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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 4 juillet 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Christophe Sirugue

1. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur – Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi organique et d'un projet de loi
(discussion générale commune)

Discussion générale commune (Suite)

M. Philippe Baumel

Mme Marietta Karamanli

M. Alain Calmette

Mme Chaynesse Khirouni

M. Bruno Le Maire

M. Jean-Luc Laurent

Mme Julie Sommaruga

M. Guillaume Bachelay

Mme Colette Capdevielle

M. David Habib

M. Jacques Valax

M. Philippe Goujon

M. Philippe Noguès

M. Jean-Michel Villaumé

M. Bernard Gérard

M. Patrice Verchère

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Discussion des articles (projet de loi organique)

Article 1er

M. Jean-Frédéric Poisson

Mme Annie Genevard

M. Nicolas Dhuicq

Mme Geneviève Gosselin-Fleury

Mme Nathalie Chabanne

Mme Monique Orphé

Mme Valérie Corre

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

M. Philippe Bies

M. Alexis Bachelay

Mme Marie-Anne Chapdelaine

M. Gilles Lurton

M. Jacques Myard

M. Daniel Fasquelle

M. Yves Nicolin

M. Jean-Michel Clément

M. Claude Goasguen

M. Francis Vercamer

M. Christian Hutin

M. Guy Geoffroy

M. François Loncle

M. Benoist Apparu

M. Christian Jacob

M. Thomas Thévenoud

M. Patrick Hetzel

M. Jean-Luc Reitzer

M. Sébastien Denaja

M. Yves Foulon

M. Jean-Christophe Lagarde

Rappel au règlement

M. Jean-Frédéric Poisson

Article 1er (suite)

Amendements nos 22, 23, 64

Rappel au règlement

M. Bruno Le Roux

Article 1er (suite)

Amendements nos 104, 143, 150, 177, 186, 209, 234

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

2. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Christophe Sirugue
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur – Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant
au Parlement européen

Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi organique
et d’un projet de loi
(discussion générale commune)

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (nos 885, 1173) et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (nos 886, 1174).

Discussion générale commune (Suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale commune.

La parole est à M. Philippe Baumel.

M. Philippe Baumel. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, mesdames et messieurs les députés, nous y sommes enfin !

Il aura fallu attendre treize ans et les dernières lois Jospin de 2000 pour que le non-cumul des mandats soit enfin approfondi et strictement encadré. Treize ans pour qu’enfin les parlementaires ne puissent plus cumuler un mandat national avec un exécutif local. Treize ans pour que le cumul des mandats, véritable fléau de la démocratie française, comme le disait Robert Badinter, soit en passe d’être éradiqué, au moins partiellement.

Durant dix ans, sur ce plan, rien ne s’est passé ou presque. La gauche rassemblée doit, aujourd’hui comme souvent, remettre l’ouvrage sur le chantier. Il lui appartient de respecter sa promesse de rénovation et de bâtir les fondements d’une République nouvelle et exemplaire dont l’un des piliers est incontestablement le non-cumul des mandats.

Ce choix est d’autant plus urgent qu’il figure parmi les promesses phares des élections de 2012, comme nous l’avons tous rappelé. C’est notre engagement autant que celui du Président de la République.

En vérité, le cumul des mandats, exception en Europe, jette lourdement le discrédit sur les hommes et les femmes politiques. Il facilite une forme d’antiparlementarisme que nous voyons se développer depuis quelque temps. Mes chers collègues, vous savez comme moi ce que pensent certains citoyens et ce que nous entendons trop souvent. Selon eux, le mandat de parlementaire ne servirait qu’à une chose : conforter l’ancrage local et asseoir une carrière politique pour durer, et cela non pas dans l’intérêt général mais pour soi-même.

Peu à peu, à la faveur d’un présidentialisme renforcé depuis dix ans, le travail parlementaire s’est affaibli : la fabrication de la loi est trop souvent déléguée au Gouvernement, le contrôle de l’exécutif au pouvoir judiciaire et à la presse.

La loi organique que nous défendons aujourd’hui porte en elle les conditions d’une revalorisation réelle du Parlement avec des élus présents et utilisant tous les leviers de la Constitution pour proposer, évaluer et contrôler l’action de l’exécutif.

Oui, une République exemplaire est en germe. Pourquoi ? Parce que cette loi porte en elle l’esprit de Montesquieu et la séparation effective des pouvoirs. Parce que cette loi porte en elle la reconnaissance de la République décentralisée et l’importance grandissante du pouvoir et de la place des collectivités pour lesquelles il faut aussi avoir des élus disponibles.

Qui peut prétendre sereinement, compte tenu de l’approfondissement de la décentralisation, qu’une responsabilité exécutive locale se gère à temps partiel ou à quart temps ? Les élus, nous l’avons dit hier soir avec amusement parfois, ne sont pas des surhommes. Cumuler c’est déléguer à des services administratifs ou à des cabinets la responsabilité confiée par le peuple.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Philippe Baumel. Cumuler, c’est concentrer des pouvoirs là où ils pourraient être partagés avec d’autres.

Nous allons inscrire dans la loi le non-cumul et nous allons peut-être aller au-delà. Le projet de loi organique que nous examinons est un texte renforcé, une véritable coproduction législative. C’est un texte que les députés, au sein de la commission des lois, ont décidé souverainement et sereinement d’amender et de compléter.

Je pense bien sûr au renforcement des incompatibilités entre un mandat parlementaire et des fonctions locales comme les présidences de conseil d’administration d’un établissement public ou d’une société d’économie mixte. C’était une clarification utile ; nous l’avons faite ensemble.

Mais je pense surtout – cela ne vous surprendra pas tous – au non-cumul des mandats dans le temps prévu à l’article 1 bis, audace démocratique et rénovatrice que nous avons été nombreux à défendre avec conviction et à soutenir en commission des lois parce qu’elle s’inscrit naturellement dans la logique du texte présenté par le Gouvernement.

En défendant cette idée de non-cumul dans le temps, nous ne voulons pas heurter mais aller, en toute logique, au bout de la réforme. Nous savons tous qu’en la matière, la France est une exception – malheureuse, en l’occurrence – et c’est encore plus vrai s’agissant du cumul des mandats dans le temps. Depuis le milieu des années 1970, entre 20 % et 30 % des députés cumulent régulièrement au moins quatre mandats consécutifs, soit près de vingt ans de mandats.

On nous dit que le non-cumul dans le temps serait une sanction pour les parlementaires et qu’il faut laisser les citoyens choisir. J’y vois, pour ma part, la fin d’une anomalie, une avancée démocratique majeure, le symbole d’une République revivifiée.

On nous dit que quinze ans, ce n’est pas suffisant pour construire une carrière à l’Assemblée nationale. Nous serions bien vaniteux si nous pensions détenir à nous seuls le monopole du talent et des compétences. Partout des jeunes, des femmes, de toute origine et de toute condition, sont prêts à prendre la suite.

D’autres nous disent encore que le non-cumul des mandats dans le temps ne serait pas constitutionnel. Pourtant en 2006, je tiens à le rappeler, un ancien garde des sceaux et ancien président du Conseil constitutionnel, sénateur à l’époque, déposait une proposition de loi organique similaire. Ce n’est pas un gage absolu de constitutionnalité, mais ce n’est pas si mal quand même.

À l’époque, ces sénateurs étaient encore plus allants et plus stricts puisqu’ils étaient allés jusqu’à proposer que ce soit sa vie durant qu’un parlementaire ne puisse cumuler plus de trois mandats consécutifs. Gageons que le Sénat, dans sa grande sagesse, sera encore plus allant dans les semaines qui viennent. (Sourires.)

Mes chers collègues, ne reportons pas une nouvelle fois cette réforme à un hypothétique avenir. Ayons le courage de cette audace, ayons le courage d’aller jusqu’au bout de la rénovation politique, adoptons ce texte et il fera date. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les projets de loi dont nous débattons ont pour objectif de limiter le cumul des mandats des parlementaires français.

Mon propos sera bref. Je souhaite m’arrêter sur les éléments essentiels du dispositif en le replaçant dans son contexte historique et politique et en voyant comment il devra être, à un moment ou à un autre, élargi ou complété.

Ce dispositif intervient donc à un moment donné. L’article 1er de la loi pose le principe d’une interdiction de cumuler les mandats de député et de sénateur avec des fonctions exécutives locales, en visant les trois grands types de collectivités territoriales que sont les communes, les départements et les régions. Il étend cette interdiction aux catégories particulières de collectivités de notre République. Il fallait une loi pour que les choses soient égales pour tous.

Le projet modifié permet aussi d’éviter des tours de passe-passe où un élu local aurait pu démissionner d’une fonction et conserver des responsabilités équivalentes avec une indemnité.

Par ailleurs le projet évite un double écueil : juridique, car il s’en tient à la règle du mandat échu, au nom du principe de non rétroactivité et de non remise en cause du mandat acquis ; politique, car il assure la stabilité de l’Assemblée nationale et donne de la visibilité aux élus et surtout aux électeurs.

Au-delà de cette réponse à un engagement qui correspond à un état de l’opinion, je crois utile de revenir sur les raisons historiques qui peuvent expliquer le cumul, et ce, au-delà de tout procès fait aux députés ou élus locaux.

De nombreuses études ont montré que le cumul des mandats a été la voie de l’intégration verticale du système politique français. Pour défendre et imposer définitivement les collectivités locales, leurs territoires et leurs besoins, leurs élus ont dû entretenir des relations étroites, voire se confondre en partie avec la structure des décideurs nationaux, qu’ils soient des politiques ou appartiennent aux décideurs administratifs et économiques. Je constate qu’aujourd’hui encore le bon niveau d’exercice des compétences par des collectivités, dont les assemblées et les exécutifs sont élus, et la question de leurs justes ressources nécessaires sont en discussion.

Ce cumul, qui a été hier perçu comme normal, est critiqué aujourd’hui pour ses effets négatifs. Au plan local, c’est la nature des responsabilités qui est en cause. Dans notre pays, les exécutifs locaux des collectivités d’une certaine importance sont aussi généralement les chefs de la majorité. La concentration et la personnalisation qui en résultent ne permettent pas forcément une disponibilité adaptée aux changements de fond de notre époque : citoyens mieux éduqués, administrés mieux informés, et nécessité, compte tenu de la complexité des questions et des solutions, d’une meilleure délibération collective.

Au plan national, l’État français reste largement centralisé où l’exécutif pèse plus que dans la plupart des autres démocraties parlementaires. Cette centralisation se double donc d’une concentration du pouvoir résultant d’un cumul de l’élection présidentielle au suffrage universel avec un fait majoritaire et des prérogatives fortes sur le Parlement.

Si la loi décide du non-cumul, celui-ci ne sera bien vécu et surtout fera l’objet d’une appropriation par tous et dans la durée qu’à deux conditions : qu’au plan national les parlementaires aient le sentiment de pouvoir réellement co-décider ; qu’au plan local la décentralisation et surtout l’autonomie des collectivités locales soient stables et garanties.

Au-delà de ce qui explique le passé, je voulais aussi vous faire part en quelques mots des enjeux à venir. Ces projets de loi viennent après un texte sur la transparence de la vie politique. L’enjeu dans notre pays, où existe une forte dispersion des collectivités et qui compte un très grand nombre d’élus, est que l’interdiction du cumul soit étendue de façon pertinente aux fonctions exécutives des communes, départements, régions, intercommunalités et diverses structures de coopération. Je me fais ici l’écho des propos tenus par M. Lagarde hier soir et d’une idée qui est partagée par d’autres sur ces bancs.

Il conviendra aussi, à un moment ou à un autre, que la publicité des indemnités représentatives de frais de mandat de tous les élus soit possible et qu’au-delà d’un certain montant elles soient certifiées.

Le non-cumul des mandats dont nous discutons est probablement un élément de l’efficacité du travail des élus, mais à lui seul il ne peut la présumer et encore moins la résumer. Nous espérons que le débat sur les articles et amendements conduise à une acceptation par tous de ce non-cumul des mandats nécessaire à notre République. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Calmette.

M. Alain Calmette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela faisait longtemps, très longtemps que certains d’entre nous et beaucoup de nos concitoyens attendaient ce moment, celui de la limitation du cumul des mandats.

J’en suis pour ma part un fervent défenseur, ayant été l’un des très rares députés-maires – notre assemblée en compte 238 – à avoir démissionné de leur fonction de maire après avoir été élu député, il y a un peu plus d’un an.

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Absolument !

M. Alain Calmette. Maire d’Aurillac, ville de 30 000 habitants, j’ai en effet décidé de passer la main, non sans un gros pincement au cœur, parce que j’ai estimé qu’il était impossible de mener de front deux mandats aussi lourds. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Daniel Fasquelle. Laissez leur liberté aux autres ! Pourquoi voulez-vous leur imposer ce choix ?

M. Alain Calmette. À première vue, ce texte ne constitue qu’un petit pas vers la limitation du cumul des mandats, par le périmètre concerné et par la date retenue.

Le périmètre ne concerne en effet que le cumul vertical – un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale – et il exclut le cumul horizontal, c’est-à-dire l’addition de mandats exécutifs locaux. J’appelle de mes vœux un deuxième texte qui traiterait ce problème du cumul horizontal (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC)

M. Marc Dolez. C’est indispensable !

M. Alain Calmette. …tout en résolvant le problème du statut de l’élu, un vaste chantier. Nous ne pourrons pas nous contenter d’appliquer la limitation du cumul aux seuls parlementaires.

Quant à la date de 2017, elle peut paraître lointaine et renforcer cette impression que nous avançons à petit pas. Le risque constitutionnel objecté à celles et ceux, dont je suis, qui auraient préféré une application dès les municipales de 2014, est réel. Par rapport au très long cheminement de cette idée de limitation du cumul des mandats, la sécurité juridique du texte vaut bien les trois années supplémentaires laissées à ceux qui veulent rester en situation de cumul.

Et puis, une application en 2017, on l’a dit, aura des effets dès 2014 car aucun député ou sénateur qui est en même temps fois maire ou président d’EPCI, de conseil général ou de conseil régional ne pourra affronter les élections sans se positionner clairement devant les électeurs dès 2014 ou 2015.

C’est un petit pas, mais je le crois en fait immense en raison de ses conséquences et du processus irréversible qu’il va ouvrir.

L’interdiction pour un parlementaire de cumuler son mandat avec un mandat exécutif va notamment libérer le temps parlementaire. Nouveau député, j’ai été frappé par l’extrême concentration de celui-ci, sur deux jours. Ce point est fondamental et mériterait à lui seul qu’on lui consacre l’intégralité d’une intervention.

Je veux terminer en inscrivant ce texte dans une perspective. Il y a quelques semaines, nous avons voté un autre texte, celui qui traitait du mode d’élection des conseillers départementaux, qui instaure la parité dans l’un des derniers bastions qui y résistait, à savoir les conseils généraux. Si on ajoute le taux de renouvellement habituel et la parité désormais obligatoire, on peut s’attendre à 50 % de nouveaux conseillers départementaux en 2015. Avec ce texte, s’il est adopté, 338 députés et 211 sénateurs devront choisir entre leur mandat parlementaire et leur fonction exécutive locale, libérant autant de fonctions pour d’autres, en particulier des jeunes et des femmes.

En 2015, 50 % de nouveaux conseillers départementaux et, en 2017, 60 % des députés et sénateurs qui libéreront des fonctions importantes : voilà les conséquences concrètes de ce que nous sommes en train de construire avec ces textes. Un formidable appel d’air pour de nouveaux talents, des responsabilités mieux partagées, des féodalités restreintes, des compétences clarifiées, un processus irréversible pour aller plus loin demain : voilà ce que ce petit pas, bien plus grand qu’il n’en a l’air, va permettre.

C’est une avancée considérable et prometteuse vers la limitation du cumul des mandats. Cela ne résoudra pas, bien sûr, la crise démocratique que nous vivons, cela ne remédiera pas non plus à la défiance de nos concitoyens envers leurs élus, mais cette avancée est un préalable indispensable. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Chaynesse Khirouni.

Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous allons mettre en œuvre un engagement important du Président de la République, qui touche au cœur même de nos pratiques politiques et qui va bouleverser notre manière d’appréhender l’exercice de nos mandats.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça, c’est sûr !

Mme Chaynesse Khirouni. Les projets de lois que nous examinons aujourd’hui vont contribuer réellement à la modernisation de la vie publique.

Depuis plus de vingt ans, l’interdiction du cumul des fonctions exécutives locales avec un mandat de député et de sénateur a été maintes fois débattue. Elle va enfin avoir sa traduction dans notre législation ! Oui, nous allons mettre fin à une véritable exception culturelle française en permettant le renouveau de la vie publique de notre pays.

M. Jean-Luc Reitzer. N’importe quoi !

Mme Chaynesse Khirouni. Je souhaite d’ailleurs rappeler ici les réformes et les avancées déjà engagées par les lois organiques de 1985 et de 2000 qui ont marqué les premières étapes décisives en matière de limitation du cumul des mandats. Force est de constater que c’est une nouvelle fois une majorité de gauche qui redonnera un nouvel élan à notre démocratie.

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Jean-Luc Reitzer. Bien sûr !

Mme Chaynesse Khirouni. Je sais que, comme pour la loi qui a instauré la parité pour le scrutin départemental ou la loi relative à la transparence de la vie publique, les groupes de l’opposition montreront, une fois encore, qu’ils sont hostiles à toute évolution de notre système démocratique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Toute évolution dans ce sens-là, c’est sûr !

Mme Chaynesse Khirouni. Je le leur dis cependant : tous les progrès, toutes les avancées en termes de parité ou de renouvellement des pratiques politiques ont toujours nécessité l’intervention du législateur.

Oui, la volonté des partis, de certains partis plus que d’autres d’ailleurs, ne suffit pas.

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme Chaynesse Khirouni. Une étude du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes confirme que les parlementaires hommes cumulent davantage dans l’espace, dans le temps et à des postes à plus fortes responsabilités que les parlementaires femmes.

En 2013, près de soixante-dix ans après l’instauration du droit de vote et d’éligibilité des femmes, les hommes représentent plus de 73 % des députés, 78 % des sénateurs, 86 % des maires, 92 % des présidents de conseils régionaux et 95 % des présidents de conseil général. De plus, comme le souligne Danielle Bousquet, la présidente du Haut Conseil, 100 % des parlementaires qui président un conseil général ou un conseil régional sont des hommes.

Au plan mondial, notre pays se situe au trente-quatrième rang, entre l’Afghanistan et la Tunisie, en ce qui concerne le nombre de femmes élues au Parlement.

M. Jean-Luc Reitzer. Ce n’est pas le sujet !

Mme Chaynesse Khirouni. Si, c’est le sujet, et c’est le problème !

Cette situation n’est plus tolérable alors que nous prônons des valeurs d’égalité à travers le monde. Comme le dit très justement Najat Vallaud-Belkacem, notre ministre des droits des femmes, nous devons sortir de l’illusion de l’égalité pour mettre en œuvre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Pour le Haut Conseil, cette réforme constitue donc une avancée majeure qui renforcera la place des femmes dans nos assemblées. C’est bien en agissant vigoureusement sur les freins d’accession aux fonctions électives que nous améliorerons la représentativité de notre Parlement.

Oui, mes chers collègues, l’interdiction du cumul n’est pas une fin en soi. Nous voulons cette réforme parce que nous souhaitons une meilleure représentation de la société française au Parlement avec plus de femmes, plus de diversité de parcours ou d’origines des élus de la nation.

M. Jean-Luc Reitzer. Ça n’a rien à voir !

Mme Chaynesse Khirouni. Et c’est parce que nous souhaitions faciliter l’accès de nouvelles personnalités aux mandats et fonctions électives que nous avons proposé, avec une trentaine de nos collègues, de limiter à trois le nombre de mandats successifs des parlementaires.

M. Jean-Luc Reitzer. De vrais ayatollahs ! Laissez le peuple décider !

M. Jean-Frédéric Poisson. N’ayez pas peur des électeurs !

Mme Chaynesse Khirouni. Je prends acte du fait que le Gouvernement n’a pas voulu aller plus loin sur cette question pour le moment. Pour ma part, je souhaite que notre majorité ne ferme pas définitivement la porte à ce débat.

À l’évidence, cette loi constitue une avancée majeure, mais, en matière de rénovation de la vie publique, notre action doit se poursuivre, notamment sur cette question du cumul dans le temps tant au niveau du Parlement qu’au niveau des assemblées locales. C’est notre responsabilité.

Pour répondre à la défiance qui s’accroît envers la représentation nationale, il nous faut entendre ce message. Nos concitoyens aspirent à un renouveau de notre vie démocratique. Ce qui a été une norme ne l’est plus. Nos concitoyens sont, à juste titre, plus exigeants.

Monsieur le ministre, aujourd’hui, la modernisation de nos institutions est une nécessité, qui implique que des mesures fortes soient prises pour renforcer notre démocratie parlementaire. Avec ces projets de loi, c’est sur cette voie que vous vous engagez. Vous nous trouverez à vos côtés pour bâtir cette République rénovée. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Maire.

M. Bruno Le Maire. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, j’ai envie de vous dire ce matin : « Mesdames et messieurs les républicains, encore un effort ! » Encore un effort parce que la situation de la démocratie française et les doutes que nos concitoyens expriment à notre égard, à l’égard des élus que nous sommes, requièrent des changements radicaux, et complets, et immédiats. Vous avez fait, monsieur le ministre, un autre choix, celui de changements limités, partiels, et reportés dans le temps, contrairement d’ailleurs à l’engagement qu’avait pris le Président de la République. Sans doute était-il plus sage, au regard des résultats des dernières élections législatives partielles, de reporter à 2017 ce que vous aviez promis d’appliquer en 2014.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. L’appliquer en 2014 n’était pas possible !

M. Bruno Le Maire. Alors, oui, ce que je vous propose, moi, ici, ce matin, c’est une vraie révolution démocratique, qui, elle, permettrait réellement de refonder notre démocratie et de renouer les liens entre les élus et les citoyens, une rénovation démocratique en profondeur, qui touche tous les aspects de notre démocratie, et pas simplement le seul cumul des mandats.

À propos de non-cumul, je vous propose d’appliquer la mesure dès 2014…

M. Jean-Luc Reitzer. Ben voyons !

M. Bruno Le Maire. …et de suivre les recommandations du Président de la République. Un engagement est un engagement, une promesse de campagne est une promesse de campagne. Le non-cumul doit s’appliquer dès 2014, je ne vois aucune raison juridique de le reporter à 2017.

Je vous propose de suivre l’avis de la commission qui est de limiter à trois le nombre de mandats successifs.

M. Jean-Luc Reitzer. Pourquoi pas deux ?

M. Bruno Le Maire. Nous savons bien ici que nous comptons peu de jeunes, à peine quelques dizaines d’élus de moins de quarante ans. Ils sont cent trente-six sur les bancs du Bundestag ! Ils sont plus de cent quarante sur les bancs de la Chambre des communes ! Ici, ils sont à peine quelques dizaines. Limitez à trois le nombre de mandats nationaux successifs, de député comme de sénateur, et vous verrez que, sur les bancs de cette assemblée, vous aurez des visages neufs, comme le demandent nos concitoyens.

M. Jean-Luc Reitzer. Et pourquoi pas à deux, tant qu’on y est ?

M. Bruno Le Maire. Je vous propose également de réduire à 400 le nombre de députés et à 200 le nombre de sénateurs. Nous sommes trop nombreux sur les bancs de cette Assemblée nationale – 577 députés ! – et nos moyens ne sont pas à la hauteur de ce que nos concitoyens peuvent espérer de députés responsables. Allez au Bundestag, allez à la Chambre des communes, allez dans n’importe quelle chambre de n’importe quelle démocratie occidentale, et vous verrez les moyens dont disposent les élus ! Vous verrez les moyens de contrôle dont disposent les députés, vous verrez la manière dont ils peuvent s’entourer pour mieux contrôler le Gouvernement et pour faire des propositions de loi qui tiennent la route.

M. Jean-Luc Reitzer. Ça n’a rien à voir avec le non-cumul !

M. Bruno Le Maire. Je ne me résigne pas à l’affaiblissement du Parlement, qui résulte de l’augmentation systématique du nombre de parlementaires, en particulier du nombre de députés.

Je vous propose également, dans cette révolution démocratique, de mettre en place quelque chose qui est appliqué aujourd’hui dans quasiment toutes les démocraties européennes. On est fonctionnaire – je pense en particulier aux hauts fonctionnaires – et garant de l’indépendance de la fonction publique, ou on est élu engagé, avec ses convictions, avec son esprit partisan, mais on ne peut pas être les deux à la fois.

Mme Laurence Dumont. Votre conversion est récente !

M. Bruno Le Maire. Il est tout à fait anormal que des membres de la haute fonction publique, avec toutes les garanties, tous les avantages dont ils disposent, toutes les responsabilités, aussi, qu’ils ont au regard de l’indépendance de la fonction publique puissent devenir député, devenir sénateur, garder tous les avantages de la fonction publique, pour les retrouver le jour où ils ne sont plus député ou sénateur. Je vous propose d’inscrire dans la loi l’obligation pour tous les hauts fonctionnaires, j’insiste sur le mot, car c’est à eux de donner l’exemple, de remettre leur démission de la fonction publique quand ils deviennent députés ou sénateurs.

Je me souviens, monsieur le ministre, de ce que disait l’un de vos collègues du Gouvernement : « En matière de non-cumul, je suis croyant, mais pas pratiquant. » Eh bien, moi, en matière de révolution démocratique, je suis à la fois croyant et pratiquant. Je ne conduirai pas de liste municipale en 2014, car j’estime que l’on ne peut pas tromper les électeurs et être candidat à la présidence d’un exécutif pour ensuite devoir y renoncer au nom des principes qu’on s’est soi-même donnés. Et j’ai démissionné de la haute fonction publique il y a quelques mois,…

M. Jean-Luc Reitzer. Ça a changé la face du monde !

M. Bruno Le Maire. …pour me mettre en accord avec la proposition que j’ai faite, que tous les hauts fonctionnaires démissionnent de la haute fonction publique quand ils deviennent députés ou sénateurs.

Vous me permettrez, monsieur le ministre, de conclure par une autre citation que celle de votre collègue, une citation de Tocqueville, qui pourrait être au frontispice de nos débats de ce matin : « Ce qui menace un jour notre démocratie, ce n’est pas la force douce, c’est l’indifférence, c’est l’éloignement lent et terrible des citoyens de leur démocratie et de leurs élus, dont ils estiment qu’ils ne les représentent plus. » (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.

M. Jean-Luc Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous nous demandez d’approuver une loi interdisant aux députés et aux sénateurs d’exercer des fonctions exécutives de maire, de président d’exécutif régional ou départemental, et aussi de maire-adjoint, de vice-président d’exécutif régional ou départemental, et même de maire délégué ou de maire d’arrondissement. Une figure centrale de la République, le député-maire, s’apprête à être sacrifiée sur l’autel d’une pseudo-modernisation de la République.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Luc Laurent. C’est bien le député-maire, en effet, qui est la cible, puisque ce texte laisse grandes ouvertes les possibilités de cumul entre un mandat parlementaire et un mandat de conseiller général ou de conseiller régional. Le texte que vous nous proposez n’a qu’une seule vertu, monsieur le ministre : il met en œuvre un engagement du Président de la République. C’est une grande qualité, mais c’est malheureusement la seule.

Bien sûr, ses promoteurs lui prêtent de grandes vertus avec de grands mots : modernisation, renouvellement, revalorisation du Parlement. Il y a plus de dix ans, au nom des mêmes impératifs, présentés dans les mêmes termes, le peuple français était invité à adopter par référendum la réduction du mandat présidentiel à cinq ans.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très mauvaise réforme !

M. Jean-Luc Laurent. Au vu du décalage entre les effets annoncés et les effets réels de cette réforme, le camp des modernisateurs d’aujourd’hui gagnerait à être un peu plus prudent et modeste.

M. Jean-Luc Reitzer. Tout à fait !

M. Jean-Luc Laurent. Pour paraphraser Karl Marx, les hommes ne savent pas toujours l’histoire qu’ils font.

Les nombreux députés « secs », c’est-à-dire sans autre mandat électif, prouvent chaque jour qu’on peut être un bon député en n’ayant aucun mandat local. Il n’y a aucun doute là-dessus.

La question est ailleurs, mes chers collègues. J’admire profondément le travail des députés « secs » ; je sais le temps qu’ils consacrent à leur circonscription, sans avoir l’assise institutionnelle du député-maire ni le soutien d’une collectivité locale. Mais quelles que soient ses qualités, le député « sec » restera un député faible, en rivalité avec les élus locaux, et en concurrence avec eux lors des élections législatives.

M. Jean-Luc Reitzer. Tout à fait !

M. Jean-Luc Laurent. Les promoteurs de ce projet de loi font miroiter le rêve d’une Assemblée nationale qui siégerait du lundi au vendredi à plein-temps et en plein effectif. Il n’y a qu’une seule façon d’arriver à ce résultat : le scrutin proportionnel ! Ainsi, les députés seront tous parisiens, et le Parlement pourra même siéger le week-end, sans s’encombrer de circonscriptions et de travail sur le terrain.

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

M. Jean-Luc Laurent. La proportionnelle est la suite logique de l’interdiction du cumul des mandats ; c’est la raison principale qui justifie notre refus de cette réforme. On connaît tous les défauts de ce mode de scrutin, qui ne peut que contribuer à affaiblir encore davantage une Assemblée nationale déjà mal élue, car élue dans l’ombre de l’élection présidentielle.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est vrai !

M. Jean-Luc Laurent. Cette loi va déséquilibrer encore plus les institutions de la cinquième République, car il y a un lien organique entre le mandat de député et le cumul, entre le mode de scrutin et cette spécificité française. Le scrutin qu’on appelait autrefois scrutin d’arrondissement a pour effet quasi-naturel d’aboutir à l’élection à l’Assemblée nationale de l’un des maires de la circonscription. Le député-maire n’est pas une aberration qu’il faut supprimer, mais la clef de voûte du système.

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste ! Très bien ! Exactement !

M. Jean-Luc Laurent. Ce système garantit la proximité avec les citoyens, car le mode de scrutin uninominal permet la promotion des élites républicaines locales, et contrebalance l’emprise des appareils politiques dominants. Le rêve de 577 députés à plein-temps, présents à l’Assemblée nationale sept jours sur sept, est-il au fond si souhaitable pour les citoyens ?

M. Jean-Luc Reitzer. C’est de l’utopie !

M. Jean-Luc Laurent. Les promoteurs de la réforme, comme le regretté Guy Carcassonne, attendent qu’elle donne le signal de la grande révolte parlementaire contre le pouvoir exécutif qui domine les institutions de 1958. J’en doute beaucoup. 577 députés à plein-temps n’auront pas plus de moyens de contrecarrer le fait majoritaire, et de s’opposer à ce que l’on appelle poliment depuis 1958 le « parlementarisme rationalisé », qui permet à l’exécutif de s’imposer face au législatif. Qui peut croire que des députés élus sur des listes partisanes, dans l’ombre de la présidentielle, seront plus forts face à l’exécutif ?

Nous n’avons besoin ni de la VIe République, ni d’un retour à la IVe, mais d’une Ve République rénovée !

M. Manuel Valls, ministre. C’est vrai.

M. Jean-Luc Laurent. Il est légitime de réarmer le Parlement, mais cela devrait, monsieur le ministre, passer par une révision de la Constitution, pas par l’interdiction du cumul des mandats. Il s’agit de donner au Parlement la maîtrise de son ordre du jour, et de la discussion des textes législatifs. Réarmer le Parlement, c’est considérer qu’un projet ne concernant pas l’essentiel du programme de la majorité peut être rejeté sans que cela fasse un drame.

Les députés du Mouvement républicain et citoyen voteront donc contre ces projets de loi.

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien ! Bravo ! Enfin du bon sens !

M. Jean-Luc Laurent. Ils invitent les députés de la majorité à considérer qu’ils ont le droit de refuser cette réforme, ce qui démontrerait leurs convictions et leur indépendance par rapport à l’exécutif.

Mme Laurence Dumont. Ne vous inquiétez pas : nos votes seront conformes à nos convictions !

M. Jean-Luc Laurent. Ce sont les qualités que tous les citoyens attendent de leurs députés. N’est-ce pas cela la rénovation de la vie publique, pour une République moderne ?

Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Christian Hutin et M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. M. Laurent a raison sur un point : ce qu’il nous faut, c’est une Ve République rénovée.

M. le président. La parole est à Mme Julie Sommaruga.

Mme Julie Sommaruga. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’interdiction du cumul des mandats, dont nous débattons aujourd’hui, nous engage. Elle nous engage tout particulièrement devant nos électeurs. À la faveur de lois emblématiques, la démocratie a progressé. Ses visages sont multiples ; démocratie représentative, démocratie locale, démocratie sociale : autant de piliers que la gauche a contribué à édifier, et que la majorité entend aujourd’hui consolider. C’est le sens du progrès, c’est le sens de l’histoire.

Il est vrai que les interrogations de certains sont légitimes, mais la démocratie a trop attendu à cause du cumul des mandats. Or une démocratie inerte est une démocratie offerte au conservatisme et aux extrémismes : ce Gouvernement s’y refuse. À l’heure où la défiance s’accroît envers le politique, nous avons la lourde tâche de rétablir la confiance. Cela passe par le respect de nos engagements. C’est aujourd’hui le cas, alors que nous discutons de l’interdiction du cumul d’un mandat exécutif local et d’un mandat parlementaire. Ces projets de loi concrétisent un engagement fort du Président de la République ; ils accomplissent un pas décisif pour redonner aux citoyens confiance en leurs représentants, et redonner un nouveau souffle à notre démocratie.

M. Jean-Luc Reitzer. Cela n’a rien à voir !

Mme Julie Sommaruga. Pour redonner confiance en la politique, il faut faire vivre la classe politique à l’unisson de la société, en permettant l’accès à un mandat électif au plus grand nombre, quel que soit son sexe, son âge, ses conditions sociales ou ses origines.

M. Jean-Luc Reitzer. La candidature est libre !

Mme Julie Sommaruga. Si notre Assemblée a su un peu se féminiser…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Un peu seulement !

Mme Julie Sommaruga. …et un peu se diversifier, grâce à la gauche, notre engagement pour plus de parité et de représentativité demeure bien trop timoré.

L’interdiction du cumul des mandats, en permettant l’émergence de nouveaux élus plus représentatifs de notre société, mettra également fin à cette pratique solitaire du pouvoir. Redonner confiance en la politique, c’est rendre lisible la fonction de chaque élu. Quel élu n’a jamais été confronté à des demandes qui ne relèvent pas de ses attributions ? Quel élu, cumulant mandat local et mandat national, n’a jamais été partagé entre ses intérêts locaux – qui sont légitimes – et l’intérêt national ?

M. Jean-Luc Reitzer. Les deux ne sont pas contradictoires : ils se complètent !

Mme Julie Sommaruga. En délimitant clairement le mandat de chaque élu, le non-cumul permettra de mettre un terme à ce mélange des rôles, qui engendre au mieux une confusion, au pire une déception.

Pour redonner confiance en la politique, il faut renforcer le rôle des élus. Alors que la finance a trop longtemps cherché à dicter sa loi ces dernières années, la politique se doit de rétablir sa primauté. Cela nécessite un engagement à plein temps : les élus locaux doivent répondre, sur le terrain, aux attentes de la population, qui sont tous les jours plus pressantes ; les parlementaires, eux, ont un travail législatif de plus en plus dense à mener.

Chers collègues, nous refusons d’être une simple chambre d’enregistrement ! Or que sert d’étendre nos pouvoirs, notamment de contrôle, si nous ne prenons pas le temps de les utiliser convenablement ? Il en va de la crédibilité, de l’efficacité et de la visibilité de notre travail parlementaire, et donc du respect de l’équilibre des pouvoirs.

À ce stade, je m’attarderai sur l’un des arguments défendus par les partisans du cumul des mandats : être un véritable élu de terrain exigerait de détenir un mandat exécutif local. Non, mes chers collègues : la connaissance du terrain n’est pas l’apanage des seuls élus locaux ! Qui peut croire, sincèrement, qu’un parlementaire ne se rend pas sur le terrain ? Nous tenons une permanence dans nos circonscriptions et participons à diverses réunions publiques. J’ai, moi-même, démissionné de mon poste de maire adjointe, mais je reste une élue de terrain à part entière : je peux vous l’assurer !

M. Jean-Luc Reitzer. On verra ça dans quatre ans !

Mme Julie Sommaruga. Je suis heureuse, par exemple, d’avoir fait participer les acteurs locaux de ma circonscription à l’élaboration d’amendements à la loi sur la refondation de l’école. Je suis surtout satisfaite d’avoir eu le temps nécessaire pour le faire.

N’ayons donc pas peur de la démocratie ! Fragile, la démocratie a besoin de se consolider. Généreuse, la démocratie a besoin de se partager. Vivante, la démocratie a besoin de s’épanouir. Mes chers collègues, je vous disais au début de mon intervention que ce débat nous engage. Alors engageons-nous, en votant ces projets de loi, à redonner confiance aux Français et à faire avancer notre démocratie. Sachons être à la hauteur du souffle démocratique qui s’est levé dans bon nombre de pays, et laissons l’air du non-cumul oxygéner notre vie démocratique. Laissons respirer la démocratie ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Bachelay.

M. Manuel Valls, ministre. C’est la voix de la Normandie ! (Sourires.)

M. Guillaume Bachelay. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 2017, si nous le décidons, les parlementaires ne pourront plus cumuler leur mandat national avec des fonctions exécutives locales.

L’intitulé des deux projets de loi qui nous sont soumis signifie que, juridiquement, ils visent à interdire ce cumul. Mais leur ambition va plus loin : il s’agit d’une reconquête démocratique. Il s’agit d’abord de reconquérir la confiance des citoyens dans leurs institutions et leurs représentants.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Guillaume Bachelay. L’abstention au scrutin de juin 2012 a atteint un niveau record pour des élections législatives sous la Ve République : ce seul indice du désarroi civique devrait suffire à nous pousser à agir.

Pour les élus de la République, cette défiance est un crève-cœur. Leur engagement et leur dévouement, au-delà des clivages partisans, sont une réalité qu’il faut rappeler. Il faut aussi, hélas, constater qu’elle ne suffit pas à inverser la tendance. La crédibilité de la parole publique, sur le plan local comme au niveau national, procède d’abord du respect de la parole donnée. Un an après l’alternance, il faut souligner ici, dans ce débat, que l’essentiel des engagements du président Hollande sont concrétisés, ou que leur réalisation a été amorcée. Avec le non-cumul des mandats, c’est encore plus vrai.

Les citoyens attendent que les lieux de pouvoir soient aussi des lieux de puissance dans la mondialisation et face à la crise. C’est pourquoi nos priorités sont l’emploi, l’école, le logement, la croissance durable et la réorientation de l’Europe. Mais on ne peut pas découper l’action publique en tranches : elle forme un tout ! La croissance dépend de la confiance, et les engagements sont inséparables des actes. En limitant le cumul des mandats, les députés et les sénateurs montrent le chemin autant qu’ils montrent l’exemple. Ce progrès permettra de mieux identifier les responsabilités ; il favorisera le renouvellement de la vie publique – cela a été très bien dit par mes collègues tout à l’heure – et il permettra aux titulaires de chaque mandat d’être pleinement disponibles pour le remplir.

On l’a dit : cette avancée s’inscrit dans une continuité. Les lois de 1985 et 2000 ont ouvert la voie que nous prolongeons aujourd’hui. À chaque fois, les socialistes furent à l’avant-garde : nous en sommes fiers. La droite, elle, a toujours balancé entre deux attitudes envers le non-cumul des mandats : l’indifférence, d’abord, puisque cette question ne figurait dans son programme ni en 2007, ni en 2012 – je ne remonte pas plus loin dans le temps. Le rejet, ensuite : c’est ce que nous voyons en 2013. C’est aussi vrai de certains collègues UMP – l’un d’eux était présent tout à l’heure – qui discourent sur le non-cumul partout, sauf ici, qui en dissertent tout le temps, sauf à l’heure de le voter : comprenne qui pourra, en Haute-Normandie comme ailleurs ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Manuel Valls, ministre. Excellent !

M. Guillaume Bachelay. Dans ce débat, et dans le meilleur des cas, l’opposition prône le cumul des mandats pour les parlementaires, au motif qu’il permettrait une meilleure perception des réalités locales. C’est davantage un postulat qu’un argument, car la quantité n’a jamais fait la proximité. Dans le futur, la proximité sera garantie par le mode de scrutin qui régit l’élection des députés, et par le maintien de la possibilité d’être un élu de la nation tout en conservant des responsabilités locales en tant que conseiller municipal, départemental ou régional. Surtout, la proximité sera maintenue, comme aujourd’hui, par notre action permanente aux côtés des communes et de leurs élus, des associations, des entreprises, des syndicats et des habitants !

M. François Loncle. Exactement !

M. Guillaume Bachelay. En revanche, avec la meilleure volonté du monde, quel que soit notre territoire et quels que soient nos mandats passés, présents et à venir, nous n’avons pas le don d’ubiquité de l’héroïne de Marcel Aymé, dans la nouvelle Les Sabines du recueil Le Passe-muraille, qui pouvait « à son gré se multiplier et se trouver en même temps, de corps et d’esprit, en autant de lieux qu’il lui plaisait souhaiter. » La décentralisation et la dernière réforme constitutionnelle n’ont fait que renforcer cette vérité : la disponibilité et l’efficacité ont partie liée.

Nous allons également restaurer la place centrale du Parlement dans la pratique institutionnelle. Nous, parlementaires, disposons de capacités d’action renouvelées grâce au renforcement du rôle des commissions, de l’initiative parlementaire, du contrôle de l’action du Gouvernement et de l’évaluation des politiques publiques. Combinées à la légitimité du suffrage universel, ces capacités d’actions impliquent de notre part une mobilisation redoublée. Encore faut-il penser le Parlement de l’après-cumul, c’est-à-dire repenser et anticiper nos missions et les conditions de leur exercice.

Le président Bartolone plaide, à juste titre, pour la suppression de certains comités Théodule et autres commissions ad hoc. On en recense près de sept cents. Leur empilement a un coût et leur éparpillement dépossède l’Assemblée nationale d’une partie de sa fonction de contrôle, d’évaluation et de prospective. Je crois que le non-cumul est l’un des plus sûrs moyens d’éviter que, peu à peu, une « adhocratie » rivalise avec la démocratie représentative, que des experts se substituent aux élus, et que la gouvernance des choses l’emporte peu à peu sur le gouvernement des hommes.

Mes chers collègues, la volonté politique de limiter le cumul des mandats répond à une attente civique. Cette avancée ne dépend que de nous. Je le dis à mes collègues réticents : le non-cumul n’est pas un châtiment, c’est une chance pour le Parlement, pour les territoires, et pour la démocratie. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il faut toujours prendre soin de ses vieux amis de trente ans, surtout en politique. Le cumul des mandats fait partie de ces vieux amis, de ces faux amis, de ces serpents de mer.

Il existe, pour moi, deux manières d’aborder la question. L’une, négative, en termes de privation de mandats, ce que certains ressentent déjà comme une punition. L’autre, qui a ma faveur, est positive : elle nous engage à nous placer du point de vue du citoyen pour envisager les élus de demain. Il est vrai que le côté gauche de cet hémicycle ressemble beaucoup plus à l’Assemblée nationale de demain que le côté droit !

Un regard objectif sur la typologie de nos Assemblées nous renseigne assez sur la distorsion entre la société et ceux qui sont mandatés pour la représenter. La représentation nationale, aujourd’hui, illustre bien mal la réalité de notre nation. Dans ce triste constat, nous l’avons souligné, les critères sont légion : la parité est un horizon bien lointain, la répartition par âge et par catégorie socioprofessionnelle est une vraie vue de l’esprit et on ose à peine avouer la moyenne d’âge ! Parmi ces critères d’analyse, le cumul des mandats est sans appel : 338 de mes collègues cumulent le mandat de député avec un mandat exécutif local, plutôt chronophage quand on veut l’accomplir honorablement alors que la circonscription est souvent éloignée de Paris.

Mais, plutôt que de stigmatiser les uns, ce qui ne m’intéresse pas, je m’emploierai à valoriser les autres, préfigurant ainsi la fonction telle que nous souhaitons qu’elle s’impose désormais : représentative, responsable, à l’image des citoyens qui nous éliront.

Ce projet de loi est une exigence démocratique. Nos concitoyens veulent des élus à leur écoute, qui leur ressemblent et en qui ils ont confiance. Ainsi, 85 % de nos concitoyens demandent le non-cumul des mandats. Pour y résister, aucun argument sérieux ne peut justifier cette exception à la française qui fait notre légendaire réputation de cumulards boulimiques. Prétendre que le cumul permet de rester en contact avec la réalité est un prétexte fallacieux. Ce que je vis, aujourd’hui, en tant que députée, lors des instants que je passe dans ma circonscription, me permet d’affirmer que le député, qui n’exerce que ce seul mandat, s’occupe au quotidien de son territoire parce qu’il est le personnage politique qui est sollicité en cas de difficulté ou lorsqu’une question se pose. À ceux qui essaient de convaincre quiconque des vertus de l’expérience simultanée, je répondrai que nous sommes tous soumis aux bornes temporelles, universelles, des vingt-quatre heures dans une journée. Comment le législateur peut-il prétendre travailler sérieusement au fond, et bien gérer une ville, une agglomération, un département ou une région distante ne serait-ce que de quelques kilomètres, voire un peu de tout cela en même temps ? Je n’ai, pour ma part, rencontré aucun élu qui aurait le don d’ubiquité lui permettant de se trouver en même temps à Paris, Strasbourg, Bruxelles, Lyon, Bayonne ou Bordeaux ! Soyons sérieux ! On conçoit aisément, par voie de conséquence, que l’un des mandats est toujours nécessairement sacrifié. Nous avons pu vérifier voire même nous amuser, au gré de nos échanges préalables, de ce fameux syndrome de la moule accrochée à son rocher !

Ce texte de loi prend place dans un projet politique cohérent. Après la loi sur la transparence et la loi sur le ticket paritaire, le non-cumul s’inscrit dans la modernisation de l’action publique. À moins d’être né dauphin, ce qui est tout de même relativement rare, un député a une vie avant d’être élu. Son cheminement est personnel, professionnel, politique, et il est pour beaucoup d’ailleurs le fruit d’un engagement associatif très significatif, lequel l’amène souvent à la vie politique. Ce parcours formateur le dote d’une expérience préalable à l’exercice d’un mandat. Ses engagements, ses passions et son histoire forgent l’aptitude à l’exercice du pouvoir. La diversité des origines, des expériences et des personnes dans leur particularisme personnel et politique garantit justement la nécessaire représentativité. À aucun moment et d’aucune façon, l’accumulation simultanée ne peut justifier d’une quelconque valeur ajoutée, bien au contraire. Le cumul ne garantit ni ne prouve aucun ancrage particulier. Au contraire, il crée une génération d’élus qui vivent très loin des réalités et disposent souvent d’effectifs nombreux à leur service, cultivant sans même s’en rendre compte la confusion dans les fonctions de chacun. Ils empruntent rarement les transports en commun. Et parce que leurs fonctions cumulées leur laissent peu le loisir de se promener sur leur territoire sans qu’un événement local le justifie, ils sont souvent hors sol.

Ce projet de loi est, enfin, le souffle neuf d’exemplarité. En le votant, nous redonnerons un souffle à la classe politique. Nous libérerons du temps pour les uns, de la place pour les autres et offrirons à tous la qualité. Nous réconcilierons une partie de l’électorat avec la représentation nationale et la fonction politique. Nous pourrons faire émerger de nouvelles intelligences, de nouveaux élus, de nouvelles pratiques. Plus d’équité, plus de parité, plus de disponibilité, moins de montage, moins de bricolage, moins de clientélisme, moins de conflits, moins de carriérisme, mais un progrès !

C’est avec enthousiasme que le groupe SRC votera ce texte. Ce sont encore une fois les forces de gauche qui contribuent à la modernisation de la vie publique. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. David Habib.

M. David Habib. Monsieur le président, mesdames, messieurs, j’ai eu plaisir à entendre ma collègue des Pyrénées-Atlantiques. Autant le dire tout de suite, cette interdiction du cumul suscite, chez moi, plus de réserves que d’emballement, plus d’inquiétudes que d’enthousiasme. Pour autant et je le dis dès cette introduction, je voterai ce texte. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Permettez-moi, tout d’abord, de revenir sur les réserves esquissées très grossièrement par Mme Capdevielle. Je le dis à mes collègues et amis socialistes, qui prêtent à cette réforme bien des vertus : un certain nombre de points méritent réflexion et ne peuvent pas être balayés d’un revers de la main. Premièrement, la fin du cumul ne réconciliera pas à elle seule les Français avec la politique et avec la classe politique. Chacun le sait, le problème est ailleurs : chômage, déclassement du pays, inefficacité de l’action. D’autres chantiers sont devant nous. Ayons la modestie de penser qu’en votant ce texte, nous n’aurons pas réglé ces problèmes.

Mme Marie-Françoise Bechtel. C’est vrai !

M. David Habib. Deuxièmement, la fin du cumul, si elle n’est pas accompagnée d’un vaste mouvement décentralisateur, renforcera Paris et l’échelon central par rapport à la province. Je vous ai entendu évoquer hier, monsieur le ministre, avec beaucoup de fougue et de talent, ces communes administrées par des maires de qualité qui ne sont pas parlementaires. Vous avez cité Montpellier, Toulouse, Lille. Or, vous le savez, le problème ne concerne pas ces communes, mais les agglomérations et les villes moyennes qui, elles, ont besoin d’un relais avec l’échelon central et les ministères et qui l’ont aujourd’hui trouvé grâce à l’existence du député-maire. Je crains, je le répète ici, que la fin du cumul soit pour celles-ci un élément déstabilisateur.

Troisièmement, sans une vraie réforme institutionnelle, sans une modification des textes qui organisent le temps et la vie parlementaire, sans une réduction du nombre de députés, cette interdiction du cumul ne permettra pas, selon moi, un rééquilibrage des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

Enfin, cessons de penser que cette interdiction favorisera le renouvellement, le rajeunissement et la féminisation de notre Parlement. Comme l’a évoqué précédemment notre collègue Calmette, la réforme des scrutins départementaux que vous avez voulue et que vous nous avez soumise, monsieur le ministre, entraînera un rajeunissement et une féminisation de la vie politique. Je prendrai l’exemple de notre département des Pyrénées-Atlantiques, ce que vous n’avez pas fait, madame Capdevielle. Ce département compte 650 000 habitants, plus nombreux dans le Béarn qu’au Pays Basque. Nous ne sommes que trois à cumuler des mandats. Les Pyrénées-Atlantiques comptent vingt-sept cantons et quatre femmes conseillères générales. On peut imaginer que vingt-trois le deviendront. Il y aura alors, oui, un vrai rajeunissement, un vrai renouvellement, une vraie féminisation de la classe politique. Mais ce n’est pas la règle du non-cumul des mandats, qui concernera trois personnes sur 650 000, qui nous permettra d’atteindre cet objectif.

Après avoir exposé les raisons qui m’amènent à considérer que ce texte ne devrait pas provoquer chez nous tant d’enthousiasme, pourquoi vais-je le voter ?

Vous avez souhaité, et vous l’avez précisé hier, monsieur le ministre, que cette réforme soit équilibrée. Je vous rejoins en cela : oui, en repoussant l’application de cette réforme au renouvellement général de cette assemblée, vous avez incontestablement permis à un certain nombre de parlementaires, dont je suis, de voter ce texte avec moins d’inquiétude. Ce texte occupe de plus, à tort selon moi, une place démesurée dans le débat politique. Toutefois, renoncer à légiférer sur cette question, en dépit de tous les arguments que j’ai évoqués, c’est permettre aux démagogues et notamment au Front national, de surfer sur l’antiparlementarisme. Si interdire le cumul des mandats participe de cette reprise des consciences, alors, oui, il faut légiférer. Mme Maréchal-Le Pen a dit qu’elle soutiendrait ce texte. N’ayons aucune hésitation sur ce point. Ne pas voter ce texte, c’est ouvrir la voie à celle et ceux qui mettent en cause matin, midi et soir le parlementarisme et notre démocratie. Enfin, le Gouvernement fait face avec courage à de tels défis qu’il nous faut sur ce texte comme sur d’autres confirmer, chaque jour, notre unité et notre solidarité. Je voterai ce texte parce que je soutiens l’action du Gouvernement et que celle-ci est un tout, même si elle peut appeler les réserves que je viens d’évoquer.

Notre collègue Bernard Lesterlin nous a rappelé, hier, qu’il fallait tenir ses engagements. En 2012, j’avais indiqué à mes électeurs que j’étais opposé à l’interdiction du cumul des mandats. Mais s’ils ont voté pour moi dès le premier tour, ce n’est pas parce que j’étais favorable au cumul. Inversement, cessons de penser, chers collègues socialistes, que les Français nous ont donné une majorité parce que notre parti s’était engagé à interdire le cumul.

Parce que ce débat occupe une place démesurée, il nous faut voter le texte. Adoptons-le donc rapidement et tournons la page, afin de nous consacrer au véritable enjeu. Si l’on veut parler d’efficacité de l’action politique, si l’on veut parler du travail des élus et, en particulier, de leur fonction de contrôle, débattons de ce qui mérite de l’être, à savoir de la modernisation de l’État. Ce texte en appelle un deuxième, sur la place de l’État dans nos institutions. Nous vous demandons, en conséquence, aujourd’hui, monsieur le ministre, d’organiser une réflexion pour que nous puissions, avant la fin de cette législature, légiférer sur cette question. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Valax.

M. Jacques Valax. Monsieur le président, mesdames, messieurs, Guy Carcassonne répétait sans cesse : cumulatio delenda est, ce qui pourrait être interprété comme un cri de guerre. Comme cela risque d’effaroucher la droite, aujourd’hui réticente, je le considérerai comme un cri de ralliement. C’était, en tout cas, l’expression d’une volonté affichée et affirmée. Pour lui, je le rappelle, le cumul des mandats gangrenait le fonctionnement des institutions et la fonction de parlementaire devait être un travail à plein temps. Je ne peux donc que me féliciter que soit enfin venu le temps de l’examen de ce texte dont la gestation aura duré, je le rappelle, plus de trois décennies. Je citerai, à ce titre, les lois du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000 ; le rapport Balladur de 2007 ; le vote des militants et l’engagement socialistes en 2009 ; la proposition de loi de notre groupe en 2010 ; les promesses de campagne de 2012 et, enfin, l’an dernier, le rapport Jospin : que d’étapes, de débats, de tergiversations avant de proposer l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire avec un exécutif local !

Concrétisation importante, ce texte, comme vous l’avez précisé hier, monsieur le ministre, va révolutionner, terme employé par les constitutionnalistes, la vie parlementaire en mettant fin à une spécificité française bien connue et maintes fois dénoncée. Jusqu’ici juridiquement possible, le cumul des mandats était presque politiquement souhaitable. En effet, il facilitait l’élection et la réélection. Il permettait d’asseoir sa notoriété sur un territoire en bénéficiant de réseaux locaux et nationaux. Cette mauvaise habitude politique appelait une réaction de notre part. Réagir en la matière, c’est accepter de remettre en cause nos fonctionnements individuels quelque peu égoïstes, avouons-le ; c’est accepter de faire passer l’institution, son fonctionnement et son avenir avant nos préoccupations particulières. Nous savons aussi que cette pratique inégale nourrit la désaffection du citoyen pour la chose publique. Après la loi sur la transparence, ce texte est donc une nouvelle étape dans la quête d’une confiance renouvelée des citoyens envers leurs élus.

J’étais le rapporteur de la proposition de loi en 2010 que nous avons été nombreux – 150 députés sur 200 – à avoir votée ici. Nous étions alors minoritaires et les 313 députés de la majorité se sont prononcés contre comme un seul homme ou comme une seule femme ! J’avais précisé dans ce texte que le non-cumul était la première des réponses à la crise de la représentation politique et rappelé que c’était une proposition de bon sens, une avancée démocratique majeure. Rejetée par la majorité de l’époque, c’est aujourd’hui en responsabilité que nous pouvons, enfin, réaliser ce pas en avant.

J’aurais pu, je devrais me satisfaire pleinement du tracé de ce texte et le voter sans hésitation aucune. Mais, engagé contre le cumul des mandats depuis longtemps, je ne pourrai faire autrement, monsieur le ministre, que de déposer un amendement suggérant que cette loi s’applique dès 2014. Je sais l’équilibre atteint dans le projet du Gouvernement, équilibre que vous avez rappelé et défendu à maintes reprises, équilibre parce que le périmètre défini est strict, avec une date d’application beaucoup plus souple, pour ménager toutes les sensibilités, nous avez-vous indiqué. Je comprends votre position.

Je veux croire aussi en l’argument qui est le vôtre, selon lequel cette loi aura des effets, sinon juridiques, au moins politiques dès les élections de 2014 et 2015. J’entends aussi les risques d’inconstitutionnalité que nous prendrions, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient avérés. Je maintiens donc, avec obstination et erreur, direz-vous peut-être, mais vous me le pardonnerez, que le risque constitutionnel évoqué ne me semble pas plus périlleux que le risque politique d’une application tardive.

Je redis donc en un mot que la fidélité à mes engagements passés m’obligera à soutenir cet amendement sur lequel notre Assemblée se prononcera soit en l’acceptant, soit en le rejetant.

Pour le reste, ce texte était attendu et je veux en tout état de cause vous dire ma satisfaction.

Ce projet de loi a le mérite d’être clair et simple. Pas d’introduction d’un seuil minimal d’habitants pour qualifier les exécutifs locaux, pas de différence entre députés et sénateurs.

C’est aussi un texte cohérent.

Il est cohérent d’abord avec la volonté de renouveler le personnel politique, d’ouvrir nos assemblées à davantage de jeunes, de femmes, à différentes catégories socioprofessionnelles, enfin à plus de Français issus de la diversité. Pour améliorer la représentation politique, il faut accepter de partager le pouvoir.

Il est cohérent avec la décentralisation qui a changé la nature des exécutifs locaux. Cette loi limitera l’absentéisme et les délégations de prise de décision. Elle renforcera donc le pouvoir politique face aux tentations hégémoniques des structures administratives.

Il est cohérent également avec notre volonté de transparence de la vie publique.

Il est cohérent parce que ce texte nous permet de rappeler une fois encore que la loi doit être prise au nom de l’intérêt général et non pas de la somme d’intérêts particuliers.

Cette réforme est un premier pas, qui devra être complété par un véritable statut de l’élu, par des évolutions dans l’organisation du travail parlementaire. Elle implique du courage, vous en avez eu, monsieur le ministre, et un sens de la modernité incontestable. C’est une respiration différente, une volonté, une attitude et un comportement nouveaux.

C’est enfin, et je termine sur ce point, un changement de perspective, d’horizon, de mentalité, pour dynamiser nos assemblées et, à travers elles, notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos portera sur la situation spécifique des maires d’arrondissement et donc des trois plus grandes villes de France, Paris, Lyon et Marseille, et sur la nécessaire et évidente assimilation de leur fonction à celle de l’exercice d’un mandat exécutif simple au sens de la commission Jospin, justifiant à ce titre leur exclusion du champ du non-cumul.

« Communes gigognes » créée par la loi PLM, les arrondissements ne sont en réalité que des échelons inframunicipaux, qui constituent non pas des collectivités territoriales à part entière mais de vagues commissions administratives consultatives. Leur absence d’autonomie et, corrélativement, celle de leurs exécutifs, bien qu’ils soient élus au suffrage universel, sont paradoxalement la condition sine qua non de leur existence – ils n’ont même pas de personnalité morale et ne peuvent ester en justice –, comme l’avait bien explicité le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 décembre 1982.

En effet, ils ne portent atteinte ni à l’unité communale, ni à la compétence de droit commun du conseil municipal et du maire de la commune, qui peut même exiger une seconde délibération de leur conseil si l’avis qu’ils ont adopté lui déplaît. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas prévu qu’ils siègent dans la nouvelle superstructure de Paris métropole, pourtant compétente en matière de logement et d’urbanisme. Dès lors, les inclure dans cette réforme pourrait même présenter un certain risque constitutionnel.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est juste !

M. Philippe Goujon. Bien que paré des symboles de la puissance, le maire d’arrondissement est bien, dans la réalité de l’exercice de ses fonctions et dans l’acception du Conseil constitutionnel, un nain administratif, comme le qualifiait le professeur Michel Verpeaux, directeur du centre de recherches en droit constitutionnel.

Nos collègues socialistes M. Cherki et M. Bloche à Paris et M. Mennuci à Marseille se sont d’ailleurs fait l’écho de cette analyse juridique dans la presse, considérant que les mairies d’arrondissement devaient par définition être exclues du champ de la future loi, n’étant pas des municipalités de plein exercice. Notre collègue Daniel Vaillant nous a même indiqué en commission que les travaux préparatoires de la résolution socialiste contre le cumul des mandats en avaient exclu les maires d’arrondissement pour cette même raison. Il nous a d’ailleurs rappelé qu’il avait été autorisé par Lionel Jospin, l’auteur du rapport sur le cumul, à exercer conjointement son mandat de maire d’arrondissement avec celui de ministre des relations avec le Parlement.

Les maires d’arrondissements et leurs adjoints se caractérisent en effet par une totale absence d’autonomie administrative, doublée d’une totale absence d’autonomie financière : ils ne recrutent, ni ne gèrent le personnel de leur mairie ; ils ne disposent pas de la capacité de lever l’impôt, de voter les taxes, de fixer le simple tarif des cantines, et ils ont non pas un budget propre, mais une simple enveloppe budgétaire, ridiculement faible, l’état spécial d’arrondissement, dont les chapitres ne sont même pas fongibles, enveloppe octroyée par la mairie centrale, sans aucune possibilité de la modifier.

Le 15e arrondissement, par exemple,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Au hasard ! (Sourires.)

M. Philippe Goujon. …le plus peuplé de Paris, plus peuplé que Bordeaux, dispose d’un budget de 12 millions, contre 8 milliards pour la ville de Paris : de quoi, en gros, réparer les carreaux cassés et fournir les crèches en couches. Et bien sûr il ne dispense directement aucune subvention.

En termes d’urbanisme, les avis rendus par le maire d’arrondissement sur les permis de construire sont purement consultatifs, et les DIA sont juste portés à sa connaissance. Toutes les opérations d’urbanisme, de voirie et de propreté sont dirigées et exécutées par la mairie centrale. L’autorité hiérarchique sur les personnels municipaux affectés dans l’arrondissement relève de la seule mairie centrale. Faut-il ajouter qu’ils ne sont investis d’aucun pouvoir de police ?

Les maires d’arrondissement ne peuvent cumuler tous les inconvénients en une sorte de double peine, d’autant que, cerise sur le gâteau, leur statut et leur mode de rémunération sont également inférieurs à ceux des maires de plein exercice ?

Lors de votre audition par la commission des lois, monsieur le ministre, vous avez vous-même reconnu, à juste titre, avoir le sentiment que je n’avais pas juridiquement tort. Quant au rapporteur au fond, il a estimé lors de l’examen des amendements en commission que le sujet avait suscité bien des interrogations, « ces maires ne pouvant, c’est vrai, être assimilés à des maires de plein exercice ».

Soyons clairs : ou bien l’on considère à la suite du Conseil constitutionnel, qui sera évidemment saisi, du ministre et du rapporteur, que les maires d’arrondissement ne sont pas des maires de plein exercice et on les exclut de cette loi ; ou bien on considère qu’ils le sont mais, dans ce cas, on leur donne les compétences associées et un statut identique ou similaire à celui des maires de plein exercice.

C’est pourquoi un consensus devrait pouvoir être dégagé sur les amendements que nous présenterons en ce sens avec mon collègue Guy Teissier – il y a d’ailleurs un amendement Hutin-Laurent-Bechtel très intéressant – afin que l’erreur politique d’interdire la conjugaison des mandats ne se double pas d’une erreur juridique qui, de surcroît, fragiliserait cette loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Noguès.

M. Philippe Noguès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me pardonnerez ce manque d’humilité : je vais vous parler de moi. (Sourires.)

Je suis entré en politique tardivement, après une longue carrière professionnelle en entreprise. Pendant de longues années, j’ai observé ce monde de l’extérieur, avec une réelle attirance, je l’avoue, pour ce que je percevais de la politique, du combat des idées, des discussions autour de l’organisation de la cité. Pourtant, dans le même temps, déjà, je percevais malheureusement cette rupture de plus en plus marquée entre les citoyens et les élus.

En 2008, malgré tout, j’ai franchi une première étape en intégrant une équipe pour les municipales et, surtout, en acceptant un poste d’adjoint au maire. J’avais mis la main dans l’engrenage. Où allais-je m’arrêter ? J’avais la conviction, comme beaucoup d’autres avant moi sûrement, qu’il était possible d’agir au moins localement.

Cette passion de la politique grandissant, j’ai rapidement souhaité aller plus loin dans cet engagement. Les législatives de 2012 approchaient et la question me taraudait : pourquoi un citoyen lambda, après une carrière professionnelle « normale », ne pourrait-il pas utiliser les compétences acquises et consacrer quelques années de sa vie à l’intérêt général, à la politique nationale ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Bonne question !

M. Philippe Noguès. Je suis intimement persuadé que les Français se réconcilieront avec des élus dont ils pourront identifier clairement le mandat, dont, surtout, ils ne percevront pas l’appartenance à une caste, dont ils reconnaîtront l’honnêteté et le sens de l’intérêt général.

Et puis, je le dis parce que c’est un fait, et c’est ainsi que ce sera perçu, la question du cumul avec des mandats exécutifs locaux ne peut pas éteindre totalement le sujet. Quelle cohérence pour le citoyen qui voit un adjoint ou un maire d’une petite commune interdits de cumul, alors que le conseiller général, départemental demain, ou le conseiller régional aura, lui, la possibilité d’être en même temps député ou sénateur ? Nous aurons demain des députés à mandat unique et d’autres qui continueront à cumuler avec un mandat de conseiller général ou de conseiller régional. Comment expliquer aux électeurs que les deux passent autant de temps, ou mettent autant d’énergie, dans leur rôle de député, ou d’ailleurs dans celui de conseiller général ?

Le rôle des élus qui composent le Parlement est de représenter le peuple français, de légiférer et de contrôler l’action du Gouvernement. L’Assemblée nationale et le Sénat sont le cœur de notre démocratie et méritent que les parlementaires s’y consacrent pleinement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Laissez aux Français la liberté de choisir !

M. Philippe Noguès. L’exercice d’un mandat local ne m’apparaît absolument pas indispensable à l’exercice du mandat de parlementaire. J’en ai donc tiré les conclusions en démissionnant de mon mandat d’adjoint. Aujourd’hui, député à part entière, je nourris ma réflexion législative de mes échanges locaux. Je ne cumule pas et, croyez-moi, je ne me suis jamais senti coupé du terrain.

L’enjeu du mandat unique, renforcé par la limitation, que je soutiens, à trois mandats consécutifs, serait également de permettre le renouvellement des élus à chaque niveau territorial. L’attente légitime de représentants d’horizons divers, à l’image de la diversité des électeurs dont ils reçoivent mandat, trouverait une réponse dans cette évolution législative qui permettrait de donner un nouveau souffle aux instances démocratiques et à la relation qu’entretiennent les citoyens avec le fonctionnement de la République.

M. Jean-Frédéric Poisson. Personne n’en sait rien !

M. Philippe Noguès. Nul n’est irremplaçable, si la règle est la même pour tous. Parmi nos concitoyens, beaucoup seraient prêts à s’investir, à s’engager, à mettre leurs compétences au service de la collectivité, si on leur en laissait le loisir.

M. Yves Nicolin. Ce n’est pas un loisir !

M. Philippe Noguès. Alors oui, mais là-dessus tout le monde sera d’accord, il faudra ensuite trouver les moyens de mettre en place ce fameux statut de l’élu que tout le monde réclame et qui sera déterminant pour attirer des compétences vers la politique.

Nul n’est irremplaçable. La nature a horreur du vide. J’entends l’argument selon lequel l’histoire est souvent marquée par celles de nos grands hommes, sous-entendu cumulards. Sans doute, mais la vie aurait continué sans eux, parce qu’un autre se serait alors levé pour prendre la place. Donnons une chance à la vie, laissons venir à la Politique, avec un grand p, tous ceux qui montreront leur volonté, leur sens de l’intérêt général et leurs compétences.

En conclusion, chers collègues, je ne suis pas naïf et je sais bien que des transitions trop brutales pourraient avoir dans certains cas des conséquences politiques difficiles. Même si je regrette, vous l’avez compris, que nous n’allions pas, cette fois, au bout de la démarche, je voterai évidemment ce texte car il est bien déjà le ferment d’un changement des mentalités. Le non-cumul ; c’est bien le sens de l’histoire, et l’avenir nous le démontrera. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Villaumé.

M. Jean-Michel Villaumé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons un sujet qui cristallise les débats de la vie publique depuis de nombreuses années.

Le non-cumul des mandats, promesse de campagne, n’a jamais pu devenir effectif. Le gouvernement Fabius, en 1985, a imposé une première série de restrictions, mettant fin aux cumuls les plus notoires, notamment celui de deux mandats locaux. Plus tard, c’est une nouvelle fois la gauche qui proposait de limiter le cumul sous le gouvernement Jospin.

Alors que François Hollande l’avait promis dans son programme de campagne, sous la proposition 48,…

M. Yves Nicolin. Il y a beaucoup promis !

M. Jean-Michel Villaumé. … beaucoup doutaient qu’un tel engagement serait tenu. Je n’oublie pas de regarder les bancs de l’opposition, qui n’ont jamais eu le courage politique de prendre une telle mesure.

Cette réforme du non-cumul des fonctions exécutives s’inscrit très logiquement après la réforme territoriale que vous avez menée, monsieur le ministre, et doit permettre de donner un nouvel élan à notre vie démocratique.

Je tiens à saluer le travail mené par la commission chargée de faire des propositions pour la rénovation et la déontologie de la vie publique, et j’ai une pensée particulière pour Lionel Jospin, qui y a investi beaucoup de son temps et de son énergie. Les conclusions de ces travaux ont déjà servi à la rédaction de la loi que nous avons votée la semaine dernière sur la déontologie et la transparence de la vie publique. Je regrette d’ailleurs qu’il soit encore possible, malgré cette loi, de cumuler un emploi en plus de son mandat de parlementaire, qui est un travail à temps plein.

L’occasion nous est donnée aujourd’hui d’insuffler un nouvel élan à la démocratie locale, ainsi qu’à la représentation nationale. Je salue la volonté du Président de la République et du Premier ministre d’introduire ce changement dans la vie politique de la Cinquième République, et d’en faire une volonté nationale.

Aujourd’hui, les responsabilités des élus locaux et nationaux sont de plus en plus importantes, et le cumul des mandats constitue une véritable spécificité française. Sous la précédente législature, certains de nos collègues ont rendu un rapport très documenté et explicite sur le sujet ; j’invite nos collègues réticents à un tel changement législatif à se le procurer très rapidement. Ils comprendront que nous ne pouvons plus accepter, au vingt et unième siècle, qu’un élu puisse accaparer un maximum de mandats qui contribueraient à son rayonnement local ou national.

À l’échelle mondiale, le cumul français reste un système atypique. Mon collègue Jacques Valax, membre de la commission des lois, ne me contredira pas ; son rapport montre que, parmi les grandes démocraties, aucune ne pratique le cumul à l’échelle de ce qui est observé en France. La preuve en est dans les chiffres : la proportion d’élus en situation de cumul ne dépasse pas 20 % dans la plupart des pays européens, alors qu’en France 81 % des députés et 75 % des sénateurs exercent au moins un autre mandat électif. La loi du 5 avril 2000, modifiant l’article L.O. 141 du code électoral, n’a pas véritablement fait évoluer les incompatibilités en matière de cumul des mandats.

Ce projet de loi doit nous permettre de répondre à un souhait fort de la part de nos concitoyens : que leurs représentants se consacrent pleinement aux mandats qui, aux termes de la loi, leur sont confiés par les électeurs. C’est en suivant cette voie que nous retrouverons une confiance démocratique, une confiance citoyenne.

J’ajouterai que nous pouvons répondre à d’autres exigences, déjà bien explicitées par mes collègues, bien précises. Le présent texte permettra de respecter l’égalité des citoyens dans l’accès aux charges publiques, de garantir la sincérité des élections, d’assurer tant la bonne administration des collectivités publiques que l’impartialité des titulaires de mandats. Le renouvellement de la classe politique pourra également débuter, afin de permettre aux jeunes générations issues d’horizons divers de faire leur entrée dans des fonctions exécutives.

Je me félicite que les différentes sensibilités sur le sujet aient pu s’exprimer, et nous aurons l’opportunité d’étudier au cours du débat des amendements très divers sur chacun des articles qui nous sont soumis, afin de proposer à l’ensemble de la nation le texte le plus juste qui soit, et qui réponde à une attente profonde de la population.

Pour ma part, j’ai déjà entrepris un travail en amont avec mon équipe municipale et, quelle que soit la date d’entrée en vigueur de ce texte, je quitterai ma fonction de maire pour consacrer toute mon énergie à notre assemblée. J’espère, chers collègues, que vous serez très nombreux à faire ce choix. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard.

M. Bernard Gérard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, par ce texte, le Gouvernement souhaite mettre fin à la possibilité pour le législateur d’exercer un mandat exécutif local, mandat qui est le plus proche des citoyens que nous représentons sur ces bancs. Compte tenu de l’organisation institutionnelle et territoriale de notre pays, cette interdiction globale ne me paraît pas opportune ; veillons dans nos travaux à faire preuve de pédagogie, plutôt que de démagogie comme nous y invite le Gouvernement.

En effet, le Gouvernement prétend que cette réforme renforcera le rôle et les pouvoirs du Parlement, rendra les élus nationaux plus disponibles et permettra de gagner en exemplarité, en modernité. Mon parcours d’élu et l’expérience acquise sur le terrain depuis de nombreuses années en tant que maire me donnent la conviction du contraire. Par l’exercice d’un mandat exécutif local, le parlementaire entretient un lien étroit avec la population ; et surtout il mesure, lors de l’élaboration d’une politique publique, son impact, sa pertinence au niveau local. Là où le Gouvernement voit une incompatibilité, je vois plutôt une complémentarité et un gage d’efficacité.

Dans un système comme le nôtre, dans lequel l’exécutif dispose de pouvoirs très importants, le pouvoir local incarne un contre-pouvoir salutaire. C’est bien cet ancrage local qui permet de donner plus de poids aux parlementaires. Et c’est ce qui vous dérange ! Le supprimer entraînera un affaiblissement de la représentativité de l’Assemblée mais aussi un renforcement du pouvoir en place et de la majorité. En fait, vous ne cherchez qu’à gagner sur le tapis vert ce que vous avez perdu dans le cœur des Français.

M. Jean-Frédéric Poisson et M. Patrice Verchère. Très bien !

M. Bernard Gérard. Le socialisme, c’est l’interdit pour tout ce qui concerne les institutions et la permission pour tout ce qui concerne les valeurs.

Le mandat exécutif local, outre qu’il assure l’ancrage local, permet d’acquérir une expérience de gestion et aide à la prise de décision. Dans un pays centralisé comme le nôtre, quand on est maire et qu’on devient député, on gagne incontestablement en efficacité ; on ne fait pas franchir à ses dossiers une marche seulement, mais un escalier.

Cette complémentarité a été vantée par d’éminents universitaires. Si l’on veut préserver l’Assemblée d’un splendide isolement, si nous ne voulons pas la réserver de plus en plus à une élite, fût-elle socialiste, il faut maintenir ce gage de complémentarité, dont l’abolition nous éloignerait des territoires.

Plutôt que la France des appareils politiques, nous voulons défendre la France des territoires. Cette France des territoires, vous la malmenez depuis un an, avec la réforme territoriale, avec le redécoupage cantonal et demain avec d’autres mesures, telles que la proportionnelle, qui feront de notre assemblée une assemblée d’apparatchiks déconnectée des réalités du terrain.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. Bernard Gérard. L’État PS est en route ! Cette application stricte du non-cumul ne me semble servir ni le Parlement, ni la démocratie, ni les électeurs, juste votre camp, monsieur le ministre.

Une fois de plus, vous nous demandez en urgence de nous prononcer sur une réforme majeure de nos institutions en dehors de toute réflexion globale, là où la commission Jospin, notamment, mais d’autres aussi, avaient souligné qu’avant d’interdire le cumul il fallait travailler au statut de l’élu et au fonctionnement de nos institutions.

M. Guy Geoffroy. Ils font l’inverse !

M. Bernard Gérard. Une fois de plus, vous êtes dans le contresens. Avec ce texte, vous alimentez à mauvais escient la défiance à l’égard des élus. Vous pensez sans doute qu’en favorisant des députés qui ne seront plus que des hommes d’appareil, vous travaillez à un progrès ; vous opérez là un contresens institutionnel, qui n’a pour but que de servir vos intérêts politiques, à l’heure où les Français rejettent massivement la politique que vous menez. Je voterai contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Verchère, dernier orateur inscrit.

M. Patrice Verchère. Monsieur le président, député-maire de Chalon-sur-Saône (Rires), monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, ex-député-maire d’Évry, chers collègues, les enjeux de ce texte touchent au fonctionnement de nos institutions, mais pour autant votre réflexion n’est pas aboutie.

En effet, la question du cumul devrait être traitée dans le cadre d’une réflexion de fond sur l’équilibre des pouvoirs, les rapports entre l’État central et les collectivités, et le statut de l’élu dans sa globalité. La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique avait d’ailleurs affirmé que l’interdiction du cumul devait s’accompagner de l’élaboration d’un statut de l’élu. Or, si une mission d’information a effectivement réalisé un rapport sur ce sujet, aucun projet de loi n’a en revanche été déposé.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est exact !

M. Patrice Verchère. Mes chers collègues, dans une démocratie représentative, tout est lié : vouloir n’étudier qu’un aspect, en l’occurrence le cumul, en écartant la question du statut de l’élu et en n’abordant pas la question du renforcement des moyens du travail parlementaire, risque d’aggraver le déséquilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, dans un pays qui, malgré la décentralisation, reste très jacobin.

Avec la disparition du cumul, c’est un contre-pouvoir indéniable qui disparaît. On nous dit que cette interdiction permettra le renouvellement du personnel politique. Comment peut-on croire à cette fable ? Ce texte ne concerne que 899 parlementaires, alors que le nombre d’élus locaux s’élève en France à 600 000.

On nous dit que cette interdiction permettra aux parlementaires de mieux travailler, d’être plus présents à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Or il n’aura pas échappé à mes collègues que rien ne prouve une différence d’assiduité entre un parlementaire exerçant un mandat local et un parlementaire sans mandat local. D’ailleurs, des organismes indépendants établissent un classement des députés les plus assidus, et force est de constater que ceux qui cumulent sont nombreux en tête dudit classement.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !

M. Patrice Verchère. Le projet de loi se base sur un constat purement quantitatif, se contentant de désigner la France comme une exception. Ce désir de conformisme traduit un déni de ce qui fait le particularisme de la France : le lien social unique entre l’élu et le citoyen, la relation privilégiée entre le député-maire et ses concitoyens. Il est regrettable que votre projet de loi se base uniquement sur une réalité statistique et non sur une réalité sociologique.

En construisant un mur entre un mandat de parlementaire et un mandat exécutif local, le projet de loi tend à déconnecter le premier de la réalité du terrain. Cette séparation crée le risque d’un décalage entre les aspirations des citoyens et la volonté politique.

Plus encore, il apparaît un risque lié à la désignation du candidat à l’élection législative ou sénatoriale. Cette procédure s’effectue souvent selon différents critères, dont celui de l’ancrage local. Or, en écartant tout exercice simultané de mandat parlementaire avec un mandat exécutif local, vous risquez de faire de ces scrutins ceux des partis et non ceux des électeurs.

M. Georges Fenech. Bien sûr !

M. Guy Geoffroy. C’est la Quatrième !

M. Patrice Verchère. La désignation des candidats serait en effet le fruit de considérations purement politiques, voire népotiques. L’homme de terrain, connaissant les moindres recoins de sa circonscription, se verrait alors lésé au profit du candidat ignorant tout de son territoire d’élection, mais connaissant les moindres recoins de la rue de Solférino. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Très bien !

M. Patrice Verchère. Voilà pourquoi, tenant compte de la volonté de la majorité et du Gouvernement, il serait préférable de permettre à un parlementaire de continuer d’exercer ses attributions au sein d’un exécutif local en modulant l’incompatibilité, ou en limitant, mais non en interdisant, le cumul.

L’article 3 du projet nous explique quant à lui que tout parlementaire démissionnaire est remplacé de plein droit par son suppléant. Le passage par une élection partielle est donc totalement écarté et l’onction démocratique snobée. Pour quelle raison ? La peur du peuple ? Fruit d’une élection et comportant la fonction de représentant de la nation, la charge de parlementaire en devient transmissible, et ce à la guise de son titulaire, au mépris des électeurs. Ces derniers, qui ont accordé leur confiance à l’homme de leur territoire, voient donc leurs suffrages méprisés.

Par ces temps où vous cherchez la transparence absolue, en raison, monsieur le ministre, de l’affaire de l’un de vos anciens collègues, la démocratie représentative exige, elle, la clarté la plus absolue dans la désignation de ses parlementaires. Or, avec votre texte, la volonté du démissionnaire efface le fait électif ; c’est un déni de démocratie.

Mes chers collègues, prenons garde de ne pas corriger les excès de certains d’entre nous par d’autres excès. En effet, depuis quelques semaines, nous sommes en train d’aligner les lois qui montrent du doigt les parlementaires. Cessons de stigmatiser les parlementaires car, à cette allure, les tribunaux révolutionnaires nous attendent et nous finirons comme notre premier président, Jean-Sylvain Bailly. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Monsieur le ministre, priver les parlementaires d’un ancrage local me semble tout à fait contraire à l’esprit de nos institutions, de notre histoire et d’un aménagement harmonieux du territoire national au service de tous les Français. J’espère que les débats qui vont s’ouvrir nous permettront de vous convaincre de revenir sur l’interdiction du cumul du mandat de parlementaire avec une fonction exécutive locale, tout en proposant, et ce dans le consensus, une étape supplémentaire dans la limitation du cumul des mandats et des fonctions pour l’ensemble des élus, qu’ils soient nationaux ou locaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La discussion générale est close.

Je vous confirme, cher collègue, que je suis de fait député-maire de Chalon-sur-Saône, mais n’ayez aucun doute quant au sens de mon vote sur le texte proposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Jean-Luc Reitzer. Quelle démagogie !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Mesdames et messieurs les députés, je ne serai pas long : il y a eu quatre motions de procédure, une longue discussion générale, de très grande qualité, et nous examinerons dans un instant articles et amendements.

Je remercie la majorité pour son soutien. Des voix divergentes se sont exprimées au sein de celle-ci, mais je salue les interventions de Mme Dumont, M. Dolez et M. Coronado, qui, au nom de leurs groupes respectifs, et à la suite du rapporteur, au travail et à la compétence duquel je rends de nouveau hommage, ont apporté leur soutien à ce texte, avec leur talent mais aussi leur expérience locale. Cette expérience, sur des territoires très différents, est aussi légitime que celle de ceux qui s’opposent à la réforme, et elle montre bien que l’argument tendant à dessiner la figure d’un député privé d’ancrage territorial ne tient pas une seule seconde. L’argument concernant les apparatchiks ne tient pas une seule seconde, pas plus que l’argument sur des fonctionnaires liés à je ne sais quelle formation politique.

M. Guy Geoffroy. Mais si ! Il ne suffit pas d’affirmer, démontrez !

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Geoffroy, je ne sais comment cela se passe chez vous, mais si je pouvais aller jusqu’au bout de mon intervention, sans avoir droit à vos vociférations, ce serait moins pénible.

M. Guy Geoffroy. Mais nous avons le droit de réagir !

M. Manuel Valls, ministre. Je sais que vous êtes un habitué de ce procédé, alors qu’une fois à la tribune, vous êtes doux comme un agneau. C’est difficile d’avoir avec vous une discussion digne de ce nom.

L’intervention de l’ancien maire d’Aurillac, M. Calmette, était de ce point de vue très claire. Nous connaissons les caractéristiques de son département : au centre de la France, rural et qui nécessite un ancrage – M. Calmette était d’ailleurs intervenu au moment du débat sur le scrutin départemental. Encore une fois, grâce au scrutin majoritaire à deux tours qui nécessite la présence des parlementaires et conforte ce lien avec les citoyens, cet ancrage sur le terrain, indispensable pour celles et ceux qui font la loi, sera préservé.

Ces arguments visent donc à empêcher cette réforme, ce changement et cette modernisation. Vous nous renvoyez à la tradition de la Ve République : non, le cumul a été également caractéristique – même si les situations étaient différentes puisque les lois de décentralisation n’existaient pas – de la IVe République. Nous pourrions évoquer l’esprit des IIIe et IVe Républiques. Édouard Herriot, maire de Lyon et président du Sénat, cumulait un certain nombre de mandats. En revanche, pardon de vous le rappeler, les deux premiers présidents de la Ve République, le général de Gaulle et Georges Pompidou, n’étaient pas des cumulards : ils n’avaient pas occupé de fonctions à la tête de collectivités territoriales. Leur histoire…

M. Claude Goasguen. Mais il n’y avait pas de cumul !

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Goasguen, le gaullisme, ce n’est pas votre histoire, je le sais bien.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas la vôtre non plus.

M. Manuel Valls, ministre. Mais, en tout en état de cause, ils ne cumulaient pas et leur ancrage dans la réalité du terrain était, pour le premier d’entre eux, né de l’histoire. Ce n’est donc pas un argument lié à l’histoire de la Ve République.

D’ailleurs, son Premier ministre Michel Debré – l’un des auteurs majeurs, si ce n’est le principal, de notre constitution – était favorable au non-cumul, parce qu’il pensait que la préservation de l’équilibre des institutions de la Ve République nécessitait de donner ce temps indispensable aux parlementaires. Votre argumentaire ne tient donc pas. Il existe une tradition, dont je ne conteste pas la réalité. Elle fait partie de notre vie politique et je l’ai rappelée avec d’autres. Nous avons eu un certain nombre de responsabilités, mais je crois qu’il est temps de tirer les leçons de la décentralisation.

M. Claude Goasguen. Il faut en ce cas décentraliser le pays !

M. Manuel Valls, ministre. J’ai entendu sur tous les bancs dire que nous sommes « un pays centralisé ». Assurément, mais ne balayons pas d’un revers de la main les différentes lois qui ont approfondi la décentralisation et les pouvoirs. D’ailleurs, l’une de vos collègues – Marietta Karamanli, sauf erreur de ma part – soulignait que les collectivités n’avaient pas beaucoup de pouvoir. C’est faux. Les collectivités territoriales, les départements, les régions, les municipalités ont un certain nombre de pouvoirs très importants.

M. Claude Goasguen. Des pouvoirs délégués par l’État !

M. Manuel Valls, ministre. Délégués par l’État certes, mais dans le cadre des lois de décentralisation, dont le principe est même désormais inscrit dans la constitution. C’est un étrange argument de nous expliquer que nous sommes un pays décentralisé et que les collectivités n’ont pas de pouvoir pour justifier le cumul des mandats.

M. Claude Goasguen. Mais bien sûr !

M. Manuel Valls, ministre. Je veux saluer l’intervention de M. Tardy, pionnier au sein de son groupe, et je vous invite à le suivre. Je regrette d’ailleurs les propos de M. Le Maire, qui se livre à un exercice classique, en s’opposant au projet sous prétexte que celui-ci n’irait pas assez loin. Ce n’est au fond qu’une autre manière de respecter la consigne de sa formation politique.

M. Daniel Fasquelle. Ce n’est pas ainsi chez vous ?

M. Dominique Le Mèner. Quand on ne respecte pas la consigne, on est viré !

M. Manuel Valls, ministre. On nous dit qu’il faudrait aller plus loin et que ce texte n’a rien d’une réforme. C’est faux. Ce texte amorce un vrai changement et constitue une véritable révolution démocratique. Il met en œuvre un engagement du Président de la République. Je m’adresse aussi bien à M. Le Maire qu’à M. Valax : il n’était pas possible d’appliquer cette réforme en 2014 pour des raisons politiques évidentes que j’assume. Elle représenterait au cœur de cette législature…

M. Guy Geoffroy. La Bérézina de la société !

M. Manuel Valls, ministre. Mais qu’en savez-vous ? Laissez les électeurs choisir ! (Exclamations et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Nous verrons bien ce qui se passera en 2014. Le choix leur appartient. Je vous rappelle, mesdames et messieurs de l’opposition, les résultats de 2008, de 2010 ou de 2011 : cela ne vous a pas empêchés d’aller jusqu’au bout de la législature ni de voter un certain nombre de lois. Ne confondez pas les scrutins. Je suis respectueux du choix des électeurs. Nous verrons bien quels seront leurs choix aux élections municipales de 2014 et aux élections régionales et départementales de 2015.

Organiser une mini-dissolution à travers toute une série de partielles n’aurait aucun sens.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. Le Conseil d’État a bien fait de le rappeler, d’autant que cela poserait sur le plan constitutionnel un certain nombre de problèmes. Ne soyons pas plus royalistes que le roi. Ce qui importe, c’est que cette disposition – nous l’avons tous dit, vous l’avez tous dit – va représenter un changement profond, et celui-ci doit s’organiser avec méthode. Cela aurait pu être fait avant, mais vous ne l’avez pas fait. Ce sont à chaque fois des gouvernements de gauche qui ont limité le cumul des mandats. Désormais, ce cumul sera strict et il doit l’être jusqu’au bout. En effet, il ne peut pas y avoir de confusion entre un mandat de parlementaire et un mandat exécutif.

Je regrette bien sûr, même si je les ai écoutées avec beaucoup d’attention, les interventions de MM. Schwartzenberg, Giraud et Laurent, défenseurs de la tradition républicaine. M. Laurent a raison de dire qu’il ne s’agit ni de retourner vers la IVe République ni d’aller vers la VIe : je pense comme lui qu’il faut renforcer la Ve République. Je crois que nos institutions actuelles sont bonnes pour notre pays :…

M. Nicolas Dhuicq. Pourquoi les détruire en ce cas ?

M. Manuel Valls, ministre. …elles sont souples, elles permettent l’alternance. Il faut garantir leur solidité. Cette réforme s’inscrit pleinement dans le cadre de la Ve République. La République en effet n’est pas un conservatoire, elle est aussi un laboratoire où perfectionner notre démocratie. C’est ce que le Gouvernement vous appelle une nouvelle fois à faire. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Discussion des articles
(projet de loi organique)

M. le président. J’appelle maintenant dans le texte de la commission les articles du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

Article 1er

M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous aurons largement l’occasion de revenir sur le contenu de cet article, puisqu’il y a de nombreux amendements. J’ai déjà rappelé quelle était la position de notre groupe sur cet article dont nous demanderons la suppression le moment venu.

Nous avons déposé un amendement qui vise à retirer aux parlementaires la possibilité d’exercer, en plus des fonctions exécutives dans les communes, les fonctions exécutives dans les intercommunalités, prenant acte de l’évolution du scrutin par lequel nous désignerons désormais les conseillers intercommunaux.

Comme Sergio Coronado l’a rappelé hier, il est vrai que, sur le fonctionnement les institutions, nos visions divergent. Prenons-en acte. Cela n’est pas si problématique et ce ne sera ni le premier ni le dernier sujet sur lequel nous ne serons pas d’accord. Mais je n’ai pas entendu jusqu’ici l’ombre d’une démonstration, si ce n’est que ce serait moderne – je ne sais pas ce que cela signifie – et très attendu par la population – je n’en suis pas certain et n’en vois pas de signes particuliers.

M. François Loncle. Franchement…

M. Jean-Frédéric Poisson. Les autres arguments sont également donnés comme des postulats sans autre forme de procès. Je regrette donc que nous n’ayons pas davantage de corps dans ces arguments : cela nous permettrait peut-être de mieux comprendre les choses en cours. Je ne peux m’empêcher de voir dans cette réforme un certain nombre d’intentions qui ne sont pas écrites telles quelles dans le texte.

Pour conclure, je veux revenir sur la liberté de vote au sein de notre groupe, qu’évoquait plus tôt M. Valls. Chez nous, cette liberté existe, au point que, sur des textes très importants, nous donnons volontiers des temps de parole aux députés qui ont des avis opposés à celui du groupe, comme vous l’avez vérifié il y a quelques instants encore. J’aimerais voir que la réciproque est vraie et qu’il en va de même sur tous les bancs de cette assemblée. J’aimerais ne pas entendre dans les couloirs qu’il existe des pressions ou des manières peu amènes de faire évoluer l’avis des parlementaires de votre groupe sur ce sujet. Avant de critiquer le fait qu’un certain nombre de nos collègues pourraient prendre des positions un peu moins ouvertes sur le texte que vous défendez et nous accuser de pratiquer une forme de violence mentale sur nos collègues, faites d’abord le ménage chez vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Cet article 1er liste toutes les interdictions de cumuler un mandat de parlementaire avec un mandat local et il est marqué du sceau de la radicalité et du dogmatisme. Vous affirmez qu’un ancrage local est nécessaire, mais vous en empêchez à peu près toutes les applications : aux fonctions de chef de l’exécutif, mais aussi de membre des exécutifs. En quoi un poste d’adjoint ou de maire délégué d’une petite commune empêcherait-il d’être un parlementaire ? De même pour une fonction de vice-président d’un syndicat mixte de pays, par exemple. En réalité vous ne voulez plus d’ancrage local ! Vous voulez le mandat unique qui ne dit pas son nom.

Combien de fois n’a-t-on pas reproché à de grands politiques leur absence de mandat local, qui confère la légitimité aux yeux de beaucoup ? On voit par exemple dans le cas du mandat européen combien il est difficile pour un parlementaire européen de se faire connaître et de faire connaître son travail.

Quand on est élu, plus que pour toute autre activité, il y a du sens à être « de quelque part ». Vous avez convoqué l’histoire, M. le ministre, en évoquant le général de Gaulle et le président Pompidou. Certes, ils n’avaient pas de mandat local. Mais je voudrais vous citer d’autres hommes politiques dont le nom est indissolublement lié à un lieu.

M. Claude Goasguen. François Hollande et la Corrèze !

Mme Annie Genevard. Ne dit-on pas d’Antoine Pinay qu’il était le sage de Saint-Chamond ? Valéry Giscard d’Estaing n’est-il pas lié à Chamalières ? Pierre Mauroy, que vous avez enterré il y a peu, disait de son mandat de maire à Lille que c’était sa « courroie d’enracinement ». Citons aussi Gaston Defferre, père des lois de décentralisation. Son nom et son destin ne sont-ils pas liés, comme ceux de M. Gaudin, à Marseille ? Plus récemment, Jacques Chirac et François Hollande ne sont-ils pas liés à la Corrèze ? Le mandat local, l’enracinement local font aussi l’homme politique national. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Et Mitterrand !

M. le président. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, vous nous dites que votre loi est simple, mais de fait elle va créer deux inégalités majeures. Tout d’abord, entre députés et sénateurs, puisque les sénateurs qui seraient élus ou réélus maires en 2014 et qui seraient élus sénateurs en 2014 pourraient exercer un mandat plein de maire, ce qui sera refusé aux députés.

Ensuite, vous méprisez terriblement les élus locaux et territoriaux, puisque vous considérez qu’un député pourra continuer à être conseiller général ou conseiller régional, comme si ces fonctions consistaient à ne rien faire. Quel mépris, une fois de plus, pour la ruralité et les élus locaux !

Mais votre loi est intelligente, car elle aura pour effet d’enraciner les vedettes, les apparatchiks et les alpha du système qui trouveront toujours le moyen d’avoir une place et, grâce à votre future loi sur la proportionnelle, d’être élus têtes de liste.

M. Daniel Fasquelle. Eh oui !

M. Nicolas Dhuicq. Et vous vous essuierez les pieds sur les lambda qui seront vos jeunes trentenaires, apparatchiks nommés par le parti, aux ordres du Gouvernement et du parti dont dépendront naturellement les investitures futures. Vous allez créer l’immobilité absolue chez vos leaders pour rester au pouvoir. Quel coup terrible pour la République et la démocratie !

Vous détruisez la Ve République. Vous avez déjà voulu, dans votre histoire, porter atteinte au suffrage universel direct, au lien direct du Président de la République avec le peuple. Comme ce lien direct des élus avec le peuple vous gêne et que vous ne flattez que les corps intermédiaires, vous nous proposez une loi délétère qui va détruire la Ve République, laquelle a pourtant su affronter vents et marées – et alternances.

M. François Loncle. C’est du délire !

M. Nicolas Dhuicq. Vous êtes ministre aujourd’hui, vous serez à nouveau député demain, en position de trouver un siège au Parlement européen un jour, et puis de revenir au Parlement : vous faites partie des alpha, monsieur le ministre. Vous vous essuyez les pieds sur les jeunes et sur vos propres troupes pour conserver le pouvoir que vous chérissez tant ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gosselin-Fleury.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. L’article 1er met un terme au cumul du mandat de parlementaire avec les fonctions exécutives locales. Le cumul des mandats est une particularité française, une constante dans notre histoire constitutionnelle (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP) qui remonte au XIXe siècle. Cette longue histoire du cumul ne doit cependant pas être un argument pour continuer dans cette voie car au cours de la Ve République, cette pratique a atteint des proportions bien trop importantes.

C’est la majorité de gauche qui, déjà, en 1985 et en 2000, a introduit des limites au cumul des mandats avec certaines fonctions. Par ce nouveau projet de loi, le gouvernement socialiste met en œuvre la promesse de campagne du Président de la République. Suivant les recommandations du rapport Jospin mais aussi du rapport Balladur, le projet de loi entend interdire l’exercice de fonctions exécutives locales par les députés et sénateurs. Il complète ainsi les incompatibilités déjà prévues par le code électoral. Rappelons que les députés ont décidé en commission d’élargir le périmètre d’interdiction aux fonctions de président et de vice-président d’un syndicat mixte ou de l’organe délibérant de toute collectivité territoriale créée par la loi.

Cet article majeur du projet de loi conduit le Parlement dans la voie de la modernisation. Cette réforme permettra aux parlementaires de se consacrer entièrement à leur mandat. Elle conduira aussi nécessairement à un renouvellement des élus tant au niveau national que local, élément essentiel à la revitalisation de notre démocratie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Chabanne.

Mme Nathalie Chabanne. « Ridicule », « populiste », « dangereux »… Les adjectifs utilisés pour qualifier ce projet de loi et les nouvelles incompatibilités que propose son article 1er ont été nombreux. J’ai entendu que les élus locaux apportaient la vie réelle à l’Assemblée et que, désormais, les députés seraient coupés du terrain.

M. Nicolas Dhuicq. C’est vrai !

Mme Nathalie Chabanne. J’ai entendu également qu’à l’avenir, les députés seraient tous des apparatchiks,…

M. Nicolas Dhuicq. Exactement !

Mme Nathalie Chabanne. …dépendant du pouvoir exécutif et de leur parti politique, et même qu’ils seraient des « fonctionnaires de leur parti ». J’ai entendu parler d’affaiblissement du pouvoir parlementaire. (« C’est vrai ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Quelqu’un a même dit que ce n’était pas sain pour la démocratie.

Mes chers collègues, soyons sérieux !

M. Jean-Luc Reitzer. Nous le sommes !

Mme Nathalie Chabanne. J’espère que de tels propos s’inscrivent dans une logique d’opposition par principe, susceptible de sombrer dans le déraisonnable, mais que vous ne les pensez pas vraiment.

Si interdire le cumul des mandats revient à affaiblir le Parlement, que pensez-vous des membres du Congrès américain pour lesquels il est proscrit ? Sont-ils trop faibles, trop dépendants du pouvoir présidentiel ou de leur parti ? Que pensez-vous des parlementaires britanniques qui ne sont que 3 % à exercer un autre mandat ? Et que penser des Italiens, des Espagnols, des Suédois ?

M. Claude Goasguen. Il s’agit d’États très décentralisés !

Mme Nathalie Chabanne. La France, seul pays européen à permettre et à user de manière aussi massive du cumul des mandats, serait-elle aussi le seul où les parlementaires effectueraient un travail rigoureux, en adéquation parfaite avec les attentes des électeurs ? Le seul où le pouvoir parlementaire est fort face au pouvoir exécutif ou aux partis politiques ? Bien sûr que non !

Je suis moi-même en situation de mandat unique. Suis-je déconnectée pour autant de la vie réelle ? Suis-je « déracinée », pour reprendre le mot de M. Poisson ? Pensez-vous qu’il n’y a que les cumulards qui fassent preuve d’efficacité dans leur travail parlementaire ?

M. Jacques Myard. À vous entendre, certainement !

Mme Nathalie Chabanne. Mes chers collègues, soyons sérieux, vos arguments ne tiennent pas ! J’ai même envie de vous dire merci car ils démontrent par l’absurde la nécessité de cette réforme, l’urgence d’en finir avec des pratiques archaïques qui font de notre système parlementaire un système rustre et conservateur depuis trop longtemps, l’importance de moderniser notre république et notre modèle démocratique.

Il faudra d’ailleurs et sans nul doute aller plus loin. D’autres étapes sont à construire, comme la limitation du cumul dans le temps, qui ne fait pas encore suffisamment consensus apparemment. Mais c’est vers cet objectif que nous devons tendre, et vite. L’enjeu d’une classe politique rénovée et novatrice, c’est bien le cœur du débat. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Orphé.

Mme Monique Orphé. Je tiens tout d’abord à saluer la réalisation d’un engagement pris par le Président de la République, et surtout une réforme initiée une nouvelle fois par la gauche, dans le prolongement de celles engagées de 1985 et 2000. Comme par le passé, c’est donc un gouvernement de gauche qui a le courage de faire avancer ce débat. Celui-ci n’a certes pas été facile, mais ne rien faire aurait été vécu par nos concitoyens comme un recul de la majorité sur ce sujet.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’aurait pas été le seul !

Mme Monique Orphé. L’article 1er répond à un des objectifs majeurs de cette réforme : la modernisation de la vie politique. Cette modernisation s’articule autour de trois principes : la transparence, l’ouverture et la disponibilité. En élargissant le champ des incompatibilités, le Gouvernement réduit encore un peu plus l’ambiguïté qui peut exister dans les rapports entre l’intérêt local et l’intérêt général.

Je tiens ainsi à souligner que le travail législatif est aussi important que le travail en circonscription. Pour bien légiférer, il faut certes garder le contact avec les réalités quotidiennes de la population, mais il n’est pas besoin d’être à la tête d’un exécutif pour bien travailler. Je n’ai pas attendu cette loi pour démissionner de ma fonction exécutive…

M. Claude Goasguen. Vous avez bien fait !

M. Guy Geoffroy. Bravo !

Mme Monique Orphé. …car je savais que pour défendre pleinement mon territoire, La Réunion, confronté à de graves difficultés économiques et sociales, il fallait être disponible, un choix imposé également par l’éloignement.

À ceux qui veulent exclure l’outre-mer de cette réforme, je dis haut et fort qu’ils ont tort ! En revanche, il faut mener une réflexion sur le fonctionnement du Parlement, comme l’a souligné M. le rapporteur. Concentrer les travaux sur trois jours, voire deux, et légiférer lors de très longues séances de nuit ne sont pas des conditions de travail soutenables.

M. Marc Dolez. Très juste !

Mme Monique Orphé. Pour conclure, j’estime que cette nouvelle réforme devrait aboutir à plus ou moins long terme à une assemblée rénovée, à l’image de notre société. L’accès aux responsabilités politiques devrait permettre l’émergence de nouveaux talents au sein des instances locales et nationales. En tant que vice-présidente de la délégation des droits des femmes,…

Un député du groupe UMP. Elle cumule !

Mme Monique Orphé. …je souhaite que ce projet de loi ait un impact réel sur l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est une opportunité nouvelle pour faire progresser la parité en politique. Mais je sais que la loi seule ne suffit pas, car on peut la contourner, et qu’au-delà du texte, il faudra une véritable volonté politique pour parvenir dans ce domaine à l’égalité réelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Corre.

Mme Valérie Corre. Nous voilà devant un projet de loi historique. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) Nous voilà à un pas de traduire dans le réel le non-cumul des mandats, une revendication ancienne de la gauche et, au-delà, les sondages le démontrent, une attente profonde de tous les citoyens. Et ils ont raison car, au même titre que nous avons su adapter le code civil aux évolutions des modes de vie, nous nous devons d’adapter les règles de la vie politique aux nouvelles attentes démocratiques de nos concitoyens : plus de transparence, ce qui trouve son écho dans le projet de loi sur la moralisation et la transparence de la vie publique, et plus de participation à la chose publique, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en étant la traduction.

Nous ne pouvons ignorer le rejet massif du cumul par nos concitoyens, devant lesquels nous sommes tous responsables. C’est d’eux qu’émane notre mandat. L’ignorer reviendrait à bafouer le principe même du pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Si nous voulons inverser la tendance du désintérêt grandissant voire du mépris pour le politique, si nous voulons réellement restaurer la confiance dans les politiques publiques et dans ceux qui les font, nous devons commencer par balayer devant notre propre porte et graver dans le marbre le non-cumul des mandats.

Je suis donc particulièrement fière de faire partie d’une majorité gouvernementale qui a su enfin dépasser ce qu’on pourrait appeler l’intérêt de classe, celui de la classe politique, pour entamer le renouvellement indispensable de la vie politique. À partir de 2017, les députés et les sénateurs pourront entièrement se consacrer au travail parlementaire à Paris et sur le terrain. Cela signifiera des semaines mieux gérées, plus de temps pour écouter nos concitoyens, plus de temps pour faire la loi.

On pourrait toujours aller plus vite, plus loin. J’aurais souhaité que ce soit le cas. Mais il est vrai que l’on ne change pas les choses du jour au lendemain. Ce qui est important, c’est qu’un processus irréversible soit engagé, entraînant irrévocablement plus de renouvellement, plus de femmes, plus de jeunes, plus de diversité... entraînant de fait une assemblée plus à l’image de notre pays ! La modernisation des institutions devra être poursuivie : limitation du cumul des mandats exécutifs locaux, limitation des mandats dans le temps, mais aussi instauration du mandat unique pour tous les parlementaires.

Tout cela reviendra, vous le verrez, dans les débats publics. Aujourd’hui, réjouissons-nous d’ores et déjà du chemin parcouru pour l’intérêt général. (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe SRC.)

(Mme Sandrine Mazetier remplace M. Christophe Sirugue au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Sandrine Mazetier
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bies.

M. Philippe Bies. En rendant désormais incompatible, par l’article 1er, le mandat de parlementaire avec toute forme de fonction exécutive locale, nous allons mettre fin à une vieille tradition française, à une exception de plus en plus difficilement admise par nos concitoyens. (« Mais non ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Aujourd’hui, en tant que parlementaire qui s’est démis de ses fonctions exécutives après son élection, je ne me sens ni brimé, ni puni, ni dépossédé par ce projet de loi. Au contraire, nous sommes nombreux à considérer que cette réforme, qui va bouleverser le fonctionnement de notre vie politique, constitue la promesse d’un enrichissement, quoi que puissent en dire nos collègues de l’opposition. Je l’ai remarqué hier soir et encore ce matin : ils utilisent les mêmes arguments ringards qu’en 1985 et en 2000 ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Ringard vous-même !

M. Philippe Bies. C’est de mieux en mieux, cher collègue.

Il s’agit donc d’un enrichissement pour notre démocratie, qui profitera à tous : à nous parlementaires, cela a été évoqué à de multiples reprises, car nous pourrons nous consacrer entièrement à notre circonscription et au travail à Paris, mais aussi à celles et ceux qui souhaitent s’engager dans la vie politique, permettant ainsi une évolution des visages de la représentation nationale, un renouvellement et un élargissement du nombre d’élus. Il s’agit d’une vraie progression démocratique. Je conseille d’ailleurs à certains de mes collègues d’essayer de limiter le cumul de leurs mandats : l’essayer, c’est l’adopter, un certain nombre d’entre nous en ont fait l’expérience ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Gardez vos conseils pour vous, mon cher collègue !

M. Daniel Fasquelle. Donneur de leçons !

Mme la présidente. M. Bies a seul la parole, mes chers collègues.

M. Philippe Bies. Notre fonction de législateur nous permet d’accompagner, de soutenir et même de stimuler les évolutions de la société française. La réforme est évidemment l’objectif de chaque gouvernement. Nos convictions guident le sens que nous voulons lui donner. Dès lors comment pourrions-nous penser que seules nos pratiques politiques ne soient pas concernées par de nécessaires évolutions ? Comment admettre que nous puissions nous en exonérer nous-mêmes alors que nous arrivons au bout d’un système, comme l’a rappelé à juste titre notre rapporteur ?

M. Jacques Myard. C’est vous qui êtes à bout de souffle !

M. Philippe Bies. La recrudescence d’exigence de nos concitoyens vis-à-vis de la manière dont nous exerçons nos mandats est une bonne nouvelle pour la démocratie. Il serait irresponsable de décevoir cette attente, qui plus est dans un moment de crise où ceux qui nous ont accordé leur confiance attendent de nous un engagement fort. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alexis Bachelay.

M. Alexis Bachelay. La fin du cumul des mandats, c’est comme pour les dinosaures, c’est la chronique d’une extinction programmée ! Le cumul des mandats, c’est l’anomalie inavouable de la Ve République, une anomalie qui contribue à l’abaissement de notre parlement, dégrade l’esprit public, nuit au bon fonctionnement des institutions et de notre organisation démocratique.

Une anomalie, disais-je, mais une anomalie bien française puisque la France est la championne du monde du cumul des mandats. Dans aucune autre démocratie moderne on ne retrouve un tel niveau de cumul entre des fonctions exécutives locales et des fonctions parlementaires. Une anomalie de plus en plus honteuse…

M. Jean-Luc Reitzer. Il n’y a pas de honte à avoir été élu !

M. Alexis Bachelay. …car les élus assument de moins en moins publiquement le fait d’être cumulards, vous le savez très bien, messieurs de l’opposition. Vous vous drapez derrière des alibis qui s’appellent « ancrage local » et « défense du territoire » mais ce sont de curieux alibis en vérité, car un député est par essence proche de son territoire et ancré localement, puisqu’il est élu au suffrage universel direct, issu d’une circonscription !

M. Nicolas Dhuicq. Pour le moment ! Attendez la proportionnelle et vous allez voir !

M. Alexis Bachelay. Le fonctionnement même de notre assemblée reflète cet état de fait et ces contradictions. En effet, doit-on se satisfaire d’une assemblée qui fonctionne en surchauffe pendant quarante-huit heures, et dont nombre de membres repartent le mercredi soir venu dans leur circonscription pour faire face à leurs responsabilités locales ? Est-ce satisfaisant ? Apparemment oui pour vous. Pas pour nous.

Je considère que le Parlement de demain, qui contrôlera plus efficacement l’exécutif, permettra une coproduction fructueuse entre députés et Gouvernement et engagera des missions d’évaluation et d’information sur toutes les lois, tous les sujets, reste à construire.

M. Nicolas Dhuicq. Vous serez aux ordres !

M. Alexis Bachelay. En cela, l’article 1er du projet de loi que nous examinons ce matin constitue une première pour la modernisation de la Ve République, et donc une avancée démocratique majeure attendue par les Français. C’est pourquoi nous devons voter cet article. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. De nombreux élus du groupe UMP étaient inscrits sur l’article 1er, mais ne sont pas là pour prendre la parole. Serait-ce dû au cumul ? Je ne fais que m’interroger, mes chers collègues, je ne veux pas déclencher les foudres de l’UMP !

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai eu la possibilité d’être élue et adjointe d’une municipalité, et ce fut une expérience très enrichissante. Mais conformément à l’engagement que j’avais pris devant mes concitoyens, j’ai choisi de quitter ce mandat exécutif local afin de me concentrer sur celui de député.

Ce choix n’engageait pas que moi. Il engageait tous ceux et toutes celles qui nous ont fait confiance pour initier un nouveau temps politique, et également mes collègues qui, conformément aux engagements de François Hollande, soutiennent la réforme du non-cumul des mandats.

Je ne me sens pas pour autant, depuis juin 2012, éloignée des réalités de terrain. Je ne me sens pas non plus isolée de nos concitoyens ni des élus des territoires. Comme vous, j’ai passé mes week-ends du mois de juin à participer à des manifestations et à des fêtes.

Suis-je une députée hors sol ? Je ne le crois pas. Je travaille comme je l’ai toujours fait, en équipe, en cohérence avec mes convictions et mes engagements, en étant, comme chacun d’entre nous, présente dans ma circonscription et ici même. Chacun des textes que nous sommes amenés à discuter se nourrit des échanges que nous avons, des interpellations de nos concitoyens, de leurs élus et des relais citoyens, et cela tant au niveau national que local.

Un élu qui ignorerait ses racines, qu’elles soient politiques ou électives, se condamnerait à l’isolement. Un élu qui voudrait, aujourd’hui, concilier l’exigence de son mandat parlementaire et de son mandat exécutif se condamnerait, à terme, sinon à l’épuisement, au moins à hiérarchiser l’un au détriment de l’autre.

Il nous fallait choisir, nous le faisons : nous ne cumulerons plus parce que la voie sur laquelle nous nous engageons est celle du renouvellement des pratiques politiques, de la démocratie réelle et du respect des institutions, que nous construisons en particulier grâce à l’affirmation de notre politique de décentralisation.

Je suis convaincue que notre société est prête pour ce changement, et cela, le plus rapidement possible. C’est un calendrier plus lointain qui a été proposé. On peut le regretter, mais cette loi est une loi d’équilibre. Reste que le choix politique que nous allons faire marque la fin d’une anomalie…

M. Jacques Myard. Anomalie vous-même !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. …et le renouvellement du pacte de confiance passé entre nos concitoyens et leurs représentants. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, le temps de parole pour une intervention sur l’article est habituellement de deux minutes, pas deux minutes trente ou deux minutes quarante.

Par ailleurs, il est souhaitable que la présidence puisse entendre les orateurs. Si tout le monde s’interpelle sur les bancs, je n’entends pas l’orateur et c’est très désagréable.

La parole est à M. Gilles Lurton, pour deux minutes donc.

M. Gilles Lurton. Monsieur le ministre, après le texte sur la transparence de la vie publique, votre gouvernement stigmatise une fois de plus les parlementaires démocratiquement élus.

En supprimant la possibilité pour un élu local de siéger en même temps à l’Assemblée ou au Sénat, vous allez priver le Parlement d’une chance inestimable. Cette chance, c’est la capacité des élus à éclairer les textes de leurs expériences concrètes de terrain.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Gilles Lurton. Par leur connaissance de la complexité de notre organisation décentralisée, par une action quotidienne au service des habitants de notre pays, par la capacité aussi à évaluer sur le terrain l’application des lois votées par le Parlement, la présence de parlementaires titulaires d’un mandat exécutif local me paraît être une contribution essentielle au travail législatif.

Depuis un an, j’ai souvent pu remarquer la pertinence des interventions de ces parlementaires confrontés aux réalités quotidiennes de leur mandat local, et nombreux sont ceux qui, dans votre majorité, le reconnaissent. Vous-même, monsieur le ministre, avez récemment affirmé votre attachement à votre mandat de maire et à son lien avec, selon vos propres termes, « la belle responsabilité de législateur ».

Pourquoi, alors, s’obstiner à cette interdiction stricte qui ne fera qu’altérer les travaux du Parlement et décrédibilisera encore plus nos institutions ?

Vous le verrez, monsieur le ministre, le législateur ne sera plus élu pour ses capacités reconnues par ses électeurs, mais pour la place qu’il occupera au sein de son parti politique. Que vous le vouliez ou non, demain, avec votre loi, ce sera le règne des apparatchiks ! (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Chantal Guittet. À l’UMP, vous savez de quoi vous parlez !

M. Christian Jacob. Oui, nous savons de quoi nous parlons !

M. Sébastien Denaja. François Fillon était assistant parlementaire ! Moi, j’ai un métier ! Nicolas Sarkozy n’a jamais travaillé !

M. Gilles Lurton. L’accomplissement des fonctions d’élus territoriaux s’en trouvera d’autant plus compliqué qu’ils ne disposeront plus du statut qu’ils méritent.

Au final, contrairement à ce que vous dicte le populisme ambiant, votre loi ne fera que décevoir nos concitoyens et les éloigner encore plus d’une classe politique inévitablement en marge des attentes de la population. N’est-ce pas eux qui font le choix d’élire démocratiquement un maire déjà député ou un député déjà maire ? Laissez donc aux électeurs la liberté de décider qui ils veulent pour les représenter !

Mme la présidente. Merci beaucoup, monsieur Lurton, vous avez parfaitement respecté votre temps de parole !

La parole est à M. Jacques Myard, que j’invite à faire de même.

M. Jacques Myard. Ah, ces députés cumulards, monsieur le ministre ! Du gibier de potence des bandits de grand chemin, des profiteurs, de toutes les façons possibles et imaginables ! Évidemment, monsieur le ministre de l’intérieur, il faut leur faire des fouilles à corps pour savoir ce qu’ils cachent ! (Rires.)

M. Alexis Bachelay. Non, pas ça !

M. Jacques Myard. Eh bien moi, je n’ai rien à cacher, je vous le dis !

Il y a des difficultés économiques ? Alors allons-y, livrons en pâture, au café du commerce de l’antiparlementarisme, les députés cumulards ! C’est toujours la même antienne !

Pour ma part, je suis cumulard et fier de l’être. Je le dis comme je le pense.

M. Alexis Bachelay. Il faut assumer !

M. Jacques Myard. Car être élu local et avoir la chance de pouvoir aussi représenter la nation, c’est favoriser un lien institutionnel et sociologique, c’est créer une cohérence politique des territoires, qu’il faut préserver.

Il est vrai qu’à droite comme à gauche, il y a des anti-cumulards. Mais à y regarder de plus près, qui sont-ils ? En règle générale, des gens qui n’ont jamais réussi à se faire élire maire. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Scandaleux ! Zéro !

M. Jacques Myard. Vous vous êtes reconnus, chers collègues ? Attendez, ce n’est pas fini !

On sait très bien, monsieur le ministre, que les appareils veulent contrôler les élus. On nous dit que c’est une spécificité française qui n’est pas reconnue en Allemagne et en Angleterre ? Allez donc voir ce qu’il s’y passe ! J’ai vu des députés allemands qui partageaient mes idées en matière de construction européenne se faire convoquer par le chancelier Kohl et s’entendre dire : « Si vous continuez à aller assister à des réunions à Paris, vous n’aurez pas l’investiture. » Et bien ils sont rentrés dans le rang ! Voilà la réalité ! Vous mettez les députés dans la main des appareils. Vous n’y échapperez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Je vais vous raconter une petite histoire qui va vous rafraîchir la mémoire. Cette affaire du non-cumul était revenue avec Lionel Jospin. Vous vous souvenez ? Il voulait se débarrasser de Georges Frèche, qui l’embêtait, ou plus exactement, qui embêtait le parti socialiste.

M. Sébastien Denaja. Ne dites pas n’importe quoi !

M. Jacques Myard. C’est pourtant bien ce qui s’est passé ! Écoutez donc ma petite histoire, qui en dit long et devrait vous faire réfléchir : un jour, un collègue, à vrai dire un camarade pour lequel j’ai beaucoup d’estime, est venu me voir, m’a attrapé par le bras et m’a dit : « Jacques, tenez bon, c’est une bêtise. » Ce camarade pour lequel j’ai beaucoup d’estime s’appelait Jean-Marc Ayrault ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Une sorte de procès en creux est fait aux députés qui cumulent, qui seraient de mauvais députés. Je m’inscris en faux. Nous en avons fait la démonstration hier soir et nous pourrons la faire à nouveau : la preuve est faite que les députés parmi les plus présents et les plus actifs à l’Assemblée nationale sont ceux qui ont aussi un mandat local.

Un député du groupe SRC. C’est faux !

M. Daniel Fasquelle. Laissez donc à chacun la liberté de s’organiser comme il l’entend ! Le fait d’avoir un mandat local n’empêche pas d’être présent et actif à l’Assemblée. Il y a aussi des députés qui n’ont pas de mandat local et qui sont très peu présents ici et très peu actifs.

M. Sébastien Denaja. François Fillon, par exemple !

M. Daniel Fasquelle. Je ne citerai pas de nom ce matin, pour ne pas faire de peine à qui que ce soit, mais il n’y a pas de lien. Cessez de répéter qu’il y a un lien entre le fait d’avoir un mandat local et le fait d’être présent ou non à l’Assemblée nationale, car ce n’est pas le cas.

Vous dites aussi que vous n’allez pas supprimer le député de terrain. Bien sûr que si ! Vous allez introduire une dose de proportionnelle, créer des circonscriptions beaucoup plus grandes et le rapport à nos électeurs dans des circonscriptions de 200 000 ou 300 000 habitants ne sera plus le même que celui que nous avons aujourd’hui, dans des circonscriptions déjà très grandes. C’est donc bien la fin du député de terrain que vous allez signer avec ce texte de loi.

Vous dites que les députés auront plus de poids demain. Ce n’est pas vrai ! Le fait de ne plus avoir, pour certains d’entre nous, d’ancrage local fera que nous serons beaucoup moins indépendants vis-à-vis du Gouvernement et des partis politiques. C’est peut-être ce que certains cherchent, d’ailleurs : avoir une majorité docile à l’Assemblée, des députés godillots, et pouvoir passer des accords entre partis politiques, monsieur Coronado !

M. Nicolas Dhuicq et M. Jacques Myard. Très bien !

M. Daniel Fasquelle. Tout cela est un peu facile et se fait dans le dos de nos concitoyens.

Cela permettra-t-il un renouvellement ? Non, et nous en ferons la démonstration. Votre démarche est-elle cohérente ? Non, car vous permettez le cumul avec une activité professionnelle ou avec un mandat de conseiller régional ou de conseiller général.

Mme Elisabeth Pochon. Cela n’a rien à voir !

M. Daniel Fasquelle. Bien sûr que si !

J’espère que la discussion permettra de faire évoluer les choses. Vous avez un point de vue, nous en avons un autre. Pour ma part, je ne désespère pas de ce débat. Nous pouvons nous retrouver, car nous ne disons pas qu’il ne faut rien changer, nous disons simplement que ce que vous proposez ne va pas dans la bonne direction. Nous avons déposé des amendements à l’article 1er. J’espère que nous pourrons nous retrouver au moins sur certains d’entre eux.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Nicolin.

M. Yves Nicolin. Lorsqu’on est éliminé une fois sur deux à chaque élection législative partielle depuis un an, lorsqu’on sent que, chaque jour qui passe, les Français se détournent davantage de la politique que l’on mène, lorsque l’exécutif est dans la tourmente, lorsque la majorité sent que les Français se détournent d’elle, lorsque le Gouvernement sent qu’il n’a plus de prise sur les vrais problèmes des Français, il y a une tactique : celle de l’écran de fumée. Aujourd’hui, nous sommes en plein dedans et vos talents, il faut le reconnaître monsieur le ministre, sont érigés en art – je pense notamment au talent qui consiste à lancer des débats qui ne sont absolument pas prioritaires aux yeux des Français.

Car que réclament les Français aujourd’hui ?

M. Jacques Myard. Du travail !

M. Guy Geoffroy. Moins d’impôts !

M. Yves Nicolin. Ils réclament du travail, ils veulent que nous nous occupions de leurs problèmes. Ils ne se préoccupent pas du cumul des mandats !

La question fait effectivement débat dans la classe politique, mais y avait-il vraiment urgence ? Nous aurions pu nous retrouver sur certains points, mais votre texte est complètement incohérent. Vous voulez interdire à un parlementaire d’être maire d’une commune de 100 habitants, mais vous allez lui permettre, comme l’a dit Daniel Fasquelle, de continuer à travailler ! Vous allez lui permettre d’être conseiller général d’un canton de plus de 40 000 habitants ! Vous allez lui permettre d’être conseiller régional dans des régions comme l’Île-de-France ou Rhône-Alpes, qui comptent plusieurs millions d’habitants ! Cela est-il cohérent ? Non ! Cela va-t-il être compris des Français ? Non !

Résultat des courses, vous allez apparaître comme ceux qui préfèrent organiser un débat politique autour de sujets qui ne préoccupent qu’une caste : la classe politique. Vous finirez par être éliminés de toutes les élections partielles, voire des élections générales. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme Chantal Guittet. Quel don de voyance !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. Je voudrais apporter dans ce débat un éclairage qui semblera peut-être singulier, et faire entendre ma lecture de la situation.

Je suis favorable au texte sur le non-cumul des mandats, dans le sens où il procède de la modernisation de nos institutions et d’un souffle démocratique nouveau. Nous avons tous connu, autour de nous, des situations qui ne sont pas acceptables et que nos concitoyens ont rejetées.

Mais je voudrais dire également que l’appréciation de l’exercice d’une fonction parlementaire dépend forcément de la situation que chacun vit dans son territoire, dans sa circonscription.

Je constate que, chemin faisant, nous avons ajouté à l’article 1er un certain nombre d’incompatibilités nouvelles, au-delà des fonctions d’exécutif de collectivités territoriales, concernant successivement les sociétés publiques locales, les sociétés d’économie mixte, les syndicats mixtes et autres.

Ces ajouts successifs conduisent, selon moi, à isoler complètement le parlementaire dans sa fonction. Ériger une incompatibilité systématique, c’est méconnaître la diversité des situations susceptibles d’être rencontrées sur un territoire, et je pense plus particulièrement aux territoires ruraux dont je suis le représentant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Et voilà !

M. Jean-Michel Clément. La fonction exécutive d’un syndicat mixte peut effectivement participer de l’exercice même du mandat de parlementaire dès lors que les compétences du syndicat sont spécifiques et que son périmètre dépasse les limites administratives de plusieurs collectivités territoriales qui sont sur la circonscription.

Prenons l’exemple d’un SCOT, le schéma de cohérence territoriale, qui est un outil d’aménagement sur un vaste territoire rural : je crois que le parlementaire y a toute sa place, surtout s’il est sollicité pour l’animer et pour l’expliciter. En écartant le parlementaire de toutes les fonctions pour lesquelles il est souvent appelé par ses concitoyens et par ses collègues élus locaux, on l’éloigne de sa mission d’intermédiaire entre le vote de la loi et l’application de la loi.

La fonction parlementaire consiste selon moi à préparer, écrire et expliquer la loi. Pour l’exercer pleinement, il me semble que l’on ne peut pas être à l’écart de tous les mandats que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. Dans un État décentralisé, le non-cumul est de règle, la situation de tous les pays européens le prouve. On comprend, dans ces conditions, l’absence de cumul, car les régions disposent de pouvoirs fiscaux et sont en réalité en situation d’autonomie interne. Il n’est ni nécessaire ni souhaitable que les représentants de la Catalogne qui vous est chère, monsieur le ministre, ou des Länder allemands siègent également au Congreso de los Diputados ou au Bundestag.

Nous sommes hélas un régime profondément centralisé et votre loi, monsieur le ministre, accentuera la centralisation, pour la raison très simple qu’elle organise une dichotomie entre ce qui se passe au Parlement et ce qui se passe dans les collectivités territoriales. La décentralisation passera par ici. Et vous comptez demander à des députés dépourvus d’ancrage local de favoriser la décentralisation pour des collectivités locales dont ils sont dégagés ! Vous rendez-vous compte que vous organisez une fracture républicaine entre ce qui se passe au Parlement et ce qui se passe dans les collectivités locales ?

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Claude Goasguen. Vous tenez à peu près en main votre système en maintenant le scrutin majoritaire et en redécoupant les circonscriptions, mais c’est insuffisant pour perdurer. On voit bien que la logique du système, c’est la proportionnelle intégrale, qui en supprimant les circonscriptions crée des députés à plein temps.

M. Jacques Myard. À la main des appareils des partis !

M. Claude Goasguen. Et à quoi servira le Sénat, qui représente les collectivités territoriales ? Vous rendez-vous compte, monsieur le ministre, que votre système accentue la centralisation d’un État qui l’est déjà trop ? Quand la France sera décentralisée, je vous donnerai quitus, monsieur le ministre : une France décentralisée se passe de cumul. Mais la France centralisée, hélas, nous y contraint. C’est la raison pour laquelle je vous appelle à la plus grande prudence pour l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Daniel Fasquelle. Absolument ! C’est du bon sens !

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. J’ai essayé de démontrer hier que la faiblesse du Parlement n’est pas due au cumul des mandats. L’ordre du jour contraint, la procédure accélérée sur tous les textes ne doivent rien au cumul des mandats. Le vrai problème, c’est effectivement la décentralisation. Il faut donner plus de compétences aux collectivités territoriales et décharger l’État d’un certain nombre de ses prérogatives pour les répartir entre les élus. On pourra alors parler du cumul des mandats et de sa limitation, car ceux-ci seront beaucoup plus intéressants et utiles en raison de l’accroissement du pouvoir local.

Avant la limitation du cumul des mandats, il fallait donc mener à bien la décentralisation et bien sûr le statut de l’élu, plusieurs d’entre nous l’ont dit.

L’article 1er comporte d’ailleurs un point étonnant : on y indique qu’il ne faut pas cumuler un mandat de parlementaire avec un pouvoir exécutif local et on cite la présidence de l’assemblée de Polynésie française, qui n’en est pas un puisque l’exécutif relève du président du gouvernement de Polynésie française. On interdit donc le cumul d’un mandat qui n’est pas exécutif avec le rôle de parlementaire !

M. Jean-Christophe Lagarde. Très juste !

M. Francis Vercamer. En somme, on a fait de l’article 1er un fourre-tout, pour essayer de faire passer la chose. Mais on a oublié l’essentiel : il sera possible de cumuler les fonctions de parlementaire et de conseiller général d’un canton de plus de 70 000 habitants, comme dans le Nord, ou bien un mandat de maire ou de président d’agglomération et un autre de président de région ! La possibilité d’un conflit d’intérêt entre ces différents postes ne semble nullement poser problème à M. le ministre ni aux parlementaires de la majorité ! Cela en pose pourtant, et je proposerai donc par amendement de supprimer l’article 1er.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Hutin.

M. Christian Hutin. Je voudrais évoquer un problème qui à mon avis ne l’a pas été jusqu’à présent, celui du pluralisme en démocratie. On trouve dans cet hémicycle un parti socialiste fort, et je m’en réjouis. On y trouve une opposition importante, c’est une bonne chose pour la démocratie. Mais on y trouve aussi un certain nombre de partis plus petits et plus modestes qui n’en ont pas moins leur place.

M. Francis Vercamer. Tout à fait !

M. Christian Hutin. Je pense aux centristes, pour lesquels la dernière mandature n’a pas été facile.

M. Claude Goasguen. Pour les radicaux actuels non plus ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Hutin. Je m’en tiendrai à la gauche ! Je pense aussi au parti radical de gauche, dont on connaît l’histoire et l’attachement à bon nombre de valeurs, en particulier la laïcité. Et je me permettrai d’évoquer le parti dont je suis vice-président, le mouvement républicain et citoyen, qui comme les radicaux de gauche soutient le Gouvernement. L’un et l’autre disposent d’un corpus idéologique fort, dont on connaît les bonnes origines, en particulier le CERES ! Je pourrais évoquer le parti communiste et son histoire. Deux minutes n’y suffisent pas, mais on peut rappeler la participation du parti communiste à la gauche plurielle.

Ce sont des partis pour lesquels…

Plusieurs députés du groupe UMP. Et les Verts ?

M. Christian Hutin. Aussi, mais aucun d’entre eux n’est là !

M. Benoist Apparu. C’est donc qu’ils cumulent, s’ils ne sont pas là ! (Sourires.)

M. Sergio Coronado. Je suis là !

M. Jean-Christophe Lagarde. Un parti qui a deux présidents, et aucun d’entre eux n’est là !

Mme la présidente. Chers collègues, laissez M. Hutin s’exprimer.

M. Christian Hutin. Ce sont des partis pour lesquels la base locale est essentielle. Nous n’en avons pas moins notre place dans cet hémicycle. Corpus idéologique et base locale, c’est tout un.

Nous savons tous comment se passe la cuisine électorale – je ne l’évoque que pour pouvoir aller plus loin dans le raisonnement. Notre rapporteur Christophe Borgel sait très bien comment cela se passe, lui qui a négocié avec nous : à un parti frère qui se présente, on commence par demander : « Où êtes-vous implantés ? Où sont vos mairies ? » Et après seulement on discute.

M. Jean-Christophe Lagarde. On pose ce genre de questions ? Quelle indignité ! (Sourires.)

M. Christian Hutin. C’est pareil chez vous ! Je n’ai pas peur du bourreau – comme disait Mirabeau, ce n’est pas du bourreau qu’il faut avoir peur mais de ses serviteurs. Si je dis tout cela, c’est que je pense que malheureusement ce projet de loi nous emmène vers un bipartisme absolu. (Applaudissements sur certains bancs des groupes UDI et UMP.) J’espérais d’ailleurs ne parler que de bipartisme mais depuis que j’ai entendu Mme Maréchal Le Pen parler à cette tribune, je dois dire que c’est malheureusement un tripartisme qui nous guette, à propos duquel je vous mets tous en garde. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. Daniel Fasquelle. Le gagnant sera le Front national !

M. Jacques Myard. Le chevènementisme de droite !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. J’ai bien compris, monsieur le ministre, qu’il ne faut pas vous courroucer, ni par des propos emportés ni par des propos trop doux. Souffrez au moins que je corrige une erreur que vous avez commise tout à l’heure. Édouard Herriot a été trois fois président du Conseil, deux fois président de la Chambre des députés et une fois de l’Assemblée nationale. Il a bien été sénateur de 1912 à 1919 mais jamais président du Sénat. Je tenais à rappeler ces éléments qui feront foi et sont importants dans notre République.

Quant à l’article 1er, il est comme toute votre loi, monsieur le ministre, marqué du sceau du paradoxe et de l’hypocrisie. Le paradoxe, c’est que les parlementaires auront demain, par soustraction, le droit d’être conseillers municipaux et éventuellement chargés d’une fonction exécutive si le maire leur donne une délégation. Votre texte, monsieur le ministre, ne prévoit pas de sanctionner une telle pratique qui, à droite et au centre peut-être mais à gauche certainement, sera privilégiée par un certain nombre de nos collègues. Il y a là un paradoxe sur lequel vous ne vous attardez pas.

M. Jean-Christophe Lagarde. Eh oui !

M. Guy Geoffroy. Quant à l’hypocrisie, elle consiste à dire qu’un député a une légitimité territoriale là où il est élu et doit renoncer à toute autre fonction afin de consacrer du temps à son mandat parlementaire, tout en répétant sans cesse, les uns et les autres, que vous êtes sur le terrain, au contact de la population, dans les kermesses, les remises de médailles et autres. Mais pendant ce temps-là, vous n’êtes pas à l’Assemblée nationale ! Vous n’effectuez pas votre mandat parlementaire !

M. Jacques Myard. Évidemment !

M. Jean-Luc Reitzer. Cela en fait partie !

M. Guy Geoffroy. Vous êtes les rois et les reines de l’hypocrisie absolue. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Vous voulez fixer une nouvelle règle, prétendument moderne, par opposition à tout ce qui a fait la tradition, la solidité et l’ancrage de notre démocratie.

Vous voulez enfin, monsieur le ministre, diminuer le nombre de députés. Il y en a trop, paraît-il.

M. Philippe Baumel. C’est une proposition de M. Le Maire !

M. Guy Geoffroy. Je rappelle qu’avant la réforme du mode de scrutin en 1985 il y avait 487 députés. C’est vous qui en avez voulu 90 de plus. Si nous avons aujourd’hui 577 députés, ce n’est pas la faute de la droite, mais de la gauche !

M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !

Mme la présidente. La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle. Je voudrais faire une proposition et une remarque dans ce débat fort intéressant.

Nous traitons là d’une question civique qui forcément passionne la population, quoi que nous ayons entendu, au-delà des problèmes sociaux et économiques qui sont prioritaires. Je souhaiterais donc que la présidence de l’Assemblée nationale, la questure et le service de communication fassent un effort de communication à propos de ces débats très intéressants qui concernent chaque citoyen. L’opinion publique, dont je sais pertinemment quelle est la préférence comme tout le monde ici, aurait alors l’occasion de juger des arguments de chacun. S’il est un débat qui mérite un tel effort de communication, c’est bien celui-là !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Très bien ! Excellente idée !

M. François Loncle. Quant au fond, dans ce genre de débat, tous les arguments ou presque sont respectables et il est normal que des opinions diverses s’expriment. Mais il en est un que pour ma part je ne supporte pas et qui me pousse à évoquer mon expérience personnelle, même si comme beaucoup d’entre nous j’ai quelque scrupule à le faire : c’est celui opposant le député de terrain, forcément cumulard, au député hors-sol, forcément non-cumulard. Un tel argument est insupportable pour un certain nombre d’entre nous qui ont une longue expérience.

J’ai été élu en 1981. (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Nicolin. Et il est toujours là ! Il faut démissionner tout de suite !

M. Patrice Verchère. C’est forcément un mauvais député !

M. François Loncle. Peut-être reviendra-t-on sur cet aspect à propos du texte sur le cumul dans le temps, auquel je m’opposerai.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. François Loncle. J’ai été élu sans aucun mandat local. Je les ai ensuite accumulés au fil des années, devenant maire et conseiller régional. J’ai par la suite été battu – ce sont des choses qui arrivent et qui sont parfois salutaires. J’ai tiré les leçons de cet échec à mon retour, quatre ans plus tard, grâce à l’excellente dissolution du président Chirac.

M. Jacques Myard. N’exagérons rien, cher collègue ! (Sourires.)

M. François Loncle. Le cumul m’est alors apparu comme une aberration qui empêche de faire son travail correctement. J’ai donc renoncé du jour au lendemain à tous mes autres mandats et n’ai cessé d’être réélu depuis en faisant du non-cumul un argument de campagne. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Ma circonscription compte 101 communes, dont je connais tous les maires, de droite, de gauche et du centre. Je les appelle par leur prénom, je les tutoie et je travaille avec eux sans discontinuer. Je ne peux admettre l’idée qu’être exclusivement député et faire son travail ici à peu près complètement, y compris en commission, empêche de travailler trois jours par semaine en lien direct avec la population et avec les élus, comme je le fais.

M. Jacques Myard. Vous êtes l’exception qui confirme la règle !

M. François Loncle. C’est pourquoi je suis un adepte du non-cumul et souhaite que la loi soit non seulement votée mais aussi connue de l’opinion publique française tout entière ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Bravo ! Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Benoist Apparu.

M. Benoist Apparu. L’argumentaire qui vient d’être développé est assez intéressant : autrement dit, le non-cumul sert à garder sa circonscription. Si je pousse le raisonnement un peu plus loin, si M. Loncle ne cumule pas, c’est pour être réélu, non pour travailler dans l’hémicycle ! Voilà un raisonnement intéressant.

Mme Valérie Corre. Voilà qui est bien spécieux !

M. François Loncle. J’ai dit le contraire !

M. Benoist Apparu. Je voudrais prolonger les propos de Claude Goasguen, qui faisait observer que nous ne sommes pas dans une république décentralisée. Il a raison. C’est une différence fondamentale entre la France et beaucoup d’autres pays où le cumul ne s’applique pas. Il en est une autre, tout aussi essentielle, monsieur le ministre : c’est que beaucoup d’autres parlements sans cumul ont un pouvoir important ! Les parlementaires y ont un rôle très important !

M. Claude Goasguen. C’est vrai !

M. Benoist Apparu. Pourquoi un grand nombre de nos collègues cumulent-ils ? Tout simplement parce que, comme vous monsieur le ministre, ils se sont engagés en politique pour agir. Or, dès lors que le Parlement n’a pas beaucoup de pouvoir, il faut être dans un exécutif pour agir en politique. C’est pourquoi votre réforme est une mauvaise réforme, monsieur le ministre : elle le restera tant que nous n’aurons pas réglé la question du pouvoir des parlementaires.

Si vous voulez des parlementaires qui agissent à l’Assemblée nationale, si vous voulez voir un hémicycle plein, afin de montrer à nos concitoyens que nous travaillons lourdement, il faut revaloriser le travail des parlementaires.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Benoist Apparu. S’attaquer au cumul des mandats sans revaloriser la fonction et le travail parlementaires est une erreur politique majeure, qui va avoir pour conséquence de bouleverser profondément la sociologie même des parlementaires sans que pour autant l’hémicycle soit plus peuplé dans vingt ans qu’il ne l’est aujourd’hui. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Jacob.

M. Christian Jacob. Je suis les débats depuis hier et je déplore que certains de nos collègues de gauche se complaisent dans l’invective, voire dans l’insulte. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). Nous nous sommes entendu traiter de ringards et de médiocres. À droite comme à gauche, il y a des élus respectables, qu’ils soient titulaires d’un ou de plusieurs mandats.

M. Jacques Myard. Jean-Marc Ayrault !

M. Christian Jacob. Il n’y a aucun sens à recourir à l’insulte.

Sous couvert d’un attachement affiché à la VRépublique, auquel M. le ministre se réfère régulièrement, vous avez en fait décidé de la détricoter. Voilà la réalité, avec pour objectif final celui de la proportionnelle, qui explique le soutien appuyé que vous apporte le Front national, qui fait front commun avec vous ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Valérie Boyer. Exactement !

M. Christian Jacob. Vous n’avez pas osé l’applaudir hier, mais vous devez pourtant admettre que, comme il l’a déjà fait sur le rétablissement de la retraite à soixante ans, le Front national vous apporte un soutien total !

Mme Chantal Guittet. Ils ne sont pas là !

M. Christian Jacob. Contrairement à vous, le Front national assume le fait de vouloir une assemblée de partis représentés à la proportionnelle. Il a le courage d’afficher son opposition à la VRépublique, une opposition que, pour votre part, vous n’exprimez que de façon détournée, en interdisant l’ancrage local par le biais de cette loi sur le cumul des mandats. Alors que nous faisons la loi, il faudrait que nous nous interdisions de diriger un exécutif, c’est-à-dire de la mettre en application ? Cela n’a aucun sens !

Votre réforme va également avoir une incidence sur la composition de notre assemblée. Nombre d’élus ont un parcours, une légitimité liés à leur ancrage territorial. Qu’ils viennent de la fonction publique ou des appareils politiques, ils sont tous aussi respectables les uns que les autres. Il n’y a pas de raison de décréter l’interdiction de certains parcours. Pour ma part, je viens du monde syndical et de ce que l’on appelle la société civile. Ce parcours n’a rien de rare, il y en a au sein de tous les partis. Mais croyez-vous que, dans un système de représentation à la proportionnelle, un tel parcours, celui d’un élu ayant acquis sa légitimité sur le terrain, puisse encore exister ? En réalité, à la proportionnelle, les candidats venant du terrain n’arriveront jamais jusqu’à l’Assemblée !

M. Claude Goasguen. C’est évident !

M. Christian Jacob. Ne parviendront à se faire inscrire sur les listes que ceux bénéficiant d’une certaine proximité avec le président de leur parti – et cela vaut aussi bien pour le PS que pour l’UMP ! Il faut se battre contre cette perspective, afin de garantir une représentativité à l’Assemblée reflétant la réalité du terrain.

M. Jacques Myard. Il faut qu’il y ait des forts en gueule !

M. Christian Jacob. Des parcours ne devant rien à la proximité des hautes instances d’un appareil politique doivent pouvoir continuer à émerger, ils ne doivent pas être prisonniers des partis.

Ce que je vous reproche, c’est de vouloir non seulement dénaturer, mais aussi remettre en cause la VRépublique pour revenir à un régime des partis, et de ne pas avoir le courage de l’assumer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Thévenoud.

M. Thomas Thévenoud. Benoist Apparu a raison de dire que le non-cumul est une première étape. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Nous y voilà !

M. Thomas Thévenoud. C’est une première étape sur le long chemin de la revalorisation du Parlement sous la VRépublique. (« La dévalorisation ! » sur les bancs du groupe UMP.)

En revanche, je ne peux admettre l’argument selon lequel le non-cumul interdirait les parcours d’élus ancrés dans les réalités locales et disposant à ce titre d’une expérience précieuse. Pour ma part, j’ai été adjoint au maire de ma commune durant plus de dix ans ainsi que vice-président du conseil général et j’ai décidé, trois jours après mon élection à l’Assemblée, de démissionner de mes fonctions exécutives locales, tout simplement parce qu’il faut savoir tenir sa parole et ses engagements. Pour retrouver la confiance populaire, nous devons d’abord faire ce que nous avons dit que nous ferions !

La possibilité pour un député de cumuler un mandat national et un mandat exécutif local est une particularité française pratiquement unique au monde, et qui paraîtrait stupéfiante dans n’importe quel autre pays.

M. Jacques Myard. Et alors ? On est en France !

M. Thomas Thévenoud. Elle s’explique, paraît-il, par la centralisation de notre République. Je veux tout de même rappeler ce qui est dit à l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible (…) Son organisation est décentralisée. » M. Goasguen a raison de dire que nous allons vers toujours plus de décentralisation, et c’est bien pourquoi il faut mettre fin au cumul des mandats exécutifs locaux et des mandats parlementaires.

M. Claude Goasguen. Mais non, c’est l’inverse !

M. Thomas Thévenoud. À défaut, nous assistons à la coalition d’un certain nombre d’intérêts locaux – et, dans ces conditions, qui défend l’intérêt général, l’intérêt de la nation ?

Quoi qu’en disent certains – j’ai entendu proférer bon nombre de contrevérités sur ce point – le lien avec le territoire sera maintenu. Nous n’allons pas vers le mandat unique, nous conservons la possibilité d’un mandat local. Le scrutin d’arrondissement est maintenu et le mandat local pourra donc toujours être exercé. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Ma circonscription comprend 110 communes, à l’instar de François Loncle, et je fais chaque semaine deux réunions publiques dans chacune des communes. Si les députés qui cumulent étaient toujours au fait des réalités, ils seraient systématiquement réélus ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Et vice versa !

M. Thomas Thévenoud. Comment expliquer alors l’empilement des normes et des lois tatillonnes, bavardes et inutiles, qui ont été votées durant des décennies par des députés cumulards ?

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Thévenoud.

M. Thomas Thévenoud. Comment expliquer que la représentation nationale soit encore si peu représentative de la réalité de la société française ?

Oui, la présente réforme est nécessaire pour revaloriser le Parlement et pour tenir nos engagements. C’est une avancée démocratique majeure et je suis fier de pouvoir la voter. (Applaudissements sur la plupart des bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Ce texte fondamentalement hypocrite et démagogique, monsieur le ministre, constitue une nouvelle illustration de la politique de Gribouille du Gouvernement. Comme nous l’avons déjà dit, avec cette réforme en trompe-l’œil, vous ne posez pas la vraie question, celle du pouvoir du Parlement.

Pour ma part, je ne fais pas partie de ceux qui cumulent, mais les élus de votre majorité sont loin de pouvoir tous en dire autant. Ils ne donnent vraiment pas l’exemple de ce qu’ils prônent. Au contraire, nombre de membres de la majorité sont plutôt les rois du cumul ! Une nouvelle fois – mais nous commençons à y être habitués, depuis un an – vous nous présentez un texte fondé sur une vision bureaucratique et technocratique, en total décalage avec la réalité.

Le plus grave est de vous entendre tirer argument de ce que se fait à l’étranger. Certes, il est important de regarder ce qui se fait ailleurs. Mais alors, comment justifier que, dans d’autres textes, je pense notamment à l’éducation et à l’enseignement supérieur, vous ayez argué d’une « spécificité française » ? Pourquoi la spécificité française aurait-elle brusquement disparu ?

En fait, vous modifiez vos arguments en fonction des textes, n’hésitant d’ailleurs pas à annoncer, dès maintenant, que la prochaine étape sera la mise en œuvre de la proportionnelle. Il est évident que vous vous employez à déconstruire nos institutions de manière appliquée et méthodique. Vous déconstruisez sous nos yeux la VRépublique et je trouve cela extrêmement grave. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Reitzer.

M. Jean-Luc Reitzer. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous avez sans doute compris, dès hier soir, à quel point je suis triste d’entendre certains arguments et certaines réactions de nos collègues socialistes. Je suis triste, mais je suis aussi en colère. N’ayons pas peur des mots, j’en ai marre d’être traité de ringard et je n’accepte pas – nous n’acceptons pas – l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté la modernité, de l’autre la ringardise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Bravo !

M. Jean-Luc Reitzer. J’en ai marre ! Marre de m’entendre dire que, parce que je cumule, je ne serais pas capable de faire la part des choses entre l’intérêt national et l’intérêt local. Comme beaucoup parmi nous, en tant que député – je le suis depuis vingt-cinq ans – j’ai consacré ma vie à l’amour de mon pays. Mais j’éprouve aussi un attachement viscéral à ma ville, dont je suis maire depuis trente ans. J’ai toujours agi par idéal, pour moi le gaullisme comme pour vous ce serait le socialisme, et par amour, un amour quasi charnel de ma ville et de ma région, l’Alsace.

Comme beaucoup, je l’ai fait aussi au détriment de ma vie professionnelle : si j’étais resté chez Peugeot, où j’étais cadre auparavant, ma situation serait certainement bien meilleure qu’aujourd’hui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Luc Reitzer. Comme vous, je l’ai fait au détriment de ma vie familiale. Car nous ne voyons pas grandir nos enfants, c’est cela, la réalité ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Valax. N’en faites pas trop, tout de même !

M. Jean-Luc Reitzer. Je n’accepte donc pas d’être traité de ringard, et je n’accepte pas que l’on veuille me donner des leçons au prétexte que je serais un cumulard, terme extrêmement péjoratif.

Je n’accepte pas non plus que l’on me soupçonne d’être un usurpateur. Si je suis député depuis vingt-cinq ans et maire depuis trente ans, c’est tout simplement parce que les électeurs l’ont voulu et que j’ai, de ce fait, été élu et réélu.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le député.

M. Jean-Luc Reitzer. Je me permets de terminer.

Mme la présidente. Non, c’est moi qui vous permets de terminer !

M. Jean-Luc Reitzer. J’ai défendu, souvent contre mes convictions, l’intérêt général, et j’ai également défendu des dossiers locaux. Je suis maire d’Altkirch, une petite ville de 6 000 habitants, dans le Haut-Rhin. Quand on nous a supprimé le régiment basé dans notre ville, pensez-vous, monsieur le ministre, que si je n’avais pas été député, j’aurais pu obtenir les aides nécessaires à la reconversion du quartier militaire, sauvant ainsi 600 emplois ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Nicolas Bays. C’est un argument fallacieux !

M. Jean-Luc Reitzer. Je ne l’ai pas fait pour ma ville, je l’ai fait pour un bassin d’emploi. Et quand j’ai sauvé mon hôpital, je ne l’ai pas fait non plus pour ma ville, mais pour un bassin de vie.

Ce que vous voulez faire, c’est couper le cordon ombilical qui donne à de nombreux élus la fierté de représenter à la fois l’intérêt national et la terre qui les a vu naître et qu’ils défendent. C’est la double mission du parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. Je ne pensais pas m’exprimer sur ce texte, ni dans la discussion générale ni sur aucun article…

M. Christian Jacob. Oh, il ne faut pas vous sentir obligé !

M. Sébastien Denaja. …mais sans doute les Français qui suivent nos débats sont-ils étonnés par le manque de mesure qui caractérise certains propos.

M. Christian Jacob. Ça, vous pouvez le dire !

M. Sébastien Denaja. Je voudrais donc appeler chacun d’entre nous à faire preuve d’une plus grande mesure.

Certains mots, prononcés dans le cadre de ce qui ressemble davantage à une opposition stérile qu’à un débat constructif, pourraient être évités – sur ce point, je vous rejoins, monsieur Jacob. Ainsi, je ne vois pas bien l’intérêt d’opposer sans cesse les députés de terrain aux députés « hors sol » – et j’en profite pour faire remarquer à Guy Geoffroy, qui a parlé de tomates cultivées hors sol, que les tomates poussent rarement dans le sol.

M. Guy Geoffroy. Ah ben ça, c’est sûr !

M. Sébastien Denaja. De même, on pourrait éviter de parler de députés cumulards. « Cumulants » serait déjà plus approprié.

Toutes les trajectoires sont respectables. Par ailleurs, on peut trouver parmi les plus grands absentéistes de l’Assemblée des députés qui ne cumulent aucune autre fonction, et l’inverse est vrai aussi.

Je veux donc juste vous appeler chacun à plus de mesure, parce que le texte que nous allons voter, et que je voterai pour ma part avec beaucoup de conviction, ne porte pas sur le mandat unique…

M. Jean-Christophe Lagarde. Si ! Si !

M. Sébastien Denaja. …mais sur la limitation du cumul des mandats.

M. Guy Geoffroy. Arrêtez les hypocrisies !

M. Sébastien Denaja. Il a pour objet d’éviter que nous cumulions un mandat de parlementaire et une fonction exécutive locale. L’ensemble des arguments que j’entends depuis tout à l’heure, et que je trouve d’ailleurs parfaitement fondés, sur la nécessité de l’ancrage local vont donc recevoir satisfaction grâce à ce texte. Nous pourrons continuer à être député et, simultanément, conseiller municipal, conseiller communautaire, conseiller général ou conseiller régional. Dans une république décentralisée, l’ancrage local me paraît être une bonne chose.

Les députés pourront ainsi continuer d’avancer, selon le mot de Confucius, les pieds dans la glèbe et la tête dans les étoiles.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Foulon.

M. Yves Foulon. Monsieur le ministre, après l’hypocrisie et les paradoxes soulignés par Guy Geoffroy, je veux vous parler de liberté et d’efficacité. En effet, cette loi menace véritablement le lien entre la France des territoires et le Parlement.

La liberté, c’est tout simplement la démocratie : elle consiste à permettre aux électeurs de choisir leurs élus, et de le faire librement. Ils sont tout à fait aptes à décider si un élu fait mal son travail, ne s’y consacre pas suffisamment, s’il est trop âgé ou s’il est élu depuis trop longtemps. On sait pertinemment qu’un bon élu, c’est celui qui recueille une majorité de suffrages de ses électeurs.

M. Jacques Myard. Voilà ! La vérité est là !

M. Yves Foulon. Dans la partielle qui vient de se tenir dans le Lot-et-Garonne, chacun sait que si Bernard Barral n’avait pas été maire de Fumel et conseiller général, il n’aurait pas été élu et qu’on aurait aujourd’hui un député du Front national de plus. C’est parfaitement clair. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Elisabeth Pochon. Et l’abstention ?

M. Yves Foulon. Voilà pour la démocratie. Quant à l’efficacité, elle réside dans l’ancrage territorial, qui nous permet de bien légiférer parce qu’il nous met en mesure d’accumuler une expérience de gestionnaire et une connaissance du terrain ainsi que de mesurer la réalité des problématiques du territoire.

Monsieur le ministre, plusieurs réformes successives, sur une longue période, nous ont permis de parvenir à un équilibre : l’exercice de deux mandats, l’un national, l’autre local. Je vous suggère d’en rester là et de vous préoccuper des difficultés que rencontrent les Français : le chômage, l’emploi, le pouvoir d’achat ou le logement. En cela, vous feriez œuvre utile. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est un argument qui est très utilisé par une partie de la majorité : c’est qu’il faut restaurer l’autorité de la parole publique et sa crédibilité. Ils ont raison mais il me semble que, pour restaurer cette autorité, mieux vaudrait éviter de se présenter devant les électeurs en disant que l’on ne votera pas un traité pour, malgré tout, le ratifier.

Mieux vaudrait aussi éviter de promettre que l’on va combattre la TVA sociale avant, finalement, de l’augmenter. Mieux vaudrait ne pas manifester la volonté d’allonger la durée de cotisation des retraites quand on a promis le contraire. Mieux vaudrait éviter de dire qu’il n’y aura pas de hausse d’impôts en 2014 alors qu’il y en aura dix milliards de plus.

Voilà ce qui met en cause directement la crédibilité de la parole publique, et c’est à cela que se résume l’action de votre majorité, chaque jour que Dieu fait depuis un an ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

En deuxième lieu, je rejoins M. Geoffroy : on est dans l’hypocrisie la plus totale. Je me suis efforcé d’expliquer hier combien, en réalité, la comparaison avec les pays étrangers est ridicule, tant les pouvoirs conférés à notre parlement sont infimes par rapport à de véritables parlements dans de vraies démocraties parlementaires.

C’est d’autant plus ridicule que l’État français n’est pas décentralisé. La disposition de l’article 1er de la Constitution sur la décentralisation est une fadaise. La réalité, c’est que les quelques pouvoirs qui sont conférés aux régions, aux départements et aux communes sont infimes, et que tout dépend encore de l’État. C’est la raison pour laquelle cette spécificité française du cumul des mandats répond en réalité à notre spécificité institutionnelle.

On nous dit que c’est la première étape et qu’il faut attendre la suite. Nous ne verrons jamais la suite !

M. Jacques Myard. Si, la proportionnelle !

M. Jean-Christophe Lagarde. En effet, et je le disais hier, vous dénoncez en permanence, comme nous, les excès de la Ve République, l’excès de pouvoir donné à l’exécutif et le fait que les contre-pouvoirs n’existent évidemment pas. Mais, depuis que François Mitterrand a écrit Le coup d’État permanent, vous avez dirigé le pays pendant vingt années et jamais une seule fois vous n’avez cherché à modifier cet équilibre des pouvoirs !

Pire, quand, en 2008, une réforme de la Constitution dont l’adoption n’était pas certaine aurait pu redonner un peu de pouvoir au Parlement, vous avez tout fait pour la faire échouer. Et aujourd’hui vous vous targuez, vous vous prévalez de cette révision constitutionnelle pour expliquer que, dans la mesure où les parlementaires ont plus de pouvoirs, ils devront les exercer dans le cadre d’un mandat à plein temps !

À plein temps ! C’est la dernière hypocrisie : vous avez voté il y a quinze jours l’autorisation pour les parlementaires de cumuler leur mandat avec l’exercice d’un métier dans le privé ! Mais exercer une responsabilité publique, ça, c’est incompatible… Être parlementaire et exercer un métier dans le privé, défendre les intérêts privés, pour vous, c’est compatible mais défendre l’intérêt public, c’est incompatible. Telles sont les hypocrisies de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il se fonde sur l’article 58 de notre règlement.

Pour faire écho aux propos tenus par deux de nos collègues il y a quelques instants, je regrette que les élus de l’opposition fassent de temps en temps l’objet d’un certain nombre de qualificatifs inappropriés, désagréables et discourtois.

Qui plus est, j’ai été très agacé, pour ne pas dire autre chose, par l’intervention de Philippe Bies – je ne le vois plus, mais il m’entend sûrement là où il se trouve. Cet excellent collègue a considéré que notre position présentait tous les torts du monde et l’a qualifiée, je le répète, de manière extrêmement discourtoise.

Je peux parfaitement comprendre qu’un certain nombre de collègues aient fait un choix similaire à celui de Mme Chapdelaine. Elle a expliqué ce choix, qui est respectable. M. Thévenoud a fait le même choix, respectable. Le ministre de l’intérieur a décidé qu’étant au Gouvernement, il devrait par conséquent abandonner ses fonctions d’élu local, et c’est tout aussi respectable.

M. Christian Jacob. Cela n’a pas été très spontané, tout de même !

M. Jean-Frédéric Poisson. Certains de nos collègues de l’opposition, comme le questeur Philippe Briand, ont dû choisir il y a quelques années entre exercer une fonction de ministre et rester à la tête d’une entreprise. Philippe Briand a choisi de rester à la tête de son entreprise, et c’est respectable. Le président de la commission des lois ne veut pas exercer de mandat local, c’est son choix, c’est respectable.

Mais, de grâce, que M. Bies ne vienne pas nous donner des leçons de morale sur les vertus incomparables du cumul quand par ailleurs, et après avoir pris des engagements contraires, il demeure adjoint au maire de Strasbourg et président d’une société de HLM ! Il est des limites à l’indécence !

Autant je comprends et je respecte les choix personnels, autant je n’accepte pas de me faire donner des leçons de morale de la part de gens qui ne s’appliquent pas les choix qu’ils préconisent pour les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Article 1er (suite)

Mme la présidente. Nous en venons à l’examen des amendements, à commencer par les amendements de suppression de l’article 1er.

La parole est à M. Jacques Myard, pour soutenir l’amendement n° 22.

M. Jacques Myard. Je propose en effet de supprimer cet article. Je suis parfaitement d’accord avec François Loncle : il y a d’excellents députés qui, titulaires d’un seul mandat, accomplissent fort bien leur travail – François en est – de même qu’il y a d’excellents députés maires.

Je ne vois donc pas pourquoi il faudrait imposer, telle une camisole de force, une norme identique à tout le monde. Il est en effet des situations et des systèmes extrêmement différents qui peuvent fonctionner de manière également satisfaisante.

Comme le disait Malraux à cette tribune, la liberté, « avant de la passer par la fenêtre, il faut y regarder à deux fois ». En l’occurrence, monsieur le ministre, vous êtes en train de la passer par la fenêtre et cela me paraît très grave.

Je veux aussi revenir sur le fait que le cumul des mandats soit une spécificité française. Et alors ? Je n’ai pas honte d’être franchouillard ! (Sourires.) Je le dis comme je le pense. Je parle le français, pas le chinois ou l’anglais – en fait si, je parle l’anglais et l’allemand, mais dans un autre contexte !

Je veux vous rappeler encore, comme cela a été souligné à l’envi, qu’en République fédérale d’Allemagne, dans le système des Länder, le pouvoir fédéral ne s’occupe – j’insiste – que de peu de chose. La fiscalité est déterminée par les Länder de manière autonome. La police relève non pas du ministre de l’intérieur – pour des raisons historiques : nous, Français, avons voulu à juste titre briser la Gestapo – mais des Länder. C’est également le cas de la justice : au niveau fédéral, il n’y a que des appels.

Quant à la Grande-Bretagne, il faut véritablement ne rien y connaître pour parler de démocratie locale ! C’est l’administration qui travaille, qui a dans sa main les élus, qui changent chaque année.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est exact !

M. Jacques Myard. De grâce ! Il y a une démocratie parlementaire en Grande-Bretagne, mais pas de démocratie locale !

Enfin, cet article comporte des dispositions qui m’agacent bigrement – j’en terminerai par là : couper le lien ombilical entre, d’une part, des territoires et des départements d’outre-mer et d’autre part la nation, en interdisant aux députés de présider un conseil général, sera, à terme, très grave pour l’unité de la République.

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Jacob, pour soutenir l’amendement n° 23.

M. Christian Jacob. Il est défendu.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq, pour soutenir l’amendement n° 64.

M. Nicolas Dhuicq. Le parti socialiste est confronté, depuis plusieurs décennies, à un certain nombre de problèmes. Le premier, c’est que vous n’aimez pas le lien direct unissant l’élu au peuple. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC). La classe ouvrière vous a abandonnés pour d’autres rivages, pour des partis que vous voulez soutenir pour rester le plus longtemps possible, dans le cas de vos alpha en tout cas, au pouvoir.

Mme Elisabeth Pochon. Il fallait oser la sortir !

M. Nicolas Dhuicq. Vous voulez favoriser la destruction de la République.

M. Thomas Thévenoud. N’importe quoi !

M. Nicolas Dhuicq. Vous voulez faire en sorte que les élus nationaux ne portent plus haut et fort la voix du peuple. Vous utilisez à cette fin vos « idiots utiles » (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC), autrement dit vos nouveaux élus, qui seront balayés lors des prochaines élections.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Quel mépris !

M. Nicolas Dhuicq. Vous faites en sorte de maintenir toutes les hypocrisies – j’insiste sur ces mots – devant le peuple. Vous allez autoriser que des députés soient conseillers généraux ou conseillers régionaux, comme si ces mandats ne correspondaient à rien. (Mêmes mouvements.) Vous pouvez hurler, vous détruisez la République, en faisant en sorte de couper les territoires ruraux de leurs élus nationaux pour concentrer tous les élus dans les grandes villes.

Monsieur le président du groupe socialiste, le terme d’« idiot utile » était employé, à juste titre, par les bolcheviks. Il conserve toute son actualité, parce que vos lois détruisent la République et la démocratie et parce que vous avez la haine du peuple, de la nation et de la République ! (« Honteux ! Scandaleux ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Annick Lepetit. Enfermez-le !

Mme la présidente. Nous en venons à l’amendement n° 104.

M. Bruno Le Roux. Rappel au règlement !

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à le M. Bruno Le Roux, pour un rappel au règlement.

M. Bruno Le Roux. Madame la présidente, je vous demandais un rappel au règlement !

Mme la présidente. Je ne vous avais pas vu, monsieur le président Le Roux.

M. Bruno Le Roux. L’administration vous l’a pourtant signalé ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. C’est une mise en cause inadmissible de la présidence !

M. Bruno Le Roux. J’ai demandé ce rappel au règlement en entendant les propos que vient de tenir M. Dhuicq, qui ne sont pas admissibles dans cette assemblée. On peut trouver, dans la littérature, toutes sortes d’utilisation de tous les mots. « Minable » par exemple : on peut le trouver très facilement dans la littérature. Ce n’est pas pour autant que je l’emploierai pour qualifier cette intervention. Je vous demande donc, s’il vous plaît, de maîtriser votre langage.

Depuis plusieurs jours, vous menez un combat considéré par les Français, dont nous sommes, comme vous, les représentants, comme un combat d’arrière-garde. Vous voulez défendre quelque chose dont ils ne veulent plus,préserver une confusion dont ils ne veulent plus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Les Français souhaitent notre investissement total dans le mandat parlementaire.

MM. Yves Nicolin et Claude Goasguen. Ils ne veulent plus de vous !

M. Bruno Le Roux. Je pense que nous pouvons avoir ce débat sans sombrer dans des insultes telles que nous venons d’entendre. Et je n’accepte pas que les députés nouvellement élus soient considérés différemment de ceux qui sont là de plus longue date. Ils accèdent à l’Assemblée nationale dans le cadre du même mandat, sans aucune autre caractéristique particulière. Aussi je vous demande, monsieur le député, de faire en sorte que les mots que vous employez peut-être dans vos consultations ne soient pas prononcés au sein de cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Article 1er (suite)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement n° 104.

Mme Annie Genevard. Monsieur le ministre, à plusieurs reprises, vous avez laissé entendre que ces projets de loi visaient à moraliser la vie publique et à renouer le lien de confiance avec les Français. Le président Le Roux vient de le confirmer à l’instant. Comme je voudrais le croire ! J’éprouve toutefois le plus grand scepticisme à ce sujet.

Lorsqu’on interroge les Français, ils déclarent que le mandat auquel ils accordent le plus de crédit est le mandat municipal. Le fait d’être un député-maire sert, me semble-t-il, l’image du parlementaire. J’en suis même absolument convaincue. Vous prétendez penser le contraire, mais je suis persuadée que le fait d’être un député-maire crédibilise la fonction parlementaire.

Si le non-cumul était la solution à l’image dégradée des politiques, alors, monsieur le ministre, peut-être voterions-nous cette loi. Mais je vous incite à faire preuve de prudence en la matière. Depuis l’affaire Cahuzac, on voit bien qu’il y a une rupture profonde entre les Français et la classe politique. Vous avez fait voter la loi sur la transparence : avez-vous le sentiment qu’elle a restauré le lien avec la classe politique ?

M. Jacques Myard. Pas du tout ! Au contraire !

Mme Annie Genevard. Lorsque vous avez déclaré vos patrimoines, messieurs les ministres, avez-vous eu le sentiment que cela vous avait redonné de la crédibilité ? Avez-vous entendu les quolibets dont vous avez été l’objet, les uns et les autres ? Il y a ceux qui gagnent trop, et qui sont passés pour des nantis et des profiteurs, et ceux qui n’ont pas assez, qui sont passés pour des idiots ou des dispendieux. Je ne crois pas que ces projets de loi sur le non-cumul restaureront le lien de confiance, pas plus que la loi sur la transparence n’a permis de le faire.

Vous alimentez l’antiparlementarisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Merci. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement n° 143.

M. Jean-Luc Laurent. Il vise donc à supprimer l’article 1er du projet de loi, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, cet article a pour objet d’interdire à tout parlementaire, député ou sénateur, de cumuler son mandat avec des fonctions exécutives. Dans le même temps, on maintient cependant la possibilité de cumul avec les mandats de conseiller régional et de conseiller général. Les auteurs de cette disposition n’ont donc pas fait le choix de la simplification.

M. Francis Vercamer. Très bien !

M. Jean-Luc Laurent. Et je tiens à souligner que l’objectif de cette réforme – que la présence des députés soit plus forte et s’étale sur toute la semaine – n’est que théorique. J’ajouterai même que c’est un leurre.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Jean-Luc Laurent. En effet, sauf à modifier le mode de scrutin, les députés qui seront élus dans une circonscription devront y être encore plus présents si nous votons ces restrictions au cumul. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.

M. Francis Vercamer. Eh oui !

M. Jean-Luc Laurent. Cette réforme est donc incomplète, imparfaite, du point de vue même de ses auteurs.

M. Daniel Fasquelle. Bien sûr !

M. Jean-Luc Laurent. En réalité, il n’y aura de possibilité d’avancer que par la modification du mode de scrutin.

Ce projet de loi a surtout pour objectif d’éradiquer le député-maire, un objectif contre lequel je m’élève, avec Marie-Françoise Bechtel et Christian Hutin. La raison en est simple : le député-maire est le socle, le pivot de notre système, il lui permet de respirer et empêche que les deux grands partis du bipartisme ne détiennent toutes les clés de la démocratie.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que cet article soit supprimé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Christian Hutin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour soutenir l’amendement n° 150.

M. Daniel Fasquelle. M. Thévenoud a fait une allusion, en qualifiant ces projets de loi de « première étape ». Le problème, c’est que nous ne connaissons pas les étapes suivantes et que les sujets ne sont pas traités dans le bon ordre. Le non-cumul peut être, à la rigueur, un point d’arrivée, mais il ne peut pas être un point de départ. C’est une critique que nous continuerons à vous faire.

Nous devons avoir un débat général, dépassionné, qui dépasse les clivages politiques traditionnels, sur les rapports entre l’exécutif et le législatif et sur le fonctionnement même de notre assemblée et du Sénat.

En effet, comme l’a très bien dit M. Vercamer, la question touche au fonctionnement même de l’Assemblée nationale : est-il par exemple vraiment utile de conserver ces tunnels de discussion générale ? Ne pourrait-on pas travailler autrement, dans l’hémicycle et en commission ? Ne légifère-t-on pas trop ? N’entrons-nous pas parfois excessivement dans les détails, empiétant ainsi sur ce qui relève du pouvoir exécutif ? Voilà de vrais sujets, dont il faut débattre. Faisons ce travail. On ne réglera absolument pas ces questions en interdisant le cumul.

De la même façon, le sujet de la décentralisation a été évoqué à plusieurs reprises : les rapports entre l’État central et les territoires sont un vrai et beau sujet, mais il faut l’aborder avant de traiter de la question du cumul. En effet, en cumulant, les députés créent un lien entre les territoires et l’Assemblée nationale, entre l’État central et les collectivités territoriales.

Par ailleurs, traiter uniquement du cumul des parlementaires n’a pas de sens : on laisse ainsi complètement de côté un grand nombre de cas de cumul, en particulier à l’échelle locale.

M. Jean-Christophe Lagarde. Exactement !

M. Daniel Fasquelle. Les élus locaux pourront ainsi continuer de cumuler et les responsabilités et les indemnités qui leur sont attachées dans le plus grand silence et la plus grande opacité.

M. Jean-Christophe Lagarde. Bien sûr !

M. Daniel Fasquelle. Alors oui, ayons ce débat si vous le souhaitez, mais faisons en sorte que ce soit un débat de fond, un débat serein. C’est pourquoi l’article 1er me semble tout à fait prématuré sans ces réflexions préalables.

Mme la présidente. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour soutenir l’amendement n° 177.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Je voudrais rappeler un fait que j’ai mentionné hier soir : selon l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi organique, 42 % des députés n’exercent pas de fonction exécutive locale. Certains diront que c’est beaucoup, d’autres estimeront que c’est insuffisant. Ces députés ont choisi de ne pas cumuler leur mandat avec des fonctions exécutives locales. Ils ont exercé leur libre choix sans qu’il ait été besoin d’une loi pour les y contraindre.

Étant un peu juriste, je dirai que je ne crois pas tellement au droit. Certains parmi nous semblent fascinés par la loi, les règles, les décrets qui doivent tout canaliser, mais la démocratie, ce n’est pas seulement cela : c’est aussi la liberté de s’organiser comme on le souhaite, et c’est la liberté du suffrage universel, qui doit pouvoir s’exprimer sans être enserré ou encadré par des injonctions, des interdictions, des restrictions.

Je ne reprendrai pas les autres arguments qui sous-tendent cet amendement que j’ai déposé avec Alain Tourret, ils sont connus. Mais le point que je viens de soulever me paraît important. Nous avons un choix à exercer aujourd’hui : est-il indispensable qu’un parlementaire qui ne souhaite pas exercer une fonction exécutive locale soit conforté par une loi, ou lui suffit-il simplement, par son propre choix, par sa propre volonté, de décider d’agir de la sorte ? C’est ce que François Loncle a rappelé voilà quelques instants. La liberté des parlementaires ne doit pas être totalement négligée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

MM. Jean-Luc Laurent et M. Christian Hutin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement n° 186.

M. Guy Geoffroy. Messieurs les ministres, avec ces projets de loi, comme ce fut le cas pour de nombreux autres textes « écrans de fumée » que vous nous avez proposés depuis le début de la législature et dont nous pourrions égrener la longue liste, vous restez au milieu du gué. Parce que vous êtes en négociation constante au sein du parti socialiste et de la majorité, les textes que vous nous proposez sont à l’arrivée très différents de ceux que vous aviez pondus à l’origine. Comme pour tous les textes que vous avez initiés, inventés, élaborés, on aboutit à un équilibre scabreux, qui n’est pas tout à fait un équilibre.

J’appelle votre attention sur ce qui se passera concrètement si ces projets de loi devaient entrer en vigueur. Nous serons députés, nous ne serons plus maire, si nous l’étions, mais nous pourrons encore être conseiller municipal. Nous recevrons des habitants de notre commune qui s’adresseront à nous en pensant que, en tant que conseiller municipal et ancien maire, nous devons encore avoir un peu de poids et que nous pourrons faire quelque chose pour eux comme à l’époque où nous étions maire. Les gens n’y comprendront rien.

Mme Chantal Guittet. Et que faites-vous des autres communes de votre circonscription ?

M. Guy Geoffroy. Une fois de plus, ils penseront que les parlementaires ont inventé quelque chose qui n’a pas vraiment de sens, qui n’est pas clair.

Vous refusez d’aller au bout de la logique que certains d’entre vous veulent suivre mais que beaucoup d’entre vous contestent. Pour ma part, messieurs les ministres, je voudrais, par cet amendement, vous permettre de vous en sortir de manière élégante, rassurante pour notre démocratie et rapide : actez le fait qu’une majorité de parlementaires et de Français sont attachés, à droite et à gauche, à l’exercice simultané du mandat de député ou de sénateur et, par exemple, de la fonction de maire.

Mme la présidente. Merci. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement n° 209.

M. Jean-Christophe Lagarde. Cet article est à la fois excessif et hypocrite. Il relève d’une imposture intellectuelle.

C’est une imposture que de prétendre renforcer les pouvoirs ou les capacités du Parlement et la liberté du parlementaire car, avec cet article, vous privez celui-ci du choix d’exercer deux fonctions en même temps.

C’est excessif parce que vous mettez tout dans le même sac : un adjoint au maire ou un maire délégué d’un quartier aurait dans votre esprit autant de charge de travail qu’un vice-président de conseil général ou un président de conseil régional. En outre, vous ne tenez pas compte de la capacité pour un député de suivre les affaires locales : la fonction de simple conseiller municipal, la seule qu’un parlementaire pourrait désormais occuper à cette échelle, ne permet pas, objectivement, avec une ou deux réunions par mois, de connaître réellement la vie d’une commune.

Enfin, cet article est hypocrite parce qu’il ne prévoit même pas l’interdiction du cumul avec la fonction de conseiller municipal délégué. Ainsi, un conseiller municipal délégué aux affaires sociales dans une ville comme celle de Drancy, dont j’ai l’honneur d’être le maire, n’aurait donc rien à faire ! Le conseiller municipal délégué pourra donc remplacer celui qui était adjoint au maire, et il suffira de lui attribuer la délégation de maire adjoint chargé des anciens combattants, des inaugurations, des relations internationales !

De la même manière, vous maintenez la possibilité de cumul avec la fonction de conseiller régional, ou même de président de commission de conseil régional ! Monsieur le ministre, vous avez été premier vice-président du conseil régional d’Île-de-France lorsque j’ai eu l’honneur d’être élu pour la première fois conseiller régional : aviez-vous alors le sentiment que les présidents de conseil régional n’avaient rien à faire ? Aviez-vous le sentiment que cette fonction était compatible avec ce mandat parlementaire à 100 % dont vous nous abreuvez depuis plusieurs semaines ? Non, évidemment !

En réalité, la seule conséquence de cet article, M. Geoffroy vient de le dire, c’est qu’on viendra solliciter le député sur des sujets qui correspondront aux attributions du maire. Cela m’arrive déjà aujourd’hui, cela arrivera à tout le monde demain.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer, pour soutenir l’amendement n° 234.

M. Francis Vercamer. Je suis assez d’accord avec M. le ministre : il faut laisser les électeurs choisir ! Arrêtons de mettre des freins à la démocratie ! Alors que tant de pays dans le monde se battent pour la développer, nous ne faisons que la brimer en permanence. Un amendement interdit le cumul, un autre interdit le cumul dans la durée, et j’en passe… Il faut laisser la démocratie se dérouler. En France, on a la fâcheuse habitude, en cas de difficultés, de modifier le tracé des circonscriptions – le fameux « charcutage », de changer le mode de scrutin ou de mettre des entraves à l’élection des candidats. Laissons donc la démocratie fonctionner, monsieur le ministre, vous avez raison !

Par ailleurs, si le parti socialiste a décidé d’appliquer le non-cumul, qu’il le fasse ! Mais qu’il n’oblige pas ceux qui ne partagent pas cette conviction à le faire. Si vous pensez, chers collègues, qu’il ne faut occuper qu’un mandat à la fois, appliquez immédiatement ce principe ! Vous n’avez pas besoin de loi pour cela !

Mme Elisabeth Pochon. C’est comme pour un vaccin : il n’a d’effet que si tout le monde le fait !

M. Francis Vercamer. Enfin, cet article 1er passe totalement sous silence le cumul des mandats locaux : ainsi que je le disais tout à l’heure, on peut être tout à la fois président de région, maire d’une grande ville, maire d’une agglomération de plus d’un million d’habitants sans que cela pose problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) En revanche, un député a tout juste le droit d’occuper la fonction de conseiller municipal. On se moque de nous, on se moque de la démocratie, on se moque des électeurs !

Cet article 1er doit être supprimé, parce que la décentralisation n’a pas encore abouti. Le jour où cette réforme-là aura réellement eu lieu, où les régions françaises seront à l’image des Länder allemands, nous pourrons en discuter. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements de suppression.

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. L’avis de la commission est défavorable : l’article 1er est le cœur du projet de loi, il définit les incompatibilités entre un mandat de député et un mandat exécutif local.

Nous avons longuement débattu de la question des députés « hors-sol ». Ce débat s’est répété tout au long de la défense de ces amendements de suppression. Nous avons longuement expliqué pourquoi ce n’était pas un réel problème : on peut faire du terrain sans avoir de responsabilité exécutive locale.

Vous avez cherché le plan caché. Hormis, peut-être, celui que M. Le Maire a défendu de façon détaillée à la tribune, il n’y en a point.

M. Daniel Fasquelle. C’est encore pire !

M. Christophe Borgel, rapporteur. La vérité, c’est que vous défendez le fait de cumuler. C’est votre droit.

M. Jean-Luc Reitzer. Laissez-le nous !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Nous estimons que le cumul est contraire à l’évolution nécessaire de la démocratie. Bernard Gérard disait tout à l’heure que le parti socialiste, c’est l’interdit sur les institutions et le laisser-aller sur les valeurs. Mes chers collègues, vous avez démontré ces derniers mois que l’UMP, c’est le conservatisme, à la fois sur les institutions et sur les valeurs. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre. Mesdames et messieurs les députés, nous avons déjà beaucoup débattu de ce qui constitue le cœur de ce texte. Le Gouvernement s’oppose bien évidemment à ces amendements de suppression de l’article 1er.

Personne n’est pris en traître. Tout le monde connaissait les choix du parti socialiste et les engagements du Président de la République, rappelés à maintes reprises depuis son élection.

Nous avons bâti un projet de loi sur la base de cet engagement, en tenant compte d’un certain nombre de problématiques politiques et de risques constitutionnels, s’agissant notamment de l’impossibilité de l’appliquer brutalement en 2014. Le Gouvernement a donc fait le choix de proposer cette transition dans la perspective de 2017, sachant que ceux qui seront candidats aux scrutins locaux de 2014 et de 2015 seront politiquement amenés à dire devant les électeurs ce que sera leur choix ultérieur.

Ce débat doit rester digne. Je respecte les opinions de ceux qui défendent le cumul des mandats mais je regrette, monsieur Dhuicq, votre diatribe, qui n’a fort heureusement pas été remarquée, sur la haine de la France, la haine de la nation et la haine de la République.

M. Nicolas Dhuicq. Elle existe pourtant !

M. Manuel Valls, ministre. Ce sont des propos insupportables et je suis convaincu qu’ils dépassent votre pensée. Sinon, je vous plains. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Car nous devons rester dignes. Nous avons tous ici, monsieur le député, l’amour de la patrie, l’amour de la République, l’amour de la France.

M. Nicolas Dhuicq. C’est faux !

M. Manuel Valls, ministre. Par ailleurs, nous estimons que les députés élus au scrutin majoritaire à deux tours garderont un lien fort avec leurs concitoyens. C’est d’ailleurs le cas d’un certain nombre d’entre vous qui ne cumulent pas : Jean-Jacques Urvoas ou Henri Guaino aiment tout autant la France et la patrie, et ils entretiennent ce lien avec les électeurs de leur circonscription.

Nous ne sommes pas d’accord, faisons-en le constat. Pour notre part, nous considérons qu’il faut moderniser notre vie publique et tirer les leçons de la décentralisation. Pour cela, il faut une loi. Nous avons déjà eu ce débat sur d’autres sujets, notamment sur la parité. Pour imposer un certain nombre de réformes et de changements, il faut la loi. Sans quoi on n’avance pas.

Voilà les raisons pour lesquelles, madame la présidente, le Gouvernement s’oppose à ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est utile que le rapporteur et le ministre répondent aux auteurs des amendements. J’aimerais comprendre pourquoi cet article que vous voulez imposer à l’Assemblée nationale ne prévoit pas l’interdiction d’être conseiller municipal délégué. La nature de la délégation n’est en rien déterminée par la loi. Un conseiller municipal délégué peut être chargé de l’ensemble de l’urbanisme de la ville de Toulouse ou de l’ensemble de l’action sociale de la ville de Lille. Et l’on prétend que le fait d’interdire le cumul d’un mandat parlementaire avec la fonction de maire ou de maire adjoint permettrait d’empêcher cela ?

J’ai posé une deuxième question, à laquelle il vous faudrait répondre pour lever les hypocrisies que masque ce texte. Comment peut-on autoriser un parlementaire à être également président de commission d’un grand conseil régional ou d’un grand conseil général, s’il s’agit de restaurer la parole publique et de faire en sorte que les députés soient au Palais Bourbon à plein temps, surtout pas dans leur circonscription ou appelés à d’autres fonctions ?

Par un amendement adopté en commission des lois, vous avez interdit le cumul d’un mandat de parlementaire avec la présidence de conseils d’administration ou de syndicats intercommunaux, dont la plupart constituent des charges bien légères. En revanche, vous autorisez d’autres fonctions, qui supposent une charge de travail autrement importante.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Ce n’est pas le cas !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pourquoi avez-vous laissé ces possibilités ? Pour arranger qui ?

Mme la présidente. Je mets aux voix ces amendements.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je n’ai pas de réponse !

(Les amendements identiques nos 22, 23, 64, 104, 143, 150, 177, 186, 209 et 234 ne sont pas adoptés.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Si ! Il faut recompter !

Mme la présidente. C’est inutile. Nous arrêtons là nos travaux. (« C’est honteux ! » « C’est inadmissible ! » « C’est du fascisme »sur les bancs du groupe UMP.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)