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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mardi 2 avril 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

1. Questions au Gouvernement

Fermeture de sous-préfectures

Mme Jeanine Dubié

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

Projet de loi sur la sécurisation de l’emploi

Mme Jacqueline Fraysse

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Indépendance de la justice

M. Henri Guaino

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

Choc de simplification

M. Eduardo Rihan Cypel

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique

Pouvoir d’achat

M. Damien Abad

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Modernisation de l’action publique

M. Christian Eckert

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique

Politique familiale

M. Edouard Philippe

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Site sidérurgique de Florange

M. Jean-Louis Borloo

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Contribution additionnelle sur les pensions de retraite

M. Christian Estrosi

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Habitat indigne

Mme Élisabeth Guigou

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement

Filière éolienne

M. Paul Molac

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Politique fiscale

M. Gérald Darmanin

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget

Plan autisme

Mme Martine Pinville

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion

Recherche sur les cellules souches embryonnaires

Mme Marie-Christine Dalloz

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche

Modulation des allocations familiales en fonction des revenus

M. Charles de Courson

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Suspension et reprise de la séance

2. Fixation de l’ordre du jour

3. Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral – Élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux

Votes solennels

Explications de vote communes

M. François Sauvadet, M. Paul Molac, M. Alain Tourret, M. Marc Dolez, M. Carlos Da Silva, M. Guillaume Larrivé

Votes sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

4. Sécurisation de l’emploi

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi

Rappel au règlement

M. Marc Dolez

Présentation

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Suspension et reprise de la séance

M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la commission des affaires sociales

Présidence de Mme Catherine Vautrin

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales

Mme Ségolène Neuville, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Motion de rejet préalable

Mme Jacqueline Fraysse

M. Jean-Marc Germain, rapporteur, M. Michel Sapin, ministre, M. Michel Issindou, M. Gérard Cherpion, M. Arnaud Richard, M. Christophe Cavard, M. Thierry Braillard, M. Marc Dolez

5. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Fermeture de sous-préfectures

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Monsieur le ministre, dans nos territoires ruraux et de montagne, nos concitoyens sont les tristes spectateurs du recul de la présence des services publics : fermeture d’écoles, d’hôpitaux, de tribunaux ou encore de bureaux de poste.

La France compte deux cent trente-huit sous-préfectures en métropole et en outre-mer, dont quatorze en Midi-Pyrénées. Aujourd’hui, il est question d’opérer une rationalisation du réseau des sous-préfectures, comme le préconise la Cour des comptes dans son rapport annuel de 2012. Il s’agit d’adapter la carte des arrondissements aux réalités sociodémographiques et administratives actuelles.

Vous avez, monsieur le ministre, mis en place une mission de réflexion et de concertation sur ce sujet, qui devrait prochainement rendre ses conclusions.

S’il semble légitime d’interroger l’adaptation du réseau des sous-préfectures, créé sous Napoléon et non révisé depuis 1926, il serait très préjudiciable pour nos territoires de supprimer cet échelon essentiel, véritable « maison de l’État » dans l’arrondissement.

En effet, en vertu des principes de continuité et d’égalité d’accès aux services publics, il est particulièrement indispensable de maintenir la présence des sous-préfectures dans les zones rurales et de montagne, éloignées des centres administratifs départementaux et en retrait des grands axes de communication.

Des chiffres faisant état de la suppression de 30 % des sous-préfectures circulent et engendrent de fortes inquiétudes dans nos territoires. Pour nos élus locaux, mais aussi pour les porteurs de projets, le sous-préfet est un interlocuteur privilégié, un référent dont le rôle de conseil est primordial dans la mise en œuvre des politiques publiques, par exemple en matière d’emploi ou en termes de sécurité.

Les sous-préfectures constituent un élément essentiel de notre cohésion sociale et territoriale. Il est fondamental de maintenir ce maillage, faute de quoi un réel sentiment d’abandon face au désengagement de l’État pourrait se faire jour dans nos territoires ruraux et de montagne.

Monsieur le ministre, au vu de ce constat, quelles assurances pouvez-vous donner aujourd’hui à nos élus et concitoyens, quant à la redéfinition à venir de la carte des sous-préfectures ? Pouvez-vous d’ores et déjà nous donner la garantie que nos territoires ne seront pas davantage fragilisés par cette réforme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Madame la députée, vous avez raison de souligner que nos territoires ont connu un fort recul du service public au cours de ces dernières années (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. le président. S’il vous plaît. Laissez le ministre répondre.

M. Manuel Valls, ministre. …avec la fermeture de classes, de tribunaux, d’hôpitaux et de bureaux de poste. La liste est longue. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Vous avez aussi raison de souligner que nos compatriotes attendent une présence forte de l’État au niveau local, notamment dans ces territoires qui ont le sentiment d’être abandonnés. Vous le savez, notre pays fait face à un défi budgétaire, mais il faut redéfinir notre carte territoriale. Avec l’extension de l’intercommunalité, la redéfinition des cantons – que vous allez voter dans quelques instants…

M. François Sauvadet. Pas nous !

M. Sylvain Berrios. Nous, non plus.

M. Manuel Valls, ministre. …et la nécessité de réadapter les arrondissements, les cantons et ces cartes qui existent depuis 1926, il nous faut faire un effort pour adapter le maillage de l’État au niveau territorial.

Je peux vous assurer, madame la députée, que dans les choix que nous ferons, nous privilégierons d’abord des territoires comme le vôtre, des territoires où la demande d’État est forte, où la sous-préfecture et le sous-préfet jouent un rôle important auprès des collectivités comme des entreprises en termes d’ingénierie.

Votre territoire des Hautes-Pyrénées – et le député Jean Glavany m’interpelle également…

M. Jean Glavany. En effet.

M. Manuel Valls, ministre. …doit bénéficier de la présence de l’État. Le Premier ministre nous l’a encore demandé ce matin : ces territoires urbains, périurbains, ruraux doivent pouvoir bénéficier de la protection de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Projet de loi sur la sécurisation de l’emploi

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Mme Jacqueline Fraysse. Tout à l’heure débutera la discussion du projet de loi dit de sécurisation de l’emploi. Nous aurons l’occasion au cours de la semaine de dire notre opposition à cet accord que vous qualifiez d’historique.

Historique, il l’est certes à plus d’un titre tant les régressions qu’il contient sont nombreuses pour les droits des salariés. D’après vous, le texte serait équilibré : la flexibilité exigée par les agences de notation et le patronat serait introduite en échange de droits nouveaux pour les salariés. Nous pensons le contraire. Si la flexibilité, ou pire le recul des droits, sont bien présents – je pense notamment à la réduction de cinq à deux ans des délais de recours, au mépris du principe général du droit – la contrepartie pour les salariés est loin de sauter aux yeux. De même, si l’entrée d’un ou deux salariés dans les conseils d’administration est sans aucun doute positive, on mesure déjà à quel point leur pouvoir sera limité pour peser sur la direction.

Le Président de la République a déclaré jeudi dernier que « toute correction devra être approuvée par les signataires » et vous-même, monsieur le ministre du travail, avez enfoncé le clou ce matin dans la presse avec cette phrase : « Aujourd’hui, c’est l’accord, tout l’accord, rien que l’accord. »

Il y a là une double entorse à la démocratie parlementaire. (Approbations sur quelques bancs du groupe UMP)…

M. Marc Dolez. Très bien !

Mme Jacqueline Fraysse. D’abord, à la séparation des pouvoirs, car ce n’est pas au Président de dicter sa conduite au Parlement (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) ; ensuite, au respect de l’article 34 de notre Constitution dans la mesure où ce ne sont pas les partenaires sociaux qui font la loi mais les élus de la nation. (Mêmes mouvements.)

Je pose donc la question suivante à tous ceux qui sont ici présents, y compris à vous, monsieur le ministre : dans ces conditions, à quoi servons-nous ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Plusieurs députés du groupe UMP. Et du chômage !

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Au cours des jours et des nuits qui viennent, madame Fraysse, nous aurons l’occasion de démontrer à quoi sert la démocratie sociale et à quoi sert la démocratie politique.

M. Lucien Degauchy. Charabia !

M. Michel Sapin, ministre. Ce que je crois très important de souligner à propos de cet accord du 11 janvier – sur lequel chacun est totalement libre de porter un jugement, qu’il soit négatif ou positif – c’est l’articulation que nous sommes en train d’inventer entre démocratie sociale et démocratie politique.

Démocratie sociale, d’une part. À quoi cela renvoie-t-il ? Au pouvoir des salariés dans l’entreprise, aux lois Auroux poussées jusqu’au bout, à la possibilité de négocier dans une entreprise au lieu de supporter le poids d’une décision prise unilatéralement, au fait d’être partie prenante dans la négociation pour peser et pour obtenir quelque chose. (Applaudissements sur les quelques bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Démocratie politique, d’autre part. Madame la députée, je suis le premier avec vous à défendre la suprématie de la loi. La loi est la règle supérieure. C’est elle qui fixe le droit. À aucun moment, ni dans les accords entre partenaires sociaux, ni dans mes discours, ni dans mes diverses interventions, vous ne pouvez avoir relevé de mises en cause de cette suprématie de la loi.

Mais une loi qui s’inspire d’un accord entre partenaires sociaux, c’est une loi plus forte encore, parce que c’est une loi durable, parce que c’est une loi qui ne sera pas remise en cause au gré des alternances, parce que c’est une loi qui s’appliquera rapidement. Quand on a participé à l’élaboration d’une loi issue d’un accord entre partenaires sociaux, on est immédiatement partie prenante de l’application de la loi. La loi s’appliquera d’autant plus vite que ce seront les partenaires sociaux qui l’auront élaborée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Indépendance de la justice

M. le président. La parole est à M. Henri Guaino, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Huées sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’on nous regarde. Vous avez la parole, monsieur Guaino.

M. Henri Guaino. Monsieur le Premier Ministre, la semaine dernière dans cet hémicycle, vous m’avez interpellé. Je veux vous répondre aujourd’hui sans esprit de polémique. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Je combats sans concession votre politique mais je vous respecte, vous le savez.

M. Nicolas Bays. Menteur !

M. Henri Guaino. Et je veux vous dire ceci : souvenez-vous de Zola, accusé ici même, par un chef de Gouvernement de la IIIe République, d’avoir déshonoré l’armée parce qu’il avait remis en cause l’autorité de la chose jugée. (Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Mais ce n’était pas Zola qui déshonorait l’armée, c’étaient les juges qui avaient condamné sciemment un innocent.

Vous n’êtes pas Méline, je ne suis pas Zola et nous ne sommes pas dans l’affaire Dreyfus mais les grandes leçons de notre histoire ne doivent jamais être oubliées. Elles ont forgé les grands principes qui nous permettent de vivre ensemble dans un pays de liberté.

La France et l’Europe vivent une crise d’une violence inouïe qui génère beaucoup de souffrance et d’angoisse et met à l’épreuve la démocratie. Dans ce contexte, tout abus de pouvoir, même le plus infime, est plus insupportable et plus dangereux que jamais pour notre cohésion nationale.

Alors, je vous adjure de prendre enfin la mesure de la gravité de la crise et de changer de cap avant qu’il ne soit trop tard.

J’adjure votre majorité de ne pas passer en force quand elle risque de violer des millions de consciences. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Je vous adjure de ne pas sacrifier nos grands principes. (Mêmes mouvements.) Vous pouvez condamner mes propos, c’est votre droit. Mais vous devez défendre ma liberté de critiquer un abus parce que c’est la vôtre aussi et parce que c’est votre devoir.

Je vous adjure de ne pas instrumentaliser le Conseil supérieur de la magistrature pour en faire une sorte de tribunal des parlementaires car ce serait violer gravement la Constitution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

J’adjure les juges de refuser tous les abus de droit, tous les abus de pouvoir qui pourraient mettre en péril la confiance des Français dans leur justice.

Monsieur le Premier ministre – et à travers vous, je m’adresse au Président de la République qui semble ignorer la gravité de la situation : êtes-vous prêt à entendre cet appel à la lucidité, à la raison et à la sagesse ?

Je le souhaite, pour ma part, de tout mon cœur pour notre pays et pour notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bruno Le Roux. Guignol !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. (Applaudissements nourris sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP - Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs… (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Mesdames, messieurs les députés – il y en a pour qui le Sénat est l’aboutissement d’une carrière (Sourires) –, je vois que M. Henri Guaino persiste et signe dans le peu d’égard qu’il montre envers cet organe constitutionnel qu’est le Conseil supérieur de la magistrature et le peu de cas qu’il fait de la séparation des pouvoirs ainsi que de l’indépendance de l’autorité judiciaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Dans sa composition actuelle, le Conseil supérieur de la magistrature, monsieur Guaino, comprend six personnalités extérieures au monde judiciaire. S’agissant de son mode de fonctionnement, vous savez que les auditions concernant les questions disciplinaires sont publiques. Par vocation, il est ouvert à des questions qui vont au-delà des simples questions internes à la magistrature.

Aux termes de l’article 64 de la Constitution, le Président de la République est le garant de l’autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci doit répondre au Président de la République quand il le sollicite pour avis sur l’indépendance de l’autorité judiciaire ou au ministre de la justice sur une question concernant la déontologie des magistrats ou une question concernant le fonctionnement de la justice.

C’est ainsi que je l’ai saisi le 25 mars dernier, m’appuyant sur cette rédaction émanant de la réforme constitutionnelle de juillet 2008 – et vous avez mille raisons, monsieur le député, de bien connaître les rédactions introduites par cette réforme constitutionnelle.

Je vous renverrai aussi au rapport de M. Warsmann, président de la commission des lois sous l’ancienne législature. Il souligne que pour renforcer la confiance des citoyens dans la justice, il faut que le Conseil supérieur de la magistrature soit plus autonome et ne soit pas corporatiste.

Vous n’avez pas attaqué un homme, vous avez attaqué l’institution judiciaire car il y avait trois magistrats instructeurs qui ont pris la décision que vous mettez en cause. Vous êtes maintenant invité à faire preuve de réserve à l’égard de cette institution. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Choc de simplification

M. le président. La parole est à M. Eduardo Rihan Cypel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Eduardo Rihan Cypel. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Le Président de la République a annoncé jeudi dernier un choc de simplification. (Rires sur les bancs du groupe UMP.) Après le pacte de compétitivité, cette nouvelle dimension de l’action gouvernementale permettra de redonner de la force et de la cohérence à notre appareil productif comme à nos services publics.

Notre majorité est naturellement favorable à la régulation ; mais lorsque les normes se multiplient et s’empilent à l’infini, elles participent moins de la régulation que de l’inertie.

L’action publique a besoin de clarté, de lisibilité et d’efficacité. Nous connaissons tous l’adage : quand la loi bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite. Force est de constater qu’au cours des dix dernières années, les majorités précédentes n’ont que trop bavardé, en particulier sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Entre 2007 et 2012, la droite a voté 264 lois ; or 25 % des règles n’ont jamais été appliquées. La majorité précédente a produit un choc de complexification en multipliant les entraves. Aujourd’hui, 400 000 normes sont en vigueur dans notre pays, dont la moitié semble ne plus être d’actualité.

Ainsi que le rappelait François Hollande, une PME doit transmettre chaque année pas moins de 3 000 informations à l’administration : ce n’est pas efficace, ce n’est pas performant, ce n’est pas opérant.

Avec ce choc de simplification pour les entreprises et pour les collectivités locales, dans le domaine du logement par exemple, notre majorité créera de nouvelles marges de manœuvre pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.

Une nouvelle fois, nous démontrons que la volonté et l’efficacité sont du côté de notre majorité. Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous préciser les modalités concrètes de ce choc de simplification ainsi que son calendrier d’application ? (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Eduardo Rihan Cypel, la modernisation de l’action est attendue par tous : les citoyens, les entrepreneurs comme les agriculteurs, qui nous parlent souvent de bordereaux.

Le Premier ministre a demandé ce matin à tous ses ministres de réussir le choc de simplification – souvent annoncé, mais jamais réussi – voulu par le Président de la République. En effet, la règle budgétaire, si elle est très utile et même indispensable, n’est jamais suffisante.

C’est pourquoi ce matin, lors du Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le Premier ministre a rappelé que nous allions ensemble, avec des procédés extrêmement simples, lever toutes les contraintes pesant sur la croissance et la compétitivité de notre économie, mais aussi sur la vie de nos concitoyens.

En décrétant un moratoire sur les normes, aucun nouveau texte ne sera adopté à partir de ce jour sans suppression d’une mesure équivalente, que ce soit pour les entreprises, pour les agriculteurs ou pour les citoyens. Qui plus est, avec le travail mené par Cécile Duflot, la simplification de notre maquis de l’urbanisme et de la construction sera adoptée par ordonnance, afin d’accélérer le mouvement – d’aucuns en sont peut-être marris, mais la majorité est d’accord.

Enfin, nous voulons répondre à des questions simples : comment se fait-il qu’en France, il faille un minimum de 184 jours pour construire un dépôt, contre 60 jours en Finlande ? C’est beaucoup trop ! Comment se fait-il qu’il y ait autant de recours contre le permis de construire ? Comment se fait-il qu’il y ait autant de files d’attente devant les guichets de nombre de nos administrations ?

L’important, monsieur le député, est que nous avons demandé à nos agents de proposer eux-mêmes des simplifications – ils en ont déjà proposé 1 350 – dans un esprit clair : celui bien sûr de la compétitivité, et toujours de la solidarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Quel grand choc !

Pouvoir d’achat

M. le président. La parole est à M. Damien Abad, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Damien Abad. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Si la passion des Français pour le bricolage ne se dément pas, plus des deux tiers d’entre eux n’ont pourtant pas été convaincus par la boîte à outils du Président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui est devenue une boîte anti-pouvoir d’achat, où l’on a remplacé la faucille et le marteau par la cisaille et le rabot, en n’hésitant pas à découper à la hache notre politique familiale et à couper au sécateur les heures supplémentaires. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le Premier ministre, votre majorité est dans le rouge ! En effet, depuis dix mois que vous êtes aux commandes, vous avez placé tous les indicateurs économiques de la France dans le rouge : rouge pour le chômage qui frôle le record historique de 1997 ; rouge pour le déficit public qui n’en finit plus de déraper ; rouge pour la dette qui bat un nouveau record à plus de 90 % du PIB ; rouge enfin pour le pouvoir d’achat des Français, qui baisse pour la première fois depuis 1984 – à l’époque, la majorité au pouvoir était déjà socialiste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marcel Rogemont. Tout cela, c’est le résultat de votre politique !

M. Damien Abad. Le matraquage fiscal de votre gouvernement est massif, durable et dévastateur pour la classe moyenne et pour tous les Français : les salariés, les ouvriers, les chefs d’entreprise, les jeunes créateurs, les artisans ou les commerçants – et même, depuis hier, les retraités, à qui vous allez faire subir un coup de rabot sur leurs pensions complémentaires car vous les considérez, à tort, comme des privilégiés, alors même que de plus en plus de personnes âgées vivent seules avec une petite retraite !

Or, M. le Premier ministre, on ne vous entend plus ! Même le Président de la République n’a pas osé vous citer dans son intervention ! Vous êtes acculé, votre majorité est aux abois et le peuple de France ne croit plus en vos mensonges. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Dans ces conditions, quand vous hisserez-vous à la hauteur de la situation pour sortir enfin la France du rouge et vous occuper de la première des préoccupations des Français, à savoir l’emploi et le pouvoir d’achat ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député Damien Abad, je ne reviendrai pas sur les jugements de valeur un peu faciles qui ont émaillé vos propos. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est peut-être la loi du genre, du moins telle que vous la concevez.

Je souhaite surtout répondre sur le fond, concernant tout d’abord ces indicateurs qui seraient dans le rouge. Une fois de plus, je suis amené à vous renvoyer à votre propre amnésie, car nous ne pouvons pas en dix mois réparer ce que vous avez abîmé en dix ans ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Les déficits publics, c’est vous ! La dette publique, c’est vous ! L’augmentation du chômage, c’est vous ! La désindustrialisation du pays, c’est vous ! (« C’est vous ! » sur divers bancs du groupe UMP.) Le recul de la compétitivité, c’est vous ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Nous avons dû, en effet, mener une politique de redressement, parce que le pays est fortement dégradé. Vous devriez faire preuve d’un minimum d’objectivité, s’agissant par exemple des déficits, en reconnaissant que le déficit public en 2011 était de 5,3 %, et qu’il aurait été supérieur à 5,5 % si l’actuelle majorité n’avait pas entrepris un effort de redressement vigoureux des comptes publics, en dépit de la faible croissance que connaît la France ! (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Concernant le pouvoir d’achat, je vous dirai plusieurs choses. Tout d’abord, le pouvoir d’achat a reculé en 2012, c’est vrai. Cela avait d’ailleurs été anticipé, car il a finalement reculé un peu moins que prévu. Mais vous ne devriez pas parler de matraquage fiscal à propos du pouvoir d’achat, car sur les 20 milliards d’impôts supplémentaires votés en 2012, 13 milliards sont dus à la majorité précédente ! Nous avons voté les 7 milliards restants dans un esprit de justice, afin de compenser la dérive des déficits.

Le pouvoir d’achat, je l’affirme ici, est la priorité du Gouvernement, au même titre que l’emploi. C’est la raison pour laquelle notre politique fiscale encourage ceux qui consomment : les classes populaires et les classes moyennes. C’est la raison pour laquelle également nous avons augmenté le SMIC et l’allocation de rentrée scolaire, et agi sur les frais bancaires.

Je vous invite donc, monsieur le député, à un peu de pudeur, moins d’amnésie et plus de soutien au redressement du pays ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Modernisation de l’action publique

M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Christian Eckert. Madame la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, votre Gouvernement a trouvé à son arrivée une situation calamiteuse des comptes publics. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dès 2012, il a sécurisé la trajectoire de réduction du déficit, comme en attestent les résultats de 2012 et les commentaires de la Cour des comptes.

La répartition entre l’effort sur les recettes et sur les dépenses doit se concentrer maintenant sur les dépenses en impliquant l’ensemble des acteurs publics.

M. Michel Herbillon. Il serait temps !

M. Christian Eckert. C’est déjà dans cet esprit qu’a été construite la loi de finances de 2013 en prévoyant une économie comprise entre 10,5 et 12,5 milliards d’euros.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ils sont où ?

M. Christian Eckert. Ce Gouvernement a lancé le premier cycle de la modernisation de l’action publique, dont l’objet est de rénover en profondeur nos services publics et notre système de protection sociale…

M. Michel Herbillon. Ce sont des mots !

M. Christian Eckert. …en alliant performance, cohésion sociale, et redressement des finances.

Fondée sur une méthodologie d’évaluation partenariale impliquant l’ensemble des acteurs publics, et notamment les organisations syndicales souvent ignorées dans le cadre de la RGPP, la modernisation de l’action publique, la MAP, est une chance pour définir des réformes structurelles de long terme, portant en particulier sur les dépenses d’intervention.

Dans ce cadre, j’aimerais savoir, madame la ministre, quelles sont les principales conclusions du CIMAP qui s’est déroulé ce matin, quel est le calendrier des réformes envisagées et comment celles-ci se traduiront par des économies budgétaires dès 2014 ?

M. Bernard Deflesselles et M. Guy Geoffroy. Allô !

M. Christian Eckert. J’aimerais également savoir comment votre Gouvernement entend associer le Parlement à la prise en compte et au portage de ces réformes, à la différence de ce qui a pu être entamé très modestement par le passé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – (« Allô ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, qu’il y ait des liens entre la majorité et le Gouvernement, cela me paraît normal. Que vous ayez envie de manifester votre opposition, cela me paraît normal. Mais il n’y a aucune raison de crier.

La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le rapporteur général du budget, effectivement ce matin le Premier ministre a tenu à rappeler dans quel état d’esprit nous entamions le deuxième comité interministériel pour la modernisation de l’action publique.

D’abord, il faut rappeler que tous les trois mois l’ensemble des ministres viennent faire état à la fois des mesures de modernisation et de simplification. Effectivement, nous avons aussi des objectifs budgétaires : récupérer un milliard cette année et un milliard l’année prochaine sur les 80 milliards d’aides accordées aux entreprises, récupérer avec les régions, sur les 40 milliards versés à la formation professionnelle, les quelques milliards dont le patronat et les syndicats nous disent qu’ils ne sont pas utilisés, enfin récupérer quelques milliards en regardant dans l’ensemble des ministères comment on peut faire mieux en termes de démarches.

Vous avez raison de signaler le rôle des organisations syndicales.

Pourquoi le bilan était-il jusqu’à présent catastrophique ? Pourquoi ai-je trouvé, au mois d’août dernier, un document de l’ancienne direction générale de la modernisation de l’État, comportant moult propositions sans effets ? Parce l’idée de commencer par un objectif budgétaire, de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a totalement démobilisé l’ensemble des services ministériels, l’ensemble des directeurs et des secrétaires généraux et tous les parlementaires ont rencontré sur le terrain ceux qui étaient porteurs d’innovation et qui ont reculé de peur de tout perdre.

L’idée, c’est donc de tout réécrire, avec, et le Premier ministre l’a souligné ce matin, en fond de toile toujours la valeur du service public, parce que l’action publique est moderne, qu’elle porte la compétitivité, qu’elle porte la solidarité. Et si nous tablons sur 5 milliards d’économies au moins, monsieur Eckert, c’est aussi pour que notre action publique aide à redresser la France. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Politique familiale

M. le président. La parole est à M. Édouard Philippe, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Edouard Philippe. Monsieur le Premier ministre, tous les bricoleurs du dimanche – et nous sommes nombreux sur tous les bancs de cette assemblée – savent qu’il faut éviter de détraquer quelque chose qui fonctionne. C’est ce principe simple qui devrait nous guider en matière de politique familiale.

La France est l’un des pays qui investit le plus dans la politique familiale : deux fois plus en moyenne que les autres pays de l’OCDE.

Le dispositif français est ancien. Il a longtemps fait l’objet d’un consensus solide. Il est souvent pris en exemple par nos voisins européens car il nous a permis d’atteindre deux objectifs importants : un taux de fécondité sans pareil en Europe et un taux d’activité des femmes dans la moyenne haute des pays européens. Cette politique est au fond peut-être l’expression du fameux modèle français. Et pourtant, nous craignons qu’un apprenti sorcier, en pensant ouvrir sa boîte à outils, n’ait en réalité ouvert la boîte de Pandore.

Monsieur le Premier ministre, nous sommes inquiets. Notre politique familiale est menacée.

D’abord par un déséquilibre financier, incontestable, nouveau, car traditionnellement la branche famille était plutôt excédentaire, et probablement durable, compte tenu des mauvaises perspectives économiques qui sont les nôtres.

Ensuite, et surtout, par l’annonce récente du Président de la République au sujet de la réduction des prestations familiales, annonce que vous avez confirmée depuis.

Monsieur le Premier ministre, vous avez indiqué à la représentation nationale, il y a quelques semaines, que vous saviez où vous alliez. Utile mise au point. Mais pourriez-vous le dire maintenant à la France ?

Pouvez-vous dire clairement aux Français si vous allez fiscaliser les prestations familiales ?

Pouvez-vous leur dire clairement si vous allez baisser le niveau de ces prestations ? Si oui, pour qui ?

M. Céleste Lett. C’est un sketch !

M. Edouard Philippe. Pouvez-vous leur dire clairement si vous allez soumettre à conditions de ressources le versement de ces prestations familiales ? Si vous allez revenir sur l’universalité de ces prestations ? Si vous allez encore une fois baisser le quotient familial ?

Au fond, monsieur le Premier ministre, la politique familiale de la France se résume-t-elle aujourd’hui à une politique brutale d’austérité que vous dénonciez hier, à un matraquage fiscal que vous pratiquez aujourd’hui presque avec gourmandise, ou souhaitez-vous véritablement continuer à favoriser la natalité en aidant utilement les jeunes couples de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, je vous laisse choisir vos propres comparaisons, mais je ne suis pas certaine que vous ayez été très attentif en écoutant le Président de la République ou en lisant l’interview du Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Si vous aviez écouté le Président de la République ou lu l’interview du Premier ministre, vous auriez trouvé la réponse à l’essentiel des questions que vous venez de poser.

La politique familiale est l’un des grands atouts de la France. Et c’est en particulier grâce à cette politique que la France peut s’enorgueillir de disposer d’une démographie forte qui lui permettra, dans les années et les décennies à venir, d’affronter le défi des retraites de manière plus confortable que certains de ses voisins.

Mais, dans le même temps, si vous étiez aussi attaché que cela à notre politique familiale, vous n’auriez pas laissé se dégrader les équilibres financiers de la branche famille. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est bien parce que vous avez laissé se défaire les solidarités familiales que nous devons intervenir aujourd’hui. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Pour ce faire, nous devons tenir compte de l’évolution de la société française. Nous ne sommes plus en 1945, les femmes travaillent. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous avons besoin de leur apporter des services en matière d’accueil du jeune enfant. Nous avons besoin de faire face à la situation des enfants qui vivent dans des familles pauvres.

Pour l’ensemble de ces raisons, comme l’ont indiqué le Président de la République et le Premier ministre, nous allons remettre à plat le système des prestations familiales pour faire en sorte qu’elles soient versées de manière plus juste…

M. Julien Aubert. Ce sont toujours les mêmes qui payent !

Mme Marisol Touraine, ministre. …en écartant la perspective de toute fiscalisation des allocations familiales mais en faisant en sorte que les familles les plus aisées ne perçoivent pas la même chose que les familles pauvres car nous sommes attachés à la justice, y compris en matière de politique familiale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que ce n’est pas en criant que vous allez convaincre la ministre !

Site sidérurgique de Florange

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Borloo, pour le groupe Union des démocrates et indépendants

M. Jean-Louis Borloo. Monsieur le Premier ministre, vous connaissez certainement les salariés d’ArcelorMittal.

Monsieur le Premier ministre, les salariés de la sidérurgie sont inquiets et accablés. Vos atermoiements et renoncements de l’année dernière n’ont fait qu’augmenter leur inquiétude.

Comme personne ne comprend – ni eux, ni nous – que vous n’ayez pas essayé de constituer un grand groupe franco-européen de la sidérurgie, je suis allé à Florange, la semaine dernière, rencontrer les salariés et l’intersyndicale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ceux-ci oscillent entre incompréhension, accablement et fierté de leur outil de travail. Comme, depuis vos funestes décisions, ils n’ont rencontré ni membre du Gouvernement, ni élu socialiste…

M. Nicolas Bays. Menteur !

M. Jean-Louis Borloo. …ils m’ont demandé de vous poser, monsieur le Premier ministre, les questions suivantes. Ces questions ont été rédigées par l’intersyndicale d’Arcelor :

« Monsieur le Premier ministre, au nom des camarades de l’intersyndicale, où en est le redémarrage de la filière liquide, sachant que, pour la première fois de notre histoire, nous importons de l’acier et que les deux cent mille tonnes de brame qui viennent de Dunkerque prouvent qu’on peut redémarrer le haut-fourneau ?

Et puis, suite aux déclarations de M. le Président de la République au mois de décembre dernier, selon lesquelles un projet ULCOS a été décidé, où en est ce dossier ? Nous devons, dit l’intersyndicale, un discours de vérité aux ouvriers de Florange…

M. le président. Merci.

M. Jean-Louis Borloo. …et ne pas, une fois de plus en plus, faire naître (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP)…

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président Borloo, vous conviendrez que ce n’est pas en deux minutes, ici, dans cet exercice, qu’on peut répondre à de telles questions. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Je voudrais simplement procéder à quelques rappels, en commençant par la difficulté de la situation à Florange, quand nous sommes arrivés aux responsabilités. (Mêmes mouvements.) C’est un dossier que nous avons dû empoigner, un dossier dont nous nous sommes saisis et auquel nous avons apporté des réponses. Ces réponses, ce sont celles que vous avez été incapables d’apporter.

Il y a d’abord eu, conduite par le Premier ministre lui-même, une discussion qui abouti à un plan, ce qui a permis d’éviter tout plan social, ce qui a permis d’éviter tout licenciement, ce qui a permis de sauver d’autres sites, comme ceux de Dunkerque et de Fos. Ce plan est aussi en faveur des aciers d’avenir. C’est le projet ULCOS, que vous avez évoqué, monsieur le président Borloo.

Bien sûr, tout cela est suivi par le Gouvernement et sur le terrain, à travers des discussions qui se poursuivent. La feuille de route d’ArcelorMittal sera remise, le Gouvernement veille au respect des engagements et nous attendons de voir de quelle façon seront traduits ces engagements de recherche sur la filière d’aciers d’avenir : c’est pour dans quelques semaines.

M. Franck Gilard. Baratin !

M. Pierre Moscovici, ministre. Enfin, monsieur le président Borloo, puisque vous êtes comme moi un Européen convaincu, je pense que c’est à l’échelle européenne que les choses doivent être reprises, avec l’Espagne, avec le Luxembourg, avec l’Allemagne. Retrouvons l’esprit fondateur de la CECA, soutenons les initiatives du commissaire Tajani. C’est ce que nous faisons.

À ces questions, je réponds que le dossier est suivi, que le Gouvernement est actif et que nous trouvons les solutions aux problèmes qui sont posés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Contribution additionnelle sur les pensions de retraite

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Estrosi. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, avec vous, en moins d’un an, les Français ont eu droit à la fin des heures supplémentaires défiscalisées, à des collectivités dont les dotations sont réduites alors qu’elles doivent maintenant financer la réforme des rythmes scolaires que vous avez imposée d’autorité, à l’augmentation de la TVA sur les travaux et les transports, sans compter de nombreuses charges qui rendent leur vie de plus en plus difficile. Près de 30 milliards de charges supplémentaires, qui pèsent sur la compétitivité de nos entreprises, mais aussi sur les ménages, notamment les plus modestes et les plus faibles.

On se disait : « Frénésie socialiste, à qui le tour ? » Eh bien, désormais, nous avons la réponse. Votre cible, ce sont les retraités de France. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Alors que nous avions augmenté de 25 % les minima vieillesse, vous acceptez, pour la première fois, que les pensions complémentaires de retraite augmentent moins vite que les prix à la consommation.

Si on ajoute à cela, au 1er avril, une taxe supplémentaire de 0,3 %, il apparaît que vous avez fait des retraités de France votre première cible.

Les retraités, monsieur le Premier ministre, sont un symbole : des hommes et des femmes qui ont contribué à la croissance et à la prospérité de notre pays, à la transmission des valeurs de la famille, au soutien de notre démographie. Si les taxo-dépendants que vous êtes ont été capables de franchir ce pas, alors les retraités de France doivent savoir que nous ne vous laisserons pas faire.

Monsieur le Premier ministre, au-delà de cet assaut sur leur pouvoir d’achat, devons-nous préparer nos retraités à une désindexation complète de toutes les pensions ?

Avant l’intervention du Président de la République, monsieur le Premier ministre, nous pouvions penser qu’on allait annoncer la fin d’une catastrophe ; vous avez tout simplement annoncé une catastrophe sans fin, pour notre pays et pour les retraités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député, notre pays connaît une situation économique et financière difficile. Et malgré la crise, ce gouvernement a fait le choix de revaloriser les retraites de 1,3 % au 1er avril. Nous sommes en effet attachés au pouvoir d’achat des retraités, comme nous le sommes à celui de l’ensemble des Français. Contrairement à vous, monsieur le député, nous ne voulons pas opposer les retraités d’aujourd’hui aux retraités de demain. Et je veux saluer le courage des partenaires sociaux, qui ont fait le choix de préserver l’avenir de nos régimes de retraite…

M. Franck Gilard. Ne soyez pas ridicule !

Mme Marisol Touraine, ministre. …alors que la seule proposition que vous avez à faire, c’est de demander aux salariés d’aujourd’hui de reporter l’âge légal de départ en retraite à soixante-cinq ans. C’est une préconisation du président de votre groupe, M. Jacob.

Votre seule préconisation, c’est de faire en sorte que ceux qui ont commencé jeunes travaillent le plus longtemps possible.

M. Bernard Accoyer. Assez de démagogie !

Mme Marisol Touraine, ministre. Alors je veux vous le dire, monsieur le député : telle n’est pas notre position. Nous avons fait le choix de la solidarité. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place une contribution qui permettra de financer une réforme de la dépendance que vous n’avez jamais réussi à faire aboutir. Nous souhaitons que l’ensemble des Français soient solidaires, que l’ensemble des Français préparent l’avenir, et nous considérons que les retraités d’aujourd’hui peuvent apporter une petite contribution, de l’ordre de 3 euros pour une retraite de 1 100 euros par mois, pour faire en sorte que demain, la dépendance soit mieux prise en charge dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Habitat indigne

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Élisabeth Guigou. Madame la ministre de l’égalité des territoires et du logement, samedi dernier, à Aubervilliers, un terrible incendie a fait trois morts et treize blessés dont quatre sont dans un état très grave, et a jeté une cinquantaine de personnes à la rue. Vous vous êtes rendue sur place le soir même. La municipalité a organisé immédiatement un hébergement d’urgence pour accueillir les victimes et leur apporter un soutien psychologique et matériel.

Ce drame est survenu dans une copropriété privée dont plusieurs appartements étaient squattés ou, pour certains, sous-loués par des marchands de sommeil. Le quartier, nous le savons, a été récemment classé en zone de sécurité prioritaire. L’enquête judiciaire indiquera s’il s’agissait d’un incendie d’origine criminelle.

Mais c’est sur un autre point que je souhaite appeler votre attention. Les travaux nécessaires à l’entretien de l’immeuble n’étaient pas réalisés par la propriétaire. La ville a été obligée d’intervenir pour engager des travaux d’assainissement et de dératisation. Un plan de sauvetage de la copropriété a été mis en place.

Cette tragédie est hélas révélatrice de la situation insupportable et invivable que subissent les habitants de ces copropriétés dégradées.

Face aux propriétaires défaillants, les moyens actuels de l’État et des municipalités sont dramatiquement insuffisants. Certains propriétaires sont dans l’impossibilité matérielle, et en l’occurrence psychique, d’honorer leurs charges. D’autres encore sont de cyniques marchands de sommeil, qui exploitent honteusement de pauvres gens en faisant payer des loyers exorbitants pour des taudis dangereux.

Madame la ministre, comment envisagez-vous d’aider les municipalités à reloger les victimes de ces tragédies ? Comment comptez-vous obliger les propriétaires à remplir leurs obligations ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour lutter contre les marchands de sommeil ? Préparez-vous un plan global qui associerait l’État et les collectivités locales et ferait de la lutte contre l’habitat indigne une grande cause nationale ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement.

M. Marc-Philippe Daubresse. Elle est venue avec sa marinière ?

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Madame la députée, vous faites allusion au drame qui s’est déroulé le week-end dernier à Aubervilliers. Il n’a pas été le seul puisqu’un autre incendie dramatique a eu lieu à Saint-Quentin, dans l’Aisne, incendie dans lequel cinq enfants ont perdu la vie. Je tiens à vous faire part de la grande détermination du Gouvernement à poursuivre l’objectif de diviser par deux le nombre de victimes d’incendie. Il s’agit d’une grande cause, que nous pouvons prendre à bras-le-corps, quelles que soient les responsabilités des uns et des autres. C’est ce qu’ont fait d’autres pays en Europe. Cela passe par l’obligation d’installer des détecteurs de fumée, mais pas seulement.

L’autre partie de votre question porte sur les copropriétés dégradées. Comme vous le savez, je prépare un projet de loi sur les questions de logement et d’urbanisme qui donnera aux élus locaux les moyens d’intervenir de manière très volontariste à l’égard des marchands de sommeil et dans des situations difficiles. Je dis « de manière très volontariste » parce que, aujourd’hui, des propriétaires font fi de leurs obligations et mettent en danger leurs locataires, mais aussi d’autres copropriétaires qui, eux, sont de très bonne foi. Ils mettent aussi en danger les pompiers, qui interviennent parfois dans des conditions très difficiles et auxquels je veux rendre hommage.

Nous travaillerons donc à ce que le dispositif juridique mis en place soit efficace et à faire en sorte que soient empêchées d’agir les personnes reconnues – en fonction d’une qualification qui reste à définir – comme des marchands de sommeil. Ce phénomène a en effet eu tendance à se développer, notamment à cause de la crise du logement.

Enfin, pour ce qui concerne les obligations de travaux, il faut aider les copropriétaires de bonne foi à les anticiper. C’est pourquoi le texte en préparation prévoira un compte de travaux devant permettre de préparer les travaux de mise en conformité, notamment électriques, dans les bâtiments anciens.

C’est sur l’ensemble de ces sujets que nous voulons travailler pour mettre en sécurité des habitants qui en ont le droit, qu’ils soient locataires ou copropriétaires de bonne foi. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs des groupes SRC et RRDP.)

Filière éolienne

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.

M. Paul Molac. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, vous avez annoncé vendredi dernier la mise en place d’un nouveau modèle de contrat d’achat d’électricité pour les installations éoliennes terrestres. Ce nouveau modèle permettra la signature anticipée des contrats d’achat, et cela sans dérogations particulières, afin de sécuriser le financement des projets en cours.

Cette annonce était très attendue par l’ensemble des acteurs de la filière éolienne. Bon nombre de projets étaient ainsi à l’arrêt depuis des mois à cause des difficultés à aboutir à la signature du contrat d’achat pour l’électricité éolienne par EDF Agence Obligation d’Achat.

En effet, alors que l’ensemble des démarches préalables à la signature d’un contrat étaient accomplies, il arrivait dans de nombreux cas qu’EDF Agence Obligation d’Achat impose des conditions dérogatoires, telles que l’installation préalable d’un dispositif de comptage avant le début des travaux, pour que la signature du contrat soit effective.

Ce nouveau modèle de contrat permettant la signature anticipée des contrats d’achats d’électricité éolien est un nouveau coup de pouce pour le développement de la filière éolienne. Après la suppression, sur proposition de notre groupe parlementaire, de la règle des cinq mâts qui obligeait jusque-là tout projet d’implantation d’éoliennes à prévoir cinq éoliennes, nous allons dans le bon sens. Il conviendrait toutefois d’avoir un meilleur équilibre dans les financements des frais de raccordement aux réseaux entre l’exploitant et ERDF.

Nous attendons également que ces signaux positifs soient apportés dans le domaine du photovoltaïque qui, vous le savez, constitue une filière au formidable potentiel industriel. Cependant, cette filière souffre et a besoin de l’appui des pouvoirs publics.

M. Yves Censi. Mettez-en donc à Paris, des éoliennes !

M. Paul Molac. Il demeure toutefois une incertitude juridique concernant les tarifs d’achat de l’électricité éolienne. En effet, l’existence d’un recours auprès de la Cour de justice de l’Union européenne fait peser une menace sur de nombreux projets. La probabilité de voir cet arrêté tarifaire annulé d’ici un an est importante.

M. Patrick Ollier. C’est un réacteur nucléaire qu’il nous faut !

M. Paul Molac. Dès lors, madame la ministre, comptez-vous prendre un nouvel arrêté qui permettrait de mettre fin à cette instabilité juridique, et qui permettrait par ailleurs d’éviter d’avoir des recours, et des mesures d’urgences le moment venu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Merci de votre question, monsieur le député. Je tiens avant tout à saluer toutes les entreprises du secteur de l’énergie qui, durant tout le week-end, se sont mobilisées lors des Journées de l’énergie, et ont fait preuve de civisme dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, avec plus de 450 sites de production ouverts aux citoyens.

M. François Rochebloine. Ségolène, le retour !

Mme Delphine Batho, ministre. Comme vous l’avez indiqué, j’ai annoncé, vendredi dernier, dans les Ardennes, un nouveau modèle de contrat de rachat de l’électricité produite par les éoliennes pour sécuriser un certain nombre de projets, dont celui, très important, que vous connaissez : le projet Bégawatts, en Bretagne. Il est nécessaire de sécuriser l’activité des entreprises : ce sont 10 000 emplois qui sont concernés. Je pense à l’entreprise France-Éole, en Bourgogne, aux groupes ENERCON, Vergnet… Soit quelque 200 entreprises qui attendent le développement de ces projets éoliens qui restent bloqués alors même que le Grenelle de l’environnement avait pris l’engagement de développer 19 000 mégawatts de puissance installée et que nous n’en sommes qu’à 7 562. Il faut donc appuyer sur l’accélérateur.

Ensuite, en effet, j’ai entamé, au nom du Gouvernement, des démarches vis-à-vis de la Commission européenne pour engager la prénotification de nos dispositifs de soutien aux énergies renouvelables. Le précédent gouvernement ne l’avait pas fait et la Commission européenne a très bien accueilli cette démarche.

M. Yves Censi. Et l’UNESCO, qu’en pense-t-elle ?

Mme Delphine Batho, ministre. Cette prénotification est donc en cours.

Enfin, monsieur le député, la politique du Gouvernement, c’est de soutenir toutes les énergies renouvelables : le photovoltaïque, mais aussi la biomasse, la géothermie…

M. Alain Chrétien. Il faut un second souffle !

Mme Delphine Batho, ministre. Et, vendredi, chez vous, dans le Morbihan, nous avons, avec Stéphane Le Foll, annoncé le plan « Autonomie azote pour la méthanisation » qui va permettre aux agriculteurs et aux éleveurs d’avoir un complément de revenu et de participer à l’indépendance énergétique de la France. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Politique fiscale

M. le président. La parole est à M. Gérald Darmanin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Gérald Darmanin. Monsieur le Premier ministre, deux choses caractérisent fondamentalement votre gouvernement : le matraquage fiscal et les couacs à répétition.

Le matraquage fiscal, tous les Français le savent désormais, ne souffre plus aucune exception. Les ouvriers et les employés souffrent à cause des heures supplémentaires ; les retraités souffrent à cause de votre prélèvement de 0,3 % sur les retraites ; les chefs d’entreprises souffrent du matraquage fiscal que vous leur faites subir par votre délire.

Comment peut-on jouer au pompier pyromane, comme l’a fait François Hollande jeudi soir, en regrettant la montée inexorable du chômage et en fiscalisant encore plus les Français et les chefs d’entreprise ?

Depuis hier soir, monsieur le Premier ministre, la cacophonie des couacs semble reprendre de plus belle. Et d’où vient la fausse note ? De vous-même, du chef d’orchestre, à propos de la taxe à 75 %, celle-là même que le Conseil constitutionnel vous a refusée, à la suite du vote de la loi de finances !

Que comprendre, quand on entend M. Noël Le Graët, président de la Fédération française de football et ancien maire socialiste de Guingamp, nous dire que le socialisme consiste à taxer les entreprises, mais pas les clubs de football ?

Vous inventez des usines à gaz inapplicables, car vous souhaitez absolument conserver des symboles, ces chiffres que vous avez promis pendant la campagne électorale, et que M. Cahuzac lui-même refusait de commenter : 1 million d’euros ; 75 %. Il s’agit d’une mesure contre-productive, qui ne limitera pas les salaires que vous souhaitez taxer et qui, au contraire, rapportera encore moins de recettes fiscales à l’État.

M. Lucien Degauchy. Ça cafouille !

M. Gérald Darmanin. Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : quand allez-vous abandonner cette idée absurde et inapplicable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député, je voudrais vous remercier très sincèrement, et du fond du cœur, pour votre question absolument nuancée et totalement pertinente, qui va me donner l’occasion, sur les quelques sujets que vous venez d’évoquer, d’apporter des précisions utiles.

Vous parlez de matraquage fiscal. Je voudrais vous donner deux chiffres simples, dont la traçabilité est susceptible d’être reconstituée par vous, comme par l’ensemble des parlementaires de la majorité et de l’opposition. J’évoquerai d’abord les prélèvements obligatoires, qui sont une bonne manière de mettre en évidence la volonté fiscale d’un gouvernement. Lorsque Nicolas Sarkozy était candidat en 2007, il a indiqué qu’il diminuerait de quatre points le taux de prélèvements obligatoires pendant son quinquennat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Écoutez la réponse !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Lorsqu’il est arrivé en situation de responsabilité, le taux de prélèvements obligatoires était de 43,4 % ; lorsqu’il est parti, il était de 44,9 %. Voilà le bilan, en termes de pression fiscale, du gouvernement qu’à l’époque vous souteniez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Par ailleurs, il y a un exercice extrêmement confortable pour la majorité, comme pour l’opposition, qui s’appelle le semestre européen et qui permet de mesurer quelles sont les intentions fiscales des gouvernements. En avril 2012, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, M. Baroin et Mme Pécresse sont venus indiquer, dans le cadre du programme de stabilité, quelles étaient les intentions fiscales du précédent gouvernement. Ces intentions, c’était d’augmenter de 20 milliards la pression fiscale sur les Français à l’horizon 2016, ce qui aurait conduit, à la fin de l’exercice de 2017, à un taux de prélèvements obligatoires de 45,8 % (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. …là où nous allons, dans le cadre de notre stratégie, présenter un taux de prélèvements obligatoires à peu près comparable. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Albarello. Vous ne répondez pas à la question !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La vérité, monsieur le député, c’est qu’il n’y a pas de frénésie fiscale de ce côté-ci et de neutralité fiscale de ce côté-là. C’est un mensonge, qui est démenti par les chiffres, qui sont susceptibles d’être retrouvés par chacun des parlementaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Enfin, vous parlez de la taxe à 75 % : nous allons effectivement la mettre en œuvre, avec la volonté qu’elle permette aux contribuables les plus riches…

M. le président. Merci.

M. Jean-François Mancel. Rendez-nous Cahuzac !

Plan autisme

M. le président. La parole est à Mme Martine Pinville, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Martine Pinville. Ma question s’adresse à Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Aujourd’hui, mardi 2 avril, a lieu la Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, qui vise à mieux informer le grand public sur les réalités de ce trouble du développement. L’autisme est un handicap qui touche une personne sur cent cinquante dans le monde ; dans notre pays, les personnes autistes seraient environ 600 000.

Même si des progrès ont été accomplis en termes de diagnostic et d’accompagnement depuis la reconnaissance, en 1995, de l’autisme comme handicap, les attentes des familles demeurent immenses, au regard de la pénurie des réponses qui leur sont apportées. Malheureusement, les personnes autistes et leurs familles se trouvent encore trop souvent confrontées à des difficultés relatives au diagnostic, à la scolarisation, à l’accompagnement ou à la prise en charge, ou même à l’intégration sociale.

Dans le cadre des travaux du Comité national de l’autisme, qui ont été menés en concertation avec les associations, les chercheurs et les professionnels, mais aussi avec mes collègues Gwendal Rouillard et Philip Cordery, j’ai effectué des auditions et fait des rencontres qui m’ont permis de mesurer les attentes des familles dont un membre nécessite une prise en charge.

Nous nous devons de répondre à une extrême urgence, celle d’améliorer la prise en charge dans le secteur médico-social, pour les enfants comme pour les adultes, en créant des places dans les meilleurs délais. Je pense également à l’attente des familles d’enfants autistes qui ne sont toujours pas scolarisés.

De plus, la Haute autorité de santé a, sur ce sujet, préconisé des interventions éducatives et comportementales coordonnées,…

M. le président. Merci.

Mme Martine Pinville. …qui permettent aux enfants et aux adolescents de faire des progrès réels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame la députée, en ce 2 avril, Journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, je voulais vous dire que le troisième plan autisme était prêt.

Je le présenterai devant le Conseil national de l’autisme que vous présidez, madame, car je lui dois bien cela. Ce plan, en effet, a été élaboré en grande partie au sein de ce comité national, dans la plus grande concertation avec les associations de parents, les professionnels et les représentants des collectivités territoriales.

Je le présenterai ici, devant les parlementaires qui, je le sais, ont créé un groupe d’études consacré à l’autisme, où ils sont très nombreux et très motivés. Je le présenterai, enfin, devant la commission des affaires sociales, si la présidente m’y invite.

Je peux d’ores et déjà vous donner le cadre général de ce plan. Il entend respecter les recommandations de la Haute autorité de santé et les bonnes pratiques qu’elle a préconisées, à savoir des pratiques comportementales et développementales. Nous en irriguerons l’ensemble des territoires et des régions.

M. Claude Goasguen. Il faut davantage d’auxiliaires de vie scolaire !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Voilà pour le cadre général.

Il y a cinq axes, dans notre plan. Le premier, c’est la prévention, la détection et le repérage précoce : nous savons qu’il est possible dès dix-huit mois et que si nous le faisons, nous avons la possibilité de donner une chance aux enfants concernés.

Nous irriguerons tout le territoire ; nous rénoverons les centres d’action médico-sociale précoce, les CAMSP…

Mme Bérengère Poletti. Avec quels moyens ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. …nous les ouvrirons aux nouvelles méthodes qui sont désormais préconisées. Nous allons mettre en place un véritable réseau de repérage.

Le deuxième axe, c’est l’accompagnement des parcours, pour éviter les ruptures. La plus grande rupture a lieu au moment du passage de l’enfance à l’âge adulte : il existe peu de réponses aujourd’hui et nous allons faire des propositions précises.

Mme Bérengère Poletti. Avec quels moyens ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Le troisième axe est le soutien aux parents.

M. Claude Goasguen. Il faut des AVS !

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Nous avons besoin que les centres de ressources autisme, les CRA, soient de véritables centres d’écoute pour les parents. Nous mettrons en place un portail internet, où ils pourront obtenir des informations.

Mme Catherine Vautrin. Avec quel budget ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée. Nous créerons des structures de répit pour les parents, où ils pourront mettre leurs enfants et se retrouver en famille.

Nous appuierons évidemment la formation et la recherche (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

M. le président. Merci.

Recherche sur les cellules souches embryonnaires

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Avant de poser ma question, je souhaite rappeler à la ministre Carlotti le vote de l’amendement n° 274 au projet de loi de refondation de l’école. Il est bon d’avoir un peu de mémoire, madame la ministre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement se croit-il au-dessus des lois ? Le régime actuel de la protection de l’embryon a demandé des heures de discussion, ainsi que la tenue d’un débat public sous forme d’états généraux, comme l’impose la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Ce processus a permis l’élaboration d’un texte qui équilibre la défense des droits de l’embryon et les intérêts de la recherche.

Aujourd’hui, après le mariage pour tous, vous tentez de faire passer en force, via une niche parlementaire, une réforme qui anéantit la protection due à l’être humain dès le commencement de la vie, sans justifier d’aucune plus-value pour la recherche.

MM. Julien Aubert et Marc Le Fur. Bravo !

Mme Marie-Christine Dalloz. Plus inquiétant encore, la ministre n’a fait aucune référence à l’éthique dans ses propos. Les députés de votre majorité usent clairement du terme « matériau » pour faire référence aux embryons humains, désormais réifiés.

M. Julien Aubert. Scandaleux !

Mme Marie-Christine Dalloz. Vous faites preuve d’une improvisation certaine et d’une impréparation évidente, dans ce domaine comme dans d’autres. Jeudi dernier, la minorité est même devenue majoritaire suite à une scission dans vos rangs.

Mme Marie-Françoise Clergeau. C’est vous qui faisiez de l’obstruction !

Mme Marie-Christine Dalloz. Fort opportunément, pour éviter que Jean Leonetti ne défende la motion de rejet, la présidente de la commission nous a fait deux fois lecture d’un courrier, et la ministre a souhaité nous relire une deuxième fois son discours d’ouverture. Et dire que c’est la droite que vous accusez d’obstruction !

Monsieur le ministre, allez-vous encore passer en force, ou admettrez-vous enfin que ce débat, comme celui sur le mariage pour tous, mérite mieux, et notamment des états généraux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la députée, jeudi dernier, lors de l’examen d’une proposition de loi présentée par le groupe RRDP avec le soutien du Gouvernement, un débat responsable aurait pu avoir lieu sur un sujet qui devrait faire consensus : la recherche à des fins médicales sur les cellules souches embryonnaires et les embryons. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Le principe de cette recherche, encadrée, à des fins exclusivement médicales et sous un certain nombre de conditions, figurait en 2002 dans le projet de loi relatif à la bioéthique qui fut voté par tous les présidents de groupe de l’actuelle opposition, ainsi que par MM. Fillon, Sarkozy ou Juppé. Je ne vous ferai pas l’injure de rappeler le nom de tous les responsables qui avaient voté en faveur de ce projet de loi.

Jeudi dernier, votre obstruction systématique n’a pas permis d’engager ce débat serein et responsable. Nous l’avions fait au Sénat, et cela avait permis l’adoption de cette proposition de loi de façon transpartisane, après un débat réfléchi.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ici, nous sommes à l’Assemblée nationale.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je regrette deux choses : le recul de la recherche et la trop longue attente – que vous avez encore allongée – des patients victimes de maladies orphelines, de leurs familles. La recherche a reculé dans le pays depuis votre loi de 2011. Je regrette également que les députés responsables, au sein du RPR à l’époque ou de l’UMP aujourd’hui, qui avaient voté en faveur de cette loi en 2002 aient déserté l’hémicycle jeudi dernier.

M. Jean-Claude Perez. Très bien !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Seuls des députés…comment le dire,… oui, je le dirai, irresponsables (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP dont plusieurs députés se lèvent et quittent l’hémicycle) et se basant sur des mensonges scientifiques (Tumulte et huées sur les bancs du groupe UMP)

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. …ont pu s’exprimer jeudi dernier. Est-il responsable de montrer un fœtus ? (Mêmes mouvements.)

J’assume ma position, les scientifiques assument la leur, et vous devrez assumer la vôtre devant les patients.

M. Franck Gilard. On se fait insulter, on s’en va !

M. le président. Écoutez, chers collègues, il y a eu d’autres incidents durant la séance, et je n’ai pas insisté.

Modulation des allocations familiales
en fonction des revenus

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Charles de Courson. Monsieur le Premier ministre, pendant la dernière campagne présidentielle, le candidat François Hollande avait pris un engagement solennel devant les Français : il n’y aurait pas de mise sous condition de ressources des allocations familiales.

En effet, dans une réponse écrite au questionnaire de l’UNAF en avril 2012, François Hollande écrivait : « Je reste très attaché à l’universalité des allocations familiales [...] elles ne seront donc pas soumises à conditions de ressources. »

Or, dans un entretien télévisé le 28 mars dernier, le nouveau Président de la République vient de nous annoncer l’inverse, en déclarant : « Que les plus hauts revenus aient les mêmes allocations familiales que les plus bas, non ! Cela sera revu. »

M. Jean-Claude Perez. Il a eu raison !

M. Charles de Courson. Monsieur le Premier ministre, dans un récent entretien au Journal du dimanche, vous avez-vous-même précisé les propos du Président, en déclarant : « Tout le monde continuera à toucher des allocations familiales, et elles ne seront pas soumises à l’impôt. Mais les hauts revenus en percevront moins. »

Monsieur le Premier ministre, certes, votre gouvernement n’en est pas à sa première contradiction, mais le Président de la République a lui aussi, encore une fois, menti au peuple français.

Les familles et le mouvement familial s’opposent résolument à la remise en cause du principe d’universalité des allocations familiales qui fonde l’ensemble de notre politique familiale et que vous vous apprêtez à abandonner.

Vous confondez la solidarité familiale avec la politique des revenus. C’est à l’impôt de contribuer à la solidarité entre les Français, mais pas à la modulation des allocations en fonction des revenus d’assurer une solidarité limitée aux seules familles avec enfants.

La politique familiale est un des éléments essentiels du pacte républicain.

Monsieur le Premier ministre, devant la levée de boucliers que suscitent vos propos et ceux du Président, allez-vous renoncer au principe de la modulation des allocations familiales en fonction du revenu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le député Charles de Courson,…

M. Jean-Claude Perez. Charles-Amédée de Courson ! Sa maman touche les allocations !

Mme Marisol Touraine, ministre. …oui, la politique familiale est un acquis important des dernières décennies, et elle est au cœur de notre pacte social.

Mais depuis plusieurs années, notre société s’est transformée. Nous devons apporter des réponses nouvelles aux femmes et aux familles dans lesquelles les femmes travaillent. Elles expriment le besoin de capacité d’accueil pour leurs enfants en bas âge. Or, aujourd’hui, un enfant sur deux de moins de trois ans ne trouve pas de solution de garde adaptée à sa situation.

La branche famille est dans une situation financière préoccupante. Son déficit est de plus de 2 milliards d’euros, du fait de l’incurie de la majorité précédente.

Nous devons donc apporter des réponses aux attentes des familles en faisant en sorte que toutes les familles, je dis bien toutes les familles, soient reconnues.

C’est la raison pour laquelle le principe de l’universalité des allocations familiales ne sera pas remis en question,…

Mme Claude Greff. Et en plus, vous mentez !

Mme Marisol Touraine, ministre. …puisque l’ensemble des familles, je dis bien l’ensemble des familles, continuera à bénéficier d’allocations familiales, comme s’y est engagé le Président de la République et comme l’a rappelé le Premier ministre.

Pour autant, est-il juste qu’une famille dont le revenu fait partie des plus élevés de notre société bénéficie des mêmes allocations que celle d’un ouvrier ?

M. Bernard Accoyer. C’est un impôt sur les enfants !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous ne le pensons pas, et c’est la raison pour laquelle nous avons demandé au Haut conseil pour la famille de faire des propositions.

Mme Claude Greff. Taxer les enfants, c’est honteux !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous verrons, en fonction des propositions qui nous seront faites, comment nous pouvons faire évoluer de manière juste et responsable les prestations qui sont aujourd’hui accordées aux familles de notre pays. Nous le répétons : nous sommes attachés à la politique familiale, parce qu’elle nous permet de construire notre avenir de façon commune et rassemblée.

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Fixation de l’ordre du jour

M. le président. La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour les journées des 23 et 24 avril 2013 :

Déclaration du Gouvernement sur le programme de stabilité de la France 2013-2017 et débat sur cette déclaration ;

Proposition de résolution, au titre de l’article 34-1 de la Constitution, sur l’avenir politique de la construction européenne ;

Questions à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

3

Élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modification du calendrier électoral – Élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux

Votes solennels

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote communes et les votes par scrutin public sur le projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral (nos 819, 828), et sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des délégués communautaires et des conseillers départementaux (nos 818, 827).

Explications de vote communes

M. le président. Au titre des explications de vote communes, la parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela fait maintenant presque trois mois que le Parlement examine des projets de loi visant à modifier et à reporter les élections municipales et départementales.

M. Guy Geoffroy. Ce sont des tripatouillages !

M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire, au nom du groupe UDI, qu’à l’heure où la France compte près de 3,2 millions de chômeurs, nous aurions sans doute mieux à faire que de modifier les modes de scrutin de notre pays.

On voit bien l’objectif que vous vous êtes fixé : il s’agit de redécouper à votre guise les 4 000 cantons de France et d’en faire disparaître la moitié, entraînant la mort politique des territoires de France qui se sentent déjà abandonnés. Nous n’avons de cesse de vous le dire, monsieur le ministre : vous porterez une lourde responsabilité.

En deuxième lecture, vous persévérez à instituer sur d’immenses circonscriptions un nouvel élu unique au monde,…

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. C’est le génie français !

M. François Sauvadet. …à savoir deux candidats – un homme et une femme – élus ensemble sur un même territoire et qui exerceront leur mandat indépendamment l’un de l’autre, ce qui provoquera un désordre territorial que je vous laisse imaginer.

Sur ces deux sujets majeurs, comment pouvez-vous continuer de vouloir passer en force, monsieur le ministre de l’intérieur, avec le seul soutien du parti socialiste ? Vous faites comme si le Sénat ne s’était pas prononcé ; or, à deux reprises, le Sénat, qui représente les collectivités territoriales, a rejeté votre proposition – encore plus fortement la deuxième fois que la première. Tous les groupes politiques ont exprimé le même point de vue, à l’exception du groupe socialiste. Vous ne pouvez pas, en deuxième lecture, faire comme si rien ne s’était passé et continuer de balayer d’un revers de main l’avis de toutes les formations démocratiques du pays.

Pendant tout ce débat, nous n’avons cessé, contrairement à ce que vous dites, de faire des propositions qui permettraient une juste représentation des territoires et favoriseraient la parité dans les conseils généraux : monsieur le ministre, vous les avez toutes balayées d’un revers de main. Pire encore, vous êtes revenu sur des sujets qui faisaient consensus : par exemple, vous voulez imposer la proportionnelle dans les communes de moins de 500 habitants alors qu’un consensus s’était dégagé autour du seuil de 1 000 habitants.

Vous dites que vous voulez conserver le lien de l’élu avec son territoire : c’est vraiment se moquer du monde ! Quel lien avec l’élu restera-t-il dans vos immenses circonscriptions cantonales qui pourront compter plus d’une centaine de communes ?

M. François Rochebloine. Aucun !

M. François Sauvadet. Monsieur le ministre, vous êtes en train d’organiser la mort politique des territoires ruraux. Vous êtes en train d’organiser le désordre territorial.

M. Bernard Perrut. C’est vrai !

M. François Sauvadet. Qui peut croire un seul instant que deux élus sur un même territoire ne se livreront pas, demain, une compétition ?

Monsieur le ministre, je vous demande une nouvelle fois, au nom de mon groupe, de renoncer à ce texte et de reprendre la concertation avec les forces politiques, les associations d’élus et les territoires, car il est politiquement inacceptable, à moins d’un an des élections, de vouloir réformer contre l’avis de tous. Est-ce cela, la République irréprochable de M. Hollande ?

M. Bernard Perrut. C’est inacceptable !

M. François Sauvadet. Je le dis au nom du groupe UDI : plus jamais une seule formation politique ne doit pouvoir réformer les modes de scrutin. Aussi avons-nous proposé qu’un mode de scrutin ne puisse être modifié sans l’accord des trois cinquièmes de la représentation nationale.

Monsieur le ministre, vous êtes en train d’organiser un vaste tripatouillage électoral. Après tout, si ce n’était que cela, ce ne serait pas si grave, mais ce texte remet en cause l’avenir même du visage de la France, qui s’en trouvera transformé.

J’apprends, aujourd’hui même, que le Gouvernement a décidé de saucissonner sa grande réforme sur la décentralisation en commençant par les métropoles et les grandes villes, en continuant demain par les régions et en terminant par les solidarités territoriales. Permettez-moi de le dire : fonder le développement d’un grand pays comme la France exclusivement sur ses villes sera sans doute l’une des plus graves erreurs de cette décennie.

Nous continuerons de nous battre contre ce texte, contre la mort des territoires ruraux et contre ce binôme que vous voulez imposer à notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.

M. Paul Molac. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à l’issue de cette deuxième lecture du projet de loi sur la réforme des modes de scrutins locaux, je vous avoue que nous nous posons toujours des questions sur la pertinence du scrutin binominal et de ces cantons à représentation double.

M. Bernard Perrut. Mais vous voterez le texte quand même !

M. Paul Molac. Nous sommes de plus en plus circonspects quant au retour à un mode de scrutin majoritaire. En effet, sur le fond, nos réticences se fondent moins sur le caractère binominal du scrutin, qui permet tout de même de remplir le grand objectif de la parité, que sur le fait qu’il s’agisse d’un scrutin majoritaire. Vous le savez : nous aurions préféré un scrutin semblable à celui utilisé pour les élections régionales, lesquelles, à notre satisfaction, sont de nouveau organisées selon un scrutin proportionnel à deux tours avec prime majoritaire.

S’agissant des élections départementales, deux choix s’offraient au Gouvernement s’il souhaitait instaurer la parité intégrale : le scrutin de liste proportionnel ou le scrutin binominal. Malgré la bonne tenue de nos débats lors de ces deux lectures, nous avons le regret de constater que notre proposition, partagée par nombre de groupes de notre assemblée, n’a pas été retenue. Pourtant, le scrutin de liste proportionnel à deux tours est connu et reconnu par les citoyens : il a l’avantage d’être utilisé lors des élections municipales et régionales et le mérite d’être totalement paritaire, grâce à l’obligation d’observer une alternance stricte entre les hommes et les femmes dans la constitution des listes. Ce mode de scrutin nous aurait également évité le douloureux – quoique nécessaire – redécoupage des cantons, tant les disparités de population sont, dans certains cas, criantes. Dès lors, pourquoi l’élection départementale serait-elle la seule à ignorer la proportionnelle, alors que ce mode de scrutin sera partiellement introduit aux élections législatives ? Nous avons donc voté contre le retour au scrutin majoritaire et nous avons soutenu, avec des députés d’autres groupes, le scrutin proportionnel.

Pour le reste, certaines mesures contenues dans le projet de loi vont dans le bon sens. Il en est ainsi de l’abaissement, adopté pour la deuxième fois par notre assemblée, du seuil de recours au scrutin avec représentation proportionnelle aux communes de plus de 500 habitants. Nous ne partageons pas l’avis de notre collègue Sauvadet sur ce point. Cet abaissement de seuil permettra de constituer des majorités autour de projets, ainsi que d’assurer la parité et la représentation de l’opposition dans de nombreuses municipalités. Ce choix permettra à 7 000 conseils municipaux supplémentaires de disposer d’une représentation de la minorité et d’une composition paritaire. Seront en effet élues 32 000 conseillères municipales de plus qu’aux précédentes élections : ce n’est pas rien.

En ce qui concerne l’intercommunalité, saluons une avancée due à la navette parlementaire : l’adoption d’un dispositif de fléchage au moyen d’une liste intercommunale distincte de la liste communale. Mais, par cohérence, nous devons aller plus loin dans cette logique visant à faire clairement émerger l’échelon intercommunal, en ouvrant la possibilité d’un ordonnancement différent d’une liste à l’autre tout en conservant, bien sûr, la parité.

Surtout, nous aurions aimé aller plus loin en ce qui concerne les communautés d’agglomération et les métropoles, avec l’adoption d’un scrutin universel direct. Alors que l’intercommunalité prend de plus en plus d’importance et gère des budgets parfois très importants, pourquoi ne pas saisir cette occasion dès maintenant, sans attendre 2020 ? Il nous paraît en effet essentiel de faire émerger au plus tôt le couple intercommunalité-région afin de conjuguer cohérence et efficacité de l’action territoriale.

Nous approuvons également la volonté de repousser à 2015 les élections départementales et régionales. Au-delà des nécessités du redécoupage de la carte cantonale, la succession de cinq élections en 2014 ne serait bonne ni pour les électeurs, ni pour les communes chargées de les organiser, ni pour la démocratie. Communes, intercommunalités, départements, régions et Europe ont besoin d’avoir chacun un temps de débat propre. Les enjeux, les projets, les candidats y sont différents.

Nous regrettons également le fait que notre assemblée n’ait pas jugé utile d’interdire la présentation de binômes familiaux. Espérons que les Français n’auront pas l’occasion de nous le reprocher avec trop de véhémence lorsqu’ils seront inévitablement confrontés à ce genre de situation.

Nous regrettons enfin un recul par rapport au texte gouvernemental : celui sur le seuil d’admission au second tour, rehaussé de 10 % à 12,5 % des inscrits. Cette mesure, réintroduite par le Sénat et maintenue par notre assemblée, nous paraît aller à l’encontre du pluralisme politique.

Finalement, malgré les quelques avancées que présentent ces projets de loi, mais compte tenu du retour au scrutin majoritaire pour l’élection du conseil départemental – qui est au cœur de ce projet de loi et qui porte selon nous atteinte au pluralisme démocratique –, le groupe écologiste a décidé de s’abstenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. Les deux scrutins publics sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur le ministre, comment ne pas vous dire que nous sommes de plus en plus mal à l’aise ? (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe UMP.) La loi de réforme des scrutins locaux aurait dû s’adosser à la loi sur la décentralisation, aujourd’hui renvoyée à plus tard.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. Alain Tourret. Comment ne pas comprendre que le maintien du canton et du conseil général devait s’appuyer sur des compétences rappelées du département en termes de proximité ? Seule la proximité justifie le maintien du canton.

Comment ne pas voir que la loi sur l’intercommunalité imposait un scrutin direct pour déterminer les élus intercommunaux ? Une belle occasion a été manquée.

Nous avions demandé une loi qui s’appuie sur les territoires, qui crée de nouveaux cantons à l’intérieur des limites des circonscriptions, et ce pour éviter l’accusation de tripatouillage répétée à l’envi. On nous répond de manière dogmatique, en retenant en particulier le seuil de 500 habitants pour l’application des règles relatives à la parité. La parité, oui ; la parité jusqu’à l’absurde, non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur de nombreux bancs des groupes UMP et UDI.)

La proposition de 1 000 habitants, monsieur le ministre, a été faite par vous-même. La proposition de 1 000 habitants, monsieur le ministre, a été faite par le Sénat. La proposition de 1 000 habitants, monsieur le ministre, a été faite par l’Association des maires de France. La proposition de 1 000 habitants est faite par tous les radicaux. Et, malheureusement, nous ne sommes pas écoutés ! (« Eh non ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le ministre, on ne nous répond pas non plus sur le statut du chef-lieu de canton. Peut-être est-il désuet, mais il correspond à une réalité locale.

M. Philippe Meunier. C’est vrai !

M. Alain Tourret. Monsieur le ministre, lors du dernier scrutin et compte tenu de l’amitié que nous avons pour vous (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), notre abstention se voulait constructive. Aujourd’hui, nous nous abstiendrons à nouveau, mais c’est une abstention de défiance.

M. Philippe Meunier. C’est bien le parti radical !

M. Alain Tourret. Si le Gouvernement ne tient pas compte de cette défiance, nous ne voterons pas le texte en dernière lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur de nombreux bancs des groupes, UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de cette deuxième lecture, nous ne pouvons que regretter que nos débats n’aient pas débouché sur des modifications substantielles du texte.

Certes, nous approuvons l’abaissement du scrutin de liste aux communes de 500 habitants, mais notre désaccord persiste sur les deux dispositions qui sont au cœur du projet de loi.

D’abord, en ce qui concerne l’élection des futurs conseillers départementaux, nous restons résolument hostiles à la création de ce curieux binôme qui aura pour première conséquence de renforcer le bipartisme. Il assurera certes la parité à laquelle notre groupe est attaché,…

Mme Claude Greff. Elle a bon dos, la parité !

M. Marc Dolez.… mais il fera reculer le pluralisme et ne permettra pas une réelle représentation des territoires. En effet, les cantons seront dorénavant d’une taille telle que l’on ne pourra plus parler de proximité ni de lien véritable avec des territoires de vie identifiés et reconnus, ce qui sera durement ressenti dans le monde rural.

Nos débats ont pourtant montré qu’il était possible de respecter à la fois la parité, le pluralisme et la représentation des territoires. C’est le sens des propositions que nous avons défendues pour consacrer une véritable avancée démocratique.

Nous déplorons ici l’intransigeance du Gouvernement et son refus de considérer les diverses autres solutions qui lui ont été proposées et qui, pour certaines d’entre elles, s’inspiraient directement des modes de scrutin en vigueur pour les municipales et les régionales. Cette intransigeance fera du scrutin départemental un anachronisme démocratique puisqu’il sera le seul à ne pas comprendre au moins une part de proportionnelle.

Mme Claude Greff. Eh oui, ils persistent et ils signent !

M. Marc Dolez. L’autre point de désaccord concerne le nouveau mode de désignation des délégués communautaires. Celui-ci provoque en effet une rupture, qui ne fera que s’élargir, entre les communes et les intercommunalités, car désormais ce ne sont plus les conseils municipaux qui seront représentés au sein des assemblées délibérantes des intercommunalités : ce sont des conseillers élus au suffrage universel qui seront appelés à gérer ces structures en toute indépendance.

Les délégués des communes deviennent ainsi des conseillers intercommunaux. Ce changement sémantique est loin d’être anodin, car il marque un changement de statut de ces délégués qui, n’émanant plus des conseils municipaux, n’ont donc plus de comptes à leur rendre. En réalité, la technique dite du fléchage ouvre la voie, d’ailleurs clairement indiquée par le Gouvernement, à un scrutin séparé dès 2020.

Nous sommes fermement opposés à une telle évolution qui signifiera la mort programmée de la commune, structure de base de notre République.

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Marc Dolez. Notre inquiétude est renforcée au regard de la réforme territoriale de 2010, dont nous ne cessons de demander l’abrogation, car elle restreint la libre administration des communes et force leur intégration au sein d’intercommunalités dans des périmètres élargis. Notre inquiétude est d’autant plus forte que l’acte III de la décentralisation, tel qu’annoncé pour l’instant, consacre le renforcement de l’intégration communautaire, et donc, en quelque sorte, une intercommunalité à marche forcée.

C’est pour ces deux raisons de fond que les députés du Front de gauche voteront une nouvelle fois contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Plusieurs députés du groupe UMP. Il va être bien seul !

M. Carlos Da Silva. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel l’Assemblée nationale est appelée à se prononcer aujourd’hui n’est pas seulement, tant s’en faut, un texte électoral. C’est avant tout un texte d’approfondissement et de rénovation de notre démocratie locale, qui traduit une vision modernisée de l’organisation de nos territoires.

Par ailleurs, c’est un texte qui a sensiblement évolué, alimenté par nos travaux tant en commission des lois que dans l’hémicycle, ainsi que par ceux du Sénat qui, en deuxième lecture, a pris ses responsabilités et a adopté plusieurs articles qui traduisent autant de convergences entre les parlementaires de nos deux assemblées. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Tout d’abord, en mettant fin au conseiller territorial, nous entérinons la volonté, partagée par une très large majorité d’élus, de remettre les territoires au cœur de la décision politique. Arraché à ses racines locales, le conseiller territorial n’aurait eu pour résultat que de bâillonner les départements en les mettant sous le joug d’un super-élu hybride : 50 % conseiller régional, 50 % conseiller général, 100 % déconnecté du terrain.

M. Jean-Pierre Barbier. N’importe quoi !

M. Carlos Da Silva. Cette vision néfaste aux spécificités locales, nous avons souhaité la dépasser pour rénover le fonctionnement démocratique de nos collectivités. En votant le changement de dénomination de conseil général en conseil départemental, nous ancrons un peu plus l’institution dans son territoire.

En reportant à mars 2015 les élections régionales et départementales, nous permettons de clarifier un calendrier électoral jusqu’alors trop lourd et illisible pour nos concitoyennes et nos concitoyens.

En votant le renouvellement intégral des assemblées départementales tous les six ans,...

M. Philippe Meunier. Fossoyeurs !

M. Carlos Da Silva. …nous permettons à ces dernières de travailler sur des programmes conçus pour le long terme, avec une majorité cohérente et solidifiée par son unité dans la durée.

Notre seconde priorité, c’est la modernisation de l’organisation de nos territoires et de la représentation de nos concitoyennes et de nos concitoyens. À ce titre, et nous en sommes fiers,…

M. Philippe Meunier. Il n’y a pas de quoi !

M. Carlos Da Silva. …nous avons inventé et porté le scrutin binominal, cœur de ce projet de loi. Avec moins de 14 % dans les conseils généraux et 35 % dans les conseils municipaux, les femmes sont trop peu représentées dans nos institutions locales. Le scrutin binominal promouvra la parité au sein des assemblées départementales.

Nous allons plus loin encore, en rendant obligatoire la constitution de commissions permanentes et d’exécutifs strictement paritaires. Quelque 1 500 femmes entreront ainsi dans ces assemblées départementales, et la moitié d’entre elles obtiendront des responsabilités exécutives. De la même manière, nous abaissons le seuil démographique des communes soumises au scrutin de liste.

M. Patrice Verchère. Scandaleux !

M. Carlos Da Silva. Ce sont, là encore, des milliers de femmes qui entreront dans les conseils municipaux.

Enfin, nous instaurons l’égalité devant le suffrage. À peine retouchée depuis près de deux siècles, la carte cantonale actuelle comporte encore trop de disparités pour être laissée en l’état. Alors que l’égalité devant le suffrage est inscrite à l’article 3 de notre Constitution,…

M. Patrice Verchère. Tripatouillage !

M. Carlos Da Silva. …il existe actuellement des cantons quarante-sept fois plus peuplés que d’autres, au sein du même département. Nous ne pouvions accepter plus longtemps cet état de fait. C’est ainsi que, pour éviter le redécoupage arbitraire des territoires, nous avons imposé des cadres nécessaires au respect des logiques territoriales locales…

M. Patrice Verchère. Mensonges !

M. Carlos Da Silva. …et nous avons choisi à l’unisson de nos collègues sénateurs d’arrêter une marge de plus ou moins 30 % entre la population d’un canton et la population moyenne de l’ensemble des cantons du département.

Pour toutes ces raisons, nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les députés du groupe UMP, unanimes, voteront contre ces projets de loi de régression. Et nous appelons tous les élus des territoires de France à dire non à cette contre-réforme électorale qui oublie l’intérêt général.

Le combat ne fait que commencer car, messieurs les députés du groupe socialiste, vous vous trompez !

Vous êtes les seuls à approuver cette manipulation électorale, qui non seulement est combattue par l’opposition UMP et UDI, non seulement a été rejetée à deux reprises dans son principe par le Sénat, mais est désapprouvée ici même par vos alliés habituels dans cet hémicycle, et suscite une très large incompréhension dans notre pays.

Vous vous trompez lorsque vous semblez oublier que les Français souffrent un peu plus chaque jour des erreurs économiques et fiscales que vous avez votées.

Un député du groupe UMP. Parfaitement !

M. Guillaume Larrivé. Vous vous trompez lorsque vous reportez, mois après mois, semaine après semaine, un indispensable travail sur l’organisation des régions, des départements et des intercommunalités, des communes pour améliorer la compétitivité des territoires.

Vous vous trompez lorsque vous refusez de rapprocher les régions et les départements en ne permettant pas le remplacement des élus régionaux et départementaux par des conseillers territoriaux.

Vous vous trompez lorsque vous décidez de créer aujourd’hui 2 650 postes de conseillers régionaux et départementaux de plus que le nombre d’élus territoriaux qui était jusqu’alors prévu.

M. Bernard Accoyer. C’est de la folie !

Plusieurs députés du groupe UMP. Gaspillage !

M. Guillaume Larrivé. Vous vous trompez lorsque vous accumulez les manœuvres censées favoriser vos intérêts électoraux.

Vous vous trompez lorsque vous choisissez, sans aucun motif d’intérêt général, de reporter à 2015 les élections départementales et régionales qui devaient se tenir dans onze mois.

Vous vous trompez lorsque vous tentez de changer les règles d’élection du Sénat, car ce n’est pas ainsi que vous retrouverez une majorité sénatoriale qui a d’ores et déjà éclaté sous le poids de vos incohérences et de vos renoncements.

Vous vous trompez lorsque vous inventez, dans les départements, un mode de scrutin bizarre dont le seul intérêt est de vous permettre de redécouper à votre guise tous les cantons de tous les départements de France.

M. Christophe Borgel. Ce n’est pas vrai !

M. Guillaume Larrivé. Vous vous trompez encore lorsque vous faites le choix de l’opacité en refusant le regard extérieur d’une commission pluraliste.

Vous vous trompez lorsque vous décidez de supprimer des conseillers généraux dans les campagnes, là où ils sont utiles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), pour multiplier les conseillers départementaux dans les villes, là où leur valeur ajoutée est incertaine.

Vous vous trompez lorsque vous choisissez de détruire le lien organique, presque charnel, entre les départements et la ruralité.

Vous vous trompez, en un mot, lorsque vous oubliez l’histoire et la géographie.

Vous vous trompez lorsque vous cherchez à politiser les élections municipales dans les petits villages en y étendant les scrutins de liste dès 500 habitants, malgré l’opposition résolue de l’Association des maires de France.

Vous vous trompez encore lorsque, à Paris, avec un cynisme inégalé, vous osez supprimer des élus dans des arrondissements traditionnellement à droite pour en créer dans des arrondissements jusqu’alors acquis à la gauche.

Vous vous trompez enfin, mesdames et messieurs de la majorité socialiste, lorsque vous semblez espérer que les Français ne vous tiendront pas rigueur de toutes ces manipulations.

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Guillaume Larrivé. Ouvrez les yeux ! Dans une démocratie moderne, les citoyens ne sont pas dupes ! Nos compatriotes sauront deviner vos manœuvres. Vos textes de convenance électorale se retourneront contre vous.

Vous ne gagnerez rien à essayer de manipuler les futures élections locales.

Vous ne gagnerez rien à oublier l’intérêt général.

Vous ne gagnerez rien, mesdames et messieurs les députés socialistes, à tenter d’esquiver le verdict des urnes et la sanction des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Votes sur l’ensemble

M. le président. Je mets d’abord aux voix le projet de loi ordinaire.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 542

Nombre de suffrages exprimés 507

Majorité absolue 254

(Le projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. Un peu de calme, s’il vous plaît… Je mets maintenant aux voix le projet de loi organique.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 546

Nombre de suffrages exprimés 510

Majorité absolue 256

(Le projet de loi organique est adopté.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Sécurisation de l’emploi

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (nos 774, 847, 839).

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour un rappel au règlement.

M. Marc Dolez. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 1er, de notre règlement.

Je pense que nous ne pouvons pas valablement commencer nos travaux sans avoir éclairci une question majeure, qui touche aux prérogatives du Parlement telles que fixées par l’article 34 de la Constitution.

Dans son intervention télévisée, jeudi dernier, le Président de la République a indiqué que toute correction de l’accord qui nous est présenté aujourd’hui devrait recueillir l’accord des signataires. Dans la pratique, cela revient à accorder au MEDEF un droit de veto sur les dispositions que nous pourrions adopter. Une telle injonction est évidemment inacceptable, d’autant qu’une partie du texte porte sur les conditions et les modalités d’accès au juge, sur des droits fondamentaux, qu’elle concerne des dispositions générales d’ordre public.

Tout à l’heure, monsieur le ministre du travail, vous nous avez rappelé la suprématie de la loi. Le problème est que, si le texte qui nous est présenté aujourd’hui est adopté en l’état, c’est précisément la suprématie de la loi qui sera bafouée. En effet, le principe de faveur, que nous avons hérité du Front populaire, sera remis en cause, et un accord d’entreprise pourra déroger à la loi dans un sens défavorable au salarié. La réponse que vous avez donnée tout à l’heure n’était donc pas satisfaisante.

C’est la raison pour laquelle je souhaite, compte tenu de la gravité de la question et des déclarations du Président de la République, que le Premier ministre vienne véritablement s’expliquer sur cette question devant l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. J’entends votre demande, monsieur le député, mais, pour le moment, je vais donner la parole à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je suis sûr qu’il aura l’occasion, au cours de son intervention, d’aborder une nouvelle fois la question que vous venez de poser.

M. Marc Dolez. Si c’est pour qu’il fasse la même réponse que tout à l’heure…

M. le président. Écoutons-le d’abord ! (Sourires)

Présentation

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les députés, j’ai aujourd’hui l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet relatif à la sécurisation de l’emploi, issu de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013.

Nous allons avoir, et j’en suis heureux, une discussion sur le contenu précis, technique, de chacun des articles de ce projet. Elle permettra, j’en suis sûr, de dissiper des malentendus, s’il en existe, ou de récuser des interprétations erronées de ce projet, s’il en existe aussi. Mais je ne suis pas d’abord un technicien – vous non plus –, je suis un politique – vous aussi. Je vous parlerai donc d’abord du sens politique de cette grande avancée.

Dans la période très difficile que nous vivons, où certains aiment à parler de sang, de sueur et de larmes, je suis venu pour proposer du sens, des lueurs – d’espoir – et des armes – contre le chômage.

Je veux le dire avec des mots simples : mesdames et messieurs les députés, vous avez dans les mains l’un de ces textes qui laissent leur empreinte dans une législature. Je ne sais si l’accord qui inspire cette loi est historique – mieux vaut rester modeste devant l’histoire et son jugement –, mais un événement qui ne se produit que trois ou quatre fois par siècle ne saurait être insignifiant. L’accord du 11 janvier 2013, je le sais, fera date.

M. André Chassaigne. Malheureusement !

M. Michel Sapin, ministre. Avant d’y venir, je vous engage à regarder quelques années en arrière.

Nous sommes le 16 décembre 1984. Au terme de six mois d’intenses discussions, au bout d’une de ces nuits tendues dont la négociation sociale a le secret, un protocole d’accord interprofessionnel sur l’organisation du travail semble être trouvé, mais, après de rudes débats internes, les centrales retirent une à une leur promesse de signature. Un responsable de l’époque résume la situation : « Nous avons été à deux doigts de réussir ce qui aurait peut-être tout changé. » Les conséquences de cet échec se feront longtemps sentir, plongeant la négociation dans une longue phase de glaciation, incapable de traiter à nouveau ensemble tous les enjeux de l’emploi, n’avançant plus que par petits pas et sans vision refondatrice.

Mesdames et messieurs les députés, je vous propose aujourd’hui ce que je considère être une réussite.

Après plusieurs décennies d’avancées réelles mais partielles, d’échecs ou de renoncements, l’accord national du 11 janvier 2013 montre que notre pays n’a pas peur de se libérer de ce qui l’entrave, d’ouvrir des voies nouvelles, de prendre à bras-le-corps les principaux enjeux de notre marché du travail pour fonder un équilibre neuf, un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent n’est pas ce que les autres perdent, mais qui ouvre, comme j’aime à le dire, un nouveau champ de possibles, un équilibre qui apporte – enfin, dirais-je – une réponse conciliant le besoin d’adaptation des entreprises et l’aspiration des salariés à la sécurité de leur emploi. L’accord puis le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi prennent de front les problèmes que notre société traîne depuis trop longtemps : la lutte contre la précarité du travail, la déshérence du contrat à durée indéterminée, les droits individuels et collectifs, l’anticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder l’emploi dans une conjoncture difficile, la nécessaire refonte des procédures de licenciements collectifs.

Oui, mesdames et messieurs les députés, la France est capable de se réformer profondément, et elle est capable de le faire par le dialogue.

Derrière l’accord, derrière la loi, il y a une méthode, ce que j’appelle de manière un peu triviale le dialogue social à la française. « Dialogue social », chacun voit ce que cela veut dire. « À la française » mérite évidemment une explication.

Le XXe siècle a vu – mais est-ce fini ? – deux gigantesques forces s’opposer : le marché et l’État. Tantôt l’une s’est imposée, tantôt l’autre, mais dans les deux cas la société a souvent été dominée, et ses acteurs sociaux, ses corps intermédiaires – si décriés par certains il y a peu – ont manqué d’espace pour s’exprimer. Le dialogue social, c’est donner la parole à ces acteurs légitimes qui trop souvent n’y ont pas droit, soumis à la dure main invisible du marché ou à la froide rigueur étatique, c’est donner la parole à ceux qui sont les mieux placés, les mieux à même de savoir ce qu’ils veulent, ce qu’ils sont prêts à concéder et ce sur quoi ils ne céderont jamais.

Telle était déjà l’inspiration des lois Auroux dont nous venons de fêter les trente ans.

M. Régis Juanico. Très bonnes lois !

M. Michel Sapin, ministre. Jeune député à l’époque, j’ai eu la chance de faire partie de ceux qui ont vécu ce moment historique où nous avons ouvert des droits collectifs nouveaux dans les entreprises, en particulier celui de négocier, celui précisément d’affirmer cette capacité des travailleurs à peser sur leur destin, pas seulement par leur capacité à résister mais aussi par leur capacité à construire, à définir eux-mêmes les compromis acceptables et à déterminer lesquels sont inacceptables. Ces lois Auroux, c’était la naissance d’un droit et d’un pouvoir.

C’est aujourd’hui de l’exercice de ce droit et de l’affermissement de ce pouvoir qu’il s’agit. Je suis heureux et fier, trente ans plus tard, de défendre devant vous ce texte, né du dialogue social, ce texte pour de nouveaux droits des salariés et pour un pouvoir renforcé des travailleurs.

Quand beaucoup s’effrayaient, il y a trente ans, les plus éclairés des dirigeants d’entreprise avaient déjà perçu la modernité de ces avancées pour le progrès de l’entreprise et de sa performance. La signature apposée par les organisations patronales en bas de l’accord du 11 janvier dernier montre le chemin parcouru pour reconnaître la négociation d’entreprise comme un levier du changement, plus sûr que le conflit, plus juste que l’exercice solitaire du pouvoir patronal.

Dans le monde patronal, dans le monde syndical, dans le monde politique, ici même – j’en suis sûr – sur les bancs de l’Assemblée nationale, je sais que tout le monde ne partage pas cette vision. Tout le monde ne croit pas au dialogue social, à sa force, à sa légitimité.

Ceux qui contestent aux syndicats – même aux syndicats majoritaires – cette capacité et cette légitimité, ceux qui les voient comme des idéologues irresponsables et archaïques, des empêcheurs de tourner en rond, qui leur dénient le droit d’intervenir dans la vie de l’entreprise au nom des salariés, ceux-là combattront cette loi, ceux-là regretteront le temps prétendument perdu à discuter avec les représentants du personnel, ceux-là parleront peut-être de big bang social et libéral, de retour à l’absolutisme patronal érigé en modèle. Ceux-là regarderont avec mépris cet accord du 11 janvier et ce projet de loi.

M. André Chassaigne. Non, justement !

M. Michel Sapin, ministre. Ils appelleront de leurs vœux une autre loi pour défaire notre code du travail.

D’autres contestent aux syndicats – mêmes majoritaires — cette capacité et cette légitimité, pour d’autres raisons, parce qu’ils les considèrent comme exposées au risque de devenir des marionnettes entre les mains des patrons, des salariés incapables de s’affirmer ou d’entrer dans un rapport de force, ou, pire, encore des « jaunes ». Ceux-là aussi combattront cette loi. Ils appelleront peut-être à faire barrage à la reprise dans la loi de l’accord — majoritaire – du 11 janvier qui, justement, accroît le pouvoir des représentants du personnel dans l’entreprise.

Ce sont les mêmes, les uns et les autres, qui combattaient hier les lois Auroux ! Si nous les suivions dans cette voie, la notion même d’accord d’entreprise et la légitimité des acteurs seraient mis en cause. Les salariés n’auraient plus qu’à tout attendre de la loi, les patrons qu’à exercer librement et absolument leur rapport de force.

Ce n’est pas ma vision. Ce n’est pas notre vision.

Soyons clairs : je ne suis pas un « bisounours » (Sourires), comme le disait avec le sourire que chacun lui connaît un grand dirigeant syndical, Bernard Thibault, à qui je veux dire ici mon estime et mon amitié, par-delà notre désaccord sur le texte. Je comprends que certains aient des craintes, car des forces contraires s’exercent dans l’entreprise, parfois puissamment. Je sais que nous avons besoin d’un ordre public social et d’une hiérarchie des normes, qui ne sont d’ailleurs en rien remis en cause par le projet de loi.

M. André Chassaigne. Ah si ! Et complètement !

M. Michel Sapin, ministre. Je n’ai jamais cédé à cette illusion naïve de l’égalité des forces. Je n’ai jamais cru qu’il n’y ait pas de divergence d’intérêts entre les employeurs et les salariés. Au contraire, c’est parce que des intérêts différents existent que l’on doit chercher et trouver des compromis qui les transcendent.

La négociation n’est pas l’effacement des divergences, elle en est le dépassement. Et je prétends que cet accord et cette loi aideront à ce dépassement en donnant de nouvelles armes aux salariés et à leurs représentants.

Demain, mesdames et messieurs les députés, le dialogue social à la française devra, plus encore, prendre toute sa place. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a proposé qu’il entre dans notre Constitution. « Du dialogue social préalable à la loi » : tel est le titre que le projet de loi constitutionnelle propose d’ajouter à notre loi fondamentale. Nous aurons l’occasion de débattre bientôt de cette avancée majeure, qui permettra de reconnaître pleinement le rôle de tous les acteurs qui concourent à la souveraineté de la loi dans le champ du social, un projet qui fera de la démocratie sociale, en quelque sorte, la sœur cadette de la démocratie politique, toutes deux unies par le sang d’une même filiation : la République.

M. Marc Goua. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. Le texte qui nous occupe aujourd’hui en est une préfiguration. Mesdames et messieurs les députés, la démocratie sociale frappe à notre porte, elle demande la confiance des représentants de la nation.

Mais donner toute sa place à la démocratie sociale n’est pas renoncer à la démocratie politique. Nous ne sommes pas un pays scandinave, ni l’Allemagne où la cogestion se pratique presque indépendamment de la politique.

Dans notre France, c’est d’abord une impulsion politique qui a donné l’élan au dialogue social.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Tout à fait !

M. Michel Sapin, ministre. Je veux parler ici de la grande conférence sociale de juillet dernier, qui a largement rassemblé, au lendemain d’une alternance politique voulue par les Français, les acteurs sociaux, pour mettre en commun leurs constats et fixer une feuille de route commune.

En inaugurant cette conférence sociale, le Président de la République en a fixé le cap : il s’agit de « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour l’emploi ». Le Gouvernement a ensuite élaboré le document d’orientation de la négociation. Cet acte politique engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord « gagnant-gagnant » sur tous les sujets à la fois, dans le cadre d’un cahier des charges large et ambitieux. Il engageait aussi l’État à mettre en œuvre les changements législatifs et réglementaires qui découleraient d’un accord. Ce double engagement articule dans les faits la démocratie politique et la démocratie sociale, un établissant entre elles un pacte de confiance.

Par la suite, est venu le temps du dialogue social. Quatre mois de négociations intenses, avec des blocages, des percées et des controverses, ont précédé l’accord du 11 janvier. La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui des acteurs politiques. Écrire la loi, c’est l’une de nos plus belles missions.

À cet instant, le Gouvernement et le Parlement partagent un double devoir politique. Je m’adresse, en disant cela, à tous députés, d’un bord à l’autre de cet hémicycle. Nous avons d’abord un devoir de loyauté vis-à-vis des signataires de l’accord, qui se sont engagés en apposant leur signature au bas d’un compromis négocié, dont chaque mot, chaque chiffre, chaque paramètre, a été pesé et équilibré. Cet équilibre doit être respecté, même si chacun peut émettre des réserves sur telle ou telle disposition, selon sa sensibilité ou son groupe politique, exactement comme le MEDEF, la CFDT, la CGPME, la CFE-CGC, l’UPA ou la CFTC peuvent chacun regretter que la totalité de son propre cahier revendicatif n’ait pas été reprise dans l’accord.

M. André Chassaigne. Il s’agit donc d’un mandat impératif !

M. Michel Sapin, ministre. Un compromis social, c’est cela : tous ceux qui ont fait du syndicalisme le savent !

Cet équilibre doit être respecté sous peine de tuer toute démarche fondée sur le dialogue social dans le futur : si l’accord ne vaut rien, si son contenu peut être complètement redéfini, à quoi bon négocier et s’engager en le signant ? Sur ce point, votre responsabilité est immense, et dépasse la portée même de ce texte. Je suis certain que vous en êtes conscients.

Après le devoir de loyauté, notre second devoir est celui de l’écoute et de la transparence vis-à-vis des syndicats non signataires, CGT et Force Ouvrière. Ils ont participé à la négociation, y ont contribué, bien qu’ils n’adhèrent pas, cette fois-ci, à l’équilibre final. Je dis bien « cette fois-ci » : il y a peu, nous avons examiné le projet de loi sur le contrat de génération, qui est issu d’un accord unanime.

M. André Chassaigne. Le projet a été amendé !

M. Michel Sapin, ministre. Je suis certain qu’à l’avenir nous examinerons d’autres projets de loi issus d’un accord unanime entre organisations syndicales.

Le fait que les non-signataires soient minoritaires – que ce soit au regard des règles actuellement en vigueur ou au regard des futures règles de représentativité fondées sur les mesures d’audience qui ont été dévoilées vendredi dernier – ne change rien à la nécessité de les écouter. Mais le fait d’être minoritaire ne confère pas pour autant à ces organisations – dont je respecte tout à fait, comme elles le savent bien, la liberté de choix – une légitimité supérieure à celle des organisations majoritaires qui ont signé ce texte, et pris le risque du compromis en considérant qu’il fait avancer les droits des salariés et l’emploi dans notre pays. Pardonnez-moi de le rappeler !

Nous savons, dans cette enceinte, ce que veut dire le respect de la minorité. Nous savons aussi ce que signifie la légitimité de la majorité à assumer ses choix. Je me réjouis, comme vous, que ces principes démocratiques fondent désormais la représentativité des organisations syndicales, comme l’avaient voulu la CGT et la CFDT dans leur déclaration commune de 2008. La démocratie sociale n’en sera que plus forte.

C’est donc ce double esprit de loyauté et d’écoute qui a animé le Gouvernement dans le passage de l’accord au projet de loi. Je suis ministre du dialogue social : comment aurais-je pu vous présenter un projet de loi défaisant ou dénaturant un accord social valablement conclu ? Cela aurait déconsidéré et affaibli des acteurs qui ont au contraire besoin d’être confortés. Cela aurait condamné le dialogue social à errer quelque part entre inutilité et perte de temps. La démocratie sociale ne consiste pas à organiser des palabres sans conséquences avant que ne commencent les choses sérieuses, c’est-à-dire avant que le Gouvernement et le Parlement proposent et décident d’un projet différent.

M. André Chassaigne. Là n’est pas la question !

M. Michel Sapin, ministre. Pour avoir été parlementaire de longues années, je sais la difficulté de faire la loi.

Mme Jacqueline Fraysse. Nous aussi !

M. Michel Sapin, ministre. J’étais présent à l’Assemblée nationale au moment de l’adoption des lois Auroux en 1982 : je peux en témoigner. Peut-être certains se demandent-ils quelle est l’utilité d’un accord social quand on peut intervenir en légiférant. Ma réponse est la suivante : je suis intimement convaincu que le dialogue social donne une force différente, mais considérable, à la loi. En effet, l’accord social est le mieux à même de trouver le bon point d’équilibre : il fait des parties prenantes, non les exécutants d’une loi, mais les acteurs d’un changement désiré et décidé par eux-mêmes. Ce changement entrera donc plus sûrement et plus vite dans les faits. Les compromis auxquels l’accord social permet d’arriver sont durables, et résisteront au temps et aux alternances. En somme, l’accord social est utile tout simplement parce qu’il est légitime !

L’accord du 11 janvier n’est cependant pas parfait. C’est normal, compte tenu de son ampleur et de la complexité des sujets qui ont été traités dans des délais courts. Il faut dire aussi que certaines ambiguïtés ont été conservées, parfois à dessein, pour ne pas compromettre la signature de l’accord. De fait, on a ainsi renvoyé au Gouvernement et au Parlement le soin de les lever. Là où l’accord du 11 janvier laissait des ambiguïtés ou des incertitudes, là où il était silencieux, le Gouvernement a fait des choix clairs.

Le Conseil d’État a également joué son rôle en validant la pertinence juridique de la quasi-totalité des dispositions du projet, tout en alertant le Gouvernement sur les risques que pourraient faire courir certaines d’entre elles. Le Gouvernement, dans un souci de sécurité maximale pour les entreprises comme pour les salariés, a suivi ses recommandations. Un certain nombre de précisions ont donc été apportées sur la complémentaire santé, sur les modalités de désignation des salariés dans les conseils d’administration et sur les accords de mobilité. J’y reviendrai. Nous avons apporté ces précisions en toute transparence, dans le seul souci de retenir l’option la plus favorable à la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels et la plus conforme à l’intérêt général.

Vous êtes désormais, mesdames et messieurs les députés, saisis de ce projet de loi. La souveraineté nationale va maintenant s’exprimer dans sa plénitude. Elle n’est pas réduite, mais enrichie par le dialogue social. Elle n’est pas contrainte, mais guidée par cette démarche de loyauté et d’écoute. Elle est légitime par principe, mais le sera d’autant plus qu’elle aura à cœur de respecter l’accord signé. Son pouvoir n’est pas diminué, mais au contraire renforcé, car cette évolution de la société s’appuie sur les forces mêmes de la société.

Mesdames et messieurs les députés, vous avez abordé ce texte en commission de la bonne façon, en apportant des précisions utiles sans dénaturer le texte ni modifier son équilibre : je m’en réjouis. Je tiens à rendre hommage au rapporteur de ce projet de loi, Jean-Marc Germain, aux députés qui l’ont assisté dans cette tâche lourde, compte tenu de l’ampleur du texte, ainsi qu’à la commission des affaires sociales et à sa présidente, Catherine Lemorton. Je rends également hommage à la commission des lois, qui s’est emparée de l’article 5, à propos de la représentation des salariés dans les conseils d’administration : je remercie son président, Jean-Jacques Urvoas, et son rapporteur, Jean-Michel Clément. Je salue de même la délégation aux droits des femmes, sa présidente Catherine Coutelle et ses rapporteurs, Christophe Sirugue et Ségolène Neuville. Je remercie enfin l’ensemble des groupes politiques.

Au cours de l’examen de ce texte, quelque chose s’est produit. Les députés de chaque groupe politique ont auditionné l’ensemble des acteurs, ont discuté, ont confronté les positions, et sont allés au-delà des présupposés. Nous savons tous qu’il fut un temps, autrefois, où le patronat parlait seulement à la droite, et la CGT au seul parti communiste. Ce temps est révolu, et il faut s’en réjouir.

J’en viens maintenant au contenu du projet de loi. Pour l’examiner, une seule question vaut ; c’est la seule que se posent et que nous posent nos concitoyens : comment sécuriser l’emploi ? Le projet de loi apporte trois types de réponses à cette question. Il comporte des dispositions visant, premièrement, à faire reculer la précarité ; deuxièmement, à créer des droits nouveaux, individuels et collectifs, pour les salariés ; troisièmement, à développer des outils de préservation de l’emploi dans un contexte économique difficile.

Aujourd’hui, plus de huit embauches sur dix sont conclues au moyen d’un contrat précaire. Jamais cette proportion n’a été aussi élevée. Le nombre de CDD très courts, de moins d’un mois, a explosé. Il a doublé depuis dix ans.

M. Jean-Luc Laurent. C’est un vrai drame !

M. Michel Sapin, ministre. Le CDI a cessé d’être la norme. Un véritable dualisme s’est installé dans notre marché du travail, dont les premières victimes sont les jeunes et les femmes. C’est la première des insécurités de l’emploi, et donc le premier défi que doit relever ce projet de loi pour la sécurisation de l’emploi.

Agir contre la précarité, c’est d’abord encourager le recours au contrat à durée indéterminée en modulant les cotisations d’assurance chômage. Dès le 1er juillet, ces cotisations augmenteront pour les CDD, en particulier pour les CDD courts. Elles diminueront pour les embauches de jeunes en CDI. Ce mécanisme vertueux de modulation était évoqué depuis plus de vingt ans. Il sera enfin réalisé !

M. Jean-Luc Laurent. Voilà une bonne chose !

M. André Chassaigne. On verra le résultat !

M. Michel Sapin, ministre. Au sein de l’UNEDIC, les partenaires sociaux fixeront les taux de cette modulation. L’accord du 11 janvier en donne les paramètres. Les partenaires sociaux auront à cœur d’en mesurer les effets et pourront, sur la base du principe fixé par la loi, les faire évoluer s’ils le souhaitent. De même, ils seront attentifs à ce que les négociations pour une meilleure sécurisation dans la branche du travail temporaire portent les fruits attendus, et en tireront les conséquences. Le Gouvernement, lui aussi, y sera particulièrement attentif tout comme – j’en ai l’intuition – les parlementaires.

M. Jean-Luc Laurent. Ça, c’est sûr !

M. Michel Sapin, ministre. Agir contre la précarité, c’est également instaurer des droits rechargeables à l’assurance chômage. Ils seront mis en place par la prochaine convention d’assurance chômage, à l’automne prochain. L’accord permettra une amélioration substantielle de la prise en charge des salariés aux parcours heurtés, qui passent trop souvent par la case chômage.

Prenons un exemple. Aujourd’hui, après dix ans passés au sein de la même entreprise, un salarié licencié se voit ouvrir un droit à indemnisation de vingt-quatre mois. Après six mois de recherche, il décroche un CDD de six mois, moins bien payé. Que faire ? L’accepter ? Mais s’il n’est pas reconduit, les douze mois d’indemnisation dont il peut bénéficier au titre de son premier emploi risquent d’être perdus. Demain, grâce à ce projet de loi, ces droits seront conservés.

Agir contre la précarité, c’est aussi prendre des mesures relatives au temps partiel, dont vous savez bien qu’il est trop souvent subi. Le projet de loi constitue à cet égard une avancée importante, puisqu’il fixe une durée de travail minimale hebdomadaire de 24 heures, limite les horaires dispersés et instaure une majoration salariale dès la première heure complémentaire effectuée. Cela doit permettre d’augmenter les revenus des personnes concernées, mais aussi d’améliorer leur accès aux droits sociaux. Cet accès est soumis à un système de seuils, qu’il s’agisse des indemnités journalières en cas de maladie, de la couverture chômage, de la formation professionnelle et de la validation au titre de la retraite. Désormais le « petit » temps partiel ne sera possible qu’à titre dérogatoire, à la demande du salarié ou par accord de branche, si, et seulement si, l’organisation du travail est revue pour éviter les horaires dispersés.

Ce progrès profitera tout particulièrement aux femmes, qui sont les premières touchées par le temps partiel subi. En ce sens, il est une avancée supplémentaire vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Bien sûr, un tel changement ne sera pas simple à réaliser dans un certain nombre de secteurs d’activité qui reposent intrinsèquement sur le temps partiel. Nous en débattrons. Quoi qu’il en soit, les partenaires sociaux se sont montrés ambitieux : suivons-les !

Au passage, je ne résiste pas à glisser un mot pour souligner les points communs, mais aussi les différences, avec la réforme du marché du travail conduite en Allemagne il y a quelques années, et que d’aucuns aiment à citer en exemple. Aux côtés d’actions de sauvegarde de l’emploi très remarquables et très efficaces dont nous pouvons nous inspirer, nos amis allemands ont développé une stratégie de « petits boulots » précaires et sans droits, qui a créé une dualité socialement insupportable sur laquelle, d’ailleurs, ils s’efforcent aujourd’hui de revenir. L’accord du 11 janvier et le projet de loi tournent le dos à cette approche de précarisation absolue et renforcent, au contraire, les droits des précaires, tirant, sur ce point également, les leçons de l’expérience allemande.

Sécuriser l’emploi passe aussi par des droits nouveaux pour les salariés qui en sont privés, notamment les précaires ou les salariés des petites entreprises. Le premier de ces droits, c’est le droit à santé via la généralisation et la portabilité de la couverture complémentaire collective. Les situations de renoncement aux soins pour des raisons financières sont insupportables et nous blessent tous dans nos convictions. Aujourd’hui, quatre millions de salariés n’ont pas accès à une complémentaire collective cofinancée par leur employeur, et plus de 400 000 salariés se passent – involontairement – de complémentaire faute de pouvoir y souscrire individuellement. Ce n’est plus admissible ! Ces salariés, qui sont-ils ? Pas des cadres ou des salariés de grandes entreprises : ce sont les précaires, les mères célibataires, tous ceux qui alternent petits boulots et périodes de chômage. C’est pour eux que nous agissons et c’est pour eux que la complémentaire obligatoire – qui n’est ni un gadget ni un luxe – a du sens.

M. Denys Robiliard. Un grand progrès !

M. Michel Sapin, ministre. La négociation sera privilégiée pour mettre en place cette complémentaire, mais, si aucun accord de branche puis d’entreprise n’est trouvé d’ici là, sa mise en place sera effective au 1er janvier 2016. Elle n’a donc rien de virtuel, pas plus qu’elle ne sera une manne pour les assurances privées. En effet, les branches pourront émettre des recommandations sur le choix de l’organisme et, si les partenaires sociaux le souhaitent, ils pourront désigner, après une mise en concurrence effective et transparente, des organismes assurant un régime mutualisé au sein de la branche.

M. Bernard Perrut. C’est essentiel !

M. Michel Sapin, ministre. Je sais que nous aurons des débats sur ce point,…

M. Marc Dolez. Eh oui !

M. Michel Sapin, ministre. …qui fait partie de ceux sur lesquels le projet de loi a dû clarifier un texte parfois contradictoire et donc inapplicable.

Une autre avancée est très importante : le compte personnel de formation transférable qui suivra le salarié tout au long de son parcours, celui-ci fût-il fait de multiples changements. Aujourd’hui, quitter son emploi occasionne souvent une perte des droits à la formation, alors que c’est à ce moment que celle-ci est la plus nécessaire. Voilà une réponse par le haut, en phase avec de nouvelles réalités du travail, la fin de la carrière à vie, « les quarante ans dans la même boîte » ! Cette approche, nous sommes nombreux, sur tous ces bancs, à en rêver depuis des années.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Absolument !

M. Michel Sapin, ministre. Objet de colloques innombrables, objet de revendications de toutes les organisations syndicales depuis des années, attente de nos concitoyens : ce sera demain, grâce à vous, une réalité !

Le projet de loi pose les principes fixés par l’accord, mais, sur ce socle, l’édifice à construire va mobiliser à nouveaux les partenaires sociaux – tous les partenaires –, les régions, l’État, pour aller vers ce compte personnel universel qui sera un pilier central de la « sécurité sociale professionnelle ». Ce chantier est bien engagé grâce à l’accord du 11 janvier et au présent projet de loi. Des amendements déposés à l’article 2 permettront d’aller plus loin dans la précision des principes de ce compte et dans ses modalités de mise en œuvre. Dans ce même esprit de sécurisation, le texte crée un droit à la mobilité professionnelle sécurisée pour pouvoir tenter une expérience dans une autre entreprise et revenir ou rester, selon le souhait du salarié, ou encore un conseil en évolution professionnelle. Voilà le sens d’une loi qui sécurise l’emploi !

Au-delà de ces progrès, que les partenaires sociaux comme le Gouvernement ont voulus, la profonde nouveauté de ce texte est de donner aux acteurs économiques et sociaux la capacité de préserver ensemble l’emploi. Aujourd’hui, faute d’anticipation suffisante des évolutions de l’activité et des compétences, faute d’information satisfaisante des salariés, faute aussi de négociations entre partenaires sociaux dans les entreprises, celles-ci n’anticipent pas assez les crises et les difficultés ou gardent secrète la réalité de la situation jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Alors, une fois au pied du mur, il n’y a plus qu’une seule solution : licencier. On commence par les intérimaires et les CDD, puis on taille dans la masse. La faiblesse de notre marché du travail est essentiellement là : l’emploi est trop souvent la variable d’ajustement, la flexibilité externe est privilégiée.

M. André Chassaigne. Elle le sera encore davantage !

M. Michel Sapin, ministre. C’est ce que j’appelle la « préférence française pour le licenciement ».

Le sens de ce projet de loi, c’est de changer cette donne de courte vue qui ne sert personne : ni les entreprises, ni les travailleurs ! Ce texte donne les moyens d’agir ensemble. Il offre des alternatives au licenciement. Ce sont les accords de maintien de l’emploi, l’activité partielle, la mobilité interne et externe.

Voilà jetées les bases du nouveau modèle français, un modèle capable de rechercher plus de compétitivité en combattant l’insécurité juridique et la peur d’embaucher, mais qui le fait non pas en précarisant davantage, mais en anticipant davantage, en sécurisant davantage les parcours professionnels, tout en apportant des garanties collectives nouvelles.

À ceux qui rêvent, et il en existe, d’un big bang social, d’un « grand soir » de la flexibilité, je réponds que la réalité s’est dérobée sous leurs pieds ce soir du 11 janvier 2013. Ils croient incarner la modernité, ils sont en vérité terriblement archaïques, si loin de ce que les acteurs économiques et sociaux eux-mêmes sont capables de construire ensemble. Ils croyaient que notre pays ne pouvait pas se réformer par le dialogue. Ils avaient tort. Leurs appels à une « hyper-flexibilité » du marché du travail ont été défaits par les acteurs eux-mêmes, patronat et syndicats, tout simplement parce que ceux qui voulaient ce big bang de la flexibilité n’ont pas compris ce qu’est la réalité des entreprises aujourd’hui.

Les entreprises ne cherchent pas la flexibilité à tout prix, elles ont avant tout besoin de stabilité juridique. Elles ne cherchent pas tant à licencier facilement qu’à gérer leurs talents et leurs compétences avec des capacités d’adaptation et de mobilité. Elles ne cherchent pas une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci, mais comprennent l’intérêt d’avoir des salariés mieux formés et mieux protégés. C’est tout cela que nous dit, aussi, l’accord du 11 janvier.

Notre société est, me semble-t-il, fatiguée de la défiance. Avec cet accord, nous ouvrons, je l’espère, un cycle de confiance ! C’est de cela que la société a besoin, et non d’une flexibilisation sans contreparties, qui noierait les travailleurs dans la précarité. Ce que nous recherchons, c’est un véritable accord de société.

Que l’on ne se méprenne pas sur le sens des dispositions dont nous parlons : il ne s’agit pas d’un échange entre la flexibilité pour les entreprises et la sécurité pour les salariés, ni de l’inverse : la flexibilité pour les salariés et la sécurité pour les entreprises. Ce serait une vision réductrice et erronée. Ici, chacun peut gagner sur les deux tableaux. Le texte apporte aux salariés davantage de protection de leur emploi ou de leur parcours, tout en leur donnant des marges d’évolution nouvelles. L’accord donne aux entreprises des marges d’adaptation accrues – chômage partiel, maintien de l’emploi – et apporte aux salariés plus de sécurité juridique sur les délais et les procédures. Il y a, pour tous, à la fois plus de capacité d’adaptation et plus de sécurité.

Je suis foncièrement convaincu que ceux qui prônent la flexibilité poussée à l’extrême n’ont pas compris ce qu’est la France d’aujourd’hui, un pays qui a patiemment construit son modèle social.

M. Jean-Frédéric Poisson. De qui parlez-vous ?

M. Jean-Patrick Gille. De vous !

M. Michel Sapin, ministre. Il ne s’agit pas seulement de dispositions sociales ou juridiques, mais d’une part de notre identité. On ne raye pas d’un trait de plume un siècle et demi de combats sociaux pour le dernier terme à la mode, encore moins pour ressembler à un autre pays.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. La France doit tracer sa route, affirmer son modèle, un modèle social made in France et la caractéristique de ce modèle, c’est, d’abord, qu’il est négocié,...

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Très juste !

M. Michel Sapin, ministre. …et j’en viens naturellement aux pouvoirs de négociation qui seront donnés, demain, aux acteurs économiques et sociaux pour anticiper et accompagner les mutations économiques et, in fine, pour sauver et développer les emplois.

Il a fallu de la lucidité et du courage pour, comme l’a écrit Jean Jaurès dans un beau discours rédigé en 1911, « s’arracher à l’ordre des choses ». S’arracher à l’ordre des choses, c’est prendre le pouvoir de négocier. Je le dis aux acteurs : prenez ce pouvoir ! Prenez ce pouvoir d’éviter, par la négociation, que des emplois soient détruits : accords de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, accords de maintien de l’emploi, entrée des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises, meilleure information des institutions représentatives du personnel, possibilité de conclure des accords valant plan de sauvegarde de l’emploi. Voilà les combats qui sont devant nous pour l’emploi. Je sais que c’est sur ces points que se cristallisent les enjeux et aussi les interpellations. Le débat doit avoir lieu, je le souhaite, non sur des slogans ou des approximations, mais sur le contenu réel de la loi et sur la logique politique qui l’anime.

Les accords de maintien de l’emploi permettront, demain, de trouver une alternative au licenciement et au chômage, tout en apportant des garanties solides aux salariés.

Première garantie : la difficulté conjoncturelle de l’entreprise doit être avérée, appuyée sur un diagnostic dressé avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise.

Deuxième garantie : l’accord devra être signé par des syndicats représentant la majorité des salariés, ce qui veut dire que, si le chef d’entreprise veut un accord, il devra convaincre la majorité de s’engager par sa signature.

Troisième garantie : ces accords auront une durée ne dépassant pas deux ans et, dans ce temps imparti, l’entreprise ne pourra pas licencier.

Quatrième garantie : les plus bas salaires, ceux qui se situent en deçà de 1,2 fois le SMIC, ne pourront pas être concernés, même temporairement, et aucun salaire ne pourra être ramené en dessous de 1,2 fois le SMIC ; la commission a apporté, sur ce point, des précisions utiles.

Cinquième garantie, à laquelle je tiens particulièrement : s’ils demandent des efforts aux salariés, les dirigeants et actionnaires devront en faire aussi, notamment en termes de rémunération.

Sixième garantie, enfin : un salarié qui refuserait de se voir appliquer personnellement un tel accord collectif ne pourra être considéré comme « démissionnaire » ni licencié pour motif personnel. Il s’agira d’un licenciement économique avec, évidemment, accès aux mesures de reclassement comme le contrat de sécurisation professionnelle. Voilà qui tranche avec feu les accords « compétitivité-emploi » ! Voilà qui prouve que ce qui vous est proposé aujourd’hui, l’accord de maintien de l’emploi, n’a rien à voir avec eux, d’autant qu’ils sont restés à l’état de projet, faute de partenaires sociaux pour accepter d’en négocier les termes !

Outre les accords de maintien de l’emploi, l’activité partielle sera simplifiée et fondue dans un dispositif unique et lisible. Nous avons besoin d’utiliser davantage ce type de dispositif pour passer les moments difficiles sans sacrifier les compétences accumulées. D’autres que nous en Europe ont su le faire mieux que nous. De ce point de vue, à notre tour, nous pouvons faire mieux !

Autre grande innovation de ce texte : la capacité d’anticipation sera renforcée dans les institutions représentatives du personnel et vis-à-vis des représentants du personnel. Les salariés seront désormais mieux informés et mieux consultés puisqu’ils disposeront d’une base de données qui rassemble et actualise toutes les informations dont ils ont besoin. Ils discuteront des orientations stratégiques de l’entreprise et pourront ainsi, par le débat, peser davantage qu’aujourd’hui sur ces stratégies. Si chacun joue le jeu et se saisit loyalement de ces nouvelles dispositions, la nature du dialogue social interne à l’entreprise en sera profondément changée.

Enfin, des représentants des salariés feront leur entrée dans les conseils d’administration des grandes entreprises et participeront pleinement, comme administrateurs, avec les mêmes pouvoirs que les autres, à la gouvernance de l’entreprise.

Cela existe déjà dans les entreprises publiques, à la satisfaction générale, depuis la loi de démocratisation du service public de 1983, et cette présence a d’ailleurs souvent été conservée après la privatisation, mais, désormais, toutes les grandes entreprises, au-delà de 5 000 salariés en France ou de 10 000 dans le monde, seront concernées. Environ un salarié sur quatre travaille dans ces grandes entreprises.

Je sais les craintes que suscite cette petite révolution pour les conseils d’administration ou de surveillance d’entreprises cotées, où des actionnaires étrangers sont parfois présents à la table du conseil, mais je vous certifie que, dans quelques années, chacun trouvera cette présence naturelle et utile, de même que les lois Auroux apparaissent aujourd’hui à tous comme une évidence.

Il y aura un temps de mise en place, aussi rapide que raisonnablement possible, et un temps d’apprentissage réciproque, mais voilà un progrès décisif de la gouvernance des entreprises.

Je sais l’impatience d’une partie d’entre vous, qui souhaiteriez aller encore plus vite et déjà encore plus loin, le débat en commission en témoigne. Nous en discuterons, mais mesurez d’ores et déjà l’avancée majeure que représente cette entrée des salariés dans les conseils d’administration.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très juste !

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas un modeste premier pas, c’est une percée décisive, dont les modalités pourront naturellement évoluer dans le temps après la phase d’appropriation nécessaire.

Après la lutte contre la précarité, les droits nouveaux, la mobilité, les outils de maintien de l’emploi, l’anticipation et la gouvernance, j’en viens à la façon de gérer les restructurations lorsque, hélas, il n’est plus possible d’éviter des suppressions d’emploi, et nous allons parler des nouvelles modalités de licenciement collectif.

L’accord du 11 janvier et le présent projet de loi refondent radicalement la méthode et la procédure de ces licenciements collectifs.

Dans le cas d’un projet de fermeture de site, la recherche d’un repreneur et l’information des représentants du personnel sur cette recherche seront systématiques et obligatoires.

Dans tous les cas, demain, pour mettre en place un PSE, deux options et deux options seulement s’ouvriront : soit un accord majoritaire vaudra PSE, ce qui signifie que l’entreprise aura mis les moyens nécessaires pour convaincre les organisations représentant plus de 50 % des salariés à s’engager sur le plan négocié, soit il faudra une homologation par l’État du PSE proposé par l’entreprise. L’État s’assurera alors que l’entreprise consacre au plan social les moyens nécessaires, proportionnés à sa situation, et qu’elle respecte ses obligations.

Il y aura toujours cette logique privilégiée du dialogue social, avec, d’un côté, la garantie renforcée que donne l’accord majoritaire, une plus grande simplicité, une plus grande rapidité et une meilleure sécurité du plan, et, de l’autre, près de trente ans après la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, le retour de l’État, d’un État garant qui va s’assurer de l’effectivité des efforts de l’entreprise pour minimiser l’impact du PSE pour les salariés.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. L’État ira vite pour rendre sa décision car, dans ce type de situation, ce qui compte, ce n’est pas de gagner du temps, de retarder le plus possible les décisions, c’est de peser sur ces décisions pour qu’elles prennent mieux en compte les possibilités de reclassement, d’accompagnement, de réindustrialisation. C’est cela qu’attendent les salariés, et non pas des victoires hypothétiques devant un juge trois ans après, quand l’usine a disparu ; c’est cela aussi qu’attendent les entreprises, qui préfèrent un effort supplémentaire contractualisé à une incertitude totale.

Il est faux de prétendre que le licenciement sera plus facile.

M. André Chassaigne. Si !

M. Michel Sapin, ministre. Tout comme l’accord majoritaire, l’homologation administrative est une avancée pour les salariés.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Oh oui !

M. Michel Sapin, ministre. L’État ne pouvait jusqu’alors que donner un avis. Demain, sans sa décision d’homologation, rien ne pourra se faire. Pour les entreprises, les procédures seront cadrées juridiquement et dans le temps. C’est la condition pour trouver des terrains d’entente car, je le répète, personne ne peut se satisfaire d’une procédure judiciaire longue, complexe, incertaine, qui paralyse l’entreprise sans pour autant apporter aux salariés licenciés une solution en termes d’emploi.

M. Francis Vercamer. Cela n’exclut rien !

M. Michel Sapin, ministre. Je récuse par ailleurs l’expression de déjudiciarisation utilisée à propos de ce texte, car elle est trompeuse si l’on veut l’assimiler à la suppression de la possibilité de recourir au juge pour faire valoir ses droits. Ce n’est pas le cas. Ce qui est proposé, c’est un encouragement à trouver par le dialogue social une autre voie, plus sûre et plus équilibrée, qui rende aussi inutile que possible le recours au juge, celui-ci restant en toute hypothèse un droit pour qui voudra contester l’accord, l’homologation ou le refus d’homologation, comme pour chaque salarié qui, à l’issue d’un licenciement, voudra en contester le motif. Dans notre société démocratique, chacun, évidement, a droit à faire appel au juge.

Voilà pourquoi les nouveaux pouvoirs de négocier ont du sens, à la condition ultime que l’État, d’une part, notre système judiciaire, d’autre part, restent en dernière instance garants du respect de l’ordre public social et de la faculté donnée à chacun de faire valoir ses droits devant un juge.

Un mot encore sur ce retour de l’État-garant dans les procédures de licenciement collectif. J’entends parfois mettre en doute la capacité de mon administration, les DIRECTTE, à remplir cette nouvelle mission. Je veux vous rassurer sur ce point et rendre justice au professionnalisme des hommes et des femmes de ces services, d’ailleurs déjà extrêmement mobilisés sur les plans de sauvegarde de l’emploi actuels. Ils suivront la nouvelle procédure dès son démarrage. Ils seront prêts, formés, organisés.

M. André Chassaigne. Allez-vous créer des postes ?

M. Michel Sapin, ministre. Ils seront vigilants et exigeants vis-à-vis des projets de PSE qui leur seront soumis. Il n’y aura pas d’homologation tacite pour non-réponse au bout de vingt et un jours, chaque demande sera instruite et fera l’objet d’une décision motivée et explicite, en référence à des orientations que je donnerai par voie de circulaire aux DIRECTTE.

J’aurais pu développer davantage, mettre en lumière encore d’autres avancées de ce texte, mais je vais conclure ici, et la discussion du texte permettra d’y revenir.

Une nouvelle fois, je voudrais saluer le travail du rapporteur Jean-Marc Germain…

M. Jean-Luc Laurent. Il le mérite !

M. Michel Sapin, ministre. …et de tous ceux qui l’ont assisté et accompagné, le travail de la commission, qui a d’ores et déjà apporté au projet du Gouvernement des améliorations utiles, dans le strict respect de l’équilibre de l’accord.

Je sais que nous partageons la volonté de poursuivre ici dans le même état d’esprit, pour qu’ensemble nous apportions aux entreprises et aux acteurs sociaux de notre pays ce dont ils ont le plus besoin : une meilleure sécurisation de l’emploi.

Mesdames, messieurs, vous comprenez maintenant ma détermination farouche à vous demander d’adopter un texte de loi qui porte la sève nouvelle d’une démocratie sociale dans l’entreprise, un grand texte de progrès social qui bâtit l’avenir mais apporte aussi des réponses concrètes et équilibrées à l’urgence du moment, sécuriser l’emploi.

Sécuriser l’emploi, c’est urgent. Nous avons besoin de cette loi, pour éviter des licenciements, anticiper sans drame les mutations, être prêts à saisir demain la croissance qui repartira.

Une force est mise en mouvement par ce texte. Elle changera certains aspects essentiels de la vie dans les entreprises, comme d’autres grands accords et grandes lois ont su le faire, des accords de Matignon aux accords de Grenelle et aux lois Auroux.

Ce texte est dans la ligne de ces grands moments qui ont marqué de grands progrès, balisé le sens du progrès, fait le progrès social. Il vous appartient désormais d’y participer. Je sais que vous serez au rendez-vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je demande une suspension de séance, monsieur le président.

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, nous abordons sans doute l’un des débats les plus importants du quinquennat. C’est l’acte trois de la stratégie de redressement voulue par le Président de la République.

L’acte un a été l’abandon du dogme de l’austérité au niveau européen, abandon conquis de haute lutte par la France en juin dernier. Sans croissance, il n’y aura pas d’inversion durable de la courbe du chômage, et la croissance se joue désormais au niveau européen : nos économies sont à ce point imbriquées que plus aucun pays n’a les moyens d’agir seul.

De premiers succès ont été obtenus, avec les 120 milliards du paquet croissance, avec les interventions de la Banque centrale européenne, qui apportent aux banques et aux États les liquidités dont ils ont besoin, et avec un budget européen qui a pu être préservé. Les esprits changent, des résultats sont obtenus, mais des combats restent à mener ; je pense en particulier à l’adoption d’un rythme de réduction des déficits budgétaires suffisamment étalé dans le temps pour ne pas porter atteinte à la croissance.

L’acte deux, c’est le pacte de compétitivité présenté à l’automne par le Gouvernement. La France souffre d’un déficit de croissance, mais aussi de compétitivité. Nul besoin de s’étendre sur les chiffres, le déficit de 70 milliards d’euros de notre balance commerciale parle de lui-même.

La compétitivité, c’est remettre la finance au service des entreprises, avec la loi bancaire et la loi créant une Banque publique d’investissement, adoptées récemment ; c’est aussi donner des moyens aux entreprises pour leur permettre d’investir dans la recherche, l’innovation, la formation, comme nous le faisons avec le crédit d’impôt compétitivité emploi.

Changement de cap européen, changement de stratégie nationale pour la compétitivité, voici donc aujourd’hui l’acte trois : la réforme du marché du travail.

Acte trois, ou plutôt acte trois, scène trois, puisque nous avons récemment adopté la loi sur les emplois d’avenir et celle sur les contrats de génération, qui se sont attaquées à un premier dérèglement du marché du travail de notre pays : sa fâcheuse tendance à faire des jeunes et des seniors les premières victimes du chômage.

Lors des auditions, beaucoup ont salué la méthode d’élaboration du texte qui nous est soumis. Chacun le sait, et M. le ministre l’a rappelé, le projet de loi a été précédé d’une négociation sociale.

Auparavant, à l’issue de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012, le Gouvernement avait adressé aux partenaires sociaux un document d’orientation définissant les objectifs de cette négociation. Après quatre mois de négociations, un accord national interprofessionnel a été signé, le 11 janvier 2013, par les trois organisations représentatives des employeurs et trois des cinq organisations syndicales représentatives des salariés, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Selon les résultats de représentativité publiés le 29 mars, ces trois syndicats représentent 51,15 % des suffrages recueillis par les organisations habilitées à négocier au plan interprofessionnel, c’est-à-dire ayant franchi le seuil de 8 %.

M. Michel Issindou. C’est vrai ! Ils sont majoritaires !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ça tombe bien !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi aujourd’hui soumis à la représentation nationale en est le prolongement. Il traduit la nouvelle articulation souhaitée par le Président de la République entre démocratie sociale et démocratie politique.

Sa philosophie, d’ailleurs développée dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnel relatif à la démocratie sociale adopté par le conseil des ministres du 13 mars dernier, se résume ainsi : la négociation sociale précède et inspire les lois sociales. Le législateur reste souverain, mais les évolutions législatives en matière sociale doivent, sauf urgence, être précédées d’une phase de consultation et, si les partenaires sociaux le souhaitent, d’une négociation.

C’est, au fond, une sorte de valse à trois temps : le premier est celui du Gouvernement, qui fixe les objectifs, comme cela a été le cas avec la feuille de route de septembre 2012 ; le second est celui des partenaires sociaux, qui négocient sur ce fondement, comme ils l’ont fait entre le mois d’octobre 2012 et le 11 janvier 2013 ; le troisième est celui du Parlement, le nôtre. Je considère que ces trois temps doivent être d’égale importance.

M. Jérôme Guedj. Oui.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Repartir de zéro serait un non-sens : rien ne justifie d’ignorer le fruit de quatre mois de travail intense de la part des partenaires sociaux. Vous avez souligné, monsieur le ministre, que même les non-signataires y avaient contribué. De nombreuses dispositions de ce texte concernent le cœur du fonctionnement des entreprises, et il est fondamental que la représentation nationale prenne en considération ce que proposent ceux qui en sont les premiers acteurs : les représentants des salariés et des employeurs.

Nous limiter à un travail de scribes, qui consisterait simplement à codifier ce qui a été écrit par les signataires, ne serait pas plus conforme au mandat que nous ont donné nos électeurs : celui de faire la loi au nom du peuple, porteurs de l’intérêt général et fidèles aux convictions et aux engagements que chacun d’entre nous a pris devant ses électeurs.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est juste !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Jouer pleinement notre rôle de législateur est d’autant plus légitime que, d’une part, nombre des dispositions de ce texte – la création d’une couverture santé complémentaire obligatoire ou d’un compte personnel de formation universel, le rôle de l’État dans la protection des salariés, celui du juge dans le règlement des contentieux… – dépassent largement le champ de l’entreprise et que, d’autre part, contrairement à l’accord sur les contrats de génération, deux syndicats de salariés ne l’ont pas signé.

Je n’accepte pas que l’on qualifie cet accord d’« accord MEDEF » ; c’est faire injure à la CFDT et aux autres syndicats de salariés qui l’ont signé.

M. Hervé Morin. « MEDEF » n’est pas une injure non plus !

M. Jérôme Guedj. Quoi que.. (Sourires.)

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous avez raison, monsieur Morin.

L’accord MEDEF, on le connaît, il a été mis sur la table à l’ouverture des négociations. C’était le CDI de projet, la lettre de licenciement non motivée, le juge sommé de ne plus mettre son nez dans les contentieux, c’étaient des mobilités forcées, c’était le chantage à l’emploi codifié... (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Rien de tout cela ne figure dans l’accord final.

Mais je n’accepte pas non plus que l’on caricature les non-signataires en renvoyant l’image d’organisations conservatrices et opposées à toute réforme.

M. Jérôme Guedj. Absolument !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est mal connaître notre histoire sociale. Force Ouvrière a longtemps été le premier co-gestionnaire des régimes sociaux avec le CNPF et, comme l’organisation nous l’a rappelé lors des auditions, elle a signé dix des onze derniers accords interprofessionnels. Postérieurement à l’Accord national interprofessionnel, d’ailleurs, Force Ouvrière a signé l’accord Renault ainsi que l’accord sur les préretraites complémentaires.

Quant à la CGT, s’il est vrai qu’elle signe moins d’accords au plan national, parce qu’elle considère que c’est davantage le rôle de la représentation nationale – l’accord sur les contrats de génération étant une exception récente –, elle est le premier syndicat signataire d’accords d’entreprise dans notre pays. La CGT est arrivée dans cette négociation avec douze propositions précises, dont neuf sont en partie satisfaites.

La loyauté vis-à-vis des signataires, car sinon nous porterions un coup fatal – vous avez raison, monsieur le ministre – à la négociation collective interprofessionnelle pour de longues années, mais aussi l’écoute des non-signataires et, au-delà, de tous ceux qui se sont exprimés sur cet accord, pour améliorer ce qui peut l’être, voilà ce qui m’a guidé dans les travaux préparatoires que j’ai conduits en votre nom, chers collègues.

C’est un chemin de crête étroit mais il existe, et il permet d’avancer loin, dès lors qu’on le fait avec méthode.

Avancer avec méthode, c’est d’abord écouter. C’est la raison pour laquelle de très nombreuses auditions ont été organisées. Les organisations patronales et syndicales ont été auditionnées à cinq reprises chacune, et je les remercie de leur grande disponibilité. Elles ont été auditionnées pendant les négociations, après la conclusion de l’accord, après l’avant-projet de loi, après le projet de loi, et la commission des affaires sociales les a également reçues de manière collective.

Avancer avec méthode, c’est aussi comprendre. Afin que chacun puisse se faire une idée très précise de la portée de chacune des dispositions du projet de loi, j’ai organisé en votre nom de très nombreuses auditions de spécialistes, d’experts, de représentants des administrations concernées, de think tanks. Des tables rondes ont été organisées. J’ai tenu à ce que les débats qui existent et les questions qui se posent soient retracés de la manière la plus objective plus possible dans mon rapport, sans en éluder aucune.

Avancer avec méthode, c’est, enfin, respecter : respecter les signataires dans leur choix de signer cet accord, respecter les non-signataires dans leur choix de ne pas le faire. Cela m’a conduit, en liaison permanente avec le Gouvernement, et je vous en remercie, monsieur le ministre, ainsi que vos services, à consulter les partenaires sociaux, signataires comme non-signataires, dans notre travail d’amendement.

Le respect, je le demande aussi pour nous, parlementaires, dans la plénitude de notre droit d’amendement. L’intelligence est collective ; l’intelligence, c’est, pour les parlementaires, de respecter le travail des partenaires sociaux et, pour les partenaires sociaux, de respecter celui des parlementaires.

M. Michel Issindou. Très bien !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Beaucoup de questions qui avaient été soulevées ont pu être réglées lors de l’examen en commission, et tous les groupes y ont contribué. D’autres pourront l’être, je l’espère, lors de nos débats ; d’autres encore, s’il en subsiste, le seront dans le temps, par un suivi et une évaluation très précises, et le cas échéant par la correction de ce qui n’a pas fonctionné comme escompté.

L’objectif, le seul objectif, est qu’in fine la lutte contre le chômage, pour la protection des salariés et la performance des entreprises soit efficace. Or elle le sera si nous nous appuyons sur les trois lignes de force de ce projet de loi.

La première concerne le retour de l’État pour soutenir les salariés et la négociation sociale et garantir la protection des employés contre les licenciements économiques.

Aujourd’hui en effet un plan de sauvegarde de l’emploi s’opère de manière unilatérale, à l’initiative de l’employeur qui informe et consulte ses salariés. Demain, il faudra obtenir soit l’accord majoritaire des salariés, soit celui de l’administration par le biais d’une nouvelle responsabilité qui lui est conférée : l’homologation.

Dans ce cadre, un plan social qui ne serait pas suffisamment protecteur pour les salariés serait refusé. L’État exigera des efforts proportionnés aux moyens de l’entreprise – ou du groupe auquel elle appartient – et de sa situation financière : en clair, il pourra renchérir le coût des licenciements en fonction de la situation financière des entreprises, en vue de les dissuader le plus possible. Telle est la traduction concrète de l’engagement n° 35 de François Hollande.

Il s’agit en fait, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, monsieur le ministre, de mettre fin à la préférence française pour le licenciement au profit de toutes les solutions alternatives. Aussi, parallèlement à cette nouvelle procédure, le projet de loi facilite-t-il le recours au chômage partiel et instaure-t-il la possibilité de conclure des accords de maintien de l’emploi – autre forme d’activité partielle – négociés et assortis de protections pour les salariés ainsi que d’une contribution aux efforts de la part des dirigeants et des actionnaires.

Contrairement à ce qui est parfois avancé, ce texte n’instaure pas en France la flexi-sécurité : celle-ci aurait consisté à faciliter les licenciements tout en indemnisant mieux les chômeurs. Elle repose sur un théorème absurde, et démenti par les faits, selon lequel les licenciements d’aujourd’hui feraient les emplois de demain, ainsi que sur une équation impossible puisqu’elle supposerait d’augmenter considérablement les moyens de l’assurance chômage, ce qui est financièrement hors de notre portée.

Nous avons fait un autre choix, que l’on pourrait qualifier de sécuri-sécurité : il rend plus difficile la flexibilité interne, grâce à la limitation des plans sociaux, que j’ai évoquée plus tôt, et à la taxation des CDD ou de l’encadrement des temps partiels, au profit des redéploiements dans l’entreprise, en donnant des pouvoirs et des moyens nouveaux à la négociation sociale, dont l’État serait garant.

C’est l’intérêt des salariés qui gardent leur emploi, mais aussi celui des entreprises qui conservent en leur sein leurs compétences. Si l’Allemagne s’en est mieux sortie que nous ces dernières années, c’est qu’elle a clairement fait ce choix pour affronter la dernière crise : par exemple, au plus fort de celle-ci en 2009, 1 600 000 salariés allemands étaient en chômage partiel quand seulement 200 000 salariés français s’y trouvaient. En Allemagne, lorsqu’une entreprise perd un salarié, elle considère qu’elle perd une compétence ; en France, trop souvent, elle considère qu’elle gagne de l’argent. C’est cela que nous voulons changer grâce à ce projet de loi et à nos amendements.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est un peu rapide !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. La deuxième ligne de force consiste dans la participation accrue des salariés aux stratégies d’entreprise. L’objectif est simple : anticiper ; saisir à temps les opportunités ; gérer les difficultés avant qu’il ne soit trop tard. La mise en place d’une représentation des salariés au conseil d’administration des grandes entreprises, engagement n° 55 du candidat Hollande, en constitue la mesure emblématique.

Au-delà de cela, cette volonté s’incarne dans les nouveaux pouvoirs confiés aux salariés qui pourront participer à la stratégie de leur entreprise – j’en profite pour saluer Jean Auroux présent dans les tribunes – grâce à la création de deux consultations annuelles supplémentaires sur les orientations stratégiques de l’entreprise et sur son utilisation de l’aide publique la plus massive qui ait été instaurée par la loi de finances, le CICE ; grâce à un recours élargi à l’expertise, puisque les salariés pourront se faire assister ; enfin grâce à une obligation de négocier désormais les grandes orientations du plan de formation ainsi que les données nécessaires pour remplir ce rôle.

Troisième et dernier point : ce projet de loi apporte de nouveaux jalons constitutifs d’une véritable sécurité sociale professionnelle. Les salariés sont désormais amenés à changer beaucoup plus souvent d’entreprise que par le passé, que cette situation soit choisie ou subie. Dès lors, il nous faut aller vers un modèle social où les droits acquis dans une entreprise puissent être conservés lorsque l’on en change : des droits attachés au salarié tout au long de sa vie professionnelle et non plus à l’entreprise qui l’emploie à un moment donné.

Que ce soit la couverture complémentaire santé, le compte personnel de formation ou les droits rechargeables à l’assurance chômage, l’approche est toujours la même : celle de la reconnaissance des droits individuels qui sont ceux des salariés, mais qui doivent demeurer pendant les périodes d’inactivité, de chômage ou de formation.

Au-delà de ces droits « portables », ce texte vise aussi à améliorer les transitions en encadrant par la négociation collective les mobilités internes demandées aux salariés à l’intérieur des entreprises. Il crée une mobilité externe sécurisée pour permettre, avec un droit de retour, une expérience professionnelle dans une autre entreprise et oblige les entreprises qui veulent fermer un établissement à rechercher des repreneurs.

Vous avez souligné, monsieur le ministre, dans l’exposé des motifs du projet de loi, que toutes les organisations syndicales ont été associées à sa préparation, dans un double esprit : loyauté envers l’accord et les signataires ; transparence vis-à-vis de tous.

Lorsqu’il y avait ce que j’ai appelé des « trous dans la raquette », vous avez opéré des choix en retenant l’option qui vous a paru la plus juste, la plus efficace au regard des objectifs du projet de loi – sécuriser l’emploi et les parcours professionnels – et la plus conforme à l’intérêt général.

C’est ainsi en effet que vous avez apporté des améliorations que je considère comme décisives : possibilité de désigner des organismes de branche pour les complémentaires santé ; rétablissement de délais de prescription plus longs lorsque les salariés ont besoin de temps pour faire valoir leurs droits ; protection par le droit des licenciements économiques individuels et des mobilités internes ; mais surtout, nouveau rôle de l’État dans les plans sociaux, que vous avez voulu puissant, rejoignant en cela le souhait des organisations de salariés, alors que certains espéraient sans doute n’en faire qu’une simple formalité.

Je souhaite que les débats parlementaires s’inscrivent dans le même esprit et permettent de réaliser de nouvelles avancées, comme nous avons commencé de le faire en commission. Puissions-nous adopter cette règle de conduite dans les heures et les jours qui viennent.

Je veux ici, avant de conclure, évoquer les points sur lesquels nous souhaitons avancer.

J’ai souligné le nouveau rôle de l’État comme garant de la protection des salariés contre les licenciements économiques. Cela suppose de donner à l’administration le temps de bien faire son travail, et c’est la raison pour laquelle je vous proposerai de doubler le temps dont elle dispose pour valider les accords de plan de sauvegarde de l’emploi.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas conforme à l’accord, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est tout à fait conforme, monsieur le député, puisque l’accord prévoit vingt-et-un jours en cas d’homologation ; s’agissant de la validation d’un accord, le délai est aujourd’hui de huit jours et je vous proposerai de l’étendre à quinze jours. Voyez comme je suis un comptable fidèle à ce texte.

Je vous proposerai aussi de demander aux actionnaires et aux mandataires sociaux de faire davantage d’efforts lorsqu’il y en a qui sont demandés aux salariés dans le cadre des accords de maintien dans l’emploi.

Je vous proposerai aussi, avec mes collègues du groupe socialiste, de mieux encadrer la flexibilité externe s’appuyant sur les contrats précaires, en renforçant, dans le cadre de la GPEC, les négociations pour tenter de réduire les emplois précaires – la taxation est une chose, mais la négociation en vue de déterminer des solutions concrètes en est une autre ; un encadrement des temps partiels subis, notamment en réservant aux accords de branche la question de la gestion des coupures ; des mesures contre les stages abusifs – débat que nous avons déjà eu en commission avec M. Morin, puisque la réduction des emplois précaires doit aussi passer par un meilleur encadrement des stages abusifs.

Je me suis félicité de l’arrivée des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises, mais je considère qu’il serait encore mieux d’aller plus vite et plus loin. Nous assistons là à une petite révolution qui va changer beaucoup de choses dans notre pays.

S’agissant de la sécurisation des parcours professionnels, nous proposerons des amendements afin que cette avancée fondamentale pour laquelle nous nous battons depuis des années – je veux parler de la création de ce compte personnel de formation – puisse voir le jour dans les meilleurs délais, pour qu’elle puisse inclure le droit à la formation initiale différée auquel nous tenons tant et que les négociations sur les plans de formation puissent bénéficier aux moins qualifiés.

Pour conclure, notre pays est confronté à la crise la plus grave et la plus profonde qu’il ait sans doute connue en temps de paix : une crise à la fois sociale, économique, écologique et géopolitique. Cette crise est dure, mais aussi particulièrement dure à affronter car les difficultés qui lui sont propres se cumulent avec celles d’États fortement endettés, disposant donc de marges de manœuvre limitées.

Je ne peux que souhaiter, au moment où nous entamons de nombreuses heures de discussion, que nos débats soient dignes de la gravité du moment, et que notre contribution au texte soit à la hauteur de ses enjeux pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

(Mme Catherine Vautrin remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Le rapporteur de la commission des affaires sociales vient d’exposer, avec force nuances et précisions, le détail d’un projet de loi complexe, mais essentiel au redressement de notre économie.

En ma qualité de rapporteur pour avis de la commission des lois sur l’article 5 de ce texte – article qui traite de la participation d’administrateurs élus ou désignés par les salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance –, je ne me livrerai pas à un exercice d’une telle ampleur.

D’abord, le mandat que je tiens des membres de la commission ne m’habilite pas à parler en leur nom d’articles qui n’entrent pas dans le champ de sa saisine ; surtout, en la circonstance, le contenu importe tout autant que le contenant.

En premier lieu, le projet de loi consacre, à l’évidence, des avancées sociales, qu’il s’agisse de la généralisation de la couverture collective santé pour les salariés, de la création d’un compte personnel de formation ou de l’encadrement du travail à temps partiel.

En second lieu, il propose des instruments utiles dans l’entreprise de redressement du pays qui commence. Citons notamment l’obligation de représentation des salariés au conseil d’administration ou de surveillance des grandes entreprises, ou encore la réforme de la procédure de licenciement collectif pour motif économique.

Mais au-delà – et cela est sans doute tout aussi fondamental –, le projet de loi illustre une démarche, ou plus exactement une méthode, sur laquelle je centrerai mon propos : celle qui consiste à donner aux acteurs de la démocratie sociale le temps et les moyens de jouer pleinement leur rôle et d’apporter leur pierre à la rénovation de notre droit économique et social.

Chacun le sait, ce projet de loi puise en grande partie ses origines dans le texte signé par des organisations représentatives des employeurs et des salariés – l’accord désormais fameux conclu le 11 janvier 2013. De fait, le dispositif dont nous commençons aujourd’hui l’examen reprend de nombreuses stipulations présentes dans cet accord. Il s’inscrit dans ses objectifs et en tire toutes les conséquences sur le plan législatif.

Ce faisant, il donne consistance à la volonté exprimée par les signataires de l’accord et marque l’achèvement de l’un des premiers chantiers ouverts par le Gouvernement avec les partenaires sociaux, lors de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012. Cette conférence, qui reposait sur l’organisation de sept tables rondes thématiques, a abouti à l’établissement d’un agenda, de méthodes et d’un calendrier de négociations dont les conclusions appartiennent aux partenaires sociaux.

De ce point de vue, l’accord du 11 janvier et le projet de loi permettent de matérialiser les premières réalisations d’un processus que je crois prometteur : celui consistant à instaurer un dialogue social d’une qualité nouvelle dans l’entreprise. Ce texte de loi fait une large place aux accords d’entreprise en laissant le soin aux acteurs d’organiser le dialogue, qu’il s’agisse du fonctionnement habituel de l’entreprise ou des opérations de nature exceptionnelle. Il met aussi l’accent sur la capacité des acteurs syndicaux à assurer un rôle accru dans un dialogue social renouvelé. Deux conditions m’apparaissent nécessaires pour y parvenir : la formation des représentants des salariés et la loyauté avec laquelle l’information nécessaire au débat sera transmise par les dirigeants de l’entreprise. En effet, l’implication permanente dans les organes de gouvernance supposera l’acquisition de nouvelles connaissances, et la culture du pouvoir liée à la rétention de l’information, très ancrée dans nos entreprises, devra changer.

Aujourd’hui, d’autres travaux sont en cours. Je ne doute pas qu’ils aboutiront eux aussi, et le Parlement aura sans doute à en connaître. Dans cette perspective, le projet de loi nous fournit une première occasion de démontrer la possibilité d’un dialogue fécond entre dépositaires de la souveraineté populaire et acteurs de la négociation collective.

M. Michel Sapin, ministre. Absolument.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis. En effet, le texte issu des travaux préparatoires à la séance publique ne se réduit pas à un simple acte de transposition de l’accord du 11 janvier 2013. Bien entendu, la commission compétente au fond comme celle saisie pour avis se sont attachées à transcrire dans la loi, aussi scrupuleusement que possible, les règles et les objectifs dont sont convenus les signataires de cet accord. Mais il revient au Parlement, en application même de l’article 34 de la Constitution, de définir des principes et des règles applicables sur l’ensemble du territoire national. Sur cette « ligne de crête », pour reprendre une expression de notre rapporteur, le projet de loi n’oppose pas la démocratie politique à la démocratie sociale. Au contraire, il permet que la négociation collective nourrisse le débat démocratique, il respecte les intentions des signataires tout en veillant aux exigences d’un cadre juridique cohérent et compréhensible, applicable partout et par tous, y compris par ceux qui n’étaient pas parties prenantes de l’accord.

Ne l’oublions pas : l’accord du 11 janvier résulte d’un compromis ! En tant que rapporteur pour avis, j’ai moi-même entendu la plupart des parties prenantes à la négociation : évidemment, les représentants des organisations représentatives des employeurs et des salariés signataires de cet accord, mais également des syndicats qui, à l’instar de la CGT et de Force Ouvrière, ont exprimé leur opposition. Je tiens à rappeler ici que celle-ci ne s’est pas traduite par une absence de contribution à l’amélioration du dispositif ; je pense, par exemple, à la plénitude de l’exercice de leurs futures fonctions d’administrateur. Après ces échanges, j’ai la conviction que le projet de loi contribuera d’autant mieux à valoriser le dialogue qu’il prendra pleinement en considération la diversité des analyses et des positions des acteurs.

Cela ne signifie pas que le législateur ne puisse aller plus loin et qu’il doive s’en tenir aux seules stipulations des négociations collectives. Certes, nous ne saurions méconnaître le poids de notre culture politique et les legs de notre histoire sociale. Il existe évidemment des réticences, tant de la part de syndicats de salariés que des organisations représentant les employeurs. Mais à titre personnel, je crois profondément que nous avons, les uns et les autres, moins de concessions à faire que de préventions à abandonner. À cette aune, les modifications apportées au projet de loi après les auditions et les débats en commission enrichissent utilement son dispositif initial et nous pouvons collectivement y souscrire sans encourir le reproche de ne pas respecter les partenaires sociaux. Dans les rapports entre le pouvoir politique et les acteurs de la démocratie sociale, nous passons ainsi de la théorie à la pratique.

Dans un proche avenir, nous examinerons le projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale pour faire de la démarche de dialogue un principe fondamental de notre démocratie politique. Aujourd’hui, le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi est une première étape, un premier acte dans la définition de ce nouvel équilibre. L’article 5 en particulier, relatif à la gouvernance des entreprises, en est une illustration. Cet article propose un dispositif sur lequel nous pouvons nous appuyer afin de franchir collectivement une nouvelle étape importante dans l’affirmation du droit des salariés à prendre leur juste place dans la gestion des grandes entreprises. Mais pas seulement chez elles ! Nous ne sommes jamais assez audacieux quand on parle de démocratie sociale. Celle-ci ne s’arrête pas à la porte des grandes entreprises. Elle ne saurait non plus connaître un aboutissement avec ce seul article car celui-ci appelle à faire mieux encore, « plus vite et plus loin », nous a dit M. le rapporteur, et j’y souscris.

C’est la raison pour laquelle je prendrai résolument position en faveur du vote de ce projet de loi et de toute modification qui contribuera à en améliorer l’efficacité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vais naturellement pas présenter en détail le contenu du projet de loi, le ministre, le rapporteur et juste avant moi le rapporteur pour avis de la commission des lois l’ayant fait brillamment. J’ai déjà eu l’occasion de vanter la méthode que le Gouvernement a choisie pour réformer notre modèle de relations sociales lors de la discussion du projet de loi créant le contrat de génération. On voit bien là encore, avec ce nouveau texte, le fil conducteur de l’action gouvernementale, déjà porté par le candidat François Hollande, et qui trouve sa traduction depuis, celui-ci étant devenu Président de la République. On a eu les emplois d’avenir, qui font entrer dans l’emploi, les contrats de génération, qui y font entrer d’autres jeunes tout en y maintenant les seniors, et il y a maintenant les 2 000 salariés supplémentaires chez Pôle Emploi pour mieux accueillir les demandeurs d’emploi. On voit bien la clef de l’action gouvernementale.

M. Bernard Accoyer. Le problème, c’est le chômage !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, qui sert de fondement au projet de loi, est particulièrement remarquable en ce sens qu’il touche à de larges pans du droit du travail et des relations professionnelles. Cet accord a été signé, on le sait, par trois des cinq confédérations syndicales de salariés. Certains ont voulu contester sa légitimité, arguant que ce n’était qu’à l’aune des anciennes règles de représentativité qu’il pouvait être qualifié de majoritaire et donc validé. Comme souvent, les Cassandre ont eu tort : les chiffres rendus publics par le Haut conseil du dialogue social, vendredi dernier, montrent qu’il est légitime aussi au regard des nouvelles règles de représentativité puisque ses trois signataires – CFDT, CFE-CGC et CFTC – ont obtenu 51,15 % aux dernières élections prud’homales.

Issu de longs mois de négociations, l’accord du 11 janvier valide le choix du Gouvernement et de la majorité qui le soutient, de renforcer et de donner toute sa place au dialogue social. Un tel choix, mes chers collègues, n’est pas un choix de circonstance. C’est un choix de méthode mûrement réfléchi et qui, dans la période de crise que nous traversons, est une condition indispensable au redressement de notre pays et à la sauvegarde de notre modèle social. Comment ne pas partager la conviction exprimée par Louis Gallois dans son rapport ? Le pacte social doit en effet être le fondement du pacte productif dont notre pays a un impérieux besoin. Il s’agit d’un choix que l’on peut qualifier de stratégique. Dès avant son élection, dans une tribune parue dans un grand journal du soir, le Président de la République avait théorisé la méthode que met aujourd’hui en œuvre le Gouvernement ; il en a réaffirmé la nécessité et en a détaillé les étapes dans son discours d’ouverture de la grande conférence sociale…

M. Bernard Accoyer. N’exagérons rien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. …qui s’est tenue en juillet dernier. Certes, la négociation qui a abouti à l’accord du 11 janvier a montré que le dialogue social est difficile, parfois chaotique, et l’on a pu légitimement craindre un échec des discussions. Mais comment douter qu’un tel dialogue ne soit porteur d’avenir ? Je suis en effet persuadé que les compromis passés par ceux qui sont directement concernés sont plus durables que les décisions imposées d’en haut.

Mais la nécessité du dialogue social ne se limite pas à la conclusion d’un accord national interprofessionnel. Tout ne va pas s’arrêter après le 11 janvier ou après la promulgation de la loi dont nous débattons. Dans la plupart des thèmes abordés, l’accord du 11 janvier et la loi se bornent à tracer le cadre. La mise en œuvre concrète, l’adaptation aux réalités du terrain sont laissées, là encore, au dialogue social, mais cette fois au niveau des branches et des entreprises.

Il ne s’agit pas de sacrifier à un optimisme béat, nous ne sommes pas au « pays des Bisounours », pour reprendre la formule de M. le ministre, ni au pays de Candy. Je peux comprendre les craintes exprimées notamment par les organisations qui n’ont pas signé l’accord. Si l’équilibre est convenablement assuré au niveau interprofessionnel, comment nier qu’il est plus fragile au niveau des branches et, plus encore, des entreprises ? Nous sommes tous conscients des fragilités du syndicalisme français, en raison notamment de la faiblesse du taux de syndicalisation dans le secteur privé, en particulier dans les petites et moyennes entreprises – on comprend bien pourquoi. Mais je veux croire que le nouveau champ ouvert par ce texte à la négociation sociale, allié aux nouvelles règles de représentativité issues de la loi de 2008 et qui vont désormais s’appliquer, va contribuer à renforcer la place et la légitimité des acteurs du dialogue social à quelque niveau qu’ils se trouvent.

Le renforcement de la place du dialogue social pose évidemment la question du rôle du Parlement en tant que législateur, dépositaire de la souveraineté nationale et garant de l’intérêt général, dans la confection de nos règles sociales. La transposition d’un accord collectif ne saurait être assimilée à la ratification d’un accord international, dont on sait qu’il ne peut le modifier mais seulement l’accepter ou le rejeter en bloc. Vous avez reconnu vous-même, monsieur le ministre, que le Parlement ne saurait être un simple greffier.

M. Michel Sapin, ministre. Ni une photocopieuse !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Nous avons toutes et tous une grande responsabilité : il n’est pas possible de saluer le comportement des partenaires sociaux qui ont signé l’accord et, dans le même mouvement, de menacer l’équilibre qu’ils ont obtenu au risque qu’ils ne se retrouvent plus dans la loi votée ; il n’est pas possible de défendre ardemment le rôle éminent que doit jouer le dialogue social et de se montrer déloyal à l’égard de ses acteurs.

Jean-Marc Germain, notre excellent rapporteur, a parlé de « ligne de crête ». Je fais mienne cette formule. Elle exprime parfaitement la difficulté à laquelle nous sommes tous collectivement confrontés. Le travail de Jean-Marc Germain a été exceptionnel. On ne pourra pas dire que l’on n’a pas pris le temps : il a vraiment bien auditionné tous les acteurs concernés par le dialogue social et le monde du travail, et je ne peux que m’en féliciter en tant que présidente de la commission des affaires sociales. Celle-ci est parvenue à rester sur cette ligne de crête, monsieur le rapporteur, et rien dans les amendements qu’elle a apportés au projet de loi ne devrait conduire les signataires de l’accord en l’état à s’estimer trahis ou désavoués.

Je voudrais utiliser les quelques instants qu’il me reste pour répondre, par avance, à la remise en cause, qui ne manquera pas de venir, des conditions dans laquelle la commission a travaillé.

M. André Chassaigne. Ah !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Il est vrai qu’elle a tenu une séance marathon mercredi dernier, de neuf heures à presque seize heures trente, siégeant même pendant les questions au Gouvernement.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Et sans manger !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. En effet, monsieur le rapporteur. Il ne s’agissait pas d’entrer dans un quelconque livre des records parlementaires, mais de répondre à une obligation réglementaire. En effet, l’article 86 de notre règlement enjoint à la commission, en cas de procédure accélérée, de mettre en ligne le texte qu’elle a adopté « dans les meilleurs délais ». Or il n’était pas possible de siéger dans l’après-midi puisqu’un autre texte dont elle avait été saisie était discuté en séance publique. Dès lors il était indispensable d’achever l’examen du projet de loi au cours de la séance du matin, même en empiétant quelque peu sur l’après-midi. Il fallait laisser un délai convenable aux députés pour exercer leur droit constitutionnel d’amendement, avant l’expiration du délai de dépôt que, sur ma suggestion, la Conférence des présidents avait fixé à vendredi dix-sept heures.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Bonne suggestion !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Au vu des plus de 5 000 amendements déposés, je crois que cet objectif a été atteint. Je ne laisserai pas dire que la commission n’a pas sérieusement examiné le projet de loi : en premier lieu, outre l’audition des ministres, j’ai décidé qu’elle procéderait à l’audition des organisations signataires et également de celles qui n’ont pas signé l’accord ; au total, nous avons procédé à près de douze heures d’audition. Par ailleurs, la commission a examiné environ 400 amendements au cours de trois réunions totalisant quatorze heures de discussion. Si l’on excepte la centaine d’amendements rédactionnels, cela représente un rythme de vingt et un amendements par heure, un rythme assez lent pour un examen en commission.

Pour conclure, je salue encore une fois le travail du rapporteur, son souci de répondre à chaque député qui l’a interrogé en commission, qu’il soit ou non de la majorité. À cet égard, je remercie mes collègues de l’UMP et de l’UDI d’avoir participé activement à nos travaux, ainsi que ceux de tous les groupes minoritaires de la grande majorité. Espérons que le dialogue, même s’il ne sera pas forcément social ici, saura conserver la teneur qu’il a eue en commission. Je le redis : elle a vraiment beaucoup travaillé sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christophe Cavard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Ségolène Neuville, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, avec mon collègue Christophe Sirugue, je suis chargée de vous faire part des travaux de la délégation aux droits des femmes.

La délégation aux droits des femmes considère que ce projet de loi constitue un progrès social, tant sur la méthode de concertation des partenaires sociaux, que sur les nouveaux droits dont vont bénéficier les salariés. Afin de faciliter la compréhension de nos recommandations, il me semble utile de revenir en quelques mots sur la situation des femmes au travail en France.

Les femmes représentent 48 % de la population active et occupent à 80 % des emplois à temps partiel. Le temps partiel est donc préférentiellement réservé aux femmes, raison pour laquelle nous avons particulièrement étudié l’article 8 du projet de loi.

Pourquoi le temps partiel est-il encore réservé aux femmes, en France au XXIe siècle ? Est-ce un avantage ou un inconvénient pour les femmes ? Pour répondre à ces questions, il suffit de regarder les statistiques. Du côté des avantages, on pourrait supposer qu’un emploi à temps partiel laisse plus de temps pour les loisirs. En réalité, lorsqu’une femme passe d’un temps plein à un temps partiel, son temps de loisirs n’augmente que de deux minutes par jour, tandis que le temps qu’elle consacre aux activités domestiques augmente de trente-cinq minutes par jour ! Quant aux inconvénients, ils sont nombreux : le salaire horaire moyen des travailleurs – des travailleuses, devrais-je dire – à temps partiel est de deux euros inférieur à celui des travailleurs à temps plein. La moitié des salariés à temps partiel perçoivent un salaire inférieur à 800 euros par mois. Le temps partiel est surreprésenté dans les secteurs peu qualifiés et peu rémunérés – 68 % des aides à domicile, 79 % des employés de maison.

Le temps partiel est donc plus un facteur de précarité économique que de développement personnel, et c’est par la loi que nous devons l’encadrer efficacement.

Pourquoi le temps partiel est-il majoritairement féminin ? Une des raisons est que le travail des femmes est encore bien souvent considéré comme une ressource d’appoint pour les familles. Une étude récente montre qu’un Français sur quatre pense qu’en période de crise, les femmes devraient laisser le marché du travail aux hommes. La conception du travail féminin dans la société française est donc toujours fondée sur l’idée que le travail rémunéré est facultatif pour les femmes, puisque l’homme est censé assurer les besoins de toute la famille. Le problème aujourd’hui est qu’un couple marié sur deux divorce et qu’une famille sur cinq est monoparentale. Plus de deux millions d’enfants en France sont élevés par des femmes seules. Mes chers collègues, ne croyez-vous pas qu’il y a une profonde injustice, voire une incohérence à encourager les femmes à faire des enfants, pour ensuite ne pas leur donner la possibilité de subvenir seules aux besoins de leurs enfants ?

M. Bernard Accoyer. Et les allocations familiales ?

Mme Ségolène Neuville, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. On ne vit pas avec les allocations familiales !

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Pitoyable !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Les bons vieux réflexes sont toujours à l’œuvre !

Mme Ségolène Neuville, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. Comment pourraient-elles avoir les moyens de subvenir aux besoins des enfants en occupant des emplois à temps partiel, de surcroît dans les secteurs les moins rémunérés, dans des professions où les qualités considérées comme innées pour les femmes sont censées combler le manque de formation professionnelle ? Je veux parler des qualités « innées » des femmes pour faire le ménage, s’occuper des enfants ou des personnes âgées...

Il est donc grand temps que la loi permette à ces femmes de sortir de la précarité. Ces femmes sont nombreuses à souhaiter suivre une formation professionnelle, et c’est dans ce sens que l’article 2 représente un progrès. Ces femmes sont également nombreuses à souhaiter augmenter leur temps de travail rémunéré, et c’est le sens de l’article 8. L’obligation d’une durée minimum de vingt-quatre heures de travail hebdomadaire est une avancée, ainsi que l’obligation, en cas de dérogation à ces vingt-quatre heures, de regrouper les horaires sur des demi-journées ou des journées, pour permettre à ces femmes d’organiser leur vie et de cumuler avec un autre emploi.

Néanmoins certaines salariées peuvent travailler plus de vingt-quatre heures par semaine et avoir des horaires écartelés qui interdisent une vie sociale normale, entraînent un épuisement physique et mettent en danger la santé. Par exemple, pour faire le ménage dans des bureaux, certaines femmes débutent le travail le matin avant cinq heures pour s’interrompre à huit heures, et reprennent à dix-sept heures trente pour travailler jusqu’à vingt heures trente. Si l’on prend en compte les temps de transport, les enfants qu’il faut conduire à l’école et aller rechercher, le temps pour faire le ménage chez elles, s’occuper du linge et des courses, que reste-t-il à ces femmes, tout cela pour gagner 800 euros par mois ?

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Rien !

Mme Ségolène Neuville, rapporteure de la délégation aux droits des femmes. C’est pourquoi la Délégation est attachée à la généralisation des horaires regroupés, pas seulement pour les durées de travail hebdomadaire inférieures à vingt-quatre heures. Pour nous, ce projet de loi n’est qu’une première étape, les partenaires sociaux menant actuellement des négociations sur l’égalité professionnelle.

En conclusion, par bien des aspects, la Délégation considère que ce projet de loi est une avancée sociale : couverture complémentaire santé pour tous les salariés, droit individuel à la formation professionnelle, taxation des contrats à durée déterminée, encadrement du temps partiel. Néanmoins, je le répète, ce projet de loi n’est pour les femmes qu’une première étape. Nous recommandons l’évaluation de l’ensemble de ces dispositifs d’ici à trois ans ainsi que l’évaluation de tous les accords de branche à venir, en termes d’impact sur le travail des femmes et sur l’égalité professionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Michel Sapin, ministre. Je regrette de n’avoir pas le droit d’applaudir ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Sirugue, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pour la troisième fois depuis le début de cette législature et après le lancement des emplois d’avenir et des contrats de génération, nous nous retrouvons pour soutenir le marché du travail. Je ne viens pas ici, apporter une vision globale de ce texte déjà livrée avec talent par son rapporteur et par les responsables politiques, mais donner, avec ma collègue Ségolène Neuville, une appréciation du texte sous l’angle de l’égalité homme-femme.

Si l’ensemble des dispositions touchera bien entendu l’ensemble des salariés, certaines d’entre elles concernent plus particulièrement les femmes et je pense bien sûr à l’article 8 réformant le temps partiel. La délégation aux droits des femmes salue unanimement la fixation d’un seuil minimum de vingt-quatre heures hebdomadaire, ainsi que la fixation d’un plafond d’avenants par an et par salarié.

Si le chiffre de huit avenants semble élevé pour certains de nos collègues, il constitue néanmoins une avancée puisque le droit du travail souffre sur ce point d’un vide juridique permettant jusqu’à aujourd’hui de recourir, sans aucune limite, à autant d’avenants que l’employeur le souhaite.

En plus de la portabilité des droits au chômage, du compte initial de formation ou encore de la représentation des salariés dans les conseils d’administration, le projet de loi comporte de sérieuses avancées en matière de sécurisation professionnelle des salariés, y compris dans des domaines qui toucheront particulièrement les femmes.

C’est la raison pour laquelle la délégation aux droits des femmes a tenu à apporter sa pierre à l’édifice et à contribuer, par ses suggestions, à améliorer encore l’article 8 consacré au temps partiel.

Il reste, parmi d’autres, un secteur d’activité qui nécessite d’être davantage encadré : il s’agit bien sûr des services à la personne. Cet encadrement doit emprunter deux voies : d’une part, la normalisation du temps de travail et, d’autre part, la normalisation de la vie professionnelle. La normalisation du temps de travail, que j’appelle de mes vœux depuis de nombreuses années, est rendue nécessaire par l’exercice très particulier des services à la personne.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Belle proposition.

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Pour mémoire, les salariés de ce secteur sont composés à 82 % de femmes et pour certains métiers, jusqu’à 98 % de travailleuses, souvent pauvres, qui exercent leur activité dans des conditions extrêmement dégradées. Que ce soit pour des travaux d’entretien, de ménage, de repassage, de soins des enfants, des personnes âgées ou handicapées, ces femmes ne bénéficient ni d’un lieu de travail unique, ni d’un employeur unique, ni d’horaires stables et encore moins d’un contrat de travail de droit commun. Elles n’ont droit qu’à des « heures » que leurs employeurs leur distribuent au gré des besoins de l’entreprise. L’émiettement de ces heures entraîne la parcellisation des tâches, les horaires très tardifs ou très matinaux et les amplitudes excessives, entrecoupées d’interruptions, bien évidemment, non rémunérées. La dislocation de la durée du travail dans le temps anéantit toute chance d’articuler la vie professionnelle et la vie privée de ces salariées et ajoute à la pénibilité de certains emplois, l’épuisement d’un travail irrégulier et exagérément étalé dans le temps.

Au nom de la délégation aux droits des femmes et avec le soutien de sa présidente, j’ai déposé un certain nombre d’amendements qui je l’espère rencontreront un accueil positif.

Mme Catherine Coutelle. On l’espère.

M. Christophe Sirugue, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Il s’agit, entre autres, de donner enfin une définition du temps effectif de travail, qui comprendrait les temps de déplacement d’un lieu de mise à disposition de l’employée à un autre, au sein d’une même journée ; d’encadrer davantage les délais de prévenance pour que ces femmes ne soient pas soumises aux modifications intempestives de leurs horaires de travail et, enfin, d’empêcher que, par avenant, un employeur puisse contourner la majoration des heures complémentaires.

Mais l’amélioration de l’article 8, consacré au temps partiel, passe aussi par la normalisation de la vie professionnelle de ces salariés aux emplois atypiques. En effet, le morcellement géographique et temporel de leur emploi du temps entraîne diverses conséquences auxquelles n’est pas soumis le commun des salariés. Les salariés à temps très partiels, mis à disposition de multiples employeurs, ne bénéficient jamais de temps collectif avec leurs collègues ou même leur hiérarchie. Elles se retrouvent – puisque l’écrasante majorité de ces salariés sont des femmes – isolées, exclues de toute sociabilisation, écartées des informations sur leurs droits, à la marge de la santé du travail, peu ou pas syndiquées puisque peu ou pas accessibles aux démarches des organismes syndicaux et dans l’impossibilité de se fédérer. Indépendamment du besoin qu’elles auraient de se fédérer, tout le monde sait que le travail est un élément de construction identitaire déterminant, au même titre que la famille ou les relations sociales.

Avant de conclure, je souhaite préciser que la délégation aux droits des femmes a souhaité – dans la continuité de la proposition de loi que nous avions déposée en 2011, avec Catherine Coutelle – inclure dans les critères d’attribution d’octroi des marchés publics, l’exigence de performances en matière de lutte contre la précarité professionnelle et d’égalité professionnelle. Car il appartient à l’État d’initier ce changement de mentalité, c’est à l’État, par son exemplarité, d’initier un cercle vertueux pour favoriser l’émergence de bonnes pratiques au sein des entreprises et inviter les partenaires sociaux à se saisir de la déprécarisation des secteurs d’activité très majoritairement féminins. Tel est l’enjeu du travail accompli par la délégation aux droits des femmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder le contenu de notre motion, je voudrais rappeler à M. le ministre puisqu’il a comparé ce texte avec les lois Auroux que, moi aussi, j’y étais. (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Je m’en souviens.

M. Bernard Accoyer. Au siècle dernier ! Au temps de l’URSS !

Mme Jacqueline Fraysse. J’en étais même la rapporteure et notre groupe a voté ces lois sans hésiter. Aussi, je trouve la comparaison, permettez-moi de le dire, assez osée…

M. Hervé Morin. Elle a raison !

Mme Jacqueline Fraysse. … avec un texte qui n’a pas grand-chose à voir avec celui de l’époque en termes de protection des salariés.

M. André Chassaigne. Très bien.

M. Marc Dolez. Excellent !

Mme Jacqueline Fraysse. Nous voici, avec ce bien mal nommé projet de loi de sécurisation de l’emploi, attelés à une tâche bien singulière : Légiférer sur la question centrale des préoccupations de nos concitoyens en nous transformant en chambre d’enregistrement, quitte à ignorer certains principes constitutionnels, les engagements internationaux auxquels la France a souscrits et, peut-être plus grave encore, nos engagements auprès de celles et ceux qui nous ont, voici moins d’un an, élus au sein de cette assemblée.

M. Dominique Dord. C’est surtout cela !

Mme Jacqueline Fraysse. Quelle occasion manquée alors qu’après dix-sept ans de déferlante libérale et de casse sociale, la majorité de gauche élue était attendue sur des mesures concrètes et efficaces pour mettre un terme à la toute puissance patronale qui fait chaque jour la preuve de son incompétence et de sa suffisance. Que d’envolées lyriques pendant la dernière campagne sur la lutte contre les licenciements boursiers ! Tout ça pour ça !

Mon collègue André Chassaigne reviendra, dans son intervention générale, sur notre critique des aspects les plus contestables de ce texte, …

M. Bernard Accoyer. On peut lui faire confiance !

Mme Jacqueline Fraysse. …mais je veux, quant à moi, tenter de convaincre mes collègues députés de la majorité du caractère irrecevable, au sens plein du terme, d’un projet qu’on leur demande de voter les yeux fermés. Car c’est bien là le premier vice affectant ce texte et, surtout, la manière par laquelle il nous est imposé.

Qui n’a été choqué de voir, alors que l’encre des paraphes n’était pas encore sèche sur l’accord du 11 janvier 2013, le Président de la République, par voie de communiqué, demander au Gouvernement de préparer, sans délais, un projet de loi afin de transcrire fidèlement les dispositions d’ordre législatif prévues dans l’accord ?

Passe encore que les signataires de l’accord aient fait connaître leur volonté de voir leur ouvrage respecté. Mais que dire de l’insistance avec laquelle, par la voix du Premier ministre ou du ministre du travail, nous sommes sommés de nous en tenir au texte de l’accord si controversé du 11 janvier 2013, oubliant au passage que le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement ne tiennent pas leur légitimité de quelque accord collectif, fût-il national et interprofessionnel, mais du suffrage universel et du mandat qui nous a été donné voici moins d’un an.

Cette injonction a produit ses effets jusques et y compris dans le travail de notre commission des affaires sociales. Malgré son talent et son sens du dialogue et de l’explication, notre rapporteur s’est en effet trouvé confronté à de multiples reprises à des arguments portés par des membres, non seulement de mon groupe, mais aussi du sien. Il s’est ainsi vu contraint de reconnaître que nous avions raison mais qu’il était obligé, avec un « immense regret », d’émettre un avis défavorable afin de ne pas s’écarter de l’accord.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’est une interprétation audacieuse de mes propos !

Mme Jacqueline Fraysse. C’est une question terrible qui se trouve alors posée, et dont l’antiparlementarisme triomphant ne manquera pas de se repaître : à quoi servons-nous ?

On nous fait grief de n’avoir pas une attitude constructive. Mais que s’est-il passé lors de l’examen en commission lorsque nous avons tenté d’améliorer le texte, ou du moins d’en réduire la nocivité ?

Proposions-nous d’augmenter la part des représentants des salariés dans les conseils d’administration : bonne idée, nous répondait-on, mais on ne peut vous suivre parce qu’on s’est engagé vis-à-vis des partenaires sociaux signataires de l’accord.

Proposions-nous de suspendre le versement des dividendes, dans le cadre d’un accord de maintien de l’emploi : vous avez raison, nous disait-on, mais les signataires de l’accord ne l’ont pas voulu ainsi.

Et je pourrais ainsi multiplier les exemples.

Je veux ici rappeler que le Parlement est, selon l’article 34 de la Constitution, seul compétent pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.

Une décision récente du Conseil constitutionnel, du 28 décembre 2011, est venue rappeler que le Parlement ne peut s’en remettre à une autre instance sans méconnaître les règles de compétences érigées par la Constitution et sans se rendre coupable d’incompétence négative. Selon le Conseil, « il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ».

Ainsi veut-on nous imposer un nouveau mode d’élaboration de la loi.

Ce n’est pas une ratification d’ordonnance, pas plus qu’une transcription de directive communautaire. C’est une ratification d’un accord collectif signé par des partenaires sociaux auxquels le Gouvernement, sans éprouver le besoin de solliciter notre accord préalable, a décidé de confier le pouvoir de créer la loi.

Pour être nouvelle, cette méthode n’en est pas moins hautement critiquable.

Par une autre décision, du 9 décembre 2004, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’« il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d’application des normes qu’il édicte en matière de droit du travail ».

Ce qui nous est proposé aujourd’hui procède de la méthode rigoureusement inverse.

Et nous voici cantonnés à une simple subsidiarité, tout juste autorisés à préciser à la marge ce que les négociateurs de l’accord auront daigné nous laisser compléter.

Choquante dans son principe lorsqu’il s’agit de définir des droits sociaux de protection des salariés dans leur rapport déséquilibré avec leurs employeurs – que vous reconnaissez, d’ailleurs, monsieur le ministre –, cette méthode devient carrément inacceptable lorsqu’il s’agit de déterminer les limites et les modalités de l’action de l’État et des autorités judiciaires et administratives.

C’est au Parlement et à lui seul, à l’exclusion de toute autre autorité, qu’il appartient de statuer sur ces questions dites régaliennes.

Or, nous voici sommés de transcrire dans la loi la mise à l’écart du juge judiciaire des procédures de licenciements collectifs, sommés aussi de réduire la durée de la prescription de l’action des salariés. Pourquoi ? Parce que l’accord l’a décidé !

Contraire à l’article 34 de la Constitution, ce projet l’est aussi au regard du droit constitutionnel à l’emploi, droit à l’emploi qui devient, à l’aune des accords de maintien de l’emploi, une monnaie d’échange pour imposer des baisses de salaire.

Un droit constitutionnel peut-il être l’objet d’un tel échange ?

On nous dit que de tels accords existent déjà – nous le savons parfaitement – et qu’il nous appartiendrait de les « encadrer ». Eh bien non ! Notre rôle n’est pas d’encadrer ce qui est aujourd’hui attentatoire à la loi mais de le combattre !

Sur ce point précis, d’ailleurs, nous pouvons prédire un avenir mouvementé à ces accords nouvelle formule qui prévoient que le contrat de travail est suspendu pendant le temps de leur application, permettant ainsi de réduire le salaire jusqu’au seuil de 120 % du SMIC.

Faut-il rappeler ici ce que nous disait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 mars 2012 relative à la loi Warsmann : « Dès lors qu’il ne s’agit pas des éléments essentiels de ce dernier (caractère à durée déterminée ou indéterminée, salaire…), et que la loi encadre cette atteinte (durée maximale d’un an), cette loi peut organiser ce rapport entre la convention collective et le contrat individuel de travail. Fondé sur un motif d’intérêt général suffisant et organisé avec des modalités adaptées, l’article 45 de la loi déférée n’a pas été jugé contraire à la Constitution. ».

Le message est parfaitement clair. Le Conseil accepte que la convention collective puisse venir se substituer au contrat de travail mais à deux conditions : que cette substitution soit fondée sur un motif d’intérêt général ; qu’elle ne porte pas atteinte à un élément essentiel du contrat, à commencer par le salaire.

Votre texte, monsieur le ministre, ignore cette mise en garde. Mais, peu importe, puisque l’accord en a décidé ainsi !

Que dire encore de l’hallucinante procédure prévue par l’article 13 du projet de loi s’agissant de l’intervention du juge administratif en matière de validation ou d’homologation d’un plan de licenciement unilatéralement négocié.

Mme Parisot avait été très claire : il ne s’agissait pas de sécuriser l’emploi mais de sécuriser les licenciements. Il fallait donc mettre fin à l’insupportable aléa judiciaire et à l’excessive durée des procédures.

Forts de cette feuille de route, vous nous avez concocté deux énormités juridiques.

Tout d’abord, la décision implicite d’acceptation. Au mépris d’un séculaire principe général du droit selon lequel le silence gardé par l’administration constitue un refus, huit jours de silence de l’administration permettront de valider un accord, le plus souvent obtenu sous la menace d’un chantage à la fermeture et de dizaines de licenciements !

Mais il y a encore plus fort : le système qui veut que, lorsque le tribunal administratif n’a pas statué dans les trois mois, il soit dessaisi au profit de la cour administrative d’appel, et ainsi de suite jusqu’au Conseil d’État, qui pourrait donc se retrouver la seule juridiction ayant statué.

Ce faisant, vous ne craignez pas de porter atteinte au principe du double degré de juridiction dont le Conseil constitutionnel a fait un principe constitutionnel par sa décision n° 80-127 des 19 et 20 janvier 1981 en décidant que, dans les contentieux où existe la règle du double degré de juridiction, le législateur ne peut y déroger.

Qui prétendra que le double degré de juridiction n’existe pas dans le contentieux dont nous parlons ?

La volonté qui vous anime de vous aligner coûte que coûte sur le contenu de l’accord du 11 janvier 2013 vous a conduits à d’autres inepties juridiques.

Ainsi en est-il, s’agissant des accords de maintien de l’emploi, de cet article qui réserve aux seuls syndicats signataires de l’accord le droit de saisir le juge en cas de non-respect par l’employeur de ses obligations.

Ainsi en est-il encore, s’agissant du nouveau régime des licenciements économiques collectifs, de cet article qui exclut la compétence du juge judiciaire pour toute contestation relative à un plan de sauvegarde de l’emploi prévu par accord collectif, transférant ainsi le contentieux d’une convention de droit privé – conclue entre personnes morales de droit privé – au juge administratif, au mépris des principes constitutionnels régissant la séparation des pouvoirs et les compétences respectives des juges judiciaires et administratifs.

Contraire à la Constitution, votre projet est aussi contraire aux engagements internationaux pris par la France, en particulier vis-à-vis des conventions de l’Organisation internationale du travail, l’OIT.

La seule et unique vraie liberté que vous avez cru pouvoir prendre avec le texte de l’accord du 11 janvier 2013 est de prévoir que le salarié qui refuse de voir soumettre son contrat de travail à un accord de mobilité interne ou à un accord de maintien de l’emploi sera licencié, non pas pour un motif personnel – absurdité qui montre bien à la fois les intentions et les limites de ce sacro-saint accord – mais pour un motif économique.

Le diable se nichant toujours dans les détails, vous nous avez concocté aussi bien dans l’article 10 relatif aux accords de mobilité que dans l’article 12 relatif aux accords de maintien de l’emploi une rédaction ambiguë aux termes de laquelle le licenciement des salariés concernés « repose sur un motif économique ».

Cela signifie – et pas seulement à nos yeux – que ce licenciement serait présumé reposer sur un motif économique et échapperait donc au contrôle de causalité exercé par le juge.

Lorsque je vous ai interrogé sur ce point, vous m’avez répondu, monsieur le rapporteur, que tant le Conseil d’État que les juristes que vous aviez consultés vous avaient rassuré. Vous avez ainsi déclaré en commission – je cite le compte rendu : « Dire que le licenciement “repose sur un motif économique” ne signifie pas que l’on considère qu’il existe une “cause réelle et sérieuse”, c’est au juge judiciaire qu’il appartiendra d’en décider ».

Afin de clarifier les choses, nous avons donc proposé par amendement de renvoyer au texte de l’article L. 1233-3 du code du travail qui définit le motif économique du licenciement. Et c’est alors que vous m’avez répondu, pour rejeter cet amendement : « L’amendement de Jacqueline Fraysse propose un renvoi à l’article L. 1233-3 du code du travail, qui définit le licenciement pour motif économique. Mais les situations visées ici ne sont pas celles où l’entreprise est en difficulté et envisage des restructurations, il s’agit seulement de garantir au salarié les protections applicables aux licenciements pour motif économique. Avis défavorable également. »

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’était à propos de l’article 10.

M. Alain Bocquet. Le rapporteur ne comprend pas grand-chose au droit du travail !

Mme Jacqueline Fraysse. Alors, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me pose une question : que serait donc ce « motif économique » qui échappe à la définition légale du motif économique dans le droit du travail ? Le motif se réduirait-il, finalement, à l’existence de l’accord de maintien de l’emploi ou de l’accord de mobilité ?

Nous sommes donc – et les travaux en commission n’ont pu que renforcer nos craintes à cet égard – face à une rédaction délibérément ambiguë qui aboutit à un licenciement « pré-causé ».

Ceci est tout simplement contraire à l’article 8 de la convention de l’OIT qui prévoit qu’« un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement injustifiée aura le droit de recourir contre cette mesure devant un organisme impartial tel qu’un tribunal » et surtout à son article 9, qui prévoit que ces organismes impartiaux « devront être habilités à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié ».

M. André Chassaigne. C’est la France des Lumières !

Mme Jacqueline Fraysse. Je vous invite à méditer l’exemple du contrat nouvelle embauche, qui nous avait, lui aussi, été présenté comme parfaitement bordé juridiquement et qui a fini, pour reprendre les termes d’un dirigeant syndical de l’époque, « dans d’atroces souffrances judiciaires ».

Que dire encore de l’article 13, qui réduit les délais de prescription opposables aux actions des salariés ? Une telle restriction de l’accès au juge nous apparaît contraire à plusieurs textes internationaux, dont l’article 6, alinéa 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui affirme le droit effectif à un recours.

La Cour européenne des droits de l’homme a, dans l’arrêt Golder du 21 février 1975, érigé ce principe au nombre des « principes fondamentaux du droit universellement reconnus ». Si la Cour européenne n’exclut pas que le législateur aménage l’exercice du droit d’agir en justice, encore faut-il qu’il ne soit pas atteint dans sa substance même et que les limitations apportées poursuivent un but légitime.

Quel est, en l’occurrence, le but légitime poursuivi ? Pourquoi cette mesure, sinon pour satisfaire le souhait du MEDEF de bénéficier au plus vite de l’oubli judiciaire ?

Les conseillers prud’homaux, avocats et magistrats que nous avons pu consulter nous ont fait part de leur indignation devant cette réduction de la prescription. Tous nous ont parlé de leurs nombreuses expériences concernant des salariés les plus faibles, travaillant dans des entreprises peu syndicalisées ou dépourvues de toute représentation et qui, pour certains d’entre eux, sont rémunérés depuis des années en deçà du salaire minimum conventionnel sans même le savoir, et le découvrent à l’occasion de la contestation de leur licenciement.

Lorsque, avec d’autres collègues, je demandais le retour à une prescription de cinq ans, à l’instar de ce qui est accordé par exemple à un propriétaire pour réclamer des loyers impayés à son locataire, les deux arguments qui m’ont été opposés reflétaient la gêne à défendre l’indéfendable.

Premier argument : les négociateurs de l’accord du 11 janvier 2013 en ont décidé ainsi. On serait tenté d’ajouter : « circulez, il n’y a rien à voir ! »

Second argument, et je cite le texte du rapport de la commission : « les salariés n’ont rien à gagner dans des contentieux trop longs qui augmentent les frais d’avocats ». Comme si la durée de la prescription avait un quelconque rapport avec la durée des procédures et leur coût !

Ce sujet mérite un peu plus de sérieux. La vérité est tout simplement que pour satisfaire l’exigence d’impunité portée par le MEDEF, ce projet passe par-dessus bord les principes les plus élémentaires, comme le droit pour chaque salarié d’ester en justice et de défendre ses droits, a fortiori lorsqu’ils ont été violés pendant plusieurs années.

Au-delà des libertés prises avec les principes constitutionnels et les engagements internationaux, j’ai rappelé en introduction de mon propos qu’il y avait sans doute plus grave encore, à savoir l’oubli si rapide des engagements pris avant les élections – ce genre d’oubli dont les conséquences sont dramatiques, tant elles sont porteuses de discrédit de la parole publique, comme la récente élection législative partielle dans l’Oise l’a encore démontré à ceux qui l’auraient oublié.

Permettez-moi de m’adresser à mes collègues du groupe socialiste qui, compte tenu de leur nombre, sont ici décideurs et ont encore la possibilité de se joindre à nous pour refuser l’inacceptable. Toutes les décisions du Conseil constitutionnel que j’ai citées ont pour origine une saisine de votre groupe et du nôtre. Les principes que nous défendions alors ensemble auraient-ils disparu ?

Tout citoyen peut aller, aujourd’hui encore, consulter le site internet du parti socialiste, où est encore accessible le projet intitulé « Le changement » en vue des élections législatives de 2012.

Je ne citerai que deux exemples issus de ce texte. Il y est tout d’abord écrit qu’il faut « lutter contre les licenciements boursiers ». Quel article de ce projet de loi répond à cet objectif ? Non seulement il ne fournit aucune définition restrictive du motif de licenciement ou de l’alourdissement des sanctions en cas de licenciement abusif, mais il vise au contraire à sécuriser les procédures de licenciements et à limiter le recours au juge.

Dans ce même projet, on peut lire ceci : « La négociation collective sera renforcée à tous les niveaux et la hiérarchie des normes en matière de droit social rétablie. Nous réhabiliterons la négociation de branche, réduite par la droite à une fonction supplétive de la négociation d’entreprise. »

Qu’en est-il de cet engagement, dans un projet qui fait de l’accord d’entreprise le vecteur des remises en cause du code du travail et du contrat de travail, et n’envisage la négociation de branche que comme un moyen de déroger aux principes prévus par la loi ?

Ce projet de loi, loin de rétablir la hiérarchie des normes garante de l’ordre public social, lui porte le coup de grâce, et par là même, un coup fatal à l’image de la négociation collective dans l’esprit des salariés. La négociation de branche n’y est envisagée que comme moyen d’échapper aux quelques rares avancées, comme la durée minimale de 24 heures pour les temps partiels.

Quant à la négociation d’entreprise, par nature favorable au patronat, elle est la grande gagnante de ce projet. C’est elle qui permet aux employeurs de réduire les durées des procédures de consultation, d’associer les organisations syndicales aux licenciements, et surtout de faire sauter le seul point de résistance que la jurisprudence avait maintenu jusqu’ici : le contrat de travail.

On nous parle d’un équilibre global du texte de l’accord qu’il faudrait respecter. En réalité, le seul équilibre véritablement menacé est celui qui a présidé à la construction de notre droit du travail, par la hiérarchie des normes – de la Constitution au contrat de travail en passant par la loi et les accords collectifs, sous l’égide de l’ordre public social.

À qui faut-il apprendre ici que ce principe est celui qui permet d’affranchir le contrat de travail des règles du code civil en prévoyant des protections de nature à compenser le déséquilibre né du pouvoir de direction de l’un des cocontractants sur l’autre ? Mesurez-vous bien à quoi vous êtes en train de toucher, et les conséquences graves qui en résulteront ?

Les employeurs ont toutes les raisons de se réjouir de cette perspective puisque, après avoir poussé à l’individualisation des relations de travail pour venir à bout des garanties et protections collectives, ils obtiennent par ce projet de loi le droit de mettre à bas les garanties individuelles.

Et le plus inacceptable est que ce droit ne leur est pas donné seulement dans les entreprises en difficulté économique, et sous la condition d’un accord majoritaire, mais aussi dans celles qui ne connaissent aucune difficulté et au simple moyen d’un accord de type classique !

Et ce n’est pas tout ! Le plus fort est d’avoir obtenu, dans le même projet, que le rapport individuel s’efface quand il s’agit des droits, mais reprenne le dessus quand il s’agit des procédures, comme c’est le cas aussi bien pour les salariés ayant refusé la mobilité géographique ou professionnelle que pour ceux ayant refusé la baisse de leur rémunération dans le cadre d’un accord de maintien de l’emploi.

M. André Chassaigne. Eh oui !

Mme Jacqueline Fraysse. Quel que soit leur nombre, ils seront licenciés dans le cadre d’une procédure individuelle, évitant ainsi à l’employeur un débat avec les représentants du personnel et le contrôle de l’administration. On comprend la vigilance du MEDEF pour que son texte soit transcrit sans modification ! Cela s’appelle un carton plein !

Alors, j’en appelle à mes collègues de la majorité, et je leur pose la question : avons-nous été élus pour cela ? Pensez à ces salariés que nous recevons dans nos permanences, avec lesquels nous manifestons, que nous soutenons et qui, aujourd’hui, parviennent encore à mettre en échec des plans de licenciements inconsistants, qui peuvent encore peser avec le peu de droits que le précédent quinquennat leur a laissés. Que leur direz-vous demain ? Que leur direz-vous lorsqu’ils prendront conscience des conséquences concrètes de ce qui sera décidé ici sous le masque trompeur d’un projet prétendument équilibré ? Que vous avez protégé leurs droits et sécurisé l’emploi ? Nous savons tous que c’est faux !

Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, disait Albert Camus.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est vrai !

Mme Jacqueline Fraysse. Appeler ce projet de loi « sécurisation de l’emploi », c’est tromper la confiance de ceux qui nous ont élus.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est un mensonge, nous sommes d’accord !

Mme Jacqueline Fraysse. Pour ce qui concerne les députés du Front de gauche, ce sera sans nous et personne dans cette assemblée ne pourra dire demain : « Nous ne savions pas ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. André Chassaigne. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Madame Fraysse, je ne reviendrai pas sur l’ensemble des arguments juridiques que vous avez soulevés : nous en avons débattu en commission et, manifestement, sur un certain nombre de points, vous ne rejoignez pas l’analyse que j’ai pu en faire.

Les questions juridiques que vous évoquez ont été examinées de près par le Conseil d’État. Je pense notamment à une disposition relative à la mobilité individuelle et à ses conséquences, notamment le licenciement pour motif personnel. Elle a été jugée suffisamment porteuse de risque de contentieux pour être écartée du texte.

Je souhaite toutefois revenir sur un point important. Vous avez mentionné deux dispositifs relatifs à la mobilité et aux accords de maintien dans l’emploi. La conséquence, pour des salariés qui refuseraient de s’inscrire dans ce cadre, c’est un licenciement pour motif économique individuel.

Le raisonnement tenu par les juristes qui ont défendu la légalité de cette thèse est le suivant : dès lors qu’il y a eu une négociation collective avec les syndicats, on considère que les salariés ont été consultés, certes pas par la voie habituelle des représentants du personnel, mais par la voie syndicale – notre pays reconnaissant deux types de représentants des salariés : les délégués du personnel et les syndicats. Quand un accord est conclu, cela signifie qu’une discussion est intervenue et que l’information a été transmise, permettant ainsi d’aboutir à cet accord. De ce fait, les juristes qui défendent cette thèse considèrent qu’une négociation concluante vaut information et consultation.

M. André Chassaigne. On n’arrête pas le progrès !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Leurs arguments sont exposés dans mon rapport.

Mais c’est la seule question qui se pose. La seule différence entre ce qui existe aujourd’hui et ce que prévoit le présent texte tient au licenciement, qui est individuel et non plus collectif. Cela ne prive donc le salarié d’aucun droit,…

M. André Chassaigne. Si : cela le prive d’une procédure collective !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. …si ce n’est de l’existence de la procédure collective,…

M. Alain Bocquet. Ce n’est pas rien !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. …celle-ci ayant eu lieu auparavant, par le biais de la négociation collective.

M. André Chassaigne. C’est risible !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Vous pouvez certes juger qu’une procédure d’information et de consultation vaut plus qu’une négociation conduisant à un accord majoritaire. Mais je ne porte pas de jugement ; je vous indique seulement que le débat est juridique et qu’il concerne ces deux articles.

M. Alain Bocquet. Le débat n’est pas seulement juridique. Il est politique.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. J’aborderai un second point – je ne veux pas être trop long à ce stade –, celui qui concerne les engagements politiques. Au-delà des seules questions juridiques, ceux-ci sont très importants pour nous, ainsi que je l’ai dit dans mon exposé introductif. Contrairement à ce que vous affirmez, nous respectons nos engagements, et je tiens à le redire ici.

Vous avez évoqué la question des licenciements boursiers, sur laquelle nous avons, il est vrai, une différence, d’ailleurs totalement explicitée pendant la campagne électorale. Vous êtes favorables à une interdiction des licenciements dans certaines situations ; nous sommes favorables, comme François Hollande l’a dit très clairement, à un renchérissement des licenciements, au point de les dissuader.

M. Alain Bocquet. Des licenciements, en ce moment, il y en a un paquet !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. La campagne électorale a tranché cette question. C’était l’engagement de François Hollande, et vous l’avez soutenu sur cette question. L’article 13 du projet de loi traite de ce point, et j’espère que nos débats permettront de l’éclairer.

Par ailleurs, vous avez noté qu’Henri Guaino a signé un article dans la presse aujourd’hui pour dire qu’il ne voterait pas ce texte, parce qu’il marque le retour de l’État comme garant de la protection des salariés dans les licenciements économiques.

Nous avons eu également un débat avec Hervé Morin, qui était présent tout à l’heure…

M. Alain Bocquet. Et le MEDEF, qu’en pense-t-il ?

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Attendez ! Hervé Morin nous a dit en commission qu’il n’était pas favorable à cet article 13, car il considérait qu’il entraînait le retour du politique dans les plans sociaux.

Ils ont raison, sur le fond, d’être en désaccord, parce que ce texte est contraire à ce qu’ils défendent depuis toujours. Je ne comprends pas, en revanche, pourquoi vous y êtes défavorables. Nous étions tous favorables à l’autorisation administrative de licenciement.

M. André Chassaigne. Pas dans ces conditions !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous revenons aujourd’hui à une forme d’autorisation, plus moderne puisque nous essayons d’abord d’obtenir un accord avec les salariés.

Vous défendez le droit de veto des salariés. Or, désormais, il faudra un accord majoritaire des salariés dans l’entreprise, ou bien l’accord des services du ministre sur le contenu du plan social. Le progrès est donc énorme : c’est une révolution !

M. André Chassaigne. Nous vous démontrerons le contraire !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je ne suis d’ailleurs même pas sûr que nous aurions pu envisager cela il y a encore un an.

Vous expliquez que cette disposition risque de faciliter les licenciements. Or je vous rappelle que si actuellement c’est le chef d’entreprise qui décide seul de licencier avant d’informer et de consulter, demain il faudra l’accord majoritaire des salariés ou l’accord à travers l’homologation. Je ne vois donc pas en quoi cela facilitera les licenciements.

François Hollande s’était engagé – c’était l’engagement n° 24 – à prendre des mesures visant à dissuader l’emploi précaire et notamment à taxer les contrats courts. Cet engagement est repris à l’article 7. Il s’était engagé également à mettre en place une sécurité sociale professionnelle. C’est le cas avec les articles 1er, 2, 3, 4 et 5.

Vous avez parlé de ma prétendue gêne en commission. C’est vrai, je souhaiterais aller plus loin sur certains points et je l’ai dit tout à l’heure. S’agissant, par exemple, de la présence des salariés au conseil d’administration, en commission vous avez présenté un amendement visant à supprimer l’article 5 au motif que cette disposition n’était pas bonne. Puis vous avez présenté un amendement visant à fixer à quatre plutôt que deux le nombre d’administrateurs représentant les salariés dans le conseil d’administration. Je suis d’accord avec vous, il en faudrait effectivement quatre.

M. Alain Bocquet. Alors, faisons-le !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je présenterai des amendements visant à ce que les administrateurs soient plus rapidement en fonction, avant de franchir une deuxième étape pour aller plus loin. Vous le voyez bien, ce point ne peut pas justifier un désaccord entre nous. Quand on veut faire deux pas en avant, on ne peut pas refuser le premier.

En tout cas, je souhaite que nos échanges puissent lever toutes ces ambiguïtés. En tout état de cause, nous sommes d’accord sur la nécessité d’améliorer la couverture santé, sur la formation et sur la présence des salariés au conseil d’administration. Nous pouvons au moins en convenir, même si, à la fin de la discussion, nous aurons des choix différents. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Madame la présidente, il est légitime qu’à ce stade du débat le ministre s’exprime, ne serait-ce que par respect pour l’oratrice qui s’est exprimée, même si je n’approfondirai pas chacun des points, notamment les points juridiques.

Madame Fraysse, vous avez soulevé un certain nombre d’arguments juridiques, de constitutionnalité ou plus exactement d’inconstitutionnalité, de conventionnalité ou plus exactement d’inconventionnalité. Une partie du texte serait contraire à un certain nombre d’engagements internationaux de la France. Sur tous ces points, j’ai voulu sécuriser le texte juridiquement, comme une majorité dans cet hémicycle souhaite sécuriser les procédures, les situations et l’emploi. D’ailleurs, à quoi aurait-il servi d’avoir un texte à ce point discutable juridiquement alors que nous voulons faire en sorte que les procédures soient plus stables et plus établies juridiquement ?

Je le dis clairement : je rendrai public, si vous le souhaitez, l’avis du Conseil d’État. Cela ne me pose aucun problème.

M. Éric Woerth. Comme pour le mariage pour tous ?

M. Michel Sapin, ministre. Le Conseil d’État a fait son travail méthodiquement. Il n’a retenu aucun argument d’inconstitutionnalité.

S’agissant de la conformité aux conventions internationales, j’ai été très sensible aux arguments qui ont pu être avancés par les uns ou les autres, par vous-même, ou par des organisations syndicales. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, et je m’en suis expliqué avec les signataires de l’accord, en toute loyauté et en toute transparence, que s’agissant d’un licenciement individuel lorsqu’un salarié refuse l’application d’un accord de mobilité, le texte soit modifié précisément pour tenir compte des engagements de la France. Je suis le ministre du travail. Je suis le garant du respect des engagements internationaux de la France dans le cadre des minima nécessaires à la protection des salariés. La France a toujours été exemplaire. La France est un pilier de l’Organisation internationale du travail…

M. Michel Issindou. C’est vrai !

M. Michel Sapin, ministre. …et vous pouvez être certains que ce n’est pas moi qui ferai flancher ce pilier.

Le débat est totalement légitime, mais je peux vous assurer que ce travail a été fait de manière précise et sérieuse.

J’en viens à la question de la force de la loi, de la primauté de la loi. Je l’ai déjà dit mais je le répéterai, dans notre dispositif juridique, dans la France que nous connaissons aujourd’hui et qui s’est construite autour de ce droit-là, c’est la loi qui prime, c’est la loi qui dit le droit, c’est la loi qui est la règle et c’est le Parlement qui vote la loi et fixe donc librement les règles en question.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ce n’est pas ce qu’on nous a dit la semaine dernière !

M. Michel Sapin, ministre. Mais il n’est pas interdit d’être éclairé, il n’est pas interdit de tirer les conséquences, avec intelligence et pertinence, du résultat du dialogue social et des accords sociaux. C’est ce qui a été fait et voté des dizaines de fois dans cet hémicycle, y compris par vous, lorsqu’il y avait eu un accord entre partenaires sociaux.

M. Marc Dolez. Tout dépend du contenu de l’accord !

M. Michel Sapin, ministre. Après cela, vous pouvez parfaitement juger le contenu de l’accord. Mais un accord n’est pas bon uniquement parce qu’il est unanime.

M. Alain Bocquet. Mais quand deux syndicats s’y opposent, il faut peut-être se poser des questions.

M. Michel Sapin, ministre. Ou alors cela voudrait dire qu’une loi n’est bonne que si elle est votée à l’unanimité.

Un accord se juge sur le fond, mais il est légitime dès lors qu’il est majoritaire, et c’est le cas aujourd’hui.

Madame Fraysse, nous étions, vous et moi, dans cet hémicycle lors du débat sur les lois Auroux. Je me souviens de la violence des réactions du côté droit de l’hémicycle. J’aurai le plaisir de vous envoyer, avec notre double signature, la tribune que Jean Auroux et moi-même avons écrite dans Le Monde quelques jours après la signature de l’accord du 11 janvier. Vous saurez tout, vous comprendrez tout de la filiation directe qui existe entre les lois Auroux et l’accord qu’il vous est proposé aujourd’hui de transcrire dans la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable. Je vous rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes.

La parole est à M. Michel Issindou, pour le groupe SRC.

M. Michel Issindou. Jacqueline Fraysse a fait une lecture très négative du projet de loi. Elle n’a vu dans le texte que régression pour les salariés. Ce n’est évidemment pas la lecture de notre groupe. Elle a vu le verre totalement vide, alors que nous l’avons vu plutôt plein.

Nous avons de bonnes raisons de partager la vision positive du ministre sur ce texte de grande ampleur pour les futures relations du travail. Il nous satisfait sur la méthode et sur le fond.

Sur la méthode, car pour la première fois depuis longtemps les syndicats salariés et patronaux ont trouvé un accord après de longues négociations. Pourquoi contester cette manière de définir les règles de fonctionnement dans l’entreprise ? Pourquoi dénigrer la démocratie sociale enfin retrouvée ?

Sur le fond, c’est un texte de compromis. S’il permet plus de flexibilité, il donne aussi et surtout de nouveaux droits aux salariés : la taxation des CDD, la complémentaire santé, l’homologation en cas d’absence d’accord, la formation, le temps partiel minimum de vingt-quatre heures, les droits rechargeables à l’assurance chômage, la présence de salariés dans les lieux de décision et, surtout, surtout, le maintien dans l’emploi.

Au cours de la discussion, nous verrons que la commission a fait progresser le texte. Il faut féliciter et remercier le rapporteur Jean-Marc Germain. Le texte a progressé sur la mobilité, sur le délai pour l’homologation, sur les stages, sur les efforts demandés aux actionnaires.

En conclusion, l’esprit et l’équilibre de l’accord doivent être respectés et notre groupe est satisfait de ce texte. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de rejeter la motion présentée par le groupe GDR pour enfin entrer dans le vif de la discussion, au cours de laquelle les députés du groupe SRC montreront leur sens des responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cherpion, pour le groupe UMP.

M. Gérard Cherpion. Je comprends les engagements du groupe communiste à l’égard de son électorat. Les députés communistes ont décidé de faire de ce texte une tribune politique. Mais il s’agit d’un autre débat, celui sur l’emploi et les problèmes liés à l’emploi.

M. André Chassaigne. Nous sommes là pour faire de la politique !

M. Gérard Cherpion. Je comprends moins le rejet préalable. En effet, il s’agit d’un accord national interprofessionnel, qui a été signé par une majorité de syndicats, qu’ils soient salariés ou patronaux, comme le prévoit l’article L 1 du code du travail issu de la loi Larcher, qui avait été rapportée par notre excellent collègue Bernard Perrut en 2007. Cette loi, que la majorité précédente avait votée, n’a jamais été considérée comme inconstitutionnelle.

Le Parlement doit évidemment écrire la loi, et c’est bien à ce niveau que nous sommes. Bien évidemment, madame Fraysse, vous avez pointé toutes les mesures jugées favorables à l’entreprise. Pour ma part, j’estime qu’il y en a aussi qui sont favorables aux salariés. C’est pourquoi je pense qu’il est équilibré.

Vous avez parlé d’ineptie juridique. Cela me paraît excessif, même si nous considérons que la transposition législative n’est pas fidèle et peu loyale, monsieur le ministre.

M. Christian Paul. Quelle outrance !

M. Gérard Cherpion. Quant aux motifs du licenciement, revenons au texte de l’ANI, qui est très clair et n’est pas contraire aux engagements internationaux.

Mme Jacqueline Fraysse. Il ne nous reste plus qu’à aller nous coucher !

M. Gérard Cherpion. Je note que M. le rapporteur admet qu’il s’agit du retour à l’autorisation préalable de licenciement, ce qui modifie notre vision sur l’ensemble de ce texte.

Même si, sur le fond, la position de nos collègues communistes nous semble intéressante sur certains points, entrons dans le vif du débat. Ainsi, nous pourrons en discuter.

Pour l’heure, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe UDI.

M. Arnaud Richard. Le groupe UDI ne peut être soupçonné de craindre le dialogue social, son président, Jean-Louis Borloo, ayant initié les grandes négociations ouvertes ces dernières années. Toutefois, nous avons quelques inquiétudes lorsque le dialogue social est opposé systématiquement à la voix souveraine du Parlement, même si j’entends les arguments du ministre sur la resynchronisation entre le temps du droit et le temps de la société. Nous reparlerons du caractère constitutionnel à la fin de l’année.

La façon dont a été conclu l’ANI constitue une évolution positive de notre vie sociale, qui s’ouvre, au fond, sur une nouvelle culture de la négociation collective. Et nous ne pouvons que nous féliciter des quelques avancées incontestables de ce projet de loi, qui s’inscrit dans la continuité du travail des partenaires sociaux. Je pense à la généralisation de la complémentaire santé pour tous les salariés, à la portabilité de la formation, à la lutte contre la précarité et les contrats courts, au combat contre le temps partiel subi, ou encore aux droits rechargeables à l’assurance chômage.

Pour autant, cette motion de rejet préalable est assez surréaliste. Comme avec le texte relatif à l’élection des conseillers départementaux, nous assistons à une scène de ménage au sein de la majorité. Nous sommes désolés de vous embêter.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Ne vous inquiétez pas pour nous !

M. Arnaud Richard. On ne s’inquiète pas, monsieur Germain. Ou plutôt, on s’inquiète pour notre pays !

Même si ce qui préoccupe l’Assemblée c’est ce qui se passe dehors plutôt que dedans, on sent une tension assez forte entre vous. Les communistes ont déposé 4 500 amendements. Bravo pour le travail !

Sur le fond, nous serons très vigilants sur la manière dont le texte sera modifié. En l’état actuel, il ne nous semble pas totalement en accord avec l’ANI. Les quelque cinquante-trois ou cinquante-sept amendements du rapporteur durcissent profondément le texte. J’espère que le Gouvernement saura les repousser.

M. Alain Bocquet. Ah bon ?

M. Arnaud Richard. La représentativité des organisations syndicales de salariés a montré que les résultats étaient totalement légitimes. Pour autant, s’agissant des employeurs on ne sait pas exactement ce qu’il en est, ce qui a des conséquences très sensibles sur le secteur des services à la personne, les intermittents du spectacle, ou encore le monde agricole.

Je veux dire au Gouvernement que la manière dont sera voté l’article 8 déterminera profondément notre vote.

Notre groupe s’abstiendra sur cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Il me semble que les inquiétudes du groupe GDR sur la mise en application de la loi relative à la sécurisation de l’emploi relèvent de l’idée que le dialogue social serait voué à l’échec en France du fait des mécanismes en débat dans la loi.

Notre groupe a une vision plus positive de l’avenir de ce dialogue et du rôle des syndicats pour le mener, même si nous souhaitons encadrer ces mécanismes. Pour ce faire, nous nous inscrivons bien évidemment pleinement dans la discussion qui va s’ouvrir, en proposant des amendements qui iront dans ce sens.

Cela a été dit, mais je tiens à le redire, le texte du 11 janvier évolue positivement, y compris sa version du 6 mars, déposée par le Gouvernement suite au travail en commission. Et j’espère qu’il évoluera encore d’ici à la fin de cette semaine. Les parlementaires jouent et joueront pleinement leur rôle. C’est pourquoi les écologistes font le pari de l’amélioration du texte : nous voterons donc contre cette motion de rejet préalable.

M. André Chassaigne. C’est bien dommage !

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Braillard, pour le groupe RRDP.

M. Thierry Braillard. Le groupe RRDP votera aussi contre cette motion de rejet préalable. Nous trouvons qu’un mot sied à notre débat : c’est le respect. Je pense d’abord au respect des engagements qu’avait pris François Hollande devant les Français, en disant qu’il voulait réactiver la démocratie sociale. Ce qui en atteste, c’est le texte que nous examinons aujourd’hui, puisqu’il est le résultat de la grande réunion sociale de juillet.

Le respect, c’est aussi celui des partenaires sociaux, à qui on a demandé pendant des mois de parvenir à un accord. Cet accord a été trouvé et ne pas vouloir en discuter à l’Assemblée serait un manque de respect à leur égard, même si l’on sait que, parmi les cinq organisations syndicales représentatives de salariés, deux ne l’ont pas signé.

M. Alain Bocquet. Les deux plus importantes, quand même !

M. Thierry Braillard. Quant au respect des parlementaires, j’aimerais dire à mon excellent collègue du groupe UDI que ce n’est pas la première fois qu’un accord national interprofessionnel est transcrit dans une loi. Ce fut le cas en 2005, quand Jean-Louis Borloo était ministre du travail et qu’il avait lui-même vanté les mérites de l’accord national interprofessionnel. Cela vaut mieux que ce qui s’est passé en 2009, lorsque deux accords nationaux interprofessionnels n’ont pas été discutés au Parlement, mais simplement étendus par une publication au Journal officiel.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe RRDP ne votera pas cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe GDR.

M. Marc Dolez. Notre collègue Jacqueline Fraysse a parfaitement expliqué les raisons pour lesquelles nous jugeons ce texte irrecevable.

Il est d’abord irrecevable en raison des dispositions régressives qui viennent en quelque sorte dynamiter le droit du travail : accords de maintien dans l’emploi qui permettent de licencier les salariés refusant de voir leur salaire baisser ; accords de mobilité interne qui autorisent l’employeur à licencier le salarié si celui-ci refuse d’aller travailler à l’autre bout de la France ; bouleversement de la procédure de licenciement économique collectif ; information et intervention des représentants des salariés enfermées dans des délais tellement courts que leur efficacité est menacée.

Irrecevabilité encore en raison du nouveau modèle économique et social que le projet de loi engage, puisqu’il détruit les garanties collectives nationales comme socle applicable à chaque salarié et favorise les accords d’entreprise en oubliant l’inégalité due au lien de subordination : le contrat de travail signé n’est plus une garantie pour le salarié, puisqu’il peut être suspendu par un accord d’entreprise, et le projet réduit les moyens de recours au juge pour le salarié.

Irrecevable, ce texte l’est enfin, et peut-être surtout, par sa philosophie. Le pire de l’accord national interprofessionnel, c’est sa philosophie, puisqu’il véhicule l’idée selon laquelle la flexibilité est l’enjeu principal de l’emploi. Or, il faut redire ici que le chômage ne provient pas du coût du travail, il découle d’une insuffisance de la demande globale, laquelle résulte des politiques d’austérité, qui nous mènent à la catastrophe.

C’est pour toutes ces raisons que le groupe GDR votera la motion de rejet préalable.

M. Alain Bocquet. À l’unanimité !

M. André Chassaigne. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin sur la motion de rejet préalable :

Nombre de votants 172

Nombre de suffrages exprimés 133

Majorité absolue 67

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

5

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)