SOMMAIRE
Présidence de M. Claude Bartolone
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement
Allocation de solidarité pour personnes âgées
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale
Situation des finances publiques
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget
M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l’agroalimentaire
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale
Fiscalité et politique familiale
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur
Concours de l’enseignement public
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale
Baisse des dotations aux collectivités locales
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Christophe Sirugue
2. Fixation de l’ordre du jour
Votes solennels
M. François Sauvadet, Mme Barbara Pompili, M. Alain Tourret, M. Gaby Charroux, M. Carlos Da Silva, M. Guillaume Larrivé
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur
4. Contrôle et simplification des normes applicables aux collectivités territoriales
Vote solennel
M. Alain Chrétien, M. Yannick Favennec, M. Éric Alauzet, Mme Dominique Orliac, M. Gaby Charroux, Mme Françoise Descamps-Crosnier
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation
Suspension et reprise de la séance
5. Débat sur la sécurité sanitaire du médicament
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
Nous commençons par une question du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Demain le Sénat débattra et, je l’espère, adoptera une proposition de loi d’amnistie sociale présentée par les sénateurs et sénatrices du Front de gauche.
Cette loi vise à rendre justice à ceux et celles qui ont décidé d’agir pour sauver leurs emplois et leurs entreprises face aux politiques de casse du MEDEF. Elle vise à donner raison aux militants et militantes qui ont agi pour le droit au logement, la dignité des salariés sans papiers, le droit à l’éducation pour chaque enfant, et contre toutes les discriminations, face aux politiques liberticides de la droite.
Cette loi dit tout simplement que défendre son école, son outil de travail, son hôpital ou son bureau de poste, ce n’est pas bafouer la République mais, au contraire, la défendre et porter ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Cette loi étend l’amnistie à tous les salariés et à tous les bénévoles qui ont été sanctionnés alors qu’ils défendaient l’intérêt général. A contrario, elle dénonce les véritables délinquants : ceux qui dilapident dans la spéculation la richesse produite par le travail, qui marchandent les logements, qui s’engraissent sur les médicaments ou pillent les ressources naturelles.
Monsieur le Premier ministre, la gauche ne peut pas abandonner ceux et celles qui se sont battus face au MEDEF et à la droite, et qui agissent aujourd’hui pour le bien commun et la relance économique de la France. La droite a voulu criminaliser les conflits sociaux ; elle a inventé le délit de solidarité. La gauche se doit d’être du côté de ceux et celles qui luttent pour le progrès social et démocratique. Aussi, ma question est simple et claire : votre Gouvernement donnera-t-il demain un avis favorable à l’adoption de ce texte au Sénat ? Permettra-t-il ainsi à notre assemblée de rendre justice aux acteurs et actrices du progrès social et de la démocratie, en adoptant également cette proposition de loi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, le Gouvernement est évidemment soucieux de la protection de l’action des syndicats, en particulier lorsqu’ils doivent faire face à des perspectives de plans sociaux. Leur expression doit cependant toujours rester dans le cadre de la loi.
Je tiens d’abord à vous dire que les condamnations dans le cadre que vous avez évoqué ont été assez rares : la politique pénale menée ces dernières années a plutôt tendu à classer ces affaires sans suite. Les dernières condamnations prononcées dans ce cadre ont porté sur ceux que l’on appelle les « cinq de Roanne », condamnés en novembre dernier par la Cour d’appel de Lyon, mais dispensés de peine, pour la dégradation des murs d’une sous-préfecture par des graffitis en 2010, en marge des mouvements sociaux contre la réforme des retraites.
Votre groupe politique homologue au Sénat a donc déposé une proposition de loi d’amnistie qui sera discutée demain. Sachez que le Gouvernement participera activement à cette discussion, en essayant de trouver le nécessaire équilibre entre, d’une part, le droit syndical, et, d’autre part, le respect de la légalité républicaine.
Une autre difficulté tient à l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques d’un certain nombre des personnes responsables de dégradations – parfois de simples graffitis – commises dans les mêmes circonstances. Sachez que ce fichier a été créé par la gauche, en 1998, dans un souci strictement judiciaire. Par la loi du 18 mars 2003, la précédente majorité de droite a considérablement élargi le champ des infractions pouvant entraîner l’inscription à ce fichier, en y incluant notamment les dégradations et donc les graffitis. Si, pour les auteurs de dégradations graves, l’inscription à ce fichier peut se justifier, en revanche, s’agissant de graffitis réalisés dans le cadre d’actions syndicales, la question se pose. Là encore, le Gouvernement comprend les préoccupations relatives à la pénalisation de l’activité syndicale. C’est dans cet esprit qu’il participera demain à la discussion au Sénat.
Je veux enfin vous rappeler que, depuis mai 2012, aucune loi d’amnistie n’a été présentée et adoptée.
M. le président. Merci, madame la ministre.
M. le président. La parole est à M. Thierry Robert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Thierry Robert. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé et porte sur la situation financière des personnes âgées qui ne bénéficient pas d’une retraite personnelle à taux plein. En effet, si une personne n’a pas suffisamment cotisé et souhaite faire valoir ses droits à la retraite à l’âge de soixante-cinq ans, elle perçoit un revenu de retraite personnelle de 350 euros par mois en moyenne pour une personne seule. Ce revenu peut être complété par l’allocation de solidarité pour personnes âgées – ASPA –, bien évidemment sous conditions de ressources. Or à La Réunion notamment, pour des raisons historiques et culturelles, la majorité des retraités actuels a travaillé pendant des années sans avoir été salariés. Je pense aux agriculteurs, aux éleveurs et aux maraîchers qui ont travaillé dur toute leur vie et qui, faute d’un revenu décent, ne peuvent vivre dignement. Mais je pense aussi aux mères au foyer et à toutes les personnes qui ont travaillé sans être déclarées, c’est une réalité, ou qui ont commencé à cotiser tardivement.
Dans l’impossibilité de justifier d’un nombre suffisant de trimestres de cotisations, ces personnes ne disposent que d’une faible retraite personnelle pour vivre. L’ASPA pourrait leur permettre d’améliorer leurs ressources, mais cette aide est soumise à une récupération sur succession. Malheureusement, la plupart des retraités la refusent pour ne pas mettre en difficulté leurs héritiers après leur décès.
Le Gouvernement s’est engagé à réformer le système des retraites dès 2013,…
M. Lucien Degauchy. Il s’est engagé à tellement de choses !
M. Thierry Robert. …il est donc urgent d’envisager des solutions pour nos aînés !
Je suis conscient des difficultés économiques et financières que notre pays traverse, mais, madame la ministre, quelle mesure votre gouvernement mettra-t-il en œuvre pour aider ces personnes qui doivent vivre avec, parfois, moins de 350 euros par mois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député Thierry Robert, il est exact que certains retraités vivent, dans notre pays et, en particulier, outre-mer, dans des conditions difficiles. Certains retraités se sont constitués, pour des raisons diverses, de toutes petites pensions. Nous pouvons, par exemple, penser au cas des salariés agricoles qui ne bénéficient pas, outre-mer, de retraites complémentaires. Pour autant, ces retraités peuvent bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Vous l’avez souligné, dans la mesure où il s’agit d’un mécanisme d’aide sociale, cette allocation peut être récupérée au moment de la succession, ce qui conduit certains de nos concitoyens en situation difficile à ne pas effectuer la démarche pour bénéficier de cette allocation. La récupération sur succession peut cependant faire d’ores et déjà l’objet de certaines dispenses ou de certains aménagements. Ainsi, il n’est pas procédé à la récupération pour un patrimoine inférieur à 39 000 euros. Le montant qui peut être récupéré est limité à 6 009 euros pour chaque année de versement. Enfin, pour accroître le recours à cette allocation de solidarité aux personnes âgées, est exclu du champ de la récupération le capital d’exploitation agricole.
C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui a fait de l’accès au droit un des enjeux fondamentaux pour lutter contre la pauvreté, nous allons mettre en place les dispositifs nécessaires afin que l’allocation de solidarité aux personnes âgées soit mieux connue et que ces dernières puissent en disposer dans de meilleures conditions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Benoist Apparu, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Benoist Apparu. Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous interroger sur la communication pour le moins intempestive de votre ministre de l’éducation nationale. (« Démission ! » sur les bancs du groupe UMP.)
À peine trois jours après sa nomination et sans aucune concertation, M. Peillon a annoncé le contenu de réforme de la journée et de la semaine scolaires. Il a certes été recadré, mais chacun connaît la suite. Les parents, les enseignants comme les collectivités locales refusent cette réforme saucissonnée et non financée. Ce week-end, le ministre a récidivé et a annoncé une réforme de l’année scolaire pour 2015, sans, là encore, aucune concertation !
Monsieur le Premier ministre, il serait temps que vos services mettent un peu d’ordre dans la communication de votre ministre de l’éducation nationale qui est en passe de réaliser un exploit : « planter » une réforme qui fait pourtant consensus dans son esprit ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)
Je tenais également à vous interroger, monsieur le Premier ministre, sur les conséquences budgétaires de ces annonces. Nous avons appris, récemment, que les 3 % de déficit ne seraient pas respectés…
M. Guy Geoffroy. Eh oui !
M. Benoist Apparu. …parce que vous avez annulé nos économies et parce que vous avez, de nouveau, dépensé de l’argent public.
M. Philippe Goujon. Encore un reniement !
M. Benoist Apparu. Je tiens, à ce titre, à appeler votre attention sur une circulaire récemment publiée par le ministère qui supprime vingt-quatre heures de temps d’enseignement devant les élèves, avec pour résultat la suppression de 12 000 postes !
Plusieurs députés du groupe SRC. C’est faux !
M. Benoist Apparu. Enfin, M. Peillon nous a annoncé ce week-end que les enseignants travailleraient deux semaines supplémentaires, ce qui représente cinquante-quatre heures, soit 18 000 postes supplémentaires à financer.
M. Jean-François Copé. Démagogie !
M. Benoist Apparu. Vous comprendrez donc pourquoi les Français ne vous croient plus quand vous leur dites que vous n’augmenterez pas les impôts, ce que d’ailleurs nous confirmait, ce week-end, le ministre du budget !
Ma question sera très simple, monsieur le Premier ministre : quand allez-vous ajourner cette réforme des rythmes scolaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Rudy Salles. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale. (Huées sur les bancs du groupe UMP. – Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député Apparu, je vous remercie pour votre question, car je sais votre attachement à l’école.
Un député du groupe SRC. Tu parles !
M. Vincent Peillon, ministre. L’école a besoin, vous avez raison, d’une grande réforme.
M. Philippe Gosselin. Et de sérieux !
M. Vincent Peillon, ministre. Notre action est cohérente. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Je vous rappelle les observations mentionnées dans un rapport parlementaire du groupe UMP paru en 2010 : « S’agissant de la semaine de quatre jours, elle devrait être purement et simplement interdite. […] Les vacances d’été pourraient être raccourcies de deux ou trois semaines. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est ce que vous affirmiez en 2010 !
Mme Catherine Vautrin. Il vient de le dire !
M. Vincent Peillon, ministre. C’est ce que vous avez dit, mais non ce que vous avez fait !
Mme Claude Greff. On vous parle de méthode !
M. le président. S’il vous plaît, madame Greff !
M. Benoist Apparu. En 2011, la consultation « Chatel », laquelle a donné lieu à la remise d’un rapport, est parvenue aux mêmes conclusions. En juin 2011, cher Benoist Apparu, vous avez dit, sur votre blog, qu’il fallait avoir le courage de lever un tabou et de traiter la question des vacances d’été. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cher Benoist Apparu, vous n’avez eu qu’un courage, alors que vous étiez aux responsabilités : supprimer des postes, faire la semaine de quatre jours, supprimer la formation des enseignants et donner des conseils !
Mme Claude Greff. On nage !
M. Vincent Peillon, ministre. Nous faisons, pour notre part, ce que vous auriez aimé faire : redresser l’école française et mettre en place la réforme, ce que vous n’avez pas eu le courage de faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Merci de le saluer et arrêtez de vous contredire !
Vous avez été de très mauvais gouvernants, essayez d’être de meilleurs opposants ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – De très nombreux députés des groupes SRC et écologiste se lèvent.)
Mme Marie-George Buffet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Christian Eckert. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et du budget, ce gouvernement et sa majorité ont trouvé en juin dernier des finances publiques dégradées,…
M. Lucien Degauchy. À qui la faute ?
M. Christian Eckert. …certes par la crise, mais aussi par des choix budgétaires et fiscaux condamnés par les Français.
De 5,2 % en 2011, le déficit budgétaire sera ramené en 2012 autour de 4,5 %, et la Cour des comptes comme la Commission européenne ont reconnu une amélioration significative et inédite du déficit structurel de la France.
La réduction à 3 % du déficit à la fin de 2013 est remise en cause par l’absence de croissance en Europe, même si elle est moins prononcée en France.
Les mesures budgétaires et fiscales prises ces six derniers mois ont montré que la France et son gouvernement étaient responsables, et nous avons mis en œuvre une obligation de moyens auxquels tout gouvernement devait s’astreindre pour réduire dettes et déficits, d’abord faire des économies de fonctionnement, mais aussi solliciter l’effort des entreprises et des ménages en préservant les PME et les ménages les plus modestes.
M. Charles de La Verpillière. Bla-bla-bla !
M. Christian Eckert. Pour autant, certaines mesures budgétaires ou fiscales, surtout celles qui concernent les entreprises, ne sont pas reconductibles en 2014. Le niveau des prélèvements obligatoires, s’il ne saurait être augmenté, nécessitera donc, pour assumer un déficit enfin maîtrisé, d’être stabilisé.
Plusieurs députés du groupe UMP. Allô !
M. Christian Eckert. Pouvez-vous confirmer, monsieur le ministre, à la représentation nationale que cette trajectoire est bien la bonne,…
Plusieurs députés du groupe UMP. Allô !
M. Christian Eckert. …que ce cap juste et nécessaire sera suivi et par quels moyens vous obtiendrez ces résultats que vous, mes chers collègues de l’opposition, et en dépit de ce que vous prétendez, monsieur Apparu, n’avez jamais atteints jusqu’à présent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. Je vous prie d’abord de m’excuser pour le filet de voix qui me reste, l’essentiel étant resté, après quelques expériences rugbystiques, dans le stade de Twickenham samedi dernier.
En 2012 et pour la première fois, vous avez raison de le souligner, monsieur le député, le déficit structurel de notre pays a été réduit de 1,2 % quand, ces cinq dernières années, les gouvernants qui nous ont précédés avaient endetté structurellement notre pays de près d’un point de PIB. En 2013, nous continuerons à réduire le déficit structurel de notre pays de 1,9 point de PIB en deux ans. C’est donc un effort structurel de 3,1 % qui aura été réalisé sous l’autorité de Jean-Marc Ayrault quand, sous celle de M. Fillon, c’est un endettement structurel supplémentaire de 20 milliards d’euros auquel nous avons assisté entre 2007 et 2011.
En 2012 et pour la première fois dans notre histoire budgétaire, nous avons assisté à une diminution de la dépense publique alors que celle-ci avait augmenté en moyenne de 5 à 6 milliards d’euros par an les années précédentes.
Nous ferons évidemment de même en 2013. Nous devons continuer à maîtriser la dépense publique en 2014 en réalisant des économies conséquentes – 10 milliards pour le budget de l’État, 2,5 milliards pour la protection sociale –, et des réformes structurelles de la politique de la famille, de la politique d’aide aux entreprises et de la politique d’aide aux collectivités locales.
Je constate d’ailleurs que l’opposition veut des économies violentes mais s’oppose tout aussi violemment à chaque fois que la majorité peut en proposer (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), quels que soient les secteurs concernés.
S’il faut beaucoup d’économies, elles ne peuvent à elles seules permettre l’ajustement budgétaire, il faut aussi des recettes. En 2013, nous avons un niveau de recettes dont témoigne le taux de prélèvements obligatoires. Ces prélèvements obligatoires devront rester les mêmes, sans augmenter, je l’espère, en 2014. C’est la raison pour laquelle il faudra compenser des recettes constatées en 2013 que nous ne pourrons, nous le savons, retrouver en 2014. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Philippe Cochet. Bonnes vacances, monsieur Cahuzac !
M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. Yannick Favennec. Monsieur le ministre de l’agriculture, au moment où la plus grande ferme de France est réunie à la porte de Versailles à Paris, je voudrais appeler une fois de plus votre attention sur la situation des éleveurs, qui en sont parmi les principaux acteurs et qui contribuent très largement cette année encore au succès populaire du salon de l’agriculture.
Pourtant, derrière cette magnifique vitrine qui fait la fierté de notre pays, se cache une situation extrêmement inquiétante, voire dramatique pour nos éleveurs.
L’élevage souffre non pas d’une crise de la production, mais d’une crise des revenus. La dernière publication en décembre dernier par votre ministère du revenu moyen d’un exploitant agricole selon son secteur d’activité met en lumière la grande faiblesse du revenu des éleveurs, les filières ovines, bovines et porcines étant les plus impactées.
À la montée des coûts de production, il faut ajouter, par exemple, pour les éleveurs laitiers, les incertitudes liées à la fin des quotas programmée pour la fin de 2015, et, pour les éleveurs de porcs, la mise aux normes de leur exploitation.
Si l’on ajoute à cela le temps de travail, conjugué à la pénibilité, et si l’on rapporte toutes ces difficultés à leur niveau de revenus, on peut comprendre que nos éleveurs soient démotivés, désespérés, quand ils ne sont pas exaspérés.
Pourtant, ils contribuent non seulement à notre indépendance alimentaire, à sa qualité, grâce à la traçabilité, mais aussi à l’emploi et à la préservation des paysages et du bocage, comme je le constate dans mon département de la Mayenne.
Face à cette situation extrêmement préoccupante pour notre agriculture, et dans un contexte où se discute le futur de notre politique agricole commune, notamment la répartition des aides, quelles perspectives concrètes et immédiates proposez-vous à nos agriculteurs, et plus particulièrement à nos éleveurs, pour que la France reste cette belle et grande puissance agricole et agroalimentaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire.
M. Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l’agroalimentaire. Je vous remercie de votre question, monsieur le député ; en l’absence de Stéphane Le Foll, que je vous prie de bien vouloir excuser, elle me permet de préciser l’action du Gouvernement pour nos éleveurs.
Samedi dernier, au salon de l’agriculture, le Président Hollande a dit combien notre pays était solidaire de nos éleveurs, aujourd’hui plongés dans le désarroi parce qu’ils ne peuvent plus vivre de leur travail.
M. Yannick Favennec. Et que fait-on ?
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Il faut d’abord rééquilibrer les relations entre les producteurs et la grande distribution. Cela signifie qu’il faut reprendre et adapter la LME de telle sorte que chacun s’y retrouve. C’est la première priorité.
Il faut ensuite réorienter la PAC, cette PAC que nous avons sauvée (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP), au bénéfice des éleveurs. C’est ce que défend Stéphane Le Foll avec la majoration des aides pour les cinquante premiers hectares, donc, très clairement, au bénéfice de nos éleveurs.
Il faut enfin aider à la modernisation des bâtiments d’élevage et des exploitations.
M. Lucien Degauchy. C’est du bla-bla tout ça !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. C’est tout l’enjeu d’un plan méthanisation qui sera présenté par Stéphane Le Foll et Delphine Batho avant la fin du mois de mars.
M. Alain Marty. On est sauvés !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Sous l’autorité du Premier ministre, le Gouvernement se mobilise de façon exceptionnelle pour soutenir nos éleveurs, surmonter la crise et trouver ensemble des solutions d’avenir pour l’élevage, qui doit rester une grande force pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Xavier Bertrand. Monsieur le Premier ministre, voilà un peu plus d’un an, François Hollande annonçait « le redressement dans la justice ». Plus d’un an après, où est le redressement quand il a été annoncé cette semaine que les objectifs de déficit public ne seraient pas tenus ?
M. Guy Geoffroy. Eh oui !
M. Xavier Bertrand. Où est le redressement quand le chômage ne cesse d’augmenter, et quand le Président de la République renonce aussi à ses engagements en la matière ? Aujourd’hui, la France va hélas moins bien qu’il y a un an. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) La France s’affaiblit, et ce du seul fait de votre politique : vous en êtes les seuls coupables ! (Mêmes mouvements.)
Par ailleurs, où est la justice quand depuis le début de votre quinquennat vous ne cessez d’accumuler les injustices ? Où est la justice quand vous privez les ouvriers et employés qui faisaient des heures supplémentaires du bénéfice de la défiscalisation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Où est la justice quand vous revenez sur le droit de timbre pour les étrangers qui se font soigner en France alors que les retraités payent eux-mêmes leur mutuelle ou l’euro chez le médecin ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Thomas Thévenoud. Zéro !
M. Xavier Bertrand. Où est la justice quand vous décidez de taxer les retraités de 0,3 et 0,6 % alors que vous ne l’aviez pas dit ? Où est la justice quand vous décidez de taxer les classes moyennes ? Et où est la justice quand Mme Lebranchu décide, la semaine dernière, de revenir sur le jour de carence pour les fonctionnaires alors qu’il y a trois jours dans le privé ? (Applaudissements et huées sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. Jean-François Copé. Scandale !
M. Xavier Bertrand. Cette mesure est un petit calcul misérable : parce que vous n’avez pas voulu augmenter les salaires des fonctionnaires de la valeur du point, vous cherchez à leur faire un cadeau. On ne gouverne pas en cherchant à faire plaisir, on gouverne dans la justice ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Laurence Dumont. Pas vous !
M. Jean-Christophe Lagarde. Il a raison !
M. Xavier Bertrand. La chose est certaine : contrairement à ce qui nous a été dit, plus de la moitié des ouvriers eux-mêmes payent ces jours de carence. Vous avez donné le plus mauvais signal qui soit. Votre gouvernement est marqué par l’injustice.
Quand comprendrez-vous que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. Si vous dénoncez l’injustice, monsieur le député, c’est que vous estimez être un justicier. Quel curieux justicier vous avez été ! Puis-je vous rappeler que c’est vous qui avez instauré une franchise d’un euro par consultation non remboursée pour les assurés sociaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. Serge Janquin. Absolument !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. C’est vous également qui avez instauré un forfait empêchant les assurés les plus modestes de pouvoir bénéficier des examens de dépistage médicaux les plus élémentaires. (Mêmes mouvements.)
M. Gérald Darmanin. Répondez à la question !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Était-ce le justicier que vous prétendez être qui a augmenté à plusieurs reprises le forfait hospitalier, dont on sait que ce sont les plus modestes de nos concitoyens qui en souffrent le plus ? Est-ce le justicier que vous prétendez être qui a instauré les franchises médicales et taxé à deux reprises les mutuelles, pour plus de 2 milliards d’euros ?
M. Xavier Bertrand. Vous ne répondez pas !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Vous dénoncez le chômage, mais est-ce le justicier que vous prétendez être qui, en tant que ministre du travail, n’a pas su empêcher l’aggravation du chômage : dix-neuf mois d’aggravation continuelle du chômage, dont dix à votre compte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Vous tentez d’oublier ou de faire oublier votre bilan en vous parant des vertus d’un justicier que vous n’êtes pas, que vous n’avez jamais été, et que vous ne serez un jour qu’à une condition : que vous cessiez d’être, dans l’opposition, le fauteur de polémiques que vous étiez déjà dans la majorité.
Mme Colette Langlade et M. Jean-Louis Gagnaire. Très bien !
M. Alain Marty. À Twickenham !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Peut-être alors serez-vous écouté avec le respect qui vous est dû compte tenu de vos compétences mais que vous ne parvenez à obtenir parce que vous confondez le rôle de polémiste avec celui qui devrait être le vôtre aujourd’hui au regard de ce que vous avez été. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. Plusieurs députés du groupe se lèvent pour applaudir. – Exclamations et bruits de pupitres sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Bleunven, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean-Luc Bleunven. Monsieur le ministre des affaires étrangères, le 19 février dernier, sept de nos compatriotes ont été enlevés au nord du Cameroun. Depuis lors, les autorités françaises mettent tout en œuvre pour obtenir la libération de ces otages.
Hier, avec la diffusion d’une vidéo mettant en scène les membres de cette famille, un cap a été franchi dans l’horreur. Les ravisseurs, qui se revendiquent du groupe djihadiste nigérian Boko Haram, menacent la France et demandent la libération de prisonniers détenus au Nigeria et au Cameroun.
La position de la France est claire, vous l’avez de nouveau affirmée le 20 février dernier : « Il faut faire le maximum pour libérer nos otages, mais rien ne serait pire que de céder aux groupes terroristes. » Cette position a été confirmée ce matin même par Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.
Monsieur le ministre, nous savons que le Gouvernement déploie toute son énergie pour retrouver nos compatriotes et obtenir leur libération. Les autorités françaises travaillent de concert avec le Nigeria et le Cameroun pour parvenir au plus vite à une issue favorable.
Le groupe SRC veut témoigner le soutien des députés de la majorité au Gouvernement dans la gestion de cette question difficile, et nous tenons à exprimer notre sympathie aux familles de nos compatriotes pris en otage.
Face aux groupes terroristes qui mélangent religion, trafics et conquête politique, la France et la communauté internationale ont fait le choix de la fermeté. Pouvez-vous nous dire comment la France mobilise ses partenaires pour créer les conditions d’une libération prochaine de nos compatriotes détenus au Nigeria ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, la question que vous posez aurait légitimement pu être posée par l’ensemble des députés.
M. Lucien Degauchy. C’est vrai.
M. Laurent Fabius, ministre. Hier, une vidéo a été diffusée,…
Un député du groupe UMP. Encore une !
M. Laurent Fabius, ministre. …montrant l’horreur et la cruauté du groupe qui détient nos compatriotes, sept personnes, dont quatre enfants, la plus petite étant âgée de cinq ans.
Des revendications ont été formulées par le groupe Boko Haram – elles sont en train d’être vérifiées par les services compétents – et des menaces proférées. Il est demandé que le Cameroun et le Nigeria libèrent toute une série de personnes, et à la fin de la vidéo il est dit : « Si ces revendications ne sont pas satisfaites, nous égorgerons les otages. » Cela montre la cruauté épouvantable de ce groupe.
Face à cela, le Gouvernement fait tout ce qu’il doit faire. J’ai personnellement pris contact avec la famille, qui se trouve en France. Le centre de crise du Quai d’Orsay agit comme il a coutume de le faire. Le ministère de la défense, le ministère de l’intérieur, mon ministère sont en contact avec les autorités du Cameroun et celles du Nigeria pour prendre des initiatives, dont chacun comprendra que je n’ai pas à donner le détail ici.
La situation est extrêmement lourde. Je tiens à dire mon admiration et, j’en suis sûr, notre admiration à tous pour le courage dont font preuve les familles. Qu’elles sachent que toute la France est à leurs côtés. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.
Mme Barbara Pompili. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, vous venez d’évoquer l’allongement de deux semaines de l’année scolaire, afin d’offrir aux élèves les conditions les plus propices aux apprentissages.
Cette perspective s’inscrit dans la continuité de la réforme globale que vous portez.
Grâce à la semaine de cinq jours, les élèves français bénéficieront d’un nombre de journées de cours comparable à celui de leurs camarades européens ainsi que d’un rythme de travail adapté aux standards reconnus par tous les spécialistes de l’enfance. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Christophe Lagarde. Tu parles !
Mme Barbara Pompili. Permettez-moi de vous faire part du soutien déterminé des écologistes à cet objectif. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes écologiste et SRC.)
Le changement, c’est toujours perturbant. Le changement, c’est toujours difficile à mettre en œuvre ; mais pour l’école, le changement, c’est maintenant, et ce n’est pas nous qui allons nous en plaindre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes écologiste et SRC.)
D’abord, parce qu’il y va de l’intérêt des élèves. Alors que tous les indicateurs pointent un creusement des inégalités scolaires et un décrochage de notre enseignement par rapport aux autres pays européens, le statu quo est inenvisageable.
Ensuite, parce que ce changement de calendrier permet de faire évoluer les pratiques pédagogiques et s’accompagne de moyens nouveaux, notamment au niveau des personnels et via le fonds d’accompagnement. Si nous plaidons pour la pérennisation de ce fonds, et surtout pour une péréquation afin de réduire les inégalités entre territoires,…
M. Guy Geoffroy. C’est ça !
Mme Barbara Pompili. …n’oublions pas que c’est la première fois que l’État cofinancera le périscolaire.
Monsieur le ministre, laissons les polémistes polémiquer, laissons la droite qui a cassé l’école hier (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes écologiste et SRC) tenter de se refaire une santé politique en instrumentalisant les craintes qui s’expriment, et venons-en au fond : pouvez-vous nous préciser comment et selon quel calendrier vous entendez mener la concertation pour aboutir enfin à une remise à plat d’un calendrier global de l’année scolaire qui n’est pas plus adapté à la vie des familles qu’à l’intérêt des enfants ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Madame la députée, vous avez eu raison de rappeler que la situation faite aux élèves de France est unique au monde et leur est préjudiciable : ils n’ont que cent quarante-quatre jours de classe par an et des journées de cours surchargées.
M. Christian Jacob. Et le ministre de l’éducation nationale est une deuxième calamité !
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Cette situation explique la baisse des performances scolaires de nos élèves, qui ne cesse malheureusement de se vérifier étude après étude, ainsi que l’accroissement des inégalités entre ceux qui réussissent le mieux et les autres : à l’entrée au collège, on compte 25 % d’élèves en difficulté, et 35 % dans les zones les plus sensibles.
C’est pourquoi le Président de la République et le Premier ministre ont décidé de faire de la refondation de l’école une priorité : priorité à l’école primaire ; remise en œuvre d’une formation des maîtres ; nouveaux systèmes d’orientation.
Il faut avoir le courage de faire ce que l’on dit, c’est-à-dire mener jusqu’au bout la réforme des rythmes.
M. Xavier Bertrand. Ben voyons !
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. J’ai été très étonné de voir qu’un Premier ministre de la France, qui a été le responsable de la semaine de quatre jours et de la suppression de la formation des enseignants, était capable de dire que notre réforme se faisait sans concertation (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste) et dans la précipitation, alors que j’ai précisément demandé d’organiser une concertation, et que celle-ci s’engage en 2015. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Le mensonge ne saurait faire une politique ; c’est ce qui fait l’échec des politiques, en l’occurrence de la vôtre. La vérité de notre attitude – et je vous remercie de votre soutien – servira de l’intérêt des élèves et l’intérêt de la France.
M. Bernard Accoyer. Niet ! Niet ! Niet !
M. le président. La parole est à M. Philippe Meunier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Philippe Meunier. Monsieur le Premier ministre, François Hollande a menti aux Français au sujet du chômage…
M. Guy Geoffroy. C’est net !
M. Philippe Meunier. …et aujourd’hui, votre gouvernement est pris la main dans le sac s’agissant des impôts.
À défaut de mener les réformes nécessaires, vous avez choisi de matraquer fiscalement les Français, et plus particulièrement les familles.
Vous avez commencé par vous attaquer au quotient familial : à cause de votre gouvernement, plus une famille a d’enfants, plus elle paie d’impôts.
M. Bernard Perrut. Eh oui !
M. Philippe Meunier. Vous avez pris ensuite la décision d’alourdir considérablement le malus automobile frappant les voitures familiales.
Depuis peu, vous envisagez de réduire, voire de supprimer les allocations versées aux familles de France qui contribuent pourtant déjà lourdement aux dépenses publiques grâce à leurs impôts.
Aujourd’hui enfin, votre dogmatisme et votre sectarisme vous conduisent à supprimer la demi-part fiscale attribuée aux familles dont les enfants sont étudiants. Ces modifications se font, une fois de plus, au détriment des familles de la classe moyenne auxquelles vous avez déjà supprimé les heures supplémentaires défiscalisées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Avec l’ensemble de ces mesures anti-familles, qui s’ajoutent à votre projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC), vous remettez en cause notre pacte républicain issu du Conseil National de la Résistance et basé sur l’universalité de notre politique familiale et sur la protection des droits de l’enfant.
N’allez pas nous répondre faussement qu’il s’agit du principe d’égalité ; car vous vous êtes disqualifiés en supprimant le jour de carence pour les seuls fonctionnaires, érigeant en principe d’État la discrimination entre les agents de la fonction publique et les salariés du secteur privé.
Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous retrouver le sens de l’intérêt général ? Quand allez-vous demander à votre ministre de la famille de cesser d’être la militante des minorités agissantes pour prendre enfin toute la mesure de sa fonction ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe UMP. Et le Premier ministre ?
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, un sujet parmi tous ceux que vous avez abordés me semble dominer votre propos : celui de la politique familiale.
S’agissant du quotient familial, il est exact que le Parlement a abaissé, à la demande du Gouvernement, …
M. Philippe Meunier. Et les impôts ?
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. …le plafond du quotient familial de 2 300 euros à 2000 euros, dégageant ainsi une enveloppe de 450 millions d’euros pour les familles, puisqu’elle a permis de financer l’augmentation de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
On peut certes critiquer l’abaissement de ce plafond, mais le fait que cette mesure ait précisément visé les familles qui ne bénéficient pas du quotient familial, parce que non imposables, n’en fait pas le meilleur exemple que vous pouviez trouver d’une politique qui jouerait au détriment de la famille.
Pour ce qui est enfin de la suppression de la demi-part accordée aux familles qui ont un enfant étudiant, monsieur le député, en plein accord avec le Premier ministre, je ne peux que démentir complètement cette information.
À aucun moment le Gouvernement n’a eu l’intention… (Protestations sur les bancs du groupe UMP)
Plusieurs députés du groupe UMP. Menteur !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. …de supprimer cette demi-part fiscale, pour une raison assez simple : cette demi-part est une manière, pour la nation, de reconnaître aux familles les obligations qu’elles ont à l’égard de jeunes qui souhaitent s’investir dans la vie en leur donnant toutes les chances de succès dans leur formation.
Mme Anne Grommerch. Rétropédalage !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. Cette demi-part fiscale, monsieur le député, le Gouvernement n’a pas l’intention de la supprimer : voilà qui devrait vous satisfaire, ainsi que l’ensemble des parlementaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. Rudy Salles. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, le projet de loi de refondation de l’école de la République est en ce moment même à l’étude dans notre assemblée. Le titre de la loi, « Refondation », nous paraît plus correspondre à une forme d’immodestie de votre part qu’à une réelle volonté de réforme en profondeur. Que nécessite d’abord une véritable refondation de l’école, sinon un consensus national ? L’école n’est en effet ni de gauche, ni de droite, ni du centre, c’est l’école de la République : ce combat est celui de tout un pays.
Malheureusement, vos propos, votre attitude et vos méthodes nous disent le contraire de cette belle ambition. Dois-je rappeler vos propositions à l’emporte-pièce, sans aucune concertation, sur la légalisation du cannabis à l’école (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC), sur la réforme des rythmes scolaires et maintenant sur le raccourcissement des vacances scolaires, ce qui vous fait rappeler à l’ordre très régulièrement par le Premier ministre ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Le consensus fait place grâce, ou à cause de vous, à une querelle généralisée.
Le projet de loi de refondation de l’école se résume en un lifting qui renvoie nombre de problèmes à d’autres mesures éparses et désordonnées. Ce texte est une occasion manquée. Avec une autre méthode, chacun de nous aurait pu apporter sa contribution pour le bien de l’école et de notre jeunesse. Vous refusez le dialogue républicain.
Ce week-end encore, vous avez évoqué de façon intempestive le raccourcissement des vacances estivales quelques semaines à peine après avoir annoncé la réforme des rythmes scolaires hebdomadaires, sans la moindre concertation avec les enseignants, avec les parents d’élèves ou encore avec les collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, allez-vous accepter une réelle concertation pour construire un projet global des rythmes scolaires qui trouve une adhésion générale et signe une cohérence effective ? Êtes-vous prêt, pour y parvenir, à repousser à 2015…
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
Plusieurs députés du groupe UMP. Et du cannabis !
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Très cher député Rudy Salles, je ne sais si vous maniez l’humour ou si je viens d’assister au spectacle le plus affligeant de la mauvaise foi politicienne ! (Vives exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Je prétends que parmi les réformes que nous proposons, celle donnant la priorité au primaire dans un pays qui a le plus faible taux d’encadrement pour les élèves en question devrait faire consensus. Elle a du reste le soutien d’anciens ministres de droite et même de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy pour l’éducation.
Deuxièmement, les réformes que nous portons sont peut-être modestes, mais importantes. Ainsi, la remise en place d’une formation des enseignants me semble bien très au-delà du clivage gauche-droite. Il faut vraiment être vous pour dire que nous politisons cette affaire.
Troisièmement, s’agissant des rythmes scolaires, je demande à chacun de lire le compte rendu de mon audition devant la commission des affaires culturelles, ils verront que vous avez pris la parole pour dire qu’il faudrait compléter ma réforme du rythme de la semaine par une réforme des vacances d’été. Tous les Français peuvent le lire. C’est donc une réforme consensuelle puisqu’elle correspond exactement à ce que vous préconisez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Eva Sas. Très juste !
M. Vincent Peillon, ministre. Mais vous ne voulez pas le consensus, vous ne voulez pas l’intérêt des enfants. Vous n’hésitez pas à mentir, y compris sur le cannabis ! Vous manquez d’élévation. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. Lucien Degauchy. Lequel des deux est affligeant ?
M. Vincent Peillon, ministre. On n’a pas pu faire confiance à votre majorité pour faire de l’école de la République une école de la réussite. Nous, nous le ferons. J’aurais tant souhaité que vous soyez avec nous : c’est à vous de le décider en conscience. Je crois que vous en avez une. (Mêmes mouvements.) Les jours qui viennent vont vous permettre de trouver votre cohérence. Cette réforme est une grande réforme. Vous n’avez pas su la conduire : menez-la avec nous, c’est l’intérêt du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Éric Ciotti. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, nous étions, ce matin, rassemblés dans la cour d’honneur de la préfecture de police de Paris pour rendre hommage aux deux policiers morts en service jeudi dernier sur le périphérique : le capitaine Cyril Genest et le lieutenant Boris Voelckel. Ce drame nous a rappelé le danger que courent dans notre pays, les policiers et les gendarmes au service de notre liberté. Ainsi, 11 000 policiers et gendarmes ont été blessés en service l’année dernière. Mes pensées en cet instant se portent vers les familles des deux policiers et vers le policier grièvement blessé dans ce drame épouvantable.
C’est au moment même, monsieur le Premier ministre, où est survenu ce drame que vous receviez et approuviez les conclusions de la conférence de consensus initiée et installée par Mme Taubira. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Pascal Cherki. Ce propos est honteux !
M. Razzy Hammadi. Scandaleux !
M. Éric Ciotti. Les résultats de cette conférence mettent à mal tout l’équilibre de notre droit pénal. (Mêmes mouvements.) Je sais que cela vous gêne, mes chers collègues, mais ses conclusions, décidées par une commission composée uniquement de proches de la majorité, établissent une véritable impunité pénale et vont lancer un message particulièrement dangereux en matière de délinquance : vous voulez supprimer les peines planchers contre les multirécidivistes ; vous rendez automatiques les libérations aux deux tiers de la peine ; vous supprimez les tribunaux correctionnels pour mineurs. Cette politique est dangereuse.
Monsieur le Premier ministre, comptez-vous revenir sur la politique pénale mise en place par la garde des sceaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le député Éric Ciotti, nous étions en effet présents à cette cérémonie émouvante, présidée par le Premier ministre, pour rendre un dernier hommage à Boris Voelckel et à Cyril Genest, décédés jeudi dernier, et nous avons évidemment tous une pensée pour leurs familles et tous leurs camarades, et aussi bien sûr pour Frédéric Kremer qui lutte en ce moment même pour la vie, soutenu par sa famille.
Vous avez raison de souligner que trop de policiers et trop de gendarmes sont, depuis des années, confrontés à une contestation de l’autorité de la part de voyous, de caïds, de chauffards.
M. Guy Geoffroy. Ça ne s’arrange pas !
M. Manuel Valls, ministre. Il faut que la justice passe avec la plus grande sévérité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Lucien Degauchy. On n’en prend pas le chemin !
M. Manuel Valls, ministre. Mais une réflexion doit s’ouvrir sur le fait que 80 000 à 90 000 peines de prison ferme ne sont pas exécutées, sur le fait que la surpopulation carcérale et l’état de nos prisons aggravent le risque de récidive…
M. Lionnel Luca. C’est faux !
M. Manuel Valls, ministre. …et sur la manière de lutter contre celle-ci, ainsi que sur le fait que nos tribunaux sont surchargés. Regardons lucidement la réalité : malgré dix ans d’une politique pénale qui visait à traiter ces questions, ce que nous trouvons aujourd’hui montre qu’il n’y a pas été apporté de réponses.
M. Philippe Martin. C’est un échec !
M. Manuel Valls, ministre. Il y a trois choses que nous ne devons pas oublier : être à la hauteur de l’émotion suscitée par la mort de ces deux policiers ; ne pas polémiquer car s’attaquer aux problèmes de société, à l’insécurité, notamment aux individus très jeunes qui s’en prennent à l’autorité, nécessite mieux que des invectives ; enfin, bien évidemment, parvenir à ce que la politique pénale soit juste, efficace et condamne fermement ceux qui s’en prennent à l’autorité de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste et sur plusieurs bancs du groupe RRDP.)
M. le président. La parole est à Julie Sommaruga, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Julie Sommaruga. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, alors que notre assemblée s’apprête à examiner, à compter du 5 février, la loi de refondation de l’école, les premiers effets de la reconquête éducative se font sentir dans notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le plus parlant d’entre eux est l’augmentation de 46 % du nombre d’inscrits aux concours de l’enseignement public : 138 000 personnes sont inscrites pour la session 2014 alors que 94 300 s’étaient inscrites pour la session 2013.
Grâce à la détermination du Gouvernement, l’éducation et ses métiers redeviennent attractifs. Grâce à l’action du Gouvernement, l’école est en voie de redevenir un pilier de la République qui redonne du sens à l’égalité des réussites et à un destin commun.
Ceux qui pendant dix ans ont abîmé l’école ne sont pas en mesure de donner des leçons. Ils ont fait de l’éducation la variable d’ajustement budgétaire, ils ont multiplié les réductions de postes et les fermetures de classes.
Personne ne peut oublier qu’ils ont poursuivi cette politique alors que 150 000 jeunes sortaient chaque année du système scolaire sans diplôme et que la France n’avait de cesse de dévisser dans les classements éducatifs internationaux.
Chers collègues, la vérité est simple : avec les créations de postes dans l’éducation nationale, avec les emplois d’avenir éducation, avec cette grande loi de refondation de l’école qui consolide notre système éducatif de la maternelle au lycée, le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault agit sans relâche pour réactiver la promesse républicaine et pour faire enfin de l’école une priorité. (Exclamations continues sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le ministre, face à l’urgence du dossier éducatif, votre action est à la hauteur du défi colossal auquel nous faisons face. Alors que nous en récoltons les premiers fruits…
M. Claude Goasguen. Lesquels ?
Mme Julie Sommaruga. …pouvez-vous nous dire quelles leçons doivent être tirées de l’augmentation du nombre d’inscrits aux concours d’enseignants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
Plusieurs députés du groupe UMP. Et du cannabis !
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Madame la députée, comme vous le savez parce que c’est le cas dans votre département, la France a beaucoup de peine à recruter des enseignants et à les remplacer lorsqu’ils sont absents.
C’est, comme vous l’avez fort bien dit, le résultat de politiques de destruction (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) menées massivement sur le service public d’éducation nationale pendant des années. Ces politiques ont conduit – et je ne comprends pas d’ailleurs qu’on ne trouve pas un consensus – à nous mettre dans l’incapacité d’accueillir les enfants de moins de trois ans et d’assurer les remplacements et à supprimer la formation des enseignants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Résultat, la France doit recruter 150 000 enseignants dans les cinq ans qui viennent. Nous avons fait le pari d’y consacrer l’ensemble des moyens, en ouvrant cette année deux concours, exception dans l’histoire de la France et qui avait conduit à beaucoup de scepticisme : un premier concours à l’automne avec 20 000 places ; un deuxième concours en ce moment même avec 20 000 places pour des recrues qui n’enseigneront qu’en 2014 parce qu’ils bénéficieront à nouveau d’une année de formation.
En leur redonnant ce que nous avions, en permettant que les conditions soient bonnes pour eux et pour les élèves car nous avons besoin d’enseignants formés, nous constatons qu’il n’y avait pas de crise des vocations, mais une crise des recrutements liée aux violences faites par la droite à l’égard de l’éducation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Les chiffres dont nous disposons – et c’est une grande espérance pour la France – marquent une augmentation de 57 % des inscrits dans le premier degré et de 46 % dans le second degré. Le nombre d’inscrits progresse même dans les disciplines déficitaires : plus de 40 % en mathématiques, plus de 50 % en lettres modernes, plus de 64 % en anglais. (Exclamations continues sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Lorsqu’on a de la bonne volonté, lorsqu’on présente à sa jeunesse un avenir, lorsqu’on respecte les principes de la République, on obtient des résultats. Si l’école se remet en marche, la France se remettra en marche. La droite l’avait cassée ; nous la remettons en mouvement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. Michel Heinrich, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Michel Heinrich. Ma question, à laquelle j’associe mon collègue Dino Cinieri, s’adresse à M. le Premier ministre.
Après avoir critiqué vivement puis supprimé la TVA antidélocalisation, qui avait l’avantage incontestable de financer notre protection sociale en taxant les produits importés et en allégeant du même coup les charges pesant sur le travail, vous avez institué, monsieur le Premier ministre, un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros financé en partie, mais en partie seulement, par une hausse de la TVA portant principalement cette fois sur la production intérieure. Cette TVA provoque de vives inquiétudes, notamment dans les entreprises du BTP.
À la recherche de 10 milliards d’euros de financement supplémentaires, vous n’avez trouvé d’autre moyen que de vous attaquer violemment et sans concertation aux collectivités locales, en baissant leur dotation du double de ce qui était prévu dans la loi de programmation budgétaire votée en décembre dernier et qui avait déjà suscité l’angoisse des élus locaux. Et ce après avoir chargé la barque de ces collectivités : augmentation des cotisations, effets de la modification des rythmes scolaires, suppression du jour de carence pour les fonctionnaires en congé maladie.
Le président de l’Association des départements de France, Claudy Lebreton, le président de la Fédération des villes moyennes, Christian Pierret, le président du Comité des finances locales et numéro deux de l’Association des maires de France, André Laignel, tous les trois socialistes, ont manifesté leur émotion et leur colère. M. Laignel affirme que « tout le monde n’a pas encore intégré le traumatisme que cela va générer. »
Monsieur le Premier ministre, vous qui étiez maire et président de la métropole de Nantes il y a encore quelques mois, vous savez mieux que quiconque l’impact que cette mesure va avoir sur l’économie locale.
Comment pouvez-vous soutenir l’idée que pour financer le crédit d’impôt aux entreprises, on diminue massivement la capacité d’investissement…
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, permettez-moi d’abord d’indiquer que le crédit d’impôt compétitivité-emploi est une aide accordée aux entreprises pour leur permettre à la fois d’investir et d’embaucher. C’est une aide nettement préférable, en qualité et en volume, à celle que vous aviez envisagée et que, semble-t-il, vous regrettez et que vous appelez TVA sociale.
Elle est supérieure en volume – 20 milliards d’euros au lieu de 12 milliards d’euros – et surtout en qualité : ces 20 milliards d’euros…
Plusieurs députés du groupe UMP. On n’entend pas !
M. le président. Taisez-vous, vous entendrez !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. …seront financés pour moitié par des économies, ce qui me semble la meilleure façon de recycler de la dépense publique en faveur de l’investissement privé. Nous pourrions au moins nous retrouver sur ce point.
Pour le reste, il est vrai que les 10 milliards d’euros restant à trouver seront financés en partie par un effort demandé aux collectivités locales, d’un montant de 1,5 milliard d’euros sur deux ans. Puis-je vous rappeler que le budget des collectivités locales représente 230 milliards d’euros par an ? Puis-je vous indiquer que les concours de l’État aux collectivités locales représentent 100 milliards d’euros par an ?
Puis-je surtout vous rappeler, monsieur le député, que vous avez soutenu avec entrain un candidat à l’élection présidentielle qui, lui, se proposait de demander un effort de 10 milliards d’euros aux collectivités locales. Je ne me souviens pas de vous avoir entendu protester contre ce projet. Je crois même que vous l’avez défendu avec conviction et ardeur.
Comment pouvez-vous expliquer aux uns et aux autres qu’après avoir soutenu le projet de taxer les collectivités locales de 10 milliards d’euros, vous jugeriez scandaleux de leur demander un effort de 1,5 milliard d’euros en faveur de l’emploi et de l’investissement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean-Pierre Blazy. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Le vendredi 8 février dernier, le Gouvernement a annoncé la désignation d’un médiateur dans le conflit social qui secoue Presstalis depuis octobre 2012. Raymond Redding, ancien directeur général du courrier de La Poste, s’est vu confier la mission de trouver une issue favorable à de difficiles négociations, ponctuées de blocages de la distribution des journaux dans les kiosques.
Permettez-moi de saluer l’engagement de l’État qui a permis d’éviter le dépôt de bilan de Presstalis au 31 décembre 2012 et un effondrement de l’ensemble de la filière de diffusion de la presse écrite, qui aurait été dramatique. Avec l’annonce de cette médiation, le Gouvernement démontre son souci réel de sauver ce secteur.
Le plan de restructuration voulu par la direction prévoit la suppression de 1 250 postes sur les 2 500 que compte Presstalis dans toute la France. En Île-de-France, ce ne sont pas moins de trois sites qui pourraient être fermés cette année : Gonesse, Bobigny et Moissy-Cramayel.
Plus qu’un plan d’urgence, c’est une remise à plat complète de la filière de la presse écrite qu’il est nécessaire de mettre en œuvre pour renforcer le modèle économique coopératif original qui date de l’après-guerre et pour conserver à la distribution de la presse son indispensable caractère pluraliste et démocratique.
Si nous sommes conscients, madame la ministre, que l’État seul ne pourra régler le dossier Presstalis, je vous demande de bien vouloir nous préciser les solutions envisagées pour préserver les emplois ainsi que le dispositif de médiation annoncé par le Gouvernement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député Jean-Pierre Blazy, Presstalis assure en France la distribution de la presse écrite, des journaux et des magazines. Depuis la loi Bichet de 1947, ce système est mutualiste et coopératif. En effet, il coûte plus cher d’assurer la distribution des journaux à certains de nos concitoyens qui vivent dans des régions très enclavées, et il est aussi plus coûteux d’assurer la distribution des quotidiens que des magazines. C’est ce qui a justifié la mise en place du système coopératif.
Les évolutions technologiques et industrielles, ainsi que la crise de la presse écrite que nous traversons, ont conduit à une transformation du modèle économique de Presstalis. Les volumes distribués ont ainsi diminué de 25 % en cinq ans. La situation est donc extrêmement grave pour cette entreprise.
Dès juin dernier, le Gouvernement s’est attaqué à la résolution de la situation d’urgence dans laquelle se trouvait Presstalis. Nous avons réussi à obtenir la conclusion, le 5 octobre dernier, d’un accord signé par l’ensemble des parties prenantes : les éditeurs de presse, Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse – l’autre opérateur de distribution de la presse. Cet accord a permis que le tribunal de commerce de Paris lève le mandat de l’administrateur judiciaire fin décembre.
Cet accord emporte des conséquences industrielles et sociales lourdes, vous l’avez dit. Il a suscité un mouvement social et une inquiétude face auxquels Michel Sapin et moi-même avons décidé de confier une médiation à Raymond Redding, ancien directeur général du courrier de La Poste.
La situation de la presse nécessite aussi des réformes structurelles. C’est pourquoi j’ai mis en place un groupe de travail sur les aides à la presse afin qu’elles soient mieux ciblées. Enfin, sur la question cruciale des points de vente, au nombre de 28 000, un groupe de travail est également réuni (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Barbier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Jean-Pierre Barbier. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. « La cigale, ayant chanté tout l’été,/Se trouva fort dépourvue/Quand la bise fut venue. […] Elle alla crier famine/Chez la fourmi sa voisine,/La priant de lui prêter/Quelque grain pour subsister ». Ces quelques vers d’une sagesse universelle de Jean de La Fontaine, qui devraient vous apporter un peu d’apaisement, pourraient bien résumer l’appréciation portée sur votre politique par les Français et par les institutions européennes.
En effet, que dit Bruxelles ? Que votre Gouvernement devrait reprendre le chemin de la baisse des dépenses publiques et des déficits engagée par la précédente majorité plutôt que de créer chaque jour un nouvel impôt.
Chaque jour, votre ministre du budget présente une nouvelle facture. Hier, ce sont six milliards de recettes nouvelles qui ont été annoncés pour 2014. Ces six milliards viendront s’ajouter aux 32 milliards d’impôts nouveaux que votre Gouvernement a déjà, selon la Cour des comptes, prélevés sur les Français. 70 impôts ont été augmentés. Votre imagination en matière fiscale est sans limite. Demain, peut-être, déciderez-vous la fiscalisation des allocations familiales. Vous prétendez être vertueux, mais vous préférez les hausses d’impôts aux baisses des dépenses. Ce choix se fait au détriment de la croissance et donc de l’emploi.
Les Français ne sont pas dupes. Ils savent que ce sont eux qui devront passer à la caisse. Comment pouvez-vous espérer encourager la croissance en assommant les ménages avec une fiscalité écrasante et en figeant le pays dans un archaïsme récessif ?
Une autre politique est possible. Elle passe par une réduction des dépenses publiques, des réformes structurelles ou encore l’allègement des contraintes réglementaires qui étouffent les entreprises. Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous enfin cesser de conduire le pays au jour le jour, afin d’éviter la création de 1 000 chômeurs supplémentaires chaque jour depuis mai 2012 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Jean-Pierre Barbier, la Commission européenne a en effet rendu publiques ses prévisions pour 2013 vendredi dernier. Elles montrent que l’Europe connaît une situation préoccupante. Elle devrait être en récession de 0,3 % alors que la croissance en France devrait être de 0,3 %.
M. Sylvain Berrios. Le budget n’est pas sincère.
M. Pierre Moscovici, ministre. Dans ce contexte, le Gouvernement s’apprête à demander à la Commission européenne un délai pour différer d’un an la réalisation de l’objectif des 3 % de déficit public, initialement prévue pour cette année.
Je m’étonne cependant de la leçon que vous nous donnez (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Comme si c’était nous la cigale qui a fait le paquet fiscal de l’été 2007 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Comme si c’était nous qui avions réformé la taxe professionnelle pour aboutir à une impasse financière considérable ! Comme si c’était nous qui avions dirigé pendant cinq ans ce pays avec une croissance nulle en moyenne et un niveau de PIB qui est resté le même entre 2007 et 2012 ! Comme si c’était nous qui avions ajouté 600 milliards de dette publique à l’endettement déjà considérable de la France ! Comme si c’était nous qui avions laissé les déficits au-dessus de 5 % à l’été 2012 ! Nous menons une politique qui vise à redresser à la fois les comptes publics et l’économie.
M. Claude Goasguen. C’est faux !
M. Pierre Moscovici, ministre. Le redressement des comptes se traduit par une baisse continue des déficits et surtout un effort structurel considérable ; d’un point en 2012 et de deux points en 2013 quand vous avez laissé se dégrader le solde structurel pendant votre quinquennat (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Patrick Balkany. Le chômage, ce n’est pas nous !
M. Pierre Moscovici, ministre. Le redressement de l’économie passe par le pacte de compétitivité mis en place en novembre à l’instigation du Premier ministre.
M. Philippe Cochet. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf !
M. Pierre Moscovici, ministre. Mesdames et messieurs les députés de l’opposition, nous espérions, cela a été dit depuis le début de cette séance, une opposition de meilleure qualité. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce serait une opposition qui fait face à son bilan pendant cinq ans – bilan qui a été sanctionné par les Français – et qui sait approuver le redressement nécessaire que nous conduisons.
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine du 25 mars 2013 :
Proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ;
Deuxième lecture des projets de loi ordinaire et organique relatifs à l’élection des élus locaux et au calendrier électoral ;
Proposition de loi relative aux différences de taux de sucre entre l’outre-mer et l’hexagone.
Il n’y a pas d’opposition ?
Il en est ainsi décidé.
Votes solennels
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote communes et les votes par scrutin public sur le projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (nos 631, 701) et du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (nos 630, 700).
M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. François Sauvadet. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, tout au long des débats, qui ont été longs puisqu’ils se sont achevés vendredi dernier vers onze heures du soir, nous n’avons cessé d’alerter le Gouvernement sur les lourdes conséquences que son texte aura sur l’avenir des territoires de France. Nous n’avons cessé, monsieur le ministre, contrairement à ce que vous avez prétendu, de vous faire des propositions alternatives à votre projet, un mode de scrutin ubuesque que rien ne justifie. Vous avez balayé toutes les propositions que nous vous avons faites d’un revers de main, parce que vous avez décidé de passer en force, avec le seul soutien du Parti socialiste.
M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mais non !
M. François Sauvadet. Sans la moindre concertation avec les collectivités territoriales – j’insiste sur ce point –, vous avez décidé de diviser par deux le nombre des cantons et de les redécouper tous selon des règles essentiellement démographiques, avec une conséquence simple : la mort annoncée de la représentation politique des territoires ruraux.
Nous vous l’avons rappelé, votre charcutage aboutira à d’immenses cantons ruraux ; certains l’ont d’ailleurs dit ici, y compris dans les rangs de votre propre majorité. Certains cantons compteront une centaine de communes !
Vous donnez, en fin de compte, les clés de l’aménagement du territoire aux élus des villes. C’est lourd de conséquences. Ce n’est pas seulement un enjeu politique, encore que vous l’ayez conçu comme tel. Cela implique l’avenir de la France.
Par surcroît, dans ces immenses territoires ruraux, vous nous inventez un nouvel élu. Vous avez contesté le conseiller territorial mais, en l’occurrence, vous instaurez un hybride inconnu au monde. Écoutez-moi bien, mes chers collègues : un homme et une femme…
M. Pascal Popelin, rapporteur. Eh oui !
M. François Sauvadet. …élus ensemble et exerçant séparément leur mandat sur le même territoire, qui sera plus vaste. C’est le désordre que vous êtes en train d’installer dans nos territoires, c’est une compétition que vous êtes en train d’organiser ! Je ne parle même pas de la gouvernance future de ce que vous appelez désormais nos conseils départementaux.
Et que dire, monsieur le ministre, de l’abaissement de 12,5 % à 10 % du seuil qui permet de se maintenir au second tour ?
M. Maurice Leroy. Eh oui !
M. François Sauvadet. Vous l’abaissez sans explication, sinon celle-ci : c’est le grand retour des triangulaires. On voit bien ce que vous cherchez !
Que dire encore du report des élections de 2014 à 2015 ? Comme les élections sénatoriales auront lieu au mois de septembre 2014, vous cherchez à garder, à tout prix, une partie du corps électoral du Sénat, parce que vous voulez, à tout prix, en conserver la présidence.
M. Bernard Perrut. Inadmissible !
M. François Sauvadet. D’ailleurs, soyez attentifs, mes chers collègues, à cet autre fait : au moment même, j’y insiste, où nous siégions dans cet hémicycle pour examiner le projet de loi du Gouvernement, M. le ministre annonçait, en conseil des ministres, le changement du mode de scrutin sénatorial,…
M. Maurice Leroy. Eh oui !
M. François Sauvadet. …changement qui donne des pouvoirs supplémentaires aux communes de plus de 30 000 habitants, majoritairement à gauche !
M. Maurice Leroy. À gauche pour le moment !
M. François Sauvadet. En cette période de remise des césars et des oscars, je vous décerne aujourd’hui, monsieur le ministre, au nom du groupe UDI, le césar d’honneur du plus grand tripatouilleur électoral de la Cinquième République ! (Applaudissements et rires sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
Vous le méritez largement, car vous osez, par le même texte, ajouter des conseillers de Paris dans les arrondissements qui vont sont favorables tout en en retirant à ceux qui vous le sont moins, et ce en oubliant soudain la sacro-sainte règle de la démographie. Personne n’est dupe, monsieur le ministre, de vos manœuvres électoralistes, pas même vos propres alliés, qui ont contribué au rejet de votre texte par le Sénat, par la chambre des collectivités territoriales. La vérité, c’est que vous ne cherchez pas à donner un nouveau souffle à la démocratie territoriale ; la vérité, c’est que vous cherchez à arranger les petites affaires du Parti socialiste. (« Eh oui ! » sur les bancs des groupes UDI et UMP.) Les débats l’ont clairement montré.
Vous pouvez tenter, monsieur le ministre, de nous expliquer, la main sur le cœur, que c’est la parité qui vous guide, mais la parité mérite bien mieux que votre texte. Nous l’avons prouvé par nos propositions.
Vous nous avez aussi expliqué que votre binôme favoriserait le lien entre l’élu et le territoire. Encore une fois, personne n’est dupe, car ce que vous proposez aujourd’hui est bien pire que ce que vous dénonciez hier avec la réforme instaurant le conseiller territorial, qui maintenait, elle, un élu sur un territoire.
Mme Pascale Crozon, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Sans la parité !
M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, est-ce que vous trouvez normal – je vous le demande avec une certaine solennité – que, dans cette République irréprochable dont le candidat Hollande se faisait le garant, un seul parti, le Parti socialiste, puisse modifier le calendrier électoral et les modes de scrutin contre l’avis de toutes les autres forces politiques du pays,…
M. Maurice Leroy et M. André Schneider. Eh oui !
M. François Sauvadet. …sans la moindre concertation ?
Pour le groupe UDI, je vous le dis, ça, ce n’est pas la République irréprochable, parce que ça s’appelle le grand retour de l’État-PS, le grand retour du Parti socialiste.
Après tout, ce ne serait pas si terrible s’il ne s’agissait pas l’avenir des territoires de France.
Il me revenait à l’esprit, pendant ce débat, ce que disait Edgard Pisani, pour qui j’ai le plus grand respect. Il disait que, si aménager le territoire c’est prendre conscience de l’espace français comme richesse, c’est surtout en prendre conscience comme devoir. Las, avec votre projet, je le dis solennellement, et je le regrette, vous n’avez pas pris conscience de ce devoir, qui est le vôtre, d’assurer l’équilibre de notre pays à travers une représentation juste de l’ensemble de nos territoires, dans un esprit de solidarité entre villes et campagnes. Ce défi de l’aménagement du territoire, vous l’avez enterré.
M. le président. Il faut conclure !
M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, avec ces textes, vous resterez – je le regrette, parce que j’ai de l’estime pour vous – le ministre de la fracture territoriale.
Pour l’éviter, le groupe UDI votera avec force contre ces projets de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.
Mme Barbara Pompili. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout d’abord, nous regrettons que ce texte sur les modes de scrutin soit étudié avant l’acte III de la décentralisation.
Plusieurs députés du groupe UMP. Eh oui !
Mme Barbara Pompili. Si nous comprenons qu’il soit impératif de modifier les modes de scrutin rapidement, il est dommage que cela vienne avec le texte prévu sur le fonctionnement et les compétences de ces collectivités locales.
M. Guy Geoffroy. Ils font tout à l’envers !
Mme Barbara Pompili. C’est, bien sûr, avec satisfaction que nous accueillons la suppression du conseiller territorial, élu hybride assumant les responsabilités de conseiller général et de conseiller régional, potentiellement recentralisateur, qui niait la région comme territoire incontournable pour la cohésion territoriale. Cette réforme faisait également l’économie de la parité, du pluralisme politique et du renouvellement des élus.
Nous nous félicitons donc du retour au mode de scrutin initial pour les élections régionales, la proportionnelle à deux tours avec prime majoritaire, qui a fait ses preuves. Nous regrettons cependant que cette solution n’ait pas été retenue pour l’élection des conseillers départementaux. Nous eussions préféré un scrutin proportionnel pour l’ensemble des scrutins locaux : municipaux, départementaux et régionaux ; c’eût été plus lisible et plus compréhensible pour les citoyens.
Notre opposition au mode de scrutin binominal majoritaire n’est pas un refus de la parité, plus que jamais nécessaire, ni de la nécessité de partager le pouvoir. C’est un refus du retour au scrutin majoritaire.
Je note d’ailleurs que l’exigence de parité aurait tout aussi bien été respectée par le scrutin proportionnel,…
Plusieurs députés du groupe UDI. C’est vrai !
Mme Barbara Pompili. …qui permet en outre une meilleure représentation des courants d’opinion dans notre pays.
M. Maurice Leroy. Eh oui !
Mme Barbara Pompili. Pourquoi l’élection départementale serait-elle la seule à ignorer la proportionnelle, alors qu’elle sera partiellement introduite pour les prochaines élections législatives ?
Ce mode de scrutin aurait pu se fonder, comme pour les élections régionales, sur des listes de sections, assurant la représentation de l’ensemble des territoires. Il nous aurait également évité le douloureux, quoique nécessaire, redécoupage des cantons.
Nous regrettons aussi que ce binôme ne réponde pas à toutes les exigences éthiques que nous portons.
M. François Sauvadet. Très bien !
Mme Barbara Pompili. Il est toujours dommageable pour l’image de la politique de permettre à un binôme de deux personnes de la même famille de se présenter ! Nous aurions aimé que la disposition contre le népotisme que nous avions proposée soit adoptée. Elle ne l’a pas été, à une voix près ; c’est regrettable. La prétendue sanction par les électeurs, que l’on nous a opposée, de ce risque de népotisme que les écologistes combattent, ne sera pas forcément une réalité. Et, quand bien même cela serait le cas, elle ne réparerait pas les dommages causés à l’image de notre démocratie. Nous espérons donc que la navette parlementaire permettra de faire adopter cette mesure nécessaire, qui va dans le sens de la transparence de la vie politique.
Nous avons voté contre le retour au scrutin majoritaire et nous avons soutenu, avec des députés d’autres groupes, le scrutin proportionnel. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UDI.) Pour le reste, les autres mesures contenues dans le projet de loi vont dans le bon sens.
L’extension, aux élections municipales, du scrutin proportionnel aux communes de 500 habitants permettra de constituer des majorités autour de projets, ainsi que d’assurer la parité et la représentation de l’opposition dans de nombreuses municipalités. Ce choix permettra à 7 000 conseils municipaux supplémentaires de disposer d’une représentation de la minorité et d’une composition paritaire ; en effet, seront ainsi élues 32 000 conseillères municipales de plus qu’aux précédentes élections.
En ce qui concerne l’intercommunalité, le fléchage est une réelle avancée. Il faut toutefois aller plus loin en ce qui concerne les communautés d’agglomération et les métropoles, avec l’adoption d’un scrutin universel direct. Alors que l’intercommunalité prend de plus en plus d’importance avec la gestion de budgets parfois colossaux, pourquoi ne pas avoir saisi cette occasion, dès maintenant, sans attendre 2020 ?
Nous soutenons aussi la volonté de rééquilibrer le nombre de conseillers de Paris par arrondissement. Cela faisait trente ans qu’il n’y avait pas eu de rééquilibrage démographique, ce qui était une anomalie démocratique dommageable pour les Parisiennes et les Parisiens.
Enfin, nous sommes également d’accord avec la volonté de repousser à 2015 les élections départementales et régionales. Au-delà des nécessités d’organisation du redécoupage de la carte cantonale, la succession de cinq élections en 2014 ne serait bonne ni pour les électeurs, ni pour les communes chargées de les organiser, ni pour la démocratie. Communes, intercommunalités, départements, régions et Europe ont besoin d’avoir chacun un temps de débat propre. Les enjeux, les projets, les candidats y sont différents.
Toutefois, malgré ces quelques avancées, le groupe écologiste compte tenu du retour au scrutin majoritaire pour le scrutin départemental, retour qui est une atteinte au pluralisme démocratique, a décidé de s’abstenir sur ces projets de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
M. Guy Geoffroy. Et voilà !
M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’Assemblée nationale est donc saisie par le Gouvernement d’un projet d’ampleur, qui modifie la carte cantonale de la France mais aussi les modes de désignation des élus des communes et des intercommunalités. Depuis plus de deux siècles, la France cantonale a épousé la France rurale, ses limites et ses charmes. Peu à peu, le conseil général a représenté des hectares, et non plus des hommes et des femmes. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.)
M. Maurice Leroy. C’est lui qui dit ça !
M. Alain Tourret. Jusqu’à l’absurde, le conseil général est devenu l’assemblée territoriale des champs et des ruisseaux, ignorant les révolutions industrielles qui ont vidé les territoires et asséché les vallées. (Même mouvement.) L’identification du conseiller général – homme de pondération, propriétaire terrien, souvent maire du chef-lieu de canton – avec la France rurale était devenue parfaite.
M. Dominique Le Mèner. Caricature !
M. Alain Tourret. Or, désormais, plus de 80 % de la France vit dans l’aire urbaine et périurbaine.
M. François Sauvadet. C’est faux !
M. Alain Tourret. Sous les coups de boutoir du Conseil constitutionnel, la prise en compte par principe et non par exception de la population, et non plus simplement des hectares, s’imposait au législateur. Cette exigence imposait le redécoupage de tous les cantons.
S’y est ajoutée la parité, désormais un principe à valeur constitutionnelle. Elle concernait déjà les régions, les communes de plus 3 500 habitants…
M. Jean-Christophe Lagarde. À la proportionnelle !
M. Alain Tourret. …et les sénatoriales dans les départements comptant plus de trois sénateurs. Les départements constituaient eux l’exception, le refuge idéal des hommes ayant éliminé de toute responsabilité l’ensemble de toutes les femmes de France,…
M. Guy Geoffroy. Oh la la !
M. Alain Tourret. …puisque nous avions en France des conseils généraux qui ne comptaient plus aucune femme ou qui n’en comptaient, par exception, qu’une ou deux.
Plusieurs députés du groupe SRC. Exactement !
M. Alain Tourret. Le projet de loi devait donc répondre à deux exigences : d’une part, la représentation égalitaire de la population ; d’autre part, la parité.
Ce projet aurait pu être parfait si la France était un pays sans diversité, sans montagnes, sans îles – bref, sans géographie. Or la France, monsieur le ministre, c’est tout autre chose. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI.) La France, c’est la diversité ; la France, c’est l’assemblage, au cours des siècles, de territoires différents jusqu’à l’extrême. Ce que le groupe RDSE au Sénat et le groupe RRDP à l’Assemblée reprochent à ce projet, c’est de ne pas avoir suffisamment intégré ces différences. Lorsque l’uniformisation se mêle d’égalitarisme, c’est le génie même de la France qui est mis en cause. (Même mouvement.)
Il nous faudra donc, monsieur le ministre, retravailler ce texte au cours des différentes lectures. Il en est de même des élections municipales. La parité, oui, bien sûr ; mais la parité jusqu’à l’absurde, non, bien sûr ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et UDI.) Car la parité jusqu’à l’absurde, c’est le rejet de la réalité ; c’est imposer par la force ce qui pourrait résulter de la conviction et de la persuasion.
Nous avions proposé le seuil de 1 500 habitants comme limite pour l’exigence de parité. C’était le bon sens. Le Gouvernement en convient lui-même, puisqu’il avait proposé le chiffre de 1 000. L’Assemblée des maires de France, représentée ici par son président, en convenait elle-même, puisqu’elle avait retenu le même chiffre. Or nous sommes descendus à 500, seuil que nous refusons. Nous ne pouvons accepter cette mesure. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UDI.)
Nous demandions par ailleurs la prise en compte des suppléants et celle des limites cantonales à l’intérieur des circonscriptions législatives. C’était une garantie, y compris, monsieur le ministre, pour vous-même. Or, nous n’avons pas été entendus. En revanche, le seuil de 10 % des inscrits pour participer au second tour nous semble une excellente initiative,…
M. François Vannson. Ben voyons !
M. Alain Tourret. …qui devrait, nous l’espérons, être étendue aux élections législatives.
Mes chers collègues, ce texte représente une avancée démocratique en ce qu’il prend en compte à la fois la parité et l’équité démographique ; mais il est dangereux en ce qu’il privilégie l’égalitarisme et l’uniformisation.
M. Christian Jacob. C’est le Gouvernement lui-même qui est dangereux !
M. Alain Tourret. Nous nous abstiendrons donc, comme nos collègues sénateurs du RDSE, qui n’ont pas participé au vote. C’est la première fois de la législature que nous nous abstenons.
M. Guy Geoffroy. Ce n’est qu’un début !
M. Alain Tourret. Cette abstention, monsieur le ministre, se veut constructive. Je suis persuadé que notre remarquable ministre de l’intérieur, aidé par un rapporteur qui a su nous écouter, saura nous présenter de nouveau, demain, un texte amendé et enrichi, dans lequel les différences de la France des régions et des terroirs seront mieux prises en compte, dans l’intérêt et pour l’harmonie d’une France riche de ses diversités. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et UDI.)
M. le président. Les scrutins publics sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Gaby Charroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de nos débats, nous déplorons vivement qu’aucune avancée majeure n’ait été adoptée.
Au-delà des quelques aspects positifs du texte, soulignés lors de la discussion générale par mon collègue Marc Dolez, nos points essentiels de désaccord demeurent.
S’agissant tout d’abord de la réforme du scrutin départemental, si nous partageons la volonté de garantir une parité effective, nous ne pouvons soutenir un mode de scrutin qui fera reculer le pluralisme sans pour autant garantir la proximité dans des cantons dont le nombre sera réduit de moitié et qui seront considérablement agrandis. Un même canton sera désormais composé de deux, voire de plusieurs anciens cantons, par exemple en milieu rural.
M. Jean Lassalle. C’est vrai !
M. Gaby Charroux. L’élection des binômes de candidats au scrutin majoritaire à deux tours ne permettra pas de représenter l’ensemble des sensibilités des électeurs ; elle favorisera même, me semble-t-il, la montée de l’abstention. Les principaux partis seront surreprésentés, tandis que les petits ne pourront avoir d’élus que dans le cadre d’accords électoraux. Le bipartisme et l’influence des partis dominants seront donc renforcés.
Pour notre part, nous considérons que le binôme républicain doit allier parité et pluralisme. Pour ce faire, il n’y a qu’un mode de scrutin possible : le scrutin de liste à la proportionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
Ce mode de scrutin, mis en œuvre pour toutes les autres élections locales – régionales et municipales –, envisagé partiellement pour les élections législatives, devrait être également instauré, selon nous, pour les élections cantonales.
À cet égard, nous regrettons le refus du Gouvernement de chercher une solution permettant le plus large rassemblement possible selon trois critères : la parité, bien évidemment, à laquelle nous tenons, mais aussi le respect des territoires, c’est-à-dire la proximité, et enfin le respect du pluralisme politique. Un certain nombre de nos amendements visaient à atteindre, autant que faire se peut, ces trois objectifs ; ils ont malheureusement tous été balayés.
Notre second désaccord majeur porte sur les modalités de désignation des délégués des communes.
Le changement de statut des délégués des communes, renommés conseillers intercommunaux, modifie la nature même de la coopération intercommunale. En faisant disparaître la notion de délégation de compétence des communes vers leurs intercommunalités, au profit d’un partage de compétences entre ces deux structures, vous substituez une logique de supracommunalité à celle de l’intercommunalité et contribuez à l’effacement du rôle des communes.
M. Jean Lassalle. Très bien !
M. Gaby Charroux. Ce changement de statut s’inscrit dans la lignée de la réforme de 2010, qui force l’intégration des communes au sein d’intercommunalités dans des périmètres élargis et de l’avant-projet de loi sur la décentralisation, qui augmente encore les compétences obligatoirement transférées des communes vers les intercommunalités – et demain vers les métropoles, mais c’est un autre débat.
Pour toutes ces raisons, nous persistons à demander l’abrogation de la réforme territoriale de 2010 dans son ensemble, qui institue le fléchage ; nous proposons l’élection des délégués des communes par les conseils municipaux, tout en assurant la promotion du pluralisme et de la parité par l’élection de ces délégués dans les communes de plus de 500 habitants à la proportionnelle sur des listes comportant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir et composées alternativement d’un candidat de chaque sexe.
Nous souhaitons une nouvelle réforme territoriale, réalisée en lien avec les élus locaux et les populations et visant à redonner tout son sens à la décentralisation, afin de mieux répondre, sur l’ensemble du territoire, aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.
En définitive, l’absence d’évolution positive au cours de nos débats sur les deux points de désaccord essentiels que sont le mode de scrutin départemental et la désignation des délégués dans les intercommunalités nous amène à voter contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Carlos Da Silva. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une semaine d’examen, nous nous apprêtons à voter un texte largement nourri par les quelque quarante heures de débat que nous avons eues pendant quatre jours,…
M. Guy Geoffroy. Vous avez refusé de nous écouter !
M. Carlos Da Silva. …et qui s’ajoutent aux nombreux travaux et échanges au sein du groupe de travail et en commission des lois.
C’est un texte important pour notre pays. Il porte une vision plus moderne de la représentativité locale et des territoires ; il porte une volonté commune au Gouvernement et au groupe SRC de donner toute sa mesure à l’ancrage territorial des élus locaux et de concrétiser la parité, qui est pour nous une exigence. C’est un texte qui fait beaucoup pour la clarté et la transparence de nos scrutins et qui fait considérablement progresser le principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage.
L’égalité, c’est d’abord par l’abrogation du conseiller territorial que nous la réaffirmons. La précédente majorité avait choisi d’éloigner les élus de leur territoire en créant un « super-élu » hybride, déconnecté du terrain car siégeant à deux échelons territoriaux.
M. Guy Geoffroy. Et vous, que faites-vous ?
M. Carlos Da Silva. Nous faisons le choix de l’ancrage dans les territoires.
La parité, ensuite, est une priorité pour la majorité parlementaire. À cet égard, l’article 2 du présent projet de loi constitue une petite révolution. Ce premier mode de scrutin binominal de l’histoire de notre pays va permettre que 50 % de femmes soient élues dans les conseils départementaux, contre moins de 14 % aujourd’hui dans les conseils généraux.
L’article 14 va, quant à lui, contraindre à la mise en place d’exécutifs strictement paritaires.
De même, les articles 16 et 18 prévoient l’abaissement à 500 habitants du seuil au-delà duquel le scrutin de liste entrera en application, ce qui suscitera de profondes modifications en termes de représentativité. Ce sont ainsi plusieurs milliers de femmes qui entreront dans les conseils municipaux.
L’autre grande avancée de ce projet de loi, avec la parité, concerne bien sûr l’exigence d’une plus grande clarté, de plus de transparence pour nos concitoyens et nos concitoyennes.
L’article 1er prévoit le changement de dénomination du conseiller général en conseiller départemental. Cela peut paraître relever du détail, mais il n’en est rien. Cette disposition clarifie l’appartenance d’un élu à une échelle territoriale autant qu’elle lui fait gagner en visibilité auprès des administrés.
La clarté et la transparence, nous les retrouvons également à l’article 16 bis, lequel rend obligatoire la déclaration de candidature dans toutes les communes. Chaque candidat sera ainsi connu avant le scrutin. Cela peut paraître une évidence ; ce n’était pas le cas jusqu’ici.
Les articles 21 et 24 favorisent la lisibilité du calendrier électoral en organisant la concomitance des élections régionales et départementales, décalées à l’année 2015. Le renouvellement intégral des conseils départementaux tous les six ans y participera grandement, comme il entraînera l’élaboration de programmes sur le long terme.
Pour le scrutin départemental, nous agissons, là aussi, dans le sens de la clarté. Pour cela, nous avons su nous montrer créatifs, inventer un nouveau mode de scrutin, réfléchi et cohérent.
À cet égard, l’article 23, relatif au découpage électoral, actualise la carte cantonale vieille – tenez-vous bien ! – de près de deux siècles et met enfin un terme aux inégalités scandaleuses devant le suffrage, avec certains cantons d’un même département dont le poids démographique pouvait aller de un à 47.
Les scrutins intercommunaux ne sont pas laissés de côté, bien au contraire. Alors que les EPCI sont de plus en plus importants dans la vie quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens, ils restent trop peu connus et trop peu identifiés.
Dès lors, l’article 20 du projet de loi, qui instaure un fléchage sur le bulletin de vote de celles et ceux qui devront siéger dans les intercommunalités à l’issue du scrutin municipal, permettra à l’électrice et à l’électeur de savoir précisément qui il ou elle envoie à l’intercommunalité. La loi permet également aux oppositions municipales de siéger dans ces intercommunalités ; c’est un pas important pour la démocratie.
Mes chers collègues, je voudrais enfin saluer l’état d’esprit qui a présidé à l’examen de ce projet de loi, tant dans notre travail commun avec Pascal Popelin, rapporteur du texte, Pascale Crozon, rapporteure pour avis de la délégation aux droits des femmes et Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, qu’avec vous, monsieur le ministre.
Je voudrais également saluer les groupes écologiste, GDR et RRDP, mais aussi tout particulièrement l’ensemble de mes collègues du groupe SRC, pour leur travail et leur participation.
M. Guy Geoffroy et M. Thierry Mariani. Et l’UMP ?
M. Carlos Da Silva. Nous leur devons notamment l’introduction de considérations géographiques et démographiques et des éléments concernant le nombre de communes dans l’organisation du redécoupage. C’est ensemble que nous avons porté ces avancées ; c’est ensemble que nous les ferons vivre au quotidien.
Enfin, et parce qu’il n’y a pas de débat sans désaccord, je souhaite saluer l’opposition, qui s’est montrée volontaire et pugnace, bien qu’elle n’ait pas réussi à nous convaincre qu’elle avait une autre proposition permettant de conjuguer parité et proximité.
La politique permet parfois de dépoussiérer l’institutionnel pour le rapprocher du réel. Le groupe SRC votera donc en faveur de cette grande loi, créative et qui, surtout, porte une grande rénovation de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les trente heures de débat courtois et approfondi que nous avons consacrées à l’examen de ces projets de loi n’auront pas permis de répondre à une question pourtant urgente : quel est le cap fixé par le Gouvernement pour améliorer l’efficacité des collectivités territoriales au service des Français ?
M. Guy Geoffroy. Il n’y en a pas !
M. Guillaume Larrivé. Il y a urgence à mobiliser l’ensemble des responsables publics, nationaux et locaux, pour faire face à la crise et pour préparer l’avenir. Il y a urgence à débattre ici d’une meilleure organisation des régions, des départements, des intercommunalités, des communes et de leurs relations avec les services de l’État pour améliorer la compétitivité des territoires. Cette urgence, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’en est, hélas ! pas conscient.
Les collectivités territoriales subiront, dans les deux ans qui viennent, une amputation sans précédent de leurs dotations, à hauteur de 4,5 milliards d’euros, mais on ne sait toujours pas comment le Gouvernement entend organiser la décentralisation.
La preuve en est que les projets de loi que vous nous avez présentés en toute urgence sont des textes de nature exclusivement électorale. La vérité, monsieur le ministre, est que le Parti socialiste craint d’être sanctionné par les Français dans les urnes lors des élections de 2014.
Par conséquent, vous souhaitez bouleverser au plus vite les règles du jeu électoral et faites feu de tout bois. (« Absolument ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Vous voulez reporter à 2015 les élections régionales et départementales, changer les règles d’élection du Sénat, supprimer des conseillers de Paris dans des arrondissements de droite pour en créer dans ceux de gauche,…
M. Claude Goasguen. Charcutage !
Plusieurs députés UMP. Tripatouillage !
M. Guillaume Larrivé. …multiplier les triangulaires. Pour les cantonales, vous voulez inventer un mode de scrutin étrange, interdisant aux femmes et aux hommes de se présenter librement et les obligeant à être candidats en binôme.
Nous n’acceptons pas ces manipulations. Nous nous opposons à vos projets de loi de convenance électorale.
Car les premières victimes de vos opérations électorales, ce sont les territoires ruraux ! Le conseiller général disparaîtra des campagnes, là où il était le plus utile, exerçant une véritable mission de service public, au contact de nos concitoyens, tandis que le conseiller départemental se multipliera dans les villes, là où son rôle opérationnel est assez incertain.
M. Jean Lassalle. Très bien !
M. Guillaume Larrivé. Vous maintenez formellement l’échelon des départements mais vous choisissez d’affaiblir, ou de détruire, le lien organique, presque charnel, entre les départements et la ruralité.
C’est une faute. Amendement après amendement, nous vous avons appelé à faire preuve de plus de transparence politique et à respecter davantage l’équité territoriale. Mais vous avez fait le choix de l’opacité partisane, en refusant qu’une commission pluraliste, présidée par un député d’opposition, donne son avis sur les projets de redécoupage.
Surtout, vous avez fait le choix de l’injustice territoriale…
Mme Catherine Vautrin. Eh oui !
M. Guillaume Larrivé. …en définissant une règle arithmétique qui privera d’une représentation équitable des millions de Français habitant les petites communes rurales.
Le Sénat l’a bien compris, puisqu’il a rejeté votre texte. Et ici même, à l’Assemblée nationale, votre majorité se lézarde, puisque seul le Parti socialiste approuve votre loi.
M. Guy Geoffroy. Eh oui !
M. Bernard Accoyer. Tout à fait !
M. Guillaume Larrivé. Les écologistes et les membres du groupe RRDP s’abstiennent, tandis que les députés communistes votent contre le texte, tout comme les députés centristes. Seuls les députés socialistes, par discipline, approuvent ce texte. Voilà la vérité.
Mme Catherine Vautrin et plusieurs députés du groupe UMP. Charcutage !
M. Guillaume Larrivé. Les députés du groupe UMP, unanimes, voteront contre ce projet de loi de régression. Nous appelons tous les élus des territoires de France à dire non à cette contre-réforme électorale, qui attaque la ruralité et oublie l’intérêt général. Le combat ne fait que commencer. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. Je mets d’abord aux voix le projet de loi ordinaire.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 545
Nombre de suffrages exprimés 513
Majorité absolue 257
Pour l’adoption 272
contre 241
(Le projet de loi est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Huées sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. Je mets ensuite aux voix le projet de loi organique.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 530
Nombre de suffrages exprimés 508
Majorité absolue 255
Pour l’adoption 273
contre 235
(Le projet de loi organique est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Ce vote marque un tournant pour la démocratie locale.
Après plusieurs jours et plusieurs nuits de débat, après avoir écouté chaque groupe exprimer ses positions avec conviction, après l’adoption en séance d’une soixantaine d’amendements à partir d’un texte sensiblement modifié en commission, je veux saluer le travail de l’Assemblée.
Le texte issu de vos travaux a été enrichi dans le respect des exigences du Gouvernement : une démocratie renforcée, une proximité maintenue, une parité assurée.
La démocratie, c’est d’abord la légitimité du suffrage universel. Désormais, les conseillers communautaires seront élus en même temps que les conseillers municipaux. C’est une étape importante pour les intercommunalités.
La proximité, c’est celle du futur conseiller départemental, qui sera élu au scrutin majoritaire, en lien direct avec les électeurs. Je sais que beaucoup sont attachés à ce mode de scrutin qui permet l’ancrage territorial et correspond aux spécificités du conseil général.
J’ai entendu les inquiétudes formulées par de nombreux députés, tous groupes confondus, concernant la représentation des territoires, notamment les moins peuplés. En adoptant plusieurs amendements, vous avez cherché à concilier l’exigence d’un vote basé sur des critères démographiques, dans le respect des exigences constitutionnelles rappelées par le Conseil d’État, et la prise en compte des territoires ruraux, des îles, des montagnes et des vallées. Sur ce point, les débats ont été particulièrement constructifs et je voudrais remercier notamment Mme Frédérique Massat.
Il existe encore des résistances à la parité. Certains avouent leur réticence, avancent de mauvaises excuses. D’autres veulent en rester au statu quo, celui du conseil général actuel – le conseiller territorial sera bientôt définitivement abrogé, ainsi que le Gouvernement s’y était engagé –,…
M. Stéphane Demilly. Malheureusement !
M. Manuel Valls, ministre. …un statu quo où les femmes ne représentent que 13,5 % des élus et ne président que 5 % des conseils.
L’Assemblée nationale, par son vote, a fait le choix de la modernité, ou plutôt de la réalité, celle de la société. C’est une révolution pour nos territoires. Je voulais en remercier la majorité, et notamment le groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Vote solennel
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur la proposition de loi relative au contrôle des normes applicables aux collectivités territoriales et à la simplification de leur fonctionnement (nos 537, 725).
M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à M. Alain Chrétien, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Alain Chrétien. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plusieurs décennies, les normes se sont insérées dans tous les secteurs de l’action publique, jusqu’à atteindre le nombre de 400 000. Leur application coûte plus de 2 milliards d’euros par an.
En dix ans, 80 % des articles du code général des collectivités territoriales ont été modifiés. Il en résulte une complexité croissante, au détriment de l’efficience de l’action des pouvoirs publics, en particulier dans les territoires ruraux.
L’empilement des normes empoisonne au quotidien le travail des maires. Pour être le député de la circonscription de Haute-Saône, qui regroupe 315 communes essentiellement rurales, et le maire de Vesoul, je connais le poids des normes. Les maires doivent faire face à des réglementations sans cesse plus complexes. Il est de notre devoir de comprendre leur malaise et d’essayer de simplifier le plus possible.
Lorsqu’un maire est dans les papiers, il n’est pas à l’écoute de ses concitoyens. Or, il n’a pas pour rôle d’être un fonctionnaire de plus, mais d’être en contact avec ses administrés. Nous ne pouvons plus obliger les élus et les collectivités territoriales à passer toujours plus de temps à s’adapter aux nouvelles règles, sans supprimer les précédentes. Nous sommes tous conscients de la nécessité de simplifier l’environnement législatif des collectivités territoriales.
Le rôle du législateur n’est pas uniquement de résoudre des problèmes en votant de nouvelles normes. Il lui appartient également de simplifier les dispositifs pour rendre les réglementations plus accessibles et plus simples. Il en va de l’efficacité de l’action publique et de la bonne gestion des deniers publics : nous devons dépenser moins et mieux.
L’exigence de résultats s’impose en matière de lutte contre l’inflation normative, un phénomène auquel les maires, et plus largement les administrations, tentent de s’adapter.
Aussi tiens-je à saluer la qualité du travail de longue haleine effectué par le sénateur Éric Doligé, le rapporteur Guy Geoffroy et les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat dans le but de simplifier les normes applicables aux collectivités locales.
L’adoption probable de cette proposition de loi, un premier pas dans le défrichage normatif, doit nous inciter à envisager une réforme globale de notre organisation territoriale.
Je regrette que la question de l’adaptabilité des normes, si bien mise en exergue par les travaux de notre collègue Pierre Morel-A-L’Huissier, n’ait pas été encore tranchée. Il s’agit d’un problème pourtant important dans les communes et les départements ruraux, car l’adéquation entre la mise en application de nouvelles normes et les financements qui y correspondent n’est pas garantie.
Je regrette aussi que le Gouvernement ait souhaité la suppression de certains articles, notamment ceux qui prévoyaient le report à 2017 de l’obligation d’adapter les PLU, plans locaux d’urbanisme, et les SCOT, schémas de cohérence territoriale, aux exigences de la loi Grenelle 2.
La ministre a indiqué que ces dispositions figureraient dans un futur projet de loi relatif à l’urbanisme ; les députés de l’UMP resteront attentifs à ce que le Gouvernement poursuive sur la voie de la simplification empruntée par la précédente majorité. Je rappelle que celle-ci avait fait adopter pas moins de quatre lois de simplification et d’allègement du droit et des procédures administratives.
Quoi qu’il en soit, ce texte est un premier pas. Je salue encore une fois au nom de l’UMP le travail du sénateur Eric Doligé, qui permet d’aboutir à l’adoption aujourd’hui de la proposition de loi.
Ce texte montre que les élus, quelles que soient leurs origines territoriales ou leur sensibilité politique, savent se rassembler pour s’inscrire dans la continuité et la cohérence de l’action publique. Il nous donne l’occasion de simplifier durablement les normes qui pèsent sur les collectivités locales. De la discussion générale est ressortie la volonté quasi unanime et transpartisane de rendre ce texte utile.
Pour ces différentes raisons, le groupe UMP votera cette proposition de loi et se réjouit que la majorité fasse de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. Yannick Favennec. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, une initiative sénatoriale nous a permis de débattre, pour la seconde fois sous cette législature, des moyens d’endiguer un phénomène croissant et récurrent depuis une vingtaine d’années : celui de la complexification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Le constat est ancien et unanimement partagé : depuis le rapport du Conseil d’État, qui fut le premier à établir ce diagnostic en 1991, les rapports, notamment celui de Pierre Morel-A-L’Huissier auquel j’ai eu l’honneur de contribuer, se sont succédé pour dénoncer le recours croissant à la règle de droit, véritable constante de nos sociétés contemporaines. Celui-ci entraîne une complexification des normes et rend difficile l’application homogène du principe d’égalité sur l’ensemble du territoire.
Nous le savons, les 400 000 normes qui s’imposent aux collectivités ont un coût : près de 2,3 milliards d’euros entre les années 2008 et 2012. En cela, elles constituent un frein à la compétitivité et une entrave au développement de nos territoires.
Les élus locaux en sont les principales victimes. Ce sont eux qui, au plus près du terrain, ressentent parfois l’alourdissement des procédures et l’absurdité de certaines normes, alors qu’ils se voient contraints d’appliquer des circulaires, des directives européennes, des lois, des décrets, des instructions, toujours plus nombreux et toujours plus complexes.
Ainsi, le groupe UDI adhère pleinement à l’objectif de simplification que poursuit ce texte et à la volonté de son auteur de restaurer, grâce à la simplification, la valeur comme la force morale de la norme juridique.
Inspiré des 268 propositions du rapport d’Éric Doligé, il contient des dispositions pragmatiques, ciblées, adaptées aux besoins concrets et aux difficultés rencontrées au quotidien par les élus et les acteurs de terrain.
Pour autant, nous regrettons que les travaux au sein de nos deux assemblées n’aient pas permis de préserver la spécificité de ce texte. Au fond, l’ambition première de la proposition de loi a été très limitée par les différentes modifications qui lui ont été apportées. Elle perd ainsi beaucoup de son efficacité et traduit finalement un manque de volonté politique.
Au total, pas moins de onze articles ont été supprimés en commission puis en séance, la plupart sous prétexte de l’adoption d’un texte gouvernemental ultérieur.
Notre plus grand regret concerne la suppression de l’article 1er, mesure phare de ce texte qui, en prévoyant les conditions dans lesquelles le préfet pouvait être autorisé à accorder des dérogations aux mesures réglementaires édictées pour leur application, aurait permis d’introduire dans notre droit positif le principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités.
Sans vouloir remettre en cause notre ordre juridique, il nous paraissait essentiel d’instaurer un dispositif juridiquement solide, s’exerçant dans un cadre juridiquement restreint et s’appuyant sur les principes de subsidiarité et d’adaptabilité inscrits à l’article 72 de la Constitution.
Puisque nous partageons tous un même objectif, nous aurions pu rester fidèles à l’ambition première de ce texte, qui proposait une solution efficace et rapide au problème de l’hystérie normative.
M. François Sauvadet. Très bien !
M. Yannick Favennec. Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les députés du groupe UDI soutiendront cette excellente initiative, en formant le vœu qu’elle soit suivie prochainement d’une réforme véritablement aboutie et audacieuse en matière de simplification des normes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.
M. Éric Alauzet. Monsieur le président, mesdames les ministres, chers collègues, nous devons nous rendre à l’évidence : l’inflation normative engendre, d’une part, un coût financier important, de l’ordre d’un milliard d’euros par an, et, d’autre part, une instabilité des normes, porteuse d’insécurité juridique.
En dix ans, 80 % des articles du code général des collectivités territoriales ont été modifiés. Cette inflation pose problème aux élus, aux collectivités territoriales et aux citoyens. La stabilité juridique est garante d’une sécurité juridique cohérente et fonctionnelle, nécessaire aux entreprises et à tous ceux qui sont en relations avec les collectivités.
Il est donc louable d’essayer de simplifier le travail des collectivités territoriales en allégeant les normes, dès lors qu’elles sont peu utiles, voire inutiles ou redondantes.
Le texte a été largement amélioré au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, en commission comme en séance. L’article 5 prévoit en particulier de publier toutes les décisions des collectivités territoriales sous forme dématérialisée, tout en conservant le format papier, tout le monde n’ayant pas accès à internet. À terme, il faudra aller plus loin, en proposant la mise en place d’une plateforme nationale permettant la publication de l’ensemble des décisions des collectivités.
À l’article 7, les dispositions proposées pour accompagner la dissolution des établissements publics de coopération intercommunale vont dans le bon sens.
Je me réjouis aussi que le débat ait sagement permis de modifier ou de supprimer certaines dispositions. Je pense notamment à l’article 18 concernant les centres communaux d’action sociale. En effet, les dispositions proposées présentaient un risque réel de désorganisation du réseau des CCAS. Il ne faut pas perdre de vue que le premier atout d’un CCAS, c’est sa proximité des citoyens. Les personnes qui y ont recours sont dans des situations difficiles et n’ont souvent pas de véhicule. Dans les territoires ruraux, l’absence de transports publics collectifs est une réalité et rend d’autant plus nécessaire les CCAS de proximité.
De même, la suppression par notre assemblée des articles 25 ter A et 25 ter nous semble un signal positif. En effet, ces articles qui prévoyaient de reporter d’une année, du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2017, la mise en place des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d’urbanisme, allaient à l’encontre du dispositif du Grenelle 2 de l’environnement. En effet, promulguée le 12 juillet 2010, la loi Grenelle 2 prévoit que les dispositions relatives à la création ou à la modification des SCOT et des PLU s’appliquent dans un délai de cinq ans et demi, soit avant le 1er janvier 2016. Par ailleurs, un très grand nombre de collectivités sont d’ores et déjà en règle ou le seront très prochainement.
La mise en place d’un urbanisme respectueux de l’environnement est un impératif pour répondre aux enjeux climatiques, mais aussi pour améliorer la vie des habitants de ce pays. Les SCOT et les PLU sont des éléments structurants de l’urbanisme et du développement territorial.
L’engagement contre le dérèglement climatique reste trop souvent à géométrie variable. Parmi celles et ceux qui ont voté les lois Grenelle 1 et 2 dans cet hémicycle, certains n’ont toujours pas admis les obligations introduites par ces lois, pourtant très en deçà du défi qu’il nous faut relever. C’est en ce sens que notre groupe avait déposé deux amendements de suppression de ces prorogations.
Enfin, ces deux articles ne visaient pas à simplifier des normes, contrairement à l’objet de la proposition de loi. En retardant les échéances, ils créaient au contraire une difficulté et une complexité supplémentaires, en prolongeant l’insécurité juridique pour les acteurs des territoires concernés.
Il est urgent de procéder à une réforme d’envergure des normes applicables aux collectivités territoriales. Cependant, un processus de réflexion est déjà en cours. L’acte III de la décentralisation sera peut-être l’occasion d’aller plus loin dans ce sens.
Le texte ainsi amendé reçoit donc le soutien des députés du groupe écologiste, et nous voterons pour. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
M. le président. Le scrutin public est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Mme Dominique Orliac. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte, d’origine sénatoriale, qui est aujourd’hui soumis à l’approbation de la représentation nationale aborde un thème consensuel et d’actualité, puisque la diminution du nombre de normes applicables aux collectivités territoriales figure parmi les objectifs de la modernisation de l’action publique et qu’elle fait l’objet d’une mission confiée par le Premier ministre à Alain Lambert, président de la Commission consultative d’évaluation des normes, et à Jean-Claude Boulard, maire du Mans.
Cette proposition de loi, déposée par notre collègue sénateur Éric Doligé, fait suite à la mission qui lui avait été confiée par le Président de la République sur le poids des normes applicables aux collectivités territoriales. Le texte initial reprenait une partie des propositions de son rapport du 16 juin 2011, mais le parcours compliqué de ce texte – renvoyé une première fois en commission des lois au Sénat, examiné une seconde fois le 10 octobre 2012, puis en séance publique le 12 décembre 2012, avant d’être transmis à l’Assemblée et inscrit dans la niche UMP de jeudi dernier – lui aura fait subir une cure d’amaigrissement qui lui aura coûté jusqu’à son intitulé. En effet, le dernier amendement adopté en séance a renommé cette proposition de loi, dorénavant relative « à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales ». Le contrôle des normes n’existe plus, renvoyé à des jours meilleurs… De trente-trois articles dans le texte initial, la version aujourd’hui soumise à notre vote en comporte désormais vingt et un.
C’est à cette condition que l’accord a pu se faire entre majorité et opposition. Permettez-moi d’exprimer ma déception : l’examen de ce texte illustre, au mieux, une relégation de l’objectif initial qui consistait à rationaliser le corps normatif applicable aux collectivités territoriales, au pire une certaine incapacité à légiférer sérieusement dans le cadre des journées d’initiatives parlementaires.
L’adoption de l’amendement créant un article 10 ter, tendant à abroger un article de la loi de finances pour 2012 qui prévoyait que le Gouvernement annexe au projet de loi de finances un rapport comportant une présentation de la structure et de l’évolution des dépenses ainsi que de l’état de la dette des collectivités locales, est à cet égard éloquent : s’agit-il d’alléger les normes qui pèsent sur le Gouvernement ou sur les collectivités ? Un tel rapport serait pourtant bien utile, surtout lorsque la situation financière des collectivités en question est préoccupante…
Heureusement, la prochaine journée réservée qui échoit au groupe dont je fais partie viendra démontrer le contraire, et confirmer ainsi mon optimisme quant à la capacité du législateur que nous sommes à se saisir des prérogatives qui sont les siennes en vertu de la Constitution.
Que reste-t-il de la proposition de loi qui nous est soumise ? Des dispositions intéressantes, malgré tout. L’article 7 tend à clarifier les différentes étapes de la procédure de dissolution des établissements publics de coopération intercommunale, en précisant le régime juridique et la procédure administrative applicables en cas de dissolution et de liquidation de leur patrimoine. Les articles 10 et 11 élargissent le champ de la délégation de pouvoirs du conseil municipal au maire. L’article 14 assouplit les règles de fonctionnement des commissions de délégation de service public. L’article 17 vient simplifier la procédure de déclaration d’état d’abandon manifeste d’une parcelle en supprimant la délibération préalable du conseil municipal, ce qui permet au maire de déclencher ladite procédure. L’article 19 attribue une base légale aux conventions de mandat.
D’autres dispositions sont plus contestables, comme le report au 31 décembre 2013 de la faculté laissée aux communes de plus de 50 000 habitants d’adopter leur plan climat-énergie territorial.
En définitive, ce texte ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. Même si nous pouvons regretter que son contenu soit, au moment d’être adopté par l’Assemblée nationale, si léger, le groupe RRDP votera favorablement et permettra que ce texte chemine au Sénat d’où, espérons-le, il ressortira enrichi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Gaby Charroux. Monsieur le président, mesdames les ministres, chers collègues, ce texte entend remédier à la multiplication des normes applicables aux collectivités territoriales, dénoncée sur tous les bancs. En effet, l’hypertrophie des normes crée de l’insécurité juridique et complique considérablement la tâche des élus, notamment dans les zones rurales.
Cependant, n’est-il pas nécessaire de nous interroger sur la cause de cette hypertrophie ? Lors de la précédente législature, ont été votés plusieurs projets de loi pléthoriques, fourre-tout, illisibles, censés pourtant « simplifier les normes ». Notre groupe disait déjà, à l’époque, que de tels véhicules législatifs avaient de grandes chances de complexifier encore plus le maquis de la réglementation.
Il est d’ailleurs pour le moins paradoxal que l’explosion des normes soit l’œuvre du régime libéral que nous avons connu ces dernières décennies ! Le primat du juridique sur le politique et la montée en puissance d’institutions non démocratiques comme la Commission européenne sont sans doute les causes de ces phénomènes. Si l’on ne s’attaque pas aux racines de cette prolifération, on peut bien vouloir simplifier sans cesse, le risque est de ne poser qu’un pansement sur une jambe de bois.
Mais venons-en au cœur de cette proposition de loi. Son objectif est de faire le bilan de l’inflation législative et de mesurer l’impact de cette dernière sur les décisions des acteurs publics locaux, pour apporter des solutions. Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif, tant les difficultés rencontrées par les élus locaux sont réelles. Mais, d’une façon générale, est-il opportun de légiférer en matière de collectivités territoriales, alors même que l’acte III de la décentralisation est déjà largement engagé ? Pour nos territoires, cette multiplication des textes concourt-elle à la simplification ?
Plusieurs dispositions de cette proposition de loi d’origine sénatoriale ont été supprimées par notre commission des lois, notamment l’article 18 qui mettait en danger les centres communaux d’action sociale. Nous nous félicitons de cette évolution.
L’amendement de l’UMP tendant à introduire un principe de proportionnalité pour les collectivités territoriales signale les difficultés des plus petites d’entre elles, qui sont réelles. Mais son adoption ne reviendrait qu’à contourner le problème et à créer de nouvelles sources d’inégalités, selon les richesses disponibles au sein des territoires.
Il ne faut pas se méprendre : le véritable débat, c’est celui des moyens financiers et non celui de la seule simplification des normes. À ce titre, lorsque la ministre, au cours de nos débats, affirme que « la maîtrise des dépenses est au cœur des préoccupations des élus, qui participent à l’effort de solidarité demandé à tous, à l’État comme aux collectivités territoriales et aux citoyens », faut-il rappeler que c’est précisément ce dogme ultralibéral, imposé par l’Europe, qui cause les difficultés dont nous parlons ? Faut-il rappeler qu’il existe des élus qui se battent au quotidien contre ces politiques d’austérité ? Faut-il rappeler que le Front de gauche, mais aussi de nombreux économistes et le mouvement social en contestent radicalement le bien-fondé ?
Suppression de la taxe professionnelle, suppression de dotations et de subventions, allégements fiscaux bénéficiant aux entreprises, compétences transférées et nouvelles attributions conférées aux collectivités sans les compensations financières exigées : ce sont là les causes véritables des difficultés de nos territoires.
Si nos plus petites collectivités ne disposent pas des outils d’ingénierie publique leur permettant d’appliquer les normes nationales, pourquoi les députés de l’UMP ont-ils chaudement applaudi, cinq ans durant, au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ? Pourquoi ont-ils soutenu la réorganisation des services déconcentrés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques ? Ces politiques sont précisément celles qui privent nos collectivités modestes de l’ingénierie de l’État. Cette proposition de loi propose en définitive de gérer la pénurie, en permettant aux collectivités d’abaisser leur niveau de normes et de réglementation, et de s’adapter à leur sous-dotation budgétaire.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si notre groupe souscrit à une clarification rapide de l’arsenal normatif pesant sur les collectivités territoriales, ce n’est qu’à condition de ne pas s’engager dans la voie de la déréglementation ou de la dérégulation, en reléguant, par exemple, les objectifs d’accessibilité ou de sécurité, les normes sanitaires ou de protection de l’environnement. Aussi les députés du Front de gauche s’abstiendront-ils sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Descamps-Crosnier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi, soumise aujourd’hui à votre vote, ambitionnait initialement de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales.
Déposé en août 2011 sur le bureau du Sénat par notre collègue Éric Doligé, le texte s’inspirait largement des conclusions du rapport qu’il avait remis trois mois auparavant et qui présentait pas moins de 268 propositions pour simplifier le droit applicable aux collectivités territoriales.
Ce texte s’inscrit dans une prise de conscience amorcée en 1991, sous l’impulsion d’un rapport au vitriol du Conseil d’État, qui fustigeait la « prolifération des textes », l’« instabilité des règles » et la « dégradation de la norme ».
Depuis, un intense travail de réflexion a été mené et des études en tous genres ont été produites, dont plusieurs par nos collègues ici présents ; le législateur a pris sa part de responsabilité dans cette évolution bienvenue de notre rapport au droit en général et à la norme en particulier.
Il était temps : la charge humaine et budgétaire que nos quatre cent mille normes font peser sur nos collectivités, et singulièrement sur les plus petites d’entre elles, est aujourd’hui insoutenable, spécialement à l’heure de la sobriété budgétaire et alors que la puissance publique se doit d’être réactive.
Ce constat est aujourd’hui partagé sur tous les bancs, comme l’a mis en évidence le travail réalisé aussi bien en commission des lois qu’en séance publique jeudi dernier. La proposition de loi de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault, adoptée par le Sénat en première lecture le 28 janvier dernier, participe également de ce mouvement partagé en faveur de la simplification du droit en général et des normes en particulier.
Éric Doligé a souhaité s’attaquer à ce problème. On comprend qu’il ait voulu agir en urgence tant le phénomène de production législative s’est accéléré sous les dernières législatures. Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, ne disait pas autre chose lorsqu’il évoquait la « mauvaise santé législative » lors de ses vœux en 2005.
Le temps de la médecine douce est terminé : le problème appelle une approche d’ensemble. Tel est le sens du message du Président de la République lors des États généraux de la démocratie territoriale. La majorité, pleinement consciente de cette nécessité eu égard à ses responsabilités territoriales, a entrepris ce travail dans un esprit dénué de postures partisanes qui sont un luxe que personne ne serait plus en droit de se permettre.
Il convient toutefois d’aborder ce chantier en nous appliquant dès maintenant nos propres conseils, à savoir une certaine sobriété en matière de production législative et l’inscription de cette initiative au sein d’un mouvement d’ensemble lisible et cohérent.
Cette proposition, aussi bien en commission qu’en séance, a ainsi été circonscrite aux objets les plus urgents, et qui n’ont pas vocation à être inclus dans d’autres textes, qu’il s’agisse de la proposition de loi de M. Sueur et Mme Gourault ou, surtout, des deux grands textes fondamentaux qui viendront marquer de leur empreinte un progrès certain pour nos territoires : le futur projet de loi relatif à l’urbanisme et au logement ainsi que celui relatif à la décentralisation et à la réforme de l’action publique. Onze articles ont par conséquent été supprimés.
Désormais expressément dédiée à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales, comme son nouveau titre l’indique, la proposition de loi marque de réelles avancées pour nos institutions territoriales, dont les missions essentielles sont ailleurs que dans le décryptage législatif et réglementaire. La dématérialisation des actes administratifs est ainsi encouragée tout en conservant l’égal accès des citoyens à l’information d’intérêt public, le champ des délégations que les assemblées locales peuvent accorder aux exécutifs est étendu aux demandes de subventions auprès de l’État et d’autres collectivités, certaines procédures en matière de comptabilité publique sont simplifiées.
Plusieurs articles ont fait l’objet de débats plus intenses, en particulier le premier, instaurant un principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités. Si l’intention était louable, les débats ont permis de souligner le caractère inopérant d’un tel principe, les outils à notre disposition ouvrant déjà cette voie, à charge pour le législateur d’en prévoir la déclinaison au cas par cas.
La majorité a également marqué son refus de fragiliser le maillage territorial des centres communaux d’action sociale par la suppression de l’article 18. Les discussions amorcées par le Gouvernement sur le sujet de l’action sociale des petites communes devraient permettre d’aboutir à une action plus mesurée.
Je tiens à saluer l’esprit de dialogue du Gouvernement qui s’est montré attentif aux préoccupations exprimées, notamment à propos des dispositions en matière d’urbanisme et de celles concernant la remise à jour de l’article 75 du code civil – nous étions tous d’accord pour supprimer la lecture de l’article 220 dudit code… (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Je salue également le travail constructif permis par M. le rapporteur ainsi que les échanges que nous avons pu avoir, et je voudrais vous inviter à la sagesse.
Nous prenons conscience des dangers inhérents à l’excès de normes, dans ce domaine comme dans d’autres, et de la nécessité de trouver un équilibre sous le regard vigilant des territoires de France.
« La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. » Ces mots d’Einstein résonnent comme une leçon de sagesse que nous devons suivre.
Alors, mes chers collègues, je vous dis : « Avançons ! » et je vous appelle à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UMP.)
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 469
Nombre de suffrages exprimés 461
Majorité absolue 231
Pour l’adoption 461
contre 0
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation. Je voudrais, à l’issue de ce débat, remercier l’ensemble des députés qui ont examiné ce texte et ont apporté leurs contributions à un domaine qui méritait une attention particulière.
Depuis 1991, le problème des normes a été étudié par les uns et les autres, avec la volonté d’apporter des solutions pragmatiques. Tel est le sens de ce texte qui, même s’il n’est pas allé aussi loin que nous l’aurions souhaité, permet d’améliorer le fonctionnement des collectivités locales.
Remercions en particulier le rapporteur et Mme Descamps-Crosnier pour le travail qu’ils ont accompli ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la sécurité sanitaire du médicament.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. La sécurité du médicament est un sujet de préoccupation majeure pour nos concitoyens. Grands consommateurs de produits de santé, ils s’interrogent aujourd’hui à leur égard. Leurs exigences quant à la transparence, l’information et la sécurité des médicaments sont parfaitement légitimes. Et les responsables politiques, comme les pouvoirs publics, doivent être en mesure d’y répondre.
La pharmacovigilance, instrument nécessaire pour repérer et analyser les effets indésirables des médicaments, est née dans les années soixante, à la suite d’un drame terrible : plus de dix mille enfants, dont les mères avaient été traitées à la thalidomide pour des nausées pendant leur grossesse, ont subi de graves malformations.
Depuis, la pharmacovigilance et la sécurité sanitaire de manière plus générale, se sont étoffées, bien souvent au fil des crises que nous avons affrontées. Le sang contaminé, puis la crise de l’hormone de croissance et enfin celle, européenne, de la vache folle ont ainsi conduit à la création des agences sanitaires. Celles-ci ont vu leurs compétences s’accroître au fil du temps, sans véritable plan d’ensemble.
Plus récemment, l’affaire du Mediator, en 2011, a conduit à mettre en œuvre dans l’urgence un ensemble de mesures, sans que soit pris le recul suffisant pour faire évoluer en profondeur notre système de surveillance des produits de santé.
C’est ainsi, au gré des crises et essentiellement en réaction à celles-ci, que s’est forgée notre doctrine sur la sécurité du médicament Ce n’est évidemment pas satisfaisant. Nous devons désormais aller plus loin. C’est pourquoi je souhaite que, dans le cadre de la stratégie nationale de santé, puisse être construite avec l’ensemble des acteurs une politique efficace du médicament. Cette politique doit reposer sur un triptyque : la vigilance, la transparence et la confiance. C’est ce qu’attendent de nous les Français. C’est le sens des actions que j’ai d’ores et déjà engagées.
Commençons par quelques constats utiles à notre réflexion commune.
Premier constat : notre système de pharmacovigilance est compliqué, peu lisible – ce qui est logique puisque nous avons dit qu’il s’était construit au fil des crises successives –, et son organisation morcelée, aux règles mal connues des professionnels de santé, a pour conséquence des alertes qui remontent insuffisamment.
Deuxième constat : les prescripteurs sont peu impliqués dans leur rôle de vigie, de sentinelle en sécurité sanitaire et, à l’inverse, nous souffrons d’un manque certain de visibilité sur les prescriptions collectives.
Troisième constat : le dispositif d’information médicale sur le médicament repose pour l’essentiel sur le secteur privé.
Quatrième constat : certains médicaments ne sont plus disponibles pour nos patients, du fait de stratégies industrielles ou de délocalisation de leur fabrication.
Cinquième et dernier constat : les patients sont insuffisamment associés à l’organisation de notre pharmacovigilance.
Dans ce contexte nouveau, notre responsabilité est grande. Il nous revient de garantir la qualité, la sécurité, le bon approvisionnement et la juste utilisation des médicaments. Avant de préciser les axes de travail que j’ai retenus dans ce domaine, je souhaiterais insister sur quelques grands principes qu’il me paraît important de souligner.
Les médicaments ne sont pas des produits comme les autres. J’ai eu l’occasion de le rappeler à maintes reprises depuis quelques mois : le risque zéro n’existe pas. Les produits de santé sont faits pour nous soigner, mais ils peuvent aussi nous exposer, dans le même temps, à certains risques. Chacun doit en être pleinement conscient et averti lorsqu’il débute un traitement, ce qui n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui.
La confiance est la pierre angulaire d’une politique performante du médicament. C’est avec cette confiance que nos concitoyens doivent renouer. Elle repose sur le travail des autorités sanitaires dont le rôle est de mesurer le bénéfice d’un médicament par rapport aux risques qu’il présente. Elle repose aussi sur le rôle du prescripteur qui permet au patient une utilisation éclairée de chaque produit. Elle suppose enfin un engagement fort des entreprises pharmaceutiques qui sont l’un des piliers de notre secteur économique et le fleuron de nos industries de santé. Leur rôle et leur responsabilité dans la pharmacovigilance et dans le bon usage doivent être renforcés.
C’est par un dialogue dont nous pourrons maîtriser les termes que nous recréerons la confiance. Dialogue avec la communauté scientifique, bien sûr, mais aussi avec la presse spécialisée. Dialogue, surtout, entre la société civile, les associations de patients et les autorités sanitaires. Je veux rappeler ici que les décisions des pouvoirs publics doivent se fonder sur une expertise scientifique, indépendante, plurielle – donc contradictoire – et transparente.
Venons-en aux axes de la politique que je souhaite pouvoir développer dans les prochains mois et qui a commencé à s’installer depuis quelques semaines.
Pour garantir la meilleure sécurité possible du médicament, je veux d’abord renforcer les mécanismes de vigilance.
La vigilance, c’est vérifier que les médicaments consommés par nos concitoyens présentent toutes les conditions de sécurité et qu’ils sont utilisés à bon escient C’est aussi détecter la survenue de nouveaux événements indésirables ou s’assurer que leur survenue n’augmente pas. C’est le rôle rempli par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Chaque fois qu’un médicament est commercialisé, celle-ci mesure les bénéfices et les risques qui lui sont associés. Cette analyse du rapport entre les bénéfices et les risques n’est plus seulement conduite au moment de la mise sur le marché puisqu’elle est désormais réalisée tout au long de la vie du médicament.
L’ANSM procède aussi à ce qu’on appelle des réévaluations périodiques, notamment pour les produits antérieurs à 2005.
Prenons un exemple concret très récent, qui a fait couler beaucoup d’encre : c’est ce qui a été réalisé pour l’anti-acnéique Diane 35. Le débat qui est né il y a quelques semaines autour de la prescription du médicament appelé Diane 35 n’a pas résulté d’enquêtes indépendantes et autonomes, mais du fait que l’Agence nationale de sécurité du médicament avait engagé la réévaluation de ce produit et que s’est retrouvé dans la presse, par des voies dont on ignore tout, le résultat de cette réévaluation avant que l’Agence n’ait fait le choix de communiquer sur elle. On voit donc bien le résultat concret, l’efficacité et éventuellement le succès – pour autant que l’on puisse parler de succès – de la démarche engagée.
C’est un travail considérable, car je rappelle que plus de 10 000 médicaments ont à ce jour une autorisation de mise sur le marché – il n’est pas interdit de penser que c’est trop –, dont 6 000 environ ont une AMM antérieure à 2005. Ce travail de réévaluation périodique peut conduire à des suspensions d’AMM, même si nous sommes soumis dans ce domaine à des procédures européennes très contraignantes. En deux ans, 244 autorisations de mise sur le marché ont été réévaluées concernant cinquante-neuf médicaments, dont les pilules de troisième et quatrième générations, ainsi que Diane 35 ; onze suspensions d’AMM ont été prononcées – comme celle de l’Equanil, par exemple, avant Diane 35, ainsi que d’autres produits – et treize restrictions majeures de leur indication.
Toutefois, à l’évidence, notre dispositif de pharmacovigilance n’est pas adéquat, car il ne nous permet pas d’anticiper les situations à risque. Il faut progresser depuis le signalement des incidents, dont chacun souligne la sous-déclaration, jusqu’à leur gestion opérationnelle.
C’est pourquoi j’ai la conviction que les professionnels de santé et les patients doivent devenir les premiers acteurs de notre système de pharmacovigilance. Nous devons nous assurer, non seulement que les effets indésirables remontent bien à l’autorité sanitaire, mais aussi que celle-ci peut ou a les moyens d’identifier les alertes et de les traiter avec des outils appropriés.
Voilà pourquoi j’ai demandé au directeur général de la santé de me proposer avant cet été un plan de réorganisation des vigilances dans notre pays, qui ne se limitera pas, d’ailleurs, à la pharmacovigilance, mais englobera toutes les vigilances, tant il est important que notre système soit plus simple et plus réactif.
Parallèlement à ce nouveau dispositif – que nous mettrons en place dans le prolongement des propositions qui seront faites – je souhaite que nous disposions d’un système que nous pourrions nommer pharmacosurveillance plutôt que pharmacovigilance, et qui fait cruellement défaut à ce jour. Il permettra aux pouvoirs publics d’avoir un suivi le plus juste possible des pratiques collectives de prescription. Par pharmacosurveillance, j’entends le mécanisme et les procédures qui nous permettront d’analyser les prescriptions collectives et de réagir face aux informations que nous donnent ces prescriptions collectives. J’insiste sur ce point. Il s’agit d’identifier les mésusages potentiels ou les dérives comme, par exemple, les surprescriptions ou les prescriptions hors AMM. Il ne s’agit pas de contrôler les prescriptions individuelles. L’assurance maladie peut le faire. Il s’agit en l’occurrence de s’assurer que les médicaments sont prescrits conformément aux recommandations de bonne pratique ou de détecter des prescriptions collectives qui s’imposeraient au fil du temps et qui pourraient poser des difficultés qu’il appartiendrait de résoudre.
Ces informations sont évidemment déterminantes pour nous permettre d’anticiper efficacement de futures crises. Un tel système n’existe pas aujourd’hui, mais j’ai demandé à Mme le professeur Costagliola et à M. le professeur Bégaud d’examiner les moyens à mettre en œuvre pour qu’il voie le jour dans les meilleurs délais.
Le second levier que je souhaite actionner, c’est celui de la juste prescription et du bon usage des médicaments.
Le mot d’ordre est assez simple : la bonne prescription, au bon moment, à la bonne personne, dans les meilleures conditions de sécurité et, si possible, au meilleur coût.
La règle est simple : les médicaments doivent être prescrits selon les indications des autorités sanitaires. Si cette règle connaît des exceptions, elles sont strictement encadrées par la loi, dans le cadre des recommandations temporaires d’utilisation – les RTU.
Les prescripteurs et les patients doivent prendre conscience que la liberté de prescrire a pour corollaires la liberté de ne pas prescrire et le devoir de bien prescrire. Bien que la France ait fait des progrès dans ce domaine durant ces dernières années, nous restons parmi les principaux pays européens consommateurs de médicaments. Nous sommes même en tête des dépenses par habitant pour les classes thérapeutiques majeures, et à la deuxième place, derrière le Royaume-Uni, pour les volumes consommés.
Comment faire pour parvenir à une utilisation plus appropriée des médicaments ?
D’abord en nous adressant aux prescripteurs. Nous devons améliorer la formation initiale et continue des médecins : les études de médecine donneront plus de place à la question de la pharmacologie, de la prescription et de la pharmacovigilance. Ces éléments doivent être pleinement intégrés dans le DPC – le développement professionnel continu – pour ce qui est de la formation continue.
Ensuite, en améliorant l’information destinée aux médecins.
Elle doit être faite par les professionnels, pour les professionnels, et mobiliser les sociétés savantes. Les pratiques peuvent être améliorées par une meilleure diffusion des référentiels ou grâce à la diffusion de logiciels d’aide à la prescription pour les médecins.
Enfin, en développant une véritable politique de sensibilisation et d’éducation de nos concitoyens à l’utilisation des médicaments, y compris ceux vendus hors prescription. Je pense en particulier à un phénomène nouveau, celui de la vente de médicaments sur internet. Il nous revient de protéger nos concitoyens en encadrant cette pratique. C’est d’ailleurs ce que j’ai engagé.
Promouvoir une nouvelle politique de sécurité du médicament, c’est aussi garantir l’accès à une information indépendante et assurer la transparence la plus complète.
Il existe une demande croissante et légitime de disposer d’une meilleure information sur les médicaments. Le succès de certaines publications s’explique de cette façon.
Je souhaite pour ma part que ces informations soient publiques et accessibles à tous. Ce travail a été engagé à ma demande par l’Agence nationale de sécurité du médicament, s’agissant des pilules. L’Agence publie ainsi – elle l’a fait hier – les données de pharmacovigilance et les données de suivi d’impact des mesures prises. Elle publiera aussi toutes les réévaluations des AMM qu’elle est en train de mener. Les nouveaux médicaments n’échapperont pas à cette logique. Nous n’avons rien à craindre d’une plus grande transparence de l’information sur les produits de santé.
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé que soit développé un service public d’information en santé. Cette base de données, mise à la disposition de tous les professionnels de santé et du grand public, accessible sur un site unique, permettra d’accéder à une information fiable, actualisée, gratuite et indépendante sur les médicaments.
Enfin, pour répondre à l’exigence de transparence, il est temps de mettre un terme aux soupçons permanents de conflits d’intérêt dans le domaine de la sécurité du médicament. Une décision est crédible uniquement si elle est prise sur la base d’une expertise parfaitement indépendante. Nous ne devons pas transiger sur ce point, sans toutefois interdire toute relation entre le monde des professionnels de santé et celui de l’industrie. Cela n’aurait aucun sens. Se parler, échanger, opposer des points de vue n’a jamais constitué un conflit d’intérêts. Mais cela doit désormais se faire dans la transparence la plus totale. Je considère ainsi que les liens qui unissent les professionnels de santé et les industries du médicament devraient, à terme, être rendus publics sur le site du service public d’information en santé.
Pour garantir la sécurité des médicaments et des patients, il faut enfin s’assurer de la disponibilité des produits sur notre territoire. Les ruptures d’approvisionnement constituent un enjeu majeur, en particulier lorsque les traitements concernés n’ont pas d’alternative et traitent des maladies graves, comme les trithérapies pour les malades du sida ou les traitements contre le cancer. L’ANSM a recensé en 2011 plus d’une cinquantaine de situations à risque. Cette situation évidemment inacceptable a justifié la mise en place d’un dispositif renforcé de surveillance des stocks de médicaments.
Notre politique doit plus largement s’inscrire dans le contexte européen voire mondial de la sécurité du médicament. La France doit retrouver et consolider sa position naturelle dans les instances européennes en charge du médicament. C’est en effet à cet échelon que sont arbitrées les grandes décisions en matière de pharmacovigilance et de nouveaux médicaments. C’est en amont de celles-ci que nous devons peser si nous voulons être en mesure d’anticiper l’arrivée sur le marché français de nouveaux produits de santé. Très concrètement, cela signifie qu’il nous faut participer activement aux évaluations européennes de pharmacovigilance, notamment par une présence accrue dans les comités ad hoc qui sont mis en place. J’ai formulé au directeur de l’Agence nationale de la sécurité du médicament une demande en ce sens.
J’ai déjà informé l’ensemble de mes homologues européens de l’engagement de la France et du mien propre sur tous ces sujets afin que nous puissions traiter en amont les mises sur le marché compliquées de certains médicaments. Je me suis notamment engagée pour une garantie de la sécurité des produits avant commercialisation encore plus forte que prévu.
Des mécanismes de vigilance renforcés, une prescription juste et adaptée, une information indépendante, transparente et publique, un approvisionnement garanti : telles sont les conditions qui doivent être remplies pour que les Français et les professionnels de santé fassent à nouveau confiance aux médicaments. Tel est aussi le sens de mon action depuis mon arrivée au ministère. C’est là, mesdames et messieurs les députés, un enjeu majeur pour la santé des Français. Nos concitoyens sont très attentifs aux garanties supplémentaires que nous leur offrons. Je suis donc heureuse que nous ayons aujourd’hui l’occasion de débattre afin de faire progresser collectivement la sécurité sanitaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Massonneau.
Mme Véronique Massonneau. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le groupe écologiste a souhaité inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée un débat sur la sécurité sanitaire du médicament à la suite des récents scandales des pilules de troisième et quatrième générations et du Diane 35. Quatorze mois après la loi « médicament », il convenait également de faire le point sur la situation en France.
Quel premier bilan tirer de cette loi ? L’autorité nouvellement créée, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ou ANSM, a remplacé l’AFSSAPS. Elle est principalement chargée d’évaluer les bénéfices et les risques des produits, de surveiller le risque qu’ils présentent tout au long de leur cycle de vie, de réévaluer régulièrement bénéfices et risques et de prononcer des sanctions financières si nécessaire.
L’objectif affiché de la loi était tout d’abord le renforcement de la pharmacovigilance, en particulier par des études supplémentaires relatives à l’autorisation de mise sur le marché. Ces études peuvent être demandées a priori, mais également a posteriori, ce qui permet de modifier, suspendre ou retirer l’AMM en cas de doute sérieux sur la sécurité d’un médicament. Dans le même esprit, la loi prônait un renforcement de la protection des patients. Il s’agissait alors d’encadrer davantage les prescriptions hors AMM. En effet, dans certains cas, même s’il ne s’est pas vu attribuer une autorisation de mise sur le marché, un médicament peut être prescrit. Il est alors censé apparaître avec la mention « hors AMM » sur les ordonnances et le prescripteur doit informer le patient.
Ainsi, les intentions de cette loi, votée en urgence après le scandale du Mediator, semblaient louables. À peine un an plus tard toutefois, les affaires des pilules de troisième et quatrième générations et du Diane 35 révélèrent ses insuffisances. Mieux aurait valu une véritable réforme qu’une mesure d’affichage. Je laisse là les querelles politiciennes car, dans un tel débat, il ne faut pas perdre de vue notre unique fil conducteur, qui est la protection de nos concitoyens, et spécialement de nos concitoyennes qui sont souvent les principales victimes des dysfonctionnements de notre système de sécurité sanitaire du médicament.
Le scandale du Diane 35, comme celui du Mediator qui obéissait à un schéma analogue, nous a hélas démontré une fois de plus les défaillances de notre législation. Ces deux médicaments, un anti-acnéique et un anti-diabétique, ont été utilisés à des fins toutes autres, de contraception et de coupe-faim. Il existe donc une véritable déficience du suivi et du contrôle des AMM. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, ce que le Gouvernement compte faire pour renforcer les missions de l’ANSM en matière de délivrance des AMM et plus spécifiquement de suivi et de contrôle afin de réduire les scandales, à défaut de pouvoir les éradiquer ?
Par ailleurs, l’article 30 de la loi « médicament » prévoyait un dispositif expérimental pour les visiteurs médicaux. Le PLFSS pour 2013 a voulu l’élargir, mais s’est heurté au Conseil constitutionnel sur ce point. C’est l’occasion, comme le réclamaient les écologistes par les voix d’Anny Poursinoff et d’Aline Archimbaud lors de l’examen du projet de loi de M. Xavier Bertrand, de mener une réflexion en profondeur sur cette profession, symbole archétypique de l’emprise des laboratoires privés sur notre système de santé. Cela soulève en particulier la question de la formation continue des médecins face à une insuffisance d’informations et à un marketing illégal pour lequel les médicaments sont devenus des produits de consommation courante dont on n’explique pas réellement tous les aspects et effets indésirables.
Il est temps d’instituer un véritable contrôle des visiteurs médicaux en dispensant aux praticiens de santé la formation nécessaire pour appréhender au mieux leur démarche. Il est primordial d’instituer un système d’information qui ne repose pas uniquement sur les visiteurs médicaux et leur rôle commercial. L’IGAS prônait en 2007 la suppression de cette profession. Nous sommes bien conscients que des emplois sont en jeu et il convient de ne pas jouer aux apprentis sorciers avec eux. Mais si le Gouvernement met en place une politique ambitieuse réformant leur statut, les écologistes vous assurent, madame la ministre, de leur soutien sans faille.
La loi relative au médicament était également censée lutter contre les conflits d’intérêts et pour la transparence. En ce domaine aussi, elle a montré ses limites. Nos amis scandinaves auraient quelques conseils à nous donner à ce propos. Leur système très développé de registres sert de base de données pour de nombreux pays et permet de mener des études qui font souvent référence. Leurs registres existent depuis longtemps. Ils couvrent l’ensemble de la population dans de nombreux domaines. C’est ainsi, grâce au Danemark, qu’une évaluation des risques thrombo-emboliques veineux dus aux pilules a pu être menée. Les pilules de troisième et quatrième générations ne sont qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.
La lutte contre les conflits d’intérêts doit, selon la revue Prescrire, suivre plusieurs axes : augmenter notablement le financement de la recherche clinique indépendante des firmes, mettre en place un corps d’experts indépendants et développer la transparence des autorités sanitaires en garantissant un accès aux données des essais cliniques et de pharmacovigilance. Toutes ces préconisations sont hautement pertinentes et rejoignent le modèle scandinave dont nous pourrions essayer de nous rapprocher.
Mettre en place une réforme importante et globale de notre système de sécurité sanitaire du médicament permettrait assurément une meilleure prévention des risques et éviterait certainement de nombreux scandales comme ceux que nous avons dû vivre ces derniers temps. Mais il serait illusoire de penser que nous serions alors totalement protégés des risques. Aussi, il faut envisager les situations a posteriori de nos concitoyens qui ont subi de plein fouet ces scandales. Par exemple, le fonds « Mediator » destiné à indemniser les victimes du laboratoire Servier n’est aucunement une garantie pour celles-ci de voir leurs dossiers acceptés. Elles se retrouvent trop fréquemment dans un dédale juridique incompréhensible, balisé par la date limite d’acceptation du dossier et par un collège d’experts très strict. La preuve que le produit est bien à l’origine du préjudice, c’est-à-dire l’imputabilité, est la clé de l’acceptabilité du dossier. C’est là encore un véritable parcours du combattant pour les victimes. Le collège d’experts précité est pourtant nommé par le ministère de la santé : le législateur ne doit-il pas œuvrer pour les victimes et non à la protection des grandes industries pharmaceutiques ?
L’exemple allemand est significatif et symbolique. Nos voisins d’outre-Rhin se sont dotés en 1978 d’une loi spécifique aux médicaments. Le dispositif voté est favorable aux victimes qui ne sont plus obligées de démontrer une faute du laboratoire. Les Allemands considèrent le médicament comme un produit dangereux par essence dont la responsabilité des éventuels effets indésirables incombe naturellement au fabricant. De fait, le laboratoire doit contracter une assurance contre le risque de dommage. En outre, la présomption de causalité est la règle : si un dommage potentiellement imputable à un médicament consommé peut lui être attribué, c’est au laboratoire de prouver son innocence. L’accompagnement des patients est primordial, par exemple les victimes du Distilbène. Les effets néfastes de ce médicament ne sont apparus que tardivement sur les filles des consommatrices, bien des années après leur usage. Une législation basée sur la protection des citoyens, tel est le modèle dont nous devons nous inspirer et que nous devons nous imposer !
Je dois enfin évoquer les graves dysfonctionnements constatés lors des essais cliniques, car de nombreux articles sont parus à ce sujet. En effet, comme ma collègue sénatrice Aline Archimbaud vous l’avait précisé lors d’une question crible, madame la ministre, nombre de prescriptions médicales destinées aux femmes reposent sur des essais entièrement conduits sur des hommes ou des animaux mâles. Les spécificités des femmes excluent celles-ci des essais cliniques, que les variations de leur cycle hormonal rendraient plus complexes et donc plus coûteux. Ainsi, 79 % des médicaments antidouleur ne sont testés que sur des hommes ou des animaux mâles. Même l’étude de pathologies dont on sait qu’elles affectent différemment les deux sexes ne respecte pas la parité. Par exemple, la majorité des anxiolytiques sont très peu testés sur les femmes, qui souffrent pourtant deux fois plus souvent de problèmes d’anxiété que les hommes. Comment ne pas craindre des effets secondaires non souhaités si l’on se refuse à faire des examens cliniques satisfaisants ?
Pouvez-vous, madame la ministre, nous présenter les grandes orientations qu’envisage le Gouvernement pour sécuriser notre système du médicament ? Pouvez-vous nous assurer que le Gouvernement traitera tous les aspects du problème et tous les dysfonctionnements, en particulier après la grande loi de santé publique ? Nos concitoyens ont besoin de faire à nouveau confiance à notre système de santé. À vous et à nous, élus de la majorité, de leur montrer qu’ils sont au centre de nos préoccupations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac.
Mme Dominique Orliac. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous voici réunis en cette fin d’après-midi dans le cadre d’une semaine de contrôle pour débattre, à l’initiative de nos amis écologistes, de santé et en particulier de la sécurité sanitaire du médicament.
Je tiens tout d’abord à saluer ce progrès du parlementarisme qu’est la fixation de l’ordre du jour, issue de la révision constitutionnelle de 2008 dont les effets ne sont pas tous indésirables. La rédaction initiale de la Constitution de 1958 faisait du Gouvernement le seul maître de l’ordre du jour. Le partage en vigueur nous donne les moyens de consacrer plusieurs semaines par an au contrôle de l’action du Gouvernement. L’actualité en matière de sécurité sanitaire du médicament montre que ce n’est pas inutile !
La liste des scandales liés à la sécurité des médicaments est en effet excessivement longue, malgré un renforcement incontestable de la réglementation depuis plusieurs années dont fait partie la fameuse loi « médicament ». Le sujet inscrit à l’ordre du jour, qui tend souvent à susciter l’émotion, est donc essentiel pour notre population.
C’est la conséquence de progrès thérapeutiques indéniables, mais aussi de risques non négligeables, qui obligent les pouvoirs publics à mener, dans ce domaine, une politique de qualité et de sécurité, avec le soutien et l’expertise de scientifiques.
L’excellent travail des assises du médicament avait mis en évidence plusieurs carences en matière de prévention des conflits d’intérêts, de pharmacovigilance ou de prescriptions hors AMM.
Pour nous, radicaux de gauche, la sécurité sanitaire relève de la responsabilité exclusive de l’État, responsabilité dont celui-ci ne saurait se défausser sur des agences ou commissions. Ces structures devraient, du reste, être simplifiées et réorganisées, car elles sont trop nombreuses et communiquent souvent peu entre elles, d’où la lenteur des décisions.
Souvent, sur ces problèmes, nous légiférons en catastrophe pour répondre à un accident grave. Ainsi, l’Agence française du sang a été créée par une loi de 1993 après l’affaire du sang contaminé. L’Agence du médicament a d’ailleurs été créée en même temps, par un amendement surdimensionné, adopté la veille de Noël au Sénat ; sa création avait fait, quelques mois auparavant, l’objet d’un accord en CMP qui avait été bloqué par le Premier ministre de l’époque.
On débat donc vite, et sous le coup de l’émotion.
Pour parler plus concrètement de la sécurité sanitaire, outre la simplification et la coordination des structures concernées, deux points nous semblent essentiels : la pharmacovigilance et l’information crédible des acteurs de santé.
En dépit d’importants efforts, qui se sont traduits par la création, en 1976, de la pharmacovigilance en France et, en 2000, par sa reconnaissance au niveau européen, les affaires se sont succédé. Je pense à celle du Mediator, aux nombreux médicaments qui ont été retirés du marché avec retard ou à la récente affaire des pilules, sans oublier les produits de santé et les dispositifs médicaux, surtout stériles, et l’affaire des prothèses implantables.
Cette dernière affaire a révélé la faiblesse des contrôles de sécurité exercés sur ces produits, dont certains demeurent des années durant dans l’organisme humain. Ces dispositifs font l’objet, non pas d’une autorisation de mise sur le marché, mais uniquement d’un marquage « CE », délivré par des sociétés certificatrices venant de tous les pays européens et payées par les entreprises qui les sollicitent. Si l’on parle de sécurité, il faudra donc ne pas oublier cette véritable bombe à retardement et éviter de se réveiller quand un problème surviendra.
La pharmacovigilance est un élément essentiel de la sécurité sanitaire. Des changements sont intervenus pour améliorer le dispositif dans le cadre des essais cliniques et des études post-AMM, mais, comme on l’a vu récemment, il faut améliorer le système d’alerte et disposer, comme c’est le cas dans d’autres pays, d’une base de données de référence sur l’évaluation du bénéfice-risque. En France, ces données existent, mais elles ne sont pas accessibles à l’ensemble des acteurs de santé.
Bien que nous ayons inscrit le principe de précaution dans la Constitution, nous avons vu, dans l’affaire des pilules, que le système avait du mal à fonctionner, en raison des prises de position de trop nombreux organismes, de la non-décision habituelle nécessitant une mobilisation de tous ces acteurs pour avoir une réelle réactivité. Je sais, madame la ministre, qu’il s’agit d’une de vos préoccupations.
La sous-déclaration des effets indésirables témoigne aussi du manque de réactivité des professionnels de santé dans ce domaine. Les organismes professionnels devraient faire des propositions pour améliorer les déclarations ; il faudra les étudier. Il faut espérer que, après la loi sur le médicament, les patients et les industriels renforceront leur rôle d’alerte.
Les biomarqueurs, qui permettent de détecter les populations de patients et les effets indésirables, sont un élément essentiel qui devrait améliorer la connaissance dans ce domaine. Cette évolution est indispensable. Les études post-AMM renforcées permettront aussi une meilleure connaissance du médicament dans sa vie réelle, car, ce qui est important dans ce domaine, c’est la capacité de détection des signaux faibles.
Enfin, l’information sur les produits de santé doit être améliorée et accessible à tous. Ces données existent ; il faut les rendre accessibles. Tout le monde doit savoir qu’un médicament actif peut avoir des effets secondaires.
La soif de connaissance est aujourd’hui très grande dans ce domaine. On le voit à travers le succès récent de livres dits de « vérité ». Par désir de se faire de la publicité et de réaliser d’importants tirages, on publie des affirmations polémiques et des contrevérités qui affolent les populations. Tout cela peut représenter des risques graves, en modifiant l’observance des traitements. Le récent ouvrage sur la prétendue innocuité du cholestérol est, à cet égard, caricatural et dangereux. Il faut donc être prudent et attentif aux données scientifiques réelles.
La création d’un portail public crédible sur les produits de santé – médicaments et dispositifs médicaux –, que vous avez souhaité, madame la ministre, devrait permettre à l’ensemble des acteurs de santé de disposer d’informations et de précautions d’emploi validées.
Au fond, la problématique pourrait se résumer à une question centrale : comment garantir sans concessions la sécurité des patients, tout en renforçant leur accès aux soins et aux progrès thérapeutiques ?
Et en ce qui concerne l’accessibilité des soins, je tiens à rappeler, même si c’est devenu une banalité de le dire, que, selon le classement de l’OMS, la France, notamment grâce à ce critère, est championne du monde des systèmes de soins depuis des années. Cela ne signifie certainement pas que notre système n’est pas perfectible, et encore moins que nous devions nous reposer sur nos lauriers. Mais gardons à l’esprit que beaucoup de pays nous envient notre système de soins et, souvent, nous copient.
C’est, pour nous, une exigence supplémentaire qui doit nous inciter à rester le modèle à suivre. Je ne doute pas que la nouvelle majorité et le nouveau gouvernement sauront relever les défis auxquels nous devons faire face en apportant des réponses qui seront à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux.
M. Gaby Charroux. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je me réjouis, à mon tour, de pouvoir m’exprimer, au nom du groupe GDR, sur la question de la sécurité sanitaire du médicament.
Les drames sanitaires provoqués par les prothèses PIP et le Mediator ont conduit les pouvoirs publics à adopter dans la précipitation, fin 2011, de nouvelles dispositions législatives en matière de santé publique. La loi Bertrand relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé avait essentiellement vocation à édicter des règles de transparence dans ce secteur et à mettre en œuvre des règles plus strictes et plus contraignantes. Cela a été fait, par exemple, en matière de publicité ou de surveillance des produits après leur mise sur le marché, afin d’éviter que ne se produisent de nouveaux drames.
La loi renvoyait au décret sur de nombreux sujets. L’année 2012 a ainsi été marquée par l’adoption de plus de vingt textes réglementaires. Plusieurs décrets ont été publiés visant à renforcer l’encadrement de la publicité des médicaments et des dispositifs médicaux en rendant obligatoire l’obtention d’un visa a priori et non plus a posteriori.
Le Parlement s’est également saisi de ces questions. Le Sénat a ainsi rendu public, en juillet dernier, un rapport d’information rédigé par la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. Enfin, la Commission européenne a publié, en septembre 2012, deux propositions de règlement.
L’ensemble de ces travaux et projets laisse présager un encadrement plus strict des dispositifs médicaux en France et, plus généralement, dans l’Union européenne, en prévoyant une surveillance plus étroite des organismes notifiés qui délivrent le marquage « CE » aux dispositifs médicaux, des règles de traçabilité renforcées, un système d’identification unique des dispositifs médicaux et, enfin, une vigilance et une surveillance accrues du marché.
Malgré ces avancées, d’importantes lacunes demeurent.
Si plusieurs textes d’application ont été pris concernant les déclarations publiques d’intérêts de tout intervenant siégeant dans les commissions et conseils tenus par des organismes publics ayant un rapport avec le domaine de la santé, Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire, faisait justement remarquer, dans un récent entretien, qu’il manque encore à notre pays l’équivalent du Sunshine Act, ce décret qui, aux États-Unis, oblige les firmes pharmaceutiques à dévoiler au public l’argent qu’elles versent aux médecins ou aux centres hospitaliers.
Par ailleurs, on s’aperçoit que l’Agence nationale de sécurité du médicament n’est pas assez armée pour combattre les laboratoires pharmaceutiques. Il lui faut davantage de moyens financiers et juridiques.
Au lendemain de la suspension de la pilule Diane 35, vous avez annoncé, madame la ministre, vouloir la mise en place d’un dispositif de surveillance des médicaments « plus efficace ». Estimant que « la situation actuelle n’est pas satisfaisante », vous avez indiqué vouloir « réfléchir à la manière dont on peut mettre en place un dispositif de vigilance qui soit plus efficace ».
Dans le même temps, l’Agence européenne du médicament a fait savoir qu’elle allait procéder à un réexamen du dossier Diane 35 et de ses génériques, passage obligatoire après la décision française de suspendre les ventes de ce médicament commercialisé par les laboratoires Bayer. Quelle que soit l’issue de ce réexamen, les décès imputables à la pilule Diane 35 nous confirment malheureusement l’incapacité de notre système de pharmacovigilance à assurer une visibilité précise du risque médicamenteux.
Si la situation n’est pas forcément plus reluisante chez nos voisins, il reste que les insuffisances de la politique du médicament en France et en Europe sont à l’origine non seulement de drames, mais également d’un regain de défiance de nos concitoyens à l’égard des produits de santé et, plus grave encore, de notre système de santé.
Selon nous, il importe en priorité de réformer en profondeur notre système de pharmacovigilance et de tendre, par exemple, à la réalisation de l’objectif de notification de tous les effets indésirables graves qui peuvent être diagnostiqués, en facilitant la remontée d’informations ou en allégeant les procédures administratives qui sont un frein à l’implication des professionnels de santé.
Il nous semble non moins nécessaire de s’assurer d’une meilleure indemnisation des victimes. Nous ne pouvons demeurer dans un système de responsabilité sans faute qui permet aux entreprises pharmaceutiques d’externaliser le risque auprès de la sécurité sociale. Nous trouverions plus juste, juridiquement et moralement, que les laboratoires contribuent au financement d’un fonds de gestion mutualisé du risque médicamenteux.
En amont, il convient bien évidemment de mieux prévenir ce risque, de mieux protéger les patients. Cela suppose, comme nous l’avons dit, de doter l’agence française des moyens matériels et financiers nécessaires à une expertise réellement indépendante. Ainsi que le dénonçait la Cour des comptes en 2011, il n’est pas acceptable que les évaluations préalables à la commercialisation d’un médicament s’appuient sur des études laissées à l’initiative du fabricant et dont le cadre n’est pas défini de manière rigoureuse et homogène.
Il nous semble non moins indispensable de prendre un arsenal de mesures de nature à permettre de lutter efficacement contre les conflits d’intérêts et contre certaines pratiques commerciales des laboratoires ; je pense aux visiteurs médicaux ou à la pratique des petits cadeaux, en apparence inoffensifs, mais en réalité très efficaces en termes de persuasion.
L’intérêt commercial passe encore trop souvent dans notre pays devant la santé publique. Les médicaments sont aujourd’hui « encapsulés », si je puis dire, dans une logique financière dangereuse, redoutable même, tant pour les patients que pour les comptes de la sécurité sociale. L’affaire du Mediator a mis en évidence les conflits d’intérêts entre des acteurs de la prévention et des industriels. Nous croyons donc nécessaire la création d’un corps d’experts indépendants formés à l’École des hautes études en santé publique, qui serait chargé de toutes les expertises réalisées dans le domaine de la santé et de la sécurité sanitaire. La création de ce corps était une des mesures de bon sens préconisées par un rapport d’information sénatorial.
Enfin, nous défendons la création d’un pôle public du médicament qui interviendrait sur la recherche, la production et la distribution des médicaments. La création d’un tel pôle pourrait constituer une base saine et solide pour la conduite future des politiques de santé publique. En effet, les médicaments ne sont pas des marchandises comme les autres. Le pilotage de la politique ne peut être seulement dicté par ou dans l’intérêt des grands groupes industriels du secteur, car on risque d’abandonner des produits efficaces, au motif qu’ils sont jugés peu rentables, ou, inversement, de mettre sur le marché des molécules nouvelles dont le principal objectif n’est pas toujours de guérir le patient, mais de soigner le taux de profit de ceux qui le produisent.
Madame la ministre, vous pouvez compter sur notre détermination à œuvrer avec vous à l’élaboration, que nous espérons prochaine, d’une réforme d’ampleur. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bapt.
M. Gérard Bapt. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à saluer, au nom du groupe SRC, l’initiative du groupe écologiste, qui a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour, selon une procédure peu usitée. Ce débat est en effet bienvenu, puisqu’il s’agit de rétablir la confiance dans notre système de sécurité sanitaire au profit du patient.
La confiance de nos concitoyens dans la sécurité sanitaire du médicament, déjà largement ébranlée par le drame du Mediator, le fut encore davantage avec l’affaire des prothèses mammaires PIP et, plus récemment, avec celle des pilules de troisième et quatrième générations. Aujourd’hui, rétablir cette confiance va être une tâche ardue.
Le cas de la prescription de la pilule contraceptive illustre l’ampleur du travail à réaliser. À cet égard, je souhaite saluer l’action de la ministre de la santé, Mme Touraine, ainsi que son courage face au déchaînement de critiques, et parfois d’attaques personnelles, qu’elle a subi. L’ampleur de ce qu’elle a dû affronter est proportionnelle à l’ampleur des rentes de situation de certains leaders d’opinion, que ces rentes soient constituées par des intérêts économiques ou, parfois, par la détention d’un poste universitaire ou de privilèges divers.
Je souhaite également saluer la mise en place, au cours des dernières semaines, de la nouvelle Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ayant succédé à l’AFSSAPS. J’ai lu que cette agence n’était rien d’autre qu’une continuation de l’AFSSAPS. Les commissions et groupes de travail de la nouvelle agence ne sont cependant en place que depuis quelques semaines et le conseil d’administration, au sein duquel le Parlement est représenté, ne s’est encore réuni que deux fois.
Mme la ministre ayant fait le tour de l’ensemble des chantiers qu’elle a ouverts sur le thème de la sécurité sanitaire, je souhaite saluer sa conclusion en soulignant que le travail accompli l’est au profit du patient – car c’est bien à cette aune que l’on doit, sans cesse, évaluer le système. Quand on parle de pharmacovigilance, on évoque souvent des chiffres, des courbes, des pourcentages, des rapports et des évaluations. Désormais, c’est le patient qui va se trouver au cœur du système. Le conseil d’administration de la nouvelle agence du médicament, qui comprend maintenant des patients, a, pour la première fois, auditionné une association de victimes, qui a travaillé de façon très constructive et fait des propositions.
Mes collègues du groupe SRC exposeront l’ensemble des questions qui nous préoccupent et des sujets sur lesquels la majorité souhaite accompagner le Gouvernement. Pour ma part, je veux insister sur trois points essentiels : la notification, le rôle des centres régionaux de pharmacovigilance et, enfin, ce que peut être le rôle conjugué de la nouvelle Agence du médicament et de la nouvelle agence européenne.
Pour ce qui est de la notification, il est classique de regretter la sous-notification, en particulier quand on évoque les risques liés à la prise de la pilule. La pharmacovigilance est capitale, dans la mesure où elle a trait à l’évaluation d’un médicament « dans la vraie vie ». Les accidents indésirables, rares ou décelables uniquement après une longue exposition au produit, ne peuvent être détectés que par la pharmacovigilance, et non par les études effectuées avant l’autorisation de mise sur le marché. Si les accidents sont à la fois rares et graves, leur fréquence dépend néanmoins du nombre de patients concernés, le signal à prendre en compte étant constitué d’une association statistique entre un médicament et un effet.
La pharmacovigilance est assortie d’une exigence de sensibilité aux signaux faibles. Le signal est parfois même unique, ou quasiment, comme ce fut le cas pour le benfluorex en 1999, où un seul cas d’hypertension artérielle pulmonaire fut signalé à l’hôpital Antoine-Béclère, et un seul cas de valvulopathie à Marseille. Il a fallu attendre 2003 pour qu’une publication espagnole entraîne le retrait du benfluorex en Espagne et 2006 pour qu’un nouveau cas de valvulopathie soit rapporté par une publication toulousaine. Certes, les signaux étaient faibles, mais on peut également penser qu’ils ont parfois été masqués.
La question de la notification implique très certainement de signaler les événements indésirables graves. Pour autant, il ne s’agit pas nécessairement d’un problème de masse. Un pays européen, pour obtenir davantage de notifications, a rémunéré l’acte notificateur : au bout d’un an, le système a été submergé par le nombre de notifications, ce qui a conduit le gouvernement de l’État concerné à mettre fin à ce système de rémunération.
L’essentiel n’est donc pas le nombre, mais la qualité des notifications. C’est sur ce point que le rôle des centres régionaux de pharmacovigilance me semble essentiel. Il s’agit de procéder à une première évaluation, dont la mise en œuvre est facilitée par le fait qu’ils travaillent, d’une part, au plus près des praticiens hospitaliers, et d’autre part en interactivité avec les médecins libéraux. Je souhaite rendre hommage aux centres régionaux de pharmacovigilance, dont le nombre de notifications a augmenté de 30 % en trois ans. Il restera à améliorer leur action, notamment en leur facilitant l’accès au programme de médicalisation des systèmes d’information – le PMSI, qui permet d’exploiter les données hospitalières. À cet égard, il est sans doute important que, dans les accréditations des établissements, l’accès au médecin chargé de procéder à la compilation des données pour l’établissement de la TAA soit réglementé.
Enfin, il convient également de charger certains centres régionaux de pharmacovigilance du suivi de telle ou telle classe thérapeutique. J’ai été frappé par le fait qu’aucun centre régional n’ait été chargé du suivi de la classe thérapeutique correspondant à la pilule contraceptive. Les chiffres très complets auxquels nous avons maintenant accès indiquent que l’évolution du mésusage de la pilule aurait pu être mise en évidence par un centre régional, à la condition que ce centre ait été chargé de rendre un rapport annuel sur ce point à l’agence nationale.
La transparence est une condition essentielle au rétablissement de la confiance. L’Agence du médicament y prendra sa part en permettant non seulement la publicité, mais aussi l’enregistrement des réunions lors desquelles des décisions importantes sont prises. De même, il faut que soit rendu public un bilan mensuel des données de la pharmacovigilance. Bien entendu, il restera à faciliter l’accès au SNIIRAM, la base de données de la CNAM, incomparable par sa richesse, en modifiant les arrêtés d’habilitation des dirigeants d’agences compétents pour accéder à ces bases. En améliorant de la sorte les études pharmaco-épidémiologiques, nous enrichirons considérablement la connaissance de l’évolution des prescriptions et des effets indésirables.
Je souhaite dire un mot au sujet de la Haute Autorité de santé, la seule agence dont les statuts garantissent l’indépendance. Il faut, madame la ministre, que cette agence affirme son autorité, notamment pour que ses recommandations soient suivies de bonnes pratiques. J’ai été scandalisé récemment, en regardant l’émission télévisée Envoyé spécial, de voir un médecin gynécologue parisien très connu se permettre, devant 150 ou 200 professionnels de santé réunis à Orléans, dans le cadre de ce qui était présenté comme un enseignement post-universitaire, de moquer les recommandations relatives à la prescription en seconde intention des pilules de troisième et quatrième générations. Il ne faut pas que les leaders d’opinion prennent le pas sur les autorités sanitaires : la Haute Autorité de santé et l’Agence du médicament devront donc affirmer plus haut et plus fort leur autorité afin que leurs recommandations soient suivies d’effet.
En conclusion, je souhaite dire un mot de l’échelon européen. Il n’est peut-être pas nécessaire de tout faire dans chaque État, alors que la réforme de l’Agence nationale de sécurité du médicament s’est accompagnée de celle de l’Agence européenne des médicaments. L’échelon européen va devenir de plus en plus prégnant, comme le montrent l’institution d’une nouvelle commission de pharmacovigilance, une meilleure gestion des liens d’intérêt et une plus grande transparence dans les décisions de l’Agence européenne, dont deux directives viennent d’être transposées en droit français par des décrets que vous avez signés récemment, madame la ministre. Il faudra certainement assurer une présence française plus forte au sein de cet échelon européen, dont dépendront de plus en plus souvent les autorisations de mise sur le marché.
C’est dans un même mouvement qu’à l’échelon national et à l’échelon européen – et même en commençant, je le répète, par les centres régionaux de pharmacovigilance que, grâce à Mme la présidente de la commission des affaires sociales, nous allons auditionner demain matin – que nous respecterons davantage ce principe de base : primum non nocere – d’abord ne pas nuire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Bérengère Poletti.
Mme Bérengère Poletti. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, de grands progrès de la médecine et de grands progrès sociétaux ont été marqués de l’empreinte du médicament. On peut citer, entre autres, les antibiotiques, les vaccins, la pilule contraceptive, l’anesthésie générale, la trithérapie pour le sida, les médicaments anticancéreux. On leur doit une augmentation de l’espérance de vie, la liberté des femmes, ou encore un meilleur confort de vie. Aujourd’hui, on attend, on espère de la recherche, de quoi faire reculer les maladies neurodégénératives de type Alzheimer.
Les stratégies des laboratoires doivent rencontrer celles des gouvernements afin de créer les conditions favorables au développement de la recherche, tout en maîtrisant des coûts qui deviennent insupportables pour notre assurance sociale, et tout en protégeant les populations avec un rapport bénéfice-risque le meilleur possible.
La sécurité sanitaire du médicament est un sujet qui a tendance à être perpétuellement dans la lumière, que ce soit avec les vaccins, le Mediator, Diane 35, ou aujourd’hui les statines. À juste titre parfois, l’usage de certains médicaments est montré du doigt, mais d’autres fois les excès de communication affolent nos concitoyens. On entend dire que la moitié des médicaments seraient inutiles, ou que le cholestérol, même en excès, serait bon pour la santé. Quant aux statines, efficaces sur le taux de cholestérol, mais comportant des effets secondaires assez fréquents, elles font actuellement l’objet d’une campagne de dénigrement. Hier, on expliquait aux Français qu’il était essentiel de lutter contre le cholestérol, notamment contre le mauvais cholestérol, pour améliorer leur profil cardiovasculaire. Aujourd’hui, ils lisent dans la presse qu’il n’y a pas de bon ou mauvais cholestérol, que tout cela n’était fait que pour faire gagner de l’argent aux laboratoires grâce à la vente de statines…
M. Jean-Pierre Door. Ce sont des âneries !
Mme Bérengère Poletti. …et que les 5 millions de Français qui en consomment seraient bien avisés d’arrêter leur traitement.
Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. M. Debré n’est jamais là quand il le faudrait !
Mme Bérengère Poletti. Comment voulez-vous que nos concitoyens, puissent faire la part des choses entre toutes ces informations contradictoires ? Soyons collectivement prudents lorsque nous nous exprimons sur des sujets qui peuvent détériorer la confiance des Français vis-à-vis des médecins, des pharmaciens ou des laboratoires. Les sujets comme la formation des prescripteurs, la totale transparence autour de la commercialisation des médicaments ou l’information des patients-consommateurs doivent être au cœur de notre réflexion afin d’anticiper les trop nombreuses crises autour de la sécurité sanitaire liée aux médicaments.
Comme vous le savez tous ici, je m’emploie depuis de nombreuses années à défendre l’accès à la contraception pour les femmes, notamment pour les mineures. En effet, ce sont les femmes qui assument le contrôle des naissances, ce qu’elles font beaucoup trop souvent, en France, au moyen de la pilule œstroprogestative.
La pilule reste aujourd’hui la méthode de contraception la plus utilisée en France. En 2011, environ 4,274 millions de femmes ont été exposées chaque jour à un contraceptif oral combiné. Aujourd’hui, une femme sur deux en âge de procréer recourt à un contraceptif oral de troisième ou de quatrième génération. De ce fait, malheureusement, les femmes concernées exposent ainsi leur santé, voire leur vie, ce qui n’est pas acceptable. La pilule œstroprogestative n’est pas un médicament comme les autres. Ce sont des femmes en bonne santé et en très grand nombre qui l’utilisent.
Ces femmes traversent, en ce moment, une période de flou total quant à l’utilisation de leur contraceptif. Prenons la dernière polémique en date autour de Diane 35, un médicament destiné notamment aux femmes atteintes d’acné sévère. Ce médicament voit, depuis de nombreuses années, son usage détourné afin d’être utilisé comme contraceptif – près de 315 000 femmes l’utilisent ainsi. L’Agence nationale de sécurité du médicament a rendu son avis : il a été décidé que les autorisations de Diane 35 et de ses génériques seraient suspendues dans un délai de trois mois.
On peut d’ailleurs, à juste titre, se poser des questions sur ces médicaments prévus dans un premier temps pour soigner une pathologie, et finalement très largement utilisés dans un autre cadre.
Le Médiator relevait clairement de ce cas de figure. Nous parlerons bientôt probablement aussi du Cytotec, d’abord prévu pour les ulcères à l’estomac et utilisé à présent comme pilule abortive, ou encore du baclofène, molécule initialement prescrite comme myorelaxante et dont on vante aujourd’hui les vertus pour le sevrage alcoolique.
Depuis plusieurs semaines, un vent de panique pousse les femmes dans les cabinets de leur médecin. Depuis quelques mois, 36 nouveaux cas ont été signalés – 31 thromboses veineuses et 5 thromboses artérielles – et 7 décès ont eu lieu. Sont en cause, certes, Diane 35, mais aussi les pilules de troisième et quatrième générations. De ce fait, le manque de confiance des femmes concerne tous les types de pilules.
Il suffit d’écouter les médecins, les gynécologues ou encore les sages-femmes pour constater que ces professionnels sont submergés de questions de la part de leurs patientes : dois-je arrêter de prendre la pilule ? Dois-je changer de contraceptif ? J’ai tout arrêté par peur, est-ce dangereux ? Je n’ai plus confiance dans ma pilule, que dois-je faire ? Tous ces problèmes doivent absolument être résolus rapidement.
Vous voyez bien aujourd’hui l’importance de l’encadrement médical pour la prescription de la pilule.
J’ai l’impression de me répéter encore et encore, de questions au Gouvernement en courriers, de lettres ouvertes en discussions générales, mais je n’ai toujours pas eu de réponse de votre part, madame la ministre, sur une question importante. Vous avez décidé, à la suite de mon interpellation en commission des affaires sociales lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, de rendre gratuite et anonyme la délivrance de la pilule aux mineures ; tant mieux ! Mais vous avez refusé que la consultation et l’examen biologique soient pris en charge dans les mêmes conditions, ainsi que je vous l’avais demandé lors de la discussion de votre amendement en deuxième lecture. Ce que vous avez proposé lors du dernier PLFSS est donc un coup d’épée dans l’eau. Cela va même à contre-courant de ce qui fait l’actualité, c’est-à-dire l’importance de la consultation médicale et du dépistage des problèmes de coagulation, notamment sur les publics jeunes.
Lorsque j’ai rendu mon rapport public en 2011, j’ai reçu l’appel d’un homme qui avait fondé une association sur le sujet de la contraception pour les mineures et qui m’a révélé cette grave problématique. Il avait perdu sa fille de dix-sept ans, atteinte d’hypercoagulabilité, parce que celle-ci s’était vue délivrer une pilule de troisième génération par un centre de planification qui n’avait pas effectué de recherche biologique préalable. J’ai depuis œuvré sans cesse pour une plus grande sécurité et une meilleure formation des personnels médicaux susceptibles de prescrire ces contraceptifs chez les jeunes filles. À ce propos, il serait intéressant de regarder de près ce que les centres de planification distribuent aux jeunes filles : font-ils eux-mêmes l’acquisition des plaquettes contraceptives ou les laboratoires leur offrent-ils leurs produits ?
M. Gérard Bapt. Bonne question !
Mme Bérengère Poletti. Quelles seront donc, madame la ministre, vos décisions et vos préconisations concernant les pilules de troisième et quatrième générations et plus spécifiquement l’amélioration de la sécurité de leur prescription chez les mineures ?
La problématique vaccinale en France est un autre sujet important. On ne dira jamais assez tout ce que l’on doit à celle-ci : la disparition quasiment totale des grandes épidémies ; la prévention de maladies tant redoutées autrefois comme la tuberculose, la rougeole, le tétanos, la rage ou d’autres maladies grâce à des vaccins plus récents contre l’hépatite B, la grippe ou le papillomavirus pouvant dégénérer en cancer du col de l’utérus. Un programme national d’amélioration de la politique vaccinale pour la période 2012-2017 a été défini sur le fondement d’un rapport remis au ministère de la santé en 2010. Dans ce rapport, comme dans les recommandations de la Cour des comptes rendues publiques le 20 février dernier, il est demandé de rendre plus efficace la communication sur la vaccination et d’en améliorer la prise en charge.
Madame la ministre, je souhaiterais savoir comment vous entendez décliner les recommandations de la Cour des comptes et du programme national de la politique vaccinale dans les prochaines années. Il est vrai qu’en l’absence de mise en place du dossier médical personnel, le suivi individuel de la politique vaccinale est plus complexe.
Il y a un peu plus d’un an, à la suite du drame du Mediator, nous avons voté la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Cette nouvelle politique doit reposer sur des valeurs fondamentales, qui, malheureusement, ont parfois été oubliées : la responsabilité, la transparence, la mobilisation de tous les acteurs et surtout le souci constant de l’intérêt des patients. Il fallait restaurer la confiance accordée au médicament au sein de notre système de santé. Nous voyons aujourd’hui que chaque affaire soulevée fait apparaître de nouvelles failles qu’il est impératif de combler.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM – a été créée par la loi du 29 décembre 2011 et mise en place en mai 2012. Chargée de reprendre les compétences de l’AFSSAPS, elle a également été dotée de nouvelles responsabilités, notamment dans le domaine de la recherche ou de l’encadrement des recommandations temporaires d’utilisation. Son conseil d’administration a été ouvert aux parlementaires et aux associations de patients mais fermé aux laboratoires.
Plusieurs questions restent en suspens après l’installation de cette nouvelle agence : qu’en est-il de son rapprochement avec l’assurance maladie ? Considérez-vous, madame la ministre, que l’ANSM dispose de suffisamment de moyens pour faire face à ses nouvelles obligations, notamment celle de la réévaluation quinquennale de la pharmacopée ? Avez-vous organisé les indispensables relations qui doivent exister entre les ARS et l’ANSM, notamment dans le but de renforcer les centres régionaux de pharmacovigilance ? Enfin, pouvez-vous nous renseigner sur l’état d’avancement de la base de données médicaments ?
Je terminerai en abordant un sujet qui fait l’actualité : la commercialisation des médicaments sur internet.
Le Conseil d’État a ordonné mi-février la suspension des dispositions du code de la santé publique relatives à la vente de médicaments sur internet, qui restreignaient cette possibilité à 455 produits délivrés sans ordonnance. En conséquence, ce sont tous les médicaments non soumis à ordonnance obligatoire, soit près de 10 000 produits, qui peuvent désormais être vendus en ligne par les pharmaciens d’officine.
Madame la ministre, vous avez souhaité, probablement afin de limiter la vente sur internet et je le comprends, mettre en place des pare-feu pour en réduire l’impact. Vous souhaitez ainsi empêcher les pharmaciens de vendre leurs médicaments moins chers sur internet que dans leurs officines. Il existe malgré tout une grande disparité de prix entre les médicaments – ils peuvent varier du simple au double – dès qu’ils échappent aux remboursements. J’imagine déjà des comparateurs de prix pour orienter les internautes vers le site le moins cher…
Par ailleurs, vous souhaitez contraindre les pharmaciens à avoir en stock l’ensemble des produits mis en vente sur internet. Cette obligation n’existe pas pour les officines.
Que répondez-vous, madame la ministre, à ceux qui estiment qu’il n’y a pas eu de drames sanitaires en Grande-Bretagne ou en Allemagne, où la vente des médicaments, même soumis à prescription médicale, est autorisée en ligne ? Et que répondez-vous à ceux qui militent pour avoir le droit de vendre des médicaments sans ordonnance dans les supermarchés ?
En conclusion, la France, autrefois accusée d’être championne en termes de consommation de médicaments, a malgré tout fait quelques progrès. Il est donc possible, fort heureusement, d’avoir un impact conséquent sur les habitudes de consommation des Français et les habitudes de prescription des médecins, à condition, bien sûr, d’en avoir la volonté.
M. Jean-Pierre Door. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la sécurité sanitaire du médicament est progressivement devenue un véritable impératif de santé publique sous l’effet conjugué de drames sanitaires et humains et de la demande croissante de transparence de nos concitoyens.
En 1991, le scandale du sang contaminé faisait voler en éclat la confiance aveugle du patient en la fiabilité de la médecine et contribuait à ouvrir dans la douleur le vaste chantier de la sécurité sanitaire.
Les Français et les Françaises prennent alors subitement conscience qu’un accès facilité aux options thérapeutiques disponibles engage leur sécurité et que les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités afin de garantir la santé des usagers.
Vingt ans après l’affaire du sang contaminé, le drame du Mediator, dont on estime qu’il pourrait être à l’origine de près de 2 000 morts en France, vient démontrer que la sécurité sanitaire du médicament n’est toujours pas garantie et demande une vigilance permanente.
Des failles subsistent et démontrent régulièrement que les mailles de notre filet sont encore trop larges pour empêcher que des risques jusqu’à présent inédits ne se réalisent : l’incohérence des décisions du Gouvernement sur le déremboursement des pilules de troisième génération et ses hésitations coupables sur la pilule Diane 35, ainsi que vient de l’indiquer Mme Bérengère Poletti, en sont des exemples récents et marquants.
Hier encore, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé lançait sur son site une alerte sur les risques du détournement de l’anti-ulcéreux Cytotec, que certaines maternités utilisent pour déclencher les accouchements.
Le débat organisé sur l’initiative de nos collègues du groupe écologiste doit par conséquent être l’occasion de poser les bonnes questions et d’apporter des réponses concrètes et, je l’espère, consensuelles, afin d’améliorer la gouvernance de notre système d’évaluation et de contrôle du médicament.
Le médicament, mes chers collègues, n’est pas et ne sera jamais un produit comme les autres. Il est au cœur de la prévention, de la thérapeutique et de la guérison. Il est au cœur de la relation de confiance entre le professionnel de santé et le patient. Notre devoir est donc de conforter cette confiance et de faire en sorte que le médicament soit accepté et son usage compris par nos concitoyens.
Nous sommes en effet confrontés à un triple défi. Tout d’abord, les Français détiennent le record européen de la consommation de médicaments sans que cela se justifie par des indicateurs de morbidité ou de mortalité différents des autres pays. Ensuite, le lien qui unit les malades à leur médecin s’affaiblit progressivement avec la multiplication des alternatives thérapeutiques à la médecine et la désertification médicale. La confiance qui constitue la base de la relation entre un médecin et son patient en est nécessairement affectée. Enfin, cela a été dit, la montée en puissance d’internet crée un climat de suspicion avec des patients surinformés, souvent désinformés.
La sécurité sanitaire du médicament n’est pas une problématique nouvelle mais un défi qui a déjà beaucoup mobilisé les uns et les autres, sur quelque banc qu’ils siègent dans cet hémicycle ; les gouvernements qui se sont succédé ont dû s’y atteler.
Au fond, c’est un sujet qui donne à voir le monde dans lequel nous vivons : la fulgurance du progrès technique et la rapidité avec laquelle il trouve une traduction marchande, l’intrusion d’internet qui change comportements et usages, l’ampleur de vastes réseaux de production et de distribution dont la dimension dépasse largement les frontières et les compétences nationales, sont autant de questions auxquelles nous devons trouver des réponses.
Quand nous parlons de sécurité sanitaire et du médicament en particulier, le problème que nous avons à traiter est donc celui de la gouvernance. Une nouvelle gouvernance doit être imaginée et mise en œuvre : elle doit permettre de préserver l’accès aux traitements les plus adaptés et les plus innovants et de garantir que les autorités sanitaires soient véritablement en capacité d’anticiper les risques futurs liés aux médicaments.
Nous nous inscrivons donc de ce point de vue dans un long cheminement, dont la première étape fut marquée par l’affirmation du rôle prépondérant de l’État dans la politique du médicament avec la création, quelques années seulement après les catastrophes causées par la Thalidomide et le Distilbène, de la Direction de la pharmacie et du médicament, à laquelle est rattachée la Commission d’autorisation de mise sur le marché des médicaments.
Adoptée à la suite du scandale du sang contaminé, la loi du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament desserre l’emprise de l’État sur les décisions concernant la sécurité sanitaire du médicament. L’État délègue ainsi à cette époque une partie substantielle de ses prérogatives à une agence du médicament. Le poids de l’expertise médicale se renforce alors pour mieux prévenir les dysfonctionnements.
Cette orientation stratégique est confirmée par la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, dotée des pouvoirs de police administrative en matière de produits de santé destinés à l’homme et d’expertise scientifique est ainsi créée.
La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie complète ces avancées successives en créant la fameuse Haute autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique qui coordonne les missions de plusieurs agences.
C’est dans ce contexte que survient le scandale du Mediator, qui met en exergue l’inefficacité du système d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des médicaments. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales de janvier 2011 sur le sujet montrait qu’il y avait des efforts considérables à accomplir dans ce domaine.
Face à ce drame, le gouvernement précédent n’est pas resté les bras croisés : le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adopté sous l’impulsion de Xavier Bertrand, constituait me semble-t-il une réforme majeure. Il visait à améliorer la gouvernance, la transparence et l’indépendance de notre système de sécurité sanitaire ainsi que la coordination de ses acteurs, à consolider un dispositif de pharmacovigilance jugé comme l’un des plus performants en Europe, à mieux former et informer les professionnels de santé, à réévaluer régulièrement la balance des bénéfices et des risques de l’ensemble de la pharmacopée, à mieux identifier les responsabilités des laboratoires, des professionnels de santé et du politique, enfin à remettre les patients au cœur du système.
Cette réforme a permis de rendre plus transparente notre système de sécurité sanitaire. Il appartient à l’ensemble de la représentation nationale de poursuivre le travail ainsi engagé et d’assumer nos responsabilités.
L’enjeu, vous l’avez compris, est vital et nous ne pouvons pas attendre, nous ne pouvons pas nous permettre le statu quo alors que la santé des Français et des Françaises est en jeu.
Dans cette perspective, le groupe UDI souhaite saisir l’opportunité de ce débat pour mettre sur la table quelques propositions.
Madame la ministre, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a donné ces derniers temps la très désagréable impression d’être non pas devant les événements mais derrière eux. Or, être derrière les événements est une cause importante d’accidents. Les pilotes, pour ceux qui connaissent la pratique aérienne, disent qu’avoir l’esprit derrière l’avion peut être mortel. Les modalités de déclaration des différentes vigilances méritent par conséquent d’être simplifiées et unifiées pour rendre le système plus performant.
Il me semble nécessaire que les autorités sanitaires puissent mieux contrôler et évaluer les prescriptions hors autorisations de mise sur le marché et, de manière générale, développer l’évaluation post-autorisation de mise sur le marché afin de circonscrire les risques susceptibles de survenir entre-temps. Gérard Bapt le disait : nous devons, de toute façon, travailler dans un cadre européen, car le cadre français est trop restreint.
Le second point sur lequel je souhaite insister concerne l’expertise. Il n’est d’expertise que de femmes et d’hommes : chacun sait que l’expertise nécessite une gestion efficace des ressources humaines. Les agences nationales devraient donc bénéficier d’un quasi-statut des personnels. En contrepartie, il apparaît nécessaire que les mobilités fonctionnelles soient mises en œuvre de façon positive. La politique de ressources humaines du ministère de la santé et de ses agences serait ainsi plus prospective et plus attentive aux enjeux de la santé et de la sécurité des soins, ainsi qu’à leurs évolutions constantes.
Troisièmement, les travaux sur l’expertise interne et l’expertise externe, et la connaissance que ces travaux nous apportent à propos de la sécurité sanitaire du médicament, doivent servir de base à des avancées pratiques. L’expertise interne doit être indépendante des fabricants. Dans le domaine des médicaments, l’expertise interne à l’agence ne doit pas être trop centrée sur la seule pharmacie, et doit s’étendre à plus de médecins au sein de l’ANSM. Le quasi-statut permettrait de recruter de médecins de valeur, ce qui permettrait d’enrichir l’expertise et d’en conforter la légitimité. Il me semble également que l’expertise externe mériterait d’être doublée sur les questions les plus importantes.
Quatrièmement, la sincérité des rapports de pharmacovigilance des laboratoires pharmaceutiques ne peut plus se concevoir d’une manière restrictive. Elle ne peut consister en la description exacte, ligne à ligne, des effets indésirables relevés pour les produits de santé. L’analyse des événements doit donc être complète et sincère, et cette sincérité doit être régulièrement vérifiée ex post.
Enfin, je veux souligner que tous les accidents sanitaires survenus récemment concernaient des médicaments dispensés sur prescription médicale. À mes yeux, le constat est clair : l’information objective des médecins est insuffisante et la formation continue médicale a pris un retard fautif. Ce point est crucial.
Vous l’aurez compris, la sécurité du médicament va de pair avec la sécurité prouvée des pratiques médicales et des prescriptions. Le système que nous mettons en place dans notre assemblée, en lien avec le Sénat, concernant la biologie médicale, repose avant tout sur un système reconnu internationalement d’évaluation par les pairs. Cette réflexion avait débuté dans un cadre national avec la création de la Haute autorité de santé. Il convient à présent de réfléchir à un renforcement des modalités d’évaluation de la qualité des pratiques médicales.
La prise du médicament sur prescription débute avec la prescription. Toutefois, soyons des bâtisseurs pragmatiques. Le renforcement des exigences vis-à-vis des médecins doit s’accompagner d’une meilleure reconnaissance de leur métier, pour que les jeunes continuent à s’engager dans cette profession.
Nous avons donc besoin de mener une réflexion large et cohérente. Dépenser mieux sans dépenser plus, de manière plus efficace et plus efficiente : telle est aujourd’hui la nécessité en matière de santé.
En conclusion, ce débat est utile et même indispensable. Je souhaite que les propositions formulées par chacun des groupes parlementaires – elles sont riches – constituent une partie du socle sur lequel nous pourrons construire ensemble, je l’espère, une sécurité sanitaire du médicament plus efficace. La santé des Françaises et des Français en dépend. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Roumegas.
M. Jean-Louis Roumegas. Madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, l’exercice auquel nous sommes invités fait pleinement partie de la mission du législateur. Il s’agit en effet de s’assurer, d’une part, que les dispositions votées ont bien été mises en application, et d’autre part que les objectifs fixés ont été remplis. Dans ce domaine sensible, il s’agit également de s’assurer que l’évaluation – sous votre responsabilité, madame la ministre – marque une étape fondatrice vers la réconciliation entre les citoyens, les patients et les prescripteurs de médicaments.
Ainsi, c’est toute la chaîne de décision et d’expertise pour la mise sur le marché d’un médicament nouveau qui est concernée, et a fortiori l’examen des procédures de décision ayant conduit à l’autorisation de médicaments qui se révèlent inutiles, voire nocifs et dangereux. Ma collègue Véronique Massonneau s’est appliquée dans son intervention à souligner, au moyen d’exemples tirés de l’actualité récente, les suspicions persistantes qui pèsent sur l’indépendance de l’expertise et les conflits d’intérêts. Donnons-nous les moyens de tirer les leçons de ces scandales et évitons les erreurs. Nous devons à présent tourner clairement la page.
Madame la ministre, vous nous avez largement sensibilisés, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, à la recherche de comptes à la fois équilibrés, justes et ne dénaturant pas l’esprit protecteur des fondateurs de la Sécurité sociale d’après-guerre. Nous y avons souscrit, tout en rappelant que les bons choix d’aujourd’hui feront les économies de demain. L’explosion des dépenses liée à la démarche du tout médicament ne vous a pas échappé.
La Haute autorité de santé a identifié en 2011 136 médicaments dont le service médical rendu – le SMR – est insuffisant. Les dépenses correspondantes explosent : en effet le coût estimé pour la collectivité est de 46,7 milliards d’euros.
Pour un médicament tel que le Mediator, la Sécurité Sociale a versé 800 millions d’euros au titre du remboursement des prescriptions, et déjà plus d’un milliard d’euros au titre de l’indemnisation des victimes. Tout cela sans garantie que les laboratoires Servier, responsables de cette grave indélicatesse, payent les réparations nécessaires !
Le 31 janvier dernier, une proposition de loi d’initiative écologiste pour l’indépendance de l’expertise et la protection des lanceurs d’alerte a été débattue ici même, et adoptée à une large majorité. Elle pourrait également jouer un rôle en la matière. Nous souhaitons qu’elle soit examinée au Sénat dans les meilleurs délais et avec votre soutien, madame la ministre, car elle permettra de réhabiliter réellement l’expertise indépendante sur notre territoire. Elle protégera également les lanceurs d’alerte qui sont trop souvent ostracisés, qu’ils soient usagers ou experts. Elle nous mettra enfin au diapason des recommandations internationales en matière de transparence, ce qui n’a que trop tardé !
De son côté, notre industrie pharmaceutique a largement bénéficié de l’aide publique, et de la prise en charge collective des soins. Faut-il encore lui laisser le droit de transformer les citoyens en cobayes, servant à tester les molécules nouvelles ? Faut-il encore se soumettre au chantage à l’emploi, alors que certains fleurons de notre industrie pharmaceutique, qui sont des grandes multinationales dopées aux aides publiques et qui bénéficient de nombreux crédits d’impôts, poussent le cynisme jusqu’à menacer de supprimer des emplois en les délocalisant, alors même qu’ils réalisent des bénéfices ?
Il y a lieu de redéfinir l’orientation de ces aides et de les conditionner plus strictement – Mme la ministre de la recherche serait, j’en suis sûr, sensible à une telle mise en cohérence. Il n’aura échappé à personne que Sanofi, par exemple, grand bénéficiaire des aides publiques, menace de supprimer plus d’un millier d’emplois à Toulouse et à Montpellier, notamment dans le domaine de la recherche médicale. Or ce groupe n’est pas déficitaire !
Nous attendions de la loi sur le médicament qu’elle crée un nouveau contrat avec les entreprises pharmaceutiques. Celles-ci sont trop souvent nourries à la mamelle de l’aide publique ; leurs intérêts sont trop souvent relayés par des experts sans scrupule ou en situation de conflit d’intérêts, bien implantés dans les lieux de décisions. Elles doivent rendre des comptes, et accepter en tant qu’acteurs et partenaires déclarés de l’action sanitaire de souscrire à une déontologie et une éthique irréprochables.
La santé a par trop été – et est encore – la variable d’ajustement d’une logique de développement économique avant tout financière. Dans cette logique, le système public de santé passe souvent au second plan. Cela met en danger notre système de protection sociale.
Les affections de longue durée touchent plus de 8 millions de personnes en France, soit environ 14 % de la population française. Elles représentent plus de 60 % des remboursements de l’assurance maladie, et une part comparable des dépenses d’hospitalisation. Ces ALD relèvent des maladies dites de civilisation ; elles sont dues à nos comportements alimentaires, à nos conditions de vie, à la dégradation de l’environnement et à l’exposition aux polluants, comme les perturbateurs endocriniens ou d’autres produits de l’industrie chimique.
Elles constituent un marché lucratif pour les adeptes du « tout médicament ». Préserver sa santé et son autonomie est une gageure, car la prévention et l’éducation et la santé sont trop souvent considérées comme accessoires. Selon ces logiques prédatrices, ces logiques de profit, une personne en bonne santé ne rapporte rien. Pourtant, le fait que les citoyens soient en bonne santé est le signe d’une société équilibrée. Il faut rejeter l’attitude fataliste dans laquelle nous pousse l’économie selon la vision actuelle.
Les pressions mises en œuvre par les partisans du « tout médicament » ont été chiffrées par un rapport de l’IGAS de 2007 : 3 milliards d’euros ont ainsi été consacrés à la publicité dont 75 % pour la visite médicale auprès des médecins prescripteurs. Un rapport au Parlement était attendu avant le 1er janvier 2013 sur cette question : nous n’avons reçu, à ce jour, aucune information.
Cela est d’autant plus inquiétant que la stratégie financière des entreprises pharmaceutiques semble exercer une influence néfaste sur l’approvisionnement des milieux hospitaliers. Certains des orateurs qui sont exprimés précédemment l’ont dit. Depuis plusieurs mois, on nous signale des ruptures de stock de médicaments pourtant sensibles : anesthésiques, anticancéreux, antirétroviraux, antiallergiques. Comment sanctionner les marchands de médicaments en gros qui ne respectent pas les obligations de stock et de livraison ? Comment garantir par ailleurs que les médicaments, qui sont de plus en plus fabriqués dans des pays émergents, répondent à des critères minimums de qualité ? La globalisation du marché du médicament pose des problèmes de traçabilité, de contrôle et de sécurité.
Face au « tout médicament » et aux charges que cela entraîne, il apparaît de plus en plus urgent d’engager une politique volontariste en matière de prévention. Nous le répétons : nous voulons une politique ambitieuse d’éducation à la santé. Cela signifie qu’il faut éduquer les personnes pour qu’elles prennent conscience des comportements néfastes pour leur santé, et pour qu’elles construisent elles-mêmes leur propre itinéraire de santé. On laisse trop souvent entendre que les institutions et les milieux médicaux savent seuls ce qui est bon pour la santé, face à des citoyens réputés passifs et ignorants. C’est cette idée-là qu’il faut combattre, par une éducation à la santé permettant à chacun d’être responsable de son parcours de santé.
Pour avancer sur ce chantier, nous pouvons nous appuyer sur la compétence d’un réseau d’experts en pédagogie de la santé. Ce réseau existe : ce sont les comités régionaux d’éducation pour la santé, aidés par des comités départementaux, qui sont organisés au niveau national en une fédération. Il faut nous désintoxiquer du réflexe conditionné du « tout médicament ». Une politique de prévention fondée sur l’accès à une alimentation saine et respectueuse de l’environnement, la revalorisation des circuits courts de production et de transformation, la pratique d’activités sportives sont autant de ressources pour limiter les pathologies et favoriser le bien-être sans recourir aux médicaments.
Quand examinerons-nous le texte déposé au Sénat en faveur de la revalorisation de l’herboristerie et des préparations naturelles, qui sont menacées ? Bien loin de l’automédication, qui est parfois dangereuse, pourquoi nous priver de ces savoirs ancestraux, précieux, et bon marché, qui ont longtemps contribué à une réelle prévention ? Le libre choix thérapeutique devrait être réaffirmé et soutenu. J’espère que nous aurons aussi l’occasion d’en débattre au moment de l’examen de la future loi de santé publique.
En 2011, suite au scandale du Mediator, le ministre de la santé Xavier Bertrand a réagi rapidement, et fortement, en faisant adopter une loi. Mais la succession de nouveaux scandales minimise la portée réelle de ce texte : nous ne pouvons que le regretter. À force de repousser au lendemain des choix pourtant essentiels à la sécurité de nos populations, les plaintes se multiplient devant les juridictions pénales. Là encore, les perspectives sont inquiétantes. Le pôle de santé publique du tribunal de Paris, actif sur les questions de réparations et de recherche des responsabilités, va perdre sa principale animatrice, Mme Bertella-Geffroy. À l’heure qu’il est, nous ne savons toujours pas si elle sera remplacée ou maintenue dans ses fonctions. En tout état de cause, nous réaffirmons que cet outil d’instruction est absolument indispensable. Nous attendons de connaître votre position sur ce point, madame la ministre.
La loi Bertrand, votée en urgence en décembre 2011, n’a donc pas levé pas tous les doutes. Les crises se sont multipliées. La nouvelle majorité parlementaire et le Gouvernement doivent se ressaisir de cette question rapidement et fermement. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Lemorton.
Mme Catherine Lemorton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’information en matière de santé connaît depuis quelques années un grand essor, qui concerne aussi bien l’offre que la demande d’informations. L’offre a bien sûr augmenté avec internet, la demande aussi. Le patient ne porte plus si bien son nom : il est de moins en moins patient et passif, d’autant plus que les derniers scandales sanitaires impliquant des produits de santé, qu’il s’agisse de médicaments ou de dispositifs médicaux, ont amplifié ses inquiétudes et son besoin d’information.
On pourrait presque dire qu’internet, est devenu le premier médecin, le premier recours dès qu’un de nos concitoyens rencontre un problème de santé. Tout le monde se renseigne sur des sites que je ne citerai pas pour ne pas leur faire de publicité. Lorsque l’on tape le nom d’un médicament, ce que je vous invite à faire, jamais on ne tombe d’abord sur le site d’une agence sanitaire de l’État dont on peut tout de même penser que c’est là que les informations les plus fiables se trouvent.
Comme d’autres pays en Europe, comme la Grande-Bretagne, la Belgique et l’Irlande, nous devons mettre en ligne une base de données indépendante, exhaustive et objective sur les médicaments. Elle est attendue depuis très longtemps – j’en veux pour preuve cet historique que vous me permettrez de retracer.
En 2007, la Cour des comptes, présidée par Philippe Seguia, pointait déjà du doigt la nécessité de disposer d’une base exhaustive de données publique, actualisée, gratuite et indépendante sur la santé et sur le médicament, en particulier. L’existence d’un tel outil d’information aurait certainement évité la crainte engendrée par la publication sans accompagnement de liste de médicaments sous surveillance, mélangeant les produits avec alerte de pharmacovigilance et les nouveaux médicaments dont la surveillance est systématique et obligatoire. C’est d’ailleurs ce qui avait provoqué inquiétude et confusion fin 2010, puisque nos concitoyens n’étaient pas avertis du fait que tout nouveau médicament avait un suivi. Combien de patients auront, alors, arrêté un traitement indispensable par crainte et faute d’information du médecin traitant ?
Il en va de même avec l’affaire récente sur les pilules. Contrairement à ce que l’on a pu lire dans la presse, voire même entendre sur certains bancs de l’opposition, je dois vous féliciter, madame la ministre, d’avoir eu le courage de prendre le taureau par les cornes pour éviter que cela ne devienne un scandale. Vous avez agi exactement comme il le fallait en cas d’existence de signaux d’alerte. Vous avez, ainsi non seulement informé la population française, mais vous avez saisi l’Agence européenne des médicaments. Je ne peux que m’en féliciter, puisque c’est ce que nous défendions dans l’opposition au cours de ces cinq dernières années, alors que nous partagions ces bancs.
En avril 2008, le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur la prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments était rendu public. Ce rapport recommandait, lui aussi, la mise en place d’une base publique d’information, exhaustive et gratuite, sur les médicaments, constatant la dispersion des informations entre la base publique Therisomed, qui a succédé à Thériaque, les fiches de la HAS et les données de l’assurance maladie – je cite la page 51 : [La MECSS] « considère que la création d’une base publique d’information sur les médicaments, indépendante, exhaustive, gratuite, accessible à tous les acteurs du système de santé et interopérable avec les logiciels d’aide à la prescription est indispensable. Elle veillera tout particulièrement à la réalisation de ce projet que la ministre en charge de la santé s’est engagée, lors de son audition par la mission, à faire aboutir pour la fin de 2009. » Il s’agissait, à l’époque, de Mme Bachelot, laquelle, en octobre 2009, avait annoncé la création d’un portail sur lequel cette base aurait pu être mise à disposition, mais cette annonce est restée lettre morte.
Suite à cette recommandation, j’ai défendu régulièrement un amendement, au nom du groupe socialiste, alors dans l’opposition, proposant la création de cette base lors des différentes discussions dans notre hémicycle. Cet amendement a été à chaque fois rejeté.
Les Assises du médicament de février-mars 2011, notamment le groupe 4, ont aussi conclu à la mise en place de cette base publique d’information. Or le projet de loi présenté, à l’issue de ces assises, par le ministre de l’époque, Xavier Bertrand, ne comportait aucun article prévoyant la création de cette base.
Cette base publique du médicament a, enfin, été intégrée grâce à un amendement, que nous avons tous collectivement porté dans l’opposition : c’est l’article 8 de la loi votée en décembre 2011. Madame la ministre, il semble que cette base soit prête – ce que vous allez sans doute confirmer, comme je l’espère –, mais son lancement serait reporté, m’a-t-on dit. Pouvez-vous nous donner des précisions sur sa mise en ligne, et la manière dont vos services et l’Agence nationale de sécurité du médicament comptent organiser et alimenter les mises à jour ?
Par ailleurs, si une base publique d’information sur les médicaments est une condition essentielle pour garantir la sécurité sanitaire des produits de santé, elle n’est pas la seule et nous devons également nous interroger sur la prescription – un rapport de la Haute autorité de santé montrait comment développer la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses.
En conclusion, si vous avez été contrainte de transposer la directive européenne de juin 2011, vous avez toutefois essayé de restreindre au maximum le nombre de médicaments vendus sur internet. Aussi, je regrette qu’un pharmacien, dans un esprit purement mercantile, ait pu saisir le Conseil d’État et ait eu gain de cause sur la forme. J’assume mes propos : il a été davantage mercantile que professionnel de santé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Élie Aboud. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Door.
M. Jean-Pierre Door. Monsieur le président, mes chers collègues, la loi Bertrand de décembre 2011, votée après le scandale du Mediator, a permis d’apporter des changements de fond afin de renforcer notre système de pharmacovigilance et de surveillance des médicaments et d’améliorer l’information du corps médical. Oui, la sécurité du patient est un impératif incontournable. Toute démarche visant à concilier l’excellence thérapeutique et la sécurité sanitaire du médicament doit être encouragée.
Je tiens aussi à ce que nous ne mésestimions pas l’excellence de l’industrie pharmaceutique française qui est une grande industrie et qui a permis d’améliorer la santé de nos concitoyens.
Madame la ministre, ce débat portant sur la sécurité du médicament me permet d’intervenir pour évoquer trois points.
Premier point : le Sunshine Act issu de la loi de décembre 2011 devrait régler les liens d’intérêt. Où en sont les décrets ? Il semblerait, en effet, que tous ne soient pas publiés, dans le même temps où des personnalités issues de l’ex-agence du médicament font l’actualité.
Deuxième point : comme vient de le rappeler Mme la présidente de la commission des affaires sociales, une décision récente du Conseil d’État autorise la vente sans prescription sur internet des médicaments disponibles. Je considère cela comme inquiétant, voire très dangereux. En effet, même sans prescription, il est évident que la surconsommation, la iatrogénie, la contrefaçon des médicaments – laquelle est estimée à 80 % par la FDA –, seront source de risques et de dangers permanents vingt-quatre heures sur vingt-quatre du fait d’internet. Comment parer à ces dangers ? Je ne crois pas un seul instant que l’on pourra freiner la création de tels sites que ce soit en France ou dans le monde entier. Comment s’effectuera la traçabilité des médicaments à laquelle nous étions très attachés ? Elle échappera obligatoirement au numérique.
Troisièmement, enfin, nous avons l’occasion, madame la ministre, de vous interpeller sur les apprentis sorciers à qui l’hypermédiatisation est favorable et qui assassinent jour après jour le système du médicament. Souvenons-nous du problème des statines. Le déni pur et simple des recommandations scientifiques internationales et des résumés de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie sème le doute sur les dangers de produits et surtout sur l’utilité de leur prise en charge, au risque de conduire des malades à arrêter des traitements qui leur sont nécessaires. Sans rappeler les erreurs professionnelles passées de certains de ces trublions, il y va, j’ose le dire, madame la ministre, de la santé publique et d’une certaine éthique à conforter. Certes, on ne pourra pas bâillonner les médias et celles et ceux qui veulent faire du mal sur la toile, mais je tenais à vous faire part de ma révolte personnelle. Je vous apporte donc mon soutien après les propos déplacés de certains de ces trublions.
Pour conclure, madame la ministre, il est devenu fondamental de disposer de bases de données, en particulier de celles de la Caisse nationale d’assurance maladie, afin de fournir les éléments nécessaires à une évaluation pertinente et continue des bénéfices et des risques de l’utilisation des médicaments. J’ose vous poser la question : quand ces bases de données seront-elles mises à la disposition de tous les acteurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Laclais.
Mme Bernadette Laclais. Monsieur le président, mes chers collègues, comme les orateurs qui m’ont précédée à la tribune, je salue l’initiative de nos collègues du groupe Écologiste qui ont proposé ce débat. Je me réjouis en particulier, madame la ministre, des éclaircissements que vous avez, d’ores et déjà, pu nous apporter sur les chantiers en cours.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, j’ai eu, il y a quelques mois, l’honneur d’être rapporteure pour avis, des crédits de la mission « Santé » au nom de la commission des affaires sociales. À ce titre, j’ai mené une série d’auditions des divers acteurs du système de santé concernés par la réforme d’ampleur en cours au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
La nécessité d’un meilleur partage de l’information et d’une articulation plus étroite entre évaluation, inspection et contrôle, en décloisonnant les services de l’agence a été souvent évoquée par mes différents interlocuteurs. J’ai également noté, dans ce rapport, que les acteurs attendaient une rationalisation du paysage des agences sanitaires. Pourriez-vous, madame la ministre, nous faire le point sur la poursuite de l’évolution de l’ANSM au niveau de son mode de fonctionnement comme de sa gouvernance et sur l’évolution du paysage des agences ?
Récemment, le dossier des pilules de troisième et quatrième générations a mis, une nouvelle fois, sur le devant de la scène médiatique l’ANSM et les problématiques qui relèvent de ses compétences. À ce propos, je tiens à saluer votre réactivité, madame la ministre, et celle de l’ANSM, laquelle a pris ses responsabilités, après avoir analysé les éléments portés à sa connaissance.
Nous sommes dans un domaine où le risque zéro est fort difficile à atteindre, alors qu’il est attendu de l’opinion publique sensibilisée par les médias. Par définition, un médicament est un principe actif qui va agir dans le temps, d’où l’importance du travail de pharmacovigilance évoqué par notre collègue Gérard Bapt ; d’où l’importance des moyens mis à disposition de nos agences, même dans un contexte budgétaire que l’on sait contraint ; d’où, enfin, l’importance des interactions entre les différents acteurs potentiellement concernés ou impliqués à quelque niveau du système de santé qu’ils se situent. À ce titre, la proposition de loi relative à la protection des lanceurs d’alerte qui vient d’être adoptée par l’Assemblée marque, comme l’a rappelé notre collègue Jean-Louis Roumegas, est, je le crois, une avancée conséquente.
Dans le cas de Diane 35, il est apparu que ce médicament, mis sur le marché en 1987 comme antiacnéique, a été par la suite largement, voire principalement, prescrit comme contraceptif, alors que l’autorisation de mise sur le marché correspondant à cet usage n’a jamais été délivrée, ni même, je le crois, déposée. Toutes proportions gardées, cela n’est pas sans rappeler le cas du Mediator, ce médicament mis sur le marché pour une pathologie précise – le diabète – qui a été détourné de son objectif initial et a, par la suite, été prescrit principalement comme coupe-faim. Nombreux sont nos compatriotes qui nous interpellent. Comment un médicament peut-il être prescrit sciemment auprès de nombreux patients, parfois des jeunes, pour un autre usage que celui pour lequel il a été conçu et autorisé ? Par quels moyens peut-on éviter qu’au cours de son cycle de vie, un médicament évolue dans son utilisation en dehors de toute prise en compte du bénéfice-risque lié à cette utilisation seconde ? Cette utilisation seconde dans le temps peut devenir l’utilisation principale par la suite, comme l’illustrent malheureusement les deux dossiers précités.
Tout récemment aussi, un autre dossier a surgi, qui s’impose à notre réflexion relative à la sécurité sanitaire du médicament : la vente en ligne des médicaments. En tant que membre de l’Union européenne, la France a dû transposer une directive européenne de 2011 qui autorise la vente des médicaments sur internet. Alors que certains pays se sont limités à une transposition automatique, vous avez souhaité, madame la ministre, encadrer les conditions de cette transposition. Votre ordonnance du 19 décembre dernier impose des dispositions et des règles pour éviter les éventuelles dérives, ce dont on ne peut que vous féliciter. Ainsi : « La vente en ligne doit être réalisée à partir du site internet d’une officine de pharmacie. Elle relève de l’entière responsabilité du pharmacien. Ces sites doivent recevoir l’aval de l’autorité régionale de santé dont ils dépendent et doivent se déclarer à l’ordre des pharmaciens. Enfin, les ventes par internet sont limitées aux médicaments. »
Cependant, le Conseil d’État, saisi par un pharmacien propriétaire d’un site de vente en ligne, vient d’émettre un avis, de forme, qui ouvre la vente sur internet de l’ensemble des médicaments délivrés sans ordonnance, et ce sans limitation. Sous réserve de la confirmation de cet avis, sur le fond, pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, comment éviter les excès possibles de la vente de médicaments sur internet que votre ordonnance du 19 décembre visait raisonnablement à contenir ?
De même, face à la recrudescence du nombre de produits autorisés à la vente sur internet, comment préserver le patient consommateur de la confusion entre vente en ligne autorisée et vente en ligne non autorisée ?
Enfin, quelles autres précautions peut-on prendre, notamment pour éviter la vente de médicaments de contrefaçon, dès lors que la distribution du médicament s’éloigne du circuit sécurisé des officines ?
Le médicament qui, définitivement, ne peut être considéré comme un simple produit de consommation, doit faire l’objet de réglementations particulières et d’une attention soutenue des pouvoirs publics.
Je vous remercie des réponses que vous voudrez bien nous apporter et du dialogue que vous voudrez bien ouvrir avec les acteurs de la chaîne du médicament pour rassurer nos concitoyens et apporter des réponses concrètes à leurs légitimes inquiétudes.
Être malade est déjà une douleur, une peine. Essayons ensemble de ne pas ajouter inquiétude, insécurité, double peine, si je puis m’exprimer ainsi. Je connais votre détermination et vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Élie Aboud.
M. Élie Aboud. Madame la ministre, en organisant ce débat sur la sécurité sanitaire du médicament, j’ose le dire, vous faites œuvre utile, tant ce sujet relève non d’un débat droite-gauche ou d’une approche politicienne, mais du souci de mieux protéger nos concitoyens face à des fléaux inquiétants.
L’ancienne majorité avait su en son temps organiser des débats et avait fait voter à la fin de la treizième législature une loi allant dans le bon sens ; malheureusement, ces initiatives n’ont pas été suffisantes puisque d’autres scandales sanitaires ont éclaté il n’y a pas si longtemps. Le dernier en date a mis en évidence l’imperfection notoire de la chaîne du médicament.
Nous ne pouvons ainsi rester tous les dix ans à la merci de dérapages portant gravement atteinte à la santé publique. En réalité, chaque acteur doit pouvoir exercer ses compétences, dans le respect de l’intérêt commun.
Jean-Pierre Door a salué l’action de Mme la ministre. Pour ma part, je citerai les propos qu’a tenus Mme la présidente de la commission des affaires sociales lors de la précédente législature : il faut aller encore plus loin, sans omettre surtout de réserver une place aux principaux intéressés, les patients.
C’st bien dit. Encore convient-il pour cela de rendre nos procédures d’évaluation et de contrôle irréprochables. Or, dans ce salmigondis de réglementations, tant nationales qu’européennes, on se perd, en vain.
N’est-il pas temps de rendre une copie plus claire, en réduisant le nombre de médicaments, en rendant l’autorisation de mise sur le marché plus exigeante, en assurant davantage le suivi des médicaments existants, en garantissant une réglementation plus pérenne ?
Il nous faut de l’audace.
Les associations de patients étant incontestablement les plus concernées, ne doivent-elles pas être mieux associées à la pharmacovigilance ?
Afin de tenir compte de cet élément, il nous faut radicalement inventer des structures de concertation et d’échanges, à la fois souples et efficaces, comme le suggérait notamment le rapport Hermange et Payet.
De même, en matière de formation, la loi HPST était prometteuse ; malheureusement, comme pour le développement professionnel continu, les décrets sur ce sujet n’ont jamais vu le jour. Il faut les rédiger et les appliquer.
Le problème de la qualité et de l’impartialité des expertises demeure. Il convient de le traiter. Comment peut-on encore mélanger les genres à ce point en 2013 ?
On peut favoriser les recherches dans trois directions : agir sur les marqueurs de toxicité dans la phase de développement des nouveaux médicaments, puis assurer, dans le domaine de l’épidémiologie, un meilleur accès aux bases de données de référence collectées au plan national ; mais surtout, rendre plus efficient le système de notification des incidents dans le cadre de la pharmacovigilance. Cela aurait pu nous éviter ces nouveaux drames liés au traitement anti-acnéique Diane 35, utilisé comme contraceptif, et des pilules de troisième et de quatrième génération.
D’autres sujets sont bien entendu à examiner tels que la place que l’on souhaite voir occuper par les mutuelles dans notre système de soins, les missions précises de la nouvelle agence du médicament, afin d’éviter tout conflit d’intérêts.
Au total, en matière de santé comme ailleurs, comme l’a souligné Jean-Louis Roumegas, il convient de mettre au centre de nos préoccupations l’humain avant l’économie. Si je le précise, c’est que malheureusement, l’expérience nous le montre, cela n’a pas toujours été le cas par le passé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Hutin.
M. Christian Hutin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, n’ayant que cinq minutes de consultation pour le médicament, je serai synthétique, avec cinq ou six préconisations orientées sur le bénéfice et six sur le risque.
Bénéfice indéniable, la nouvelle agence. Tous les députés présents sur ces bancs ont été partisans de cette évolution, et vous-même, madame la ministre, y avez pris une grande part. Il est d’ailleurs très étonnant et plutôt sympathique que ceux qui y ont participé lors de la précédente législature soient tous présents et que ceux qui s’y sont parfois opposés n’y soient pas. Je souscris, je prescris !
Les recommandations temporaires d’utilisation me semblent également une excellente chose. Quel progrès ! Je ne répéterai pas ce qu’ont dit les précédents orateurs sur le détournement de l’AMM, par exemple. Quoi qu’il en soit, c’est une belle solution par rapport au risque qu’un médecin, naturellement, naïvement, peut être amené à prendre. Ce peut être aussi un progrès dans l’autre sens : la médecine, c’est parfois le hasard et il peut y avoir des médicaments auxquels les médecins peuvent trouver une utilisation originale et efficace. Ces usages inattendus ne sont pas dangereux et peuvent même servir à quelque chose : ces trois ans peuvent aider à les identifier.
Je range également l’industrie dans le domaine des bénéfices, dans tous les sens du terme : bénéfices thérapeutiques mais également bénéfices tout court, si vous voyez ce que je veux dire… On ne peut débattre du médicament sans penser à la puissance de l’industrie pharmaceutique. Elle représente des emplois et compte dans notre commerce extérieur, ce qui est indéniablement bénéfique. Mais il y a aussi le lobbying inhérent à toute puissance, et l’on voit régulièrement arriver dans cet hémicycle des pages d’amendements rédigés à l’avance qui témoignent de son importance. On ne peut négliger ni l’intérêt que l’industrie pharmaceutique représente pour la France en termes d’emplois ou de commerce extérieur ni sa puissance.
N’oublions pas non plus l’importance de la recherche dans nos facultés de médecine, de pharmacie, de sciences en général, et des rapports que peut entretenir la recherche avec l’industrie. Il y a un moment où il faudra clarifier encore plus les choses ; en attendant, il me paraît indispensable de donner à la recherche publique les moyens de se développer. On ne peut pas se contenter d’atteindre les appels à projets. Dans nombre d’auditions de notre commission, des scientifiques performants regardent presque les appels à projet comme des demandes d’emplois. C’est tout de même terrible !
Belle chose également, et je prescris, le signalement. Les médecins en font environ 26 000 par an à l’agence et les patients seulement 2 000, ce qui prouve leur manque de connaissances : on pourrait également faire progresser un petit peu les choses.
Sur les conflits d’intérêts, progrès indéniable : sans chercher à imiter les modèles américains ou britanniques, peut-être pouvons-nous nous orienter encore plus vers une indépendance réelle parce qu’il y aura un moment où l’on ne trouvera pas d’expert totalement indépendant sur un certain nombre de sujets, en particulier des maladies très spécifiques, et là, ce sera plus compliqué.
Enfin le portail qui vous tient à cœur et que nous soutiendrons me paraît être aussi une prescription nécessaire.
Pour ce qui est des réserves, j’ai à peu près les mêmes qu’un certain nombre d’intervenants.
Il ne s’agit pas de faire de la paranoïa sur le générique, mais l’on parlait de traçabilité, de viande de cheval ou de porc, mon petit doigt me dit que nous risquons un jour ou l’autre d’avoir un pépin avec un produit fourni par un pays peut-être un peu plus exotique, peut-être un peu moins contrôlé, avec des gens mercantiles. Certes, nous ne sommes pas dans le même domaine. Mais il y a réellement un risque sur la traçabilité d’un certain nombre de produits actuels, et c’est probablement l’un des prochains pépins auxquels nous aurons à faire face.
Le problème des prix beaucoup trop élevés des « faux nouveaux princeps » doit être réglé très rapidement, car nous frisons le scandale.
Il y a également la défiance des patients. Il faut faire confiance aux médecins généralistes et aux pharmaciens, qui sont les plus proches des gens et réussissent à leur donner des explications assez claires. Lorsque l’on a exclu tout le système médical traditionnel de la vaccination H1N1, cela a été une catastrophe. C’est le meilleur exemple.
L’indemnisation est un problème. Ce que je préconise, parce que je connais un petit peu la question, c’est que l’on se fonde sur ce qui existe pour le FIVA qui fonctionne plutôt bien. On pourrait utiliser le même principe pour les indemnisations générales.
L’absence de transparence dans le coût des médicaments pose également difficulté. Je n’ai pas d’idée arrêtée sur la présence de patients dans le comité ; je m’en réfère à votre sentiment, madame la ministre. Il y a ceux qui savent et ceux qui ne savent pas – c’est toujours gênant, surtout dans le domaine de la médecine.
Je terminerai, comme Jean-Pierre Door, sur les apprentis sorciers. C’est dramatique et scandaleux. C’est d’autant plus dramatique quand il y en a qui siègent dans cet hémicycle. C’est totalement inadmissible et incompréhensible : une erreur de parcours probablement dans un très beau parcours, mais une erreur de parcours tout de même.
Pour vous connaître depuis un certain temps sur les bancs de l’Assemblée, madame la ministre, je pense que vous avez le caractère pour restaurer la crédibilité de la puissance publique : c’est à mes yeux l’essentiel.
Dans les versions latines jadis, il existait déjà des traductions automatiques : quand on disait medicamenta coquere, les latinistes traduisaient littéralement par « fabriquer du poison ». Pour une fois, donnons tort aux latinistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Barbier.
M. Jean-Pierre Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre de la sécurité sanitaire du médicament, sujet particulièrement d’actualité, et je suis heureux de pouvoir m’exprimer en tant que député, mais également en tant que professionnel de santé puisque j’ai le plaisir d’exercer la profession de pharmacien depuis de nombreuses années.
Madame la ministre, je partage en partie votre analyse sur le médicament. J’espère ce soir vous apporter quelques pistes de réflexion, le fruit de vingt-cinq ans de pratique professionnelle dans une officine située en milieu rural.
Chacun le sait, les médicaments contribuent ou ont contribué aux progrès thérapeutiques, à l’amélioration de la qualité de vie et à l’allongement de celle-ci.
En revanche, le médicament est indéniablement devenu un produit de grande consommation, aussi bien en spécialités remboursées qu’en automédication. Chacun d’entre nous a consommé ou consommera dans sa vie des médicaments. Le médicament s’est banalisé, c’est une certitude. Le médicament est devenu pour un grand nombre de nos concitoyens dans leur esprit même un bien de consommation courante.
Mme Bérengère Poletti. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Barbier. Cependant, il est indispensable de le souligner, prendre un médicament est tout sauf banal.
Mme Bérengère Poletti. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Barbier. Une prise de médicament oscille toujours entre le bénéfice du traitement et le risque des effets secondaires. Les médicaments ne peuvent donc être en aucun cas assimilés à des biens de consommation courante. Ce ne sont pas des produits comme les autres, tout le monde l’a dit ce soir, et je suis heureux de ce que j’ai entendu.
Notre système sanitaire doit garantir la sécurité attendue par les patients. Or, aujourd’hui, le médicament n’a jamais été autant décrié, remis en cause. Pour certains, il ne serait même plus un facteur de progrès collectif pour la société.
Les scandales sanitaires à répétition, l’affaire du Mediator puis de la pilule de troisième génération ont ébranlé la confiance de nos concitoyens et jeté la suspicion sur la fiabilité de nos systèmes de contrôle. Je souhaiterais simplement que l’on fasse un peu plus attention lorsque l’on évoque ces drames à ne pas faire d’amalgame. Il n’y a rien d’identique entre une utilisation hors AMM et des effets secondaires dramatiques, c’est vrai. Les choses sont différentes dans l’application.
Quand le médicament est en procès, les pharmaciens sont souvent mis au banc des accusés. Lorsque l’on parle du médicament, on parle en effet du pharmacien. Je vous ai écouté avec attention, madame la ministre, et j’ai regretté qu’en parlant du médicament, vous n’ayez jamais employé le terme de pharmacien, mais c’est un aspect un peu plus sentimental pour ce qui me concerne.
En tout cas, il faut se garder de tout jugement hâtif et définitif pris sous la pression des médias et de l’opinion publique. Nous devons porter un regard lucide sur notre système de santé, qui fonctionne plutôt bien. Certes, tout n’est pas parfait : les contrôles doivent être renforcés – les pouvoirs publics sont là pour cela et je crois que vous prenez de bonnes mesures en ce sens ; les règles de transparence et de fonctionnement de toute la chaîne du médicament doivent être améliorées. Le principe de pharmacosurveillance me paraît une bonne idée. Là encore, je suis convaincu que les pharmaciens doivent être associés au dispositif, dans la chaîne de soins, et s’investir pleinement avec les possibilités qui leur sont offertes par la loi HPST. À mon tour, je condamnerai les pharmaciens qui n’ont de leur métier qu’une vue mercantile et anti-confraternelle.
Mais pour continuer d’améliorer notre système de santé, les décisions doivent être prises avec mesure, en recherchant l’équilibre et le dialogue avec les différents acteurs, y compris les pharmaciens. Pas plus que l’industrie pharmaceutique, ceux-ci ne doivent être jetés en pâture ni montrés du doigt. Il faut veiller à la stabilité économique de ce secteur de distribution, ne pas oublier que l’industrie pharmaceutique représente 50 milliards d’euros dans notre pays, et les officines 120 000 emplois. Rien ne serait plus dangereux que de prendre des décisions hâtives qui mettraient à mal ce domaine d’activité.
Je suis heureux, madame la ministre, d’entendre votre position sur la vente par internet, et je suis d’accord avec vous sur la vente en grandes surfaces : on ne peut accepter que le médicament soit vendu à côté des yaourts. Enfin, vous avez raison, il faut veiller à maintenir un maillage de proximité sur notre territoire ; je ne veux pas que, dans quelques années, la mort annoncée des petites officines rurales signe le dernier acte de la désertification médicale. Nous avons la possibilité de nous appuyer sur des professionnels de santé en milieu rural ; il faut le faire.
Voilà, madame la ministre, ce que je souhaitais vous dire. La sécurité sanitaire du médicament a certes un coût, la proximité aussi ; je crois qu’il faut en accepter le prix, pour que la distribution du médicament en France reste dans un circuit encore plus sécurisé, en faisant également un peu plus appel aux compétences techniques et scientifiques des pharmaciens. Si vous le faites, je suis sûr qu’ils vous entendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Touraine, dernier orateur inscrit.
M. Jean-Louis Touraine. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, au-delà de la question prioritaire de la sécurité du médicament, notre débat pose également celle de la perte de confiance de nos concitoyens vis-à-vis des médicaments, des vaccins, des produits de santé. Les scandales sanitaires se sont inlassablement répétés dans notre pays : thalidomide, distilbène, produits sanguins contaminés, hormones de croissance extractive, Mediator, Diane 35, prothèses mammaires, et nombre de molécules, de produits ou de dispositifs de santé dont les dangers sont apparus supérieurs à leurs bienfaits. Chaque fois ont été révélés des conflits d’intérêts, des défauts d’écoute des alertes et une réaction anormalement tardive des agences sanitaires.
Toutes ces défaillances ne sont bien sûr pas étrangères au climat actuel de défiance. Il est maintenant de notre responsabilité de trouver les moyens permettant de restaurer confiance et sérénité chez les patients. Si toute molécule efficace comporte un risque d’effet adverse, il importe que des prescriptions pertinentes permettent que, chez chaque malade, le rapport bénéfice sur risque soit positif. Assurer que cet objectif est chaque jour recherché et que les corrections nécessaires sont immédiatement apportées conduira à un retour progressif de la confiance, surtout si l’ensemble des professionnels de santé sont associés à cet effort.
La relation particulière entre le patient et son médecin généraliste, son médecin de famille, est bien connue et elle est le principal vecteur de la confiance. Les échecs du gouvernement précédent, en particulier le célèbre fiasco du vaccin contre la grippe A/H1N1, ont montré la gravité de l’erreur consistant à exclure les médecins généralistes d’un dispositif de prévention ou de traitement. S’il est évident que les médecins prescripteurs ont un rôle majeur à jouer auprès de leurs patients pour les informer et leur expliquer la pertinence des produits prescrits, nous ne pouvons ignorer l’insuffisance de formation de nos médecins concernant les médicaments qu’ils prescriront. De plus, nous savons que le rôle des visiteurs médicaux actuels n’est pas d’enseigner la pharmacologie. Ce sont les professionnels de santé prescripteurs de médicaments qu’il faut armer avec des informations objectives et rigoureuses leur permettant de devenir des prescripteurs avertis.
Depuis des années, tout le monde s’accorde à reconnaître que l’enseignement en pharmacologie est insuffisant : à peine quatre-vingts heures pour un étudiant en médecine. Il est temps de donner une véritable place à la pharmacologie clinique et aux enseignements théoriques et pratiques en thérapeutique afin d’améliorer la pertinence des prescriptions et de mettre en garde contre les conséquences gravissimes du mésusage de médicaments.
Dans la même logique, un enseignement spécifique de la pharmacovigilance est indispensable. Si nous voulons que les médecins assument leur mission de lanceurs d’alerte, c’est dès la faculté de médecine qu’il faut les sensibiliser au fonctionnement du système de pharmacovigilance, à leur rôle dans les procédures de déclaration des effets indésirables.
Enfin, je n’oublie pas la nécessité de sensibiliser également nos étudiants sur les conflits d’intérêts et de développer leur esprit critique face aux stratégies commerciales dont ils seront inévitablement la cible dans leur vie professionnelle.
Pouvez-vous, madame la ministre, nous faire part de vos intentions quant à l’amélioration de la formation des médecins, complément indispensable du renforcement de la sécurité sanitaire du médicament ?
Il ne faut jamais oublier que tout médicament a une balance bénéfice sur risque, que tout médicament présente des effets indésirables, que tout médicament est parfois dangereux. Cette règle, nous devons l’expliquer à tous, dans la plus grande transparence, afin d’éviter des prescriptions inutiles, donc potentiellement néfastes.
Par ailleurs, nous devons mieux assumer les conséquences de ces risques. C’est pourquoi je veux insister sur la problématique des victimes d’effets indésirables de médicaments. La confiance des Français ne pourra être restaurée que par un véritable soutien à toutes les victimes d’accidents médicamenteux. Si le précédent gouvernement a su prendre des mesures exceptionnelles face au nombre considérable de victimes du Mediator, une indemnisation rapide et adaptée doit être offerte aux victimes de médicaments divers. Actuellement, ces victimes se trouvent trop souvent seules dans des procédures judiciaires et n’obtiennent généralement aucune réparation.
M. Gérard Bapt. Hélas !
M. Jean-Louis Touraine. La mise en place des actions de groupe, comme l’avait proposée la mission Mediator, est également un point essentiel pour prendre en compte l’ensemble des victimes concernées, mais aussi inciter les entreprises à une vigilance accrue.
Le dernier vecteur, et non des moindres, de cette restauration de confiance réside dans le développement de la démocratie sanitaire. Jusqu’à présent, les usagers avaient peu de possibilités de s’impliquer dans les dispositifs de pharmacovigilance. Leur parole, comme celle de leurs associations, était peu prise en compte. Il leur était difficile de suivre les remontées d’informations et de bénéficier d’une base de données, laquelle était peu accessible. Pourtant, la participation des usagers au signalement des effets indésirables, l’accès à une information lisible sur le médicament sont précieux et font participer les patients au contrôle opportun des médicaments. Si la loi de 2011 donne des gages en la matière, les conditions de son application restent encore trop floues pour les usagers.
Madame la ministre, nous partageons votre ambition de redonner aux patients confiance dans les traitements. Nous partageons également votre détermination à assurer la meilleure sécurité et à retirer rapidement les AMM aux produits ou aux indications s’avérant plus néfastes qu’utiles. Ainsi, nos concitoyens seront confirmés dans l’idée que nombre de médicaments permettent des guérisons exceptionnelles ou des survies prolongées, et que ces bienfaits ne doivent pas être ternis par des effets adverses illégitimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Le débat est clos.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais tout d’abord remercier toutes celles et ceux qui se sont exprimés au cours de ce débat avec la volonté de faire progresser notre réflexion commune, chaque intervention ayant été d’une très grande qualité.
Je salue le groupe écologiste et Mme Véronique Massonneau d’avoir demandé l’inscription de ce débat. Je vous indique, madame la députée, puisque vous vous préoccupez de la réforme du statut des visiteurs médicaux, que nous avons adopté à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale un ensemble de mesures qui nous permettent de progresser significativement en la matière.
Vous vous êtes inquiétée de la surreprésentation des hommes dans les tests de recherche clinique. Ce sujet qui me préoccupe également, mais je vous rappelle que les chercheurs obéissent à des normes européennes ; or il se pose une difficulté que nous ne pouvons éluder, liée au risque – statistique, s’entend – de voir les femmes intégrées dans les cohortes de recherche tomber enceintes, ce qui interrompt évidemment la recherche, car on ne peut poursuivre les tests sur les effets de certains médicaments sur une femme enceinte. Du coup, une intégration plus systématique des femmes augmente donc le coût des recherches. Nous devons réfléchir à la manière d’aboutir à une meilleure inclusion de l’ensemble des catégories de la population, mais j’insiste sur ce facteur objectif : nous devons garantir la protection des femmes si elles viennent à devenir enceintes au cours d’une campagne de recherche.
Madame la présidente Catherine Lemorton, je vous remercie du soutien appuyé que vous m’avez apporté dans la gestion de la crise. Le travail aujourd’hui mené par le Gouvernement s’inspire largement des travaux que vous avez conduits ces dernières années, à l’Assemblée nationale, sous la précédente législature : force est de relever une cohérence d’ensemble, une continuité du travail mené dans ce domaine.
Ainsi, vous aviez défendu l’idée d’un site public d’information en matière de données de santé. Cette idée est aujourd’hui reprise. Vous m’avez donc interrogée sur le calendrier : le site n’est pas encore prêt, nous ne sommes pas en mesure de le mettre en ligne. D’après l’avancement des travaux, nous devrions pouvoir le faire au second semestre 2013. La réflexion porte sur l’interactivité et la capacité de rendre accessible une information claire et simple à comprendre pour l’ensemble de nos concitoyens. Je le dis souvent : si nous nous contentons de mettre en ligne les notices de médicament telles qu’on les trouve dans les boîtes, nous n’aurons pas atteint notre objectif. Une fois le site devenu opérationnel, des améliorations, notamment en termes de facilité d’usage, devront sans doute être apportées.
Monsieur Bapt, je vous remercie du soutien que vous apportez au Gouvernement dans la conduite de cette politique. Je salue la manière dont vous avez souligné le rôle des patients et l’importance de ce que nous faisons en leur direction. Je souscris à 300 % à vos propos : à l’arrivée, c’est bien pour les patients que nous devons améliorer la sécurité sanitaire, rendre l’information plus transparente, renforcer la vigilance. Nous parlons de courbes, de statistiques, de chiffres, toutes choses qui paraissent parfois un peu absconses ; mais à l’arrivée, il s’agit de permettre à des hommes et à des femmes qui ne comprennent pas nécessairement l’information scientifique, parce que ce n’est pas leur métier ni leur formation, de prendre des médicaments en toute sécurité.
Je soutiens également votre approche de la Haute autorité de santé. Son rôle doit être renforcé, tout comme sa capacité à être entendue lorsqu’elle diffuse des recommandations de bonnes pratiques et de bonne prescription.
Madame Orliac, l’Agence nationale de sécurité du médicament – je salue la présence tout au long du débat de son directeur, M. le professeur Maraninchi – s’inquiète également de la longueur excessive de la liste de médicaments ; je sais que c’est un des travaux qu’elle a engagé.
Monsieur Charroux, je partage votre préoccupation de garantir la transparence, y compris sur les essais cliniques ; nous devons en effet permettre d’accéder aux données qu’ils ont permis de collecter.
Madame Poletti, dans un débat aussi consensuel, ou qui cherche tout du moins à faire progresser la réflexion commune, vous avez fait remarquer que j’avais souhaité mettre en application une de vos recommandations relative à la mise en œuvre de la gratuité et de l’anonymat de la contraception pour les jeunes filles. Permettez-moi de vous rappeler que c’était un engagement pris pendant la campagne électorale par le Président de la République devant le Planning familial, qui s’était chargé de le lui rappeler sitôt élu. Je n’ai pas souvenir d’avoir entendu le candidat que vous souteniez défendre cette mesure.
Pour autant, je ne veux pas engager de polémique, car on aurait tort de considérer qu’il s’agit d’un enjeu mineur. Il est essentiel de permettre aux jeunes filles d’accéder dans de bonnes conditions de sécurité à la contraception ; mais également de pouvoir donner des informations à leurs proches – sur le fait notamment qu’elles sont sous contraception : si ce n’est pas la famille, ce peuvent être des amis. J’ai pu rencontré ce père que vous avez eu au téléphone et qui a créé une association : d’après ce qu’il m’a expliqué, sa préoccupation n’était pas exactement la vôtre ; il s’interrogeait seulement sur le principe même de l’anonymat. En effet, quand il a été confronté à l’accident de santé de sa fille, il ne disposait d’aucun élément lui permettant de penser que celle-ci prenait une contraception qui pouvait expliquer les troubles constatés. Rien ne peut malheureusement remplacer le dialogue au sein de la famille entre des enfants et des parents, mais il est vrai que nous devons faire en sorte que les jeunes filles puissent communiquer avec un professionnel de santé, dans de bonnes conditions, pour éventuellement l’alerter des difficultés qu’elles peuvent rencontrer : c’est un point important.
Je partage votre préoccupation sur à la politique vaccinale. Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons renforcer la crédibilité des vaccins, et pas seulement des vaccins non obligatoires : Certains doutes sont émis sur des vaccins fondamentaux, au point de provoquer des refus de vaccination.
J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises pour les vaccins qui ne sont pas obligatoires : je ne peux qu’exprimer ma préoccupation lorsque je vois que les personnels soignants ne se vaccinent pas contre la grippe alors qu’ils sont en contact avec des personnes fragiles, dans les maisons de retraite notamment, mais également ailleurs.
Je veux enfin vous rassurer, madame la députée : il y a bel et bien des relations entre l’ANSM et les agences régionales de santé, coordonnées par le secrétariat général des ministères sociaux, pour garantir la fluidité de l’information.
M. Jean-Louis Roumégas a mis à raison l’accent sur la prévention et l’éducation à la santé, qui sont des points tout à fait décisifs. Le directeur général de la santé aura d’ailleur l’occasion de recevoir très prochainement la FNES sur ce sujet. Le rôle de l’information, la capacité à éduquer les patients et la population sont des enjeux majeurs de sécurité publique.
Je veux remercier M. Door du soutien amical et actif qu’il m’a apporté. Le « Sunshine Act », l’un des décrets d’application qui concernera la loi médicament et régira de façon extrêmement stricte les relations entre les professionnels et l’industrie de santé, est actuellement au Conseil d’État et sera publié très prochainement. L’objectif, je le répète, n’est pas d’interdire ou d’empêcher ces relations, mais de garantir leur transparence. Sans transparence, le soupçon est toujours possible. Si nous voulons éviter la défiance et le soupçon, nous devons faire de la transparence une règle. Autrement dit, aucune relation financière ne doit être occultée. Nous savons que certains services ou certaines recherches dans les hôpitaux bénéficient ainsi de financements, et cela est sans doute incontournable ; ce qui importe, c’est de nous montrer les plus transparents possible et de donner un maximum d’informations, afin d’éviter que des gens ne se présentent des experts soi-disant indépendants à l’occasion d’éventuelles évaluations de médicaments.
S’agissant du financement de l’Agence nationale de sécurité du médicament, je partage la préoccupation de Mme Laclais. Le budget de cette agence, dans la période de contrainte que nous traversons, est un enjeu difficile – ce n’est pas le directeur de l’agence, ici présent, qui me contredira –, mais il nous faut optimiser les moyens engagés pour garantir ses capacités d’intervention.
Je souhaite que le nouveau conseil d’administration de l’Agence me fasse des propositions avant l’été pour savoir comment utiliser le plus efficacement possible les ressources actuelles au service de missions essentielles.
Monsieur Élie Aboud, vous m’avez interrogée sur l’implication des associations d’usagers : vous avez parfaitement raison d’en souligner l’enjeu. Il y a une vraie nécessité d’impliquer les professionnels, mais aussi les patients à travers les associations dont les membres ont été eux-mêmes formés et qui peuvent s’impliquer dans notre système de santé, dont le fonctionnement se retrouverait ainsi amélioré, grâce à une dynamique démocratique et citoyenne.
Nous n’avons rien à craindre, mais tout à gagner, en nous unissant à ces associations. En cas de difficulté ou de crise, nous pourrons ainsi nous appuyer sur des relais importants, ne serait-ce que pour ne pas effrayer inutilement la population ; c’est un risque auquel on est toujours confronté en matière de sécurité sanitaire. Nous l’avons encore vu à l’occasion des débats sur la pilule : il faut alerter sans effrayer, alerter sans alarmer, pour reprendre une formule que j’emploie volontiers. Nous devons évidemment alerter, parce que c’est une obligation, mais nous ne devons pas susciter une inquiétude plus grande que celle qui s’impose : pour cela, nous avons besoin des relais existant dans la société.
Nous avons également besoin des relais parmi les professionnels de santé. Le rôle des pharmaciens, monsieur Barbier, est tout à fait essentiel. Je n’ai pas voulu minorer leur rôle, même si vous êtes ici comme député et non comme représentant des pharmaciens ; leur rôle est évidemment important, tout comme celui des professionnels de proximité.
Comme le disait M. Hutin, la restauration de la confiance passe par la confiance qui sera donnée aux professionnels de santé. À l’occasion de la « crise de la pilule », c’est parce que nous nous sommes appuyés sur les professionnels de santé – généralistes, spécialistes et pharmaciens –, que nous avons pu mettre en place un dispositif qui réponde de manière efficace aux préoccupations des femmes. Il faut effectivement restaurer la crédibilité de la parole publique, sérieusement entamée au cours des dernières années. Cela n’est pas facile, car il existe une défiance à l’égard de tout ce qui vient des pouvoirs publics ; raison de plus pour être transparents et ne pas cacher les risques ou les éventuels doutes. C’est la condition sine qua non de la crédibilité.
Je terminerai en disant à M. Jean-Louis Touraine que la formation initiale, comme la formation continue, est un enjeu important. Il s’agit de voir comment nous pouvons améliorer la formation des étudiants – c’est un débat que j’ai déjà engagé avec la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Pour ce qui est de la formation continue des médecins, j’ai indiqué que, dans le cadre de la mise en place du développement professionnel continu, les enjeux de pharmacovigilance devraient être l’une des priorités : aux opérateurs de s’en saisir.
Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour la qualité du débat que nous avons eu cet après-midi, sur un sujet majeur pour la sécurité et la santé de nos concitoyens. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Débat sur les dispositifs d’efficacité énergétique et la maîtrise de la demande dans le bâtiment.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale,
Nicolas Véron