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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2012-2013

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 3 juillet 2013

SOMMAIRE ÉLECTRONIQUE

SOMMAIRE


Présidence de M. Claude Bartolone

. Questions au Gouvernement

Politique environnementale

M. Martial Saddier

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Écoutes américaines

Mme Laurence Dumont

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Écologie

Mme Barbara Pompili

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Politique environnementale

M. Jean-Louis Borloo

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

Situation des finances publiques

M. Jean-François Mancel

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget

Politique budgétaire

M. Dominique Baert

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances

Transports

M. Jean-Luc Moudenc

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche

Emploi des jeunes

M. Jean-Jacques Bridey

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes

Fin de vie

M. Jean Leonetti

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

Incendie de la mairie de La Rochelle

M. Olivier Falorni

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

Écoutes américaines

M. Éric Straumann

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Égalité hommes-femmes

Mme Suzanne Tallard

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Écoutes américaines

M. François Asensi

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Tunisie

M. Alain Marsaud

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Organisation de la métropole parisienne

M. Carlos Da Silva

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique

Suspension et reprise de la séance

2. Consommation

Vote solennel

Explications de vote

Mme Michèle Bonneton, Mme Jeanine Dubié, M. Gabriel Serville, M. Frédéric Barbier, M. Damien Abad, M. Thierry Benoit

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

3. Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur - Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi organique et d'un projet de loi (discussion générale commune)

Présentation commune

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Motion de rejet préalable (projet de loi organique)

M. Jean-Frédéric Poisson

Présidence de M. Marc Le Fur

M. Christophe Borgel, rapporteur, M. Manuel Valls, ministre, M. Marc Dolez, M. Matthias Fekl, M. Sergio Coronado, M. Alain Tourret, M. Guy Geoffroy

Rappel au règlement

M. Jean-Frédéric Poisson

Motion de rejet préalable (projet de loi)

M. Daniel Fasquelle

M. Christophe Borgel, rapporteur, M. Manuel Valls, ministre, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Francis Vercamer, Mme Isabelle Attard, M. Guillaume Larrivé, M. Alain Tourret

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Politique environnementale

M. le président. La parole est à M. Martial Saddier.

M. Martial Saddier. Monsieur le Premier ministre, au-delà du sort malheureux de votre ex-ministre de l’écologie, c’est la question de votre majorité parlementaire qui est dorénavant posée.

Mme Batho, avec innocence, a eu le courage de dire publiquement que vous avez tout simplement sacrifié la politique environnementale. D’ailleurs, hier, beaucoup de députés de la majorité ne se cachaient pas pour dire qu’elle avait eu raison de déclarer que le projet de budget pour 2014 était un mauvais projet de budget.

Alors qu’il y a presque un an, en ouverture de la conférence environnementale, François Hollande déclarait vouloir faire de la France la nation de l’excellence environnementale, le choix que vous avez fait hier, après l’éviction de Mme Bricq l’an dernier, est un très mauvais signal : il démontre que, décidément, l’écologie n’a pas sa place au sein de ce gouvernement.

Très rapidement, nous saurons si les Verts, encore dans votre majorité, auront le même courage que Mme Batho. Par votre décision, c’est un véritable affront que vous leur avez infligé. Nous verrons de quel bois ils sont faits, s’ils sont de ceux qui courbent l’échine, ou de ceux qui sont prêts à vendre leur âme pour un strapontin. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, en sacrifiant Mme Batho, vous pensez peut-être avoir commis votre premier acte d’autorité depuis un an. Mais il s’agit plutôt d’un acte arbitraire, et, pour tout dire, d’un acte de faiblesse : nous ne vous avons pas vu aussi téméraire face à M. Peillon ou M. Montebourg ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, seriez-vous fort avec les faibles et faible avec les forts ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Si tel est le cas, ce n’est pas à nos yeux, ni à ceux des Français, la marque d’un chef ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député, je ne crois pas que vous soyez complètement novice en politique ; peut-être même êtes-vous élu local. Vous savez donc que le budget est l’un des actes majeurs d’un gouvernement et de sa majorité.

Dans un conseil municipal, si l’on exerce des responsabilités dans l’exécutif et que l’on ne vote pas le budget, on quitte immédiatement le gouvernement municipal. Il en est de même s’agissant du gouvernement de la France : l’acte budgétaire est un acte central.

J’avais du respect pour Mme Batho : c’est moi-même qui lui avais proposé d’entrer au Gouvernement et d’exercer cette fonction. Je lui garde évidemment toute mon estime. Mais si elle estime que le budget, qui a été préparé avec elle, n’est pas un bon budget et qu’elle le dit publiquement, cela pose un problème politique, un problème de cohérence et un problème de solidarité gouvernementale. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé la démission de Mme Batho au Président de la République. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mesdames et messieurs les députés, l’environnement, comme la politique de transition énergétique, n’est pas une variable d’ajustement. Il est au cœur du projet du Président de la République. Mais il est une règle que chacun doit comprendre : dans un gouvernement, il n’y a pas deux politiques. Le Président de la République l’a rappelé lors de sa dernière conférence de presse : il n’y a qu’une ligne au Gouvernement.

M. Thierry Solère. Et Montebourg ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Au sein du Gouvernement, dans les discussions entre les ministres et le chef du Gouvernement, la parole est totalement libre, elle est nécessaire, le débat est total. Mais une fois la décision prise, la solidarité gouvernementale s’impose. C’est la base de notre crédibilité, de notre respect du citoyen ; c’est la base de notre efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Écoutes américaines

M. le président. La parole est à Mme Laurence Dumont, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Laurence Dumont. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères. S’ils étaient confirmés, l’espionnage et la collecte de données personnelles mis en œuvre par la NSA, l’agence de sécurité américaine, nous confronteraient à un scandale mondial. Celui-ci appelle des réactions fortes de la France et de l’Union européenne.

La première réaction est de nous demander comment l’on pourrait entamer les négociations prévues sur le traité de libre-échange transatlantique sans une vraie confiance entre États-Unis et Europe. Or cette confiance semble ébranlée.

La deuxième réaction est de faire en sorte que l’Europe avance sur la révision de la directive relative à la protection des données personnelles. Elle se doit de le faire en se libérant du lobbying indécent mené par les géants américains du net, ceux-là mêmes qui sont mis en cause par ces révélations.

La troisième réaction nécessaire, c’est d’assurer notre indépendance et notre souveraineté en matière de stockage des données. Tant que tout cela se fait sur le sol américain, c’est hors de portée de notre réglementation.

Monsieur le ministre, l’affaire est grave et l’action est urgente. Il est temps que l’Europe fasse entendre sa voix et défende nos droits et libertés. Il est nécessaire que la France, parce que sa voix est écoutée dans ce domaine, pose des exigences fortes. Nous devons demander des comptes aux États-Unis et sommer l’Europe de protéger les données de ses citoyens et des États qui la composent.

Enfin, Edward Snowden a annoncé avoir déposé une demande d’asile dans trente pays, dont la France. Quelle sera votre réaction si cette demande est confirmée, monsieur le ministre ? Merci d’éclairer la représentation nationale sur les réponses qu’entend donner le Gouvernement à cette très grave affaire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Madame la députée, je ne peux, en deux minutes, répondre à la totalité de vos questions, mais j’y reviendrai, puisque d’autres questions vont m’être posées sur le même sujet.

Vous avez eu raison de distinguer deux aspects dans les révélations de M. Snowden, pour autant qu’elles soient confirmées.

Il y a d’abord tout ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et la sécurité. La recherche de renseignements est une pratique normale ; mais tout le problème, c’est la protection des citoyens, qui doit être assurée, notamment en Europe. C’est la raison pour laquelle, comme vous l’avez dit, il faut être très vigilant. Une directive et un règlement sont en cours de discussion ; ils devront garantir le respect des personnes en Europe.

Le second aspect concerne l’espionnage des représentations diplomatiques françaises et européennes. C’est une pratique qui n’est évidemment pas admissible entre alliés. J’ai donc eu des échanges, entre autres avec le secrétaire d’État américain. Le Président de la République et moi-même avons déclaré que cela était inacceptable, et les Américains doivent nous rendre réponse.

Et puis, il y a la question de l’accord transatlantique. Il s’agit d’un accord très important, et commencer d’en discuter dans un climat de méfiance ne serait évidemment pas opportun.

Voilà où nous en sommes. Quant à la demande dont a parlé M. Snowden, elle n’est pas parvenue à la France. Si elle nous parvenait, nous la traiterions conformément à la réglementation.

La vérité et la protection de citoyens, tels sont les principes auxquels nous sommes et serons fidèles. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Écologie

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.

Mme Barbara Pompili. Monsieur le Premier ministre, vous avez, hier, décidé de mettre brutalement fin aux fonctions de Delphine Batho, ministre de l’écologie, qui avait déploré dans la matinée la forte baisse annoncée des crédits de son département ministériel. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

La ministre est partie, mais les questions demeurent. Pour les écologistes, participer à la majorité est la conséquence d’un choix stratégique, qui s’appuie sur des engagements communs. (Mêmes mouvements.)

Après une première année de mandat, dont le moins que l’on puisse dire est que, sur les questions environnementales et de développement durable, beaucoup reste en suspens,…

M. Marc Le Fur. Monsieur le président, cette question doit être décomptée sur le temps de parole de l’opposition !

Mme Barbara Pompili. …nos concitoyens, nos électeurs demandent des engagements clairs et un calendrier. Le budget 2014 verra-t-il enfin les prémices concrètes d’une réforme profonde de la fiscalité ? Saurez-vous rendre l’impôt écologiquement plus intelligent et socialement plus juste ? Saurez-vous enfin mettre fin à des niches fiscales anti-écologiques, engager une taxation réelle des activités polluantes et procéder à la réduction des taux de TVA pour accompagner les mutations technologiques et comportementales indispensables à la transition écologique ?

M. Patrice Verchère. Le Gouvernement vous mène en bateau !

Mme Barbara Pompili. Saurez-vous faire des choix sur les investissements d’avenir, les concentrer sur la rénovation thermique des bâtiments, les énergies renouvelables, les transports du quotidien ? Les gisements d’emplois, ils sont là !

Le débat sur la transition énergétique débouchera-t-il rapidement sur une loi-cadre ? Confirmez-vous les engagements présidentiels sur la réduction de la part du nucléaire et la fermeture de Fessenheim ? Confirmez-vous l’interdiction de l’exploitation des gaz de schiste et la priorité donnée au développement des énergies renouvelables ?

Sur chacun de ces points, monsieur le Premier ministre, oui, sur chacun de ces points, nous sommes prêts à agir : nous attendons vos réponses, et nous attendons des actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. Pierre Lellouche. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Madame la présidente du groupe écologiste, je ne crois pas que vous soyez vraiment inquiète, mais je comprends que vous me posiez ces questions. Je vais donc y répondre clairement.

M. Pierre Lellouche. Ce serait une première !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. L’environnement n’est pas une contrainte pour moi, contrairement à ce que certains peuvent dire ou écrire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) La transition écologique, c’est un nouveau modèle de développement que nous devons construire. Loin d’être une contrainte, c’est une chance pour la France. Mais c’est aussi un défi. En effet cela implique des changements, y compris dans notre manière de concevoir les choses.

Sur la fiscalité, par exemple, vous m’avez posé une question précise.

M. Sylvain Berrios. La réponse est claire : toujours plus d’impôts !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Y aura-t-il une réforme de la fiscalité pour la rendre plus écologique et plus incitative ? La réponse est oui. Nous n’attendrons pas la fin du quinquennat de François Hollande : avec le ministre de l’économie, le ministre du budget et le nouveau ministre de l’écologie, Philippe Martin, nous tiendrons les engagements qu’il a pris.

Dès 2014, nous amorcerons cette réforme en profondeur, qui permettra de mobiliser les Français et de leur faire comprendre qu’il y va de leur intérêt économique, social, écologique, mais aussi en termes de santé. C’est le défi auquel nous sommes confrontés, et nous allons nous y attaquer ensemble !

En même temps, il nous faut faire preuve d’une grande pédagogie. Rien n’est simple, et il convient de prendre en compte les habitudes de pensées et les pratiques ; il faut aussi veiller à ne pas aggraver les inégalités sociales. Telle sera la ligne de conduite du Gouvernement.

S’agissant des choix budgétaires, je vais, le 9 juillet prochain, annoncer des investissements (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), dont vous verrez qu’ils sont ambitieux, qu’ils concernent le domaine des transports préservant l’environnement, l’efficacité énergétique, l’innovation et la recherche, ou encore l’organisation d’une filière industrielle de l’écologie.

Oui, madame la présidente, je le répète ici : les engagements du Président de la République seront tenus, malgré les contraintes budgétaires, qui s’imposent à toutes et à tous. Chaque budget fait des efforts, et je vous demande de juger sur pièces nos priorités. Qu’avons-nous déjà décidé l’an dernier et cette année ?

Plusieurs députés du groupe UMP. Rien !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous avons agi en faveur de l’efficacité énergétique dans le logement et, dès la rentrée, une nouvelle loi relative à l’urbanisme et au logement visera à limiter l’usage du foncier en concentrant davantage les constructions, pour éviter l’étalement urbain et préserver les terres agricoles. Parallèlement, une loi d’orientation agricole ira exactement dans le même sens, privilégiant les alternatives à une agriculture ultraproductiviste.

C’est un nouveau modèle, conforme aux engagements du Président de la République et aux convictions que je défends depuis des années. Je vous demande de me juger sur les actes et non sur les paroles !

M. Céleste Lett. Et Fessenheim ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je compte sur vous et sur le concours de toute la majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Politique environnementale

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Borloo, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Louis Borloo. Monsieur le Premier ministre, vous fêtez le premier anniversaire de votre discours de politique générale à votre manière, en limogeant la deuxième femme ministre de l’écologie en moins d’un an et en constatant l’entrée officielle de la France en récession.

Si nous vous avons parfois suivis – contrats d’avenir ou accords avec les partenaires sociaux –, nous vous avons alertés à de nombreuses reprises sur un certain nombre de décisions néfastes pour l’emploi.

« Cette majorité n’a pas été élue pour trouver des excuses, disiez-vous il y a un an, elle a été élue pour trouver des solutions. »

Un an après, les énergies renouvelables sont en berne.

Un an après, les travaux d’économie dans les logements sont en berne : trois fois moins qu’il y a trois ans.

Les grands travaux d’avenir, en matière fluviale ou ferroviaire : en berne !

Les services à la personne, si importants, avec la disparition du forfait social : en berne !

Le pouvoir d’achat des salariés, du public comme du privé, avec la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires : en berne !

Le bâtiment, avec 100 % d’augmentation de la TVA pour les travaux en deux ans…

Plusieurs députés du groupe UMP. En berne !

M. le président. Allons !

M. Jean-Louis Borloo. …en berne !

La compétitivité de nos entreprises enfin, avec une augmentation des charges sur la fiche de paie que ne compense pas le crédit d’impôt compétitivité emploi qui lui-même est un échec cuisant (« En berne ! » sur les bancs du groupe UMP) : en berne !

Vous nous aviez promis, monsieur le Premier ministre, croissance, confiance et apaisement.

M. Guy Geoffroy. On nous a bernés ! (Rires sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Louis Borloo. Les trois se sont envolés. Quand allez-vous enfin revenir sur ces décisions concrètes ?

Allez-vous, afin de restaurer la confiance, prendre l’engagement de ne plus augmenter les impôts et les prélèvements obligatoires d’ici la fin du quinquennat, à moins que finalement vous ne tourniez le dos aux solutions, préférant trouver des excuses ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président Jean-Louis Borloo, avec vous, on est tranquille ! Le chômage n’était-il pas en berne ? La dette était-elle en berne ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Les déficits étaient-ils en berne ? (Mêmes mouvements)

Monsieur le député Borloo, nous avons hérité de vos promesses de 250 milliards dans les transports : pas un euro n’a été dépensé ! Et c’est vous qui nous donnez des leçons ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Allons, monsieur Borloo, soyez un peu plus modeste, un peu plus réservé, un peu plus humble. S’il faut chercher des milliards, commençons par des centaines de millions : nous irons les trouver chez ceux qui ont bénéficié d’un arbitrage indu payé par les contribuables ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Voilà ce que nous voulons !

Quant au reste, j’annoncerai la semaine prochaine un plan d’investissement qui rétablira la vérité en matière de transport et de mobilité. Et ce ne sera pas des sommes annoncées comme ça : ce seront de vrais euros, de vrais investissements pour l’avenir, afin de répondre aux besoins de tous les territoires. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Céleste Lett. Quel baratin !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. S’agissant de l’efficacité énergétique…

M. Yves Fromion. Parlons plutôt de l’efficacité gouvernementale.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …et des économies d’énergie, vous observez tout cela d’assez loin ; mais si vous y regardiez d’un peu plus près, vous constateriez que 450 milliards sont déjà inscrits dans le plan des investissements d’avenir pour l’efficacité énergétique. Et l’efficacité énergétique est essentielle pour atteindre nos trois objectifs : réduire la part du nucléaire dans la production d’énergie électrique de 75 à 50 %, tenir nos engagements en matière d’économie d’énergie, mener nos engagements à leur terme en matière d’énergie renouvelable.

Nous faisons des choix stratégiques, des choix budgétaires, des choix politiques.

M. Woerth vous a qualifié il y a quelques heures de « seul grand ministre de l’environnement depuis quelques années », ce qui est très inélégant à l’égard de Mme Kosciusko-Morizet…

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Pas du tout !

M. Yves Fromion. Et Mme Batho ?

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Je ne ferai pas preuve d’une telle inélégance : ce que je veux, c’est tenir les engagements du Président de la République, et ils seront tenus ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Situation des finances publiques

M. le président. La parole est à M. Jean-François Mancel, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-François Mancel. Monsieur le Premier ministre, il y a huit jours, les députés UMP membres de la commission des finances ont, autour de leur président Gilles Carrez, lancé un cri d’alarme sur le dérapage des finances publiques.

Plusieurs députés UMP. Eh oui !

M. Jean-François Mancel. Aussitôt le ministre de l’économie et des finances nous accusait de mentir.

Quarante-huit heures plus tard, la Cour des comptes confirmait notre analyse et vous, monsieur le Premier ministre, lui avez donné raison.

Il n’est pas étonnant que les Français ne comprennent plus rien à votre politique budgétaire.

M. Yves Fromion. Quel bazar !

M. Jean-François Mancel. Après avoir asséché le pouvoir d’achat et asphyxié les entreprises par une augmentation sans précédent des impôts et des charges, vous paraissez découvrir, alors que nous vous le répétons depuis un an, qu’il faut en priorité faire des économies sur les dépenses pour éviter que n’explose cette bombe de dette et d’intérêts sur laquelle nous sommes assis.

M. Jérôme Guedj. Même dans l’Oise !

M. Jean-François Mancel. Le dos au mur, vous annoncez des réductions de dépenses et vous limogez même la ministre qui s’en plaint !

Mais, monsieur le Premier ministre, vous faites une nouvelle fois fausse route. Plutôt que d’avoir la volonté et le courage d’engager des réformes de fond…

M. Marcel Rogemont. Que vous n’avez pas faites !

M. Jean-François Mancel. …et après avoir annulé par esprit de revanche toutes celles que nous avions mises en œuvre, vous allez saupoudrer, sans effet réel, quelques bribes d’économies qui, pour la plupart, seront des réductions de hausses de dépenses dites tendancielles, autrement dit de dépenses à venir.

Ma question est donc simple : quelles réformes structurelles, quelles réformes de fond, prévoyez-vous de mener à bien dès maintenant pour rompre significativement avec l’addiction bien connue des socialistes à la dépense publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget. Monsieur le député Mancel, vous êtes un expert en bonne gestion, c’est bien connu. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est la raison d’ailleurs pour laquelle je voudrais vous rappeler quelques éléments simples.

Vous parliez d’addiction à la dépense publique. Mais, monsieur Mancel, vous qui évoquez des chiffres, vous n’êtes pas sans savoir que la dépense publique a augmenté en moyenne de 2 % au cours des dix dernières années, qu’elle est, depuis 2012, au-dessous de 1 % et que la trajectoire des finances publiques devrait nous conduire à augmenter la dépense publique de 0,5 % au cours des prochaines années.

Mais de quoi parlez-vous, monsieur Mancel ? Lorsque vous évoquez les dépenses publiques, parlez-vous de l’augmentation de 170 milliards de dépenses publiques entre 2007 et 2012 alors qu’en 2012, grâce aux mesures que nous avons prises, les dépenses de l’État ont, pour la première fois depuis le début de la Ve République, baissé de 300 millions, dettes et pensions comprises, et que nous sommes en train de bâtir un budget pour 2014 qui verra les dépenses de l’État diminuer de 1,5 milliard d’euros ?

Mme Valérie Pécresse. Pas du tout !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous vois vous agiter, madame, mais dans votre budget 2012, la Cour des comptes a bel et bien relevé 2 milliards d’impasses qui nous ont amenés à prendre des mesures exceptionnelles grâce auxquelles nous avons pu rétablir une grande partie de la trajectoire des finances publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vous avez également évoqué la compétitivité et du redressement de la situation de notre économie, monsieur Mancel, mais de quoi parlez-vous exactement ? De la situation du commerce extérieur, avec ses 75 milliards de déficit au moment où vous êtes partis alors que l’Allemagne affichait 150 milliards d’excédent et que nous vous avions laissé en 2002 une situation équilibrée ?

Vraiment, monsieur Mancel, vous êtes victime d’une amnésie totale, à laquelle s’ajoute une absence dramatique de maîtrise de l’arithmétique ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique budgétaire

M. le président. La parole est à M. Dominique Baert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Dominique Baert. Monsieur le ministre de l’économie, il n’y a pas de bonne politique sans bonnes finances.

Pour l’avoir oublié, les gouvernements de droite auront laissé en 2012 les finances de la France exsangues. Ils auront mené des politiques injustes fiscalement et socialement, et inefficaces économiquement.

La gestion d’hier aura laissé la France en panne de croissance, avec un grave déficit du commerce extérieur, et donc, de compétitivité, ainsi qu’une dette publique s’élevant à plus de 90 % du PIB. Elle aura rendu la France plus dépendante que jamais, pour son financement, des marchés financiers. (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Triste héritage, en cinq ans, que les 600 milliards d’euros de dette en plus et l’explosion, sans précédent, de la dépense publique de 170 milliards !

Le besoin annuel de financement de l’État est passé de 105 milliards d’euros en 2007 à 190 milliards en 2011.

Terrible constat, en 2012, la droite nous aura laissé des fractures sociales à réduire et des factures budgétaires à payer ! Ils crient aujourd’hui, mais hier, ils ont échoué !

Si nous devons travailler maintenant à redresser la France, c’est parce que, eux, ils l’ont mise en faillite, j’allais dire « en berne ».

Un député du groupe UMP. Vous êtes pathétique !

M. Dominique Baert. Le redressement n’est pas facile. Hier, notre majorité a voté la loi de règlement pour 2012. Pour la première fois, les dépenses publiques ont baissé et le déficit de l’État, qui était encore de 7,5 % du PIB en 2009, de 5,3 % en 2011, se réduit enfin à 4,8 % en 2012.

Nous aimerions tous avoir les moyens de financer des projets supplémentaires, mais, sans redressement des comptes, ce ne seraient que des chèques en bois. Pour restaurer l’indépendance financière de la France, pour financer les priorités de demain, l’emploi, l’éducation, le logement, la sécurité et la justice, les dépenses d’investissement pour préparer l’avenir, le sérieux budgétaire dans la justice n’est pas un choix, c’est une nécessité.

M. Bernard Deflesselles. C’est raté !

M. Dominique Baert. Au moment où nous débattons des orientations de nos finances publiques pour 2014, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer votre détermination ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC. - « Allô ? » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur Baert, vous avez justement rappelé, et je n’aurai donc pas besoin d’y insister, la situation des finances publiques et de l’économie que nous avons héritée en mai 2012, faite d’endettement excessif, de déficits explosifs et d’une perte de compétitivité massive. C’est à ces défis que nous voulons apporter des réponses à la hauteur, à la fois en termes de compétitivité et de redressement de l’économie réelle : je pense au crédit d’impôt compétitivité emploi, qui, contrairement à ce que dit M. Borloo, est un encouragement et une réussite ; je pense aussi à la réforme du marché du travail, à la modernisation de l’action publique et au financement de l’économie.

M. Yves Nicolin. Baratin !

M. Pierre Moscovici, ministre. Comme vous l’avez dit, les deux défis sont liés, il n’y a pas de bonne politique économique sans bonnes finances. C’est la raison pour laquelle vous avez bien fait de rappeler à quel point le désendettement de l’économie était un impératif catégorique pour la France, car c’est une question de marge de manœuvre, c’est une question de souveraineté, c’est une question de financement des services publics.

La politique que nous menons est une politique sérieuse. Elle a été sérieuse en 2012, avec un effort structurel d’un point en termes de réduction des déficits. Elle est sérieuse en 2013, avec un effort structurel de près de deux points. Et nous refusons, je le dis à la majorité, tout collectif budgétaire, parce que nous voulons tout faire pour encourager la croissance et, pour cela, laisser jouer les stabilisateurs automatiques.

La politique que nous menons sera sérieuse en 2014. Comme l’a dit Bernard Cazeneuve, nous sommes en train de construire un budget avec 9 milliards d’euros d’économies, 1,5 milliard d’euros de dépenses en moins. C’est le sérieux qui nous caractérise, le sérieux et le refus de l’austérité, qui est notre politique et notre boussole.

Vous m’interrogez sur notre détermination : notre détermination à redresser à la fois les comptes publics et l’économie est totale et elle sera notre règle jusqu’au bout ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Transports

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Moudenc, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Luc Moudenc. Monsieur le Premier ministre, avec votre approbation, un rapport, rendu public la semaine dernière, remet totalement en cause l’architecture des grands projets pour les transports dans notre pays. Pourtant, l’engagement n° 28 du candidat socialiste à l’élection présidentielle était très clair.

Je cite François Hollande : « Je relancerai la politique des transports pour lutter contre la fracture territoriale qui exclut une partie des habitants de l’accès aux emplois et aux services publics. Ma priorité sera d’apporter, tant en Île-de-France que dans les autres régions, une réponse à la qualité des services des trains du quotidien et à la desserte des territoires enclavés ». (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Aujourd’hui, vous faites l’inverse ! Vos annonces ont semé la consternation dans tout le pays et jusque dans les rangs de votre propre majorité. Votre ministre, Delphine Batho, vient d’ailleurs d’être brutalement démissionnée pour s’être interrogée sur votre capacité de passer des discours aux actes. Bien sûr, il faut rétablir l’équilibre des comptes publics, mais ne sacrifiez pas les investissements d’avenir ! Taillez plutôt dans les dépenses de fonctionnement !

Monsieur le Premier ministre, confirmez-vous la condamnation ou le gel d’un certain nombre de projets importants pour le désenclavement de régions et de départements qui, comme les grandes métropoles, peuvent tirer la croissance de la France ?

Confirmez-vous le report de la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse à l’horizon 2030, alors que nous ne cessons de réclamer, avec tous les habitants et élus de Midi-Pyrénées, sa mise en chantier dès 2017 ?

Enfin, confirmez-vous l’abandon de fait d’un des objectifs majeurs du Grenelle de l’environnement, à savoir la réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports d’ici à 2020 ?

Monsieur le Premier ministre, la France, ce n’est pas seulement le Paris-Nantes ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur Moudenc, l’ancienne majorité, non contente d’avoir ruiné le pays (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. - Exclamations sur les bancs du groupe UMP), s’est reconvertie en entreprise industrielle de reprographie de promesses électorales non financées !

Vous devez assumer aujourd’hui vos propres contradictions. Vous avez augmenté la dette – Bernard Cazeneuve vient de donner les chiffres – et accru les dépenses publiques de 170 milliards. Et vous avez fait de fausses promesses électorales à la veille de l’élection présidentielle en annonçant 245 milliards pour le financement d’infrastructures. Voilà votre bilan ! Voilà la réalité ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Les élus, consternés, viennent au ministère des transports pour prendre la mesure de la situation. L’Agence de financement des infrastructures de transport de France, et M. Borloo ne peut pas dire le contraire, ne disposait chaque année que de 1 milliard pour financer les mesures nouvelles, là où vous annonciez 245 milliards à l’horizon 2020.

Un député du groupe UMP. De votre côté, qu’est-ce que vous faites ?

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Vous avez vous-mêmes – vous en parlez régulièrement – plombé le canal Seine-Nord…

M. David Douillet. Ce n’est pas vrai !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. …que vous dites pourtant être un grand projet d’infrastructure. Il n’y manquait que 3 milliards, car vous n’avez pas demandé de financements européens. Heureusement, le combat du Président de la République a fait en sorte que, sur les infrastructures européennes, nous pourrons émarger et avoir des mesures supplémentaires de financement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. - Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Monsieur Moudenc, ce n’est pas parce que les élections municipales approchent que vous devez faire peur à votre territoire.

M. Jean-Claude Bouchet. Vous, vous ne faites rien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. J’ai reçu Pierre Cohen, ainsi que Martin Malvy et l’ensemble des élus pour indiquer que, dès le 9 juillet, comme l’a précisé M. le Premier ministre, un grand programme de modernisation, de financement des infrastructures permettra de rendre confiance aux territoires, là où vous avez menti à la France, aux Français et à ses élus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Emploi des jeunes

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Bridey, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Jacques Bridey. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires européennes. C’est le logiciel même de l’Union européenne, monsieur le ministre, que la France est en train de changer, patiemment mais fermement, avec l’aide de ses partenaires. Cela concerne l’orientation des politiques comme l’avenir de l’architecture institutionnelle.

Le dernier Conseil Européen a confirmé la réorientation durable des politiques européennes en faveur de la croissance et de l’emploi impulsée par le président Hollande depuis un an. La France, par un dialogue étroit avec la Commission, a réussi à lui faire admettre la nécessité de ne pas ajouter l’austérité à la récession et obtenu en conséquence l’adaptation de sa trajectoire d’ajustement budgétaire ainsi qu’un plan d’investissement supplémentaire en faveur des PME.

Elle a surtout réussi à faire partager sa conviction selon laquelle l’emploi, en particulier celui des jeunes, est une priorité absolue qui doit être financée par l’Union européenne. À l’heure où le chômage des jeunes augmente très fortement et atteint des niveaux intolérables, près de 60 % en Grèce et en Espagne et plus de 26 % dans notre pays, le Conseil européen a concrétisé la « garantie jeunesse » en confirmant la mobilisation de 6 à 8 milliards d’euros en deux ans pour lutter contre le chômage des jeunes. Cela représentera pour la France plus de 600 millions d’euros pour aider nos jeunes à trouver un emploi ou un stage quatre mois après la fin de leurs études ou de leur formation.

Le dernier Conseil européen a par ailleurs poursuivi l’achèvement de l’Union économique et monétaire dont l’architecture se dessine peu à peu ; un pas décisif a notamment été franchi pour la résolution des crises bancaires. Cela prouve que nos convictions ont été réaffirmées et entendues par nos partenaires. Dans ce contexte, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser comment les nombreuses avancées obtenues par le Président de la République lors du dernier Conseil européen, en faveur de la jeunesse en particulier, seront mises en œuvres dans les mois qui viennent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes. Vous avez raison, monsieur le député Bridey : la jeunesse est en effet une priorité du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

M. Guy Geoffroy. Mais non !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Cette priorité, qui s’est traduite en France par la mise en place des emplois d’avenir et des contrats de génération, nous souhaitions qu’elle soit portée par tous les pays de l’Union européenne. Nous n’en avions pas la certitude ; c’est la raison pour laquelle nous en avons fait le premier point du Conseil européen des 27 et 28 juin derniers. Nous y avons obtenu l’assurance de disposer de 6 milliards d’euros pour les seules années 2014 et 2015 afin d’accompagner la France, mais également les autres pays de l’Union européenne, par des dispositifs de lutte contre le chômage et de formation professionnelle des jeunes dans toutes les régions où leur taux de chômage dépasse 25 %. Nous avons aussi obtenu le passage de huit à treize milliards d’euros du financement du dispositif Erasmus qui sera élargi dès 2014 aux jeunes en formation par alternance dans les entreprises et aux jeunes sous statut d’apprentissage. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Enfin, nous avons obtenu de la banque européenne d’investissement qu’elle se positionne sur le segment des prêts étudiants, ce qu’elle refusait jusqu’à aujourd’hui, et qu’elle débloque des fonds pour accompagner les jeunes créateurs d’entreprise en France comme dans toute l’Europe. Et pour ne pas perdre de temps, le Président de la République française copréside avec Mme Angela Merkel et la présidence lituanienne de l’Union européenne cet après-midi même à Berlin une réunion rassemblant les ministres chargés de l’emploi et des affaires sociales afin de mettre en place dans les mois qui viennent des dispositifs visant à utiliser les fonds. Pas un euro ne doit manquer, pas une semaine ne doit être perdue pour cette priorité qui de priorité française est devenue priorité européenne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Fin de vie

M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Jean Leonetti. Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, le comité consultatif national d’éthique, saisi par le Président de la République, a rendu son avis sur la fin de vie. Il est conforme à celui du rapport Sicard, lui-même demandé par le Président de la République, et conforte donc la loi de 2005 votée ici même à l’unanimité. Il écarte clairement l’euthanasie et le suicide assisté. Je suis sûr, madame la ministre, que lorsque vous demandez des avis et qu’ils sont concordants, vous les suivrez.

Trois autres éléments du rapport me semblent intéressants. Premièrement, le comité reprend les propositions avancées en avril par une partie de l’opposition au sujet de la sédation terminale – en clair, le droit opposable pour nos concitoyens de dormir avant de mourir sans souffrir. Vous nous aviez dit, madame la ministre, attendre le rapport du CCNE. Vous l’avez, il est positif : sommes-nous capables d’avancer ensemble sur cette proposition concrète ?

Le deuxième élément, c’est la suggestion par le comité d’un vrai débat public tel que nous l’avions nous-mêmes proposé. Je vous avais interrogé sur le sujet, monsieur le Premier ministre, le 7 novembre dernier. Vous aviez dit que le rapport Sicard suffisait. Êtes-vous prêts aujourd’hui, avec le Gouvernement, à faire en sorte qu’un débat public s’engage, et de manière globale, sur les problèmes de la fin de vie ?

Enfin et surtout, madame la ministre, vous qui parlez souvent du bilan, n’oubliez pas celui des soins palliatifs. En dix ans, nous avons multiplié par cinq le nombre de structures et par vingt le nombre de lits de soins palliatifs ; de votre côté, le projet du Gouvernement n’est pas encore connu et abouti. Avez-vous un projet de développement des soins palliatifs au moins de même niveau que ce qui a été fait pendant les cinq ans passés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. La fin de vie, monsieur le député Leonetti, est une question grave qui nous concerne tous. Vous le savez mieux que personne, vous qui êtes l’instigateur de la loi de 2005 adoptée à l’unanimité.

M. Bernard Deflesselles. Voilà qui est vraiment très intéressant !

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous constatons aujourd’hui qu’il faut mettre à un terme à l’indignité qui trop souvent encore entoure la fin de vie d’un certain nombre de nos concitoyens. Nous devons pour ce faire garantir l’accès de tous à des soins palliatifs, en particulier à domicile : c’est un enjeu essentiel. Pour autant, vous le savez, monsieur le député, les soins palliatifs ne répondent pas à toutes les souffrances que nos concitoyens sont susceptibles de connaître. Nombreux sont ceux qui aujourd’hui expriment la volonté et l’aspiration que leur liberté et leurs droits soient mieux entendus et mieux respectés, y compris face à la mort, jusqu’au moment ultime. C’est pourquoi le Président de la République a saisi le comité consultatif national d’éthique une fois rendu le remarquable rapport du professeur Sicard. Il vient d’émettre des recommandations dans un rapport d’étape et suggère en particulier, compte tenu du caractère sensible de la question, d’associer tous les Français dans leur diversité à des états généraux.

M. Bernard Deflesselles. Rien qu’on ne savait déjà ! C’est du commentaire !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’est dans le cadre de tels débats que des sujets comme les directives anticipées, la sédation terminale dont nous avons eu l’occasion de discuter mais aussi le suicide assisté devront être abordés.

Mme Catherine Vautrin. Ah !

Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement a la volonté qu’un vaste débat ait lieu, qui rassemble les Français. Le Président de la République a annoncé qu’une loi serait présentée à l’issue des débats et je souhaite, monsieur le député, que nous travaillions tous ensemble avec responsabilité et avec la volonté de répondre à l’aspiration des Français.

M. Yves Fromion. C’était creux ! Très creux !

Incendie de la mairie de La Rochelle

M. le président. La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Olivier Falorni. Madame la ministre de la culture et de la communication, l’incendie qui a ravagé, vendredi dernier, l’hôtel de ville de La Rochelle, a suscité une émotion considérable chez toutes celles et tous ceux – ils sont nombreux – qui aiment profondément cette ville.

La visite sur place, dès lundi, du Président de la République, a constitué une manifestation forte de soutien et de solidarité, que nous avons particulièrement appréciée en ces tristes circonstances. Fort heureusement, le drame humain a été évité, c’est bien là l’essentiel et, à cet égard, je veux saluer le courage et l’efficacité des sapeurs-pompiers et des agents municipaux de La Rochelle. Mais c’est notre patrimoine historique, culturel, affectif même, qui a été partiellement détruit par les flammes. Cet édifice, bâti pour l’essentiel entre le XVe et le XVIe siècle, et classé monument historique depuis 1861, était considéré, à juste titre, comme l’une des plus belles mairies de France.

Nous savons par avance que la reconstruction sera longue et coûteuse et nécessitera, madame la ministre, un soutien fort de l’État. Mais comme le disait souvent Michel Crépeau, La Rochelle est une ville belle et rebelle, qui a toujours su garder la tête haute lorsqu’elle était frappée au cœur.

M. Alain Tourret. Très bien !

M. Franck Gilard. Quand on est rebelle, on ne fait pas la manche !

M. Olivier Falorni. Aujourd’hui, nous avons le cœur à l’ouvrage pour faire revivre, le plus rapidement possible, ce joyau de notre patrimoine national. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le député, nous avons tous appris avec une immense tristesse la tragédie qui a frappé l’hôtel de ville de La Rochelle, et dont les causes sont encore partiellement inexpliquées. Dès le lendemain, le Président de la République s’est rendu sur les lieux afin de témoigner de sa solidarité avec le maire, Maxime Bono, et l’ensemble des Rochelais.

Je veux rendre hommage à tous les services de l’État, qu’il s’agisse des pompiers, que vous avez cités, mais aussi de la direction régionale des affaires culturelles, ou encore de l’ensemble des fonctionnaires du ministère de la culture, qui ont accompagné, dès le début du sinistre, le maire et les équipes municipales afin de faire face à la situation. Les services de l’État continueront à marquer, par leur présence et leur expertise, le soutien que nous apportons aux Rochelais face à cette tragédie.

C’est un pan essentiel de notre patrimoine qui se trouve touché avec cette atteinte à un bâtiment des XVe et XVIe siècles, mais aussi aux objets mobiliers qui se trouvaient à l’intérieur. Dès le jour du sinistre, l’architecte des Bâtiments de France et le conservateur régional des Monuments historiques, présents sur place, ont guidé les pompiers, avec le maire, afin de retrouver et d’identifier les objets mobiliers, ce qui a permis de sauver l’ensemble des objets classés.

Le transfert des objets dans un lieu sécurisé a été effectué par les services techniques, sous la direction de la conservatrice du musée, en lien avec la conservatrice des antiquités et des objets d’art et une restauratrice du patrimoine. Une fois l’incendie maîtrisé, l’architecte en chef des Monuments historiques a établi un plan de conservation et de préservation. Ainsi, comme vous le voyez, dans le tour de table financier qui aura lieu dès qu’un plan de reconstruction aura été établi, l’État sera présent afin de continuer à marquer sa solidarité avec les Rochelais, car nous sommes attachés à notre patrimoine. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

Écoutes américaines

M. le président. La parole est à M. Éric Straumann, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Éric Straumann. Ma question s’adresse au Premier ministre. Un magazine allemand vient de révéler que les services de renseignements américains espionnaient les systèmes informatiques de l’Union européenne, tant à Bruxelles qu’à New York et Washington.

Mme Isabelle Attard. C’était il y a trois semaines, tout de même !

M. Éric Straumann. Les États-Unis sont les alliés privilégiés de l’Europe occidentale, et en particulier de la France. Les Américains sont nos amis, nous leur devons beaucoup. Mais il n’est pas acceptable que des amis écoutent ainsi sans vergogne à notre porte. Monsieur le Premier ministre, avez-vous des informations sur les agissements des services américains en France, et contre les intérêts français à l’étranger ?

Plus généralement, ces événements démontrent la grande fragilité de nos systèmes d’information, qui peuvent être facilement surveillés à travers les grandes entreprises américaines qui traitent et hébergent nos données informatiques. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour lutter contre ces intrusions, qui constituent une menace semblant aujourd’hui sous-estimée, y compris dans notre dernier Livre blanc de la défense ? La confiance à l’égard des États-Unis est aujourd’hui gravement ébranlée et l’Europe doit manifester clairement son mécontentement et sa défiance.

Monsieur le Premier ministre, la négociation entre les États-Unis et l’Union européenne sur l’accord de libre-échange doit débuter le 8 juillet. Ne serait-il pas opportun de reporter cette négociation en attendant d’avoir des explications, mais aussi des garanties de la part des Américains ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, vous avez bien posé la question qui avait déjà été soulevée tout à l’heure par Mme Dumont. Vous avez rappelé que, si les Américains sont nos amis et nos alliés, certaines pratiques n’en sont pas moins inacceptables, en particulier le fait d’espionner des bâtiments diplomatiques, qu’il s’agisse de bâtiments relevant de la France ou de l’Union européenne.

Nous avons demandé – je l’ai moi-même fait – au secrétaire d’État américain et à l’ambassadeur américain en France de nous donner très rapidement des explications. Il en est de même au niveau européen, car si les premières informations sont vérifiées, le problème ne concerne pas seulement la France, mais l’ensemble de l’Europe.

Vous dites que nous sommes face à une menace ayant peut-être été insuffisamment prise en compte dans le cadre du Livre blanc sur la défense. M. Le Drian et moi-même avons étudié cette question très attentivement, et je peux vous assurer qu’il s’agit, au contraire, d’une préoccupation majeure, qui appellera d’ailleurs des investissements de notre part, aussi bien en matière de défense proprement dite qu’en matière d’affaires étrangères.

Enfin, pour ce qui est du traité transatlantique, très important pour les États-Unis comme pour l’Europe, une réflexion de bon sens s’impose. Comme vous le dites, les négociations ne peuvent commencer que dans un climat de confiance. C’est l’évidence. Or, comment parvenir à ce climat de confiance quand on ne sait même pas si les délégations seraient ou non espionnées ?

M. Jacques Myard. Tout à fait !

M. Laurent Fabius, ministre. Par conséquent, je pense qu’il faut calmer le jeu et demander à nos amis américains des réponses précises – ce qui a été fait. À partir de là, l’Europe et la France devront prendre un peu de temps avant de prendre leurs délibérations. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Égalité hommes-femmes

M. le président. La parole est à Mme Suzanne Tallard, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Suzanne Tallard. Ma question s’adresse à Mme la ministre des droits des femmes.

En France, il a fallu attendre 1944 pour que les femmes aient le droit de vote et le droit d’être d’éligibles.

Il a fallu attendre 1965 pour qu’elles puissent exercer une activité professionnelle sans l’autorisation de leur mari.

Partant de si loin, le chemin vers l’émancipation et l’égalité a été long et jalonné de luttes et de lois qui, toutes, dans leur domaine, ont fait date.

Actuellement, alors que l’écart salarial entre les hommes et les femmes ne recule pas, alors que les hommes trustent les postes de direction, les femmes ont le triste privilège de conserver le quasi-monopole des tâches domestiques et du travail partiel.

Des progrès majeurs restent à réaliser, comme la composition de nos bancs, ici même, en témoigne.

Mon parcours, mais également mon quotidien, tant dans ma vie professionnelle que dans ma vie d’élue, m’ont enseigné qu’il est nécessaire d’agir dans tous les domaines et ce, dès l’école, pour faire évoluer les mentalités en profondeur.

Mais lorsque les bonnes volontés ne suffisent pas, il est de la responsabilité du législateur de bousculer des habitudes et des usages qui seront perçus demain comme des archaïsmes.

C’est ce à quoi, d’ores et déjà, votre Gouvernement s’est attaché. Je citerai la formation des enseignants, le binôme des conseillers départementaux, le temps partiel encadré, la gratuité de la contraception, la lutte contre les violences faites aux femmes.

Madame la ministre, le projet de loi que vous avez présenté ce matin en conseil des ministres a pour ambition d’assurer les conditions d’égalité réelle et concrète entre les hommes et les femmes. Pouvez-vous nous préciser les dispositions ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame la députée, vous l’avez parfaitement dit : les inégalités à l’œuvre entre les femmes et les hommes dans la société présentent une profonde cohérence et une réelle globalité. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu, en réponse, un texte qui soit global et cohérent et dans lequel nous puissions aborder tous les sujets possibles qui font encore aujourd’hui les disparités entre hommes et femmes.

Demain, si vous acceptez ce texte, une entreprise de plus de cinquante salariés qui ne respectera pas ses obligations en matière d’égalité professionnelle ne pourra plus soumissionner à un marché public.

Si vous acceptez ce texte demain, un parti politique qui ne respectera pas la parité – ce qu’il sait devoir faire depuis des années –, se verra appliquer une pénalité doublée (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Si vous acceptez ce texte, l’équilibre des sexes ne vaudra pas uniquement pour la vie politique : il vaudra aussi pour les chambres de commerce et d’industrie, les fédérations sportives ou encore les théâtres nationaux (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Si vous acceptez ce texte, madame la députée, demain, une mère isolée n’aura plus à se battre seule pour obtenir le versement d’une pension alimentaire : elle pourra s’appuyer sur la CAF, qui le fera à sa place, tout en lui assurant une allocation de soutien familial (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Demain, un homme qui voudra bénéficier d’une part du congé parental pour s’occuper, lui aussi, de son enfant, sera incité et accompagné (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.) Une femme, elle, pourra revenir plus rapidement dans son emploi sans porter préjudice à sa carrière, lorsque les congés parentaux sont trop longs.

M. Patrice Verchère. Et Batho ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Si vous acceptez ce texte, demain, une femme victime de violences et faisant face à un grand danger de récidive, quel que soit le département où elle réside, se verra dotée d’un téléphone de grand danger, qui permet, comme on l’a déjà constaté, de sauver des vies (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Si vous acceptez ce texte, sitôt dénoncé le cycle de violences, c’est la femme victime qui se verra maintenue dans son domicile plutôt que l’auteur des coups (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Si vous acceptez ce texte, madame la députée, vous nous donnerez les moyens de lutter contre la récidive en matière de violence conjugale, en assurant la responsabilisation des auteurs (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste GDR et RRDP.)

Écoutes américaines

M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.

M. François Asensi. Monsieur le Premier ministre, que reste-t-il des libertés individuelles dans ce monde digne d’Orwell ? Edward Snowden a révélé un système d’espionnage d’une ampleur inégalée dans l’histoire : ce lanceur d’alerte mérite la reconnaissance des démocraties.

Les États-Unis ont mis sur pied un système de contrôle social à l’échelle planétaire, avec des centaines de milliers d’ordinateurs surveillés et des millions de communications disséquées. Cette surveillance intime et permanente, digne du film La Vie des autres, est inacceptable.

Une question s’impose : la France avait-elle connaissance de ce système d’espionnage avant ces révélations ?

L’affaire a éclaté le 5 juin. Je regrette que, trois semaines durant, notre pays n’ait pas eu une réaction ferme : il fallait convoquer l’ambassadeur des États-Unis.

En espionnant l’Europe, les États-Unis ont commis une faute lourde. La France doit en tirer toutes les conséquences en matière de défense, afin de préserver son indépendance et la sécurité nationale. Les programmes militaires avec les États-Unis doivent être réexaminés : sous couvert de terrorisme, il s’agit bel et bien d’un espionnage économique. Dans cette guerre froide des données, la première puissance mondiale tente à tout prix de maintenir son hégémonie.

M. Franck Gilard. Et les Russes, qu’ont-ils fait pendant des années ?

M. François Asensi. Je demande que la France obtienne la liste précise des entreprises et des personnalités françaises espionnées par la NSA.

En nous espionnant, les États-Unis affaiblissent la France et l’Europe. Croire que nous pourrions négocier sur un pied d’égalité est une absurdité ! Le Front de gauche s’était opposé à l’accord de libre-échange ; sa suspension est désormais incontournable.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous demander immédiatement à la Commission européenne la levée de ces négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur Asensi, je compléterai les réponses que j’ai eu l’occasion d’apporter, comme vous l’avez entendu, aux questions similaires de deux de vos collègues.

Vous posez un problème général parfaitement pertinent : dans un monde où les technologies se sont développées et où les surveillances sont d’autant plus fortes, comment arriver à préserver les libertés individuelles ? S’agissant de l’Europe, nous pouvons et nous devons nous y employer ; mais, en ce qui concerne des établissements situés en dehors d’Europe, notre capacité d’action est évidemment limitée, d’autant qu’un grand nombre de ces très grandes entreprises dont vous avez parlé sont américaines.

D’où le problème de la protection des libertés : comme je l’ai dot tout à l’heure, il faut que, dans les directives et les règlements européens, nous soyons extrêmement intransigeants sur la protection de nos libertés, des libertés des citoyens européens et français.

Vous posez une autre question, celle de l’espionnage diplomatique et économique.

S’agissant de l’espionnage diplomatique, je répète ce que j’ai dit tout à l’heure : même si nous ne sommes pas naïfs, nous savons que de telles pratiques ont cours dans le monde, il n’est pas acceptable, s’agissant de partenaires et d’alliés comme les Américains, que nos enceintes soient espionnées. Nous avons donc demandé – les Français comme les Européens – aux Américains de répondre d’une façon extrêmement précise à ces questions.

Enfin, s’agissant du dernier point, je sais que vous n’êtes pas favorable à l’accord transatlantique. Il est évidemment nécessaire – je l’ai dit tout à l’heure en réponse à l’un de vos collègues – de rétablir un minimum de confiance pour commencer la discussion…

M. Yves Censi. Suspendez l’accord !

M. Laurent Fabius, ministre. Mais sur le fond, nous savons que nos positions ne sont pas nécessairement les mêmes.

M. Claude Goasguen. Il faut le suspendre enfin !

Tunisie

M. le président. La parole est à M. Alain Marsaud, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Marsaud. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre ou à M. le ministre des affaires étrangères, au choix.

Le Président de la République se rend demain en Tunisie, où il va rencontrer les autorités politiques de ce pays. Nous sommes inquiets pour lui, mais aussi bien sûr pour les forces démocratiques qui tentent d’exister sous la botte et la pression d’un islamisme intégriste qui n’est en fait que « l’antichambre de la dictature », comme vient de le déclarer le président du parti d’opposition Appel de la Tunisie.

Nous sommes bien loin de la révolution de jasmin célébrée par certains et certaines. De Tunis à Damas, en passant par Tripoli et Le Caire, des illusions démocratiques ont amené des peuples à s’engager contre des régimes honnis. Mais aujourd’hui, hélas ! le printemps annoncé s’est bien souvent transformé en hiver rigoureux et réactionnaire pour les libertés et les consciences.

M. Jean Glavany. M. Marsaud est bien placé pour parler de réaction ! Il est expert en la matière !

M. Alain Marsaud. Nous souhaitons tous que le Président de la République profitera de cette visite protocolaire – nous espérons qu’il rencontrera aussi l’opposition, monsieur le Premier ministre – pour faire entendre la voix de la France qui, après n’avoir rien vu venir lors des printemps arabes, (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC)

Mme Laurence Dumont et M. Jean Launay. Il faut le dire à Michèle Alliot-Marie !

M. Alain Marsaud. …est aujourd’hui bien muette sur la protection des minorités en danger, que ce soit en Tunisie, en Libye, en Égypte ou ailleurs.

Monsieur le Premier ministre, envisagez-vous une inflexion notoire de notre politique étrangère afin qu’elle se distingue par son engagement auprès des démocrates et de toutes celles et tous ceux qui souffrent, dans cette partie du monde, dans leur lutte contre la prolifération d’un intégrisme islamique politique qui confisque les libertés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, il y a au moins un point sur lequel nous serons absolument d’accord, c’est que les gouvernements français, en un autre temps, n’avaient effectivement rien vu venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.) Je suis heureux – nous en avons d’ailleurs parlé privément – que vous le constatiez aussi.

Concernant ce qu’il est convenu d’appeler les printemps arabes, un sujet que vous connaissez très bien, autant il y avait au départ des mouvements cohérents et convergents dans toute une série de pays pour dire non à la dictature et à la corruption, oui à la dignité et à l’emploi – c’est d’ailleurs ce qui explique leur émergence –, autant les événements se sont ensuite déroulés de manière différente dans chaque pays. On ne peut pas mettre sur le même plan ce qui se passe en Égypte, et qui est particulièrement dramatique, ce qui se passe en Syrie dans un autre contexte et qui est également tragique, et ce qui se passe en Tunisie où, malgré les difficultés – et il ne faut pas les celer –, nous pouvons, vous et nous, être pleins d’espérance.

La Tunisie est un pays qui a un niveau de développement et un niveau d’éducation élevés et où les femmes voient leurs droits reconnus, dans la ligne de ce qu’avait fait le Président Bourguiba. Il y a des difficultés, il ne faut pas les celer.

Quelle doit être la position de la France, qui sera définie par le Président de la République demain et après-demain ? Ce doit être une position de confiance : nous sommes confiants vis-à-vis du peuple tunisien. Ce doit être une position de solidarité économique et démocratique. La France doit également en appeler à la responsabilité : s’il y a des menées terroristes – et il y en a –, il faut que le Gouvernement tunisien prenne des mesures extrêmement dures, comme il l’a déjà fait. S’il y a des difficultés à trouver un accord sur la Constitution, il faut qu’un consensus émerge et que des élections soient organisées. Il n’y a pas d’ingérence de notre part : il y a une grande amitié pour le peuple tunisien et c’est cette réaffirmation d’amitié et de confiance que le Président de la République française portera à nos amis tunisiens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Organisation de la métropole parisienne

M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Carlos Da Silva. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Madame la ministre, pendant dix années de pouvoir de la droite, les collectivités territoriales, les élus locaux ont été particulièrement méprisés. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Parce que c’est mieux, maintenant ?

M. Carlos Da Silva. Les lois qui ont été adoptées successivement leur ont confié des responsabilités nouvelles mais ne leur ont pas donné les moyens de les exercer. Alors que la droite n’a cessé de fustiger le millefeuille territorial et les fonctionnaires, elle n’a, concrètement, rien fait pour rendre l’action publique territoriale plus simple, plus lisible et plus efficace.

M. Jean-Luc Reitzer. Et les dotations urbaines ?

M. Carlos Da Silva. Les Françaises et les Français ne s’y sont pas trompés : élection après élection pendant dix années, ils ont confié davantage de responsabilités à la gauche et aux écologistes dans les collectivités.

Dans la région Île-de-France, les élus de notre majorité ont tout fait pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne des Franciliennes et des Franciliens : répondre à la crise du logement, rattraper le retard sur les infrastructures de transport et de matériel roulant, soutenir le développement économique et l’emploi. Mais, disons-le clairement une fois encore : ils n’ont pas été aidés par les gouvernements de droite. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Depuis un an, les choses ont changé. Le nouveau Grand Paris permettra notamment de financer la rénovation des transports existants, tout en mettant en œuvre le Grand Paris Express. Votre projet de loi pour l’affirmation des métropoles dotera l’Île-de-France de structures qui permettront d’agir plus vite, plus fort.

M. Claude Goasguen. C’est un gag !

M. Carlos Da Silva. Madame la ministre, les députés de la majorité seront à vos côtés pour que l’Île-de-France se développe, qu’elle rayonne, qu’elle garde son rang à l’échelle européenne.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est n’importe quoi !

M. Carlos Da Silva. Nous serons à vos côtés pour que chaque ville, chaque quartier soit inclus dans la dynamique que vous voulez créer en faveur du logement accessible et de qualité et de la transition énergétique, pour une Île-de-France à la fois populaire et d’excellence.

Madame la ministre, la région francilienne mérite toute l’attention du Gouvernement, car aucune ville, aucun quartier ne doit se sentir relégué.

M. Claude Goasguen. Voilà qui sera difficile !

M. Carlos Da Silva. Madame la ministre, pouvez-vous préciser devant la représentation nationale votre vision et celle du Gouvernement pour l’organisation de l’Île-de-France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le député, vous avez raison de rappeler que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, en particulier Jean-Marc Ayrault lui-même et Cécile Duflot, s’est attaché à régler dans un premier temps la question du Grand Paris Express. Nous aurions pu en effet parler longtemps des crédits qui avaient été annoncés et que ne sont jamais arrivés. La question du logement a également été prise en charge.

Je rappelle que le Premier ministre avait donné une feuille de route claire dès le mois de mai 2012 et s’était entretenu avec l’ensemble des élus qui s’étaient associés au sein de Paris Métropole pour trouver une solution.

Le Premier ministre a tenu à recevoir lui-même l’association en décembre 2012 : malgré les discussions menées de façon transpartisane, aucune solution n’avait été trouvée. À partir de ce moment-là, nous avons décidé de prendre en compte ces travaux malgré tout, de déposer un texte au Sénat qui, vous le savez, a été rejeté.

Il était hors de question pour le Gouvernement de laisser la page blanche pour la région Île-de-France. Grâce à un certain nombre d’élus et de parlementaires, qui ont bien voulu se mobiliser – monsieur le député, vous en avez fait partie, sous l’autorité du président de votre groupe –, et au soutien enthousiaste du rapporteur Olivier Dussopt, nous avons pu écrire une histoire qui permette de régler les problèmes de logement, de transport, d’énergie, de climat en faisant une chose simple : une métropole parisienne qui exclut la naissance d’une nouvelle frontière, qui associe la deuxième couronne au sein d’une région forte et polycentrique.

M. Philippe Goujon. C’est grotesque !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Cela est difficile à décrire en deux minutes, monsieur le député...

M. Jean-Pierre Barbier. Même en trois heures !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. …mais on peut le résumer facilement : Paris est une merveilleuse capitale, qui a beaucoup travaillé pour la compétitivité de la métropole et de la France et qui est aussi à l’origine d’une part importante de notre PIB – 30 %. Avec cette association d’élus, nous avons voulu dire que la compétitivité ne serait au rendez-vous que si l’amélioration des conditions de vie des Parisiens et des Franciliens l’est aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Consommation

Vote solennel

M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi relatif à la consommation (nos 1015, 1156, 1116, 1110, 1123).

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Michèle Bonneton, pour le groupe écologiste.

Mme Michèle Bonneton. Monsieur le président, monsieur le ministre de la consommation, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, la loi que nous nous apprêtons à voter présente des avancées importantes.

D’abord, l’encadrement du crédit à la consommation est renforcé. Grâce à un amendement porté par notre groupe et soutenu par le Gouvernement, les contrats de crédit renouvelables seront automatiquement annulés s’ils n’ont pas été utilisés pendant une année. Nous aurions souhaité aller plus loin encore dans le contrôle du crédit renouvelable, qui est l’un des facteurs déclencheurs du surendettement.

Ensuite, un registre national du crédit aux particuliers sera mis en place, dont l’objectif est de réduire les risques d’impayés et de surendettement. Il est vrai qu’il responsabilisera en partie le prêteur, mais il faut bien constater que le surendettement provient principalement du manque de pouvoir d’achat des ménages et des accidents de la vie. Il faudra veiller à ce que ce registre ne soit pas utilisé à des fins commerciales et qu’il ne porte pas atteinte aux libertés.

Le texte apporte également des améliorations dans le domaine de l’assurance et de la traçabilité des produits manufacturés. Grâce à une collaboration entre le groupe écologiste et les ministères concernés, c’est une meilleure version de l’indication géographique pour les produits manufacturés qui voit le jour. La traçabilité des produits alimentaires est améliorée et, dans le secteur de la restauration, la généralisation sur les menus de la mention « fait maison » pour les plats cuisinés sur place à partir de produits bruts – j’insiste sur ce dernier terme – va introduire plus de transparence quant au contenu des assiettes.

Les députés ont aussi renforcé les moyens d’action de la Direction de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, et apporté des corrections indispensables à la loi LME. L’objectif d’un rééquilibrage du pouvoir de décision et des marges le long de la chaîne de production est désormais inscrit dans la loi : il se fera lors de la renégociation des contrats imposée par la fluctuation des prix des matières premières, pour protéger les producteurs et les transformateurs.

De même, par un amendement de notre groupe, l’encadrement des magasins de producteurs est ajusté. Une certaine souplesse dans le type de produits commercialisés était indispensable et les producteurs pourront donc continuer, dans une certaine mesure, à compléter leurs étalages avec des produits provenant de ceux de leurs collègues.

Nous avons proposé des dispositions pour promouvoir l’économie circulaire, une économie dans laquelle la récupération des produits et objets usagés est systématiquement valorisée. Dans le même sens, notre groupe a proposé des amendements pour promouvoir l’économie fonctionnelle, une économie fondée sur l’usage, et non la propriété, des objets. La position de la majorité et du Gouvernement est encourageante et nous souhaitons que le Parlement revienne sur cette question dans un avenir proche.

Plus généralement, il s’agit d’apporter davantage de garanties pour lutter contre la dégradation des objets et l’obsolescence programmée. Cet objectif présente de nombreux avantages : environnemental d’abord, car il évite le gaspillage de matières premières et d’énergie en produisant moins de déchets ; économique ensuite, parce que la majorité de notre électroménager est importée ; social, aussi, dans la mesure où une amélioration de la qualité dégagera, à terme, du pouvoir d’achat pour les ménages ; avantage pour l’emploi, enfin, car il favorise le développement d’une filière de réparation des produits manufacturés – autant d’éléments qui constituent des pistes pour de futures avancées en droit de la consommation.

Enfin, la grande innovation juridique de ce texte est la création d’une procédure d’action de groupe dans le domaine de la consommation.

Mme Marie-Christine Dalloz. Cela existait déjà !

Mme Michèle Bonneton. Ce dispositif est un véritable contrepoids citoyen face aux abus des entreprises qui usent de pratiques illégales, telles que les compagnies téléphoniques qui s’entendaient sur les prix et pratiquaient des surfacturations. Il permettra aux personnes de se regrouper pour obtenir la reconnaissance et la réparation de préjudices collectifs subis – demande très ancienne des associations de consommateurs et des citoyens.

Pour conclure, notre groupe apprécie les avancées qu’introduit ce texte. Nous resterons particulièrement vigilants pour que l’action de groupe soit étendue aux domaines de la santé et de l’environnement dans un proche avenir, pour que soient mieux intégrées, dès la conception des objets, leur durabilité, la possibilité de les réparer et leur fonctionnalité, le tout dans le cadre d’une économie circulaire. De même, il sera indispensable d’évaluer l’efficacité de la réforme de la LME sur les rapports entre agriculteurs, fournisseurs et grande distribution.

Je tiens à souligner que nous avons travaillé de façon très constructive avec les ministres concernés et leurs collaborateurs, et je tiens à les en remercier. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. Régis Juanico. C’est bien !

M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, le texte sur la consommation que nous sommes appelés à voter aujourd’hui était attendu. Notre majorité avait le devoir de répondre aux préoccupations sociales par des mesures fortes touchant directement à la vie quotidienne des Français, notamment des plus précaires.

Dans sa version initiale, le projet de loi procédait de bonnes intentions : protéger et responsabiliser le consommateur, moderniser notre législation face aux évolutions des pratiques commerciales ou encore lutter contre les poches d’inefficacité économiques causées par les rentes abusives et les monopoles de situation.

Monsieur le ministre, nous vous l’avions dit dès l’examen en commission : vous pourrez compter sur l’appui des députés du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.

Nous soutenons votre démarche de relance de la croissance par la consommation à l’aide d’un encadrement législatif amélioré pour renforcer la confiance, et nous considérons. que le projet de loi répond bien à ces objectifs. Son adoption va encourager l’innovation, la différentiation et la compétitivité, tout en améliorant l’information et la protection du consommateur.

Au regard de son évolution au cours des travaux parlementaires en première lecture, nous sommes satisfaits des enrichissements qui ont été adoptés.

Nous avons ouvert et consolidé l’action de groupe, et perfectionné l’encadrement des délais de paiement, du régime des clauses abusives, du crédit à la consommation, des moyens d’actions et des pouvoirs de sanctions de la DGCCRF. À ce propos, et même si ce n’est pas l’objet de ce texte, nous tenons à vous répéter inlassablement notre demande de moyens supplémentaires pour la Direction. Le faible nombre d’agents au regard des missions confiées à cette administration est incontestable, en particulier dans les territoires ruraux.

S’agissant des indications géographiques, nous aboutissons à un texte équilibré qui va contribuer à la valorisation des productions locales de qualité et participer ainsi au maintien de l’emploi dans nos territoires.

Tout au long des débats, le groupe RRDP vous a présenté plus de cent amendements dont une petite dizaine ont été adoptés en séance publique et en commission.

Certains d’entre eux constituent des améliorations significatives auxquelles nous sommes très attachés. C’est le cas de la suppression de l’obligation pour les commerçants de préciser par écrit, au moment de l’achat d’un bien, la période de disponibilité des pièces détachées. Cet amendement faisait suite au renforcement de l’information avant l’achat que nous avions obtenu en commission. Ainsi, nous garantissons l’information du consommateur sans alourdir le travail des commerçants d’obligations excessives.

Nous tenons aussi à l’amendement relatif à la sécurisation juridique des détaillants de fruits et légumes sur le bon de commande. En cas de contrôle, il permettra de laisser quarante-huit heures aux acheteurs pour fournir le bon de commande, ou à défaut pour la confirmer par écrit.

Beaucoup de nos propositions d’amendements n’ont pas été adoptées. S’agissant du crédit à la consommation, nous sommes convaincus que le crédit doit être un acte pleinement volontaire et responsable. Pour cela, la déliaison entre carte de fidélité et carte de crédit doit rester un objectif prioritaire.

M. Thierry Benoit. Très bien !

Mme Jeanine Dubié. Pour responsabiliser la distribution de crédits renouvelables, nous vous avons également proposé de soumettre la vente d’un crédit renouvelable à la présentation des trois derniers extraits bancaires. Cela nous semble une disposition à la fois plus simple, plus efficace et moins attentatoire aux libertés publiques que le registre national des crédits aux particuliers pour évaluer précisément le reste à vivre et la solvabilité de l’emprunteur.

Enfin, nous considérons que vous n’êtes pas allé assez loin sur les relations entre fournisseurs et distributeurs, sur la publicité des amendes ou sur l’application concrète de la LME. Aujourd’hui, les conventions annuelles ne permettent pas de caractériser la substance même de la négociation en raison de l’absence de contreparties réelles et de l’impossibilité de les vérifier, ce qui renforce la position dominante des distributeurs au détriment des petits fournisseurs.

Mais ce projet de loi n’en est qu’à la fin de la première étape du débat parlementaire : espérons que les sénateurs seront plus persuasifs que nous !

Au final, malgré ces réserves, le texte reste porteur de réelles avancées, et nous nous en réjouissons. La tâche de concilier des objectifs parfois contradictoires n’était pas simple. Pour autant, ce projet de loi contribuera à bâtir une France plus juste et plus solidaire, une France du bien vivre ensemble pour tous.

Pour toutes ces raisons, le groupe RRDP le votera à l’unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur de la commission des affaires économiques. Merci, madame !

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gabriel Serville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce texte a été l’occasion pour la représentation nationale de débattre de sujets qui intéressent à la fois l’avenir de notre pays et la réalité quotidienne des Français. Il a suscité un large enthousiasme au sein de la société civile et sur les bancs de l’Assemblée nationale. C’est une réussite, car la méthode retenue par le ministre de la consommation a été la bonne.

Nous saluons également le rôle des rapporteurs et des présidents de commission, particulièrement François Brottes que je tiens à remercier de son attention à l’égard des préoccupations des consommateurs des outre-mer.

L’action de groupe permettra aux consommateurs de bâtir une conscience d’intérêts qui favorisera l’émergence de consommateurs plus forts. Plus forts car identifiés, plus forts car rassemblés, plus forts car protégés.

Nous avons exprimé des souhaits sur les modalités de cette action de groupe. À terme, la représentation confiée aux associations agréées pourrait intégrer des associations locales notamment en cas de défaillance d’une association nationale ou d’inexistence d’une antenne d’association nationale sur un territoire. C’est le cas des régions éloignées de la France hexagonale.

L’extension du délai minimal d’adhésion au groupe est opportune, et je remercie le Gouvernement d’avoir accepté notre amendement sur ce sujet.

Par ailleurs, l’ouverture aux domaines de l’environnement et de la santé, dont nous sommes partisans, posera la question du surprofit à récupérer lors de manquements de professionnels. Dans une vision purement réparatrice, l’indemnisation couvre seulement l’étendue du dommage. Mais le coût de cette réparation peut être inférieur au profit tiré de la violation de la loi dès lors qu’elle donne lieu à un surprofit. Il faudra donc se poser la question de la récupération des sommes indues.

Le champ délictuel, déjà évoqué lors des débats, doit être complètement intégré aux futurs projets. Cela permettra, le cas échéant, de réparer les préjudices issus de dommages pétroliers ou aurifères. C’est là un sujet majeur pour le département de la Guyane.

Le dispositif d’action de groupe permettra également de lutter contre de nombreux abus, dont nous avons démontré la prééminence dans certains territoires.

Je serai plus rapide sur la plupart des autres dispositifs : lutte contre les clauses abusives et effets erga omnes, prévention contre la multi-assurance, extension de la garantie de conformité, renforcement des pouvoirs des agents de la DGCCRF, réforme de la loi LME ; toutes ces mesures emportent notre soutien et il était opportun de les introduire dans ce projet. À l’avenir, il conviendra éventuellement de réfléchir à l’existence du crédit renouvelable.

Par ailleurs, je réaffirme la nécessité d’une prise en compte de la situation des outre-mer en matière de vie chère. Si le pouvoir de l’Autorité de la concurrence est un instrument dans cette lutte contre les rentes à vie, les monopoles de fait et les marges abusives, il est toutefois nécessaire d’agir en amont dans la relation entre fournisseur et distributeur pour interdire définitivement les clauses d’exclusivité qui verrouillent totalement nos marchés.

Une autre avancée du texte réside dans la concrétisation, après plusieurs années d’échanges parlementaires, de l’extension des indications géographiques aux produits industriels et artisanaux. L’objectif est bien de valoriser des productions nationales, en s’appuyant sur des savoir-faire existants pour promouvoir et développer des produits dont la qualité est reconnue.

Alors que notre pays doit chercher les voies d’un nouveau développement créateur d’emploi, renforcer l’industrie et l’artisanat de nos régions à travers un élargissement des indications géographiques aux produits non alimentaires était un sujet essentiel. Il concerne des centaines, voire des milliers d’artisans et d’industriels dont les savoir-faire et les produits manufacturés font partie intégrante de notre patrimoine culturel. Nous touchons aussi avec ces dispositions à l’amélioration de l’information des consommateurs sur la qualité et l’origine des produits.

La représentation nationale, avec l’écoute et l’appui des ministres et des rapporteurs, est parvenue à un texte équilibré en cherchant à prendre en compte l’intégralité des situations et des difficultés posées par cette avancée législative. Il faudra désormais prévoir les modalités concrètes d’application de cet outil sur les territoires, notamment en termes d’emplois induits.

Enfin, nous pensons que cette évolution doit s’intégrer dans une politique beaucoup plus large de soutien économique au développement des produits fabriqués en France.

L’esprit de ce projet et sa concrétisation méritent une large adhésion de notre Assemblée. Vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur le soutien du groupe GDR, dont les deux composantes s’associeront pour émettre un vote favorable à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et quelques bancs du groupe SRC.)

M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Frédéric Barbier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Frédéric Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, j’appelle l’ensemble de mes collègues, du groupe socialiste, républicain et citoyen et au-delà, à se réjouir de ce vote, et à être fiers de contribuer à un texte aussi positif. C’est un texte généreux : il donne aux citoyens plus de pouvoir et plus de protection, il donne aux entreprises de nouveaux moyens pour soutenir leur activité.

Il est le fruit d’un travail considérable du ministre, des rapporteurs, et de la majorité. S’il reprend quelques dispositions prévues par le dernier texte sur la consommation de la précédente législature – ce que mes collègues du groupe UMP ne devraient pas manquer de souligner –, il n’en constitue pas moins un projet différent, beaucoup plus ambitieux, solide et cohérent. Je formule le vœu, peut-être pieux, qu’elle saura l’admettre. Je dois reconnaître à l’opposition et à l’ensemble des groupes parlementaires un réel engagement sur ces sujets et une attitude constructive durant nos débats. Il est vrai que de nombreuses dispositions font consensus.

L’action de groupe est, bien sûr, l’avancée majeure de ce texte, car c’est la plus symbolique. Symbolique politiquement : je ne rappellerai pas une énième fois les promesses non tenues par le passé. Symbolique d’un certain courage : vous n’êtes pas sans savoir que plusieurs corporations ne sont pas très enthousiastes à l’idée de l’introduction de cette mesure en droit français. Et symbolique d’une ambition : la volonté de donner aux petits les moyens de lutter à armes égales avec les grands, de rétablir la confiance, et de rendre du pouvoir d’achat aux Français.

J’aimerais revenir rapidement, car elles sont nombreuses, sur les différentes avancées apportées par ce projet de loi.

En termes de protection des consommateurs, outre l’action de groupe qui est la mesure la plus forte, de nombreuses dispositions sont venues enrichir le texte en commission ou en séance.

C’est le cas par exemple de l’amendement du rapporteur sur les jeux, qui vient combler une lacune juridique et qui permettra d’éviter de nombreuses arnaques.

C’est aussi le cas de l’interdiction de la cigarette électronique pour les mineurs, phénomène qui se développe et qui crée une porte d’entrée vers le tabagisme pour les adolescents, anéantissant toutes les politiques de prévention mises en place.

C’est le cas de la clarification des offres des mutuelles, afin que le consommateur ait une idée réaliste de ce que le contrat lui propose.

C’est également le cas d’une meilleure information des abonnés aux chaînes cryptées, afin que ceux-ci ne soient pas piégés par la clause de reconduction tacite.

Il convient bien sûr de mentionner toutes les mesures relatives au surendettement. Tout d’abord, l’obligation prévue par le texte initial de présenter une offre de crédit amortissable alternative au crédit renouvelable à partir d’un certain montant. Puis les avancées proposées par le Gouvernement et les députés : la mise en place d’un registre national du crédit, qui sera un outil très fort de lutte contre le surendettement, et la réduction à cinq ans, contre huit ans actuellement, de la durée des plans de redressement pour les ménages surendettés qui constituera une véritable bouffée d’oxygène pour toutes ces familles qui aujourd’hui ne voient pas le bout du tunnel.

Enfin, l’introduction de la mention « Fait maison » sur les cartes des restaurants a fait l’objet de longs débats dans notre hémicycle, et finalement d’un consensus assez large. Nous défendons ainsi la gastronomie française, le droit du consommateur de connaître la qualité de ce qu’il mange, et bien sûr l’emploi.

La liste n’est pas exhaustive : toutes les dispositions du chapitre relatif à la directive consommateurs vont également dans le sens d’une meilleure protection de ces derniers. Je pense notamment aux obligations en termes d’information précontractuelle, aux dispositions sur la garantie légale de conformité, à la lutte contre les clauses abusives et aux mesures relatives à la vente à distance.

Enfin, la possibilité de résilier son contrat d’assurance à tout moment après la première année est une petite révolution qui rend à l’assuré sa liberté de choix.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Frédéric Barbier. En entraînant une nouvelle concurrence, elle devrait permettre de faire baisser les prix et de redonner du pouvoir d’achat aux Français.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Bravo !

M. Frédéric Barbier. Quant à la protection des entreprises, qui nous importe autant que celle des consommateurs, le texte propose des évolutions de fond.

En premier lieu, il crée des indications géographiques pour les produits manufacturés qui protégeront et valoriseront nos savoir-faire et renforceront nos PME. En séance publique, cette mesure a été élargie aux procédés d’extraction afin de soutenir, par exemple, l’ardoise d’Angers ou le granit breton.

Les dispositions des articles 61 et 62, relatives aux négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs, rétabliront l’équilibre dans le rapport de force propre à ce secteur. Elles conforteront nos producteurs, notamment nos éleveurs, grâce à la clause de renégociation en cas de fluctuations significatives des cours des matières premières agricoles.

Enfin, je tiens à souligner que l’action de groupe et le « fait maison » constituent également des mesures de protection des entreprises. Celles qui font le plus d’efforts en matière de qualité ou de respect des règles ne subiront plus les inconvénients d’un désavantage compétitif vis-à-vis de celles qui n’en font pas, et en sortiront renforcées.

Chers collègues, au terme de trente-six heures de débats riches et constructifs de toutes parts, je tiens à remercier tous les députés qui se sont investis et à saluer notre travail collectif. Je vous invite à voter ce texte…

Mme Catherine Vautrin. Sûrement pas !

M. Frédéric Barbier. …qui comporte de nombreux points d’accord et qui constitue sans aucun doute une avancée majeure, aussi bien pour les consommateurs que pour les entreprises. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Bravo !

M. le président. Mes chers collègues, soyez un peu moins bruyants et respectez les orateurs ! Il y a trop de bruit de fond dans cet hémicycle.

La parole est à M. Damien Abad, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Damien Abad. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la consommation est certainement une nouvelle occasion manquée pour le Gouvernement.

M. Marc Le Fur. Eh oui !

M. Damien Abad. C’est une occasion manquée de faire preuve d’ouverture vis-à-vis de l’opposition, de courage vis-à-vis des Français et d’efficacité vis-à-vis des consommateurs et des entreprises.

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Tout dans la nuance !

M. Damien Abad. Ce projet de loi est d’abord une occasion manquée avec l’opposition. La majorité et le Gouvernement ont préféré briser le consensus qui aurait pu prévaloir sur un tel projet de loi en décidant de rejeter 98 % des amendements déposés par l’opposition,…

Mme Catherine Vautrin. C’est vrai !

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Si 2 % des amendements de l’opposition ont été adoptés, ce n’est pas si mal !

M. Damien Abad. …alors que nous souhaitions travailler dans un esprit constructif pour la protection du consommateur, comme nous l’avions d’ailleurs fait lors de la discussion du projet de loi de Frédéric Lefebvre. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

De plus, Mme la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme s’est contentée d’un mauvais « copier-coller » des propositions de l’UMP, notamment de nos collègues Fasquelle et Siré (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC), en reprenant à son compte l’extension de la protection des indications géographiques aux produits non alimentaires, ou encore en créant ce fameux label « fait maison », lequel ressemble davantage à du sous-vide réchauffé qu’à du « fait maison ». (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Quant à vous, monsieur le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, malgré votre courtoisie et votre disponibilité que je salue, nous avons été frappés par votre double langage sur l’Europe. Un jour, vous critiquez la Commission européenne dans la presse, en la pointant du doigt comme responsable de la plupart des maux de la France.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Restez dans le sujet !

M. Damien Abad. Le lendemain, dans l’hémicycle, vous vous réfugiez derrière cette institution comme derrière une forteresse. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques et M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois. Hors sujet !

M. Jean-Luc Reitzer. Laissez parler l’orateur ! Quelle intolérance !

M. Damien Abad. Monsieur le président de la commission, il s’agit bien de notre sujet : nous l’avons bien vu à l’occasion du débat sur l’étiquetage de la viande initié par notre collègue Marc Le Fur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Razzy Hammadi, rapporteur. L’excellent Marc Le Fur !

M. Damien Abad. Ce texte est également une occasion manquée avec les Français, que vous avez trompés en affirmant que ce projet de loi allait soutenir leur pouvoir d’achat.

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois. C’est le cas !

M. Damien Abad. Comment pouvez-vous prétendre cela, alors qu’un Français sur deux ne partira pas en vacances cet été ? En effet, une fois tous les impôts payés, nos compatriotes n’ont plus rien pour terminer le mois ; vous avez brisé le seul levier dont ils disposaient – les heures supplémentaires – par pure idéologie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Comment pouvez-vous prétendre vous attaquer aux dépenses contraintes alors que votre projet de loi ne comporte aucune mesure sur les produits de première nécessité, ni sur les communications électroniques, ni sur le logement, ni sur la question énergétique,…

M. Razzy Hammadi, rapporteur. C’est faux !

M. Damien Abad. …alors même que la consommation est en crise et que la France est entrée officiellement en récession ?

Quant à la remise en cause du principe d’annualité dans les contrats d’assurance, vous faites fausse route. En effet, comme nous l’avons rappelé à maintes reprises avec notre collègue Catherine Vautrin, les surcoûts engendrés par la mise en place d’un tel dispositif seront automatiquement répercutés sur les assurés.

Mme Catherine Vautrin. Eh oui !

M. Damien Abad. Présenter ce projet de loi comme un moyen d’améliorer la croissance et l’emploi est une tromperie qui, à défaut d’être passible d’une sanction administrative, risque fort bien de faire l’objet d’une sanction électorale future. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Vautrin. Très bien !

M. Damien Abad. Ce texte est également une occasion manquée avec les consommateurs. Je prendrai deux exemples : l’action de groupe et le fichier positif.

Dans la mise en place de votre action de groupe, vous avez privilégié les associations de consommateurs au détriment des consommateurs eux-mêmes. Cette action de groupe low cost est à la fois inefficace, inapplicable et peut-être même inconstitutionnelle. On nous avait promis une arme de dissuasion nucléaire : on en termine avec un pétard mouillé. (Rires sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Cette mesure est inconstitutionnelle, car l’exclusivité donnée aux associations de défense des consommateurs apparaît manifestement contraire au principe d’égalité devant la justice et au droit à un recours juridictionnel effectif.

Elle est inefficace, car les associations de consommateurs soulignent déjà qu’elles n’auront ni les capacités financières ni les capacités juridiques pour mener à bien une telle procédure.

Enfin, elle est inapplicable, comme le montre l’action de groupe simplifiée introduite dans le texte par voie d’amendement par M. le rapporteur. Ainsi, l’action de groupe Hamon, trop complexe, a subi un enterrement de première classe…

M. Marc Le Fur. Eh oui !

M. Damien Abad. …au profit de l’action de groupe Hammadi, qui a elle-même été vidée de sa substance lors de son examen en séance publique.

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois. Mais non ! Même vous, cela vous fait rire tellement c’est gros !

M. Damien Abad. Résultat des courses : nous n’avons pas une, mais deux actions de groupe concurrentes et totalement illisibles pour les consommateurs.

Mme Catherine Vautrin. Et inefficaces !

M. Damien Abad. Enfin, vous avez choisi de mettre en place un fichier positif dont le dispositif est lourd, coûteux et dont l’efficacité pour réduire sur le surendettement est fort limitée, si l’on en croit les exemples étrangers.

Ce texte est également une occasion manquée avec les entreprises et les professionnels. Vous avez préféré un choc de complexification à un choc de simplification, au détriment des entreprises. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Tout cela est très caricatural !

M. Damien Abad. Après le matraquage fiscal de l’été dernier, nous avons droit cet été au matraquage administratif des entreprises. Plus de 50 % des articles de ce projet de loi portent en réalité sur le renforcement du pouvoir administratif et prévoient des sanctions complètement disproportionnées. Vous préférez la sanction à la médiation, en laissant planer sur nos entreprises une présomption de culpabilité.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, ce projet de loi est un peu la désillusion pour tous : les Français, les consommateurs, les associations et les entreprises.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Relisez-le !

M. Damien Abad. Il s’agit d’un texte a minima qui, dans le meilleur des cas, ne servira à rien.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Il faut le lire, monsieur Abad !

M. Damien Abad. Dans le pire des cas, il aura des effets contreproductifs et créera un climat de défiance généralisée.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Mais non ! Ouvrez les yeux !

M. Damien Abad. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Sébastien Denaja, rapporteur pour avis de la commission des lois. Même M. Lefebvre ?

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. C’était très nuancé !

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre, le groupe UDI souhaite saluer votre attitude attentive lors de l’examen de ce texte, en commission comme en séance publique. Hélas, cette écoute s’est insuffisamment traduite dans les faits : le groupe UDI a présenté plus de cent amendements, mais seuls quatre d’entre eux ont trouvé grâce à vos yeux.

M. Razzy Hammadi, rapporteur. Six !

M. Thierry Benoit. Pourtant, nous avons abordé ce texte de façon constructive, avec la volonté de concilier la protection du consommateur et la préservation des entreprises dans le contexte économique que nous connaissons.

Le groupe UDI a notamment été particulièrement attentif à ce que ce texte ne complexifie pas la vie des professionnels, qui demandent de la simplification administrative, de la respiration fiscale et de la stabilité normative.

Ce projet de loi relatif à la consommation contient des avancées importantes pour les consommateurs ; je pense notamment à l’action de groupe et à la création d’un répertoire national du crédit, que nous avons toujours appelées de nos vœux.

S’agissant de l’action de groupe, nous sommes restés vigilants à ce qu’elle ne devienne pas un facteur de déstabilisation des entreprises. Il s’agit d’un dispositif nouveau dans notre droit, et il convient d’en mesurer les effets. Nous considérons notamment que l’action de groupe doit être plus précisément encadrée et n’être engagée que par un groupe bien identifié de consommateurs. Elle ne doit viser que les pratiques postérieures à l’entrée en vigueur de la loi.

M. Jean-Christophe Lagarde. Très bien !

M. Thierry Benoit. Enfin – c’est le plus important –, la voie de la médiation devra être privilégiée afin d’éviter la dérive des class actions à l’américaine.

Deuxième avancée : la création d’un répertoire national du crédit aux particuliers, après un combat mené par Jean-Christophe Lagarde et les députés centristes depuis plus de dix ans. Monsieur le ministre, nous sommes heureux d’avoir pu vous convaincre du bien-fondé de ce registre, qui jouera un rôle primordial de prévention et de responsabilisation des prêteurs.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Écoutez, monsieur Abad ! M. Benoit a compris le texte, lui !

M. Thierry Benoit. D’autres dispositions du texte vont dans le bon sens ; je pense par exemple à l’extension de l’indication géographique protégée aux produits manufacturés et à la protection du nom des collectivités territoriales. L’extension de cette IGP aux minéraux, sur la proposition du groupe UDI et du groupe d’études « Granit, pierres naturelles, carrières et matériaux de la construction » présidé par Philippe Folliot, permettra demain une reconnaissance du savoir-faire de nombreux professionnels. Monsieur le ministre, vous auriez pu accepter nos amendements visant à rendre ce secteur plus compétitif, mais nous ne désespérons pas de vous convaincre en deuxième lecture.

Enfin, nous nous félicitons des dispositions relatives à la mise en place d’une clause de renégociation en cas d’évolution brutale du cours des matières premières agricoles.

Pour le reste, vous êtes restés sourds à nos amendements visant à ne pas alourdir les contraintes administratives et fiscales qui pèsent sur nos entreprises. Je regrette notamment que, pour transposer la directive relative aux droits du consommateur, vous ayez trop souvent fait le choix d’une adaptation plus stricte que le texte européen, là où il était nécessaire de prendre davantage en compte la réalité du travail des constructeurs, des commerçants, des artisans ou des exposants dans les foires et salons, des vendeurs à domicile, et de tous ceux qui œuvrent quotidiennement, dans l’ombre, pour la croissance de notre pays. Tous ces gens-là n’en peuvent plus de l’empilement des normes décidées à Paris et qui les empoisonnent au quotidien. C’est dommage, car nous plaidons pour une véritable simplification qui ne se limite pas à un effet d’annonce télévisuel.

Le pendant de l’obsolescence programmée, c’est la structuration en France de véritables filières de réparation créatrices d’emplois. Là encore, nous souhaitons que les nouvelles obligations, notamment sur la disponibilité des pièces détachées, soient adaptées à la réalité du monde des entreprises sur le terrain.

Nous soutenons l’octroi de pouvoirs de contrôle à la DGCCRF, même si nous nous interrogeons sur les moyens supplémentaires qui lui seront accordés pour mener à bien ses missions.

En revanche, nous nous interrogeons sur la possibilité pour des agents de l’État de contrôler les professionnels sous une fausse identité, en se faisant passer pour un client mystère. Nous souhaitons que cette faculté soit mieux encadrée et se limite aux contrôles sur Internet ou, à défaut, qu’elle soit limitée à des cas exceptionnels, afin de ne pas participer au climat de suspicion qui pèse injustement sur tous ces professionnels qui cherchent à vivre décemment de leur activité.

Monsieur le ministre, le texte de votre prédécesseur, Frédéric Lefebvre, comprenait des dispositions relatives au logement,…

M. Jean Glavany. Sur le logement ? On rêve !

M. Thierry Benoit. …à l’énergie et aux communications électroniques.

M. Marc Le Fur. Et l’étiquetage ?

M. Thierry Benoit. Enfin, nous considérons comme une erreur l’amendement n° 959, à l’article 61, qui allonge les délais de paiement de quarante-cinq à soixante jours dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, et qui crée ainsi une disparité vis-à-vis d’autres secteurs tout aussi fragiles. Comme l’a dit Pierre Moscovici lors de la présentation du texte, le respect des délais de paiement représente 10 à 12 milliards d’euros de trésorerie supplémentaire pour les entreprises.

À l’issue de cette première lecture, le groupe UDI considère que le texte ne saisit pas l’occasion de concilier une simplification administrative réelle et un allégement des contraintes normatives et financières pour les entreprises avec la nécessaire information et protection des consommateurs. C’est pour cette raison que nous nous abstiendrons en première lecture.

M. Marc Goua. Vous êtes courageux, mais pas téméraires !

M. Thierry Benoit. Si nos arguments et nos amendements visant à améliorer le texte dans le sens d’une plus grande pacification et d’une simplification des rapports commerciaux sont entendus, nous pourrions reconsidérer notre vote en deuxième lecture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix l’ensemble du projet de loi.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 537

Nombre de suffrages exprimés 508

Majorité absolue 255

(Le projet de loi est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur - Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi organique et d’un projet de loi (discussion générale commune)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur (nos 885, 1173) et du projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen (nos 886, 1174).

La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Présentation commune

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, c’est avec un sentiment de fierté et de grande responsabilité que je prends la parole devant vous.

Fierté, car j’ai l’honneur de vous présenter un projet de loi, traduction de l’engagement du Président de la République, qui, je n’en doute pas, fera date. J’irai jusqu’à dire qu’il s’agit, pour notre pays qui a fait du cumul des mandats une caractéristique de sa vie politique, d’une véritable révolution démocratique.

Responsabilité, car nous sommes tous ici conscients de la fragilité du lien démocratique. Nous savons combien – pour de nombreuses raisons, trop longues à développer ici, mais que chacun a en tête – beaucoup de nos concitoyens versent dans la désillusion, voire la défiance quant à la capacité des responsables politiques, de tous les responsables politiques, à entendre leurs inquiétudes et à répondre à leurs attentes.

Responsabilité, également, car comment ne pas voir dans ce projet de loi la conclusion logique de toutes les avancées qui, au cours des trois dernières décennies, ont transformé, approfondi notre vie démocratique, notamment dans les territoires.

La démocratie, c’est une relation de confiance entre les élus et les citoyens. Exercer un mandat, c’est consacrer du temps, de l’énergie, sa vie – familiale et professionnelle – à porter la voix et les aspirations de celles et ceux qui vous ont confié cette responsabilité. Ce mandat peut être local ou national.

En trente ans de lois de décentralisation, l’exercice d’un mandat local est devenu de plus en plus lourd et complexe. La France a été profondément changée par ces textes voulus par François Mitterrand et portés par Pierre Mauroy et Gaston Deferre, deux hommes d’État qui savaient très bien ce qu’est l’exigence quotidienne de veiller au destin d’une collectivité locale – et je connais l’implication des élus, quelle que soit leur sensibilité, au service de leurs concitoyens dans les territoires .

La France, c’est une nation faite de femmes et d’hommes qui se rassemblent derrière un même idéal : la République, celle qui bat ici, au cœur de cette Assemblée.

La France, c’est aussi un ensemble, de communes, de départements, de régions qui ont leurs identités et qui, unis et solidaires, font cette République des territoires. Cette République faite des contrastes de ses terres, de ses reliefs, de ses littoraux, de ses paysages urbains ou ruraux, mais également de l’unicité de sa devise qui partout, jusque dans le plus petit village, en métropole ou en outre-mer est écrite sur nos bâtiments publics.

Dans les territoires se joue l’avenir de notre nation. Ces territoires, vivent, se développent, mobilisent les énergies, préparent demain. C’est un chantier exaltant, passionnant. Et les élus dans les territoires ont un rôle primordial à jouer.

Le mandat national – celui que vous exercez au sein de cette Assemblée – qui consiste à légiférer, à contrôler l’action du Gouvernement et à évaluer les politiques publiques est, lui aussi, prenant et exigeant. Et cette exigence s’est encore renforcée avec la session unique et la réforme constitutionnelle de 2008.

Être parlementaire est une responsabilité particulière. Être membre d’un exécutif local en est une autre. La question du non-cumul a été maintes fois posée. On en a beaucoup parlé. Le moment de le mettre en œuvre, de le traduire en droit, est arrivé.

M. Régis Juanico. En effet.

M. Manuel Valls, ministre. Et c’est précisément ce que le Gouvernement entend faire.

Les lois organiques du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000, portées par des majorités de gauche – je tiens à le rappeler – ont constitué des premières avancées. Elles ont en effet limité les possibilités de cumul mettant fin à la folie antérieure – assez récente et je ne citerai personne – dans laquelle l’on pouvait être simultanément, maire, président du conseil général, président du conseil régional, député ou sénateur et enfin parlementaire européen !

M. Guy Geoffroy. C’est fini !

M. Manuel Valls, ministre. Cette majorité de gauche veut aller plus loin. Non pas en limitant, cette fois-ci, mais en supprimant le cumul avec un exécutif local.

La traduction de l’engagement du Président de la République, c’est donc une même loi qui s’applique à tout le monde, en même temps et dans les mêmes conditions.

Cet engagement, le chef de l’État a eu l’occasion d’en expliquer les motivations profondes : ce que les citoyens attendent, ce sont des élus à leur écoute, pleinement investis dans leurs responsabilités au niveau local, comme au niveau national. Ces projets de loi répondent donc avant tout à une exigence citoyenne.

Le projet de loi organique, c’est aussi le vôtre. Il vous concerne politiquement et personnellement. Je mesure, comme vous, les bouleversements qui vont en résulter. Ce n’est pas une petite affaire. C’est un changement profond. Ce sont des pratiques, des habitudes, des traditions, des comportements qu’il va falloir changer. Ce sont aussi des trajectoires personnelles, des engagements forts au service de vos collectivités qui vont prendre, si ce texte est adopté, d’autres formes.

L’ampleur de cette évolution, le Gouvernement ne la sous-estime pas. Au contraire, il la revendique et je l’assume devant vous, car il s’agit d’un vrai changement qui s’inscrit à la suite de cet autre changement que nous avons voulu avec le scrutin binominal et paritaire dans les départements. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Quelle réussite !

M. Bernard Deflesselles. Unique au monde !

M. Manuel Valls, ministre. La parité dans tous les départements, l’opposition ne l’a pas voulue : le changement est de ce côté de l’hémicycle, le conservatisme de l’autre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous en prie, chers collègues.

M. Manuel Valls, ministre. Le renouvellement des responsables politiques doit se traduire aussi par l’accession d’une nouvelle génération à des responsabilités politiques, mais pas seulement. Le renouvellement, c’est aussi le renouvellement des profils, des parcours et des origines.

Vous avez donc l’occasion, par votre vote et par un débat qui doit honorer le Parlement, de modifier profondément la vie politique française, de marquer l’histoire de nos institutions.

M. Nicolas Dhuicq. En détruisant la Cinquième République !

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez l’occasion de changer votre façon de concevoir et d’exercer le mandat de parlementaire, si c’est ce mandat que vous décidez de privilégier.

Avec cette loi, les mandats de parlementaires ne pourront plus être cumulés avec une fonction exécutive locale. Cependant, il restera possible d’exercer un mandat local de conseiller régional, départemental, municipal ou communautaire.

M. Guy Geoffroy. Cela n’a pas de sens !

M. Manuel Valls, ministre. En effet, le Gouvernement n’a pas souhaité instaurer le mandat unique. Il a voulu préserver cet enracinement, cet ancrage local auquel vous êtes légitimement attachés.

Ce projet de loi est équilibré,…

M. Guy Geoffroy. C’est de l’équilibrisme !

M. Manuel Valls, ministre. …car il est à la fois strict sur le périmètre de non-cumul et souple quant à son application dans le temps.

M. Lionel Tardy. On verra en 2014, lorsqu’on changera de majorité ! (Sourires.)

M. Manuel Valls, ministre. Strict sur le périmètre parce qu’il interdit le cumul d’un mandat parlementaire avec toute fonction exécutive locale : celles de maire et de président, mais aussi d’adjoint et de vice-président.

M. Jean-Luc Reitzer. Ridicule !

M. Manuel Valls, ministre. Exercer une responsabilité exécutive locale est un mandat passionnant ; mais, c’est un mandat prenant qui implique d’être au contact régulier de la collectivité pour laquelle il s’agit – les lois de décentralisation ont fait leur œuvre – de conduire des politiques et de gérer des budgets importants : logement, équipements, urbanisme, développement économique ou rural ou encore solidarité.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est déjà ce qu’on fait !

M. Manuel Valls, ministre. Bien sûr, certains objecteront que les premiers avocats du non-cumul – et j’en suis – ont eux aussi, par le passé, cumulé.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est le moins qu’on puisse dire !

M. Manuel Valls, ministre. C’est donc en toute connaissance de cause que je m’exprime devant vous.

M. Bernard Deflesselles. Il faut donc se faire hara-kiri !

M. Guy Geoffroy. Évry aurait été sacrifiée pendant quelques mois ?

M. Manuel Valls, ministre. Je sais la réalité des séances de nuit qu’il faut cumuler avec des conseils de quartiers ; je sais la réalité des auditions en commission qu’il faut cumuler avec des réunions de pilotage de chantiers.

M. Jean-Luc Reitzer. Vous avez réussi pourtant !

M. Manuel Valls, ministre. Je sais la réalité de la rédaction d’un rapport parlementaire qu’il faut cumuler avec les situations imprévues, parfois d’urgence, qui marquent la vie d’une collectivité, et pour lesquelles il faut impérativement être sur le terrain, aux côtés des habitants qui, légitimement, attendent beaucoup de leurs élus.

Oui, j’ai cumulé tout cela.

M. Jean-Luc Reitzer. Si vous ne l’aviez pas fait, vous ne seriez pas ministre aujourd’hui !

M. Manuel Valls, ministre. Et comme tous les membres du Gouvernement, je ne cumule plus. Et je crois, très sincèrement, que l’intérêt général s’en porte mieux. Vous verrez : vous aussi vous y viendrez ! Et vous verrez que nos concitoyens vous soutiendront dans cette démarche.

M. Guy Geoffroy. C’est du repentir actif !

M. Manuel Valls, ministre. Je vous laisse vos références religieuses ! (Sourires.)

Le Gouvernement n’a pas voulu introduire de notion de seuil de population. En effet, peu importe le nombre d’habitants, la réalité des missions à accomplir est bien là. Peu importe la taille de la commune, de l’intercommunalité, du département, de la région, c’est le même niveau d’exigence, le même impératif de présence qui s’applique.

En revanche, les moyens ne sont pas les mêmes,...

M. Nicolas Dhuicq. Eh oui !

M. Manuel Valls, ministre. ...et il n’est pas rare que le maire d’une petite commune doive, pour l’essentiel, se débrouiller seul. La charge de travail et la responsabilité sont alors considérables !

M. Alain Tourret. Mais non !

M. Manuel Valls, ministre. Enfin, si un seuil était fixé, même à 1 000 habitants par exemple, vous conviendrez qu’il n’y a pas de sens à exclure du champ de ce projet de loi 27 000 communes sur les 36 783 que compte la France.

De même, il n’y aurait pas eu de sens à exclure du champ de ce projet la participation à un exécutif intercommunal. L’intercommunalité a acquis une vraie légitimité dans notre pays : une légitimité liée aux compétences exercées mais aussi, et de plus en plus, une légitimité démocratique. C’est ce lien entre les électeurs et leurs représentants intercommunaux que nous avons consacré dans la loi du 17 mai dernier avec l’élection au suffrage universel. C’est encore ce lien que nous soulignons aujourd’hui en incluant, pour la première fois, l’échelon intercommunal dans le texte.

En trente ans de décentralisation, les structures locales ont évolué – je ne vous apprends rien –, les responsabilités de ceux qui les composent également. Le choix de votre commission des lois, monsieur le président, monsieur le rapporteur, d’élargir le champ du non-cumul des mandats à certaines fonctions dérivées du mandat local s’inscrit dans cette logique et le Gouvernement y souscrit. Présider une société d’économie mixte prend du temps, il en va de même pour un syndicat d’électrification. Il est donc logique que ces fonctions ne puissent être compatibles avec un mandat parlementaire.

Certains voudraient aller plus loin en instaurant une limitation de l’exercice des mandats dans le temps. Le Gouvernement n’y est pas favorable. Depuis 2008, cette restriction existe pour le Président de la République : il ne peut accomplir plus de deux mandats consécutifs. Mais appliquer une telle limitation à l’ensemble des parlementaires bouleverserait l’équilibre que je vous propose aujourd’hui, un équilibre qui correspond à l’engagement du Président de la République.

M. Guy Geoffroy. C’est vraiment « Faites ce que je dis, pas ce que j’ai fait ».

M. Manuel Valls, ministre. Cela existe dans d’autres pays, monsieur le député. Aux États-Unis, il y a une limitation dans le temps pour le Président mais aussi pour les maires et les gouverneurs. Les parlementaires américains ont eu ce débat, comme dans d’autres démocraties parlementaires, et pour des raisons assez évidentes – celles qui nous ont conduits à la même conclusion –, ils n’ont pas retenu cette solution pour les mandats législatifs.

Strict sur le périmètre, ce projet de loi est souple et sûr d’un point de vue juridique quant à son application.

Souple, car il n’y a pas de date butoir en 2014 ou 2015.

M. Bernard Deflesselles. C’est bien pour vos camarades !

M. Manuel Valls, ministre. Chaque élu en situation de cumul aura donc la possibilité de préparer sereinement cette échéance et conservera sa liberté de choix en pouvant aller au terme de chacun de ses mandats actuels.

M. Guy Geoffroy. Comme c’est bien enveloppé !

M. Manuel Valls, ministre. Souple et sûr, parce que la formule qui est proposée, « l’échéance du renouvellement général de l’assemblée », suggérée par le Conseil d’État, garantit l’exercice du droit de suffrage, assure la continuité du fonctionnement des assemblées et évite tout risque de rétroactivité.

Les conditions du vote lors des élections législatives de 2012 sont ainsi préservées, aucune incompatibilité n’est imposée en cours de mandat, aucune situation légalement acquise n’est ainsi remise en cause. Mais la souplesse juridique de cette loi n’interdit pas la force de ses conséquences politiques – je l’ai dit devant la commission des lois. Il ne fait aucun doute que le texte, adopté avant les élections municipales du printemps prochain, va créer un cadre politique qui s’appliquera, j’en suis convaincu pour le plus grand nombre, dès 2014 ou 2015.

Les parlementaires qui seront candidats aux prochaines élections municipales seront tenus de dire, dans le débat politique local, s’ils comptent aller au terme de leur éventuel nouveau mandat de maire – et donc abandonner leur mandat parlementaire en 2017 – ou si, dans le cas contraire, ils comptent proposer une succession en cours de mandat, et à qui. Il en ira de même pour les présidents de départements et de régions en 2015.

Les effets politiques que j’évoque sont d’ailleurs déjà là, car dans plusieurs villes, des acteurs politiques locaux, de toutes sensibilités, sont déjà dans ce mode de réflexion et d’annonce.

Mesdames, messieurs les députés, j’ai moi-même été parlementaire pendant dix ans. Aussi permettez-moi de vous parler plus directement.

Qui d’entre vous, peut affirmer que son mandat de parlementaire n’est pas suffisant ? Qu’il n’est pas assez satisfaisant ? Qu’il n’est pas assez prenant ? Il est temps de sortir de la fiction de l’élu omniscient.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Évidemment !

M. Manuel Valls, ministre. On peut être un très bon élu, qui cumule.

M. Jean-Luc Reitzer. Fort heureusement, sinon nous ne serions pas réélus.

M. Manuel Valls, ministre. Il y en a, je le sais. Et je ne doute pas que vous prendrez, les uns et les autres, des exemples. Mais cumuler revient à déléguer.

Ce n’est pas un procès fait aux élus, ceux qui aujourd’hui exercent plusieurs mandats, et qui le font avec toute la force de leur engagement au service du territoire ou du Parlement. Jamais je ne ferai ce type de procès, jamais je ne l’accepterai. Mais il y a un autre procès que je refuse, celui fait aux futurs élus, ceux et celles qui émergeront de cette réforme. Non, ce n’est pas une prime à ceux que l’on appelle les « apparatchiks » ; non, cela ne revient pas à élire des représentants coupés du terrain, de la réalité.

M. Claude Goasguen et M. Guy Geoffroy. Mais si !

M. Manuel Valls, ministre. Qui oserait attaquer sur sa méconnaissance du terrain celui qui aura été élu dans un territoire, une circonscription au suffrage universel direct ? S’attaquer à cet élu de cette manière, c’est s’attaquer au suffrage universel direct. Ce nouveau député ou cette nouvelle députée pourra conserver un ancrage dans sa commune en demeurant conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional. En outre, le mode de scrutin, majoritaire et uninominal, interdit au député de négliger sa circonscription et l’oblige à faire fructifier le lien de proximité avec les électeurs.

M. René Dosière. Très juste !

M. Manuel Valls, ministre. En réalité, nul besoin d’une fonction exécutive locale pour rester proche de ses concitoyens et ressentir leur état d’esprit, leurs aspirations et les traduire ici à l’Assemblée nationale dans les textes de loi, dans les interpellations du Gouvernement, dans le contrôle de l’exécutif.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. On pourra aussi avoir plusieurs engagements dans la vie politique, les uns après les autres et non plus en même temps : membre d’un exécutif local puis parlementaire, ou bien parlementaire puis membre d’un exécutif local. Ce sera par conséquent une autre façon de s’engager, de faire de la politique. Ce sera aussi pour les chambres, une autre manière de fonctionner.

Des parlementaires plus présents, c’est un Parlement renforcé dans ses missions législatives mais aussi de contrôle.

M. Claude Goasguen. Il ne s’agit pas de cela !

M. Jean-Luc Reitzer. Il n’y a aucun lien, les études le prouvent !

M. Manuel Valls, ministre. Le contrôle de l’action du Gouvernement est une prérogative essentielle du Parlement, renforcée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la réforme du règlement de 2009. Une semaine de séance sur quatre y est désormais réservée. Un comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a été créé. Des rapports sur l’application des lois sont rendus de manière systématique. Aux commissions d’enquête s’ajoutent les missions d’information – pas moins de six en une session parlementaire pour la seule commission des lois. Ces prérogatives en matière de suivi et de contrôle, encore faut-il pouvoir les exercer, car cela nécessite du temps, des moyens, un investissement.

Ce ne sont donc pas seulement les parlementaires qui sont concernés par ces projets de loi, ce ne sont pas seulement les élus qui vont devoir modifier leurs pratiques, c’est aussi l’exécutif qui s’engage, qui rend plus exigeante encore sa relation avec le Parlement.

L’exercice des mandats locaux est, lui aussi, devenu plus exigeant, plus prenant, parfois plus difficile. Chaque compétence nouvelle exercée constitue une nouvelle charge de travail pour les collectivités, donc pour leurs élus. Le mandat d’élu local a ses exigences, ses contraintes, et les conditions de travail, de vie des élus ne doivent pas les dissuader d’embrasser ce parcours. Je fais ici miens les mots du Président de la République : « C’est parce que l’exercice d’un mandat est une tâche noble, exigeante, que les élus doivent avoir les moyens d’exercer sereinement leurs missions. C’est le sens du statut de l’élu ».

Le Gouvernement a parfaitement conscience des réalités de la vie des élus locaux. À la suite des états généraux de la démocratie territoriale, un travail important a été engagé sur cette problématique du statut de l’élu : au Sénat avec la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et de Jacqueline Gourault et ici, à l’Assemblée nationale, notamment avec le récent rapport de votre collègue Philippe Doucet. Ce travail doit se poursuivre, en parallèle de celui que nous accomplissons aujourd’hui.

Il appartient aussi aux assemblées – et je sais que le président Claude Bartolone est très impliqué sur ce sujet – de réfléchir aux moyens de travail dont peuvent bénéficier les parlementaires pour exercer leurs missions.

Députés, sénateurs, portent la voix de nos concitoyens. Ils ont – vous avez – cette responsabilité éminente de bâtir la loi, de construire ce chemin, nécessairement exigeant, qui mène vers l’intérêt général.

J’ai commencé mon propos en vous parlant de responsabilité. Nous en avons tous une ici : assurer la force de nos institutions démocratiques. Nous en avons hérité à la suite de luttes, de combats. Être conscient de ce legs, ne doit pas être synonyme d’immobilisme. La démocratie, n’est pas un modèle figé à jamais ; elle réclame de savoir réinventer pour toujours s’assurer de l’intensité du lien de confiance qui existe avec les citoyens. Elle réclame de prendre acte des évolutions de la société et des mentalités. Et nos concitoyens ont des exigences nouvelles. Il faut les entendre et leur donner une traduction concrète. C’est l’honneur d’un gouvernement de gauche et d’une majorité de gauche que de porter précisément ces évolutions et de les traduire dans la loi.

Nous avons collectivement le devoir de nous réinventer pour donner à nos institutions, au Parlement et aux territoires, ces deux piliers de notre vie politique, un nouvel élan démocratique. Nous devons franchir ce pas et accomplir cette évolution attendue par les Français. Il est temps de faire preuve de courage et de clairvoyance.

Cette responsabilité – j’y insiste – est collective. Et ce texte équilibré qui, avec réalisme, prépare la transition, ne peut que nous rassembler.

M. Jean-Luc Reitzer. Sûrement pas !

M. Manuel Valls, ministre. Mesdames, messieurs les députés, regardons les choses en face : les avancées démocratiques des trois dernières décennies ont fixé un nouveau cadre. La nation et les collectivités territoriales peuvent désormais avoir des intérêts différents et parfois même contradictoires. Il nous faut sortir de la confusion des genres qui mettent des élus dans une situation complexe et illisible devant leurs électeurs. Et le principe même de la démocratie, c’est la lisibilité de l’action, sans quoi il n’y a pas de responsabilité politique réelle. Nous devons réinventer notre démocratie représentative. Et seule la loi nous donne la force de le faire, pleinement, totalement. C’est ce à quoi le Gouvernement vous invite. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Claude Goasguen. C’était un discours pour préfets !

M. Manuel Valls, ministre. Quelle vulgarité ! Pourquoi pas un discours pour recteurs ou pour proviseurs de lycée ?

M. le président. La parole est à M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission de lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Christophe Borgel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission de lois, mes chers collègues, nous y voilà : depuis le temps que l’on en parle, nous abordons enfin dans cet hémicycle le non-cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale. C’était un engagement du Président de la République, engagement réaffirmé à cette tribune par le Premier ministre dans son discours de politique générale.

Nous allons avec cette réforme, si notre assemblée décide de l’adopter, mettre fin à une spécificité française qui ne se justifie plus, si tant est qu’elle se soit justifiée un jour.

Je ne suis pas toujours favorable à la volonté de mettre fin aux exceptions qui marquent notre pays. En l’occurrence, je crois que c’est absolument indispensable de mettre fin à celle-ci.

Qu’il existe une spécificité française, la comparaison avec les grandes démocraties le démontre indiscutablement. Comparons la France avec des pays qui ont une législation contraignante comme l’Allemagne,…

M. Jean-Luc Reitzer. Rien à voir, c’est un État fédéral !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Belgique ou l’Irlande. Comparons la France avec des pays où la législation en la matière est quasiment absente comme les États-Unis, le Danemark, la Grande-Bretagne, la Suède ou le Canada.

Dans tous ces pays, le cumul est quasiment absent, atteignant au maximum 20 %. Dans notre pays, six parlementaires sur dix exercent en même temps une fonction exécutive locale, huit sur dix exercent un autre mandat. Et cette réalité n’a cessé de progresser dans l’histoire de notre République.

M. Jean-Luc Reitzer. Il y a bien une raison !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Sous la IIIe puis la , moins d’un tiers de parlementaires étaient en même temps maires, et moins de la moitié cumulaient avec un autre mandat. La proportion augmentera tout au long de la Ve République et, paradoxe de la décentralisation, c’est au moment même où le pouvoir et les compétences des élus locaux ont été renforcés, où le temps passé à exercer une fonction exécutive locale devenait plus important, que ce cumul avec les fonctions exécutives locales a atteint des sommets.

M. Jean-Luc Reitzer. Il faut savoir travailler, c’est tout !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je n’ai pas voulu aborder le débat de façon simpliste, manichéenne, en opposant, d’une part, des parlementaires qu’il faudrait dénoncer parce qu’ils exerceraient une fonction de député, de sénateur ou de député européen en même temps qu’une fonction exécutive locale – bref, des élus que l’on traiterait de cumulards – à, d’autre part, des parlementaires vertueux qui n’auraient d’ores et déjà comme seul mandat que celui de parlementaire. J’ai au contraire tenté de démontrer qu’il existait en réalité une spécificité française,…

M. Claude Goasguen. Oui : la décentralisation !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …présente sur l’ensemble du territoire, et qui de fait s’est imposée petit à petit à l’ensemble d’entre nous.

Mes chers collègues, cette réforme est attendue par l’opinion,…

M. Jean-Luc Reitzer. C’est faux !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …l’ensemble des études le montrent.

L’on me rétorquera que les mêmes qui revendiquent dans les sondages le non-cumul,…

M. Jean-Luc Reitzer. …votent pour leur député-maire !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …élisent lors des élections leur député-maire.

M. Christian Hutin. Et voilà !

Plusieurs députés du groupe UMP. Exactement !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Permettez-moi, mes chers collègues, de vous relater les propos du très regretté Guy Carcassonne lors de son audition :…

M. Philippe Gosselin. Il était un grand constitutionnaliste !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …« L’électeur devrait alors soit refuser sa voix au candidat du parti qui a sa préférence, uniquement parce qu’il détient déjà un autre mandat, soit voter pour lui malgré son hostilité au cumul, c’est-à-dire, dans un cas comme dans l’autre, voter contre ses propres convictions. » Et certains d’entre vous appellent cela la liberté de choix pour l’électeur !

Cette réforme est nécessaire parce que, M. le ministre l’a rappelé en présentant ce projet de loi, si les réformes précédentes en 1985 et en 2000 ont permis des progrès en faveur du non-cumul dans les territoires, elles n’ont pas eu d’effet sur le non-cumul des parlementaires.

M. Claude Goasguen. Nous ne sommes pas des notables !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Lionel Jospin, lorsqu’il était Premier ministre, s’y était essayé avec une loi qui fut longuement débattue, pendant près de deux ans, dans cette assemblée.

À cet instant de mon propos, je tiens à le remercier pour son engagement, encore récemment, en faveur du non-cumul, lorsqu’il présidait la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique ; je remercie également l’ancienne première secrétaire du parti socialiste pour son apport à ce combat.

Cette loi a eu peu d’effets, je le disais, pour les parlementaires.

M. Jean-Luc Reitzer. Vous ne savez pas ce que c’est que d’être maire !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Elle a seulement servi à améliorer la situation pour les parlementaires européens mais, dès 2003, une nouvelle majorité est revenue sur cette toute petite avancée.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, présente un immense avantage : il est simple et compréhensible par tous.

M. Guy Geoffroy. C’est certain : lorsque la loi entrera en vigueur, chacun comprendra !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Demain, lorsque les parlementaires seront élus, ils ne pourront plus exercer simultanément des responsabilités exécutives locales, quel que soit le territoire dans lequel ils sont élus, qu’il s’agisse d’une commune, d’une intercommunalité, d’un département ou d’une région, et quel que soit le type de responsabilité.

M. Nicolas Dhuicq. Mais non !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Mes chers collègues, vous avez le droit de vous opposer au texte, mais si nous voulons être compris par nos concitoyens, il faut lui garder son caractère simple.

M. Nicolas Dhuicq. Il faut expliquer aux Français !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Le vrai sujet qui est devant nous est de savoir si le projet de loi organique renforce ou affaiblit notre Parlement.

Plusieurs députés du groupe UMP. Elle l’affaiblit !

M. Christian Hutin. C’est un affaiblissement !

M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Vous aurez tout le temps d’intervenir dans la discussion. Pour le moment, écoutez l’orateur.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Quatre personnalités importantes de la vie intellectuelle de notre pays ont écrit une lettre ouverte au Président de la République pour plaider que cette loi affaiblirait le Parlement. Pour que le Parlement soit fort face à l’exécutif, expliquent-ils, il faut que siègent dans l’hémicycle tant les parlementaires que les patrons des grandes collectivités locales de notre pays. Or cela fait plusieurs législatures que ces patrons des grandes collectivités locales sont assis sur ces bancs.

M. Guy Geoffroy. Nous y voilà !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je n’ai pas vu que cela ait en quoi que ce soit corrigé le déséquilibre existant sous la Ve République entre l’exécutif et le législatif ; je n’ai pas vu que cela ait permis en quoi que ce soit au Parlement d’être mieux entendu ; et pourtant, ils sont sur ces bancs !

M. Daniel Fasquelle. Que dire de Jean-Marc Ayrault, alors ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Nous l’avons démontré avec les chiffres relatifs au non-cumul : ce dont nous avons besoin, c’est de parlementaires à temps plein.

Souvenons-nous de ce qu’écrivait Bernard Roman dans un rapport paru en 1998 : « L’une des objections majeures des opposants à la limitation du cumul des mandats et des fonctions électives repose sur la crainte de couper les parlementaires du terrain. Ce point de vue ignore superbement les contraintes d’agenda qu’impose le cumul entre le mandat de parlementaire et l’exercice de responsabilités locales. Comment prétendre que le cumul favorise le sens des réalités et la proximité avec les citoyens quand, dans la même semaine, le même élu doit présider son conseil municipal, signer les actes de la structure intercommunale qu’il préside, participer aux travaux du conseil régional, tenir sa permanence parlementaire, monter à Paris pour assister aux séances, »…

M. Guy Geoffroy. Pas assister : participer aux séances !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …« aux réunions de groupe et de commissions ? » – on pourrait rajouter : conduire des auditions quand de surcroît il est nommé rapporteur. Et Bernard Roman ajoutait : « Le cumul pose en fait autant de problèmes de gestion du temps au parlementaire qu’à l’élu local. »

Chacun le sait, si nos agendas du mardi et du mercredi sont aussi compliqués à bâtir, c’est parce que toutes les réunions se tiennent ces deux jours-là !

M. Marc Dolez. Très bien !

M. Claude Goasguen. Cela ne changera pas !

M. Jean-Luc Reitzer. Il faut savoir s’organiser dans son travail !

M. Christophe Borgel, rapporteur. C’est parce qu’à partir du mercredi soir, nombre de parlementaires retournent dans leur circonscription au lieu de conduire à l’Assemblée nationale le travail pour lequel ils ont été élus au nom de la nation tout entière.

M. Jean-Luc Reitzer. On nous avait promis que cela changerait avec la session unique, et la situation est restée la même !

M. Christophe Borgel, rapporteur. À quoi a-t-il servi de réviser la Constitution en 2008 comme vous l’avez fait pour renforcer les pouvoirs de l’Assemblée nationale, si nous ne nous donnons pas les moyens d’exercer pleinement ces pouvoirs ?

M. Claude Goasguen. Établissez la proportionnelle, alors !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Parlementaires au nom de la nation tout entière, nous devons tout à la fois faire la loi, en évaluer les effets, contrôler l’activité du Gouvernement : cela mérite un temps plein !

Cette loi n’épuise naturellement pas la question de l’équilibre entre l’exécutif et le législatif. Il faudra renforcer les moyens des parlementaires, et je vous remercie, monsieur le ministre, de l’avoir souligné.

M. Jean-Luc Reitzer. Cela ne sera jamais fait : on nous en enlève au contraire !

M. Philippe Gosselin. C’est un vieux serpent de mer !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Aujourd’hui, si les parlementaires ne se battent pas plus pour cela, c’est parce que nombre d’entre nous, faute d’avoir les moyens en tant que parlementaires, les trouvons dans notre exécutif local ; ce n’est pas admissible ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Si nous voulons des moyens supplémentaires, si nous estimons qu’ils ne sont pas suffisants, alors il faudra nous battre pour les obtenir ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Luc Reitzer. Que proposez-vous pour cela ?

M. le président. Chers collègues, nous n’allons pas continuer la séance comme cela ! Vous aurez l’occasion de parler ; vous allez entendre longuement M. Poisson juste après.

M. Philippe Gosselin. Nous l’entendrons avec plaisir !

M. le président. Pour le moment, nous écoutons l’orateur.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Pour terminer sur cette réalité du renforcement du Parlement, je voudrais citer deux grands parlementaires qui ont dit, sous des formes différentes, des choses équivalentes à plus d’un siècle de distance.

« Monsieur le Président, le XVIIIe arrondissement de Paris m’ayant fait l’honneur de m’élire député, »…

M. Claude Goasguen. Il s’agit de Clemenceau !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …« je me trouve dans l’impossibilité de remplir simultanément mes doubles fonctions de député et de conseiller municipal de Paris. J’ai donc l’honneur de vous adresser ma démission de membre du conseil municipal pour le quartier de Clignancourt. »

Il n’y était nullement obligé par la loi, mais était hostile au cumul. Cette lettre de Georges Clemenceau,…

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas Daniel Vaillant qui aurait fait cela !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …adressée au vice-président du conseil municipal de Paris le 24 avril 1876, a été reproduite par Michel Winock, historien français spécialiste de l’histoire de la République.

Plus d’un siècle plus tard, le président de l’Assemblée nationale sous la précédente législature, Bernard Accoyer, déclarait il y a quelques mois sur La Chaîne Parlementaire : « Je suis favorable au maintien du cumul de mandats sans responsabilité exécutive locale, c’est-à-dire conseiller municipal, conseiller général ou régional. Mais une responsabilité exécutive crée une confusion, et nous sommes le seul pays à avoir cela. Je pense que le cumul pose un problème. »

Mme Laurence Dumont. Très bien !

M. Bernard Lesterlin. Quelle lucidité !

M. Christophe Borgel, rapporteur. « Il s’intègre également à une de ces lourdeurs qui paralysent notre pays, parce qu’il y a un conflit d’intérêts entre un élu local qui dispose de responsabilités exécutives et l’élu national. »

M. Claude Goasguen. Il a eu tort de dire cela !

M. Guy Geoffroy. Et qu’en pense M. Alain Rousset ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. L’on nous dit, sur les bancs des opposants à cette révolution démocratique, que les élus locaux ont besoin d’être députés pour être entendus à Paris. Avouez qu’avec la décentralisation, ce n’est plus tout à fait vrai.

Je suis député de la Haute-Garonne. Nous sommes cinq députés dans ce département dont la circonscription recouvre une partie de Toulouse ; or Pierre Cohen, le maire de Toulouse, n’a besoin d’aucun d’entre nous pour être entendu à Paris.

M. Guy Geoffroy. Il a perdu le TGV !

M. le président. Monsieur Geoffroy, s’il vous plaît !

M. Christophe Borgel, rapporteur. La France compte près de 37 000 patrons d’exécutifs locaux : vous n’allez tout de même pas défendre que pour être entendus à Paris, ils doivent se disputer les quelque mille postes de parlementaires existant dans le pays ! J’espère que vous nourrissez d’autres ambitions pour permettre aux patrons d’exécutifs locaux d’être mieux entendus par l’administration centrale de notre pays ! On ne peut tout de même pas défendre sérieusement ce type d’arguments sur les bancs de cette assemblée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Alauzet. Très bien !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous brandissez ensuite l’argument des « parlementaires hors sol ». Notre collègue Geoffroy nous a même comparés à des tomates hors sol, en disant que nous aurions aussi peu de saveur !

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Philippe Gosselin. Il a raison !

M. Christophe Borgel, rapporteur. L’amoureux de la cuisine que je suis a apprécié la comparaison !

M. Philippe Gosselin. Les tomates hors sol n’ont pas de goût !

M. Sébastien Denaja. Surtout, elles ne poussent pas dans le sol !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Quelle facilité ! Quelle concession à l’air du temps ! Quelle concession à ce mépris pour la vie politique que de parler ainsi d’apparatchiks des partis !

Qui d’entre nous, sur les bancs de cette assemblée, n’est pas depuis longtemps membre d’un parti politique ?

M. Guy Geoffroy. Nous ne sommes pas des apparatchiks !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Qui d’entre nous sur les bancs de cette assemblée veut renoncer au rôle que la Constitution confère aux partis politiques, à savoir concourir à la démocratie et à la vie politique de ce pays ?

Défendons nos arguments, chers collègues, mais ne cédons pas, sur les bancs de cette assemblée, à cet air du temps qui dévalorise la politique et les élus !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est pourtant ce que vous faites !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Loin de tout et de tous, dites-vous ? Je ne le crois pas ! Le scrutin par circonscription, auquel je reste largement favorable,…

M. Philippe Gosselin. « Largement », cela signifie quelle dose de proportionnelle ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. …associe le député qui représente la nation tout entière à un territoire et oblige à « faire du terrain », comme on dit. Ce qui changera, c’est la manière de le faire : nul besoin d’être maire, président de conseil général ou régional pour être un élu de proximité. Nul besoin de cumuler avec une fonction exécutive locale pour être en contact avec nos concitoyens.

C’est donc la manière de faire qui changera : nous articulerons mieux le travail parlementaire et le dialogue avec les citoyens sur le terrain. Nous articulerons mieux l’élaboration de la loi et la réalité dans nos circonscriptions.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est la méthode Coué !

M. Christophe Borgel, rapporteur. La réalité, c’est que ceux qui cumulent ne dialoguent pas la plupart du temps avec nos concitoyens sur l’activité parlementaire puisque, une fois sur le terrain, ils exercent leurs responsabilités locales.

M. Rémi Delatte. Mais non ! Détrompez-vous !

Plusieurs députés du groupe UMP. Scandaleux !

M. Christian Hutin. C’est insultant !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Je suis attaché aux députés de terrain ; mais je ne crois pas qu’on ait besoin, pour cela, d’exercer des fonctions exécutives locales.

Enfin, vous nous opposez le statut de l’élu ; avouez que pour parler du cumul entre le mandat de parlementaire et les fonctions exécutives locales, c’est un peu étonnant !

Je comprends qu’il faille un statut de l’élu, et je le défends vivement afin qu’il soit créé pour l’ensemble des élus locaux, dans nos territoires, qui passent du temps dans leur fonction et sacrifient parfois leur vie de famille et leur vie professionnelle, sans protection sociale, sans retraite. Mais ce n’est pas tout à fait le cas des parlementaires, car il me semble que nous bénéficions d’une protection sociale et d’une retraite ! Bien des choses restent à améliorer ; mais prétendre qu’il n’y aurait aucun statut pour les parlementaires me paraît un peu exagéré…

M. René Dosière. Très exagéré !

M. Christophe Borgel, rapporteur. …au regard des difficultés que connaît notre pays.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas ce que nous avons dit !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Nous devrons collectivement défendre le rapport rédigé par MM. Doucet et Gosselin, afin qu’il ne constitue pas un énième rapport parlementaire mais devienne demain une réalité dans la législation de notre pays. Je vous remercie à ce sujet, monsieur le ministre, pour les propos que vous avez tenus en introduction à notre débat à la tribune de cette assemblée.

Quelques mots sur ce que notre commission a fait : elle a conforté, renforcé et précisé le texte. Elle l’a conforté en maintenant son application aux députés comme aux sénateurs : rien ne justifie en effet une différence.

Les sénateurs représentent la nation tout entière, même si la Constitution dispose qu’ils représentent les collectivités territoriales. Ils sont élus par des grands électeurs qui, certes, sont nombreux à être eux-mêmes des élus ; mais ils ne le sont pas tous.

Nombreux sont les sénateurs qui sont eux-mêmes élus, mais pas tous. Je ne vois donc pas d’argument démontrant qu’il aurait fallu faire une différence.

Nous avons conforté l’application de la loi en 2017. Tous les constitutionnalistes qui ont été consultés nous ont indiqué que c’était la date de 2017 qui lui donnait le plus de solidité juridique. Même le professeur Rousseau, qui a défendu très vivement une application dès 2014, a estimé, devant la commission, que le plus sûr consistait quand même à appliquer la loi à partir de 2017.

Nous avons conforté le périmètre de l’article 1er pour que la loi soit simple et que l’on comprenne que la fonction de député, de parlementaire est une fonction à temps plein. Nous l’avons renforcé en allant au bout de ce que l’on peut entendre par fonction exécutive locale, en incluant au périmètre des incompatibilités les présidences et vice-présidences des syndicats mixtes, des syndicats départementaux, des sociétés d’économie mixte, des sociétés publiques locales.

À l’article 3, nous avons limité l’extension des cas de remplacement par le suppléant afin de responsabiliser les candidats. Un amendement de notre collègue Laurence Dumont, adopté en commission, prévoit que c’est le mandat ou la fonction détenu avant la dernière élection qui devra être abandonné. Ainsi, en 2017, les députés-maires qui se représenteraient aux élections législatives ne pourraient plus, s’ils étaient élus, passer la main à leur suppléant dans les semaines qui suivent. Ils seraient obligés de garder leur mandat de député.

Enfin, la commission a adopté un amendement visant à limiter le cumul des mandats dans le temps. Vous connaissez mon point de vue, je n’y suis pas favorable. Nous y reviendrons au cours du débat.

Il y a en ce moment, sur le fronton de notre Assemblée, une banderole sur laquelle on peut lire : « Aimé Césaire, député de la République de 1946 à 1993 ». Je ne suis pas sûr que s’il avait dû cesser d’exercer cette fonction en 1960, au bout de trois mandats, cela aurait apporté quelque chose à la République et à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mes chers collègues, cette loi est courte, le nombre d’articles se compte sur les doigts d’une main. Mais on peut être court et dense. Je suis convaincu, comme l’a dit le ministre, qu’il s’agit d’une petite révolution démocratique qui marquera le quinquennat.

Cette loi renforcera l’image et la fonction parlementaire. Elle participe à la rénovation de notre vie politique.

Cette loi est positive pour le Parlement. C’est un vrai changement profond que nous ne devons pas craindre. Elle nous permettra, j’en suis convaincu, de remplir pleinement le rôle qui nous est attribué par l’article 24 de la Constitution et que nous exerçons au nom de la nation tout entière : le Parlement vote la loi, il contrôle l’action du Gouvernement, il évalue les politiques publiques.

Mes chers collègues, je vous invite à suivre notre commission des lois et, comme elle, à adopter ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Motion de rejet préalable
(projet de loi organique)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour la troisième fois en trente ans, nous sommes saisis d’un projet visant à modifier le statut des parlementaires, tout comme nos prédécesseurs de 1985 et de 2000. En trente ans, nous sommes passés d’une capacité d’exercer sans limite toutes formes de mandats en plus d’un mandat parlementaire, à une situation que nous considérons aujourd’hui comme équilibrée, permettant d’exercer un seul mandat exécutif dans les communes de plus de 3 500 habitants et les autres collectivités territoriales, à l’exception toutefois notable des groupements de communes, point sur lequel nous reviendrons.

Dans le même temps, l’Assemblée nationale et le Sénat ont considérablement modifié les régimes fiscaux, financiers et sociaux applicables aux parlementaires, ce qui était sans doute bienvenu. Je dis « sans doute » parce que je ne suis pas tout à fait certain que ces différentes modifications aient totalement pris en compte la spécificité des mandats parlementaires, non moins que les changements importants de situation personnelle et professionnelle que l’exercice de notre mandat exige.

M. Nicolas Dhuicq. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Toutes ces modifications engagées depuis trente revêtent deux caractéristiques importantes liées au débat d’aujourd’hui.

La première est que ces régulations progressives, ces limitations, ces clarifications demeurent pour la plupart parfaitement inconnues de nos électeurs comme des citoyens de notre pays.

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

M. Jean-Frédéric Poisson. La seconde est que ceux d’entre eux qui le savent ne nous en reconnaissent aucune vertu, et trouvent dans la plupart des cas que rien de tout cela n’est vraiment suffisant.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. Si bien que, et c’en est la conséquence, nous œuvrons dans un contexte de défiance généralisée, qui affecte globalement notre Parlement, non pas que notre statut et nos droits ainsi que les possibilités qui nous sont offertes d’exercer des responsabilités soient le principe de cette défiance, mais ces éléments l’alimentent à tout le moins. Ainsi, une fois encore, c’est presque en défense que nous abordons ce nouveau projet de loi interdisant le cumul des mandats.

Je souhaite ici formuler un regret. Notre débat aurait pu être au moins l’occasion de rappeler unanimement que la responsabilité parlementaire est une belle responsabilité,…

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. …qu’elle est noble, qu’elle est nécessaire, indispensable au fonctionnement de notre République, et qu’une société qui n’a pas de Parlement n’a sans doute pas beaucoup d’avenir.

M. Nicolas Dhuicq. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous aurions certainement pu nous retrouver unanimement autour d’un tel message, quelles qu’eussent été par ailleurs nos divergences politiques, institutionnelles, ou électorales.

M. Philippe Gosselin. Cela n’a jamais été leur souhait !

M. Jean-Frédéric Poisson. Malheureusement, les termes employés dans la présentation de ce débat, ainsi que le calendrier législatif proposé par la majorité et le Gouvernement depuis le début de ce mandat nous en ont largement empêchés.

M. Nicolas Dhuicq. Eh oui !

M. Rémi Delatte. C’est de l’antiparlementarisme !

M. Jean-Frédéric Poisson. En portant d’emblée le sujet de l’ancrage local des parlementaires sur le terrain de la « moralisation de la vie publique », le titre même de la mission et du rapport de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin avait déjà pipé les dés. Suggérant que tout parlementaire exerçant des responsabilités exécutives locales était en principe sujet d’immoralité, et donc devant faire l’objet d’une moralisation de sa situation, on jetait en fait le soupçon sur une très grande majorité d’entre nous…

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

M. René Dosière. Il n’a jamais écrit cela !

M. Jean-Frédéric Poisson. …et on le faisait de manière parfaitement disproportionnée et injuste, dans une double direction : réputés quasi systématiquement coupables de conflit d’intérêts, et incapables de faire prévaloir les intérêts nationaux sur l’intérêt local, les parlementaires devraient rendre gorge, sans autre forme de procès.

M. René Dosière. Ça, c’est plus exact !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nos récents débats sur la pseudo-transparence de la vie publique, encore très concentrée sur le Parlement, n’ont rien arrangé à ce climat. Et il y a fort à parier que ce texte, dont l’une des ambitions consiste à rassurer les citoyens français sur l’intégrité de leurs parlementaires, n’atteindra pas son objectif. Il n’est, sous ce rapport, qu’un tour supplémentaire de cette infernale vis sans fin du ressentiment à l’égard des responsables politiques qui ne tient aucun compte ni de l’essence de notre mission, ni de ses innombrables contraintes, ni des sacrifices personnels importants que nombre d’entre nous consentent pour l’accomplir, ni de la réalité – je dis la réalité, pas le fantasme – des moyens qui nous sont donnés pour l’accomplir.

M. Nicolas Dhuicq et M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

M. Jean-Frédéric Poisson. Non, monsieur le ministre, ce projet de loi ne changera rien à la perception par l’opinion publique des raisons pour lesquelles il existe une Assemblée nationale, un Sénat, un Parlement européen, ni à la compréhension de leur fonctionnement.

M. Jean-Luc Reitzer. Tout à fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est la première raison de l’inutilité de votre projet de loi.

Vous nous répétez par ailleurs, avec la majorité de notre Assemblée à l’unisson, que c’est là l’un des engagements de campagne du Président de la République, et qu’à ce titre il doit être respecté quoi qu’il en coûte.

M. Philippe Gosselin. La belle affaire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ma première observation consistera à remarquer d’abord que vous consacrez ce faisant deux catégories d’engagements du Chef de l’État : ceux qui sont suivis coûte que coûte, et ceux qui ne le seront pas pour des raisons d’ailleurs encore obscures

M. Rémi Delatte. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. Dans cette seconde catégorie, je jette pêle-mêle l’immense majorité de vos engagements fiscaux et économiques – sur les impôts, sur la TVA, sur la réduction des déficits publics. J’ajoute les éléments fondateurs d’une République prétendument apaisée et impartiale, dans un contexte de tension exacerbée et après les nominations ayant conduit la promotion Voltaire de l’ENA à occuper un nombre inouï de responsabilités au sein de l’État. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Je termine par les réformes institutionnelles pourtant promises à référendum ou à Congrès, portant sur le Conseil supérieur de la magistrature, le statut pénal du Chef de l’État, la constitutionnalisation du dialogue social, ou encore le droit de vote des étrangers. Rien de tout cela n’a l’air devoir être tenu aujourd’hui.

M. Philippe Gosselin. C’est mal parti !

M. Jean-Frédéric Poisson. Pour autant, la profusion des textes institutionnels ne manque pas d’interroger notre groupe. Pas moins d’une demi-douzaine de textes ont occupé notre assemblée depuis le mois de juin dernier, de sorte qu’à défaut de répondre aux attentes des Français, vous êtes en train de bouleverser en profondeur l’esprit de nos institutions. C’est la raison pour laquelle, en plus d’être inutile, votre texte est incertain.

Vous voulez donc, dans ce projet de loi, interdire aux parlementaires l’exercice de toute fonction exécutive locale, sans aucune exception qui serait liée à la taille des collectivités. Vous avez accepté les amendements déposés en commission par les membres de votre majorité, visant à interdire purement et simplement toute responsabilité exécutive dans quelque établissement public que ce soit. Vous souhaitez que ces dispositions prennent leur effet à l’occasion du premier renouvellement des assemblées parlementaires à compter du 31 mars 2017, c’est-à-dire en juin et en septembre de la même année pour l’Assemblée nationale et le Sénat – dans l’hypothèse où l’Assemblée nationale ne serait pas dissoute dans l’intervalle – et en juin 2019 pour le Parlement européen.

Enfin, vous prévoyiez que, dans l’hypothèse où des parlementaires seraient en situation de cumul avec un mandat de maire au terme du scrutin législatif de juin 2017, leur suppléant les remplace définitivement au sein de l’assemblée parlementaire concernée. Mais cette mesure a fait l’objet d’une modification en commission.

Ce projet, qui rompt avec l’ancrage territorial des parlementaires, doit être inscrit dans un ensemble plus vaste constitué des différents textes institutionnels que vous avez proposés au Parlement depuis un an. Vous avez, dans un premier temps, fait disparaître le conseiller territorial, qui avait pour avantage d’ancrer dans le territoire des élus dont aujourd’hui les missions et l’action sont mal connues de nos concitoyens. Je parle des conseillers généraux et régionaux. Vous avez inventé le binôme électoral…

M. Nicolas Dhuicq. Hélas !

M. Jean-Frédéric Poisson. …pour désigner les membres des assemblées départementales, dans des cantons deux fois plus étendus que les cantons actuels, et avec une conséquence néfaste sur la représentativité équilibrée de nos territoires et l’ancrage de ces élus départementaux.

M. Nicolas Dhuicq. C’est la mort de la ruralité !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous avez fait adopter par l’Assemblée nationale un texte sur la transparence de la vie publique, ou réputé tel, en fait uniquement destiné à priver les parlementaires et 7 000 autres grands élus de notre territoire de la capacité à exercer une activité professionnelle en plus de leur mandat.

M. Philippe Gosselin. La loi Cahuzac, peut-être !

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous étudions en commission des lois, dans des conditions de travail d’ailleurs dénoncées par le président de la commission des lois lui-même, l’invention d’une métropole qui mettra en danger l’existence même des communes comprises en leur sein, et sans doute à terme celle des départements qui les incluent.

Demain, viendra, à vous entendre, l’introduction d’une dose de proportionnelle dans l’élection législative, après une réforme du collège électoral du Sénat dont la seule fin est de vous y ménager autant que possible une majorité par ailleurs aujourd’hui plus que fragile.

À l’évidence, votre projet de loi sur l’interdiction d’un ancrage territorial doit se lire de manière liée avec ces différents textes. Pour en justifier le bien-fondé, vous faites valoir un certain nombre d’arguments dont la solidité est pourtant douteuse.

Premièrement, il paraîtrait que les Français attendent impatiemment cette réforme.

M. Jean-Luc Reitzer. Tu parles !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne vois, en ce qui me concerne, aucun signe d’impatience sur ce sujet, mais j’en vois beaucoup sur d’autres.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. À vrai dire, cet argument est une fable. L’attente des Français à l’égard de leurs élus consiste dans le fait qu’ils traitent et règlent leurs problèmes quotidiens, qu’ils le fassent honnêtement et dans un contexte de respect mutuel à l’égard de leurs adversaires. Si nous arrivions à faire ainsi, je crois qu’ils en seraient largement satisfaits. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(M. Marc Le Fur remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Le Fur
vice-président

M. Jean-Frédéric Poisson. Il paraîtrait par ailleurs que les parlementaires qui n’exerceraient pas d’autre mandat travailleraient davantage et mieux que les autres.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est faux !

M. Jean-Frédéric Poisson. Aucune étude ne le démontre, et, même, la dernière, et à ma connaissance la seule, qui traite de cette question démontre au contraire que cette corrélation n’existe pas. Je suppose que mon collègue Daniel Fasquelle y reviendra en détail tout à l’heure. En tout cas, je lui laisse le soin de le faire.

Troisièmement, Il paraîtrait que des parlementaires entièrement dédiés à leur mandat législatif seraient enfin disponibles pour travailler au Parlement. Mais je ne vois aucune indication selon laquelle les futurs parlementaires « exclusifs » seraient dispensés des contacts avec leurs électeurs dans leur circonscription, et qu’ils ne seraient pas sollicités par ces derniers tout autant qu’aujourd’hui. Si jamais il fallait adapter le calendrier du travail de notre Assemblée du lundi après-midi au jeudi soir, chacun pourrait parfaitement s’en accommoder, pourvu que cela ne soit pas fait dans l’urgence et la précipitation.

M. Nicolas Dhuicq. Absolument !

M. Jean-Frédéric Poisson. Quatrièmement, il paraîtrait que ce texte opérera un renouvellement très attendu du personnel politique. En réalité, les presque 1 000 membres des trois assemblées parlementaires de notre pays ne représentent qu’un peu moins de deux pour mille de tous les élus dans notre pays. En matière de renouvellement, vous m’accorderez qu’on pourrait imaginer plus rapide et plus massif !

Il paraît que la France est, sous ce rapport, une insupportable exception. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est faux !

M. Jean-Frédéric Poisson. Comment peut-on comparer notre vieux pays, fort de quinze cents ans de vie politique et dont le régime est tout sauf fédéral, et pas encore complètement décentralisé, à des républiques ou à des royaumes qui au contraire sont organisés de manière parfaitement décentralisée ou fédérale ?

Il apparaîtrait enfin que ce texte furieusement moderne, impatiemment attendu par tous, d’une redoutable efficacité, ne doive entrer en application qu’en 2017 ou en 2019, selon les cas. On se demande pourquoi un tel bijou législatif devrait être offert si tard à son destinataire, le peuple français. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Il est vrai que dans l’attente, on pourra toujours le contempler, monsieur le ministre, dans la vitrine !

Je ne doute pas que vous connaissiez les limites de votre propre argumentation. J’en déduis que vos intentions sont ailleurs et je voudrais dire ce que nous en percevons. Vos intentions se trouvent sans doute dans ce que sera immanquablement le résultat de toutes ces dispositions, qui peuvent tenir en une phrase : l’affaiblissement…

M. Philippe Baumel. Du cumul !

M. Jean-Frédéric Poisson. …de l’autorité politique des élus, locaux comme nationaux, au profit d’un ticket constitué des partis politiques et de la technostructure, plus facilement maîtrisables et par hypothèse moins rétifs aux sollicitations du pouvoir exécutif central. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. René Dosière. Caricature !

M. Jean-Luc Reitzer. C’est pourtant juste !

M. Jean-Frédéric Poisson. Ainsi, vous proposez au Parlement un authentique changement de constitution, sans en avoir le mandat et sans solliciter pour cela les voies institutionnelles normales. Ce changement ne consiste d’ailleurs pas à passer de la Ve à la VIe République, ce qui avec le quinquennat pourrait se concevoir, mais à revenir de la Ve à la IVe, plus la technostructure, mouvement de progrès qui n’échappe à personne…

En effet, nous avons la conviction qu’en changeant la nature même des responsabilités politiques, comme vous le faites globalement, vous modifiez en réalité l’équilibre fondamental de nos institutions. Dans l’esprit de celles-ci, l’équilibre entre les pouvoirs passe par un ancrage territorial solide des législateurs, seul moyen de pouvoir résister à la force du pouvoir exécutif – nécessité au reste passablement renforcée par l’adoption du quinquennat. Les électeurs comprennent d’ailleurs très bien cette complémentarité, eux qui réélisent souvent et volontiers député leur maire, et maire leur député ou sénateur !

C’est pourquoi, monsieur le ministre, votre texte est incertain : du moins, à défaut de l’être dans ses intentions, il l’est dans ses conséquences, pour la cohésion de notre territoire national tout comme pour la diversité de nos assemblées parlementaires. J’ajoute comme une dernière conséquence celle qui résulte de l’opération de camouflage à laquelle vous vous livrez en ce qui concerne les élus locaux. J’interrogeais l’autre jour en commission notre rapporteur, lui disant ma surprise. Selon ce texte, les parlementaires deviendraient, au jour même de leur élection, incapables de faire plusieurs choses à la fois : comme la date de péremption d’une boîte de conserve, celle de leur élection les rendrait, du jour au lendemain, incapables, à la différence de tous les autres élus de ce pays, d’exercer plusieurs responsabilités en même temps ! Et je demandais au rapporteur quelle pouvait être la malédiction qui accompagnait si soudainement l’onction du suffrage universel. La réponse fusa comme une sorte d’évidence : bien entendu, nous a-t-on répondu, les élus locaux seront dans un bref avenir soumis au même régime d’incompatibilités. Et ils seront également privés du droit de diriger des établissements publics, comme de la possibilité de siéger dans les exécutifs territoriaux – y compris, d’ailleurs, ceux des intercommunalités dont leur commune sera membre. (Interruptions sur les bancs du groupe SRC.)

Je remercie M. le rapporteur de sa franchise. Elle nous donne l’occasion de dire aux élus locaux que ce texte n’est qu’un début, qu’ils passeront à bref délai dans la même moulinette et que demain, le maire ne pourra plus présider le conseil de surveillance de son hôpital. Sa société publique d’aménagement, dont il garantit pourtant les emprunts, échappera comme sa société de HLM à son contrôle. Vous voulez y voir un progrès, je n’arrive pas à y trouver autre chose qu’un affaiblissement du pouvoir local.

M. Bernard Debré. Une régression !

M. Jean-Frédéric Poisson. Votre texte est également incertain sur le plan constitutionnel. En effet, les dispositions contenues dans l’actuel article 3 de la loi organique précisent les modalités selon lesquelles les parlementaires en situation de cumul au terme de la future loi et souhaitant renoncer à leur mandat pourraient se faire remplacer par leur suppléant à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Mes chers collègues, cela pose un problème car, à l’évidence, lorsque les mandats arriveront à échéance, il faudra bien être en situation de choix, et je doute que le Sénat maintienne en l’état les dispositions prises par notre commission.

Je veux rappeler ici qu’à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 2008, le Conseil constitutionnel a statué sur les effets de l’article 25 de la Constitution et sur les modalités de remplacement des parlementaires titulaires par leur suppléant. Le Conseil constitutionnel avait à l’époque formulé une doctrine très précise dans sa décision du 8 janvier 2009 numérotée 2058-572. Voici ce que dit cette décision : « Si le parlementaire qui a accepté des fonctions gouvernementales renonce à reprendre l’exercice de son mandat avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de ces fonctions, son remplacement devient définitif. » C’était le sens de la loi organique soumise au Conseil. Mais, nous dit celui-ci, « considérant qu’en autorisant ainsi le député ou le sénateur ayant accepté des fonctions gouvernementales à conférer un caractère définitif à son remplacement, ces dispositions ont méconnu le deuxième alinéa de l’article 25 de la Constitution qui ne prévoit, dans ce cas, qu’un remplacement temporaire ». À ce titre, le Conseil avait censuré les articles de la loi organique.

Évidemment, la situation des maires démissionnant de leur mandat parlementaire pour continuer à siéger dans leur mairie n’est pas traitée, ni par l’article 25 de la Constitution, ni par la loi organique, ni par la décision du Conseil constitutionnel. Chacun en comprendra aisément les raisons. Cela étant dit, ce qui est traité, et même de manière très précise, c’est le principe même du remplacement des parlementaires par leur suppléant. Et à ce titre, il apparaît à l’évidence, aux termes de la Constitution, qu’il est très difficile d’envisager qu’un suppléant puisse remplacer le député ou le sénateur titulaire à titre définitif, dans les autres cas que les deux situations actuellement prévues par notre droit : le décès ou la prolongation d’une mission parlementaire. Ainsi, le Conseil constitutionnel rappelait en 2009 que la faculté pour un titulaire de se faire remplacer par son suppléant est d’abord et davantage ouverte à la République et au fonctionnement institutionnel qu’aux personnes concernées elles-mêmes. Sans le dire tout à fait, le Conseil constitutionnel rappelle que la mécanique des entrées et sorties du Gouvernement ou d’autres fonctions incompatibles avec un mandat parlementaire ne peut obéir aux modalités de l’arrangement, ni à des motifs purement personnels. Au point que, aux termes mêmes de la décision du Conseil, la Constitution ne permet pas aux parlementaires devenus ministres de renoncer purement et simplement à leur mandat de parlementaire, une fois sortis du Gouvernement, pour laisser siéger à titre définitif leur suppléant. On ne peut mieux dire que le respect absolu du suffrage universel qui désigne les représentants de la souveraineté nationale au Parlement doit l’emporter sans cesse sur toute volonté de l’instrumentaliser.

À ce titre, votre texte nous paraît gravement entaché d’une difficulté constitutionnelle de principe. Dans sa lettre, il est clairement contraire aux éléments de jurisprudence du Conseil constitutionnel, au sens où il valide la possibilité d’un remplacement définitif d’un titulaire par son suppléant. Dans son esprit, cet article relève à l’évidence d’une volonté d’arranger les affaires locales en voulant à tout prix s’éviter l’inconfort d’élections législatives partielles en rafale, avec tous les risques qu’un tel exercice peut comporter. Nous pouvons parfaitement comprendre votre volonté électoraliste de confort, mais nous ne pouvons pas en accepter la portée institutionnelle. C’est la raison pour laquelle il nous paraît souhaitable que le Conseil constitutionnel, le moment venu, se prononce sur cet aspect de votre projet de loi.

Dans ce contexte, nous avons souhaité proposer à notre Assemblée une solution respectant tout à la fois le nécessaire ancrage territorial des parlementaires et l’évolution récente de notre droit. La proposition de notre groupe prend en compte plusieurs éléments de principe.

Premièrement, nous avons la conviction que la possibilité pour un parlementaire d’exercer une responsabilité exécutive est bénéfique tant pour la nation que pour le territoire et que cette possibilité garantit en même temps la diversité nécessaire au bon fonctionnement de nos institutions.

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Se priver de cette chance serait une faute et nous ne pouvons l’accepter. Je profite de cette occasion pour dire, au nom de notre groupe, que dans notre esprit il ne saurait exister deux catégories de parlementaires : ceux qui seraient enracinés quelque part et qui seraient légitimes, et les autres qui seraient illégitimes.

M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !

M. Jean-Frédéric Poisson. En revanche, il existe à l’évidence une différence de culture, d’appréhension des problèmes, d’habitude de leur règlement concret, qui distingue ceux qui ont l’expérience d’un exécutif local de ceux qui ne l’ont pas, pas encore, ou qui ne souhaitent pas l’avoir. Et ces choix sont parfaitement respectables.

« L’ennui naquit un jour de l’uniformité », disait le célèbre Antoine Houdar de La Motte, dans une fable intitulée Les amis trop d’accord. On ne peut pas vraiment dire que ce titre reflète tout à fait à l’état de votre majorité, monsieur le ministre ! Cela étant dit, cette diversité à laquelle je viens de faire référence est une force pour le Parlement. Elle ne crée pas deux catégories de personnes, elle garantit que siègent dans cette Assemblée des personnes issues d’univers, de cultures qui ne sont pas les mêmes. Vous qui faites d’habitude l’apologie de la diversité, de toutes les diversités, pourquoi vouloir une telle uniformisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Deuxièmement, nous pensons qu’en toutes ces matières, le choix définitif doit revenir aux électeurs, seuls détenteurs de la souveraineté nationale et seuls vrais juges de l’efficacité de leurs élus, quel que soit le mandat.

M. Jean-Luc Reitzer. Exactement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous ne comprenons pas pourquoi vous semblez à ce point craindre l’expression du suffrage universel et que vous vouliez le canaliser sans cesse.

Mme Julie Sommaruga. C’est vous qui n’aimez pas la démocratie !

M. Jean-Frédéric Poisson. Troisièmement, il nous semble qu’en autorisant un mandat local à un membre du parlement national ou du Parlement européen, la loi actuelle est équilibrée et qu’à tout prendre, il n’est pas nécessaire de la changer.

Cela étant, il faut tenir compte des évolutions récentes de notre code électoral et du code général des collectivités territoriales qui ont organisé la désignation des membres des conseils communautaires au suffrage universel. Dans ce nouveau contexte, cette disposition semble justifier que les mandats exécutifs des groupements de communes soient désormais traités au même titre que les mandats exécutifs dans les autres collectivités, donc que nous incorporions les mandats exécutifs intercommunaux dans la liste qui déclenche le compte des mandats cumulables. C’est le sens de l’amendement que nous avons déposé à l’article 1er.

Le débat qui s’ouvre – vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, et c’est un des rares points sur lesquels je suis d’accord avec vous – n’est pas un débat de régulation de notre vie politique, ni un débat de pure forme. C’est à l’évidence un débat de fond, qui bouleverse notre ordre institutionnel. C’est dans une large mesure la clé de voûte d’un dispositif par lequel vous vous apprêtez, sans le dire, à affaiblir la représentation nationale et l’ensemble des autorités politiques dans notre pays.

M. René Dosière. Mais non !

M. Jean-Frédéric Poisson. Par ailleurs, en demeurant dans une totale ambiguïté en ce qui concerne les élus locaux, en demeurant muet sur les moyens alloués « dans le futur Parlement » comme disait le rapporteur, vous ratez la marche.

Nous avons dit les limites de votre projet, l’inopportunité de légiférer, sauf sur un point, et la critique constitutionnelle. Vous comprendrez qu’au nom de toutes ces raisons, je demande à l’Assemblée nationale de voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. René Dosière. Cumulatio delenda !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe Borgel, rapporteur. Quand on plante ainsi le décor, quand on dit que nous en appelons à la morale et quand on fait référence à l’intitulé d’une mission qui est cité plusieurs fois dans mon rapport, il vaut mieux ne pas se tromper. Non seulement l’intitulé de la mission n’invoque pas la morale, mais les seules fois où le mot « morale » est cité dans le rapport, c’est au sujet des « personnes morales ». À aucun moment, nous n’avons posé le débat sous cet angle. Même s’il n’est pas inconvenant de faire de temps à autre appel à la morale, nous avons préféré l’angle de la rénovation de la vie politique.

J’ai bien compris par ailleurs votre désaccord, mais encore vaut-il mieux assumer un désaccord que d’essayer de trouver un plan caché. Déjà, dans un débat précédent, relatif à la réforme électorale, le plan caché était selon vous de mettre fin à la ruralité.

Je vous rassure, mes chers collègues : il restera des campagnes électorales à mener. Aujourd’hui, notre plan caché, selon vous, ce serait de supprimer le scrutin de circonscription, puis – vous l’avez évoqué en vous référant à un propos que j’aurais tenu en commission – de supprimer toute possibilité pour un maire d’exercer d’autres responsabilités que sa fonction de maire. Nous avons eu une discussion sur le cumul entre celle-ci et la présidence d’une intercommunalité. Il me semble même avoir dit que, si l’on devait réfléchir à une éventuelle évolution du principe de non-cumul sur le plan local, je n’étais pas favorable pour autant à l’inscription d’une telle incompatibilité dans le droit, tant le cumul des deux fonctions paraît une nécessité absolue au stade actuel de développement des intercommunalités.

Ne cherchez donc ni dans un plan caché, ni dans un fantasme sur le sort que nous réserverions au maire, des arguments pour combattre – ce qui est votre droit – cette avancée démocratique que nous souhaitons.

M. Jean-Luc Reitzer. Parler d’avancée démocratique est un a priori !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous avez le droit, j’y insiste, de défendre le statu quo, mais celui-ci ne nous semble plus correspondre aux évolutions démocratiques qu’appelle notre pays et qu’attendent nos concitoyens.

M. Christian Jacob. Au nom de quoi l’affirmez-vous ? Quelle est votre argumentation ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Mes arguments, cher collègue, je les ai longuement exposés à la tribune : nous croyons à cette évolution démocratique que vous avez le droit de combattre. Mais n’allez pas chercher un plan caché ni donner crédit à un fantasme !

S’agissant enfin de notre supposée vision électorale de confort, vous avez longuement développé un argument qu’on pourrait trouver compréhensible si le texte devait être applicable dès 2014 ; or il est prévu qu’il entre en vigueur en 2017. Nul n’est donc besoin d’invoquer la nécessité d’éviter je ne sais quelles partielles.

De surcroît, en vertu du principe énoncé à l’article 25 de la Constitution, le remplacement des parlementaires en cas de vacance est définitif, à l’exception de celui des parlementaires nommés au Gouvernement, remplacement qui, lui, reste temporaire. Le projet de loi organique ne change rien à cela : quand il y aura un remplacement, il sera définitif. Le dispositif actuel de remplacement d’un parlementaire par son suppléant, en cas de décès, prévoit déjà des situations d’incompatibilité, notamment avec la fonction de défenseur des droits, de ministre, de chargé d’une mission au service du Gouvernement. C’est dans cet esprit que s’inscrit l’article 3 et, donc, vos arguments tombent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Les vôtres sont un peu courts, et même très courts !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Quatre motions de procédure vont être défendues, naturellement aussi respectables les unes que les autres, et qui seront suivies de la discussion générale ; nous aurons donc l’occasion de revenir sur les questions soulevées. Au cours de la préparation du texte, enrichi, je l’ai dit, par la commission des lois, nous avons eu l’occasion, monsieur Poisson, de vous répondre – et le rapporteur vient de le faire à nouveau – tant sur le remplacement – élément tout à fait important – que sur la date d’application du texte, aussi précis que souple en ce qu’il permet cette transition nécessaire, la brutalité étant mauvaise conseillère en l’espèce.

La décision d’appliquer le texte en 2017 s’appuie précisément sur la Constitution elle-même pour éviter les « mini-dissolutions » et les partielles à répétition. Ce n’est pas une question de confort.

M. Christian Jacob. Vous voulez éviter au PS de continuer à perdre les législatives partielles !

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Jacob, nous ne faisons pas la loi pour les uns ou pour les autres. Vous avez été dans la majorité et vous savez ce qu’il en est. Le texte repose sur des principes que nous sommes allés chercher dans la Constitution.

Nous mettons en œuvre, et ce ne peut être une surprise pour vous, un engagement du Président de la République. D’ailleurs, le rapporteur – c’était une intrusion dans le débat interne à notre formation – a rappelé qu’il s’agissait aussi d’une revendication de nos militants – or, vous consultez vous aussi les vôtres, désormais. (Rires sur les bancs du groupe SRC.) Les militants du parti socialiste ont soutenu très largement un engagement attendu. Aucun d’entre nous, ni le rapporteur ni moi-même, n’a dit que le non-cumul allait régler les problèmes de confiance entre citoyens et élus. Mais nous savons qu’il s’agit d’un engagement important, qu’il nous faut tenir pour les raisons évoquées.

L’un d’entre-vous – toujours le même, d’ailleurs, que l’on entend beaucoup – évoque la constance. Or vous tenez les mêmes discours – je les ai relus – qu’en 1985, les mêmes discours qu’en 2000. Mais, entre 2002 et 2012, vous n’êtes pas revenus sur ces dispositions, et je vous le dis, mesdames et messieurs de l’opposition, si un jour vous revenez aux responsabilités gouvernementales, vous ne reviendrez pas sur le non-cumul des mandats que nous sommes en train de proposer. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jean Glavany. Évidemment !

M. Manuel Valls, ministre. Pourquoi ? Vous le savez bien : parce que les électeurs savent que c’est une avancée considérable que nous sommes en train de proposer. (« C’est faux ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Nous traduisons un changement.

Le député Poisson, non sans talent, n’a parlé que du point de vue des députés, tout comme, demain, les sénateurs parleront du point de vue des sénateurs. Mais le débat concerne également les élus locaux. Le rapporteur rappelait que, si l’on compte un millier de parlementaires, plusieurs milliers d’élus sont concernés par des questions comme celle du statut de l’élu : comment concilier sa vie professionnelle un engagement difficile à la tête d’une commune ? Car vous n’allez pas faire de ces 36 000 maires des maires-députés ou des maires-sénateurs !

M. Patrice Verchère. Cela n’a rien à voir !

M. Manuel Valls, ministre. Aucun d’entre eux n’est coupé de la réalité !

M. Jean-Luc Reitzer. Ils vont continuer à cumuler, alors ?

M. Manuel Valls, ministre. J’ai examiné la liste, bien plus longue, des villes dont le premier magistrat n’est pas un parlementaire. Ces maires ne se font-ils donc pas entendre des pouvoirs publics ou du Gouvernement ? Quelle est donc cette conception des choses, alors que vous-mêmes, bien tard et après avoir voté contre, en êtes venus à cette belle idée de décentralisation ? Vous-mêmes ne croyez plus qu’il faille à tout prix passer par les ministères et par le parlementaire concerné.

M. Christian Jacob. Alors, pourquoi avez-vous voulu rester à Évry ?

M. Manuel Valls, ministre. Des maires de Paris, de Lille, de Toulouse, de Bordeaux, de Reims, de Rouen, de Rennes, de Brest, du Mans, de Mulhouse, de Valence, de Montpellier, de Saint-Denis de La Réunion, de Charleville-Mézières, de Nantes,…

M. Patrice Verchère. Pour Nantes, c’est récent !

M. Manuel Valls, ministre. …d’Angers, de Villeurbanne, de Saint-Denis, d’Amiens, de Clermont-Ferrand, de Metz, de Besançon, de Montreuil et d’Aurillac, aucun n’est député ni sénateur. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – Exclamations continues sur les bancs du groupe UMP.) Ils se font pourtant entendre, et défendent leur territoire. Et vous venez nous expliquer qu’ils ne seraient pas capables de défendre leurs dossiers. Christophe Borgel vient de le rappeler : après plusieurs années, le maire de Toulouse a fait le choix de ne plus cumuler. Pouvez-vous prétendre qu’il ne défend pas sa ville ? Non, bien sûr !

Votre conception du sujet est ringarde, elle ne tient pas compte de l’évolution du pays. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. Nous en venons aux explications de vote. Je vous rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes.

La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Notre collègue Poisson, au début de son propos, a évoqué le contexte de défiance généralisée qui caractérise la crise de la représentation politique. Si nous partageons ce constat, nous n’en tirons évidemment pas les mêmes conclusions, et jugeons au contraire urgent d’adopter des mesures qui permettent de retisser le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus. Or les textes qui nous sont soumis sont de nature à y contribuer, même si, nécessaires, ils ne sont pas suffisants.

Contrairement à ce qu’a affirmé notre collègue, c’est en ce sens que ces textes sont utiles. Ils sont équilibrés et à même d’adresser un message fort à nos concitoyens quant à notre volonté de rénover profondément la vie politique.

Je terminerai par le dernier argument utilisé par M. Poisson, pour le contredire. Ces textes ne signent pas un affaiblissement de la représentation nationale, bien au contraire, puisque demain, s’ils étaient adoptés, nous aurions un Parlement composé de parlementaires pouvant se consacrer pleinement aux prérogatives que leur confère la Constitution. C’est pourquoi nous ne voterons pas la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Jacob. Mais regardez donc : les cumulards sont en ce moment les plus présents dans l’hémicycle !

M. le président. La parole est à M. Matthias Fekl, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Matthias Fekl. J’ai écouté attentivement, comme toujours, notre collègue Poisson, et je souhaite répondre au plus grand nombre possible d’arguments qu’il a développés. D’abord, à mon tour, je considère que le projet de loi et le projet de loi organique ne répondent pas seulement à un problème moral, mais à un problème institutionnel, politique, à la nécessité de refonder, de faire respirer notre démocratie dont chacun ici peut constater qu’elle est en crise. Cette crise de confiance doit trouver des réponses. Le non-cumul en est une. Il est fortement attendu par nos concitoyens.

Il s’agit également d’exemplarité : alors que nous demandons chaque jour de nombreux efforts aux Français, nous ne pouvons pas faire comme si nous étions dans une bulle où nous nous en dispenserions. Cela aussi doit être entendu dans nos rangs et au-delà.

M. Guy Geoffroy. Cela n’a aucun sens !

M. Matthias Fekl. Il s’agit ensuite d’un problème d’efficacité : nous savons bien que cumuler les mandats amène nécessairement, en tout cas souvent, à ne plus voir les sujets qu’à travers le prisme d’un niveau de collectivité dont nous devenons de fait le représentant, alors que nous devons être les représentants de l’intérêt général national. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) La question de l’ancrage est réglée par le mode de scrutin uninominal à deux tours, grâce auquel personne ne peut être élu en étant absent du terrain, en se désintéressant des dossiers, en se désintéressant des hommes et des femmes qui lui font confiance, en ne faisant pas avancer les projets locaux.

Il s’agit enfin du renforcement – indispensable – du Parlement. Il est d’ailleurs intéressant de voir les gaullistes craindre le renforcement du pouvoir présidentiel et réclamer à cor et à cri le renforcement du Parlement que ces textes mettraient en danger. On sait très bien, historiquement, que le non-cumul n’a pas été défendu par le général de Gaulle, car il était satisfait de savoir que les parlementaires seraient occupés ailleurs. Mais, entre-temps, les lois de décentralisation ont été votées et, au bout de trente ans, vous ne les avez pas remises en cause en dépit des alternances. Or la décentralisation transforme le rôle des élus locaux, qui ont d’autres moyens de se faire entendre, de peser,…

M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue.

M. Matthias Fekl. …de faire avancer leurs dossiers.

Pour toutes ces raisons – le renforcement du Parlement, celui de notre démocratie –, nous voterons contre cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe écologiste.

M. Sergio Coronado. Depuis 1985, c’est à chaque fois un gouvernement de gauche qui s’est attelé à réformer le fonctionnement des institutions et à limiter le cumul des mandats. Ce fut le cas du gouvernement de Laurent Fabius, puis de celui de Lionel Jospin, c’est aujourd’hui au tour du gouvernement de Jean-Marc Ayrault de proposer, respectueux de l’engagement du Président de la République, deux projets de loi, que les députés écologistes voteront.

Il était prévisible que l’opposition plaide, comme vous l’avez fait, cher collègue Poisson, pour le statu quo. C’est ce que vous avez fait en 1985, mais aussi sous Lionel Jospin, et c’est ce que vous allez faire encore : rien de nouveau sous le soleil, et je reconnais la constance de vos convictions.

M. Jean Glavany. Conservateurs jusqu’au bout !

M. Sergio Coronado. Le rapporteur a eu raison de rappeler les emplois du temps chargés de cette maison et la difficulté qu’il y a parfois à mener à bien le travail législatif et le travail de contrôle de l’action gouvernementale. J’irai même plus loin : ayant été élu local, j’ai le souvenir de conseils municipaux un peu acrobatiques, n’obéissant, pour l’organisation des travaux, qu’au bon vouloir du député-maire, auquel il fallait adapter le rythme des réunions, les horaires de convocation.

Vous en savez quelque chose, cher collègue Poisson, puisque tel est le cas du conseil municipal de Rambouillet, présidé par M. Larcher, lequel cumule depuis fort longtemps les fonctions de maire et de sénateur. Nous savons, pour compter quelques amis parmi les conseillers municipaux, combien il leur est difficile d’avoir une vision à long terme des travaux qu’il leur reste à accomplir.

Vous avez utilisé le bon terme en parlant tout à l’heure d’opposition de cultures. Nous n’avons effectivement pas la même conception du fonctionnement de notre démocratie,…

M. Christian Jacob. Ça, c’est sûr !

M. Sergio Coronado. …ni sur le cumul des mandats, ni sur la parité, ni sur le droit de vote des résidents étrangers non communautaires. Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le ministre, ce texte est dogmatique ; il recherche l’affrontement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Après le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique, émanation d’un poujadisme d’État ainsi que l’a dénoncé Roger-Gérard Schwartzenberg, voici un nouveau texte marqué par la défiance envers les élus, les maires tout particulièrement. (Mêmes mouvements.)

Ce texte est le résultat des divisions internes du parti socialiste. (Quelques députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.) Et comment ne pas constater que les socialistes ne se l’appliquent pas, dès maintenant, à eux-mêmes ? Combien de députés et de sénateurs socialistes ont décidé, depuis 2012, de renoncer à leur mandat local ? Le Palais-Bourbon n’est pas l’annexe de Solférino ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La calinothérapie de M. le ministre de l’intérieur ne suffira pas à nous convaincre. Hier, vous avez décidé d’affronter les écolos ; aujourd’hui, ce sont les radicaux ! (Mêmes mouvements.) Ce texte créera une fissure entre vous et vos meilleurs alliés.

Pourquoi donc avez-vous décidé d’éliminer les maires du Parlement ? Vous renforcez ainsi l’exécutif, au mépris de l’équilibre de la Cinquième République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui avait prévu que les élus locaux auraient toute leur place au sein du pouvoir législatif. Vous supprimez les parlementaires-maires, dernière digue pour combattre les vagues populistes du front national. (Même mouvement.) En réalité, vous avez décidé d’éliminer les élus pour les remplacer par les fonctionnaires du parti socialiste ! (Même mouvement.)

Vous dites respecter l’opinion publique, hostile selon vous au cumul des mandats. Vous êtes dans le politiquement correct, essayant de suivre une opinion qui vous échappe. Et pourtant, vous refusez de vous opposer au cumul des indemnités !

Nous voterons contre ce projet de loi, en rupture avec la tradition de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Vous nous invitez, nous autres radicaux, à un vaste hara-kiri. Nous ne voulons pas nous y soumettre ! Nous ne voterons pas la motion de procédure, mais nous rejetterons ce projet de loi, contraire aux principes développés par Alain, pour qui le député, le maire, le député-maire est le symbole même du « citoyen contre les pouvoirs ». (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur de nombreux bancs du groupe UMP, où plusieurs députés se lèvent.)

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, il est difficile d’être plus engagé que ne l’a été notre collègue Tourret ! Je regrette toutefois que ce dernier n’aille pas jusqu’au bout de ses convictions et refuse de voter la motion de rejet préalable. Sans aborder le fond – j’aurai l’occasion de le faire lors de la discussion générale –, je voudrais donner le sentiment de notre groupe sur ce texte.

C’est un texte de plus, grâce auquel vous obtenez les félicitations du jury pour votre immense capacité à amuser la galerie et à animer le bal des faux-nez. Nombreux sont ceux qui en portent dans la nouvelle majorité ! Car ce que vous nous proposez, c’est de faire ce que vous n’avez pas fait, de faire ce que vous continuez à ne pas faire et de faire ce que vous vous étiez engagés à faire et que vous ne faites pas !

Nombre d’entre vous peuvent présenter des pedigrees bien plus imposants que les nôtres en matière de cumul. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Et aujourd’hui, vous êtes là, Bourgeois de Calais repentants de vos turpitudes passées, à vous engager la main sur le cœur !

Dans mon département, le président du conseil général, non content de ne pas avoir tenu son engagement, est allé chercher un deuxième mandat, mandat auquel il n’a toujours pas renoncé. Il avait pourtant signé cette promesse !

Vous prétendez rénover la démocratie ; vous affadissez la représentation nationale.

M. Jean-Luc Reitzer. Vous l’affaiblissez !

M. Guy Geoffroy. Pour ces raisons,le groupe UMP tout entier votera contre ce texte. Mais afin d’éviter de faire traîner des débats qui n’ont aucune raison d’être, le mieux est de voter cette motion de rejet préalable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je mets aux voix la motion de rejet préalable du projet de loi organique.

(Il est procédé au scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin sur la motion de rejet préalable :

Nombre de votants 198

Nombre de suffrages exprimés 198

Majorité absolue 100

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je souhaite simplement indiquer au ministre de l’intérieur que si nous sommes sensibles au fait qu’il soit présent sur ce banc pour défendre ce projet de loi, nous avons peu goûté la conclusion de son intervention.

Certes, il a le droit d’exprimer ses désaccords, même avec énergie – nous sommes habitués à ce qu’il monte dans les tours et passe dans la zone rouge de façon théâtrale ; comme le maréchal Lyautey avait deux képis, lui a deux registres d’expression – mais je ne suis pas venu sur ces bancs pour être injurié par un membre du Gouvernement.

M. Jean Glavany. Injurié ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Oui, monsieur Glavany !

M. Jean-Luc Reitzer. Nous ne sommes pas des ringards !

M. Jean-Frédéric Poisson. Par ailleurs, je ne suis pas habitué à ce genre de vocabulaire. J’aimerais, monsieur le président, que nous puissions échanger à l’avenir, avec énergie, soit, mais en nous cantonnant à un registre normal, et courtois. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Motion de rejet préalable
(projet de loi)

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

La parole est à M. Daniel Fasquelle.

M. Daniel Fasquelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, je voudrais que nous abordions ce débat de façon sereine. Ce sujet n’oppose pas la droite à la gauche, ni ceux qui seraient ringards à ceux qui ne le seraient pas.

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Daniel Fasquelle. Je voudrais que nous abordions ce débat comme nous pouvons le faire dans les couloirs de cette assemblée, lorsque nous discutons avec nos collègues de droite et de gauche, convaincus, dans leur immense majorité, que ce projet de loi est une erreur.

Monsieur le ministre, vous évoquiez ceux qui se préparent déjà à l’application de ce projet de loi. Je voudrais pour ma part parler de tous ceux qui préparent aujourd’hui les prochaines élections municipales, parfois soutenus et incités par le parti socialiste.

Il me semble que vous ne faites pas l’unanimité dans vos troupes et que beaucoup ne sont absolument pas convaincus de la pertinence de ce projet de loi, ni du fait qu’il aboutira.

Je voudrais dénoncer un problème de méthode et un problème de fond. Le point de départ du projet de loi me semble éminemment contestable, puisqu’il prend appui sur les conclusions d’une commission purement partisane, la commission Jospin.

M. Jean Glavany. Il y avait Mme Bachelot !

M. Daniel Fasquelle. Seules des personnalités convaincues qu’il fallait mettre fin au cumul des mandats y ont été nommées. Si vous aviez été si sûrs de vous, vous auriez créé une commission paritaire, où les opinions divergentes auraient pu s’exprimer. Au lieu de quoi ont siégé des personnes politiques hostiles au cumul, des universitaires hostiles au cumul, et un président hostile au cumul. Vous avez ainsi créé l’unanimité au sein de cette commission, qui ne pouvait rendre d’autres conclusions que celles qu’elle a proposées.

On peut aussi regretter la façon dont la commission Jospin a travaillé. Avec Christian Jacob, nous avions demandé à être entendus. Cela nous a été refusé. Si d’autres, comme je l’ai appris par la suite, ont pu malgré tout être entendus, les auditions ont été menées de façon quelque peu secrète, avant que ne reprennent les auditions de personnes hostiles au cumul.

Forcément, la lettre de mission s’est transformée en ordre de mission. Les conclusions étaient écrites avant même que la commission Jospin ne se réunisse et ne rédige son rapport. Très franchement, pensez-vous qu’il soit sérieux de procéder de cette façon sur un sujet aussi important ? Je ne le crois pas.

Le projet de loi part aussi d’une mauvaise analyse des attentes des Français. Nous avons assisté à une campagne assez incroyable de désinformation : tous les Français étaient contre le cumul, ceux qui cumulaient devaient raser les murs, leur comportement était forcément condamnable et l’on nous pointait du doigt comme d’affreux cumulards, terme par ailleurs très déplaisant.

M. Jean-Luc Reitzer. Péjoratif !

M. Daniel Fasquelle. Pourquoi « cumulards » et pas « cumulants » ? C’est une façon de nous condamner par avance.

M. Jacques Myard. Vive le cumul !

M. Daniel Fasquelle. J’ai voulu en avoir le cœur net. Avec quelques collègues, j’ai créé une association, et nous avons commandé un sondage à un institut,…

M. Sergio Coronado. À Patrick Buisson ?

M. Daniel Fasquelle. …l’institut BVA, afin de poser enfin des questions claires, simples et nettes aux Français.

On nous dit que 88 %, voire 90 % des Français sont contre le cumul. Mais, lorsque l’on regarde les choses de près et que l’on interroge clairement nos concitoyens, notamment sur la question des députés-maires et des sénateurs-maires, ils sont 55 % à se prononcer contre le cumul et 44 % à dire qu’ils acceptent le cumul d’un mandat national et d’un mandat local.

M. Philippe Bies. À partir de quel échantillon ?

M. Daniel Fasquelle. Cela ne correspond pas du tout aux chiffres qui sont continuellement mis en avant.

Ce sondage, que je tiens à votre disposition – très récent, il a été mené de façon scientifique et est incontestable – montre aussi que 66 % des Français sont convaincus qu’il n’existe pas de limites au cumul des indemnités. Ils sont contre le cumul des mandats car ils pensent que les élus le pratiquent afin de cumuler les indemnités. Comme l’a dit Jean-Frédéric Poisson, les textes que nous avons votés, notamment sur l’écrêtement de nos indemnités, ne sont pas connus des Français.

Si les Français étaient convenablement informés de la réalité du cumul, le rapport entre les pour et les contre serait tout à fait équilibré. Vous faites une erreur d’analyse, et pourtant c’est le point de départ de votre raisonnement, cela a été répété à l’envi. Tous les Français ne sont pas contre le cumul : ils ont, sur ce sujet, un point de vue tout à fait mesuré, qu’il faut entendre.

Vous refusez aussi de prendre en compte le meilleur sondage qui soit, l’élection. Si un député-maire ne parvient pas à cumuler convenablement ses fonctions, s’il est mauvais député ou s’il est mauvais maire, laissons la liberté aux électeurs de ne plus le réélire comme député ou comme maire ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. Voilà la vraie démocratie !

M. Daniel Fasquelle. Pourquoi avez-vous peur de la liberté, pourquoi avez-vous peur de la démocratie, pourquoi avez-vous peur de l’opinion des Français ?

M. Yves Censi. Ils se méfient du peuple !

M. Daniel Fasquelle. Pourquoi voulez-vous faire passer un texte en force et empêcher ainsi les Français qui le souhaitent de pouvoir garder leur député comme maire ou leur maire comme député ? C’est tout de même incroyable ! Vous faites du matin au soir profession de démocratie, de dialogue participatif, d’écoute – que sais-je encore ?– mais, sur ce point, vous refusez d’écouter les Français.

Je réclame la liberté pour les électeurs et pour les parlementaires. Ils devront voter le 24 juillet prochain. Ce sera un vote extrêmement important : laissez-leur la liberté de voter comme ils l’entendent, car il faut, sur ce sujet, éviter les consignes, les pressions et les contraintes.

Sur un sujet aussi important que le fonctionnement de nos institutions, il faut que chaque député puisse voter en toute liberté.

Sur la méthode, outre une commission partisane et une mauvaise analyse des attentes des Français, je dois encore dénoncer une étude d’impact très insuffisante : si vous avez eu la curiosité de la feuilleter, vous aurez constaté comme moi qu’elle est affligeante ! Qu’il faille se contenter, sur un sujet aussi important, d’un document aussi léger et de remarques aussi expéditives est extrêmement grave. On touche au fonctionnement de nos institutions, aux rapports entre le niveau local et le niveau national, entre l’exécutif et le législatif, tout en nous servant une eau tiède avec, là encore, plusieurs erreurs répétées à l’envi.

Première erreur, les députés qui cumulent seraient moins présents à l’Assemblée nationale que les autres, un député ne cumulant pas étant plus disponible et donc, forcément, plus présent à l’Assemblée nationale. Or cette idée fausse dont on abreuve l’opinion publique ne résiste pas à l’analyse.

Une des rares études sérieuses dont les conclusions n’ont jamais été contestées a été conduite par le CNRS. Elle porte sur la période 2007-2012 et permet de mesurer la réalité du travail des parlementaires ; je la tiens à votre disposition. Dans cette étude du CEVIPOF, Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, montre clairement qu’il n’y a pas de corrélation entre le fait d’avoir un mandat local et la présence effective à l’Assemblée. Les députés qui cumulent sont aussi présents que les autres.

D’ailleurs, si ce que vous dites était exact, on ne croiserait le jeudi, dans les couloirs de l’Assemblée, que des députés qui ne cumulent pas, les autres étant partis le mercredi soir. Or c’est faux, et j’ai plus souvent croisé le lundi soir ou le jeudi après-midi dans nos locaux des députés qui cumulent que des députés qui ne cumulent pas.

Mme Elisabeth Pochon. Ça, c’est un argument !

M. Daniel Fasquelle. Un classement de 2011 plaçait Christian Eckert en tête des députés, et nous étions trois à être classés en deuxième position, les députés les mieux placés étant tous des députés qui cumulaient…

Mme Marie-Françoise Clergeau. Mais les classements ne reflètent pas forcément la réalité du travail parlementaire !

M. Daniel Fasquelle. Il n’y a donc pas de relation de cause à effet. Nous ne pouvons de toute façon pas travailler sur tous les sujets, et nous devons être présents dans nos circonscriptions. En tant que députés, il nous arrive aussi de devoir quitter l’Assemblée pour participer à une manifestation ou à une réunion importante. C’est indispensable, sauf si vous ne voulez plus que les députés soient sur le terrain, ce qui risque, hélas, de se produire avec votre texte. Il n’y a pas de lien entre la présence à l’Assemblée et le cumul des mandats. Mettons fin, une fois pour toute, à cette idée fausse !

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Daniel Fasquelle. Autre idée fausse, répétée à l’envi pour nous intoxiquer : les conflits d’intérêt. Les députés-maires défendraient en réalité des intérêts locaux à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Luc Reitzer. Il n’y a pas de honte à le faire !

M. Daniel Fasquelle. Là encore, je vous renvoie à cette étude scientifique du CEVIPOF, qui montre que les propositions de loi qui concernent les territoires ne représentent que 17 % des propositions de loi. Nous sommes nombreux à cumuler, et si les députés étaient obsédés par le cumul et ne défendaient que leurs territoires, 80 % de nos propositions de loi concerneraient nos territoires.

Cette étude démontre qu’il n’y a pas de conflits d’intérêts, et que les députés qui cumulent s’investissent sur tous les sujets et pas uniquement sur les sujets locaux.

Mme Chaynesse Khirouni. Quel monde merveilleux !

M. Daniel Fasquelle. Permettez-moi de vous lire ici ses conclusions : « L’analyse systématique de l’activité des députés de la XIIIe législature ne permet pas de conclure au fait que le cumul des mandats entraînerait une moindre activité parlementaire. C’est même souvent le contraire. De même, l’idée selon laquelle les députés cumulards ne seraient dévoués qu’aux intérêts de leur collectivité d’ancrage est fausse. L’étude, dans le cadre de ses limites, montre que l’activité parlementaire dépend surtout et d’une posture politique impliquant un certain rapport au politique (contestation de la majorité ou engagement dans l’analyse de l’action publique) et de la personnalité des député(e)s, dont certains et certaines sont, plus que d’autres, engagé(e)s dans des débats et des combats qui leur sont chers. » On sait bien notamment que l’activité d’un député dépendra du fait qu’il est dans la majorité ou dans l’opposition, mais aussi de la commission au sein de laquelle il travaille. On voit donc que le sujet est bien plus complexe qu’il n’y paraît et qu’il faut éviter de l’aborder avec des idées trop simples, pour ne pas dire simplistes.

M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !

M. Daniel Fasquelle. Toujours en ce qui concerne l’étude d’impact, j’évoquerai la question des exemples étrangers. Là non plus, en effet, je n’accepte pas ce qui est dit. On nous parle d’une exception française épouvantable, mais cette exception française, je la revendique et pense qu’il faut tout faire pour la conserver. Ne comparons pas la France à des pays ayant une organisation de type fédéral ; vouloir copier le modèle allemand n’a aucun sens.

M. Francis Vercamer. Très bien !

M. Daniel Fasquelle. Oui, la France est un pays à part ; oui, la France est le plus vieil État d’Europe ; oui, nous avons un système centralisé qui nous est spécifique ; oui, nous avons trente-six mille communes, soit autant que l’ensemble des autre pays de l’Europe à quinze ; oui, la France a une organisation politique et administrative qui lui sont propres, ce qui justifie, bien évidemment le cumul des mandats, autre spécificité de l’État français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Un mot sur la méthode, encore, pour conclure la première partie de mon propos. Il y a, à l’origine de votre démarche, un vice fondamental, qui a consisté à mettre la charrue avant les bœufs. En effet, se pencher sur le fonctionnement de nos institutions implique d’abord de s’interroger sur les rapports entre l’exécutif et le législatif, sur la décentralisation et les rapports entre l’État central et les territoires, mais aussi sur le statut de l’élu.

J’ai ici les conclusions de la commission Jospin, parmi lesquelles une chose au moins est bonne à prendre : le sort qu’elle réserve au statut de l’élu, dont la révision est, selon elle, un préalable au non-cumul des mandats.

On nous a présenté la semaine dernière un rapport évoquant plusieurs pistes de réforme du statut de l’élu, mais nous sommes encore loin d’avoir abouti sur cette question extrêmement complexe, véritable serpent de mer de la vie politique française.

M. Jean-Luc Reitzer. Et c’est pas demain la veille !

M. Daniel Fasquelle. Pour une fois, écoutez donc M. Jospin. Attaquez-vous d’abord au statut de l’élu et des parlementaires ! On ignore pour l’instant si le nombre des députés va diminuer, si la proportionnelle va être introduite ni à quelle dose, mais on y va gaiement sur le non-cumul ! Vous avez mis la charrue avant les bœufs, votre méthode n’est pas la bonne ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est du bon sens !

M. Daniel Fasquelle. Eh oui, le bon sens a parfois du mal à se faire entendre ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Sur le fond, mes chers collègues, vous apportez une mauvaise réponse à une bonne question. Il est vrai – et cela nous concerne tous – que le fossé se creuse entre les Français et les responsables politiques. Les chiffres sont édifiants : en 2013, 54 % des Français pensent que la démocratie fonctionne mal, alors qu’ils n’étaient que 48 % en 2009 ; 82 % pensent que les politiques agissent principalement dans leur intérêt personnel ; pis encore, 62 % pensent que la plupart des politiques sont corrompus.

La confiance qu’ils nous accordent est en chute libre. Pour ce qui est des députés, la part des Français qui nous font confiance est passée de 38 % à 28 % entre décembre 2009 et décembre 2012. Ce constat est extrêmement sévère, il mérite d’être pris très au sérieux.

Autre constat : les Français sont très mal représentés dans nos institutions. À l’Assemblée nationale, 0,2 % des députés sont issus de la classe ouvrière, moins de 7 % sont des artisans, commerçants ou chefs d’entreprise, moins de 3 % sont des employés. Quant aux salariés du privé et aux chefs d’entreprise, peu d’entre eux sont candidats car, pour eux, le risque est important de ne pas retrouver d’emploi une fois leur mandat achevé.

Il y a là de vraies questions, mais est-ce en mettant fin au cumul des mandats que l’on réduira le fossé qui sépare les Français des hommes et des femmes politiques et que l’on améliorera la représentativité de nos institutions ? Bien sûr que non ! Vous posez une bonne question, mais vous y apportez une mauvaise réponse, et le remède risque d’être pire que le mal.

Je vous citerai simplement le constitutionnaliste Pierre Avril, professeur de droit public respecté de tous et qui a formé certains d’entre nous. Selon lui, tout ramener au cumul relève d’une vision myope du système français.

Quelques remarques à ce propos. Les Français attendent plus de proximité avec leurs élus. Y gagneront-ils sur ce plan avec la fin du cumul des mandats ? La réponse est non ! Vous allez mettre fin à une spécificité française, à laquelle nous sommes très attachés, je veux parler du député de terrain.

Et, puisque nous débattons, mettons tout sur la table : Avez-vous, oui ou non, l’intention d’introduire une dose de proportionnelle dans le scrutin ? Avez-vous, oui ou non, l’intention de diminuer le nombre de députés ? Car lorsque l’on additionne diminution du nombre des députés, proportionnelle et non-cumul, on aboutit à la disparition du député de terrain.

Les Français peuvent aujourd’hui rencontrer leurs députés dans les circonscriptions ; demain, ce ne sera plus possible. Or n’oublions pas que, dans les territoires ruraux, les députés jouent un rôle de fédérateur et d’animateur, aux côtés du sous-préfet.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est ça, la France !

M. Daniel Fasquelle. Dans les grandes agglomérations ou les communautés urbaines, le rôle du député peut être différent, au risque, d’ailleurs, d’une certaine incompréhension. Je débattais aujourd’hui avec Sandrine Mazetier, députée de Paris, avec laquelle, par moment, nous avions un peu de mal à nous comprendre.

M. Jean-Luc Reitzer. Ce n’est pas la même vie !

M. Daniel Fasquelle. Il n’y a pas de mal à être députée de Paris, mais l’implication sur le terrain et le rôle qu’y joue le député ne peuvent être les mêmes dans les territoires ruraux et dans les territoires urbains.

Cela étant, un député peut très bien jouer ce rôle de fédérateur et d’animateur au sein de son territoire tout en étant présent à l’Assemblée nationale. Je pourrais vous en citer un très bon exemple, si ce n’est le meilleur : celui de notre Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Il a su se montrer présent à Nantes et dans son agglomération. On peut ne pas être d’accord avec son bilan, mais il faut reconnaître à celui-ci le mérite d’exister. Et ses fonctions locales ne l’ont pas empêché de remplir sa mission de député à tel point que vous l’avez même élu président de votre groupe !

Mme Marie-Françoise Clergeau. C’est vrai !

M. Daniel Fasquelle. Être président de groupe, ce n’est pas rien, tout de même ! Vous avez là la preuve que l’on peut être député et maire, que l’on peut être un bon législateur tout en restant présent sur le terrain. N’en ayons pas honte, au contraire, revendiquons-le ! Ce choix appartient à chacun. Laissez aux députés, s’ils le souhaitent, la possibilité de s’impliquer de cette façon dans les territoires. Laissez la possibilité aux électeurs qui le souhaitent de choisir demain d’autres Jean-Marc Ayrault pour animer et fédérer leurs territoires.

De surcroît, l’exercice d’un mandat local permet au député de se confronter à un certain nombre de réalités concrètes qui feront demain de lui un bon législateur. Un maire, en effet, doit gérer un budget, du personnel, des problèmes liés à la scolarité, à la situation des personnes âgées.

M. Jean-Luc Reitzer. La vraie vie !

M. Daniel Fasquelle. L’expérience qu’il acquiert lui servira pour son mandat parlementaire. Hier après-midi, en commission des affaires économiques, Cécile Duflot a abordé le problème des recours abusifs. Beaucoup de ceux qui sont intervenus sont des élus locaux, des maires qui, forts de leur expérience, ont pu comprendre la portée de son ordonnance et lui opposer des remarques pertinentes. Ils ont pu, de même, réagir à l’intervention de Sylvia Pinel sur le tourisme car, quand on est maire d’une station touristique ou élu d’un territoire touristique, on est confronté à ces sujets d’une façon particulière. Je ne dis pas que le député qui n’a pas de mandat local ne noue pas de tels contacts avec ses concitoyens, puisqu’il en a par sa permanence, mais ce n’est pas la même chose que d’avoir les mains dans le cambouis et d’être confronté concrètement à ces problèmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est vrai, on vit les choses différemment !

M. Daniel Fasquelle. Laissez la possibilité à ceux qui veulent mettre les mains dans le cambouis de le faire !

C’est d’ailleurs tellement vrai que je ne résiste pas au plaisir de vous raconter un moment formidable de nos débats en commission des lois. Un député, pourfendeur du cumul, qui avait déposé des amendements invraisemblables, est allé jusqu’à proposer que les députés puissent siéger dans les conseils départementaux et les conseils régionaux à titre consultatif !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Son amendement a d’ailleurs été adopté.

M. Daniel Fasquelle. C’est extraordinaire ! Voilà bien la preuve que, même dans vos rangs, les plus ardents pourfendeurs du cumul ont conscience que le député, à un moment ou un autre, doit être au courant de ce qui se passe dans sa circonscription, dans son département, dans sa région, sans quoi il courrait le risque de se couper de cette réalité qui fait la vie de nos concitoyens. Ce n’est pas seulement en rencontrant des associations que l’on peut comprendre ce que vivent nos concitoyens. Ce n’est pas que cela, la vie de l’élu et de nos concitoyens : c’est aussi l’action concrète des collectivités locales. Que le député soit plongé dans cette action, qu’il s’en imprègne, qu’il puisse même l’inspirer, en quoi est-ce un problème, en quoi cela peut-il vous déranger ?

Première idée fausse, donc, celle selon laquelle les Français seraient plus proches de leurs députés. Non : les Français seront moins proches. Vous avez tort et vous allez voter des dispositions extrêmement graves. Ne sonnez pas la fin des députés de terrain, car les Français en ont besoin et nous en défendrons le modèle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christophe Borgel, rapporteur. On va le breveter !

M. Jean-Luc Reitzer. Vous aurez la médaille du bon sens, monsieur Fasquelle !

M. Daniel Fasquelle. Autre idée fausse : les Français souhaiteraient renforcer les pouvoirs de l’Assemblée. Vous prétendez qu’une présence accrue des députés renforcerait la puissance de l’Assemblée – je me demande au passage comment nos concitoyens pourraient se sentir plus proches de députés qui siègeraient du lundi au vendredi. Ce que vous nous promettez est faux. Vous avez cité Guy Carcassonne, mais écoutez Patrick Weil, Olivier Beaud, Pierre Avril, un certain nombre de constitutionnalistes dont quelques-uns étaient d’ailleurs d’accord avec vous au départ avant de se pencher davantage sur le sujet, d’évoluer et de changer d’avis – je pense en particulier à Olivier Beaud.

Mme Laurence Dumont. Il y a aussi des évolutions inverses !

M. Daniel Fasquelle. Que nous disent-ils ? D’être prudents car le risque est grand d’affaiblir, dans un système centralisé au pouvoir exécutif fort, l’Assemblée nationale et le Sénat en les coupant des territoires. L’un d’entre eux, lors des auditions que nous avons menées – car nous, nous avons écouté tous les points de vue – nous a mis en garde contre la suppression de l’un des derniers contre pouvoirs. Nous allons renforcer la présidentialisation de la Cinquième République et cette évolution me semble très dangereuse.

Vous prétendez que les députés auront plus de pouvoirs mais, s’ils n’ont plus leur accroche locale, ils seront entre les mains des partis politiques. Quel député, ici, même s’il est présent du lundi au vendredi, prendra le risque de contrer son parti sachant qu’à la prochaine élection, on lui coupera la tête ? Il ne sera plus sur la liste puisque vous allez passer à la proportionnelle ! Vous allez mettre fin aux députés de terrain ! Vous aurez des députés-marionnettes dont vous pourrez faire ce que vous voudrez. Je ne suis pas d’accord. Je souhaite que les députés restent des députés de terrain, ancrés dans les territoires, indépendants des partis politiques et du pouvoir exécutif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. À bas la République des partis !

M. Daniel Fasquelle. Je profiterai de la minute qu’il me reste pour insister sur la nécessité de créer une commission spéciale qui évalue les dernières réformes institutionnelles. Faisons le point du quinquennat, des rapports entre l’exécutif et le législatif, du fonctionnement de la Cinquième République. Prenons le temps de discuter de la décentralisation, dont l’acte III n’est pas encore voté – et je vois bien que vous avez du mal à le mettre en place. Là encore, prenons le temps d’observer, d’étudier toutes les formes de cumul. Vous n’en parlez pas mais on a bien compris votre plan caché : vous voulez vous attaquer ensuite au cumul des mandats locaux. Dites-le maintenant ou prenons le temps de cette réflexion. Olivier Beaud le disait fort justement, on ne peut pas changer un élément du système sans changer le système global.

M. Claude Goasguen. Évidemment !

M. Daniel Fasquelle. Cela me paraît extrêmement dangereux. Ne jouez pas, mes chers collègues, aux apprentis sorciers, ne trompez pas les Français. Il est faux de prétendre que la proximité sera renforcée, et le Parlement plus puissant. Suspendez cette réforme, faites le choix de la réflexion et de la liberté. N’ayez aucun doute sur ce point, nous reviendrons, le cas échéant, sur cette réforme en 2017. En attendant, je suis certain que le bon sens l’emportera dans cette assemblée et qu’au-delà des clivages politiques traditionnels, nous repousserons ce projet de loi qui est mauvais pour la démocratie française et pour nos institutions. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Francis Vercamer. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Sergio Coronado. Il parlera du sujet, au moins !

M. Christophe Borgel, rapporteur. J’essaierai de répondre à quelques arguments.

M. Jean-Luc Reitzer. Ce sera difficile !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Restons modestes : je vais essayer…

Vous avez évoqué, monsieur Fasquelle, la nécessité d’organiser un débat dépassant les clivages politiques, la liberté de vote, inhérente aux députés, les divergences qui peuvent naître au sein de la majorité, ce qui est bien normal. Essayons pour une fois de le dire, comme je l’ai fait dès le début de mon propos introductif : il n’y a pas d’un côté, ceux qui seraient à dénoncer, de l’autre ceux qui seraient vertueux, que ce soit parmi les députés de terrain, comme l’a dit M. Poisson, ou parmi ceux qui ne cumuleraient pas. Ne soyons pas dans une posture accusatrice. Je comprends ceux de nos collègues qui, depuis longtemps, sont maires de leur commune et redoutent la perspective de choisir. Je comprends ceux pour qui c’est difficile.

M. Jean-Luc Reitzer. Vous nous arrachez le cœur !

M. Christophe Borgel, rapporteur. On s’attache certes à une commune que l’on administre depuis longtemps, mais je suis persuadé que certaines évolutions sont nécessaires.

Puisque vous évoquez les divergences sur nos bancs, regardons un peu ce qu’il se passe chez vous.

Damien Abad préconise d’adopter un principe simple, le mandat unique.

Élie Aboud, qui s’est opposé au cumul des mandats, a démissionné de son mandat de premier adjoint au maire de Béziers.

J’ai déjà parlé du président Accoyer. Nicole Ameline se prononce pour la limitation du cumul. Benoist Apparu reconnaît qu’il est difficile de cumuler un mandat exécutif local et un mandat de député.

M. Claude Goasguen. Et M. Rebsamen ?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Combien se sont engagés, sur leur site de campagne ? Sylvain Berrios, dans sa profession de foi – mais il est vrai qu’il n’était pas candidat au nom de l’UMP – s’est engagé à voter la loi sur le non cumul des mandats. Nous verrons au moment du vote solennel…

M. Patrick Hetzel. Et la liberté?

M. Christophe Borgel, rapporteur. Yves Censi prétend que l’on ne peut être député et briguer la mairie de Rodez. Nous verrons aux municipales.

Georges Fenech, sur son site Internet de campagne, affirme qu’il votera la loi sur le non cumul.

Bruno Le Maire a lancé un appel pour limiter les cumuls, signé par plusieurs dizaines de nos collègues de l’opposition.

M. Patrick Hetzel. Et M. Rebsamen ?

M. Jean-Luc Reitzer. Ce sont des technocrates !

M. Christophe Borgel, rapporteur. François Fillon s’est dit favorable au non-cumul des mandats. J’en passe et des meilleurs, et je serais heureux, mes chers collègues, de savoir combien, parmi ceux qui se sont prononcés publiquement en faveur du non-cumul des mandats, voteront la loi que nous proposons. Nous verrons alors sur quels bancs se trouve l’absence de liberté de vote ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mes chers collègues, vous avez évoqué la commission Jospin. Peut-être pourrions-nous clore sur ce point. Ce texte n’est pas issu de cette commission, mais d’un projet de loi du Gouvernement et de notre travail en commission des lois. Vous déplorez l’absence d’auditions mais tous les partis politiques ont été entendus dans le cadre des auditions que j’ai conduites en tant que rapporteur. Nous avons reçu, pour l’UMP, le président Copé. Ne venez pas nous dire qu’il n’y a pas eu d’audition et que nous n’avons pas su écouter ! Vous évoquez les universitaires, mais nous avons entendu Patrick Weil. Il a beaucoup de talents, mais pas celui d’être un constitutionnaliste reconnu.

M. Claude Goasguen. Il n’est pas universitaire !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Vous évoquiez les chercheurs et intellectuels qui ont écrit la lettre ouverte au Président de la République. J’en ai parlé, mais je ne suis pas certain qu’ils soient les meilleurs défenseurs de votre thèse.

M. Jean-Luc Reitzer. Ils n’ont jamais été entendus !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Olivier Beaud déclarait dans un colloque récent, où il était invité, comme Alain Tourret qui, si je ne me trompe, est opposé à la loi, qu’il avait bien conscience, en défendant un certain cumul au nom du déséquilibre entre l’exécutif et le législatif, de défendre un mal, la faiblesse du législatif face à l’exécutif, par un autre mal, le cumul des mandats.

Olivier Beaud considérait ainsi que le cumul des mandats était un mal pour la démocratie. Je ne suis pas certain, là encore, qu’il soit le meilleur défenseur de votre thèse…

Vous avez parlé des sondages et des études. Mon cher collègue, des sondages sur le non-cumul, on peut en trouver des dizaines, mais vous n’en citez qu’un, un seul, et vous prétendez, avec une certaine assurance, qu’il s’agit d’un sondage sérieux, donc scientifique ! Soyons tout de même prudents en la matière, car il est arrivé que les sondages ne prévoient pas tout… Vous citez également une enquête, mais il y en a des dizaines, qui ont toutes en commun d’aboutir à la conclusion qu’au moins sept Français sur dix, quand ce n’est pas neuf, approuvent ce projet de loi.

M. Jean-Luc Reitzer. On ne le remarque pas aux élections partielles !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Parmi les études, vous évoquez en particulier celle de Luc Rouban. Tout d’abord, contrairement à ce que vous prétendez, ce n’est pas la seule. Je pourrais vous parler de celles d’Abel François ou de Laurent Bach, universitaires eux aussi. Vous affirmez que vous avez vérifié les données de l’étude de Luc Rouban, mais je serais intéressé si vous m’apportiez, avant la fin du débat, les éléments de cette étude qui évoquent les données recueillies et la méthode utilisée pour les traiter.

J’ai posé la question à M. Rouban, que nous avons auditionné. J’attends encore des éléments de réponse probants. Son étude porte sur une législature, mais il y en a d’autres. Celle de Laurent Bach, ainsi, qui traite des interventions en commission, non pas seulement sur une législature mais depuis 1988, établit que plus la collectivité à laquelle se rapporte le mandat exécutif du député qui cumule est importante, moins le député est présent et intervient en commission.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas le sujet !

M. Christophe Borgel, rapporteur. Si vous voulez traiter honnêtement les études, il faut aller jusqu’au bout – ce qui, en l’occurrence, n’était pas très compliqué : cela figure à la page 22 de mon rapport. Monsieur Fasquelle, votre intervention est donc incomplète.

Enfin, vous évoquez, au nom de la spécificité française, l’éparpillement des communes. Le problème, c’est que le cumul se concentre sur les 1 000 à 1 500 communes qui comptent plus de 9 000 habitants. Si l’on compare cet échantillon d’environ 1 300 communes…

M. Claude Goasguen. Il y a aussi le Sénat !

M. Christophe Borgel, rapporteur. En prenant en compte les sénateurs, mon cher collègue, on retrouve la même réalité ! En prenant en compte l’ensemble des parlementaires et cet échantillon de quelque 1 300 communes, les chiffres sont tout à fait comparables aux exemples étrangers. Donc, là encore, votre démonstration ne tient pas.

Concernant le cumul passé des uns et des autres, je ne doute pas que vous allez y revenir à de nombreuses reprises, et le ministre s’est exprimé à ce propos de façon extrêmement nette et claire. Les évolutions doivent être bien réelles. Je l’ai dit, c’était une spécificité qui s’imposait à tous et dans tous les territoires. Nous pensons qu’il faut évoluer parce que la démocratie le demande. Vous pensez qu’il faut continuer. Nous ne sommes pas d’accord. Nul besoin de rappeler les cumuls passés !

Pour terminer, parlons du député de terrain. Je ne suis pas en désaccord avec la nécessité d’avoir des députés de terrain et je reste favorable, je l’ai dit et je le maintiendrai tout au long de ce débat, à un mode de scrutin par circonscription grâce auquel, tout en représentant la nation tout entière, nous sommes élus d’un bout du territoire de la République.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas logique ! 

M. Christophe Borgel, rapporteur. Nul besoin, pour être sur le terrain et avoir les mains « dans le cambouis », d’avoir des responsabilités exécutives locales. Nul besoin, pour être au contact de nos concitoyens, d’être en même temps maire, président d’un département ou d’une région. Je le maintiens, il y aura demain une autre manière de « faire du terrain ». La proximité n’est pas l’apanage de ceux qui exercent des fonctions exécutives locales. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le rapporteur a dit l’essentiel.

Je ferai une première remarque à M. Fasquelle, que j’ai écouté avec attention. Je lui rappelle, comme vient de le faire M. le rapporteur, que nous ne sommes pas en train de débattre du rapport de Lionel Jospin, rapport tout à fait honorable, mais d’un texte de loi qui est la traduction d’un engagement du Président de la République et qui a été enrichi par la commission des lois, laquelle a organisé de nombreuses auditions.

Vous avez fait l’éloge, monsieur Fasquelle – et c’est votre droit –, du député-maire, du député-président, bref, du parlementaire qui exerce plusieurs mandats.

M. Jacques Myard. Ce que vous avez connu !

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Myard, chacun a rappelé quelle était l’histoire. Je crois que vous l’avez souligné tout à l’heure, c’est une perspective difficile que de perdre un mandat, non à cause du choix des électeurs, mais en raison du choix que l’on fait de rester député.

M. Jean-Luc Reitzer. Oui, ça m’arracherait le cœur !

M. Manuel Valls, ministre. Être maire est une fonction très particulière.

M. Jean-Luc Reitzer. Marier les gens…

M. Manuel Valls, ministre. Vous avez raison, monsieur le député, et je vous encourage à les marier tous, d’ailleurs, et à respecter la loi ! (Rires. – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est la loi et je suis prêt à l’appliquer !

M. Manuel Valls, ministre. Je n’en doute pas, car je connais votre esprit républicain !

Être maire est une fonction particulière. En ce qui me concerne, quand je suis devenu ministre et que j’ai accédé à cette responsabilité importante, le fait de ne plus être maire, de ne plus être présent dans ce conseil municipal qui a désigné mon successeur – mon ancien premier adjoint – a été un moment particulier. Cela étant, chacun doit intégrer ces évolutions, et c’est ce qui nous oppose.

S’agissant du choix des électeurs, monsieur Fasquelle, je force le trait, mais je suis convaincu que M. Lecanuet, à l’époque, avait utilisé les mêmes arguments…

M. Claude Goasguen. C’est vrai !

M. Manuel Valls, ministre. …pour démontrer qu’il était normal qu’une même personnalité politique soit maire de Rouen, sénateur et président du conseil général de Seine-Maritime, et devait également – le mode de désignation était différent – présider la région et, tout aussi logiquement, la représenter au Parlement européen.

M. Guy Geoffroy. Caricature !

M. Manuel Valls, ministre. Cette caricature, c’était, il y a quelques années, la réalité pour certains.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est plus le débat !

M. Manuel Valls, ministre. Aujourd’hui, en effet, ce n’est plus le débat. Mais, compte tenu de la réforme constitutionnelle de 2008 qui a renforcé les droits du Parlement, notamment ceux de l’Assemblée nationale, compte tenu aussi des lois de décentralisation et des compétences exercées par les collectivités territoriales, il est normal, logique et cohérent que la loi, aujourd’hui, fasse du non-cumul la règle et permette à ceux qui souhaitent exercer la belle fonction de maire d’en faire le choix, la loi leur donnant le temps de la transition. Ceux qui souhaitent exercer la responsabilité de parlementaire pourront également en faire le choix.

S’agissant du rapport au terrain que nous avons évoqué et que Christophe Borgel évoquait il y a un instant, c’est faire injure à ceux qui, demain, seront députés sans exercer un mandat exécutif que de penser qu’ils ne représenteront pas bien leur circonscription et qu’ils ne défendront pas le terrain.

Jean-Jacques Urvoas, par exemple, a été élu en 2007, dans des circonstances difficiles. La circonscription qu’il a conquise appartenait jusqu’en 2007 à un député UMP, et ce depuis plusieurs années.

M. Claude Goasguen. Cela n’a rien à voir !

M. Manuel Valls, ministre. Si, précisément ! Exerce-t-il bien son mandat de député à l’Assemblée nationale ? Je vous en laisse juges : il préside l’une des commissions les plus importantes. Est-ce que, par ailleurs, il défend son territoire autour de Quimper ? Bien sûr que oui ! Les électeurs le connaissent-ils et ont-ils un lien direct avec lui ? Naturellement ! Dès lors que nous conservons en outre, comme le rappelait le rapporteur, le scrutin majoritaire à deux tours,…

M. Jacques Myard. Pas de proportionnelle ?

M. Manuel Valls, ministre. …le lien avec le terrain, pour reprendre votre expression,…

M. Claude Goasguen. Va disparaître !

M. Manuel Valls, ministre. …est bien là. Et c’est l’essentiel. Le non-cumul et le lien avec le terrain, voilà ce à quoi vise cette loi !

M. Claude Goasguen. Cela ne tiendra pas !

M. Manuel Valls, ministre. Enfin, monsieur Tourret, votre argumentation sur les apparatchiks ou, pis encore, sur les fonctionnaires – ce qui, venant de vous, cela m’a étonné –, tombe. Que l’on soit fonctionnaire ou que l’on vienne du secteur privé, quel que soit l’itinéraire que l’on ait suivi, ce texte, monsieur le député, permettra une plus grande diversité, d’autres voies d’accès à la vie politique. C’est en cela que ce texte est profondément moderne, et va changer les pratiques politiques dans notre pays. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. le président. Au titre des explications de vote, la parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. La force d’une démocratie réside dans la légitimité de ses élus.

Nous, députés de la majorité, considérons que la confiance dont nous avons été honorés par le scrutin de juin 2012 exige l’exemplarité. Le changement que nous voulons, celui que veulent les Français, c’est la rupture avec l’Ancien Régime (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP), avec l’ancienne Présidence,…

M. Jean-Luc Reitzer. N’importe quoi !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. …la rupture avec une décennie de dénigrement de la vie politique, symbolisée par l’ego surdimensionné d’un homme qui, Président de la République, ne s’est pas mis au service de la cause publique, mais de sa cause personnelle,...

M. Jean-Luc Reitzer. Au moins, elle sait lire le texte qu’on lui a écrit !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. …et ce en rejetant toute critique, avec cynisme et arrogance, sans respect pour les élus du peuple. Le mépris des parlementaires et des élus locaux a entretenu la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de la démocratie et de la capacité de leurs représentants à changer leur vie.

Notre majorité, quant à elle, a fait le choix du dialogue social plutôt que de l’affrontement, avec, par exemple, la loi sur la sécurisation de l’emploi, et le choix de l’éducation plutôt que celui de l’ignorance. Nous choisissons donc la cohérence d’un projet politique plutôt que le populisme. Cette réforme institutionnelle sur le non-cumul des mandats s’intègre tout naturellement dans notre projet de société, une société qui évolue, avance et est parfois à l’avant-garde des évolutions politiques.

Nous voulons que notre démocratie soit à l’image de la France du changement : plurielle, représentative, ouverte et apaisée. Nous sommes élus du peuple, élus pour un projet politique et pour représenter le plus efficacement nos concitoyens, la meilleure des manières étant pour nous de nous consacrer exclusivement à nos fonctions : légiférer et contrôler l’action du Gouvernement, tout en étant ancrés dans nos territoires par un simple mandat local, par exemple.

M. Olivier Marleix. Brillante intervention !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Certes, le non-cumul des mandats ne suffira pas à lui seul à restaurer le crédit de l’action politique aux yeux de nos concitoyens.

M. Olivier Marleix. Ce qui est sûr, c’est que ça ne va pas faire baisser le chômage !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est cependant, au même titre que la loi sur la transparence de la vie publique que nous avons votée, un pas important et refondateur.

Mes chers collègues, sans cette réforme institutionnelle, il ne peut exister ni action politique légitime…

M. Jacques Myard. Quoi ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. …ni crédit pour notre rôle : celui de changer le réel et de construire une société moderne à laquelle aspirent nos concitoyens.

M. Jean-Luc Reitzer. On a fait quoi pendant toutes ces années ?

Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est pourquoi le groupe SRC votera contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marc Dolez. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Christophe Lagarde. La voix de la raison !

M. Francis Vercamer. J’ai écouté attentivement les différents intervenants. Il est vrai que nous avons une exception française. En l’occurrence, ce n’est pas d’exception culturelle qu’il s’agit, mais d’exception politique. Nous avons un exécutif fort, l’un des plus forts des pays industrialisés, et un Parlement faible.

Mais est-ce le cumul des mandats qui fait que tous les textes sont examinés selon la procédure accélérée ? Est-ce à cause du cumul de mandats que les lois sont transmises à notre commission quatre jours après le conseil des ministres à la commission et que nous avons seulement trois jours pour déposer nos amendements ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.) Est-ce à cause du cumul des mandats que le Premier ministre se prend pour le chef du Parlement en disant qu’il n’acceptera aucun amendement ? Le vote impératif est, me semble-t-il, contraire à la Constitution ! (Même mouvement.) Est-ce à cause du cumul des mandats que la délégation de vote, prévue par l’ordonnance de 1958, n’est pas appliquée et qu’aujourd’hui chacun peut voter pour quelqu’un d’autre sans motif ?

M. Marcel Rogemont. Qu’est-ce qu’il raconte ?

M. Francis Vercamer. J’espère que, pour ce qui est de cette loi, on appliquera la Constitution et que chacun devra être présent dans l’hémicycle pour voter la loi organique dont nous sommes en train de débattre. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs des groupes UDI et UMP.)

J’en reviens à ce que disait Alain Tourret en commission. Il y a cumul des mandats, et pourtant nous légiférons trop. Alain Tourret a expliqué ce désagrément lors d’une réunion de commission – je pense que tout le monde l’a vu sur internet.

Pourquoi le cumul des mandats est-il nécessaire ? Parce que c’est le seul contre-pouvoir du Parlement ! Aujourd’hui, le contre-pouvoir, c’est le pouvoir local, ce sont les élus locaux qui connaissent le terrain, qui font remonter ici leurs expériences de terrain, de maire, de conseiller général ou de conseiller régional. C’est l’ancrage local.

Au fond, la vraie question, c’est la décentralisation. On nous compare toujours à l’Allemagne, à l’Espagne ou à la Belgique, mais là-bas, il vaut mieux être vice-président d’une région que ministre, car le vice-président a bien plus de pouvoir ! Les élus cumulent les fonctions de vice-président d’une région et de maire parce que c’est plus intéressant que d’être député, tout simplement ! C’est pour cela que le cumul n’existe pas dans ces pays. Même la Catalogne demande l’indépendance… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Marcel Rogemont. Quel rapport ?

M. Francis Vercamer. On nous dit que, d’après les sondages, les Français veulent limiter le cumul des mandats.

M. Marcel Rogemont. Oui, n’oubliez pas les Français !

M. Francis Vercamer. Sommes-nous dans une démocratie politique ou dans une démocratie d’opinion ? Si les sondages sont si importants, peut-être le Président de la République devrait-il démissionner ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Pourquoi écouter les sondages ? On sait fort bien que la plupart des grandes lois ont été faites contre l’avis du peuple.

Je voudrais évoquer un dernier point.

On nous dit qu’à cause du cumul du mandat nous sommes toujours dans nos circonscriptions. Mes chers collègues, si nous ne cumulons pas, nous serons encore plus dans leur circonscription car nous n’aurons plus d’ancrage local et nous devrons nous faire connaître davantage pour être réélus ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.) Je peux vous dire que tous ceux qui, aujourd’hui, ne cumulent pas, se feront balayer en 2017 ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Le groupe UDI votera la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.

Mme Isabelle Attard. Vous nous avez expliqué, cher collègue Fasquelle, que l’on pouvait être président de conseil général, maire et député, le tout avec une incroyable aisance. Cela ne laisse que deux solutions. Ou bien vous cachez sous votre chemise blanche le « S » de Superman (Sourires), ou bien les citoyens qui ont voté pour vous ont été floués, car il existe forcément des tâches ou des responsabilités que vous n’êtes pas aujourd’hui en mesure d’assumer avec un tel cumul. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Gilles Lurton. Il suffit de s’organiser !

M. Jean-Luc Reitzer. Et de travailler en équipe, par exemple avec ses adjoints !

Mme Isabelle Attard. Peut-être y a-t-il en effet un « S » sous votre chemise, nous verrons plus tard ! Quoi qu’il en soit, vous avez dit quelque chose d’extrêmement juste tout à l’heure, cher collègue. Vous avez évoqué un sondage selon lequel les Français pensent que la classe politique est corrompue dans son ensemble, indigne de confiance et ne peut être prise au sérieux. Vous avez tout à fait raison, nous en sommes arrivés à ce point et c’est pourquoi la loi vient à point nommé.

M. Jean-Luc Reitzer. Cela n’a rien à voir avec le cumul ! De tels propos sont scandaleux !

Mme Isabelle Attard. Contrairement à vous, cher collègue, nous ne pensons pas que la loi ne servira à rien. Elle servira grandement à redonner confiance à nos concitoyens, qui l’attendent. Il faut, dites-vous, circuler et se rendre dans toutes les communes de sa circonscription rurale, car vous avez naturellement fait la comparaison avec les circonscriptions urbaines où c’est plus facile... Il se trouve que je suis, moi aussi, élue d’une circonscription rurale qui compte 161 communes. Il faut bien se rendre partout et si, comme beaucoup d’entre nous, vous vous rendez partout dans votre circonscription, vous avez dû y entendre comme nous le message que l’on vous y a fait passer : agissez avec nous, sur le terrain et faites le métier pour lequel vous avez été élu ! C’est pourquoi nous, écologistes, voterons contre la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guillaume Larrivé. Vous nous dites, monsieur le ministre, que votre loi est une loi de modernisation. La vérité, c’est qu’il s’agit d’une loi de régression. Comme notre collègue Tourret l’a démontré avec éloquence, elle attaque les libertés, dont celle de choisir et celle de se présenter. En outre, elle porte atteinte à l’efficacité, celle de notre Parlement qu’enrichit la présence sur ces bancs de maires, de présidents de conseils généraux ou régionaux, mais aussi celle de territoires qui gagnent à voir les élus qui dirigent leurs collectivités exprimer d’une voix forte leurs intérêts au sein du Parlement.

M. Marcel Rogemont. Ils ne sont pas là pour ça, mais pour gérer la République !

M. Jean-Luc Reitzer. Cela en fait partie !

M. Guillaume Larrivé. La vérité, monsieur le ministre, c’est que vous nous présentez cette loi de régression parce que le Gouvernement, en échec sur les questions économiques et sociales, cherche une diversion sur les questions institutionnelles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Hetzel. Voilà le vrai sujet !

M. Guillaume Larrivé. Et la vérité, mesdames et messieurs les députés de la majorité, c’est que vous êtes vous-mêmes très mal à l’aise, car le groupe socialiste est muselé, Mme Dessus et M. Popelin ayant interdiction de s’exprimer. Révoltez-vous ! Rejoignez-nous ! Votez la motion de rejet préalable pour défendre les territoires et les libertés du Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Je me permets de vous faire observer, monsieur le ministre, que je n’ai pas parlé des fonctionnaires en général, mais des fonctionnaires du parti socialiste, ce qui n’est pas tout à fait pareil. (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Deuxièmement, de quel texte parlons-nous en ce moment ? De celui relatif aux députés européens. En quoi les règles de non-cumul devrait-elles s’appliquer à eux différemment ? À l’évidence, il faut au député européen un attachement local. En 1962…

M. le président. Un instant, monsieur Tourret, s’il vous plaît.

Que chacun reste à sa place : Le vote se fera à main levée, aucune demande de scrutin public n’ayant été déposée. Nous écoutons attentivement M. Tourret.

M. Alain Tourret. D’autant plus que je m’apprête à évoquer le général de Gaulle, monsieur le président !

M. le président. Voilà qui m’intéresse ! (Sourires.)

M. Alain Tourret. En 1962, le général de Gaulle déclarait, à propos des députés européens, ne pas vouloir d’« apatrides » parlant un « volapük intégré ».

M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !

M. Alain Tourret. Dès lors, la meilleure solution consiste évidemment à leur donner un attachement local, d’autant plus que mes amis du parti socialiste ont préféré à une circonscription nationale des circonscriptions régionales, ce qui implique la nécessité d’un lien avec un territoire. Le député européen, plus que tout autre, doit exercer un autre mandat.

Enfin, nous ne parlons pas suffisamment du cumul des indemnités, qui est, j’en suis intimement persuadé, ce dont nos concitoyens ne veulent plus. Or le texte le prévoit pour les députés qui sont conseillers généraux ou régionaux, ce qui est selon moi une erreur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

C’est pourquoi nous ne nous associerons évidemment pas à la motion, mais vous avez bien compris que nous voterons contre le texte.

M. Jacques Myard. Il a raison !

(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite du projet de loi organique interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et du projet de loi interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député, de sénateur ou de représentant au Parlement européen.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)