également une attention particulière à la situation de l’ensemble des sites de TRW en France.

M. Jean-François Lamour. Veuillez agréer, monsieur, mes salutations distinguées !

Situation financière des régimes de retraite

M. le président. La parole est à Mme Martine Pinville, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Martine Pinville. Monsieur le président, ma question s’adresse à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.

Aujourd’hui, le Conseil d’orientation des retraites a remis ses prévisions. Nous le savions, elles ne sont pas bonnes. Les nouvelles prévisions de déficit du système de retraite ont de quoi nous inquiéter.

Malgré les réformes, l’ensemble des régimes affichait encore l’an dernier un besoin de financement de 14 milliards d’euros. Si rien n’est fait d’ici à la fin du quinquennat, le déficit atteindra presque 19 milliards d’euros en 2017.

M. Guy Geoffroy. Rien ne sera fait !

Mme Martine Pinville. C’est un désaveu pour la précédente majorité (Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.) Durant la fin de précédente législature, et particulièrement durant la campagne présidentielle, l’opposition a en effet brandi cette réforme de 2010 en étendard, comme la solution à tous les maux. Le résultat est là, sans appel. Voilà le constat d’échecs que nous pouvons aujourd’hui dresser devant nos concitoyens.

M. Yves Fromion. On vous attend au tournant !

Mme Martine Pinville. Voilà, mesdames et messieurs de l’opposition, votre triste bilan en matière de réforme des retraites.

Il nous faudra donc agir dans un cadre financier durablement équilibré, parce que nous souhaitons maintenir notre système par répartition, parce que nous souhaitons une vraie prise en compte de la pénibilité, parce que nous souhaitons maintenir le pouvoir d’achat des petites retraites.

M. Guy Geoffroy. Comment ?

M. Jean-Marie Sermier. Vous mentez aux Français !

Mme Martine Pinville. Il nous faudra, madame la ministre, prendre le temps d’un diagnostic partagé, prendre le temps de la concertation avec les partenaires sociaux. (Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.)

Nous devrons en effet aboutir à une réforme juste, pérenne et surtout financée qui donnera à chacun un avenir pour sa retraite et mettra fin aux injustices de la réforme Fillon. (Mêmes mouvements.)

Face à ce constat, je vous remercie, madame la ministre, de bien vouloir nous indiquer les intentions du Gouvernement et la feuille de route que vous envisagez de nous proposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame la députée Martine Pinville, le rapport du Conseil d’orientation des retraites a effectivement présenté ce matin les premières projections financières pour nos régimes de retraite à l’horizon de 2020, puis de 2050 et 2060. Vous l’avez dit, ces projections ne sont pas bonnes, à court terme en tout cas.

Vous avez eu raison de rappeler que le Gouvernement précédent a présenté et fait adopter une réforme qui prétendait régler le problème des retraites et qui, en réalité a ajouté l’injustice à l’irresponsabilité. (Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP, UMP et UDI. – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Pour la droite, le courage c’est l’injustice (Vives exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.) Pour la droite, le courage a été de s’en prendre aux femmes en les faisant travailler davantage (Mêmes mouvements). Ce courage, cette injustice ont consisté à faire peser l’essentiel de la réforme sur celles et ceux qui ont commencé à travailler jeunes (Mêmes mouvements.)

M. Guy Geoffroy. C’est scandaleux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Le prétendu courage de votre réforme a abouti à mettre à mal l’équilibre financier de nos régimes : 20 milliards de déficit à l’horizon de 2020 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Vives exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP.)

Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement va engager la concertation tranquillement, calmement. (Vives exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP et UMP) Parce que le changement, c’est aussi celui de la méthode : nous voulons faire en sorte que chacune et chacun puisse s’exprimer. Nous voulons une réforme…

M. Patrice Verchère. Laquelle ?

Mme Marisol Touraine, ministre. …de responsabilité qui permette de maintenir et de sauvegarder les équilibres des régimes de retraite par répartition ; mais nous voulons aussi une réforme de justice…

M. Patrice Verchère. Blablabla !

Mme Bérengère Poletti. Mensonge !

Mme Marisol Touraine, ministre. …dans le prolongement de ce que nous avons fait pour ceux qui ont commencé à travailler jeune, en leur permettant de partir à soixante ans. Parce que le vrai courage, mesdames et messieurs les députés, c’est celui de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, et RRDP – Exclamations sur les bancs des groupes Rassemblement-UMP, UMP et UDI.)

Site de Texas Instruments dans les Alpes-Maritimes

M. le président. La parole est à M. Lionnel Luca, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Lionnel Luca. Ma question s’adresse à M. le ministre du redressement productif, et j’y associe tous mes collègues parlementaires des Alpes-Maritimes.

La firme américaine de Dallas, Texas Instruments, a annoncé un plan de licenciement pour tous ses sites, américains et mondiaux, mais seul celui de Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes, est menacé de fermeture avec quelque 517 licenciements. L’année même du cinquantième anniversaire de son implantation sur la Côte-d’Azur, c’est un mauvais coup porté à la première technopole européenne de Sophia Antipolis, dont elle est l’un des fleurons.

C’est surtout un reniement de l’engagement que la firme a donné, il y a trois ans, à Christine Lagarde, alors ministre de l’économie et de l’industrie, de conserver ce site originel et une très mauvaise manière à l’égard de l’État français, qui a apporté quelque cent millions d’euros de crédits d’impôt recherche ces cinq dernières années, mais aussi des collectivités territoriales de la région et du département qui ont accompagné son développement.

Nous ne pouvons, nous ne devons pas accepter ces reniements. À l’instar de Charles Pasqua qui, il y a quelques années, avait réussi à écarter une première tentative de fermeture en 1994, je souhaite, monsieur le ministre, que vous soyez celui qui maintienne également cette activité de haute technologie, que les équipes d’ingénieurs, d’un très haut niveau mondial, méritent.

Les élus de toutes tendances, comme les collectivités territoriales, seront à vos côtés si vous relevez le défi du refus d’une fatalité fallacieuse en exigeant le maintien du site ou bien alors le remboursement de l’argent public des Français qui a permis à une entreprise, qu’on a connu plus respectable, de réaliser des profits.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Lionnel Luca. Monsieur le ministre, quelle est votre détermination ? Que comptez-vous faire dans le cadre de votre fonction ministérielle pour le maintien du site de Texas Instruments, dans les Alpes-Maritimes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Monsieur le député Lionnel Luca, le ministre du redressement productif est extrêmement attentif à l’évolution de ce dossier dont nous connaissons l’importance pour les Alpes-Maritimes et, plus largement, pour la côte d’Azur.

M. Guy Geoffroy. Il va nationaliser !

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Nous avons appris hier la fermeture officielle du site de Texas Instruments à Villeneuve-Loubet. Les signaux négatifs étaient nombreux suite à l’annonce faite par Texas Instruments, le 14 novembre, d’arrêter les activités de microprocesseurs et de connectivité sans fil destinées aux smartphones et aux tablettes. Dès cette date, les parlementaires et les élus locaux se sont mobilisés et nous voulons le saluer ici.

Arnaud Montebourg et son cabinet ont pu échanger avec vous mais également avec le sénateur Marc Daunis, qui a d’ailleurs posé une question sur ce dossier au Sénat hier matin. De même, des rencontres avec le directeur général de Texas Instruments, Christian Tordo, et avec M. le préfet, ont eu lieu en début de semaine.

Face à la perspective de la fermeture annoncée d’un site historique, le ministère du redressement productif a décidé de prendre une série d’initiatives. Il a tout d’abord provoqué très rapidement une réunion à Bercy avec Greg Delagi, le vice-président en charge des systèmes embarqués de Texas Instruments. Cette réunion aura lieu le 4 janvier. Il organisera ensuite dans les prochains jours une rencontre avec l’intersyndicale de Texas Instruments afin d’en connaître les revendications. Enfin, au-delà de la situation préoccupante de Texas Instruments, le ministère du redressement productif mettra tout en œuvre pour assurer l’attractivité de la technopole française la plus importante, Sophia Antipolis. J’aurai moi-même l’occasion de le rappeler lors d’un déplacement que je ferai au premier trimestre 2013 précisément à Sophia Antipolis.

Monsieur le député, le Gouvernement est mobilisé sur ce dossier (« Ha ! » sur les bancs du groupe UMP.) qui préoccupe, je le sais, l’ensemble des élus de votre département. Soyez assuré de notre détermination à garantir un avenir industriel au département des Alpes-Maritimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Modernisation de l’action publique

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Cécile Untermaier. Madame la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, la révision générale des politiques publiques – RGPP – a été engagée en 2007 par le Gouvernement de François Fillon.

De nombreux rapports ont évalué la mise en œuvre de cette RGPP. L’un des premiers, celui de la Cour des comptes, publié en 2009, regrettait une démarche trop quantitative. Le dernier en date, remis au Premier ministre en septembre dernier, critiquait vigoureusement la méthode brutale de cette réforme de l’ère Sarkozy, qui s’est soldée par la suppression aveugle de 150 000 postes au cours du quinquennat précédent, dont 65 000 entre 2009 et 2012. Ces suppressions ont conduit à une véritable casse des services publics. Nos territoires ont ainsi subi les conséquences désastreuses de la révision générale des politiques publiques qui n’avait de révision que le nom, puisque le maître mot était la suppression des services publics.

M. François Sauvadet. Oh !

Mme Cécile Untermaier. Ce bilan de la RGPP n’est plus à faire, il nous faut l’assumer et reprendre par une autre méthode la modernisation, nécessaire, de l’action publique. Ainsi le Premier ministre a-t-il convoqué le 1er octobre dernier un séminaire gouvernemental sur la modernisation de l’action publique.

M. Philippe Meunier. Nous sommes sauvés !

Mme Cécile Untermaier. Cette initiative a débouché sur un premier comité interministériel, qui s’est tenu hier.

Lors de ce comité, le Premier ministre a plaidé pour le lancement de trois grands chantiers en vue d’améliorer les services publics, tout en dégageant de nouvelles économies budgétaires : le chantier de la simplification administrative, celui de la transition numérique et celui, enfin, de l’évaluation des politiques publiques.

Pouvez-vous préciser à la représentation nationale, madame la ministre, quelles pistes prioritaires seront retenues et la méthode que vous entendez suivre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Madame la députée Cécile Untermaier, la réforme générale des politiques publiques aurait pu être une idée acceptable, mais la méthode utilisée, par sa brutalité et l’absence de cohérence d’ensemble, a abouti à une décision purement arithmétique qui a braqué à la fois les fonctionnaires…

M. François Sauvadet. Pas vous, pas cela !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. …– que nous devons respecter –, les collectivités territoriales, y compris beaucoup de communes rurales qui ont noté l’absence de service public et qui le rappellent aujourd’hui avec insistance, mais aussi les banlieues, certains quartiers. Bref, nous avons à reconstruire le sens de l’action publique.

M. François Sauvadet. Reconstruire ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. L’action publique, au XXIe siècle, c’est l’action publique « une », celle qui va du Gouvernement jusqu’au maire de la commune. Comment la réécrire sinon en décrivant une méthode que le Premier ministre a voulue claire, efficace, transparente, sous son autorité directe, en ayant une direction, le secrétariat général à la modernisation de l’action publique, qui puisse conduire les méthodes, pour aboutir à l’évaluation des politiques publiques. Ainsi, quarante politiques publiques seront évaluées au cours de l’année 2013. En fonction des résultats, des décisions seront prises.

Regardez de près les commissions consultatives : une centaine déjà pourraient être évaluées. Elles ne coûtent pas a priori, sauf qu’elles coûtent en temps-cadres. Regardez l’avalanche des normes qui, très souvent, de l’usager, du citoyen, de la commune, jusqu’à l’entrepreneur, coûtent cher à la fois à l’acteur, mais aussi à l’État ou aux collectivités territoriales. Écrivons une loi de décentralisation qui clarifie les compétences !

Bref, je crois que l’on peut faire, aujourd’hui, des économies. Nous pouvons en effet parvenir à ce 1 % d’économie qui nous est demandé, à condition que chaque fonctionnaire, que nous respectons, élu local ou ministre, s’attaque à ce sujet comme l’a demandé le Premier ministre.

M. le président. Nous avons terminé la séance des questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de Mme Sandrine Mazetier.)

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d’aide au séjour irrégulier

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion sur le rapport de la commission mixte paritaire du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées. (n° 539)

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. Yann Galut, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. Yann Galut, rapporteur de la CMP. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, chers collègues, le rapporteur de la commission mixte paritaire, M. Yann Galut, qui avait d’autres obligations, m’a demandé de le suppléer et vous prie de bien vouloir l’excuser pour son absence.

Je serai bref, car nous avons tous présents à l’esprit les débats qui se sont achevés la semaine dernière dans notre assemblée.

Le projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit de séjour et portant modification du délit d’aide au séjour irrégulier nous réunit pour la dernière fois. Il a deux objets.

Le premier est de mettre notre législation relative aux étrangers en conformité avec le droit de l’Union européenne. À ce titre, le projet de loi supprime le délit de séjour irrégulier et crée une procédure de retenue pour vérification du droit au séjour d’une durée maximale de seize heures. Il établit également un nouveau délit de maintien irrégulier sur le territoire, conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, et réforme le contrôle des titres de séjour.

Le second objet du texte est d’étendre le régime des immunités pénales en matière d’aide au séjour irrégulier, de manière à exclure clairement du champ de cette infraction les actions humanitaires et désintéressées des personnes physiques ou des associations. En d’autres termes, il supprime ce que l’on a pu appeler d’une manière extrêmement maladroite le « délit de solidarité ». Il répond ainsi à une demande légitime de l’opinion publique, soutenue par beaucoup d’entre nous.

Ce projet de loi est caractérisé par une volonté d’équilibre, conciliant justice et fermeté. Cet équilibre a été la préoccupation constante de la commission des lois et de son rapporteur, qui se sont efforcés de renforcer les garanties accordées aux personnes sans porter atteinte à l’efficacité de nos forces de l’ordre.

La commission a ainsi précisé que la personne retenue peut prendre tout contact utile afin d’assurer l’information et, le cas échéant, la prise en charge des enfants dont elle a la garde. Elle a rendu systématique la remise du procès-verbal à l’intéressé, encadré le recours aux menottes ou aux entraves et clarifié le fait que la personne retenue pourrait prévenir à la fois sa famille et toute personne de son choix.

En ce qui concerne le délit de solidarité – expression encore une fois impropre – la commission a étendu le champ de la nouvelle immunité humanitaire afin d’éviter les inconvénients liés à une énumération limitative des prestations concernées. Est ainsi également couverte toute aide n’ayant pas donné lieu à contrepartie si elle est destinée à préserver la dignité ou l’intégrité physique de l’étranger, au-delà des seules prestations énumérées – conseils juridiques, restauration, hébergement et soins médicaux – qui restent, bien sûr, incluses dans le champ de l’immunité.

Ces avancées ont été confortées lors de la séance publique.

L’apport le plus important est évidemment la présence de l’avocat lors de toutes les auditions, et non plus seulement lors d’un entretien de trente minutes. Cette amélioration résulte, pour des raisons de recevabilité financière, d’une initiative du Gouvernement et je tiens à remercier le ministre de l’intérieur d’avoir ainsi répondu à une demande très forte de nombre de nos collègues. La disposition relative à la prise en compte des intérêts des enfants a également été précisée, et l’encadrement de la prise des empreintes digitales a été renforcé.

Quant au dispositif relatif à l’immunité humanitaire en matière d’aide au séjour irrégulier, celui-ci a encore été amélioré, de manière à conforter pleinement l’extension du champ prévue en commission et à assurer sa parfaite lisibilité.

Les travaux de l’Assemblée ont été menés dans le même esprit que ceux du Sénat, qu’ils ont prolongés et complétés sur certains sujets. La commission mixte paritaire qui nous a réunis la semaine dernière sous la présidence de M. Jean-Jacques Urvoas n’a donc eu à trancher qu’un nombre de points limité, à partir de rédactions communes préparées par ses deux rapporteurs, Yann Galut pour l’Assemblée et Gaétan Gorce pour la seconde chambre.

La première de ces rédactions communes améliore la formulation de l’alinéa prévoyant que la personne retenue sera informée de la possibilité de ne pas signer le procès-verbal.

La deuxième prévoit la création d’un registre spécial des retenues, sur le modèle du dispositif qui figure dans le code de procédure pénale pour les gardes à vue. Ce registre permettra de garder une trace des mesures de retenue et de garantir ainsi un contrôle effectif de ces mesures par les autorités compétentes – je pense notamment au contrôleur général des lieux de privations de liberté.

La troisième précise la rédaction de l’article 6 relatif au délit de maintien irrégulier sur le territoire français, afin d’assurer sa parfaite conformité avec la jurisprudence européenne.

En définitive, le texte a été substantiellement amélioré à l’issue des travaux des deux assemblées sans que son équilibre général ne soit bouleversé.

Il faut garder présent à l’esprit que ce projet de loi n’est qu’une première étape. Son objet est circonscrit et son ambition n’est pas de résoudre toutes les difficultés soulevées par les six lois adoptées au cours des cinq dernières années.

M. Guillaume Larrivé. Que vous n’abrogez pas !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. le rapporteur. Le ministre de l’intérieur a annoncé sur ce point qu’un parlementaire en mission serait nommé prochainement afin d’examiner la question de la garantie juridictionnelle des droits des étrangers et de préparer un nouveau projet de loi qui créera, notamment, un nouveau titre de séjour pluriannuel, probablement d’une durée de trois ans. L’objectif est que ce projet de loi puisse être examiné au premier semestre 2013, ce dont nous nous félicitons. C’est dans ce cadre que nous reviendrons, par exemple, sur la question du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention, que la loi du 16 juin 2011 a fait passer de quarante-huit heures à cinq jours.

Pour l’ensemble de ces raisons, je vous invite à adopter ce projet de loi compte tenu des ultimes rectifications de notre commission mixte paritaire.

M. Jean-Jacques Bridey. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, le débat parlementaire sur le projet de loi relatif à la retenue et visant à l’abrogation du délit de solidarité arrive à son terme. La commission mixte paritaire qui s’est réunie le 13 décembre est parvenue, sans difficulté je crois, au texte commun soumis aujourd’hui à votre vote.

Le ministre de l’intérieur est actuellement en déplacement avec le Président de la République et vous prie de bien vouloir l’excuser pour son absence. Je tiens en premier lieu à remercier, en son nom et en celui du Gouvernement dans son ensemble, M. le président de la commission des lois pour la qualité du travail fourni par la commission. Des remerciements appuyés vont également au rapporteur Yann Galut, et à Jean-Yves Le Bouillonnec qui le supplée aujourd’hui.

Le projet de loi qui vous est présenté a été amélioré de manière sensible par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale. Je n’entrerai pas dans le détail des modifications substantielles apportées au texte initial du Gouvernement, puisque le rapporteur vient d’en faire le bilan.

En second lieu, il est utile de mettre en exergue les deux points fondamentaux de la politique menée en matière migratoire par Manuel Valls au nom du Gouvernement

L’efficacité tout d’abord. Comme le ministre de l’intérieur a déjà eu l’occasion de le rappeler, les effets d’annonce comme la politique du chiffre ont été abandonnés par le Gouvernement.

Comme j’ai pu le constater en maintes occasions, les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Le Gouvernement en est parfaitement conscient, le Premier ministre ayant lui-même déploré, lors de son discours de politique générale, « ces lois bâclées qui ne sont jamais appliquées ». On ne combat pas l’inertie par l’agitation, tout particulièrement en matière législative !

L’action du Gouvernement se veut intransigeante : intransigeante sur l’efficacité, intransigeante sur les principes.

Le présent projet de loi vient répondre à la situation laissée par le gouvernement précédent, qui ne pouvait perdurer.

En effet, la majorité précédente aurait dû, sans délai, tirer toutes les conséquences des arrêts rendus par la Cour de justice européenne en 2011 et interdisant de punir d’une peine d’emprisonnement le séjour irrégulier. Ce qu’elle n’a pas fait.

L’arrêt de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 fut sans surprise et sans appel. Dès lors, un étranger ne pouvait plus être mis en garde à vue du seul fait de son séjour irrégulier sur le territoire.

Le cadre d’intervention des services de police et de gendarmerie ainsi que des préfectures a été fragilisé, ce qui menace la mise en œuvre des lois votées par le Parlement en la matière.

En prévoyant une durée maximale de retenue de seize heures, le projet de loi répond à la fois aux besoins opérationnels et aux objectifs gouvernementaux de contrôle de l’immigration irrégulière, tout en respectant les impératifs constitutionnels de proportionnalité et de dignité dans le traitement de ces situations. C’était là notre intention. Nous sommes restés à l’écoute des souhaits et des propositions d’amélioration de votre chambre et du Sénat.

Votre assemblée a ainsi permis la présence de l’avocat pendant toute la durée de la retenue, avancée notable en faveur des droits des personnes concernées. Cet ajout au texte initial aura des conséquences concrètes et positives pour les étrangers placés en retenue. De même, des garanties supplémentaires ont été apportées, en commission et en séance, pour renforcer leurs droits : accès au médecin et à un interprète, ou encore droit de communication avec un membre de leur famille ou toute personne de leur choix.

Enfin, l’abrogation du délit de solidarité a également fait l’objet d’échanges très intéressants. Elle permet d’éviter que ne pèse la crainte d’une sanction pénale sur les personnes et les citoyens engagés qui viennent au secours des étrangers de manière désintéressée, sans pour autant affaiblir la capacité des forces de l’ordre à lutter contre les filières d’immigration irrégulière.

Le présent projet, qui aura force de loi dans quelques jours si votre vote le permet, vient compléter utilement l’action du Gouvernement. Notre politique en la matière consiste à concilier l’indispensable fermeté dans la lutte contre l’immigration irrégulière avec la protection des droits des étrangers. Rappelons à cet effet la circulaire relative aux critères objectifs et transparents de régularisation publiée récemment, celle relative aux étudiants étrangers, qui abroge la circulaire dite « Guéant » du 31 mai 2011, ou encore la circulaire du 6 juillet 2012 qui fait de l’assignation à résidence une alternative véritable à la rétention des familles avec enfants dans le cadre d’une procédure d’éloignement.

M. Guillaume Larrivé. Circulaire laxiste !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le travail du Gouvernement ne se résume pas à un empilement de lois…

M. Guillaume Larrivé. …mais à un empilement de circulaires !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. …mais se situe au plus proche des besoins et des ressources au service de nos objectifs communs.

D’autres initiatives suivront. J’en rappellerai trois.

D’abord, un parlementaire en mission sera nommé dans les prochains jours. Il fera le point sur la question du contentieux en matière de droit des étrangers, soulevée de manière récurrente lors du débat parlementaire. Par ailleurs, conformément aux engagements du Président de la République, un débat relatif à l’immigration économique et étudiante se tiendra au Parlement dans les premiers mois de 2013. Enfin, un autre projet de loi est en préparation. Il portera création d’un nouveau titre de séjour pluriannuel qui sécurisera le parcours d’intégration des migrants et dispensera les préfectures de certaines missions inutiles.

Mesdames et messieurs les députés, la question de l’immigration exige discernement, réalisme et mesure. Nous sommes parvenus, avec ce projet de loi, à respecter ce cadre et à atteindre les objectifs d’efficacité et d’équilibre de la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Matthias Fekl.

M. Matthias Fekl. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la discussion de ce texte, qui nous a beaucoup occupés ces derniers jours. Il nous appartient aujourd’hui de l’adopter. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite remercier tous ceux qui y ont travaillé et ont permis, en lien avec notre groupe, des avancées tout au long des débats parlementaires. Je remercie en particulier le ministre de l’intérieur de son attention et son cabinet de sa disponibilité.

Le sujet est en effet fondamental. Il a conduit, tout au long des dernières années, à des débats passionnés et même irrationnels. La droite nous lègue, en guise de bilan, de la surenchère, une habitude de stigmatiser les étrangers et d’en faire les boucs émissaires de nos problèmes. Une autre attitude prévaut aujourd’hui. Nous avons voulu aborder de façon apaisée et sereine cette question fondamentale pour notre pays et pour l’idée que nous nous faisons de la France.

C’est bien dans cet état d’esprit qu’ont eu lieu les travaux ces derniers mois. Les premiers actes de la nouvelle majorité ont déjà été rappelés, dont l’abrogation de la circulaire « Guéant » et l’élaboration de critères clairs et objectifs de régularisation des étrangers sans papiers, conformément à la tradition républicaine qui ne peut s’accommoder de voir l’arbitraire prévaloir dans ces matières et qui demande des régularisations sur des fondements objectifs.

Le texte que nous allons adopter aujourd’hui résulte de la nécessité de répondre dans l’urgence à la situation léguée par l’impréparation la majorité précédente, qui n’a anticipé ni les évolutions du droit européen et communautaire ni la jurisprudence de la Cour de cassation que tout le monde avait pourtant vu venir. Ce texte est un équilibre entre l’exigence d’efficacité et l’exigence du respect des droits et des libertés dû aux ressortissants étrangers comme à ceux de notre pays. Tout au long des travaux du Sénat et de l’Assemblée, en commission et en séance plénière ainsi que bien sûr en commission mixte paritaire, c’est dans cet état d’esprit que nous avons travaillé. Nous avons assisté avec le rapporteur à de nombreuses auditions d’associations et de représentants du monde judiciaire. Il en résulte aujourd’hui un texte qui comporte deux grandes séries d’avancées.

La première avancée fondamentale, soulignée par le rapporteur, c’est la suppression du délit de solidarité. Ce délit infâmant pour notre pays subsistait dans notre droit depuis de trop longues années, après y avoir été introduit au cours des années de notre histoire qui ne sont pas les plus glorieuses. Je ne m’y attarde pas davantage, sinon pour souligner la fierté des membres de notre groupe de voir ce délit enfin supprimé de notre droit, ce que nous attendions depuis très longtemps.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. le rapporteur. Très bien !

M. Matthias Fekl. Je souhaite remercier tous les collègues de notre groupe qui ont poursuivi sans relâche ce but particulier et notamment Daniel Goldberg, qui travaille sur ce sujet depuis de longues années et nous a une nouvelle fois apporté son expertise, avec la ferme volonté d’aboutir, ce qui sera le cas aujourd’hui.

Notre groupe salue par ailleurs une série d’avancées obtenues lors des débats à l’Assemblée, par le biais d’amendements dont il a souvent pris l’initiative ou alors dus au rapporteur. En fin de compte, ce texte nous paraît très positif en termes de garantie des droits et des libertés. Il comporte des avancées sur la présence de l’interprète et du médecin, car une situation de retenue ne doit pas déboucher sur une privation de ces droits. Il comporte aussi des progrès extrêmement importants concernant la présence de l’avocat. Au terme de nos travaux, l’avocat pourra être présent en début de retenue puis lors des auditions, afin de permettre à l’étranger d’être assisté.

Nous avons porté une attention particulière à la place des enfants dans le dispositif. Cette question était absente du texte initial. Suite aux travaux parlementaires, et là encore en lien avec le rapporteur, des dispositions permettent à l’étranger retenu de faire prendre en charge ses enfants, qu’ils soient les siens ou qu’il en ait la garde, qu’ils l’accompagnent ou non, de sorte qu’ils ne soient pas laissés à l’abandon au cours de la procédure de retenue. Ce sujet nous tenait extrêmement à cœur.

Le texte tel qu’il est aujourd’hui lui permet aussi de prévenir toute personne de son choix et d’accéder à l’aide juridictionnelle. Enfin, il limite le recours à l’entrave, qui n’aura lieu d’être que si le ressortissant étranger présente un danger pour lui-même ou pour autrui, ou alors un danger de fuite. Cet encadrement doit faire du recours aux entraves l’exception et non la règle.

Ces avancées sont extrêmement positives. Elles mettent notre droit en conformité avec les garanties constitutionnelles et les normes communautaires et européennes qui doivent prévaloir en la matière. Elles ont été confirmées lors des travaux de la commission mixte paritaire présentés à l’instant par le rapporteur. Pensons au registre des retenues, qui répond à une demande pressante du contrôleur général des lieux de privation de liberté et permettra un contrôle effectif. Pensons aussi à l’amélioration pragmatique des dispositions à prendre en cas de refus de l’étranger de signer le procès-verbal.

J’évoquerai pour conclure les perspectives que notre groupe souhaite voir s’ouvrir en matière de droit des étrangers et de travail politique sur les sujets d’immigration. L’articulation entre l’intervention du juge administratif et celle du juge des libertés et de la détention soulève de nombreuses questions, comme l’ont montré les débats parlementaires. Nous avons pris bonne note de la volonté du ministre de se pencher sur ce sujet dans les mois qui viennent. Nous veillerons à faire des propositions pragmatiques, opérationnelles et conformes à l’État de droit.

Nous sommes aussi attentifs à la mise en place de nouveaux titres de séjour pluriannuels. La fermeté en matière d’immigration ne peut en effet prévaloir que si nous faisons tous les efforts nécessaires en matière d’intégration et de capacité d’accueil des étrangers, avec des conditions de séjour dignes, régulières et conformes à nos convictions. C’est en marchant sur nos deux pieds que nous pourrons avancer. Nous ne pourrons pas mener une politique d’immigration et d’intégration apaisée si nous compliquons de manière excessive les démarches auxquelles sont confrontés les étrangers.

Notre philosophie est donc simple. Ce n’est pas une philosophie de laxisme, comme on a pu l’entendre au cours des débats parlementaires puisque la droite, parfois rejointe par l’extrême droite, nous a fait ce procès.

M. Jacques Alain Bénisti. C’est facile !

M. Matthias Fekl. C’est un fait ! Je suis navré, mais l’un de vos collègues UMP a voté avec le Front national les motions de procédure opposées au texte. Je ne sais plus qui, de M. Collard ou de vous, court après qui, mais cela relève de votre responsabilité et non de la nôtre !

M. Guillaume Larrivé. Ce sont là vos fantasmes, vos espoirs, pas un fait ! Vous dites n’importe quoi, c’est insupportable.

M. Matthias Fekl. Supportez l’énoncé des réalités, à défaut de supporter les critiques !

M. Jean-Marie Sermier. Ce n’est pas la réalité !

M. Matthias Fekl. C’est la réalité et tous les procès-verbaux sont là pour l’attester. Je vous invite à vous y reporter.

Notre philosophie en la matière est donc extrêmement simple. Nous souhaitons l’apaisement ainsi que l’équilibre entre efficacité, intégration et préservation des droits, des libertés et des devoirs de chacun. Voilà les principes qui nous guideront tout au long de cette législature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à l’heure où l’Assemblée nationale s’apprête – dans un hémicycle comble ! – à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, permettez-moi de vous exposer à nouveau les raisons qui justifient que les députés de l’UMP votent contre ce projet de loi.

Avant toute chose, je tiens à rappeler que, dans la discussion générale, j’avais formé le vœu que nos débats soient responsables et apaisés, comme cela doit être la règle entre les formations politiques appelées à gouverner notre pays.

M. Matthias Fekl. Patience !

M. Guillaume Larrivé. Tel a été, pour l’essentiel, le cas, jusqu’à ce que M. Fekl dérape dans son élan final.

J’ai la conviction en effet que le défi de l’immigration ne doit pas faire l’objet de postures. C’est un domaine qui, plus que tout autre, nécessite de définir avec mesure l’équilibre entre les droits des personnes et le droit de l’État, qui a le devoir de faire respecter les frontières de notre pays.

Cet équilibre est une exigence républicaine, mais il ne dispense pas de la recherche de l’efficacité. C’est au regard de cette exigence d’efficacité que nous avons étudié votre projet de loi. Et, précisément, nous le jugeons inefficace.

Inefficace, d’abord, parce que le Gouvernement ne s’est pas fixé comme objectif de diminuer les flux d’immigration qui se dirigent vers la France.

Nous sommes convaincus, pour notre part, que la profonde crise financière, économique et sociale qu’affronte notre pays rend nécessaire une forte diminution du nombre des personnes entrant en France. Compte tenu de nos capacités d’intégration, nous devons désormais nous donner tous les moyens – juridiques, pratiques, diplomatiques – pour réduire les flux d’immigration.

Ce n’est pas votre conviction. Vous faites précisément le choix, tacite, implicite, d’augmenter l’immigration. Ce choix gouvernemental est d’ailleurs illustré aujourd’hui même par le voyage en Algérie du Président de la République et du ministre de l’intérieur. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Matthias Fekl. Ça, c’est un débat apaisé !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. le rapporteur. Oh là là…

M. Guillaume Larrivé. Vous faites le choix, assumez-le, de mettre fin aux négociations qui avaient été engagées il y a dix-huit mois par le précédent gouvernement pour modifier l’accord franco-algérien sur l’immigration. Ce faisant, MM. Hollande et Valls choisissent de ne pas diminuer l’immigration algérienne vers la France, voire de l’augmenter. C’est une première différence entre nous.

M. Matthias Fekl. Il y en a d’autres.

M. Guillaume Larrivé. Votre projet de loi est inefficace, en deuxième lieu, parce qu’il s’inscrit dans le cadre des mesures désordonnées et contradictoires engagées par le Gouvernement.

D’un côté, l’administration et la police aux frontières continuent à lutter contre les filières et à mettre à exécution des décisions d’éloignement. Mais d’un autre côté, simultanément, par circulaire – par circulaire et d’ailleurs jamais par la loi, jamais de manière transparente mais de manière administrative – le ministre de l’intérieur demande aux préfets de régulariser des clandestins. Il abandonne ainsi la logique de l’admission exceptionnelle au séjour, jusqu’alors pratiquée au cas par cas pour des raisons humanitaires.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Tout en nuances !

M. Guillaume Larrivé. Le ministre de l’intérieur a lui-même reconnu au Sénat que cette circulaire allait entraîner « une augmentation ponctuelle » – mais une augmentation ! – des régularisations. En réalité, le Gouvernement prend bien le risque, et il l’assume je crois, d’une augmentation forte et durable du nombre des régularisations, car il édicte des critères qui au bout du compte vont créer un véritable droit à la régularisation.

Parallèlement, le Gouvernement envisage de fermer des centres de rétention, au risque de fragiliser tout le dispositif d’éloignement des étrangers en situation illégale.

Dans le même esprit, à la demande du groupe écologiste et notamment de M. Coronado, le ministre délégué au budget a accepté de diminuer fortement, dans le cadre de la loi de finances pour 2013, le montant des taxes perçues par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Autrement dit, le coût du visa, pour le candidat à l’immigration, va diminuer. C’est votre choix. Nous ne le soutenons pas car il est de nature à augmenter encore les demandes et donc les flux d’immigration vers la France. Ce sont là des signaux de relâchement qui ne nous paraissent pas compatibles avec la nécessité de maîtriser les flux migratoires.

Votre projet de loi est inefficace, en troisième lieu, parce que la mesure de retenue que vous créez sera trop peu opérationnelle. Chacun comprend, à court terme, qu’il vous faille répondre aux jurisprudences hasardeuses de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, qui ont retenu une interprétation constructive, pour ne pas dire contra legem, de la directive de 2008, consistant à compliquer les procédures d’éloignement là où les États membres avaient eu au contraire la volonté politique de les simplifier.

M. Jacques Alain Bénisti. C’est vrai.

M. Guillaume Larrivé. Il s’agit, au fond, pour le Parlement, de colmater une brèche dans un navire qui prend l’eau de toute part. Je crains que cette réparation ne soit, au final, très imparfaite.

Car la mesure de retenue que vous vous apprêtez à créer n’est pas totalement adaptée – c’est un euphémisme – aux nécessités de l’éloignement des étrangers en situation illégale. Sa durée sera parfois trop courte compte tenu des nombreuses diligences, juridiquement très complexes, qui doivent être remplies par les officiers de police judiciaire. Nous regrettons, à cet égard, que vous ayez rejeté notre amendement qui ouvrait la possibilité, sous le contrôle du parquet, d’une prolongation de la retenue pour quatre heures, en plus des seize heures prévues.

M. Jacques Alain Bénisti. Ce serait plus efficace.

M. Guillaume Larrivé. J’ajoute que le raffinement procédural extrême auquel ce projet de loi soumettra les policiers et les gendarmes sera assurément un nid à contentieux, dont les associations professionnelles de soutien à l’immigration illégale feront, hélas, un grand usage.

Votre projet de loi est inefficace, en dernier lieu, parce que le Gouvernement refuse de prendre l’initiative d’une vraie politique européenne d’immigration. Il faut regarder la réalité en face : l’Europe est aujourd’hui impuissante face à la porosité de ses frontières extérieures, au sud comme à l’est. Il y a urgence à ce que le président François Hollande fasse appliquer concrètement le pacte européen sur l’immigration et l’asile que le président Nicolas Sarkozy avait fait adopter en 2008, à l’unanimité des chefs d’État et de gouvernement.

Il faut, pour cela, réformer profondément le système Schengen, qui n’est plus totalement adapté aux enjeux de notre temps. Au fond il faut raisonner comme nous l’avons fait sur la zone euro. Celle-ci est désormais dotée d’une gouvernance politique et non plus seulement technique ou technocratique : il faudrait qu’en matière d’immigration nous parvenions à progresser de la sorte.

Il est nécessaire que la gestion de l’espace Schengen soit assumée, au plan politique, au plus haut niveau des États. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. J’en veux pour preuve que jamais, depuis sept mois, le Président de la République François Hollande n’a évoqué les questions d’immigration dans aucune enceinte européenne. C’est bien la preuve manifeste d’un désintérêt du chef de l’État et, en réalité, d’un abandon de ces questions à la gestion technique. C’est le refus d’une véritable politique européenne d’immigration. C’est le refus en tout cas de prendre toute initiative à cet égard.

Nous pensons au contraire qu’il faut, dans le cadre européen, faire converger nos politiques nationales : cela passe notamment par des réformes en France permettant de diminuer notre attractivité, et en particulier celle de notre système d’aide sociale.

C’est également dans ce cadre européen qu’il faut dialoguer avec les pays d’origine de l’immigration. Je suis convaincu, à cet égard, que nous devons conditionner l’aide versée par l’Europe en faveur du développement des pays du Sud aux efforts de ces États pour lutter contre l’immigration illégale.

Ce projet de loi ne s’inscrit pas, c’est le moins qu’on puisse dire, dans une telle perspective. Vous vous limitez à la gestion juridique ponctuelle de telle ou telle procédure, sans définir une politique cohérente de réduction de l’immigration au plan national et dans un cadre européen. Ce faisant, vous ne répondez en rien au défi de l’immigration. Nous ne pouvons approuver cette impasse et nous nous opposons fermement à l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Alain Bénisti.

M. Jacques Alain Bénisti. Monsieur le ministre… car nous allons faire comme s’il était là…

M. Alain Vidalies, ministre délégué. C’est délicat !

M. Jacques Alain Bénisti. Ce n’est pas une critique, je veux simplement faire comme s’il était là ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Le rapport de la commission mixte paritaire sur le projet de loi que nous étudions aujourd’hui ne change en réalité rien au fond de la politique d’immigration que vous menez depuis maintenant neuf mois.

Ce projet de loi n’est en fait qu’un ajustement technique du droit, puisqu’il s’agit de nous mettre en conformité avec le droit européen. Mais force est de constater que vous êtes allés au-delà. Alors que vous auriez pu vous en contenter, ou même renforcer la politique de la France en matière d’immigration, je crains que vous n’envoyiez des signaux de laxisme et d’ouverture à l’attention des clandestins.

Car, vous le savez, la directive que nous allons transposer ne s’oppose ni à une pénalisation du séjour irrégulier, ni à la garde à vue des personnes soupçonnées d’être dans cette situation. Pourquoi n’avez-vous pas maintenu le délit de séjour irrégulier et créé en parallèle ce dispositif de retenue pour vérification du droit de séjour ? Vous avez préféré abroger le délit de séjour des étrangers. Je dois dire que nous le regrettons et j’ai la conviction que nous ne serons d’ailleurs pas les seuls.

D’un côté vous abrogez ce délit, de l’autre vous créez celui d’entrée sur le territoire national : j’avoue que j’ai du mal à y trouver une cohérence.

La lutte contre l’immigration irrégulière est un sujet sérieux, qui doit rassembler toute la nation. Ce n’est pas à vous, monsieur le ministre, que je vais l’apprendre. Il est vrai que nos collègues socialistes qui ont choisi de transformer votre projet de loi en une véritable usine à gaz ne vous ont pas aidé, avec notamment une série d’obligations comme l’alerte aux autorités consulaires, la rédaction de procès-verbaux en nombre, le droit à l’examen d’un médecin qui évidemment pourra mettre fin à la détention à tout moment, l’obligation de placer l’étranger dans des locaux différents de ceux des gardés à vue… Bref, on voit bien que cette série d’amendements n’est pas pour alléger le travail des fonctionnaires de police et de gendarmerie, et encore moins pour rendre plus efficace le dispositif. Tout à l’inverse !

M. Guillaume Larrivé. Ils n’aiment pas la police !

M. Jacques Alain Bénisti. Quant à la décision d’élargir le champ des immunités pénales prévues à l’article L.622-4 pour le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier, c’est une décision, n’ayons pas peur des mots, parfaitement idéologique, dont le seul intérêt est de flatter l’ego de l’aile la plus à gauche de vos partenaires et de répondre à la pression d’une série d’associations que l’on peut qualifier d’extrêmes et qui, c’est vrai, vous ont mené la vie dure.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. le rapporteur. La Croix rouge française, la Cimade, le Secours populaire : voilà vos extrémistes…

M. Jacques Alain Bénisti. Tous ces signaux, s’ils sont bien accueillis par les militants associatifs, devraient l’être tout autant par les passeurs et les trafiquants qui, n’en doutez pas, interpréteront autant de reculs et de renoncements comme des signes de laxisme des autorités françaises. C’est regrettable, car ils vont anéantir vos affirmations péremptoires sur le fait qu’il n’y aura aucune régularisation massive dans les années à venir. Vous n’empêcherez pas certains de comparer vos promesses à celles de Lionel Jospin qui, au final, avait atteint 80 000 régularisations effectives entre 1997 et 1998.

Il est inutile de retenter l’expérience, car les initiatives en matière de régularisation ciblée ont toutes été des échecs. Rappelez-vous aussi que M. Zapatero, comme vous, avait donné ordre aux préfets de régulariser massivement les personnes en situation irrégulières sur le territoire dès son arrivée. On connaît la sanction cinglante qui a suivi.

Sur le territoire national, ces décisions ont déjà, et vous le savez, créé un véritable appel d’air : 57 000 demandes d’asile en novembre 2012 ! Les conséquences sont connues. Les premières victimes de ces décisions seront les hommes et les femmes qui continuent de regarder, à tort, la France comme un eldorado qu’elle n’est plus.

Notre modèle d’intégration, malheureusement, est grippé. La France est en crise. Elle ne peut plus accueillir les centaines de milliers d’immigrés qu’elle accueillait auparavant. Elle n’a plus les moyens, économiques et sociaux, permettant d’offrir à ces hommes et ces femmes une vie décente. Nous ne pouvons plus leur fournir le travail ni le logement qu’ils espèrent et qui sont la condition sine qua non d’une intégration réussie. Je sais qu’il se trouve parmi nous des maires de communes où l’immigration est importante. L’adoption de ce texte – que, pour notre part, nous ne voterons pas…

M. Matthias Fekl. Quelle déception !

M. Jacques Alain Bénisti. …va considérablement compliquer leur gestion des dossiers, qu’ils assurent en coordination avec les préfets. Car il s’agit de situations dramatiques – souvent des femmes, arrivées dans notre pays à l’issue d’un parcours difficile et dont les souffrances résultent, pour une bonne part, des textes votés précédemment.

La France doit continuer, comme elle l’a fait sous l’impulsion du président Nicolas Sarkozy et du gouvernement de François Fillon, de choisir qui elle souhaite accueillir sur son territoire. Certes, il est légitime que notre nation s’adapte à ses engagements européens, mais il est inutile d’aller trop loin et d’opérer des changements législatifs que personne ne nous demande. En encourageant notre pays à poursuivre sa coopération avec ses partenaires européens de l’espace Schengen, le Président de la République doit, plus que jamais, s’employer à faire appliquer le pacte européen sur l’immigration et l’asile qu’avait fait adopter le président Sarkozy – à l’unanimité, je le rappelle.

M. Guillaume Larrivé. Grâce à Brice Hortefeux !

M. Jacques Alain Bénisti. C’est vrai.

La France doit rester généreuse, ouverte ; mais ses gouvernants doivent être réalistes et ne pas succomber aux sirènes de l’idéologie. Il n’y a pas d’immigration réussie sans des capacités adaptées et dignes d’accueil et d’intégration. Or, nous ne disposons malheureusement plus de ces capacités aujourd’hui.

Le devoir de l’État, ce n’est pas d’envoyer le signal que nous allons accueillir tout le monde ou que le séjour irrégulier ne sera pas sanctionné. C’est d’adapter notre législation à nos capacités d’accueil. C’est de parvenir à un juste équilibre, certes difficile, sur la régulation de notre immigration. Seul le pragmatisme peut guider notre politique d’immigration. C’est pourquoi le groupe Rassemblement-UMP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours difficile, lorsqu’il s’agit d’aborder la question de l’immigration, d’échapper aux caricatures et aux anathèmes – les discussions au sein de notre assemblée, qui se sont déroulées dans un climat moins consensuel qu’au Sénat, en sont la preuve. Cela étant, les parlementaires sont parvenus à un accord en CMP et, hormis la création d’un registre spécial des retenues et la réécriture de l’article 6, relatif à l’incrimination d’un étranger qui se maintient en France alors que des mesures d’éloignement ont été mises en œuvre à son encontre, le texte que nous examinons aujourd’hui est finalement assez proche de celui que notre assemblée avait adopté en première lecture.

Pour sa part, le groupe UDI renouvelle son soutien au texte, un soutien guidé par la responsabilité, l’exigence et une extrême vigilance. À notre sens, la modification de notre législation en matière de droit au séjour, dont découle la création de cette nouvelle procédure de retenue, s’impose d’elle-même du fait de l’évolution du droit communautaire. En se conformant à la jurisprudence européenne, ce texte participe à l’élaboration progressive d’une politique d’immigration commune à l’échelon européen à laquelle nous ne pouvons qu’être favorables. Le groupe UDI, profondément européen, est attaché à la mise en place d’une gestion non pas limitée au niveau national, car elle serait vouée à l’échec, mais commune, des flux migratoires.

Après la directive « retour », transposée en droit français en juin 2011, il nous appartient désormais de poursuivre cette entreprise d’harmonisation entre droit national et droit européen. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a démontré que l’Europe, dans l’organisation de l’immigration irrégulière, souffre encore d’un manque certain de cohérence. L’arrêt de décembre 2011 est clair : notre réglementation ne peut soumettre un étranger à une peine d’emprisonnement dès lors qu’il n’a pas fait l’objet de mesures d’éloignement prévues par la directive retour.

Bien plus qu’une simple mise en conformité, il s’agit donc de combler le vide juridique créé par cette jurisprudence et confirmé par plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment celui du 5 juillet dernier. Ce serait faire preuve d’irresponsabilité politique que de nous y opposer. Car, si nous ne respectons pas ce principe, nous rendons inopérant l’objectif même de la directive retour, consistant en l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière.

Si nous refusions de légiférer, nous nous satisferions d’un vide juridique extrêmement préjudiciable aux principes républicains que sont l’application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine et la maîtrise des flux migratoires. Les dispositions de ce texte ne doivent pas être interprétées comme un renoncement à ces principes. Bien au contraire, il s’agit de doter notre pays d’une procédure de retenue qui permettra aux services de police ou de gendarmerie de retenir un étranger et de décider, le cas échéant, de le placer en rétention.

Pour autant, nous en conviendrons, les États disposent d’une certaine marge d’appréciation et, de ce fait, notre travail de parlementaire ne se limite pas à un simple exercice de traduction de la jurisprudence européenne, comme les débats sur les modalités de cette nouvelle procédure l’ont bien montré. Les principales modifications apportées à ce texte en commission et en séance publique concernent les garanties qui entourent la procédure de retenue, notamment celles relatives à la présence de l’avocat. Ainsi, le texte prévoit notamment que l’avocat peut, dès son arrivée, communiquer pendant trente minutes avec la personne retenue. Il précise également que la première audition ne peut débuter sans sa présence.

Que l’étranger retenu dispose de certaines garanties, soit. Mais prenons garde à ne pas dénaturer le texte, à ne pas lui faire perdre sa vocation première, qui est de permettre à un officier de police judiciaire de retenir un étranger ne pouvant justifier de son droit de circuler ou de séjourner sur le territoire. L’arrêt de la Cour de justice est explicite sur ce point : les autorités doivent pouvoir disposer « d’un délai certes bref mais raisonnable pour identifier la personne contrôlée et pour rechercher les données permettant de déterminer si cette personne est un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier ». À ce titre, nous n’aurions pas accepté que le texte soit détourné de sa vocation première par une diminution de la durée de la procédure de retenue. La durée de seize heures est selon nous la meilleure option, une solution d’équilibre à mi-chemin entre la procédure de vérification d’identité et la garde à vue.

J’en viens, enfin, à l’autre objet de ce texte, qui consiste à étendre les immunités pénales en matière d’aide au séjour irrégulier des étrangers. En aucune manière, nous ne devons suspecter les gouvernements précédents d’avoir voulu incriminer l’aide apportée à titre humanitaire à un étranger en situation irrégulière. Cette disposition, bien ancienne puisqu’elle a été introduite dans notre ordre juridique en 1938, était et demeure nécessaire, car la lutte contre l’immigration irrégulière relève d’une impérieuse nécessité. En effet, ce à quoi se livrent les passeurs sur notre territoire est en parfaite contradiction avec les valeurs fondamentales de notre République. L’élargissement du champ de l’immunité pénale n’est pas dû à votre majorité. Le gouvernement précédent avait entrepris cette démarche et, dès 1996, notre droit avait prévu une clause d’exemption afin de protéger les membres des familles d’étrangers en situation irrégulière des poursuites pour aide au séjour irrégulier et les associations à but non lucratif à vocation humanitaire.

Là encore, toutes les précautions doivent être prises pour ne pas, sous couvert de simples « ajustements », élargir à outrance le champ des immunités pénales. Nous devons à tout prix éviter de fragiliser l’assise juridique de la lutte contre les filières d’immigration clandestine et les réseaux de passeurs, car il serait impensable que les trafiquants d’êtres humains – les passeurs, comme on les appelle pudiquement – soient les premiers bénéficiaires d’une politique laxiste en matière de régularisation des étrangers sans titre.

M. Jacques Alain Bénisti. Très bien !

M. Arnaud Richard. Chacun se souvient de la formule de Michel Rocard, autrefois député de la circonscription que j’ai, à mon tour, le grand honneur de représenter au Parlement : « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». Pour autant, nous devons être dotés d’une politique d’accueil juste mais ferme, cohérente avec celle de nos partenaires européens, et bénéficiant enfin d’une assise juridique plus claire, plus simple et plus prévisible. Le groupe UDI votera ce texte et veillera, tout au long de la législature, à ce que les principes républicains dont il s’inspire soient respectés.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, suppléant M. le rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si le débat de cet après-midi a lieu dans un hémicycle quasiment vide en cette fin d’année, je crois que nous pouvons nous féliciter d’avoir échappé à ce qui, par le passé, a pu passer pour une fatalité dans les débats sur l’immigration : je veux parler des polémiques et des outrances verbales, absentes des débats cette année – sauf lors de l’intervention à la tribune de Mme Maréchal-Le Pen.

Le travail parlementaire a apporté à ce texte des améliorations notables, qu’il convient de souligner. Toutefois, sa philosophie même, ainsi que le maintien de certains dispositifs, ne permettent pas au groupe écologiste de lui apporter son soutien. Nous nous abstiendrons donc une nouvelle fois sur ce projet de loi. Je réitère en effet notre opposition à la mise en place d’un nouveau régime de rétention d’exception. Comme vous le savez, le ministre de l’intérieur défend une position de fermeté et de justice, mais également la force du droit. Or, en droit, le droit commun est toujours préférable aux régimes d’exception.

Je regrette donc une forme de continuité avec les politiques publiques mises en place depuis de longues années pour contrôler et expulser les étrangers. Inutile au regard de l’abrogation du délit de séjour irrégulier, la nouvelle retenue vient mobiliser des fonds et des ressources publiques d’une manière pour le moins inutile. Je continue également à considérer que la garde à vue pour toute personne ayant commis un délit, notamment celui de ne pas se plier à une décision d’éloignement, aurait été appropriée et respectueuse du droit communautaire – à mon sens, elle aurait même été suffisante. Je réitère également mes inquiétudes quant à la formulation retenue de contrôle des personnes dont « des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d’étranger » : bien que consacrée par le Conseil constitutionnel, cette formule me pose problème. Notre proposition d’expérimentation d’un procédé de remise de récépissé pour contrôle d’identité aurait sans doute permis de faire avancer le débat et de faire reculer le contentieux entre les populations et la police, un contentieux grave qui perdure depuis de nombreuses années.

Enfin, le Gouvernement n’a pas répondu à mes interrogations quant aux pratiques persistantes de « coups de filet » dans les foyers de migrants ou encore dans le Nord-Pas-de-Calais. Je constate, là aussi, que vous avez préféré la fermeté à la justice.

Par ailleurs, je note le manque de garanties, de la part tant du projet de loi que du Gouvernement, concernant l’intervention du juge des libertés et de la détention. Demander un rapport à un parlementaire ne suffit pas, encore faut-il une véritable volonté politique pour remettre le respect des droits humains au cœur de notre politique migratoire. Cela ne semble pas être le choix fait par la majorité, qui avait unanimement fustigé l’intervention du juge des libertés et de la détention au cinquième jour.

Je suis d’autant plus inquiet que vous ne m’avez pas répondu non plus sur les garanties quant à l’indépendance des procureurs et à leur capacité à assurer la charge de travail supplémentaire que la mise en place de cette nouvelle mesure leur inflige.

M. Guillaume Larrivé. C’est un vrai discours d’opposition !

M. Sergio Coronado. Un peu de patience, j’en viens aux points positifs !

Je me réjouis des améliorations considérables apportées au texte, notamment avec l’abolition du délit de solidarité. C’était une mesure choquante, adoptée par un gouvernement qui ne se lassait pas de stigmatiser les populations les plus vulnérables et tous ceux et toutes celles qui refusaient l’exclusion. C’est cette solidarité, qui fait l’honneur de notre pays, qu’il s’agissait de ne plus pénaliser.

Néanmoins plusieurs zones d’ombre subsistent.

Le refus d’insérer dans le texte l’« intégrité morale » est significatif d’une réforme certes entreprise, mais encore trop timidement.

Je voulais vous parler notamment des quatre-vingts personnes qui, dans le Nord-Pas-de-Calais, en sont aujourd’hui à leur cinquantième jour de grève de la faim car la politique de régularisation menée ne leur permet pas d’avoir accès à des papiers.

M. Jacques Alain Bénisti. Voilà le résultat de la politique du Gouvernement !

M. Sergio Coronado. Dans le même temps, après l’expulsion des squats de Calais cet été, les migrants sont désormais répartis dans toute la région, sans autre droit finalement que celui de se réunir lors des distributions de soupe populaire. Les associations, quant à elles, n’ont plus de lieux fixes pour les rencontrer et leur venir en aide. Nous avons fait de petits pas, mais le chemin à parcourir est encore long !

Pour finir, j’aborderai la question des garanties apportées en matière de droits des détenus. Sur ce sujet, les avancées sont notables, notamment grâce au travail du Parlement. La prise en charge des enfants dont les personnes retenues ont la garde et la garantie de la présence d’un avocat ont été inscrites dans la loi ; ce sont de bonnes mesures. Si le dispositif s’apparente fortement aux garanties apportées par le régime de la garde à vue, manquent toujours le droit au silence et le droit garanti à un interprète. Je suis toutefois très heureux que nous ayons réussi à avancer ensemble sur la question de la participation de l’avocat au stade de l’établissement du procès-verbal.

Je finirai sur cet aspect positif car, de fait, le Parlement a bien œuvré. La réunion de la commission mixte paritaire s’est déroulée dans un climat constructif ; elle a permis d’apporter des clarifications qui étaient nécessaires. La discussion a notamment permis à Éliane Assassi, ma collègue présidente du groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat, de s’abstenir sur le texte final. C’est dire le chemin parcouru !

Je sais bien, par ailleurs, que M. Larrivé, en rappelant l’adoption, dans le débat budgétaire, d’un amendement visant à ce que le paiement des visas de long séjour valant titre de séjour se fasse à la délivrance et non pas au moment de la demande, a voulu vous venir en aide en me permettant de dire tout le bien que je pense de ce texte. Malheureusement, cela n’est suffisant pour que je puisse le voter. (Sourires.) Mais nos points de vue se rapprochent petit à petit !

M. Jacques Alain Bénisti. Ce n’est pas vraiment ce que nous avions compris !

M. Sergio Coronado. Par leurs interventions et leurs amendements, plusieurs de mes collègues, à l’Assemblée comme au Sénat, ont défendu des positions qui devront bientôt recevoir des réponses. J’espère que, dans le cadre de la réforme du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, nous saurons travailler ensemble à cette nouvelle approche et que nous pourrons faire rentrer le droit des étrangers dans le droit commun. (Applaudissements sur certains bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Alain Bénisti. C’était presque un discours d’opposition !

M. Sergio Coronado. Il n’est pas si simple d’être dans la majorité ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon Léon Blum on a le choix entre se répéter et se contredire. En ce qui me concerne, je choisirai la première solution (Sourires) en disant de nouveau, comme la semaine dernière en première lecture, que j’approuve pour l’essentiel ce texte. Il trouve un équilibre, toujours difficile à atteindre,…

M. Jacques Alain Bénisti. En effet, vous vous répétez !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Voilà pourquoi je l’avais annoncé !

Ce texte donc trouve un équilibre entre, d’une part, l’obligation de ne pas admettre l’entrée en situation régulière des étrangers sur le territoire national et, d’autre part, la nécessité de leur garantir un traitement digne et des procédures équitables.

Un équilibre globalement satisfaisant a été trouvé au fil des lectures, notamment grâce au travail de la commission. Les travaux de la commission mixte paritaire ont permis d’améliorer l’alinéa 16 de l’article 2 – c’est la disposition relative au registre dans lequel sont précisés le jour et l’heure de début et de fin de la retenue, de manière à ce que le contrôleur général des lieux de privation de liberté puisse exercer son contrôle. C’est donc une avancée supplémentaire. Certes, elle n’est pas énorme, mais toute avancée vaut mieux…

M. Jacques Alain Bénisti. Qu’un recul ?

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …qu’un point d’arrêt.

Reste ce que M. le ministre de l’intérieur avait annoncé lors de la première lecture : l’abrogation d’une circulaire parfaitement indigne, celle du 21 février 2006, cosignée par les ministres de l’intérieur et de la justice de l’époque, c’est-à-dire M. Sarkozy d’un côté et M. Clément de l’autre, relative aux « conditions d’interpellation d’un étranger en situation irrégulière ». Adressé aux préfets, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, ce texte leur expliquait comment procéder en cas d’interpellation des étrangers aux guichets des préfectures.

M. Guillaume Larrivé. Des instructions contraires avaient été données par la suite !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La circulaire n’en demeurait pas moins, elle n’est pas caduque.

M. Guillaume Larrivé. Si, elle l’est !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Pas du tout !

Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Schwartzenberg a la parole.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Elle l’est si vous considérez que la Cour de justice de l’Union européenne frappe de caducité le texte. En tout état de cause, vos propos ne correspondent pas à l’état du droit positif, à moins que celui-ci ait terriblement changé sans que personne, à part vous, s’en aperçoive !

M. Jacques Alain Bénisti. Deux décrets ont été pris !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je suis, pour ma part d’accord avec la thèse de M. le ministre de l’intérieur, lequel ne me paraît pas étranger à ces questions. Or il considère qu’il faut abroger cette circulaire.

Le texte porte sur les conditions dans lesquelles un étranger se rendant spontanément en préfecture pour tenter de régulariser sa situation peut être arrêté. Plus grave encore, il aborde la possibilité d’interpeller un étranger ayant été convoqué par la préfecture pour un « examen » de sa situation. Celui qui reçoit une telle convocation est persuadé que l’on cherche à l’aider à régulariser sa situation. Or il est exposé très posément dans cette circulaire de quelle manière on peut ensuite l’interpeller sur place et le frapper d’une mesure d’éloignement forcé.

M. Gérard Charasse. Tout à fait !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Cette circulaire explique donc, en fournissant un modèle de lettre de convocation, comment on peut piéger les étrangers en situation irrégulière.

Le Conseil d’État, qui fait preuve parfois d’une certaine timidité, a validé la procédure par un arrêt du 7 février 2007. La veille, la Cour de cassation avait heureusement jugé pour sa part cette circulaire illégale au motif qu’elle constituait une pratique « déloyale » consistant à tromper la personne convoquée.

Ce faisant, la Cour de cassation a rejoint la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dans son arrêt Conka c/Belgique. Un ressortissant slovaque, demandeur d’asile en Belgique, avait été convoqué dans un commissariat à Gand par une lettre du même type, c’est-à-dire évoquant un examen ou un réexamen de sa situation. Il avait alors été interpellé et frappé d’une mesure de reconduite à la frontière. Selon la Cour, cette personne avait été victime d’une pratique déloyale contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, particulièrement à son article 5, paragraphe 1.

Je souhaite donc vraiment que le ministre de l’intérieur, et je ne doute pas qu’il le fera, avec son collègue le ministre de la justice, abroge cette circulaire parfaitement indigne…

M. Jacques Alain Bénisti. Elle n’existe plus !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. …et qui n’est pas sans évoquer des périodes sombres de notre histoire, où l’on procédait de cette manière. Alors, la République n’existait plus – elle était remplacée par l’État français. Eh bien, des mesures de type, envisageables du temps de l’État français, ne le sont pas en République.

M. Gérard Charasse. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. Le rapprochement est scandaleux !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Ce qui est scandaleux, c’est la circulaire, pas le rapprochement !

M. Jacques Alain Bénisti. Malraux disait que les circulaires ne servent qu’à tourner en rond !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Malraux était un grand écrivain et quelqu’un d’extrêmement estimable. Il n’a pas eu l’occasion d’être parlementaire, mais il a fait mieux : il a été ministre plusieurs fois ! Mais ministre des affaires culturelles, et donc quelque peu étranger à ces problèmes… Laissons donc André Malraux sur la voie royale où il a évolué ! (Sourires.)

Pour le reste, en ce qui concerne la condition humaine (Nouveaux sourires), qu’elle soit humaine pour tout le monde, y compris pour les étrangers en situation irrégulière ! Je ne dis pas qu’il faille les accueillir tous. À cet égard, il n’est pas utile que je vous rappelle la phrase de Michel Rocard, vous la connaissez tous. Cela dit, il précisait que la France devait prendre sa part de la misère du monde. Ce qui impose, à tout le moins, de ne pas traiter de manière illégitime et trompeuse des étrangers de bonne foi en leur faisant croire qu’on veut les aider.

J’aurais préféré, comme Sergio Coronado, que l’amendement qu’avait déposé M. Fekl au début de l’examen de ce texte sur la réduction du délai de saisine du juge des libertés et de la détention ne soit pas retiré, car il est important que l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, comme le stipule l’article 66 de la Constitution, puisse être saisie sans que seules les préfectures ou les autorités administratives interviennent.

En échange de son retrait, le ministre s’est engagé à nommer un parlementaire en mission. J’ai beaucoup d’estime pour cette fonction, mais je ne vois pas en quoi un parlementaire en mission serait plus compétent tout seul sur une question de ce type que les puissantes et nombreuses directions du ministère de l’intérieur…

Un autre argument a été avancé – celui d’une refonte générale du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Mais il est un peu dommage d’attendre, de repousser à plus tard, de procrastiner comme on dit de manière parfois un peu cuistre. Est-ce donc le rôle d’un Gouvernement que de reporter ou d’inciter à reporter à plus tard le traitement d’une situation qui pose problème maintenant ?

Cela dit, je comprends très bien les motifs avancés. J’espère simplement que le délai sera court, bien que les indications sur ce point soient contradictoires : on entend parler tantôt du premier trimestre 2013, tantôt de la fin du premier semestre, voire du début du second semestre… Le plus tôt sera le mieux – le plus tôt aurait dû être aujourd’hui, mais il n’y a pas de majorité pour adopter cette disposition. C’est un peu dommage. Je connais votre attachement particulièrement fort, monsieur le ministre, aux valeurs républicaines et aux droits de l’homme ; je sais que vous partagez à cet égard le sentiment de la majorité de cette assemblée.

Selon l’expression de Jean Lartéguy, « tout homme est une guerre civile ». Nous sommes partagés en nous-mêmes entre la nécessité d’accepter de l’autorité et de la sécurité et notre attachement viscéral aux droits de l’homme. Si tout homme est une guerre civile, c’est encore plus vrai d’un parlementaire, lequel doit arbitrer en lui-même en faveur d’un côté ou de l’autre. Ce texte, nous l’adopterons donc, malgré la situation que je vous ai décrite. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Madame la présidente, monsieur le ministre, comme je l’ai largement expliqué en première lecture, pour les députés du Front de gauche, les réponses apportées par ce texte ne sont pas les bonnes.

M. Jacques Alain Bénisti. Vous n’êtes pas les seuls à le penser !

M. Marc Dolez. Je me contenterai de rappeler brièvement les raisons de notre opposition à une procédure spécifique aux étrangers, destinée à vérifier le bon respect des règles administratives en matière de séjour.

La création de cette mesure spécifique nous apparaît inutile, d’abord parce que le droit positif actuel dispose déjà d’une procédure pour le contrôle de l’identité d’une personne – qu’elle soit française ou étrangère – à l’article 78-3 du code de procédure pénale.

Ensuite, comme l’ont constaté la CIMADE et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le nombre des placements en rétention est resté relativement stable depuis que la garde à vue n’est plus possible, ce qui atteste bien que la procédure de vérification d’identité de droit commun est suffisante et ne fait pas obstacle à la politique d’éloignement des étrangers.

Enfin, la procédure de rétention est excessivement longue, la privation de liberté pendant seize heures étant manifestement excessive au regard tant de la finalité de la mesure que de l’absence de toute infraction.

En outre, le contrôle de la régularité de la procédure n’est pas garanti. L’information systématique donnée au procureur de la République ne saurait en effet garantir que la détention n’est pas arbitraire, au sens de l’article 66 de la Constitution. Le parquet n’est pas une « autorité judiciaire » au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et ce contrôle, comme le soulignent la CNCDH et le syndicat de la magistrature, apparaît en pratique parfaitement illusoire en raison de la surcharge dont souffrent les parquets.

Nous avons, certes, bien enregistré la nomination prochaine d’un parlementaire en mission, chargé d’examiner la question de la garantie juridictionnelle des droits des étrangers et de préparer un nouveau texte. Il n’en reste pas moins que, actuellement, les conditions d’un contrôle juridictionnel effectif et rapide de la retenue ne nous semblent pas réunies.

Nous considérons aussi que les droits accordés à la personne retenue sont insuffisants. Ils devraient être définis en prenant en considération tant les modalités de la mesure que ses finalités, lesquelles vont bien au-delà de la simple vérification d’identité. Au regard des conséquences dramatiques qui peuvent résulter du placement en retenue, les droits accordés à l’étranger retenu ne sauraient être moins protecteurs que ceux accordés aux personnes placées en garde à vue.

Si plusieurs amendements ont été adoptés en première lecture pour renforcer l’assistance de l’avocat, il n’y a pas eu d’avancée sur le droit de garder le silence ou sur l’encadrement du port des menottes et entraves.

Au terme de nos débats, chacun aura compris que le dispositif ad hoc ainsi créé vise à laisser le temps à l’administration de prendre les mesures nécessaires à l’éloignement. La retenue des étrangers, loin de constituer une simple mesure de vérification administrative, se substitue en fait à la garde à vue comme antichambre des mesures d’éloignement.

Par ailleurs, si le projet de loi supprime le délit de séjour irrégulier, il crée le délit de maintien sur le territoire lorsque des mesures coercitives propres à permettre l’exécution de l’éloignement ont été effectivement mises en œuvre.

Certes, la mise en conformité du droit français imposait au Gouvernement d’abroger l’article L. 621-1 du CESEDA, qui prévoit et réprime le séjour irrégulier alors même que l’autorité administrative n’aura pas effectivement mis en œuvre toutes les mesures propres à y mettre fin et qui relèvent de sa compétence. Mais cela n’obligeait pas à créer ce nouveau délit.

Enfin, le projet de loi ne supprime pas le délit de solidarité, mais élargit le régime des immunités pénales prévues en matière d’aide au séjour irrégulier. Pour autant, cet élargissement ne permet pas de soustraire au risque de poursuite certaines personnes fournissant une assistance à des étrangers en situation irrégulière.

Il aurait été préférable de redéfinir ce délit en excluant explicitement l’aide sans but lucratif, d’autant que la directive de novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irrégulier fait expressément référence à la notion de « but lucratif ».

Nous regrettons que la définition du délit d’aide au séjour irrégulier ne permette pas d’éviter que d’autres personnes que les réseaux mafieux soient inquiétées.

C’est pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, que les députés du Front de gauche confirment leur vote contre ce projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet du présent projet, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat – je me tourne vers nos collègues de l’opposition pour leur rappeler que les sénateurs de droite ont voté en faveur du texte – est de redéfinir le cadre juridique dans lequel l’administration est amenée à contrôler la régularité de la situation d’un étranger.

Une double jurisprudence a rendu nécessaire ce projet de loi. Dans un arrêt de juillet 2012, la Cour de cassation a jugé que le placement en garde à vue n’était, dans la très grande majorité des cas, plus possible.

Elle tirait ainsi les conséquences d’une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait considéré, dans un arrêt d’avril 2011, que les États membres ne peuvent appliquer une législation pénale mettant en péril la réalisation des objectifs de la directive et priver celle-ci de son effet utile. La Cour de justice avait ainsi jugé qu’une peine de prison pour maintien sur le territoire risquerait de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Cela n’exclut pas la faculté pour les États membres d’adopter des mesures, même pénales, une fois que les mesures prévues par la directive ont été appliquées et ont échoué. Plus précisément, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas possible de placer en garde à vue un étranger soupçonné d’être en situation irrégulière, puisque ce dernier ne peut encourir la peine de prison prévue à l’article L. 621-1 du CESEDA lors d’une procédure uniquement fondée sur le caractère irrégulier du séjour.

Venons-en maintenant aux objectifs du texte et aux améliorations qu’il apporte. Les différents articles du projet forment un tout cohérent, qui a été amélioré par les deux assemblées parlementaires. La commission mixte paritaire a levé les derniers obstacles à son adoption dans les mêmes termes.

L’article 2 définit le cadre juridique dans lequel l’administration sera amenée à contrôler la régularité de la situation d’un étranger. Le Gouvernement a choisi d’instituer un mécanisme de retenue ad hoc, qui présente deux avantages : sa durée est inférieure à celle de la garde à vue et les protections qui l’entourent sont plus importantes que celles prévues pour la vérification d’identité. Cette mesure s’effectuera sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Parallèlement, l’article 5 tire aussi les conséquences de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci a considéré que les États membres liés par la directive « retour » ne sauraient prévoir une peine d’emprisonnement pour les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier lorsque ceux-ci doivent, en vertu des normes et des procédures communes établies par cette directive, être éloignés et peuvent, en vue de la préparation et de la réalisation de cet éloignement, tout au plus être soumis à une rétention. L’article 5 supprime donc la sanction pénale liée au séjour irrégulier.

Restait la question de l’entrée « passée », si j’ose dire. Une action pouvait théoriquement encore être engagée contre les étrangers entrés irrégulièrement en France et s’étant maintenus depuis sur notre territoire. Le texte amendé prévoit à juste titre que ce délit se constate uniquement en cas de flagrance.

L’article 6 prévoit que l’étranger qui se sera irrégulièrement maintenu sur le territoire français sans motif légitime après avoir fait l’objet d’une mesure régulière de placement en rétention ou d’assignation à résidence, sans qu’il ait pu être procédé à son éloignement, pourra faire l’objet d’une sanction.

Si l’article 5 supprime tout délit lié au séjour proprement dit, le constat s’impose qu’il ne faut pas laisser l’État ne pas réprimer une situation où, malgré toutes les mesures tendant au retour prévues à l’article 8 de la directive, l’étranger ferait échec volontairement, et parfois de façon active, à son transfert.

Dès lors que l’ensemble des mesures ont été engagées et poursuivies et que l’étranger en situation irrégulière est toujours sur le territoire, il est logique, chers collègues, que l’État dispose de moyens juridiques appropriés pour faire respecter la loi.

Si le retour est bien l’objectif, ce qui a conduit la Cour de justice de l’Union européenne à refuser que l’emprisonnement ne soit le substitut des mesures de retour, celle-ci n’a pas entendu que le droit ne prévale pas.

Il serait naïf et faux de croire qu’une obligation qui n’est ni sanctionnable ni sanctionnée demeure une obligation, dans un contexte où, malheureusement, le problème de l’entrée des ressortissants tiers dans l’Union européenne n’est pas encore traité de façon cohérente, équitable et solidaire.

Je rappelle que par les termes de « mesures » et de « mesures coercitives », le droit se réfère à toute intervention qui conduit, de manière efficace et proportionnée, au retour de l’intéressé.

Dans ces conditions, il s’agit de trouver un équilibre et un compromis qui fassent disparaître la sanction pénale en cas de séjour irrégulier et maintiennent le principe d’une dissuasion dans l’hypothèse de l’échec du cadre juridique voulu par l’Union.

Appliquer loyalement le droit de l’Union, rechercher la coopération des États, garantir les droits fondamentaux des personnes, faire diligence sont des objectifs à partager entre États membres.

C’est parce que les autres États de l’Union auront aussi la garantie que le droit est respecté en France qu’ils seront diligents à respecter les procédures communes et à en assurer le respect sur leur territoire.

J’en viens enfin à la nécessaire vigilance qui devra être la nôtre pour vérifier la portée et l’application de la future loi, conformément à l’esprit que nous avons voulu lui donner.

Je ferai à ce titre quatre observations. La première est que nous devrons être vigilants pour vérifier que la limite des 16 heures restera bien l’exception et ne deviendra pas la norme. En effet, elle ne doit pas être conçue comme une contrainte mais comme l’opportunité d’améliorer la réactivité de nos services. Comme l’a indiqué la Commission nationale consultative des droits de l’homme, elle devrait pouvoir aboutir à ce que l’ensemble des services de police puissent vérifier la régularité du séjour des intéressés dans les délais les plus brefs.

M. Guillaume Larrivé. Pourquoi ?

Mme Marietta Karamanli. J’observe aussi que le Parquet, qui supervisera la mise en œuvre de cette procédure, au-delà de la question posée par son statut au regard des principes de la Cour européenne des droits de l’homme, devra jouer effectivement son rôle, et ce, malgré la surcharge d’activité à laquelle il doit généralement faire face.

Par ailleurs, la procédure de retenue ne devra pas être suivie systématiquement d’un placement en rétention ou d’une assignation à résidence. Dans un certain nombre de cas, et notamment pour les personnes qui n’ont jamais fait de demande de titre de séjour, la remise d’une convocation à la préfecture pour déposer une demande de titre de séjour devrait devenir une solution courante.

M. Guillaume Larrivé. Autant donner des papiers à tout le monde !

Mme Marietta Karamanli. Il faut que, conformément à l’article 8.4 de la directive « retour », la solution la moins coercitive soit systématiquement recherchée.

Enfin, nous aurons à vérifier la bonne applicabilité contentieuse d’un dispositif où le contrôle de la régularité des actes administratifs – en l’espèce, les mesures et les mesures coercitives – sera confié au juge correctionnel. Peut-être faudra-t-il alors améliorer le dispositif ? L’avenir nous le dira.

Ce texte marque trois avancées : organiser au mieux et au plus vite la vérification de la situation régulière des étrangers ; ne plus sanctionner la seule présence irrégulière par un emprisonnement contraire à l’objectif de transfert de la personne en situation irrégulière ; ne plus sanctionner le délit d’aide au séjour irrégulier en étendant le champ des immunités, à « toute personne physique ou toute personne morale sans but lucratif portant assistance aux étrangers ».

Il constitue donc une avancée juridique, dont nous nous félicitons aujourd’hui. Ses limites tiennent à la volonté de concilier les améliorations possibles et les contraintes existantes.

Pour toutes ces raisons, nous voterons avec beaucoup de conviction ce texte, espérant pouvoir encore améliorer la situation des droits de l’homme dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Création de la Banque publique d’investissement

Commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi relatif à la création de la Banque publique d’investissement (n° 538).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Bachelay, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Guillaume Bachelay, rapporteur de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme du débat sur la Banque publique d’investissement, et je tiens, une dernière fois, à rappeler l’importance de ce texte d’intérêt national.

La création de la BPI répond à un triple impératif. L’impératif du financement de l’économie réelle, d’abord. Les acteurs économiques sont unanimes – ils l’ont été lors des auditions qui précédèrent nos travaux comme ils le sont dans nos territoires : le resserrement ou le durcissement de l’accès au crédit bancaire privé pour les PME est une réalité, et pas seulement pour les besoins de trésorerie courante. Pour faciliter l’accès au crédit ainsi qu’aux fonds propres, des outils existent, qui se sont révélés utiles au fil des ans, mais dont le plein effet a été limité, voire parfois gêné, faute de lisibilité au-dehors et de stratégie commune au-dedans.

Avec la BPI et la mutualisation des moyens qu’elle opère, les TPE, les PME, les entreprises de taille intermédiaire, en croissance ou en mutation, vont disposer, dans les prochaines semaines et les prochains mois, d’un outil unifié, pour financer leurs projets, grandir, innover, exporter. À toutes les étapes de leur développement, nos entreprises et leurs salariés seront soutenus : c’est la dimension compétitivité de la BPI.

Celle-ci – c’est le deuxième impératif – sera décentralisée. C’est toute la puissance publique qui sera mobilisée, puissance publique nationale, locale, et j’ajoute européenne, grâce aux passerelles établies avec la Banque centrale européenne et la Banque européenne d’investissement : la synergie se déploiera à tous les échelons.

L’État et les Régions, fidèles à l’esprit et à la lettre de la déclaration de l’Élysée du 12 septembre dernier, agiront ensemble pour mettre en œuvre cette stratégie en faveur de l’emploi et de la reconquête industrielle, de la transition écologique et énergétique. L’essentiel des décisions seront prises au plus près du tissu économique dans les territoires. C’est pourquoi il est indispensable que l’assise territoriale de la future banque soit effective dès sa mise en place, dans le fonctionnement quotidien et à tous les étages de la responsabilité. Pour les entrepreneurs, c’est une garantie d’efficacité et de réactivité : c’est la dimension proximité de la BPI.

Enfin, le dernier impératif qui incombe à la future entité concerne la préparation de l’avenir. Si elle a vocation, en investisseur avisé, à agir au bénéfice de l’ensemble des PME et des ETI, elle jouera un rôle irremplaçable et, espérons-le, déclencheur auprès d’acteurs bancaires privés souvent trop frileux, notamment dans deux directions stratégiques pour le futur.

D’une part, la structuration des filières industrielles prioritaires et prometteuses pour définir un nouveau contenu de la croissance – je pense à l’éco-mobilité, aux énergies nouvelles, au numérique, à la santé, aux sciences du vivant, aux éco-matériaux ou éco-ressources. À cet égard, le pacte pour la compétitivité récemment présenté par le Premier ministre fixe un cap qui doit nous rassembler.

D’autre part, il s’agira pour la Banque publique d’investissement, une banque pas comme les autres mais qui agit avec les autres, d’appuyer, notamment à travers son activité de fonds propres, les projets d’innovation qui se heurtent à des défaillances de marché.

Pour valoriser les projets durables, il faut combattre ce que les techniciens appellent pudiquement la myopie des investisseurs, formule feutrée derrière laquelle se cache une anomalie, une hérésie même : au lieu de juguler la crise en partageant le risque, les banques aggravent la crise en ne prenant pas de risques, mettant ainsi en difficulté des entreprises dynamiques qui ont des perspectives commerciales mais qui manquent de fonds pour les atteindre. Cette confiance dans ceux qui innovent, créent ou prennent des risques pour l’emploi, la croissance et l’attractivité d’un secteur ou d’un territoire, c’est la dimension durabilité de la BPI.

Pour toutes ces raisons – compétitivité, proximité, durabilité –, je me réjouis de la qualité des débats qui se sont déroulés dans notre assemblée au cours du mois écoulé. Ils ont été à la hauteur des enjeux. Ce fut vrai au sein de la commission des finances, dont je remercie les membres pour leur apport – et je crois pouvoir dire en leur nom au passage combien l’implication tout au long de nos débats du ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, a été appréciée.

Cette qualité d’écoute et de contribution a été tout aussi réelle au sein de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable, saisies pour avis. Je salue mes collègues rapporteurs, Clotilde Valter et Arnaud Leroy, avec lesquels le travail fut excellent. Et bien sûr, je remercie nos collègues qui, lors du débat en première lecture, sur tous les bancs, ont contribué, par leurs amendements et par leurs arguments, à parfaire le projet initial.

Cet état d’esprit positif, constructif, a également prévalu au Sénat. Cela explique que, le 13 décembre, la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord sur un texte commun. Les différences constatées entre le texte de l’Assemblée nationale et celui du Sénat à l’issue de la première lecture n’étaient pas fondamentales, et les dispositions en discussion étaient, pour la plupart, assez techniques.

Nos deux assemblées étaient largement en accord sur les trois piliers du projet : la définition du rôle et des missions de la BPI ; la composition de son conseil d’administration ; enfin, les modalités d’information et de contrôle du Parlement sur l’activité de la future structure.

La CMP a donc adopté les enrichissements apportés par le Sénat sur ces trois points. S’agissant des missions, il a été précisé, à l’initiative de la commission des affaires économiques du Sénat et du Gouvernement, que la BPI doit agir en faveur de l’amorçage des entreprises – ce qui n’avait pu être fait à l’Assemblée, en dépit du souhait largement partagé sur ces bancs, pour des questions de recevabilité financière –, ainsi que pour le soutien des entreprises dans les zones urbaines défavorisées, les zones rurales et les outremers.

En ce qui concerne la composition du conseil d’administration, deuxième volet abordé, la présence de représentants de la Caisse des dépôts a été explicitement prévue, ce qui est heureux. Par ailleurs, sur une proposition de M. François Marc, rapporteur du texte au Sénat, le président du Comité national d’orientation pourra prendre part aux réunions du conseil d’administration, sans voix délibérative.

Enfin, il a été utilement souhaité que le contenu du rapport annuel au Parlement soit complété. Le principe de sa transmission au Comité national et aux comités régionaux d’orientation a été inscrit dans la loi.

Par ailleurs, la composition du Comité national et des comités régionaux d’orientation a été complétée : au sein du comité national d’orientation, a été ajoutée la participation de deux parlementaires, ce qui permettra à l’opposition – et c’est heureux – d’y être représentée, ainsi qu’un membre des régions d’outremer et un représentant des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte.

Le nombre de membres des comités régionaux a été stabilisé, ce qui contribuera à lutter contre la loi bavarde. Le Sénat a confirmé les amendements adoptés par notre Assemblée, qui prévoyaient la présence des représentants régionaux de la Caisse des dépôts, des chambres de commerce et d’industrie ou des chambres de métiers et d’artisanat. Ont également et heureusement été maintenus les représentants des syndicats et des employeurs. Compte tenu de leur apport à l’échelon régional, le Sénat a jugé utile de renforcer la présence des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. Il a également ajouté un représentant supplémentaire pour l’État et pour les Régions. Ainsi que le principe en avait été posé ici même, les membres du CNO ne pourront en aucun cas siéger dans un comité d’engagement régional. Enfin, les comités régionaux devront établir un rapport public annuel permettant de mesurer l’action territoriale de la BPI.

La commission mixte paritaire a également retenu un amendement adopté au Sénat à l’initiative de la commission des affaires économiques et qui permet de mieux garantir encore la confidentialité des données recueillies par la BPI. Là aussi, est confirmée et confortée la teneur des débats et des choix qui s’étaient exprimés ici même en première lecture.

Enfin, notre commission mixte paritaire a maintenu un amendement qui supprime l’audition par les commissions des finances du président de l’établissement public BPI-Groupe avant sa nomination par le Président de la République. La clarification de l’organigramme de la banque au cours des débats nous a conduits à constater – c’est un constat de fait, pas un jugement de valeur – que celui-ci n’aura pas de rôle exécutif dans la structure. C’est le directeur général qui en assurera le pilotage exécutif et qui devra, à ce titre, être auditionné par le Parlement avant sa nomination.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objectif était de parvenir à un texte pleinement opérationnel, qui permette de mettre en place la BPI dès le mois de janvier prochain, conformément à l’engagement du Gouvernement et au souhait des Régions et des entreprises, pour répondre à l’urgence du financement des PME et des ETI, d’abord dans l’industrie, et comme le Président de la République s’y était engagé, avec le premier de ses soixante engagements pour la France.

À cet égard, la commission mixte paritaire a, me semble-t-il, fort bien rempli sa mission. Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter le texte qu’elle a finalement élaboré.

Adhérer à ce projet serait, sera adhérer au financement et à l’investissement de nos PME, à l’encouragement à l’innovation sous toutes ses formes – technologique, sociale, environnementale – à une puissance publique stratège et performante, au soutien de l’économie, de l’emploi, de la préparation de l’avenir. C’est à cette adhésion à l’intérêt général que j’appelle chacune et chacun de nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je serai bref. Je reprendrai, pour l’essentiel, les arguments évoqués par M. le rapporteur. Je veux cependant me réjouir du bel alignement des planètes auquel nous sommes parvenus ces jours-ci, avec les avancées importantes lors du dernier conseil européen, en faveur de l’union bancaire, avec la décision prise en conseil des ministres de mettre en chantier la loi bancaire, qui comportera des mesures extrêmement importantes de régulation de la banque en France, notamment la séparation d’une partie des activités de détail et d’une partie des activités d’affaires – celles pour compte propre en particulier –, et, enfin, avec la création de la Banque publique d’investissement.

Il me plaît, monsieur le rapporteur, de vous voir sur le banc qui est le vôtre aujourd’hui ; dans l’opposition, nous parlions déjà il y a quelques années de la création de cette banque publique d’investissement comme d’un instrument et de financement et d’investissement dans l’économie française. Elle est indispensable, par ailleurs, pour soutenir les efforts d’ores et déjà accomplis par le Gouvernement en faveur de la compétitivité de notre économie. Constatons donc que nous posons aujourd’hui un acte fort en faveur de la création de cette banque, qui était attendue par beaucoup. Nous le faisons par-delà même les clivages partisans ; sur divers bancs de cette assemblée comme sur ceux du Sénat, des positions se sont exprimées en faveur de la création d’un instrument tel que la Banque publique d’investissement. Je crois que nous sommes arrivés, à bien des égards, à un équilibre : un équilibre entre l’État, la Caisse des dépôts et consignations et les Régions ; un équilibre dans l’approche suivie sur tous les bancs s’agissant de la nécessité de construire cette Banque publique d’investissement ; un équilibre entre les points de vue des deux chambres et la proposition initiale du Gouvernement. Nous arrivons donc aujourd’hui à un texte tout entier tourné vers l’intérêt général, qui témoigne du souci de soutenir efficacement l’économie française et de veiller à son financement, au financement de nos entreprises.

Je reviens à quelques amendements et contributions des deux chambres. Vous noterez que Pierre Moscovici a en effet été favorable à des amendements venant de tous les groupes. Au Sénat, le Gouvernement a même repris des propositions constructives présentées par l’UDI et l’UMP, par exemple pour donner des gages de notre engagement à limiter les risques de conflit d’intérêts au niveau régional ou pour prévoir la présence de représentants du Parlement dans les organes de gouvernance de la BPI. La volonté du Gouvernement n’est donc pas simplement de tenir l’engagement n° 1 du Président de la République, il est de répondre à ce que sont aujourd’hui les besoins de nos entreprises, en tenant compte, je le redis, de l’intérêt général.

Le Gouvernement a donc travaillé avec la représentation nationale dans un esprit d’ouverture et de consensus. Je tiens à ce que l’on en prenne bonne note.

Je veux revenir, mesdames et messieurs les députés, sur les plus notables améliorations apportées au texte par la représentation nationale, quand bien même M. Bachelay les a déjà abondamment détaillées.

La première de ces améliorations, c’est la précision du rôle de la BPI au service de nos entreprises. L’article 1er a été considérablement enrichi, trop selon ses détracteurs, mais ce n’est pas ce que nous pensons : il était nécessaire de préciser, par exemple, que la BPI favorisera l’amorçage ou offrira des services d’accompagnement des entreprises. L’idée est de créer non pas seulement un distributeur de produits financiers mais bien un instrument d’accompagnement global des PME et des ETI. En tant que ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire, confronté aux besoins spécifiques, notamment en haut de bilan ou en fonds propres, des structures privées à but non lucratif, je veux y insister : il n’était pas seulement nécessaire d’ouvrir un guichet, il fallait aussi offrir des solutions d’ingénierie, d’accompagnement, de conseil, qui nous permettent, une fois que les projets arrivent à maturité économiquement, d’apporter les bonnes réponses, quel que soit par ailleurs le statut du demandeur, société de droit commun ou – je me réjouis que nous prenions ce cas en compte – société issue du privé non lucratif, donc de l’économie sociale et solidaire.

Je note par ailleurs avec satisfaction que la mission de soutien de la transition écologique et énergétique de la BPI est désormais bien identifiée dans la loi. Je rappelle également l’amendement si important adopté par l’Assemblée qui précise que la BPI doit entraîner le secteur privé à financer les entreprises et, évidemment, pas se substituer à lui. Cela allait sans le dire, mais cela va sans doute mieux en l’écrivant.

La deuxième de ces améliorations, c’est l’exemplarité. Vous avez voulu que la BPI soit une institution financière exemplaire, avec la parité, la modération dans les rémunérations et le respect des principes de responsabilité sociale et environnementale. Vous me permettrez de remarquer que certains nous ont d’ailleurs accusés d’être politiquement corrects. Je ne sais pas ce que cela veut dire mais, ce qui est certain, sur le fond et sur la forme, c’est que c’était nécessaire et que ces améliorations, si elles étaient peut-être politiquement correctes, étaient surtout politiquement souhaitables.

La troisième de ces améliorations, c’est le renforcement de la gouvernance nationale de la BPI. Le Gouvernement souhaitait associer les forces vives du pays à ce nouvel outil, vous y aurez contribué. Un point d’équilibre a été trouvé avec les Régions : plus que jamais la BPI est un partenariat État-Régions, et certaines dispositions de la loi sont là pour limiter les risques de conflits d’intérêt que les débats ont parfois soulevés. De même, aucun grand acteur auprès des entreprises n’est oublié, par exemple le réseau consulaire qui joue un rôle essentiel auprès de nos entreprises sur le terrain.

La quatrième de ces améliorations, c’est le meilleur ancrage de la BPI dans les territoires. Grâce aux travaux du Sénat notamment, la gouvernance régionale de la BPI est désormais robuste, conforme à l’ambition du Gouvernement de confirmer dans l’acte III de la décentralisation le rôle de chef de file des Régions en matière de développement économique, sans exclusive de l’action des autres collectivités.

La cinquième de ces améliorations enfin, c’est le rôle du Parlement. Outil national, la BPI se devait d’être soumise à un strict contrôle de la représentation nationale ; c’est chose faite. Responsabilité du Parlement dans les procédures de nomination, notamment la plus importante, à savoir celle du directeur général ; débat au Parlement sur le projet de doctrine d’intervention ; soumission aux commissions compétentes des grandes lignes du pacte d’actionnaires entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations ; contrôle du législateur sur toute ouverture du capital de la BPI à des personnes morales de droit privé : ce sont là autant d’avancées substantielles qui assureront que la BPI ne sera ni un instrument hors sol ni hors de contrôle, mais une institution financière avec les pieds sur terre, en région et sous l’œil avisé, forcément avisé, des parlementaires ; j’en profite pour saluer le président Carrez.

Avant de conclure, mesdames et messieurs les députés, quelques mots de remerciements.

Je remercie les rapporteurs de ce projet, MM. Bachelay à l’Assemblée et Marc au Sénat. J’en profite pour dire, au nom du ministre de l’économie et des finances, combien le travail avec l’Assemblée nationale et avec vous, monsieur le rapporteur, a été fécond, mais, au-delà des formules d’usage, je sais combien ce projet doit à votre engagement personnel. Je me permets donc de vous dire en mon nom personnel, au nom du Gouvernement et au nom du ministre de l’économie et des finances combien nous sommes satisfaits et heureux de cette coproduction, si je puis dire, qui nous permet aujourd’hui de faire naître la Banque publique d’investissement.

Je remercie évidemment les deux présidents des commissions des finances des deux assemblées, MM. Carrez et Marini. Peut-être ne vous aurons-nous pas toujours convaincus, mais nous espérons avoir pu répondre à vos questions et, au nom du Gouvernement, je vous remercie à la fois de vos interrogations, de vos contributions et parfois même de vos critiques, qui ont souvent été constructives. Je veux me féliciter de la qualité de la relation qui s’est nouée sur ce texte et qui augure d’une mise en œuvre très favorable sur le terrain.

Je remercie les différents groupes de la majorité, qui ont pu colorer ce texte. Il reflète, à bien des égards, les sensibilités de l’ensemble de ses composantes.

Enfin, je remercie l’opposition qui, par une critique non pas outrée ni outrancière mais constructive, a pu nous aider à construire ce texte, qui ne manquera pas, je l’espère, de recueillir son approbation au moment du vote.

Je finis en précisant qu’avec l’adoption de ce projet de loi, ce n’est pas la fin de l’histoire mais que tout commence – je remercie la personne qui m’a écrit cela, c’est effectivement magnifique (Sourires) – car la Banque publique d’investissement est maintenant attendue sur le terrain. Des porteurs de projet, des PME, des TPE, des PME en croissance, quel que soit leur statut, attendent, du côté des acteurs bancaires privés, un interlocuteur qui leur permette de faire mûrir leur projet et qui leur apporte des réponses en termes d’investissement, de participation, de garantie bancaire, de prêt, de crédit. À côté de la stratégie de compétitivité qui est celle du Gouvernement, notamment avec le pacte de croissance, de compétitivité et d’emploi, nous devons disposer, avec la Banque publique d’investissement, d’un instrument de financement de l’économie qui nous permette de relever les défis de la compétitivité et surtout du retour de la croissance, de la lutte contre le chômage et de la création d’emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous allons aujourd’hui clore dans cet hémicycle le débat sur le projet de loi portant création de la banque publique d’investissement, la BPI.

C’était l’engagement n° 1 du Président de la République, qui avait annoncé dans ses 60 engagements de campagne : « Je créerai une Banque publique d’investissement. À travers ses fonds régionaux, je favoriserai le développement des PME, le soutien aux filières d’avenir et la conversion écologique et énergétique de l’industrie. Je permettrai aux Régions, pivots de l’animation économique, de prendre des participations dans les entreprises stratégiques pour le développement local et la compétitivité de la France. Une partie des financements sera orientée vers l’économie sociale et solidaire. »

Si nous en croyons le texte de cet engagement n°1, le principe de la BPI aurait pu être une bonne idée. En effet, nos entreprises souffrent de trois problèmes majeurs : l’atrophie de notre tissu économique intermédiaire, une spécialisation industrielle tournée essentiellement vers les grandes entreprises, un climat fiscal et financier anxiogène pour les entreprises à fort potentiel de développement. Cependant, le problème qui surpasse tous les autres est celui du financement. Votre projet de loi ayant pour but d’améliorer l’accès des PME et des ETI à un système de financement public tourné principalement vers le long terme est louable car c’est, je le souligne, un besoin vital pour nos entreprises.

Toutefois, nous ne pouvons que nous étonner du décalage évident entre l’objectif affiché par la BPI et la politique que vous menez depuis votre arrivée au pouvoir. En effet, le mal essentiel qui frappe notre tissu économique tient à la très faible marge et aux capacités d’investissement insuffisantes de nos entreprises. C’est un frein au développement des PME et donc à l’exportation.

Or le matraquage fiscal mis en place depuis quelques mois aggrave cette situation et empêche de créer un climat favorable au développement et à la croissance des entreprises : 14 milliards d’euros d’impôts supplémentaires sur les entreprises, soit une augmentation équivalente à un tiers de l’impôt sur les sociétés, et la suppression des allègements liés aux heures supplémentaires, entre autres, sont autant de facteurs qui pénalisent nos entreprises et assèchent leurs capacités d’investissement. La BPI, dont le rôle est de faire face à la faiblesse de trésorerie des PME, serait certainement moins nécessaire sans la fiscalité que vous avez mise en place, qui handicape terriblement la trésorerie de nos entreprises.

M. Thierry Mandon. Hors sujet !

M. Michel Zumkeller. Je suis désolé, mais il faut, avant de parler d’une banque publique d’investissement, que les entreprises dégagent des marges. Si on les matraque fiscalement, ce n’est pas le cas, et elles n’ont pas la capacité d’investir.

M. Jean-Marc Germain. Et le crédit d’impôt ?

M. Michel Zumkeller. Nous en parlerons tout à l’heure, n’anticipez pas.

On peut créer toutes les banques que l’on veut, mais si les entreprises ne sont pas en bonne santé, elles n’investiront rien du tout, et votre banque ne servira à rien du tout. Ce n’est pas là un jugement politique, c’est un jugement de fait.

En outre, la BPI n’est pas suffisamment tournée vers les PME.

Nous avons souhaité, dans le cadre de ce débat, apporter certaines améliorations à ce projet de loi.

M. Thierry Mandon. Il n’y avait personne de l’opposition !

M. Michel Zumkeller. J’étais présent tout au long des débats !

M. Thierry Mandon. Vous étiez bien seul !

M. Michel Zumkeller. D’ailleurs, je ne pense pas que vous-mêmes étiez présent tout au long des débats.

J’ai moi-même déposé des amendements, que vous n’avez pas votés, et qui insistaient sur le rôle des chambres consulaires. Nous aurions souhaité qu’elles soient plus impliquées dans la BPI, et que leur réseau serve à diffuser les produits qu’elle propose. Cela n’a pas été le cas, et nous le regrettons, parce que ces chambres consulaires disposent de compétences et de capacités qui auraient pu être très utiles. Elles peuvent d’ailleurs encore l’être !

Nous avons également proposé que les entrepreneurs soient représentés dans le fonctionnement de la BPI. Il n’y en a aucun. Cela revient à faire de l’investissement, mais sans les entreprises ! Nous verrons, dans les faits, quel sera le résultat.

Par ailleurs, nous avions formulé le souhait que la BPI puisse participer au financement des très petites entreprises. Cette proposition n’a pas été retenue : je le regrette. Je pense que la possibilité de répondre au besoin de trésorerie des très petites entreprises manquera très certainement.

M. Jean-Jacques Bridey. Vous n’avez pas lu le texte !

M. Michel Zumkeller. On peut de plus se demander si la force de frappe de la BPI sera suffisante. Elle est comprise entre 35 et 40 milliards d’euros : cela ne représente qu’une toute petite partie du besoin le financement de l’économie en France, qui représente 1 300 milliards d’euros. Encore une fois, la valeur ajoutée de la BPI doit être précisée.

M. Jean-Marc Germain. C’était pourtant un engagement de Nicolas Sarkozy !

M. Michel Zumkeller. En outre, nous ne comprenons pas pourquoi vous avez eu recours à la loi. Oséo existe et fonctionne dans des conditions plutôt satisfaisantes. Quant aux participations et au financement du capital des PME, ils sont assurés avec une certaine réussite par la CDC Entreprises avec ses délégations régionales. Si l’objet de ce texte est de renforcer la coordination entre ces différents organismes, cela relève de la gouvernance et non nécessairement de la loi.

Le rassemblement de ces entités était-il nécessaire, et souhaitable ? Nous le verrons. Valait-il la peine de créer une seule grosse structure ? Votre formule assure-t-elle plus de souplesse, de réactivité pour répondre aux besoins des entreprises ? Nous le verrons dans les faits. Cette structure unique aura-t-elle une force de frappe supérieure à celle de ses trois composantes financières ou, au contraire, sera-t-elle moins réactive ?

Je crains que le nombre important de missions que vous attribuez à cette banque n’entraîne un peu de pesanteur. Vous donnez à la BPI la mission de réindustrialiser la France, d’assurer notre transition énergétique, de garantir le respect de l’environnement et de favoriser l’activité économique : c’est beaucoup, sans doute beaucoup trop. Je crains que le principe de ce couteau suisse à 42 milliards d’euros ne soit un peu compliqué et irréaliste.

Vous avez parlé de la BPI comme d’un « porte-avions de la compétitivité » de la France, selon la formule employée par M. le ministre des finances. C’est bien là ce qui nous inquiète ! Les entreprises n’ont pas besoin d’une structure lourde et difficile à manœuvrer comme un porte-avions ! Elles ont au contraire besoin de quelque chose de très réactif. Nous verrons ce qu’il en sera.

Vous avez parlé, tout à l’heure, du crédit d’impôt compétitivité emploi. Rien n’est prévu en 2013, tout ne sera effectif qu’en 2014, 2015 et 2016.

M. Jean-Marc Germain. Non, en 2015.

M. Michel Zumkeller. Cela nous semble un peu éloigné. Les 10 milliards d’euros prévus en 2014 ne nous semblent pas suffisants. Je rappelle que Louis Gallois préconisait un choc de 30 milliards d’euros. Ce choc n’est pas présent. Force est de constater que le Gouvernement n’a toujours pas pris la mesure de la crise. C’est immédiatement que les entreprises ont besoin d’être soutenues, pas dans un an.

Le véritable problème que nous avons à résoudre, monsieur le ministre, est celui de la croissance, de la création d’emplois et de la lutte contre le chômage. Nous savons bien que c’est d’abord de compétitivité qu’il s’agit ; le financement des entreprises viendra ensuite. C’est parce que les conditions de la compétitivité sont réunies que l’on peut assurer ce financement. Il est vain de financer des entreprises qui ne répondent pas aux exigences de compétitivité.

Nous appelons donc le Gouvernement à agir de toute urgence, à prendre la mesure de la crise que nous traversons, et à y répondre. Nous sommes tous d’accord dans cet hémicycle pour dire que les autres sujets peuvent attendre. Pour toutes ces raisons, les députés du groupe UDI s’abstiendront sur ce texte.

M. Jean-Marc Germain et M. Jean-Jacques Bridey. C’est bien dommage !

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Mandon.

M. Thierry Mandon. Monsieur le ministre délégué, je me permettrai d’adapter librement mon propos à l’intervention de l’orateur précédent.

La création de la BPI est une réforme essentielle. Ce nouvel établissement prendra une place importante dans la nouvelle palette des outils de financement des entreprises. Il s’adressera à tous les acteurs de l’économie, dont les TPE : c’est explicitement mentionné dans le texte. Cet outil est même en grande partie destiné à ces TPE, ainsi qu’aux PME, aux PME industrielles et aux entreprises de taille intermédiaire. Tous ces acteurs ont des besoins spécifiques de financement de leur croissance et de leur développement.

Cette banque publique doit être une banque différente, exclusivement dédiée à ces acteurs et au financement de leur croissance. Cette banque différente répond à une nécessité, que vous devez déjà rencontrer sur le terrain. C’est la raison pour laquelle on peut s’interroger sur le sens de votre vote. En effet, que disent les entreprises ? Qu’elles n’arrivent pas à obtenir des acteurs bancaires classiques des financements suffisants, qu’il s’agisse de prêts, de cautions, d’apport en fonds propres… Cela s’explique par des foules de raisons, qui tiennent à la réorganisation du système bancaire, à la préparation des réformes de liquidité et de solvabilité des banques plus connues sous le nom d’accords de Bâle III. Dès à présent, les banques se réorganisent selon cette perspective. Bien souvent, donc, la porte des banques est fermée aux entreprises.

Ce sont autant d’opportunités de croissance d’entreprise dans les territoires, de développement de l’emploi, qui disparaissent faute de financements. Cette BPI répondra-t-elle à tous les problèmes ? Évidemment non, personne ne le prétend. Elle est toutefois indispensable du fait de sa puissance financière. Vous balayez d’un revers de main cet argument en disant que, finalement, 35 ou 40 milliards d’euros, c’est peu de chose. Mais, tout d’abord, il faut comprendre que cette somme permettra de faire jouer un effet de levier, qui porte la capacité d’investissement de la BPI à 70 milliards d’euros. Il faut rapprocher ce chiffre du financement global des PME, qui est de 185 milliards d’euros. Le texte dont nous discutons propose donc la création d’un outil qui représente, pratiquement du jour au lendemain, un apport de financements nouveaux d’un peu moins de 50 % des aides disponibles pour le tissu industriel et économique.

Deuxième justification de la création de la BPI : les modalités de son intervention. D’abord, cet outil est simple. Simple, car il s’agit d’une structure unique. Vous retournez cet argument en disant que c’est un monstre, un paquebot. Mais en réalité, cela permet le regroupement dans un seul et même outil de différentes aides qui sont à l’heure actuelle complètement éclatées, désarticulées, désorganisées, sans aucune coordination. Surtout, cet outil traitera l’ensemble des financements dont les entreprises ont besoin : prêts, garanties, financements de l’innovation et à l’exportation.

Cette banque aura une autre spécificité : elle sera profondément insérée dans les régions. Elle a pour objectif d’être plus qu’un guichet passif de distribution d’aides, de garanties ou de prêts. Elle jouera également un rôle actif de conseil et de soutien aux entreprises ; cela reste à mettre en place en relation avec les Régions. Bref, la BPI sera une banque différente par sa nature.

Elle sera aussi différente par sa gouvernance, qui est extrêmement simple : une structure de tête réunit de manière paritaire l’État et la Caisse des dépôts et des consignations, qui chapeaute des filiales spécialisées dédiées. Un conseil d’administration national est garant de la stratégie économique, du pilotage du réseau et de la gestion des risques. Il est secondé, pour ce qui concerne la dimension opérationnelle, par un conseil national d’orientation, qui a la particularité d’être une structure agrégative réunissant l’ensemble des acteurs de l’économie : les partenaires sociaux, les entreprises, les secteurs d’investissement prioritaires, les Régions ; bref, un conseil qui sera en prise directe avec l’économie réelle et les forces vives du pays. C’est la première fois qu’un outil bancaire est aussi largement composé, y compris dans le secteur privé.

J’insiste sur la volonté d’exemplarité de cet outil, tant en matière de rémunérations – nous sommes tous conscients de la nécessité de limiter les dérives en matière de rémunérations dans les banques – qu’en matière d’interdiction des conflits d’intérêts. Cela implique aussi l’interdiction d’un certain nombre d’activités spéculatives, notamment concernant les opérations de marché pour compte propre.

Vous dites que vous avez participé avec assiduité au débat parlementaire. Il se trouve quand même que les bancs de l’opposition étaient vides la plus grande partie du temps !

M. Michel Zumkeller. Elle était présente du début jusqu’à la fin !

M. Thierry Mandon. La majeure partie du temps, il n’y avait absolument personne ! Certes, à ce moment-là, pour l’opposition, l’actualité se faisait plus dans les couloirs que dans l’hémicycle. Il n’empêche qu’un travail parlementaire de grande qualité a été réalisé. J’en remercie, d’abord, les rapporteurs, Guillaume Bachelay pour la commission des finances de l’Assemblée nationale et François Marc, pour celle du Sénat. Des ajouts importants ont été apportés à la version initiale du texte. Tout d’abord, les missions de la BPI ont été précisées. Les TPE ont été explicitement mentionnées parmi ses bénéficiaires, et le financement de la transition écologique parmi ses objectifs.

Un certain nombre d’améliorations relevant de l’éthique et des principes ont également été apportées. J’ai parlé tout à l’heure de l’encadrement des rémunérations, mais il faut également mentionner le respect de la parité au sein des différentes instances de la banque. Enfin, cet outil a été rapproché du Parlement, avec l’organisation de consultations, de rapports et de débats dans les commissions compétentes de nos assemblées. J’ai oublié de citer le travail important effectué par deux commissions de l’Assemblée nationale : la commission des finances et la commission des affaires économiques.

Le Gouvernement s’est montré particulièrement attentif aux demandes des parlementaires, et a bien volontiers accepté ces améliorations. Il ne reste donc, au terme de l’examen de ce texte, et alors qu’approche l’heure du vote, qu’un mystère : quelle est la raison de l’absence de l’opposition dans ce débat ? Ce texte est tout de même extrêmement important. La création de la BPI n’est pas seulement l’engagement n° 1 du projet présidentiel de François Hollande, c’est aussi la reprise d’une proposition de l’ancien Président de la République, qui avait dit lui-même – je crois que c’était sur un plateau de télévision – qu’il faudrait un jour créer une grande banque publique d’investissement pour regrouper l’ensemble des financements et des structures existantes à l’heure actuelle.

M. Jean-Jacques Bridey. Eh oui !

M. Thierry Mandon. Pourquoi n’étiez-vous pas là ? Si c’était uniquement parce que vous étiez plus occupés ailleurs, cela ne serait pas grave.

M. Jean-Marc Germain. Ça fait dix ans qu’ils sont absents ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Thierry Mandon. Nous écouterons tout à l’heure les explications de vote avec intérêt.

Je crois, en réalité, qu’une certaine culture est en train de disparaître dans l’opposition : celle de l’intervention de l’État, du rôle de l’État dans l’économie, du volontarisme et d’une forme de patriotisme économique. On pourrait la qualifier d’un mot : une conception gaullienne des rapports entre l’économie et la politique.

M. Jean-Marc Germain. C’était il y a très longtemps ! Une autre génération !

M. Thierry Mandon. La création de cet outil par la seule majorité reviendra, pour vous, à signer l’acte de décès de cette vision politique. Nous le regrettons, car nous sommes persuadés de n’être pas les seuls à avoir pour projet de remettre la finance sur les rails du soutien à l’économie et à l’activité réelles du pays, au bénéfice de la croissance et de l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Un chef d’entreprise va vous répondre !

M. Jean-Marc Germain. C’est la dernière intervention du groupe Rassemblement-UMP !

M. Lionel Tardy. Je passerai dans l’histoire. (Sourires.)

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons, avec ce texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, au bout du processus législatif créant la Banque publique d’investissement. Que le Gouvernement se préoccupe du financement de l’économie est une excellente chose : je ne peux que l’en féliciter.

M. Thierry Mandon. Ça commence bien !

M. Lionel Tardy. Il se situe pleinement dans la continuité de la précédente majorité, qui a pris beaucoup d’initiatives dans le domaine économique. Cela devient moins bien, n’est-ce pas, monsieur Mandon ? (Sourires.)

Pour y parvenir, il a décidé de fusionner et de rationaliser un certain nombre de dispositifs existants. L’idée est bonne ; d’autres avant vous ont voulu le faire sans vraiment y parvenir. Cela a déjà été dit. Ce gouvernement a mené à bon port un projet de loi qui vise à améliorer et à simplifier des dispositifs existants : c’est à mettre à son crédit.

Quand on se lance dans un tel jeu de Meccano avec mes institutions et les dispositifs, quand on rebat ainsi les cartes, on se heurte nécessairement à des résistances. Parfois, elles peuvent avoir raison d’une volonté politique, en tuant dans l’œuf un projet de réforme. Ce n’est pas le cas ici, du moins pas à ce stade, et on ne peut que s’en féliciter.

La première étape est donc franchie, avec la promulgation prochaine de ce texte de loi et sa mise en œuvre concrète. Ce n’est pour autant qu’un début, car il va falloir trouver des équilibres au sein de cette nouvelle banque d’investissement. Les luttes de pouvoir et d’influence ne vont pas cesser : elles vont simplement se déplacer ! Même si la loi fixe des cadres et une répartition des pouvoirs, notamment entre la Caisse des dépôts, les banques, les structures intégrées au dispositif comme Oséo et les collectivités locales, il faut bien laisser de la marge.

Il y a quand même des éléments importants dans ce texte. Il est absolument essentiel de préserver le choix politique qui a été fait d’une gouvernance paritaire entre l’État et la Caisse des dépôts sans laisser les banques en position d’arbitre. Ce sont les banques qui ont potentiellement le plus à perdre en termes de pouvoir face à l’émergence de cette nouvelle banque publique d’investissement Elles vont être dérangées, car la BPI empiète largement sur leur segment de marché et c’est bien le but de ce projet de loi. La BPI doit être un aiguillon qui oblige l’ensemble du système de financement à être plus performant et à combler les trous dans la raquette. En effet, il faut bien avoir à l’esprit que cette banque publique d’investissement n’est qu’un maillon de la chaîne un acteur parmi d’autres et heureusement !

Nous ne sommes pas dans un pays à la soviétique où l’intégralité du financement de l’économie passe par des structures publiques. Il faudra donc veiller à la bonne articulation de la Banque publique d’investissement avec les structures existantes, les banques bien entendu, mais aussi les chambres consulaires, qu’il s’agisse des CCI ou des chambres des métiers, car les artisans, eux aussi, ont besoin de financement. Plus la structure est petite et plus elle a souvent de mal à trouver des financements. D’autres acteurs doivent aussi être pris en compte, comme l’assurance-crédit qui assure souvent la trésorerie, le maillon faible des PME, ou les fonds d’investissements privés.

La BPI doit s’insérer dans un tissu déjà existant sans prétendre être l’alpha et l’oméga du financement de l’économie. Elle n’est qu’un outil dans la panoplie : dans certaines situations, certes, elle sera très performante ; dans d’autres, elle devra avoir la sagesse de laisser la main à des acteurs différents.

Beaucoup de choses restent en suspens, cela a été souligné, et ne sont pas réglées par cette loi tant sur le fonctionnement de la BPI que sur le financement de l’économie.

La Banque publique d’investissement n’est qu’une structure qui sera ce que les hommes et les femmes que nous mettrons à sa tête en feront. Les choix des dirigeants est essentiel et il est heureux que le Parlement ait son mot à dire dans les nominations. Il est bon, également, que nous soyons présents dans les structures de surveillance et d’orientation tout en laissant aux dirigeants opérationnels un vrai pouvoir de décision. Tout est question d’équilibre.

Une fois en place, le premier travail à mener par la BPI sera de faire un grand ménage dans les différentes aides auxquelles peuvent prétendre les chefs d’entreprises. C’est un tel maquis et, surtout, c’est tellement bureaucratique que beaucoup d’entreprises s’en détournent. Il faut simplifier, car, parfois, le problème n’est pas l’argent qui est disponible, voire même surabondant, mais la mise en place du dispositif, quand bien même il y aurait un regroupement, qui décourage les demandes. Prenons pour exemple le Fonds national pour la société numérique – le FSN. Dans le cadre du grand emprunt, 2,25 milliards d’euros devaient être consacrés aux usages et aux technologies du numérique. C’est un euphémisme que de dire que ces crédits ont fait l’objet d’une sous-consommation ! Et pourtant, ce ne sont pas les besoins de financement qui manquent dans le numérique, terre de prédilection des start-up. L’outil n’était simplement pas adapté, l’information a mal circulé, bref, le produit, comme souvent, n’a pas trouvé son public. C’est le risque qui guette la Banque publique d’investissement que nous mettons en place aujourd’hui, le risque que tout ce dispositif, que toute cette bonne volonté rate sa cible, faute d’avoir pris les bons chemins, faute aussi d’avoir suffisamment évalué les besoins, les publics cibles, leurs contraintes et leurs attentes.

Les chefs d’entreprise, surtout en période de crise, se concentrent sur l’activité de leur entreprise et n’ont ni le temps ni l’appétence pour le montage de dossiers complexes et la gestion de la paperasse administrative. Il faut donc de la simplicité et de la rapidité d’exécution.

Il ne faut pas croire que ce texte de loi résoudra le problème du financement de l’économie, car, malheureusement, ce gouvernement reprend de la main droite ce qu’il a donné de la main gauche, avec les lois de finances ou de finances rectificatives que nous venons d’adopter qui cassent la dynamique que ce texte cherche à construire. Je ne peux pas passer sous silence les mesures absolument désastreuses qui sont actuellement discutées en lois de finances. Le Gouvernement est en train de casser complètement par un matraquage fiscal les mécanismes de financement privé des entreprises. Je ne prends que deux exemples, mais ils sont emblématiques de la casse économique que ce Gouvernement est en train de mener. L’article 6 du projet de loi de finances, celui des « pigeons », c’est tout simplement la mort du capital-risque français, la mort des start-up, qui sont des investissements à haut risque et qui nécessitent donc des rendements élevés. Si l’État, à la sortie, par le biais d’une fiscalité dissuasive sur les plus-values, prélève une part trop importante des profits, plus personne ne voudra se lancer dans le capital-risque. Ce n’est certainement pas la BPI, dont une partie du patrimoine génétique vient de la Caisse des dépôts, qui pourra assurer ce rôle ! Comment demander à cet organisme, qui a l’obligation de gérer en bon père de famille de se transformer en business angel ? J’aimerais que l’on m’explique, car je ne vois pas comment cela va marcher. Ce n’est ni son métier ni sa culture.

Second exemple, avec l’article 14 du projet de loi de finances rectificative, vous massacrez complètement le mécanisme de la transmission familiale des PME en revenant sur le dispositif de la donation avant cession. L’investissement, c’est bien, mais on ne va pas faciliter la transmission d’entreprises. En effet, de nombreux dirigeants qui arriveront à l’âge de la retraite ne pourront pas transmettre leur entreprise dans des conditions avantageuses. Du fait de la crise, 750 000 entreprises environ sont concernées. C’est bien de vouloir améliorer le financement de l’économie, encore faut-il être cohérent, avoir une vision globale, faire des études d’impact et prendre des mesures fiscales qui ne vont pas à rebours des objectifs affichés par ailleurs, ce que vous êtes en train de faire ! Monsieur le ministre, il serait bien de nous expliquer la cohérence globale de votre action en matière d’économie !

Pour revenir à la BPI proprement dite, le projet de loi que nous examinons, ce soir, n’est pas une mauvaise chose en soi. Sa réussite, je l’ai dit, dépendra de ses dirigeants, de leur habileté à contourner les obstacles, à vaincre les résistances et à répondre réellement à une demande en s’y adaptant.

Le challenge n’est pas facile, mais c’est réalisable. C’est pourquoi le groupe Rassemblement-UMP votera ce texte tout en étant lucide sur ses limites et en souhaitant vivement que le Gouvernement, par sa politique fiscale désastreuse pour le monde de l’entreprise n’annule pas tous les effets positifs de ce texte.

M. Philippe Le Ray. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Censi.

M. Yves Censi. Madame la présidente, mesdames, messieurs, les travaux de notre assemblée ne sont pas toujours particulièrement bien organisés. J’ai ainsi dû me presser pour arriver, parce que j’assistais à une audition de la commission des affaires sociales sur un sujet que vous connaissez bien, monsieur le ministre délégué, puisqu’il s’agit de l’insertion par l’activité économique.

La commission mixte paritaire sur ce projet de loi a réussi. Dans le contexte actuel de défiance envers le Gouvernement de la part de sa propre majorité, il est important de le souligner. (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.) la CMP est donc, certes, parvenue à un texte commun, mais un texte qui suscite toujours autant d’interrogations, un texte malheureusement ficelé dans la précipitation et qui contient encore beaucoup d’imprécisions et d’incohérences. Ce texte, au fil des navettes, au lieu de s’enrichir et de s’améliorer, devient de plus en plus inquiétant. Bien que nous nous soyons abstenus lors du vote, nous avions déjà soulevé, en première lecture, les risques de politisation des choix d’investissement et de conflits d’intérêts, notamment entre élus et entrepreneurs. Malheureusement, avec les nouvelles dispositions votées au Sénat, ce n’est plus d’un risque qu’il s’agit, mais, malheureusement, d’une véritable incitation !

Au système centralisé de départ, imaginé par Bercy, succède, grâce au lobbying du président de l’Association des Régions de France, un nouveau dispositif particulièrement régionaliste qui accorde un rôle démesuré aux exécutifs et élus régionaux. Ceux-ci vont, en effet, occuper trois des quinze sièges du conseil d’administration de la BPI, au lieu de deux dans le texte initial, participer aux comités régionaux d’orientation chargés de formuler un avis sur l’exercice des missions de la BPI à l’échelon régional et, surtout, participer au comité national d’orientation de la BPI, lequel sera présidé par un président de région.

Le risque d’instrumentalisation politique et celui d’accorder des investissements sur des critères trop laxistes ou sur des considérations plus politiques qu’économiques sont donc, bien sûr, renforcés par rapport au texte voté par l’Assemblée nationale. Cela arrive, malheureusement, mes chers collègues ! Voilà tout l’apport du Sénat !

M. Jean-Marc Germain. Vous avez une vision affligeante des élus locaux !

M. Yves Censi. Quant aux améliorations qu’on aurait pu espérer de ces lectures successives, notamment sur la structure même de la BPI, sur sa gouvernance ou sur la définition de ses missions, il n’y en a pas, aujourd’hui, la moindre trace.

Il reste encore trop de curseurs à bouger et beaucoup d’incertitudes et d’interrogations sur l’articulation entre la holding centrale et ses filiales en région, sur la gouvernance locale ou encore sur le champ d’intervention de la BPI et ses moyens. Quelles garanties apportez-vous au succès d’une fusion de trois établissements existants qui ont chacun leur spécificité et qui ont chacun fait leurs preuves : Oséo pour l’activité de prêt, la Caisse des dépôts et consignations entreprises pour l’activité de financement en fonds propres et la partie PME du FSI.

Dans un second temps, vous envisagez d’intégrer à la BPI, Ubifrance et la Coface, deux structures qui aident les entreprises à l’international, mais comment réussirez-vous l’impossible fusion d’un établissement public généraliste avec celle d’un établissement privé par nature plus tourné vers des considérations de rentabilité ?

En dépit de la navette et de la CMP, les compétences attribuées à l’ensemble de la structure et à ces différents organismes font toujours débat et restent encore floues.

Sur le terrain, les différents organismes – Oséo, Ubifrance ou le FSI Régions – continueront-ils à fonctionner indépendamment ? Une entreprise pourra-t-elle véritablement s’adresser à un seul acteur, qu’il s’agisse de ses problèmes de fonds propres, de crédit ou d’export ? Pour reprendre une expression d’un collègue sénateur, ce véritable couteau suisse que vous nous proposez, sera-t-il assez réactif et souple pour répondre aux besoins des entreprises ? Sera-t-il à la hauteur des exigences attendues ?

M. Jean-Marc Germain. C’est un peu incohérent !

M. Yves Censi. Ce sont autant de questions qui, hélas, chers collègues, restent encore et toujours, sans réponse.

Je dirai également un mot d’une politique qui confine à la schizophrénie tant vous mettez d’ardeur à transfuser, comme cela a été dit avant moi, d’une main bien maladroite des entreprises que vous saignez fiscalement de l’autre. Vous voulez résoudre le problème du financement des entreprises par le rapprochement des acteurs institutionnels, alors que la fiscalité que vous venez de mettre en place anéantit totalement les capacités d’investissement de ces mêmes entreprises. Ce qui constitue un frein au développement des entreprises et à l’exportation réside, bien sûr, moins dans la configuration d’une structure dédiée que dans le matraquage fiscal auquel vous vous livrez à l’encontre des entreprises. Le taux de marge des entreprises françaises est de 28 %, soit dix points de moins que la moyenne européenne, avec pour conséquence un déficit commercial abyssal. Nos PME ont besoin de grossir, d’innover et d’exporter davantage. Asphyxiées par un déluge d’impôts et surtout de taxes sur le travail, elles peinent, de plus, à trouver des financements sur le marché ou auprès des grandes banques. Les crédits des PME sont passés de 214 milliards d’euros en 2006 à 267 milliards l’an dernier, selon les dernières données de la Banque de France, alors que le capital-investissement est intervenu à hauteur de 9 milliards. Le nombre d’ETI, en France, est deux fois moins élevé qu’en Allemagne et leur développement se heurte, à un moment donné, à un plafond de verre, faute d’avoir accès à une ressource financière dopant leurs fonds propres. Nous sommes tous d’accord sur ce diagnostic.

Alors, oui, financer les entreprises à fort potentiel de croissance au moment même où le crédit bancaire va se raréfier et se renchérir, du fait des nouvelles normes de régulation de Bâle III limitant les risques pris par les banquiers, est, nous ne le contestons pas, une bonne idée. Mais c’est, malheureusement, une idée insuffisante. La Banque publique d’investissement aura une force de frappe de 42 milliards déclinés en prêts, investissements et garanties, alors que le marché du crédit aux PME et aux TPE atteint 200 milliards d’euros par an, et que, par comparaison, l’Allemagne dispose d’une banque dédiée au financement des entreprises dont le bilan dépasse les 300 milliards d’euros.

Alors que nos PME et nos ETI françaises se débattent au milieu d’une conjoncture économique inédite, vous ne parvenez pas à vous mettre d’accord sur qui doit faire quoi, comment et où, en reléguant au second plan les véritables missions de la BPI. C’est bien là que se situe le problème, monsieur le ministre. Trouvez-vous normal qu’en plein examen de ce texte à l’Assemblée nationale, le futur directeur général de la BPI annonce subitement une organisation différente de celle alors étudiée par les députés ? Peut-être vous exprimerez-vous sur ce point. Au-delà de l’outil lui-même et de son efficacité, votre majorité n’a pas réussi à dissiper le flou dont nous avons parlé en première lecture, flou entretenu par le Gouvernement sur le contenu de votre politique de soutien à l’industrie.

Certes, M. Jouyet a déclaré que la BPI devait avoir pour mission de soutenir des projets d’avenir et non les « canards boiteux ». Or, monsieur le ministre, vous ne donnez aucune garantie sur les moyens financiers mobilisés et sur la qualité des décisions qui seront prises pour soutenir les entreprises d’avenir et la croissance. Les Régions sauront-elles se doter de moyens humains renforcés, afin d’analyser finement les besoins et les risques ? Nous ne le savons pas. Il est indispensable que les futurs décisionnaires disposent d’un profil, d’une culture et d’une expérience réellement plus entrepreneuriale que strictement financière pour comprendre la réalité du terrain et apprécier la prise de risque, sans laquelle il n’y a pas d’innovation, donc de croissance, donc, hélas, d’emploi. Puisque la BPI est présentée comme un instrument de réindustrialisation de la France, elle doit entraîner une logique industrielle assise sur le soutien à des filières bien définies, pourvoyeuses d’innovation et d’emplois, au risque, sinon, de se perdre dans des opérations financières et brouillonnes. Vous savez parfaitement que c’est là que le bât blesse !

Ce guichet unique de financement sera censé protéger les sociétés implantées dans les régions délaissées par les investisseurs et attirer de nombreux financements privés, créant ainsi un effet de levier.

C’est une idée qui prend racine dans des politiques conduites de longue date par les précédents gouvernements. C’est une idée dont l’intérêt est indéniable au regard des besoins de financement de nos PME et de l’empilement des structures, mais, telle qu’elle est conçue, il y a malheureusement fort à parier que la BPI soit plus un facteur de division qu’un outil de rassemblement et que la nécessaire coordination entre ses différents acteurs n’évite pas les pièges d’une impossible fusion. Je crois que nous pouvons tous partager ces critiques et ces doutes.

Oui, la BPI était une bonne idée. Malheureusement, votre gouvernement n’a pas su l’exploiter et votre majorité l’a carrément dévoyée. Toutefois, pour ma part, je m’abstiendrai. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Vous ne votez pas comme le Rassemblement-UMP !

M. Jean-Jacques Bridey. C’est pour cela que vous avez fait deux groupes !

M. Yves Censi. Nous reprendrons rendez-vous, mes chers collègues. J’espère que vous vous souviendrez de ces avertissements et qu’il sera temps de réparer les erreurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe GDR.

M. Gaby Charroux. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la discussion d’un projet de loi qui fait très largement consensus sur l’objectif poursuivi, la mise en œuvre d’un nouvel outil public de financement des entreprises.

Nous voterons sans hésitation en faveur de ce projet de loi, car la création de la Banque publique d’investissement peut être l’un des instruments du redressement productif et du sauvetage de notre industrie.

Nous sommes sans doute encore loin de la mise en réseau des établissements financiers publics et semi-publics, avec une déclinaison territoriale, que nous appelons de nos vœux, mise en réseau qui nous donnerait les moyens de maîtriser le crédit bancaire et de le réorienter pour imposer le respect de critères sociaux et environnementaux tels que le développement et la sécurisation de l’emploi, le développement de la formation et de la recherche, le financement de la transition écologique.

M. Philippe Le Ray. Cela fait beaucoup !

M. Gaby Charroux. Certes, mais il faut avoir un peu d’ambition !

Nous ne pouvons que constater qu’en l’état, BPI France n’est pas à la hauteur des enjeux en matière de financement et de développement des filières industrielles.

Interrogé par Les Échos, lundi dernier, sur la question de savoir de quels moyens la banque disposera véritablement en plus des 20 milliards d’actifs qui lui sont apportés et des quelque 20 milliards d’euros d’encours de prêts d’Oséo, Nicolas Dufourcq explique simplement que les ressources de BPI France « seront les dividendes issus de ses fonds propres, le produit des cessions d’actifs qui pourront être réalisées, les 3,6 milliards d’euros de fonds propres que l’État et la Caisse des dépôts se sont engagés à libérer, et enfin naturellement ses profits. » Il ajoute : « Concrètement, en 2013, la création de la BPI se traduira par une enveloppe d’un milliard d’euros supplémentaires à la disposition des entreprises : 500 millions pour les prêts et 500 millions pour les investissements en fonds propres. »

Cela représente certes une progression sur un an de 10 % des investissements et de 15 % des crédits, ce qui est loin d’être négligeable, mais cela paraît néanmoins peu au regard des besoins et des montants mobilisés par l’homologue allemande de la BPI, qui en a inspiré la création, la fameuse KFW. Cet acteur majeur en Allemagne dispose d’une force de frappe proche de 500 milliards d’euros.

Ce qui fait aujourd’hui la force de l’établissement allemand et lui permet d’assurer des missions qui vont de la trésorerie des PME à la coopération internationale, d’être largement bénéficiaire et de présenter un bilan plus que flatteur, c’est son recours à la création monétaire.

C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons défendu tout au long de ce débat l’idée selon laquelle la BPI devrait jouir, selon nous, du statut d’établissement public de crédit et disposer ainsi de la possibilité de se refinancer auprès de la BCE. Cela lui permettrait de contourner l’écueil d’un recours systématique aux marchés financiers, avec le risque que ses opérations soient conditionnées par la rentabilité financière.

Nous sommes convaincus que le recours à la création monétaire permettrait également à la BPI de jouer pleinement le rôle contracyclique déjà dévolu aux acteurs existants du financement public appelés à être réunis sous l’enseigne BPI. C’est toujours afin qu’elle puisse exercer ce rôle contracyclique que nous avons proposé que la BPI puisse réaliser des prêts aux entreprises sur fonds d’épargne, à l’image de ceux dont bénéficient le logement social ou la rénovation urbaine.

Depuis la modification des règles de centralisation de l’épargne réglementée, les banques commerciales sont autorisées à détenir 35 % des dépôts collectés au titre du livret A et du livret de développement durable, soit près de 120 milliards d’euros. Or les banques n’ont fourni à ce jour aucun élément permettant de conclure au respect de leurs obligations en matière de financement des petites et moyennes entreprises.

L’un des grands enjeux du débat que nous aurons dans quelques semaines sur la séparation des activités bancaires tient précisément à la question de savoir si les banques sont suffisamment centrées sur leur cœur de métier, qui consiste à accorder des crédits aux PME et aux particuliers.

Depuis la crise, les départements crédit des banques destinés aux PME et aux particuliers ne se financent que grâce aux dépôts. Le fantasme qui a hypnotisé tant de personnes depuis les années 1980, selon lequel la titrisation permettrait de financer toute l’économie par les marchés, a, semble-t-il, vécu. Une grande partie des problèmes que nous rencontrons depuis 2007 tient à l’effondrement du marché de la titrisation et au refus des banques de renoncer aux profits juteux qu’elles en tiraient et à ceux qu’elles continuent de tirer de leurs activités spéculatives.

M. Philippe Le Ray. Vous exagérez !

M. Gaby Charroux. Les banques prêtent peu, même aux grands groupes : 7 % des opérations de marchés en zone euro ont une contrepartie réelle. Tout le reste, 93 %, représente des activités de trading entre banques et fonds spéculatifs.

Le débat qui s’achève et celui sur la réforme bancaire sont étroitement liés. C’est le contexte que je viens de décrire qui rend en effet nécessaire la création d’un instrument tel que la Banque publique d’investissement.

Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que, pour utile qu’il soit, cet instrument ne permettra de répondre que partiellement aux attentes de crédit à l’économie, qui se chiffrent en centaines de milliards d’euros. La pire chose qui pourrait advenir à cette nouvelle institution serait de n’être au final qu’une couche supplémentaire du millefeuille des aides existantes.

La crise et la contraction de l’accès au crédit bancaire ont, nous le savons, poussé les Régions ces dernières années à voler au secours des PME, et c’est tant mieux. Qui pourrait leur en faire grief ? Il reste que, selon l’Association des Régions de France, il existe à ce jour plus de 300 dispositifs régionaux de financement, qui couvrent le spectre des prêts, des garanties et des apports en fonds propres et qui, pour un grand nombre d’entre eux, mériteraient d’être correctement évalués.

Si nous formulons cette remarque, c’est que nous nous interrogeons sur la pertinence du renforcement du rôle des Régions dans la gouvernance de la BPI. Nous souhaitons pour notre part, ainsi que nous l’indiquions en première lecture, que la BPI reste un établissement national et non une juxtaposition d’établissements régionaux. C’est la force de l’État qui doit prévaloir en la matière, et, même s’ils ne sont pas nécessairement contradictoires, priorité doit être accordée à l’intérêt général et national sur les intérêts locaux.

Puisque nous évoquons la question de la gouvernance, nous exprimons également le regret que la composition du conseil d’administration de ce nouveau groupe, dont l’État et la Caisse des dépôts et consignations seront actionnaires à parité, comporte au final deux fois moins de représentants des salariés que le conseil d’administration d’Oséo, auquel il succède.

Pour conclure, la BPI ne sera certes pas la panacée pour répondre aux besoins de financement de nos PME et TPE. Elle est en revanche l’amorce de la reconstitution d’un secteur public financier, dont le développement est indispensable si nous souhaitons desserrer l’étau de la finance.

Aussi, parce que la BPI peut être l’instrument d’une nouvelle ambition pour le redressement productif que les députés du Front de gauche soutiennent et voteront le présent projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc parvenus au terme du processus législatif qui permettra de voir bientôt la concrétisation d’un engagement fort du Président de la République et de notre majorité. Quelle que soit notre sensibilité politique au sein de cette majorité, nous nous retrouvons d’ailleurs sur de l’idée de disposer d’un outil de financement regroupant les outils existants et développant d’autres voies pour soutenir l’économie française.

Comme l’a déjà fait Éric Alauzet, au nom du groupe écologiste, lors d’une précédente lecture de ce texte, je veux tout d’abord remercier Guillaume Bachelay, le rapporteur, ainsi que le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, pour l’esprit dans lequel notre Assemblée a été saisie du texte, a pu y réfléchir et l’améliorer, et je sais qu’il en a été de même au Sénat. Au-delà des sensibilités politiques, nous avons trop souvent, et à juste raison, l’occasion de nous plaindre des conditions dans lesquelles nous avons à examiner certains textes ou de regretter un manque de dialogue entre les différentes composantes de la majorité pour ne pas saluer les conditions d’élaboration très positives de ce projet créant la Banque publique d’investissement. Je crois, monsieur le ministre délégué, que vous êtes dans le même état d’esprit pour les textes que vous êtes en train de préparer. C’est une très bonne chose.

Qu’il s’agisse du ciblage de l’intervention de la Banque publique d’investissement sur les entreprises en mutation, de la gouvernance du nouvel établissement, du soutien spécifique aux PME-PMI, ou encore de la prise en compte des entreprises situées en zone rurale, de la commission à la séance, en passant par l’examen au Sénat, les conditions d’élaboration de ce texte ont été exemplaires. J’espère que cet exemple inspirera nos travaux législatifs futurs et le fonctionnement de notre majorité.

Venons-en au fond de ce texte, très important.

La Banque publique d’investissement est un outil indispensable dont notre pays se dote pour accompagner les entreprises dans leur développement. Le financement est souvent une question majeure. Lors d’un colloque auquel je participais à l’instant, le président de la confédération générale des PME insistait encore sur l’importance du financement des entreprises et de l’économie. C’est aussi un élément central pour la mise en œuvre d’une véritable stratégie économique et industrielle.

L’outil de financement était attendu par les entreprises. Parce que les banques classiques ont parfois failli, parce qu’elles sont aujourd’hui légitimement contraintes par des règles prudentielles renforcées, les fameuses règles de Bâle III, mais aussi et surtout parce qu’elles continuent de considérer que les activités de spéculation rapides sont plus attractives que le lent et patient travail de financement de l’économie réelle, il fallait agir, il fallait réagir.

Avec une capacité d’investissement de 40 à 70 milliards d’euros, nous pouvons raisonnablement dégager une partie des moyens qui manquent aujourd’hui à nos entreprises, avec un effet de levier qui pourrait nous faire aller bien au-delà.

Dans le débat que nous avons eu, et que nous n’avons pas fini d’avoir, sur la compétitivité des entreprises, nous tenons là un facteur essentiel, car l’adaptation indispensable de notre outil productif à la concurrence n’est pas simplement une question de coûts de production, et notamment de coûts salariaux. Cela demande des investissements, qui se font par autofinancement, certes, et le taux de marge des entreprises est un élément important, mais également par le recours au crédit. Ce recours au crédit étant en grande partie défaillant, la Banque publique d’investissement peut être en mesure de répondre au problème, à plusieurs conditions, que le texte qui nous est soumis rend justement possibles.

D’abord, l’audace doit être au rendez-vous. Il y a quelque contradiction à constater que, au-delà des discours sur les risques individuels et la nécessité de ne pas s’accrocher à des situations acquises, discours classiques des libéraux, les banques, qui sont souvent les porte-parole les plus virulents du libéralisme économique, sont sans doute les organismes les moins disposés à accompagner le risque et à encourager l’audace entrepreneuriale.

Répondre aux défaillances du système bancaire classique, prendre des « risques stratégiques » en faveur de projets d’avenir et non pas seulement à la lecture de ratios comptables et financiers synonymes d’un retour sur investissement garanti, voilà la première mission de la Banque publique d’investissement.

Les entrepreneurs que nous rencontrons dans nos circonscriptions, qui ont des projets de développement, qui veulent se réorienter sur de nouvelles activités ou de nouveaux modes de production, et qui se heurtent au refus parfois difficilement compréhensible de leurs banques, savent de quoi nous parlons. Ce que nous disent ces acteurs économiques, ce n’est pas seulement que le crédit est rare, c’est aussi qu’ils n’en peuvent plus d’être ballottés d’organismes privés en organismes publics, et que leur métier c’est de diriger leur entreprise, pas d’être des chasseurs de capitaux. Ils demandent des dispositifs clairs, des structures accessibles, et non une complexification du millefeuille dans lequel ils tentent de trouver le bon interlocuteur.

En ce sens, la BPI doit constituer un guichet unique, au plus près de la réalité des territoires. Les Régions, mieux que quiconque, connaissent les enjeux du tissu économique local. Leur association, ainsi que celle des organismes consulaires, est une condition de la réussite de la BPI.

La BPI doit être un outil bancaire audacieux, et dans ses choix d’accompagnement de projets économiques et dans ses logiques de fonctionnement. À la force des financements doit correspondre une réactivité sans faille, parce que les besoins de financement de nos entreprises, qu’elles soient confrontées à des contraintes subites ou à des opportunités à saisir, ne peuvent pas être soumis à des délais d’instruction des dossiers trop longs.

Des fonds disponibles et rapidement mobilisables, une souplesse dans le mode de fonctionnement, une proximité du terrain : la Banque publique d’investissement doit aussi se doter d’un cap. En ce sens, nous ne pouvons que nous féliciter que l’accompagnement des entreprises dans la transition écologique et énergétique soit, pleinement et explicitement, un objectif de la Banque publique d’investissement. Cela fait d’ailleurs écho à la déclaration du Président de la République à la Conférence environnementale.

J’entendais hier, dans un débat budgétaire, notre collègue de l’opposition Charles de Courson s’offusquer de la volonté des écologistes de faire figurer systématiquement la notion de transition écologique et énergétique dans les dispositifs que notre majorité met en œuvre pour soutenir le développement des entreprises. Il s’agirait, nous disait-il, d’une « novlangue », et il s’interrogeait : « Allons-nous devoir supporter en permanence cette mention de la transition écologique ? » Eh bien, j’ai envie de lui répondre – il n’est pas là mais cela pourra lui être rapporté : la réponse est oui. Et ce non pas parce que les écologistes auraient succombé à la tentation de transformer les textes législatifs en une sorte de litanie et de psalmodier je ne sais quelles formules magiques de la religion verte que l’on aime dénoncer dans l’opposition, mais parce que nous souhaitons que toutes les interventions publiques, tous les choix de développement économique soient examinés au regard de la crise environnementale,…

M. Jean-Marc Germain. Et sociale !

M. François de Rugy. …parce que nous voulons que les financements soient orientés afin d’accompagner les entreprises dans une transition qu’elles peuvent choisir, pour en faire des opportunités, plutôt que de devoir les subir comme des contraintes, souvent trop brutalement et souvent trop tard.

Notre collègue Jean-Marc Germain vient de réagir, quand j’ai parlé de la crise environnementale, en ajoutant : « et sociale ». Les deux sont intimement liées et ne peuvent être dissociées. C’est bien pourquoi nous les rappelons conjointement dans les objectifs de la BPI.

La crise environnementale est là. Elle nourrit la crise économique. Cette banque publique que nous créons aujourd’hui, ce n’est pas une banque de plus. Ce n’est pas simplement une banque qui permettra juste à notre économie et à nos entreprises de traverser une mauvaise passe pour recommencer ensuite comme avant, car rien ne sert de chercher « la croissance d’avant », alors que les conditions mêmes de la croissance ont changé.

Cette banque publique permettra à notre économie et à nos entreprises de s’adapter aux nouvelles donnes technologiques et de répondre au défi de la compétitivité, en repensant leurs procès de production, leurs produits, leurs modes d’organisation ; mais aussi, mais surtout, de mettre leurs modes de production et de consommation en phase avec les impératifs écologiques.

Cet impératif n’est pas une option : il s’appliquera, il s’applique déjà à tous les acteurs économiques, parce que notre pays, parce que l’Europe ont pris des engagements sur les émissions de CO2 qui passent par des transitions et des transformations industrielles. Nous en sommes aujourd’hui à plus de cinquante gigatonnes par an alors que l’objectif fixé par le dernier rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement est de quarante-quatre gigatonnes en 2020.

Que pour la première fois un outil financier soit mobilisable pour passer ces caps et réorienter l’activité industrielle, nous ne pouvons que nous en féliciter.

J’entendais tout à l’heure notre collègue Michel Zumkeller dire : « Vous créez un couteau suisse à 42 milliards qui devrait tout à la fois réindustrialiser la France, assurer la transition énergétique et développer des activités plus respectueuses de l’environnement. » Cela sonnait dans sa bouche comme une critique. Eh bien, pour les députés écologistes que nous sommes, je pense en particulier à Éric Alauzet et Eva Sas qui ont contribué directement à l’amélioration de ce texte lors des précédentes lectures, ce que reproche M. Zumkeller à la BPI en fait précisément la force. Parce que ce qu’il a cité là, ce ne sont pas trois objectifs indépendants les uns des autres, mais bien un seul et même défi, un défi que la BPI permettra d’aborder avec efficacité, espérons-le. C’est notre ardente volonté.

C’est pourquoi les députés écologistes soutiennent ce texte, son contenu, son mode d’élaboration et ses objectifs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que le vote est acquis à l’unanimité des votants. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Lecture définitive du projet de loi de finances rectificative pour 2012 ;

Proposition de loi relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d’agglomération.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinq.)