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Première séance du mardi 29 janvier 2013

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mariage pour tous

M. le président. La parole est à M. Christian Jacob.

M. Christian Jacob. Monsieur le président, ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

Inexorablement, le chômage augmente dans notre pays, les usines ferment…

M. Henri Jibrayel. Grâce à vous !

M. Christian Jacob. La semaine dernière encore, nous avons appris qu’une usine Good Year – 1 200 emplois – risquait de fermer à Amiens.

L’heure est grave, monsieur le Premier ministre, et vous avez choisi de gouverner par diversion. Mais les Français ne sont pas dupes, ils ne comprennent pas votre obstination à maintenir, dans ce contexte, l’examen du projet sur l’extension du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Renvoyer, qui plus est, la discussion sur la procréation médicalement assistée à un texte ultérieur, dans un mois, est une véritable imposture, monsieur le Premier ministre : vous n’avez pas le courage d’assumer vos choix.

Depuis trois mois, le groupe UMP sollicite l’avis du comité national d’éthique. Le Président de la République vient enfin d’accéder à sa demande, mais il le fait trois jours avant l’examen du texte par l’Assemblée.

Plusieurs députés du groupe SRC. Menteur !

M. Christian Jacob. C’est un véritable mépris pour elle, un affront. Je vous prends à témoin, monsieur le président : nous allons débattre sur ce texte sans avoir l’avis du comité national d’éthique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Ma question est donc simple, monsieur le Premier ministre. Vous avez peur du peuple…

M. Patrick Balkany. Absolument !

M. Christian Jacob. …parce que vous n’osez pas le consulter par référendum. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Vous n’avez pas non plus le courage d’assumer vos choix, notamment sur la procréation médicalement assistée. Je vous demande donc de reporter l’examen de ce texte tant que nous n’aurons pas reçu l’avis du comité national d’éthique. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille. (Protestations et huées sur les bancs du groupe UMP.)

Allons, mes chers collègues ! C’est le Gouvernement qui choisit le ministre chargé de répondre, vous le savez fort bien.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. Monsieur le député, avant de parler de peur du peuple, je commencerai par vous rappeler que le peuple a besoin d’être respecté dans les urnes, et que les urnes ont parlé par deux fois (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP) : la première à l’occasion de l’élection présidentielle en donnant à François Hollande la possibilité de tenir les soixante engagements qu’il a présentés devant l’ensemble des Français (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ; la seconde lors des élections législatives, qui ont confirmé son choix. Et il est bon qu’un Président de la République tienne ses engagements !

Ensuite, la loi que nous allons discuter, je l’espère, en toute sérénité –vous pourrez en tout cas compter sur le Gouvernement et l’ensemble des députés de la majorité pour qu’il en soit ainsi –, porte sur le mariage et l’adoption ouverts aux couples de même sexe. Je ne vois pas l’intérêt d’introduire de la confusion dans le débat (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) en jouant sur des thèmes qui ne seront pas abordés, en jouant sur les peurs…

M. Philippe Meunier. Vous avez peur du peuple !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …pour essayer d’inquiéter nos concitoyens. Et puisque vous êtes si préoccupés par la crise, ne cherchez pas à alourdir un climat anxiogène sur lequel vous essayez de prospérer. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Enfin, les réformes de société ne sont pas incompatibles avec les réformes sociales. Sinon, en pleine reconstruction, après guerre, comment expliquer que le général de Gaulle ait pris l’initiative d’accorder le droit de vote aux femmes (Protestations sur les bancs du groupe UMP), comment expliquer qu’en 1974, en plein choc pétrolier, Simone Veil ait fait preuve du courage que l’on sait ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous remercie.

Mariage pour tous

M. le président. La parole est à M. Erwann Binet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe SRC.– Les députés des groupes SRC et écologiste se lèvent et applaudissent.)

M. le président. Écoutons notre collègue !

M. Erwann Binet. Monsieur le Premier ministre, à l’approche de ce moment historique qui va enfin permettre à tous les couples de bénéficier des mêmes droits…

M. Philippe Meunier. Et les droits des enfants ?

M. Erwann Binet. …et donc de la même protection par la loi, quelle que soit leur orientation sexuelle, il est important de rappeler les dizaines d’années de combat qui ont mené à cette dernière marche pour l’égalité de tous les couples et de toutes les familles.

Il y eut d’abord un premier pas avec les débats sur le statut des homosexuels, qui aboutit en 1982 à la dépénalisation totale de l’homosexualité, engagement de campagne du candidat François Mitterrand. Plus tard, en 1998, lors des débats précédant l’adoption du PACS, la droite avait exprimé une opposition frontale à la reconnaissance des couples homosexuels.

En 2012, pour la première fois, François Hollande, candidat à l’élection présidentielle, promet l’ouverture du mariage et de l’adoption à tous les couples. Aujourd’hui, la volonté politique du Gouvernement et de la majorité parlementaire est d’apporter sécurité juridique et protection à toutes les familles, à toutes les formes de famille.

Ces longs mois de débats, qui ont permis de sensibiliser tous les Français à cette question, ont fait naître des questionnements, voire de l’hostilité. Ces débats ont aussi fait ressurgir une violence, que l’on croyait marginalisée.

Mme Valérie Boyer. Oh !

M. Erwann Binet. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous éclairer sur les conséquences du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe pour les familles homoparentales ? Pouvez-vous également nous indiquer les mesures que le Gouvernement envisage de mettre en œuvre pour lutter contre l’intolérance et les discriminations dont font encore l’objet certains de nos concitoyens, du fait de leur orientation sexuelle ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le député Erwann Binet,…

M. Michel Herbillon. Pourquoi n’avoir pas répondu à M. Jacob ? (« Mépris ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …vous avez, à mon sens, très bien exposé, et en des termes simples, ce à quoi l’Assemblée nationale est invitée cet après-midi, c’est-à-dire à une nouvelle avancée vers plus d’égalité et de droits pour tous les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Oui, le mariage pour tous était en effet un engagement du Président de la République, précisément la proposition n° 31 de son programme électoral. Cette proposition a donné lieu à un large débat dans la société…

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !

M. Philippe Meunier. Menteur !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …au cours duquel des opinions contraires se sont exprimées. Nous sommes dans une république, où les questions de cette nature provoquent légitimement une discussion et un débat. Mais nous sommes aussi dans une République où le suffrage universel donne mandat aux députés pour trancher et décider. C’est ce que vous allez faire à partir de cet après-midi, et je sais, mesdames et messieurs les députés, que vous le ferez avec la dignité et la sérénité qui conviennent.

Quand on considère notre histoire, on s’aperçoit qu’à chaque fois que nous avons fait progresser l’égalité dans notre pays…

M. Philippe Meunier. Ce n’est pas un progrès !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …nous avons provoqué des résistances, des craintes ou des inquiétudes. Pourquoi pas ? Elles ont bien le droit de s’exprimer ! Mais, une fois que ces lois ont été votées, elles ont été considérées, bien au-delà de ceux qui les avaient votées, comme une vraie avancée, partagée par toutes et tous, et comme un acquis de la société française. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

M. Jean-Luc Reitzer. Vous n’êtes pas les seuls !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Il en va de même avec le projet de loi sur le mariage pour tous qui, en définitive, prend en compte l’évolution de la famille. Ce sont des dizaines de milliers de personnes qui vivent aujourd’hui au sein de couples ou de familles homoparentales : des milliers de parents et d’enfants. Par ce projet de loi, que le Gouvernement a adopté et vous soumet, vous allez pouvoir renforcer les droits des parents et ceux des enfants !

M. Jacques Myard. C’est faux !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Nous n’allons pas affaiblir l’institution du mariage, mais l’élargir et la renforcer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Je voudrais, pour finir, m’adresser à Mmes et MM les députés de l’opposition.

M. Julien Aubert. Alors regardez-nous !

Plusieurs députés du groupe UMP. Oui ! Regardez-nous !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Vous avez parfaitement le droit d’être en désaccord avec nous. Mais rappelez-vous le débat que nous avons eu, ici même, il y a quinze ans, au sujet du PACS. Cela n’a pas été facile et des interrogations similaires ont été posées. Eh bien, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, combien d’entre vous m’ont dit, quelques années après avoir voté contre ce texte,…

M. Christian Jacob. À vous, on ne dit rien !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. …qu’ils le considéraient finalement comme une avancée et que nous avions eu raison de le faire voter ?

Mesdames et messieurs les députés de l’opposition, je prends le pari que demain, beaucoup d’entre vous viendront me dire : « Oui, c’est une avancée, et vous avez bien fait ! ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Je fais pleinement confiance à la majorité et je suis certain que, même au-delà de ses rangs, à la fin du débat, une large majorité de parlementaires adoptera cette réforme, qui garantit l’égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi les droits des homosexuels. La société française et la République française pourront en être fières ! (Les députés des groupes SRC et écologiste se lèvent et applaudissent.)

Mutation des fonctionnaires en outre-mer

M. le président. La parole est à M. Thierry Robert, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Thierry Robert. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le Premier ministre, et j’y associe mon collègue Ary Chalus, de Guadeloupe. |

Je veux vous faire part, monsieur le Premier ministre, du profond désarroi qu’éprouvent tous les fonctionnaires originaires de la France d’outre-mer face aux nombreuses difficultés qu’ils rencontrent quand ils formulent une demande de mutation.

En effet, le système de mutation actuel est gangrené par l’opacité et par de nombreuses incohérences, qui mettent à mal l’équité républicaine. Est-il normal, par exemple, qu’après des années de mission en France hexagonale, des fonctionnaires ultramarins doivent attendre dix, quinze, voire vingt-cinq ans, pour voir leur demande de mutation enfin acceptée ?

Monsieur le Premier ministre, ces femmes et ces hommes remplissent leur mission avec le sens du devoir et font preuve de bonne volonté. Je pense, par exemple, aux gardiens de la paix, qui sont au nombre de 2 500, dont 1 800 pour la seule région Île-de-France. Il est bien légitime qu’après plusieurs années, ils aspirent à revenir au « pays » pour poursuivre leur mission, tout en investissant pour leur avenir et celui de leur famille.

Les fonctionnaires ultramarins ne demandent pas à être favorisés, mais ils aspirent à retrouver un dispositif qui permette une mobilité équitable entre les fonctionnaires originaires des territoires d’outre-mer et ceux de la France hexagonale, ainsi qu’une prise en compte humaine du travail accompli pendant des années par celles et ceux qui demandent à retourner dans leur terre natale.

Monsieur le Premier ministre, il vous faudra de la volonté politique pour réformer ce système et résoudre le problème que constitue la mobilité de tous les fonctionnaires ultramarins. Ce travail doit se faire dans un cadre interministériel, avec un agenda politique clairement défini.

Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour que le changement ait bien lieu maintenant, c’est-à-dire pour que l’évaluation des demandes de mutation se fasse de manière plus équitable, plus humaine et plus transparente ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la décentralisation.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation. Monsieur le député Thierry Robert, le statut général des fonctionnaires de l’État s’attache à concilier, en matière d’affectation sur un emploi, l’intérêt du service et les intérêts légitimes des agents.

La loi du 11 janvier 1984 précise que les affectations sont prononcées en fonction notamment des emplois vacants. Elle crée une priorité de mutation en faveur des fonctionnaires séparés, pour des raisons professionnelles, de leur conjoint ou du partenaire avec lequel ils ont signé un pacte civil de solidarité.

Dès lors qu’un emploi est vacant, il est pourvu en fonction d’un ordre de priorités. La situation familiale des fonctionnaires est le premier critère retenu ; les critères secondaires sont ceux retenus dans le cadre du dialogue social avec les organisations syndicales. La nécessité que l’emploi soit vacant fait que toutes les demandes d’affectation ou de mutation ne peuvent pas aboutir dans les délais espérés par les fonctionnaires.

M. Bernard Accoyer. Passionnant !

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Pour l’outre-mer s’ajoute une difficulté liée au nombre réduit de mouvements sur le périmètre limité des postes disponibles.

Si les possibilités de mutation se révélaient insuffisantes, la loi permet au fonctionnaire de métropole ou d’outre-mer ne parvenant pas à obtenir dans son corps d’appartenance l’affectation demandée pour maintenir l’unité de sa famille, de solliciter en priorité, en fonction de l’intérêt du service d’accueil et des postes vacants, un détachement ou une mise à disposition dans une autre administration, susceptible de lui offrir un emploi de niveau équivalent. Favoriser les mobilités au sein des trois versants de la fonction publique est un des objectifs du Gouvernement. C’est une démarche de modernisation de l’action publique.

Restructuration de la filière automobile

M. le président. La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Patrice Carvalho. Monsieur le Premier ministre, je me réjouis tout d’abord que la cour d’appel de Paris ait décidé de suspendre le plan de restructuration chez PSA.

Mais, après Peugeot, c’est au tour de Renault de tailler dans ses effectifs à hauteur de 7 500 postes, soit 17 % du total des salariés.

M. Jean-Luc Reitzer. On en parle enfin !

M. Patrice Carvalho. Pour faire passer la pilule, on nous sert le refrain connu : pas de licenciements, mais des départs en retraites anticipés, des mutations, des départs volontaires.

Soyons clairs : les décisions de Peugeot et de Renault signifient la suppression de 19 000 emplois industriels. Bonjour le redressement productif !

L’arrogance patronale atteint des sommets. Renault ne se contente pas de sabrer les emplois ; il y ajoute le chantage en demandant aux salariés de travailler plus sans gagner plus, à défaut de quoi deux sites seraient fermés. Dans ma circonscription, c’est ainsi qu’au final Continental a mis la clé sous la porte. Chez Peugeot, c’est le retour aux méthodes de Citroën de sinistre mémoire.

Tout cela incite à la réflexion car ce que fait Renault n’est rien d’autre qu’une anticipation de l’accord conclu entre le MEDEF et trois syndicats sur ce qu’ils appellent avec cynisme la « sécurisation de l’emploi ». Cet accord précise « qu’en cas de difficultés conjoncturelles », les entreprises pourront imposer à leurs salariés une baisse de leurs salaires, une hausse ou une diminution de la durée du travail, ou des mutations qu’il ne sera pas possible de refuser, sinon ce sera la porte.

Eh bien voilà, Renault est passé aux travaux pratiques !

Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré vouloir transcrire le texte de l’accord en l’état. Vous en connaissez d’avance le résultat.

Quand travaillerons-nous à une vraie sécurisation de l’emploi, à une législation contre les licenciements boursiers ? C’est ce que les salariés en lutte ont choisi de rappeler aujourd’hui même au chef de l’État.

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, vous nous interrogez sur la situation aussi bien chez PSA que chez Renault, puisque ces deux entreprises sont en difficulté - le ministre du redressement productif est mieux habilité que moi à en parler. Elles doivent être accompagnées de manière industrielle dans les restructurations nécessaires, et de manière sociale pour éviter que comme d’habitude, ce soit sur les salariés que repose le mécanisme d’adaptation de notre économie.

L’accord auquel vous faites allusion n’utilise pas le terme de « sécurisation de l’emploi » par cynisme, car c’est un terme qui a été utilisé par l’ensemble de la gauche avant même qu’il ne serve de titre à cet accord. Il a justement pour objet, et c’est en ce sens que le Gouvernement le retranscrira, d’éviter des situations telles que celles que vous décrivez.

Aujourd’hui, dans une entreprise comme PSA ou Renault, que se passe-t-il ? La direction décide unilatéralement, alors qu’une négociation est encore en cours, ce qui suscite des tensions dont on peut comprendre la réalité et la force.

Demain, après la mise en œuvre de cet accord, il faudra un accord majoritaire avec les organisations syndicales de l’entreprise. Le patron ne pourra plus imposer, il devra négocier les conditions de mise en œuvre des accords et de l’adaptation de son outil de travail. Et si la négociation ne réussit pas, l’État reviendra contrôler le contenu de l’accord et les causes de l’adaptation nécessaire, ainsi que ses modalités. L’État sera là comme recours et comme garant.

Le pouvoir aux travailleurs dans l’entreprise, et l’État garant, cela aboutira effectivement à plus de sécurité pour l’ensemble des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Réforme des rythmes scolaires

M. le président. La parole est à M. Christian Estrosi, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Christian Estrosi. Monsieur le président, ma question s’adresse au ministre de l’éducation nationale, mais je voudrais dire auparavant au Premier ministre que la plus élémentaire des courtoisies républicaines aurait pu le conduire, sur la réforme du mariage pour tous, à répondre autant à notre groupe qu’au groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le ministre de l’éducation nationale, malgré la mobilisation historique de toutes les écoles parisiennes, malgré nos avertissements solennels, vous avez décidé de faire paraître le décret concernant le projet de modification des rythmes scolaires le samedi 26 janvier dernier au Journal officiel.

Ce projet, je le rappelle, est rejeté par le Conseil supérieur de l’éducation, par le comité technique ministériel, par la Commission consultative d’évaluation des normes, par les enseignants et leurs syndicats, et un grand nombre de vos propres amis.

Vous avez adressé une lettre à tous les maires, dont j’ai été destinataire, et dans laquelle vous écrivez : « le succès de cette réforme repose notamment sur vous et sur la qualité du dialogue que les acteurs locaux sauront nouer au niveau territorial. »

Ce dialogue, je l’ai engagé au nom de la cinquième ville de France avec tous nos partenaires. Y ont participé 32 000 représentants de la communauté éducative, dont 800 enseignants sur 1 200. Ils ont été 80 % à dire non à votre réforme, non à la semaine des quatre jours et demi, non au changement des horaires actuels, non à l’allongement de la pause méridienne.

Monsieur le ministre de l’éducation nationale, alors que nous avons à faire des économies, au niveau de l’État et des collectivités locales, et que cette réforme représentera un coût considérable pour les dépenses publiques, pourquoi maintenir envers et contre tous, de manière idéologique, un projet qui n’apportera aucune réponse concrète au bénéfice des enfants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, je sais l’intérêt que vous portez aux enfants et aux élèves de France. Lorsque la formation des enseignants a été détruite dans ce pays, on ne vous a pas entendu. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Lorsque la semaine de quatre jours a été instaurée, exception française par rapport à tous les pays d’Europe, on ne vous a pas entendu. (Mêmes mouvements.)

Lorsque 80 000 postes ont été supprimés dans la fonction publique et l’enseignement, on ne vous a pas entendu. (Mêmes mouvements.)

M. Bernard Accoyer. Minable!

M. Vincent Peillon, ministre. Lorsque, conformément à la priorité de ce Gouvernement et à l’intérêt du pays, j’ai eu la semaine dernière le plaisir de présenter au Conseil des ministres une loi de programmation et d’orientation qui fait de l’école publique la priorité de ce pays, on ne vous entend pas plus, ni sur les 60 000 postes, ou la formation des enseignants.

On ne vous entend que sur la réforme des rythmes scolaires. Mon prédécesseur Luc Chatel, qui siège à vos côtés sur ces bancs, a mené pendant un an une consultation sur les rythmes scolaires.

M. Luc Chatel. Effectivement.

M. Vincent Peillon, ministre. Sa conclusion, soutenue par votre groupe, a été qu’il fallait revenir à la semaine de quatre jours et demi. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Il y a une immense distance entre un homme d’État et un politicien, entre un démocrate et un démagogue. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Votre façon de conduire l’action publique ne me convient pas, vous ne prendrez pas les enfants de France en otage de vos manœuvres politiciennes. Faire cette réforme, c’est l’intérêt de la France. (Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent.)

Restructuration de la filière automobile

M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Thierry Benoit. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. J’y associe le président Jean-Louis Borloo, François Sauvadet, Arnaud Richard ainsi que l’ensemble des députés du groupe UDI.

À l’heure où la cour d’appel de Paris vient de suspendre le plan social de PSA, et alors même que des négociations interviennent chez nos deux principaux constructeurs nationaux, le groupe UDI tient à vous alerter sur l’avenir de l’industrie automobile française.

Souvenons-nous ! La restructuration du groupe PSA et la fermeture de l’usine d’Aulnay annoncées l’été dernier étaient inacceptables selon le ministre du redressement productif. Vous aviez alors annoncé un grand plan de soutien au secteur automobile, principalement fondé sur le développement de la voiture électrique pour soutenir nos constructeurs. Le 15 janvier dernier, Renault annonçait à son tour la suppression de 7 500 postes.

Monsieur le Premier ministre, quelle vision a le Gouvernement de la réorganisation de l’industrie automobile en Europe et en France ? Notre industrie automobile est en profonde mutation. La production se rapproche progressivement des nouveaux marchés, en Asie et en Amérique latine, hors de nos frontières européennes. Votre plan de soutien à la filière automobile n’a pas contribué à rassurer nos constructeurs, puisqu’il n’empêche pas l’annonce de nouvelles suppressions de postes. L’urgence est aujourd’hui de dessiner un avenir pour plus de 2,5 millions de nos concitoyens salariés du secteur automobile.

Comment allez-vous accompagner l’indispensable réindustrialisation des sites automobiles français historiques, afin de permettre à la France de rester un grand pays industriel ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le député, le marché automobile français et européen enregistre des baisses comprises entre 13 et 22 %. À cette occasion, nous avons observé deux attitudes.

L’une surtout a consisté à retarder et même à dissimuler les annonces. (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP.) Nous avons été ainsi contraints de faire face à un plan extrêmement sévère, avec des milliers de licenciements. La filiale bancaire de PSA – puisque c’est de cette entreprise dont nous parlons – a même été en difficulté temporaire, au point que l’État a dû garantir sa liquidité à hauteur de 7 milliards d’euros. Aussi avons-nous demandé à la direction de PSA certaines contreparties.

Nous avons d’abord souhaité le reformatage du plan social : celui-ci est en cours de négociation, et des informations vous seront données lorsque le dialogue social aura abouti.

Nous avons aussi demandé des efforts pour la réindustrialisation des deux sites d’Aulnay et de Rennes faisant l’objet d’une fermeture. L’objectif que nous nous sommes fixé, avec les partenaires sociaux de PSA, est qu’il n’y ait personne de dirigé vers Pôle emploi. Cet objectif est difficile mais indispensable.

Nous avons également insisté pour que des mesures soient prises quant à la gouvernance. M. Louis Gallois a été nommé, au nom de l’État, administrateur indépendant. Les salariés sont entrés et entrent au conseil d’administration de PSA.

Enfin, nous avons demandé à PSA de cesser toute distribution de dividendes et de stock-options, toute mesure favorable aux dirigeants et de confort financier, aussi longtemps que l’entreprise bénéficiera de la garantie de l’État. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Il s’agit là de mesures conservatoires, mais nous veillons également à soutenir l’ensemble de la filière. Nous prenons en ce moment, avec l’ensemble des professionnels, des mesures de soutien à la sous-traitance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Politique familiale

M. le président. La parole est à Mme Françoise Guégot, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Mme Françoise Guégot. Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de dire que nous ne pouvons accepter l’outrance insultante de la réponse du ministre de l’éducation nationale à notre collègue Christian Estrosi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Laurence Dumont. Quel est votre bilan sur l’école ?

Mme Françoise Guégot. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

L’actualité parlementaire, monsieur le Premier ministre, mobilise toutes les attentions sur votre projet de loi relatif au mariage pour tous. C’est, sans aucun doute, une bonne technique pour faire passer sous silence les attaques que prépare une nouvelle fois votre gouvernement contre la famille. (Protestations sur quelques bancs du groupe SRC.) Vous avez, en effet, missionné le président du Haut conseil de la famille pour raboter les prestations familiales.

Vos intentions sont d’autant plus inquiétantes que vous êtes déjà passé aux actes dans le projet de loi de finances pour 2013, en baissant le plafond du quotient familial et en augmentant les prélèvements sur les emplois familiaux.

M. Serge Janquin. C’est faux !

Mme Françoise Guégot. Vous avez, il est vrai, revalorisé le RSA, mais pour ainsi dire oublié le SMIC.

Vous voulez aujourd’hui revoir les conditions de ressources pour l’attribution des prestations familiales et leur mode de revalorisation. C’est une certitude : votre politique consiste à assommer ces familles qui travaillent.

M. Alain Marsaud. Eh oui !

M. Christian Jacob. Très bien !

Mme Françoise Guégot. Votre majorité se gargarise du principe d’égalité pour ouvrir le mariage aux personnes de même sexe,…

Un député du groupe SRC. Que c’est laborieux !

Mme Françoise Guégot. …mais elle est prête à revenir sur le principe d’universalité de la politique familiale. Vous prétendez défendre la famille, alors que vous allez une fois encore affaiblir le revenu de celles des classes moyennes.

Mme Laurence Dumont. Et votre bilan ?

Monsieur le Premier ministre, ma question est simple : quand cesserez-vous enfin cette entreprise de démolition programmée de la famille, pilier de notre société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. Madame la députée, ce n’est, que je sache, pas nous mais bien vous qui avez, pendant cinq ans, stigmatisé les familles (Protestations sur les bancs du groupe UMP) en allant même jusqu’à suspendre le versement des allocations (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)

Mme Claude Greff. Mais non !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …comme si cette mesure était une façon de répondre aux difficultés d’éducation que peuvent éprouver certaines familles !

M. Claude Goasguen. N’importe quoi !

M. Bernard Deflesselles. Répondez à la question !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Oui, nous avons un regard complètement différent sur la famille.

Mme Anne Grommerch. Nous sommes bien d’accord !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il s’agit de les aider dans leur fonction de parentalité et, suite à la conférence sociale qui s’est tenue contre la pauvreté, de les soutenir. En effet, notre vocation est aussi d’aider toutes ces familles monoparentales, en particulier les plus modestes, à bien éduquer leurs enfants, à leur donner accès aussi bien à une alimentation saine qu’à la santé, alors que vous comptez parmi vous des maires qui ont refusé à certains de ces enfants l’accès à la cantine scolaire. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Catherine Vautrin. C’est honteux de dire cela !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Oui, nous avons une politique familiale totalement différente (Mêmes mouvements), et le fait que le Haut conseil de la famille soit mandaté pour réfléchir sur la valeur du principe redistributif dans notre politique familiale est une très bonne chose. Vous le verrez à ses conclusions pertinentes.

Enfin, j’étais récemment à Berlin, où l’on regarde avec beaucoup d’intérêt la politique familiale que nous menons.

M. François Scellier. N’importe quoi !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. On nous l’envie ! J’irai même jusqu’à dire qu’on nous demande des conseils ! Nous sommes fiers de conduire cette politique familiale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Olivier Dassault et M. Lucien Degauchy. Zéro !

Mali

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Patricia Adam. Ma question s’adresse à M. le ministre de la défense que je remercie pour sa disponibilité vis-à-vis de la commission de la défense.

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est la moindre des choses !

Mme Patricia Adam. Les dernières informations qui nous proviennent du Mali montrent que l’opération Serval est sur le point de remplir l’objectif qui lui avait été fixé : libérer les villes du nord sur le fleuve Niger.

Quelques députés du groupe UMP. Attention à la suite…

Mme Patricia Adam. Cela ne signifie pas, bien sûr, que l’opération soit terminée. À cet égard, je souhaite vous poser plusieurs questions, mais je veux d’abord féliciter nos armées qui ont accompli, avec brio, leur mission sur le terrain. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Parce que la force de stabilisation africaine n’était pas encore prête, la France a dû intervenir en urgence avec le soutien politique unanime de la communauté internationale et le soutien opérationnel de nos partenaires européens.

Un député du groupe UMP. C’est faux.

Mme Patricia Adam. Que va-t-il se passer entre maintenant et le moment où la Mission internationale de soutien au Mali – la MISMA – sera opérationnelle ? Quel sera le rôle des forces françaises actuellement déployées et comment peuvent-elles aider à prévenir les débordements possibles, hélas ! contre les populations du Nord-Mali ?

Par ailleurs, la solution à tout conflit est avant tout politique. Le refus de traiter la question touareg a entraîné la marginalisation des forces politiques touareg traditionnelles par des extrémistes que nous connaissons. Il faut désormais parvenir à une issue politique sous l’égide de la CÉDAO et des Nations unies. Quelle sera l’attitude de la France à cet égard ?

Monsieur le ministre, la commission du Livre blanc de la défense – et sans en trahir ses conclusions – va remettre son rapport au Président de la République. Elle rappellera que l’Afrique est un continent stratégique pour toute l’Europe. Je formule le vœu qu’à l’issue de ces travaux, nos armées soient en mesure de remplir leurs missions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Madame la présidente Patricia Adam, le Président de la République a fixé trois objectifs à notre intervention au Mali.

Premièrement, stopper l’avancée des groupes terroristes et djihadistes vers le sud. Cela a été fait dès les premières heures – au prix de la mort du chef de bataillon Boiteux.

Deuxièmement, aider les forces maliennes à restaurer l’intégrité de leur territoire, en particulier en libérant les villes du nord. C’est en cours avec la chute de la ville symbolique de Gao et de la ville mythique de Tombouctou.

M. Guy Teissier. Grâce à la capacité de nos armées.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Troisièmement, permettre la mise en œuvre des résolutions des Nations unies, de la MISMA et de la force européenne d’accompagnement de l’armée malienne. C’est en cours puisque 3 000 militaires africains sont déjà sur le théâtre malien. Et en ce moment même, se tient à Addis-Abeba, en présence de Laurent Fabius, une réunion des donateurs pour aider la mise en place de cette force. Ces trois objectifs ont été possibles grâce à l’action de nos forces armées à qui je veux rendre un hommage tout particulier devant vous aujourd’hui. (Applaudissements sur tous les bancs.) Je voudrais souligner la lucidité tactique de leurs chefs pour la bonne mise en œuvre des différentes manœuvres qui ont mis au défi les groupes terroristes.

Madame la présidente de la commission de la défense, je voudrais vous dire deux choses. La première, c’est que les opérations ne sont pas terminées et qu’il nous fait poursuivre en accompagnant les forces africaines et maliennes jusqu’à ce qu’elles prennent le relais. La seconde, c’est que l’heure de la réconciliation au Mali est venue. Une feuille de route sera votée cet après-midi par l’Assemblée nationale malienne. Il importe que le processus de réconciliation et de dialogue aille jusqu’à son terme. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et plusieurs bancs du groupe GDR.)

Restructuration de la filière automobile

M. le président. La parole est à M. Alain Gest, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Alain Gest. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Alors que vous vous acharnez à faire voter un projet de loi que nos concitoyens jugent accessoire et qui les divise,…

Mme Annick Lepetit. Oh, ça va !

M. Alain Gest. … des milliers de salariés, dont l’emploi est menacé, sont dans la rue aujourd’hui même. Parmi eux, nombreux sont ceux qui travaillent dans la filière automobile.

M. Jean-Jacques Candelier. Gest est venu manifester ?

M. Alain Gest. C’est la raison pour laquelle je voudrais revenir sur le sujet qui a été évoqué par notre collègue de l’UDI. Comme tous les Français, monsieur le Premier ministre, ils s'interrogent sur la politique à géométrie variable de votre gouvernement.

Un jour, votre ministre du redressement productif emploie des propos insultants à l'égard du président de Peugeot.

M. Lucien Degauchy. Où est-il ?

M. Alain Gest. Désavoué par le rapport – qu’il avait lui-même commandé – de la mission Sartorius, il adopte un point de vue plus mesuré à l'annonce de l'accord de compétitivité attendu par Carlos Ghosn, PDG de Renault. Chez Good Year, à Amiens, dont la fermeture du site de 1 250 salariés pourrait être annoncée cette semaine, il indique suivre le dossier depuis bien longtemps. Mais qu'en est-il concrètement ?

Monsieur le Premier ministre, vous n'ignorez rien du secteur automobile, élément majeur de l'industrie française puisqu'il concerne 10 % de la population active. C’est la raison pour laquelle nous avions pris en compte la nécessité de rendre l'industrie automobile plus compétitive grâce à la TVA anti-délocalisation qui aurait eu un effet immédiat, en matière de baisse des charges, depuis le mois d'octobre si vous n'aviez pas décidé d'annuler cette mesure. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le Premier ministre, que va devenir le plan social de PSA, après la décision de la Cour d'appel de Paris d'en suspendre l'exécution pour des raisons de procédure ? Que répondez-vous aux salariés qui vous rappellent la promesse démagogique, faite à Amiens – la proposition 35 du candidat François Hollande – de légiférer pour dissuader les licenciements boursiers ? Quelle est donc la réalité de votre action (« Nulle ! » sur quelques bancs du groupe UMP)depuis l'annonce du plan en faveur de l’automobile ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le député, je ne crois pas qu’il soit raisonnable de confondre le dossier PSA et le dossier Renault.

Le dossier PSA a fait l’objet d’un retardement d’annonce et de décision qui a conduit des milliers de salariés à devoir être licenciés avec la fermeture d’un site industriel – Aulnay – et la fermeture d’une ligne de production à Rennes.

Dans le dossier Renault, alors que les deux constructeurs automobiles font face à la même chute de marché,…

M. Yves Albarello. Non.

M. Arnaud Montebourg, ministre. …la société Renault anticipe et organise en quelque sorte la discussion autour d’un certain nombre d’éléments que nous avons nous-mêmes, au Gouvernement, exigés :…

M. Jean-Luc Reitzer. Incroyable !

M. Arnaud Montebourg, ministre. …aucun licenciement, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs, aucun plan de départ volontaire, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs, aucune fermeture de site industriel, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs ; et que les dirigeants et actionnaires fassent quelque effort lorsqu’ils osent demander des efforts aux salariés, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Reitzer. C’est faux.

M. Arnaud Montebourg, ministre. Je voudrais ajouter que la différence entre ceux-ci et ceux-là, c’est que nous avons également demandé que Renault relocalise en France des productions qui s’étaient éloignées du pays…

M. Antoine Herth et M. Jean-Luc Reitzer. Lesquelles ?

M. Arnaud Montebourg, ministre. …de manière à renforcer la base industrielle sur le sol national. C’est exactement ce que les organisations syndicales, dans la négociation difficile qu’elles ont engagée, ont mis sur la table.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est faux.

M. Arnaud Montebourg, ministre. Nous voulons bien négocier, ont-elles dit, mais le préalable, c’est que vous remettiez des charges de véhicules à produire sur les usines françaises.

M. Jean-Luc Reitzer. C’est 25 % en France !

M. Arnaud Montebourg, ministre. Ce sont donc bien deux attitudes différentes. L’une d’elle est transparente, contractuelle, (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) coopérative. Qui plus est, nous avons la chance de pouvoir en discuter ici sans être surpris par un drame social. Anticiper, c’est mieux que subir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Luc Reitzer. Quelle mauvaise foi !

Redressement productif

M. le président. La parole est à M. William Dumas, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. William Dumas. Ma question s’adresse à M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.

Monsieur le ministre, depuis plusieurs années, la France subit un processus de désindustrialisation : chute de 40 % de nos parts de marchés et déficit commercial de 70 milliards d’euros en 2011. En dix ans, notre industrie a perdu 740 000 emplois, alors que sa part dans le PIB fondait de 30 %. Ce décrochage industriel est considérable.

Toutes et tous, dans nos circonscriptions, nous constatons les dégâts et nous mesurons les conséquences désastreuses des années UMP. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) L’immobilisme sur le front industriel a coûté cher.

Chez moi, dans le bassin cévenol, les entreprises les plus touchées sont Jallatte à Saint-Hippolyte-du-Fort, fabricant de chaussures françaises de sécurité, et Shelbox, fabricant de mobil homes aux Salles-du-Gardon. Nous avons déjà subi durement la crise avec la fermeture de l’entreprise Richard-Ducros à Alès, soit 228 emplois sacrifiés.

Monsieur le ministre, nous sommes fiers de constater qu’avec le Gouvernement, le volontarisme est de retour. Pacte de compétitivité, plan de relocalisation, proposition de loi sur les reprises de sites : notre majorité de gauche se donne les moyens de reconstruire une ambition industrielle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Je sais, pour être au cœur d’un territoire historiquement marqué par l’industrie, que nous avons les talents, les atouts et les formations qui peuvent avoir un impact sur le potentiel de croissance des industries en France.

D’ailleurs, permettez moi de vous offrir des chaussures de sécurité, venues tout droit de Jallatte, qui compléteront votre tenue « made in France ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Vautrin. N’importe quoi !

M. William Dumas. Cette paire est le symbole de notre créativité et de notre richesse industrielle que nous devons sauvegarder et développer.

En conséquence, monsieur le ministre, je vous demande quelles sont les perspectives que nous pouvons envisager pour le maintien des outils de productions et des emplois industriels sur notre territoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe RRDP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif… bien chaussé (Sourires.)

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le député William Dumas, la politique industrielle du Gouvernement marche sur deux jambes (Rires sur les bancs du groupe UMP.) : l’une pour se défendre, l’autre pour avancer.

Se défendre, c’est le travail que font sur tous les territoires – et pas seulement dans le vôtre, le département du Gard – l’ensemble des partenaires organisés autour du soutien des entreprises qui connaissent des difficultés ; et je puis témoigner que, sur tous ces bancs, le secours aujourd’hui demandé est obtenu.

Dans les 312 dossiers traités par les commissaires au redressement productif et par le Comité interministériel de restructuration industrielle, 51 882 emplois étaient menacés et 42 447 sont préservés. Il y a trop de pertes d’emplois ; mais je puis attester que dans ces dossiers, les outils industriels sont préservés.

L’objectif est que nous résistions sur le plan économique, même si parfois nous ne pouvons pas préserver l’ensemble des emplois.

L’autre jambe, c’est avancer. Les grands programmes de renouveau industriel ont été évoqués tout à l’heure avec l’automobile. Nous avons mis le cap, avec la filière automobile – les constructeurs et les équipementiers –, sur le véhicule 2 litres, et nous soutenons le « zéro émission ».

Dans le ferroviaire, nous avons mis le cap sur le TGV du futur, et nous avons demandé, avec M. le ministre des transports, Frédéric Cuvillier, qu’en contrepartie des commandes que nous mettons sur la table, la SNCF sorte en 2018 le TGV du futur, plus rapide, plus compétitif, qui transporte plus de monde et qui s’arrête plus souvent. (Exclamations sur quelques bancs des groupes UDI et UMP.) C’est comme cela que la compétitivité gagnera l’ensemble de l’industrie française !

Mais la bataille pour le renouveau industriel, c’est aussi la bataille culturelle du « made in France », pour les consommateurs comme pour les producteurs, pour les grandes entreprises comme pour les petites – et pour nous tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nominations

M. le président. La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Sébastien Huyghe. Monsieur le Premier ministre, le 16 janvier dernier, le Conseil des ministres a promu au rang de préfet hors cadre, chargé d’une mission de service public, un conseiller du ministre de l’intérieur et le chef de cabinet du Président de la République. Cette catégorie de préfet n’étant accessible qu’à sept personnes, et ces postes étant déjà occupés, votre gouvernement a fait le choix de destituer deux préfets précédemment nommés. Aucun pouvoir n’avait jamais procédé ainsi pour faire de la place ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Quelques jours plus tôt, vous avez proposé la nomination de Jack Lang à la présidence de l’Institut du monde arabe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Vous vous apprêtez par ailleurs à imposer Mme Anne Lauvergeon, ancienne conseillère de François Mitterrand, à la tête d’EADS. (Mêmes mouvements.)

D’autre part, vous nommez l’ancien directeur de cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, M. Olivier Schrameck, à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et SRC.)

À l’évocation de ces quelques exemples, il me revient en mémoire les perpétuelles leçons de morale que l’opposition d’hier et son candidat à la présidentielle ne cessaient d’adresser au précédent gouvernement.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Sébastien Huyghe. Il me revient en mémoire ces discours enflammés d’un François Hollande fustigeant les nominations de complaisance et jurant ses grands dieux que, lui Président, il serait irréprochable sur ce point.

M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !

M. Sébastien Huyghe. Il me revient en mémoire, enfin, ces mots du candidat socialiste : « Pour les nominations à la tête des grandes institutions, l’opposition sera directement associée, impliquée. Ce sera avec l’opposition que nous nommerons ces personnalités ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Ces discours électoralistes paraissent bien loin aujourd’hui. Vos décisions semblent davantage motivées par une chasse aux sorcières des nommés d’hier, et par votre volonté de réinstaurer l’État PS des années Mitterrand. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur le Premier ministre, quand cesserez-vous les nominations politiques et arbitraires pour en revenir à l’État impartial ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, les exemples que vous avez cités sont naturellement choisis ; mais si vous aviez fait une présentation un peu plus objective, vous auriez pu, pour nuancer la question – même si ce n’est pas votre style –, évoquer la nomination comme dirigeant d’Aéroports de Paris de M. de Romanet, dont je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que c’était une nomination politique ; et j’aurais pu donner d’autres exemples. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Donnez-les !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Concernant la nomination de M. Schrameck, dont vous estimez qu’elle est politique, je pourrais vous rétorquer que lorsque vous étiez aux responsabilités, vous-mêmes avez jugé qu’il était un serviteur de l’État impartial – impartial lorsqu’il fut ambassadeur de France, impartial lorsqu’il exerça de hautes responsabilités au Conseil d’État, et surtout impartial lorsqu’il fit partie de la Commission Balladur, où vous l’aviez vous-mêmes nommé pour donner son appréciation sur le meilleur fonctionnement de nos institutions !

La démarche du Gouvernement en l’espèce est de systématiquement nommer dans les emplois publics les meilleurs hommes ou les meilleures femmes. Nous souhaitons d’ailleurs qu’à l’avenir, comme cela a déjà été fait, les commissions compétentes puissent se prononcer.

Je dois dire d’ailleurs que, pour certaines des nominations que vous venez d’évoquer, il faudrait que l’opposition se coordonne car, lorsque certaines de ces nominations ont été examinées par les commissions compétentes, vous vous êtes abstenus ou parfois même avez voté pour. Il y a donc un vrai problème de coordination : si vos votes sont apparus favorables en commission, c’est bien qu’ils l’étaient !

M. Bernard Roman. Vous l’avez voulu !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. J’ajoute, car vous avez omis de le rappeler, et je vous comprends, que lorsqu’on appartient au parti qui a décidé de nommer directement les présidents des chaînes parlementaires, on ne vient pas donner des leçons de démocratie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Cyclones à Wallis et en Nouvelle-Calédonie

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Gomes. Monsieur le Premier ministre, dans la nuit du 15 décembre dernier, le cyclone Evan a frappé durement l’île de Wallis. Près de 300 habitations ont été inondées, ce qui correspondrait à 12 000 habitations dans un département métropolitain moyen. Les cultures ont été dévastées, 90 % du réseau électrique a été endommagé, ainsi que 80 % du réseau téléphonique.

M. Jean-Luc Reitzer. Il faut enterrer les lignes !

M. Philippe Gomes. Les 2 et 3 janvier, ce fut le tour de la Nouvelle-Calédonie d’être frappée par Freda qui, même s’il s’est transformé en dépression tropicale forte lorsqu’il a atteint nos côtes, a causé des dégâts considérables. Deux jeunes y ont laissé la vie, des familles entières ont tout perdu en quelques minutes du fait de l’inondation de leur habitation. Le réseau routier a été considérablement endommagé en raison de la violence des crues et des vents. Là aussi, les cultures ont été totalement dévastées. De nombreuses communes de la côte est de la Nouvelle-Calédonie sont aujourd’hui dans une situation difficile.

Le 3 janvier, le chef de l’État a indiqué, lors d’un entretien sur France Ô, que la République serait solidaire de ses territoires lointains et – je cite – et qu’elle leur apporterait toute l’aide nécessaire afin que les dégâts produits par ces cyclones soient réparés.

Monsieur le Premier ministre, considérez-vous que l’appareil d’État est suffisamment mobilisé aux plans local et national pour apporter l’aide nécessaire aux populations concernées ? Quelles sont les modalités de ces aides ainsi que les délais d’intervention ? J’appelle votre attention sur la nécessité d’une réponse efficiente, rapide et efficace aux attentes des populations et des collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des outre-mer.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le député, avant de vous donner une réponse précise, efficace et efficiente, comme vous me le demandez, permettez-moi d’apporter un complément de réponse, avec l’accord de Mme Escoffier, sur la question qu’a posée votre collègue Thierry Robert à l’instant, sur la mobilité et aux mutations des fonctionnaires.

Le Président de la République a annoncé, en présentant ses vœux le 3 janvier dernier, la nomination de M. Lebreton, élu de La Réunion, député en mission sur la question des mutations, de la mobilité et des affectations dans le respect de nos textes fondamentaux. La décision est sur le point d’être prise par le Premier ministre.

J’en viens à votre question sur les récents ouragans. La Nouvelle-Calédonie a effectivement été victime d’une dépression tropicale. Vous le savez, un rapport de Météo France sur l’évaluation des dégâts est nécessaire pour déclencher deux procédures. La première concerne les fonds de secours. Nous avons déjà reçu, il y a quelques jours, un rapport qui évalue les dégâts à 7,7 millions d’euros, soit 928 millions de francs Pacifique, dont 7 millions à peu près pour les équipements publics et 800 000 euros pour le secteur privé. Le fonds de secours sera donc activé très prochainement, les communes ayant mis une quinzaine de jours pour acheminer leurs rapports.

La seconde concerne la commission des catastrophes naturelles. En l’occurrence, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie, c’est le territoire qui est compétent pour déclencher la procédure de catastrophe naturelle.

Pour ce qui concerne Wallis-et-Futuna, je me suis rendu sur place : trois cents maisons ont été endommagées ainsi que les réseaux publics. 300 000 euros de fonds d’urgence ont déjà été mis à dispostion.

Chiffres de la délinquance

M. le président. La parole est à M. Damien Meslot, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Damien Meslot. Monsieur le Premier ministre, les derniers chiffres de la délinquance sont catastrophiques. Ils montrent une augmentation de 5,8 %, soit 15 000 victimes supplémentaires pour le seul mois de novembre dernier.

Les vols violents sur la voie publique ont augmenté de 8,9 %, les violences contre les personnes de 9 % et les infractions économiques et financières de 18 %.

Pour cacher ce triste bilan, vous avez d’abord tenté de remettre en cause les instruments de mesure de la délinquance et d’invoquer des erreurs statistiques. C’était pourtant le même outil utilisé sous Nicolas Sarkozy qui, entre 2002 et 2012, avait enregistré une baisse globale de la délinquance de 17 %.

Puis, vous avez annoncé une réforme de l’outil statistique de votre ministère. Quand les chiffres sont mauvais, vous tentez de changer le mode de calcul, afin de les rendre plus acceptables. C’est une honte et vous ne tromperez personne. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) C’est un écran de fumée qui vise à masquer la triste réalité des chiffres de la délinquance et le résultat désastreux de votre politique. Mais les Français ne sont pas dupes.

Chaque jour, les agressions se multiplient dans toute la France. Ce matin encore, dans mon département, en périphérie de Belfort, un supermarché a été braqué par des individus armés.

Le ministre de l’intérieur multiplie les déclarations musclées tandis que la ministre de la justice a instauré un climat d’impunité (Protestations sur les bancs du groupe SRC) et cherche à réhabiliter la culture de l’excuse et à saper l’autorité des forces de l’ordre.

Cette fois encore, vous allez tenter de nous expliquer que ce n’est pas de votre faute. Alors que les chiffres montrent une explosion de la délinquance, vous dites qu’il n’y a pas de problèmes d’insécurité dans notre pays. Mais il ne suffit pas de casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre.

Monsieur le Premier ministre, quelle politique comptez-vous mener pour rétablir l’ordre et la sécurité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Lucien Degauchy. Il est où, le ministre de l’intérieur ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du ministère de l’intérieur qui est précisément en déplacement dans une zone de sécurité prioritaire à Lille.

M. Lucien Degauchy. Avec quels résultats ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. La position du Gouvernement est très claire sur ce sujet difficile : les Français ont droit à la transparence et à la vérité sur l’état de la délinquance.

M. Bernard Deflesselles. C’est mal parti !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Pour la première fois, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales a annoncé seul les statistiques de l’année 2012. Vous le savez, il fallait mettre fin à certaines pratiques et à certains arrangements, notamment s’agissant des plaintes non enregistrées en fin de mois, c’est-à-dire à la pression sur les services pour fausser la réalité des chiffres.

Quand vous évoquez la nécessité ou l’opportunité de casser le thermomètre, j’entends cela comme une parole d’expert !

Ces chiffres, le Gouvernement les assume aujourd’hui. D’abord, nous constatons un résultat positif : la baisse des homicides depuis 1996.

M. Philippe Meunier. Tous les ans, on dit que cela baisse !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Mais ces chiffres ne doivent pas cacher l’aggravation de certaines formes de violence faites aux personnes.

Ce n’est pas nouveau, les violences ont augmenté de 27,1 % sur les dix dernières années. Deux phénomènes sont particulièrement inquiétants et touchent d’abord les femmes : l’augmentation des vols avec violence et celle des violences sexuelles. La politique de sécurité doit s’adapter aux mutations de la délinquance que révèlent les statistiques pour 2012.

M. Philippe Meunier. On voit le résultat !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Le ministre de l’intérieur a mis fin aux dérives de la politique du chiffre. C’est un devoir envers nos concitoyens. Le Gouvernement ne mène pas une politique du chiffre, mais une politique du résultat pour la sécurité des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Diversification énergétique

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Jean-Luc Laurent. Mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Les députés du groupe SRC son très attachés à une politique de l’énergie réaliste et innovante, garante de notre indépendance nationale et de notre compétitivité économique.

Réaliste, parce que nous défendons un mix énergétique large…

M. Philippe Meunier. Ça veut dire quoi ?

M. Jean-Luc Laurent. … qui inclut durablement une filière nucléaire modernisée et sécurisée.

Réaliste aussi, parce que la sobriété énergétique en fait naturellement partie.

Innovante, car la diversification oblige à développer fortement les filières renouvelables, comme la géothermie, l’éolien et le solaire. Oui, les énergies renouvelables ont leur place, aux côtés des énergies fossiles et nucléaires, dans le paysage énergétique, une place complémentaire. Et il faut bien se garder, mes chers collègues, de nourrir une guerre des énergies qui consisterait à diaboliser les nucléocrates d’un côté ou à ironiser sur le retour à la bougie de l’autre.

La relocalisation, la démondialisation, passent aussi par le développement des énergies renouvelables. Vous avez vous-même utilisé, madame la ministre, à ce propos, la jolie formule de « patriotisme écologique ».

Depuis plusieurs années, une filière comme le solaire photovoltaïque est particulièrement sous pression : face au développement de la demande en Europe, les acteurs chinois ont fait main basse sur le marché avec des investissements importants, dans des conditions de concurrence contestables, à tel point qu’elles font l’objet d’enquête de la Commission européenne pour déterminer l’ampleur du dumping. Face à cela, la réaction du Gouvernement précédent avait été inadaptée.

Madame la ministre, ma question est double. Quelles sont les mesures qui vont permettre de mettre en place une vraie filière industrielle d’avenir ? Quelles sont, au niveau européen, vos intentions pour la politique de l’énergie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, le patriotisme écologique, c’est faire en sorte que la transition énergétique soit une politique qui permette en même temps de contribuer à la sortie de crise, de faire que les Français vivent mieux, de rendre possible que chaque euro investi par les Français dans leur facture d’énergie participe à des créations d’emplois et à du développement industriel.

L’objectif fixé par le Président de la République est clairement, pour notre mix électrique, celui d’une complémentarité des énergies décarbonées entre le développement massif des énergies renouvelables et une part de nucléaire dont nous continuerons d’avoir besoin. Avec Arnaud Montebourg, nous réunissions d’ailleurs ce matin le comité stratégique de cette filière industrielle.

Pour les énergies renouvelables, nous avons pris des mesures d’urgence pour donner un coup d’arrêt aux destructions d’emplois liées aux revirements décidés par le précédent gouvernement, notamment dans le domaine du photovoltaïque. Nous avons dans ce secteur des entreprises françaises qui ont du savoir faire, qui ont des technologies de pointe, qu’il s’agisse du solaire à concentration, des trackers ou du photovoltaïque à haut rendement. Nous avons donc pris des mesures ciblées de soutien, dont un mécanisme de tarif de rachat avec une bonification qui est autorisé par l’article 314-7 du code de l’énergie : il permet de soutenir, avec un mécanisme de tarif de rachat supplémentaire, les panneaux créés ou assemblés dans l’Espace économique européen.

Vous avez raison d’évoquer l’enjeu européen : je recevrai la semaine prochaine le ministre allemand Peter Altmaier avec lequel nous conclurons un partenariat sur les énergies renouvelables. La France et l’Allemagne ont des mix énergétiques différents et ont fait souverainement des choix différents en matière de transition énergétique, mais elles ont aussi des stratégies communes à développer sur le plan industriel pour les énergies renouvelables. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Langues régionales

M. le président. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste

M. Paul Molac. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et j’y associe tous les députés de cet hémicycle qui lui ont déjà écrit à propos des langues régionales.

Le projet de loi sur la refondation de l’école ne fait aucune mention de leur enseignement. Comme de nombreux collègues et de nombreuses associations, je suis surpris et inquiet de ce manque de prise en compte.

L’enseignement des langues régionales concerne en France environ 300 000 élèves, dont plus de 70 000 suivent le modèle de l’enseignement bilingue français-langue régionale. Vous avez récemment déclaré que le sujet faisait consensus et qu’il échappait à la polémique. Les sondages montrent en effet que les Français y sont de plus en plus attachés, avec des pourcentages qui dépassent dans certaines régions les 80, voire les 90 % de soutien.

Pour autant, la simple volonté de faire appliquer auprès de certains inspecteurs ou recteurs les circulaires qui régissent l’enseignement des langues régionales relève parfois du parcours du combattant. Les réponses de vos conseillers aux questions écrites sur ce sujet sont exactement les mêmes que sous les gouvernements précédents. Je rappelle qu’en France, contrairement à presque tous les pays d’Europe, aucune loi ne donne de statut aux langues régionales : elles sont donc à la merci de tout recours au tribunal administratif et dans la plus grande insécurité juridique.

Monsieur le ministre, j’en appelle donc à votre clairvoyance. Toute absence dans votre projet de loi sera utilisée pour fragiliser l’enseignement des langues régionales et empêcher tout développement de celui-ci. L’élection d’une nouvelle majorité et la volonté du Président de la République de faire ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires devraient inciter le ministère à prendre toute la mesure de l’enseignement des langues régionales et à ne pas traiter cette question à la légère.

Comment comptez-vous sécuriser juridiquement l’enseignement des langues régionales au sein de l’école de la République dans laquelle elles ont toute leur place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, vous avez raison de dire que les langues régionales ont toute leur place. Elles sont d’ailleurs reconnues à l’article 75-1 de notre constitution, ce qui n’est pas rien. C’est ce qui explique que, sur ce sujet, il y a une continuité dans l’action du Gouvernement de la République entre la loi Jospin de 1989, qui reconnaît la nécessité d’enseigner ces langues régionales là où elles sont demandées et pratiquées, et la loi Fillon de 2005.

Un tel consensus est utile au développement de ces langues. Je voudrais d’ailleurs vous faire part d’un pourcentage qui permettra sans doute d’apaiser vos inquiétudes. En effet, parmi les 300 000 élèves que vous avez cités – 272 000 pour être exact –, il y a eu entre 2009-2010 et 2011-2012, soit en deux ans, 24 % de plus d’élèves qui se sont engagés dans la pratique des langues régionales. Il serait donc curieux de vouloir faire aujourd’hui de ce sujet un sujet de difficulté entre nous.

Mes orientations sont donc de trois ordres.

Premièrement, je suis prêt – je l’ai déjà dit – à ce que les conventions entre l’État et les régions, qui permettent de traiter ces sujets, soient étendues.

Deuxièmement, il est tout à fait important que la charte des langues régionales soit ratifiée, sachant qu’il y aura des conséquences, peut-être législatives, à prendre en compte.

Troisièmement, il est absolument nécessaire – j’y suis ouvert ainsi que je l’ai déclaré au Sénat – que le débat ait pleinement lieu lorsque s’ouvrira au mois de mars celui sur la loi d’orientation. Si nous pouvons avancer dans le sens de la pratique des langues régionales, portée par l’ensemble de la nation et reconnue par notre constitution, alors avançons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. le PRÉSIDENT. La séance des questions au Gouvernement est terminée.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Fixation de l’ordre du jour

M. le président. La Conférence des présidents, réunie ce matin, a arrêté les propositions d’ordre du jour suivantes pour la semaine du 18 février 2013 :

Projets de loi, organique et ordinaire, relatifs à l’élection des élus locaux et au calendrier électoral ;

Proposition de loi portant réforme de la biologie médicale.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

3

Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (nos 344, 628, 581).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jacques Myard. Elle est en vert parce qu’elle n’y croit pas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les députés, nous avons l’honneur et le privilège, Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille, et moi-même, de vous présenter, au nom du Gouvernement, un projet de loi traduisant l’engagement du Président de la République d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe.

S’agissant de l’état des personnes, ce sont donc principalement des dispositions du code civil relatives au mariage, à l’adoption et à l’attribution du nom de famille qui seront adaptées.

Dominique Bertinotti et moi-même avons tenu à participer activement, dans le respect des prérogatives des parlementaires, aux deux séances de la commission des lois, puisque, à la suite des modifications du règlement de l’Assemblée nationale, c’est sur le texte issu des travaux de la commission que nous allons débattre pendant ces deux semaines, week-ends compris.

Nous n’avons jamais sous-estimé l’importance de cette réforme. C’est pourquoi nous avons accueilli avec le plus grand respect toutes les personnes qui ont accepté d’être auditionnées. Nous savons à quel point les travaux de la commission sont utiles. Ils ont amélioré le texte, et les dispositions qui y ont été introduites seront présentées par vos rapporteurs.

Je voudrais m’arrêter un instant sur l’évolution du mariage, pour que nous comprenions mieux ce que nous sommes en train de faire.

Dans une maison qui aime tant à citer le doyen Jean Carbonnier, je ne vais pas déroger à la règle. En 1989, à l’occasion des travaux de réflexion sur le bicentenaire de la Révolution française, il définissait le mariage civil comme la « gloire cachée » de celle-ci. Il faisait évidemment allusion aux vifs débats qui ont accompagné l’instauration de ce mariage civil, sa dimension contractuelle, sa durée, c’est-à-dire la possibilité de divorcer. À cette époque, deux religions reconnaissent le divorce, la religion protestante et la religion juive, tandis que la religion catholique, majoritaire, déclare le mariage indissoluble. Le doyen Carbonnier considère donc que le constituant de 1791 a bien accompli une véritable révolution en instaurant le mariage civil. La sécularisation de ce mariage est ainsi consacrée dans la Constitution de 1791.

Le mariage civil porte l’empreinte de l’égalité. Il s’agit d’une véritable conquête fondatrice de la République, dans un mouvement général de laïcisation de la société.

Une telle conquête était importante essentiellement pour ceux qui étaient exclus du mariage à cette époque. Après la révocation de l’édit de tolérance, dit édit de Nantes, en 1685, les protestants ne pouvaient se marier qu’en procédant secrètement avec leurs pasteurs. Ils ne pouvaient pas constituer une famille et leurs enfants étaient considérés comme des bâtards. À partir de 1787, l’édit de tolérance autorise de nouveau les prêtres et les juges à prononcer ces mariages en tant qu’officiers de l’état-civil. Il y a donc une première ouverture, deux ans avant la Révolution, avec cette reconnaissance du pluralisme religieux et la possibilité d’inclure dans le mariage ceux qui en étaient exclus, à savoir les protestants et les juifs. Mais le mariage n’inclut encore que les croyants.

Il exclut aussi des professions, et notamment les comédiens, parce que la religion proclame qu’elle ne saurait reconnaître les pratiques infâmes des acteurs de théâtre. C’est d’ailleurs le comédien Talma qui va saisir la Constituante parce que le curé de Saint-Sulpice refuse de publier les bans de son mariage avec une « mondaine », comme on disait à l’époque. (Sourires.)

Les constituants décident donc d’instaurer un mariage civil et inscrivent dans l’article 7 du titre II de la Constitution de septembre 1791 que le mariage n’est que contractuel et que le pouvoir législatif établira pour tous les habitants, sans distinction, le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront constatés et désignera les officiers chargés de constater et d’enregistrer ces actes.

Le mariage civil permet d’inclure des croyants non catholiques, mais il est élargi à tous, c’est-à-dire que tous ceux qui souhaitent se marier peuvent disposer des mêmes droits et doivent respecter les mêmes obligations.

Cette conception du mariage civil, qui porte l’empreinte de l’égalité, est en fait essentiellement une liberté, parce que, dès l’instauration du mariage, le divorce sera également reconnu. Il est écrit dans l’exposé des motifs de la loi de 1792 que le divorce résulte d’une liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte. Puisque le mariage est la liberté des parties et non la sacralisation d’une volonté divine, cette liberté de se marier ne se conçoit qu’avec la liberté de divorcer, et, parce que le mariage va se détacher du sacrement qui l’avait précédé, il pourra représenter les valeurs républicaines et intégrer progressivement les évolutions de la société.

La meilleure manifestation de cette liberté s’exprime par l’article 146 du code civil, qui n’a pas changé depuis son origine, et selon lequel il n’y a pas de mariage sans consentement. Cet article établit donc la pleine liberté de l’un et de l’autre conjoint dans le mariage.

Si l’on se souvient que le mariage a d’abord été une union de patrimoines, d’héritages, de lignées, que l’on passait chez le notaire avant de passer chez le prêtre,…

M. Jacques Myard. Aujourd’hui encore !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …le fait de reconnaître la liberté de chacun des conjoints est un progrès considérable, aujourd’hui encore inscrit dans le code civil.

Le divorce va donc accompagner très vite le mariage. Il sera prohibé en 1816, dans une ambiance où les courants conservateurs sont dominants et où les libertés, notamment celles des femmes, sont en régression. Il sera rétabli en 1884 par la loi Naquet, là encore dans un mouvement général contraire de laïcisation de la société. L’évolution du mariage porte en effet très fortement la marque de la laïcité, de l’égalité et de la liberté telles que ces valeurs ont évolué dans notre droit et dans notre société (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR), dans une relation diachronique qui a connu parfois de très vives tensions.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas le sujet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est donc dans un mouvement de laïcisation de l’état-civil, des libertés individuelles, de la société en général que le divorce sera restauré en 1884. C’est en effet au cours de cette décennie que d’autres lois de liberté individuelle, telles que la loi sur la presse, les lois relatives à la liberté d’association ou à la liberté syndicale, et bientôt la loi de séparation des églises et de l’État, vont intervenir. Le divorce sera consolidé en 1975 par le rétablissement du consentement mutuel, qui était déjà reconnu en 1792, comme d’ailleurs l’incompatibilité d’humeur.

Le mariage, accompagné du divorce, reconnaît donc la liberté, y compris celle de ne pas se marier, et c’est la raison pour laquelle la loi reconnaît les familles en dehors du mariage et va progressivement reconnaître les enfants de ces familles. Le mariage, qui a réussi à se détacher du sacrement, va en effet se détacher également d’un ordre social fondé sur une conception patriarcale de la société (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), conception qui fait du mari et du père le propriétaire, le possesseur du patrimoine, bien entendu, mais aussi de l’épouse et des enfants.

Cette évolution du mariage et du divorce, qui permettra dorénavant aux couples de choisir librement l’organisation de leur vie, sera inscrite dans la loi parce que, depuis deux siècles, l’institution du mariage connaît une évolution vers l’égalité, et c’est bien ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui : parachever l’évolution vers l’égalité de cette institution…

Plusieurs députés du groupe UMP. Rien à voir !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … née avec la laïcisation de la société et du mariage. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Cette évolution va concerner d’abord les femmes, avec la suppression de la référence au chef de famille, la reconnaissance de la communauté de vie, la loi de 1970 puis celle de 1975, qui va réintroduire le consentement mutuel. La reconnaissance des droits des femmes sera inscrite progressivement dans la loi. L’année 1970, c’était il y a à peine une quarantaine d’années, c’est-à-dire que vivent encore aujourd’hui des femmes qui ont eu besoin de l’autorisation de leur époux pour ouvrir un compte bancaire, souscrire un contrat, disposer de leur salaire et donc être reconnue comme sujet de droit. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Hors sujet !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette évolution vers l’égalité, qui va moderniser notre institution du mariage en reconnaissant la femme comme sujet de droit, va reconnaître aussi progressivement les droits des enfants. Par la loi de 1972, le législateur cessera d’établir une différence entre les enfants légitimes et les enfants naturels. Il procédera donc à une refonte de la filiation, de façon à reconnaître une égalité des droits pour les enfants, que leur filiation soit légitime ou naturelle.

En 2000, c’est un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’arrêt Mazurek, qui contraindra la France à mettre un terme aux discriminations imposées aux enfants adultérins, et c’est seulement par une ordonnance de 2005, ratifiée par une loi de 2009, que les notions d’enfant légitime et d’enfant naturel vont disparaître de notre code civil. L’enfant devient donc également un sujet de droit.

En vous présentant aujourd’hui ce projet de loi, qui contient des dispositions ouvrant le mariage et l’adoption à droit constant aux couples homosexuels, le Gouvernement choisit de permettre aux couples de même sexe d’entrer dans cette institution et de composer une famille comme les couples hétérosexuels, soit par une union de fait, que l’on appelle le concubinage, soit par un contrat, le PACS, soit par le mariage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

C’est bien cette institution que le Gouvernement a décidé d’ouvrir aux couples de même sexe.

M. Jacques Myard. Il a tort !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est un acte d’égalité. (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Marc Laffineur. Et l’enfant ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit du mariage tel qu’il est institué actuellement dans notre code civil. Il ne s’agit pas d’un mariage au rabais, il ne s’agit pas d’une union civile…

M. Jean-Luc Reitzer. C’est dommage !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …prétendument aménagée. Il ne s’agit pas non plus d’une ruse, d’une entourloupe (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP.), il s’agit du mariage en tant que contrat entre deux personnes (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR), en tant qu’institution produisant des règles d’ordre public.

Oui, c’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, que le Gouvernement ouvre aux couples de même sexe, dans les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits, les mêmes prohibitions, sur l’inceste, sur la polygamie, avec les mêmes obligations d’assistance, de fidélité (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP), de respect, instaurées par la loi de 2006, avec les mêmes obligations pour chaque conjoint vis-à-vis l’un de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents et des parents vis-à-vis de leurs enfants.

Oui, c’est bien ce mariage que nous ouvrons aux couples de même sexe. Que l’on nous explique pourquoi deux personnes qui se sont rencontrées, qui se sont aimées (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Lucien Degauchy. On va pleurer !

M. Philippe Meunier. Sortez les violons !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …qui ont vieilli ensemble devraient consentir à la précarité, à une fragilité, voire à une injustice, du seul fait que la loi ne leur reconnaît pas les mêmes droits qu’à un autre couple aussi stable qui a choisi de construire sa vie.

M. Yves Fromion. Il faut supprimer le divorce, dans ce cas !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qu’est-ce que le mariage homosexuel va enlever aux couples hétérosexuels ? (« Rien ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur de nombreux bancs du groupes UMP.) S’il n’enlève rien, nous allons oser poser des mots sur des sentiments et des comportements. Nous allons oser parler de mensonges à l’occasion de cette campagne de panique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), sur la pseudo-suppression des mots de « père » et de « mère » du code civil et du livret de famille. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Meunier. Scandaleux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous posons les mots et nous parlons d’hypocrisie pour ceux qui refusent de voir ces familles homoparentales et ces enfants, exposés aux aléas de la vie. Nous posons les mots et nous parlons d’égoïsme pour ceux qui s’imaginent qu’une institution de la République pourrait être réservée à une catégorie de citoyens. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. - Protestations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Un député du groupe UMP. C’est ce qui s’appelle un amalgame !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous disons que le mariage ouvert aux couples de même sexe illustre bien la devise de la République. Il illustre la liberté de se choisir, la liberté de décider de vivre ensemble.

M. Yves Fromion. Et la liberté des enfants d’avoir un père et une mère ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous proclamons par ce texte l’égalité de tous les couples, de toutes les familles.

M. Pierre Lequiller. Et les enfants ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Enfin, nous disons aussi qu’il y a dans cet acte une démarche de fraternité, parce qu’aucune différence ne peut servir de prétexte à des discriminations d’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. S’il vous plaît, chers collègues ! Écoutez les arguments de Mme la garde des sceaux. Vous aurez l’occasion de vous exprimer par la suite.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au nom d’un prétendu droit à l’enfant (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Yves Fromion. Ce n’est pas un « prétendu » droit !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …qui n’existe pas, vous protestez parce que le mariage et l’adoption sont ouverts aux couples de même sexe dans exactement les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.) Autrement dit, ou bien vous nous affirmez que les couples hétérosexuels ont un droit à l’enfant…

M. André Schneider. Ils les font !

M. Yves Fromion. C’est le droit naturel !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …inscrit dans le code civil, ou bien ce droit à l’enfant n’existe pas – et de fait il n’existe pas – et les couples homosexuels auront le droit d’adopter dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Au nom d’un prétendu droit à l’enfant (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),

M. André Schneider. Arrêtez avec votre « prétendu » !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …vous refusez des droits à des enfants que vous choisissez de ne pas voir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Le texte que nous vous présentons n’a rien de contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant.

M. Hervé Mariton. Si !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au contraire, il protège des enfants que vous refusez de voir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Les couples homosexuels pourront adopter dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels,…

M. Xavier Breton. La condition d’être père et mère ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …selon les mêmes procédures : l’agrément sera accordé dans les mêmes conditions par les conseils généraux, l’adoption prononcée dans les mêmes conditions par le juge, conformément à l’article 353 du code civil,…

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas trop démontré !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …qui dispose que l’adoption est prononcée si elle est conforme aux droits de l’enfant. Par conséquent, vos objections n’ont pas de fondement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), si ce n’est une réelle difficulté à inclure dans vos représentations la légitimité de ces couples de même sexe. Or vos enfants et petits-enfants les incluent déjà et les incluront de plus en plus. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.) Et vous serez bien mal à l’aise lorsque, par curiosité, ils liront les comptes rendus de nos débats ! (Mêmes mouvements. –Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Nous avons donc décidé d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Le mariage, comme je l’ai montré références historiques et juridiques à l’appui, a été une institution de propriété puisqu’il a d’abord servi à marier des patrimoines, des héritages et des lignées.

M. Yves Fromion. Vous réécrivez l’histoire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a été une institution de possession puisque le mari et père avait une autorité absolue sur l’épouse et les enfants. Il a été une institution d’exclusion, nous l’avons vu : le mariage civil a mis un terme à l’exclusion des croyants non catholiques et de certaines professions, donc de toute une série de citoyens. Ce mariage, qui a été une institution d’exclusion, va enfin devenir, par l’inclusion des couples de même sexe, une institution universelle. Enfin, le mariage devient une institution universelle !

Vous pouvez continuer à refuser de voir, à refuser de regarder autour de vous, à refuser de tolérer la présence, y compris près de vous, y compris, peut-être, dans vos familles, de couples homosexuels. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Schneider. C’est quoi, le débat, pour vous ?

M. Claude Bartolone. S’il vous plaît !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous pouvez conserver le regard obstinément rivé sur le passé (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

M. Philippe Meunier. C’est vous qui êtes dépassés !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …et encore, en regardant bien le passé, y trouverez-vous des traces durables de la reconnaissance officielle, y compris par l’Église, de couples homosexuels. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Vous avez choisi de protester contre la reconnaissance des droits de ces couples ; c’est votre affaire. Nous, nous sommes fiers de ce que nous faisons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

M. Lucien Degauchy. Ah oui, il y a de quoi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous en sommes si fiers que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gontran Damas : l’acte que nous allons accomplir est « beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales ». Il est « grand comme un besoin de changer d’air ».

Plusieurs députés du groupe UMP. Ridicule ! C’est à pleurer !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est « fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue ». (Les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent longuement. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Laurence Dumont. Une grande ministre pour une grande cause !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, les débats sociétaux ont été nombreux au sein de cet hémicycle : les uns anticipateurs, les autres accompagnateurs des évolutions de la société.

En effet, il est des temps où la représentation parlementaire a la possibilité de voter des lois qui devancent l’évolution de la société civile et résolvent des problèmes avant qu’ils ne se posent de manière conflictuelle. Mais il est d’autres temps où la représentation parlementaire a la possibilité de voter une loi qui accompagne l’évolution, dans le meilleur des cas sans trop de retard, en prenant acte d’un état des mentalités et des mœurs qui impose une nouvelle législation. Nous sommes précisément à ce moment-là. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Oui, cette réforme visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe est une avancée égalitaire.

Un député du groupe UMP. Un recul !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il n’est pas si loin, le temps où les homosexuels étaient stigmatisés,…

M. Philippe Meunier. Hors sujet !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …passibles d’une peine délictuelle jusqu’en 1982 en France. Il a fallu attendre 1990 pour que l’OMS retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales. On vient de loin dans le rejet et la discrimination qui ont engendré bien des souffrances inutiles, aussi bien pour les homosexuels que pour leurs familles.

M. Yves Fromion. Personne ne le conteste !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ils nous l’ont dit lors des auditions, et je cite : « Mon homosexualité n’est pas le souci, c’est l’image de moi et de ma vie qu’on me renvoie et qui me blesse. »

Comme femme, comme femme de gauche, comme citoyenne, comme ancienne élue de la République, je ne peux admettre qu’au nom de leur orientation sexuelle, d’autres citoyens ou citoyennes puissent être entravés par la peur, la culpabilité, subir les injures, le rejet, l’intimidation ou éprouver le dégoût de soi, la solitude morale et physique, d’autant plus quand il leur est demandé de choisir entre leur sexualité et leur famille.

La République doit retrouver sa vocation universelle et, en particulier, celle de l’universelle dignité humaine. Plus personne ne doit être clandestin dans sa famille, clandestin dans la société, clandestin dans la République.

M. Hervé Mariton. Cela n’a rien à voir !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Le regard de la société a commencé à changer, mais encore trop timidement : seule une loi d’égalité peut le transformer radicalement. Comme on lutte contre le sexisme, comme on lutte contre le racisme, comme il nous faut encore lutter contre l’homophobie, cette réforme visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe s’inscrit dans la lignée des lois luttant contre toute forme de discrimination.

M. Hervé Mariton. C’est faux !

Mme Laurence Dumont. C’est vrai !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Elle est ainsi utile à l’ensemble de la société.

Un député du groupe UMP. Fossoyeurs !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Cette loi est également utile, parce qu’elle nous oblige, nous et la société française, à regarder en toute objectivité la réalité des familles d’aujourd’hui. Comme ministre de la famille, comme ministre de toutes les familles, je vous invite à faire ce constat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

La généralisation du travail des femmes, la meilleure maîtrise de la contraception, la création et le perfectionnement des techniques d’assistance médicale à la procréation ont changé le visage de la famille et fait évoluer les repères traditionnels de la filiation. Aujourd’hui, conjugalité, sexualité, procréation, amour ou sentiments peuvent être séparés les uns des autres et agencés par chacun de nos concitoyens comme ils l’entendent.

M. Xavier Breton. Ça, c’est votre conception des choses !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Chacun a pris le gouvernement de sa vie sentimentale : voici un phénomène inédit au regard des siècles passés. Le fait est là : la famille repose désormais sur la volonté des individus.

M. Nicolas Dhuicq. C’est l’hybris !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Depuis les années 1970, les familles ont opéré une révolution silencieuse qu’Irène Théry qualifie de « révolution de velours ». Ces changements ont été acceptés parce que la famille, n’en déplaise à quelques-uns, loin d’être une institution figée dans des structures immuables, est un formidable facteur d’adaptation au changement. Les mots eux-mêmes ont changé et traduisent cette évolution sociétale.

M. Hervé Mariton. Cette révolution !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Qui parlerait encore aujourd’hui d’enfant « bâtard », d’enfant « adultérin », de « filles-mères », quand on sait que 56 % des enfants naissent hors mariage ?

M. Jean-Claude Perez. Eux !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Le regard de la société a beaucoup évolué, sans remettre nullement en cause la volonté de « faire famille ». Et, s’il fallait vous en convaincre, pour plus de huit Français sur dix, la famille est devenue la première des priorités. De plus, 63 % de nos concitoyens considèrent que le bien-être, c’est d’avoir une famille, quelle qu’elle soit.

M. Hervé Mariton. Vous mélangez tout !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. On a souvent jugé la valeur famille passéiste, saisissons cette chance pour que ce débat lui redonne ses lettres de modernité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Moins que jamais il n’y a déclin de la famille,…

M. Philippe Meunier. Vous cassez la famille !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …car elle demeure le lien par excellence entre les générations, jouant un rôle d’autant plus important du fait de la prolongation de la vie humaine. Plus que jamais, elle est chargée de la quête affective et du bonheur que tous, adultes comme enfants, attendent des relations privilégiées qui s’y établissent.

En revanche, il n’y a plus de modèle familial unique : c’est une évidence. Chacun invente le sien, chacun doit pouvoir le choisir. C’est pourquoi cette diversité des modèles familiaux appelle des avancées nombreuses de notre droit, qui seront l’objet d’un autre projet de loi que le Gouvernement est en train de préparer. (« Nous y voilà ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Pour l’heure, la loi que nous vous présentons s’inscrit dans la lignée d’une série de lois qui ont déjà fait évoluer notre code civil. Dès 1804, Napoléon Bonaparte n’a-t-il pas dit, au moment de la rédaction de ce code : « Les lois sont faites pour les mœurs et les mœurs varient. Le mariage peut donc être soumis au perfectionnement graduel auquel toutes les choses humaines paraissent soumises » ?

Depuis lors – et Christiane Taubira l’a très bien rappelé –, la liste des modifications du droit de la famille s’est beaucoup enrichie. En 1938, les femmes mariées acquièrent la capacité juridique. En 1965, elles acquièrent l’indépendance dans l’exercice d’une profession et dans l’usage de leurs revenus. En 1970, la puissance paternelle est remplacée par l’autorité parentale partagée entre les deux parents. En 1975, la législation sur le divorce est assouplie et le divorce pour rupture de vie commune est créé.

M. Hervé Mariton. Est-ce que c’est le sujet ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. En 2005, la distinction entre enfants légitimes, naturels ou adultérins est supprimée. En parallèle, sont reconnues les formes d’union alternatives au mariage : concubinage et PACS.

Vous ne pensez pas que tout cela ait pu s’accomplir sans réticence. Combien de fois la fin du monde nous a-t-elle été annoncée, sans jamais avoir lieu ?

Rappelez-vous les mises en garde de Pierre Mazeaud en 1970, hostile au partage de l’autorité parentale…

M. Xavier Breton. Parlez-nous d’Elisabeth Guigou !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je le cite : « Je voudrais, mes chers collègues, m’efforcer de vous préciser combien à notre époque, le texte qui nous est soumis est lourd de conséquences. Que l’on ne me taxe pas d’antiféminisme. Mais qu’on sache que ce projet risque d’aggraver la dissolution de la famille, pourtant cellule de base de toute société. »

De surcroît, comme si la parole politique ne pouvait suffire, il fait appel aux pédiatres et psychanalystes : « La mère exerçant l’autorité parentale, n’est-ce pas affirmer que l’enfant devient finalement l’arbitre des décisions qui le concernent ? », avant de conclure avec gravité : « Je crains qu’il n’y ait des effets graves d’ici quelques années. ». Or ces effets graves n’ont pas eu lieu, et l’on voit aujourd’hui combien ces peurs étaient infondées. Refusons les peurs !

La loi voulue aujourd’hui est une avancée pour tous. Tous les choix respectueux des valeurs de la République doivent obtenir d’elle la même reconnaissance et la même protection : c’est pour toutes les familles que l’État se veut confiant, sécurisant et exigeant.

Cette loi apportera une réponse aux difficultés concrètes que rencontrent les familles homoparentales dans lesquelles vivent de 40 000 à 300 000 enfants en France. Ils n’ont en effet, pour l’heure, de lien établi qu’avec l’une des deux personnes du couple, ce qui les plonge dans l’incertitude du lendemain en cas de décès ou de séparation. La loi permettra de régler de nombreuses situations, en autorisant notamment l’adoption de l’enfant du conjoint.

Redéfinir les contours juridiques des liens qui unissent et protègent adultes et enfants : voilà ce à quoi est invitée la société aujourd’hui, voilà ce que nous dicte l’intérêt de l’enfant.

Mais vous savez aussi qu’il y a une multiplication des acteurs impliqués dans sa conception et son éducation. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Force est de reconnaître que la filiation ne peut plus se résumer à la seule filiation biologique, ne serait-ce que parce que l’adoption d’un enfant ou le recours à la procréation médicalement assistée autorisée à des couples hétérosexuels a fait évoluer la donne.

M. Hervé Mariton. Pour des raisons médicales, pas pour des raisons sociétales !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. La filiation ne peut plus se réduire au fait procréatif, même s’il s’agit de lui donner la place qui lui revient dans l’histoire de tout individu. Elle s’est enrichie aujourd’hui de la relation sociale et affective qui se noue de plus en plus fréquemment entre l’enfant et l’adulte qui l’éduque.

M. Xavier Breton. Ce n’est pas ça, des parents !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Le plus grand service que l’on puisse rendre à un enfant, c’est de lui reconnaître une histoire dont tous les acteurs et toutes les dimensions, qu’elles soient sociales, biologiques ou culturelles, puissent être connus.

Assurément, cette loi répond à une vision généreuse de la famille, une vision qui inclut et non qui exclut (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.). Cette vision est largement partagée par des pays de plus en plus nombreux. À ce jour, il existe plus d’une quinzaine de pays qui se sont engagés ou qui s’engagent dans cette voie. Lorsque David Cameron, Premier ministre britannique conservateur, dit : « Le mariage est une grande institution, il n’y a pas de raison que les homosexuels en soient exclus »,…

M. Hervé Mariton. Je ne peux pas vous laisser dire ça !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …lorsque l’un des députés uruguayens, auteur de la loi sur le mariage, tient le propos suivant : « Ce n’est pas une loi sur le mariage homosexuel ou gay. Il s’agit d’une mesure pour égaliser l’institution du mariage indépendamment du sexe du couple », lorsque Manu Sareen, ministre danois de l’égalité et des affaires ecclésiastiques, dit : « Il s’agit d’égalité (...) c’est un immense pas en avant », lorsque Barack Obama, à l’occasion de son discours d’investiture, s’exprime ainsi : « Notre voyage ne sera pas terminé tant que nos frères et sœurs homosexuels ne seront pas traités comme tout le monde par la loi », peut-on balayer d’un revers de main les propos de ces responsables politiques, hommes et femmes, d’horizons différents ? Peut-on les soupçonner tous de vouloir détruire le mariage et la famille ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Il est temps de reconnaître à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, la liberté de choisir la façon dont il fait famille.

M. Hervé Mariton. Que signifie cette expression, « faire famille » ?

M. Xavier Breton. Où cela s’arrêtera-t-il ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Reconnaître cette liberté, c’est reconnaître la liberté de tous nos concitoyens. Elle est au cœur même de notre République, cette République que Jean Jaurès a si bien définie dans son adresse à la jeunesse : « La République, c’est un grand acte de confiance. La République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action, qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre. Oui la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. » Confiance et audace ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

J’en appelle, au-delà de la conviction intime de chacun, de ses engagements philosophiques ou religieux, de sa propre expérience, aux forces du changement, aux forces du progrès, à celles qui font avancer l’Histoire. La loi et le droit doivent être les mêmes pour tous. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Mais aucune avancée nouvelle n’est possible, aucune ne peut avoir de sens, tant que subsiste l’inégalité de principe qui frappe les couples de même sexe et les familles homoparentales, qui leur barre l’accès à des formes d’engagement – le mariage, la filiation – ouvertes à toutes les autres familles.

Reconnaître la diversité, ce n’est pas créer des régimes juridiques spécifiques à une catégorie ou qui lui seraient plus particulièrement destinés, comme l’opposition nous le propose. Quand on aime la famille, on aime toutes les familles. Je me tourne vers les rangs de l’opposition (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), même si je sais qu’en son sein il y a des hommes et des femmes d’ouverture, pour leur rappeler les propos de Nicolas Sarkozy en 2009, qui parlait d’« erreur » commise par la droite à l’époque du PACS : « C’était ridicule et outrancier. On s’est trompés. Jamais il ne faut se raidir, jamais il ne faut se bunkériser, jamais il ne faut détester. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. - Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Arlette Grosskost. C’était pour le pacte civil !

M. Matthias Fekl. Pour une fois qu’on applaudit Sarko !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ouvrons donc les mêmes droits dans des conditions qui permettent à tous d’y accéder.

J’en appelle à votre attachement républicain et laïc pour refuser toute forme d’exclusion. C’est une tâche exigeante, inlassable. François Mitterrand, en 1981, devant l’Union nationale des associations familiales, nous y invitait déjà : « À chaque période de la vie, comme à chaque période de la vie d’une société, dans une civilisation qui se veut noble et juste, rien n’est facile. Rien, car tout est intolérance. Tout nous invite à ne pas tolérer l’autre, à ne pas l’accepter, à défendre son quant-à-soi par une sorte de mouvement animal qui nous porte à considérer comme une atteinte à notre personnalité l’adresse que l’autre nous fait. Il n’y a qu’une seule réponse. Cela porte un nom peut-être désuet en politique, cela s’appelle l’amour. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, RRDP et écologiste.)

Mme Marie-Jo Zimmermann. Mais c’est nul !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’ajoute, très modestement, que cela s’appelle la fraternité, car la famille est le creuset des solidarités par excellence, un lieu de confiance et d’entraide, dans un monde qui en manque par trop. Cela s’appelle la liberté, lorsque la République permet à chacun d’être responsable dans sa vie personnelle, dans sa vie familiale, dans sa vie sociale. Cela s’appelle l’égalité, lorsqu’on permet aux membres de la société d’être, comme on le dit, tous différents, mais tous pareils.

Alors votez cette loi d’égalité des droits et des devoirs. Votez cette loi nécessaire. Votez cette loi nécessaire maintenant. (Les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, l’esprit et le sens du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est d’instaurer l’égalité entre tous les citoyens. Il vise à permettre aux homosexuels qui vivent en couple, à ceux qui ont des enfants, de se marier. Il s’agit de donner des droits essentiels à certains de nos compatriotes qui s’en trouvent encore aujourd’hui dépourvus. C’est une avancée sociétale, c’est un bond en avant des libertés publiques et, comme à chaque fois que notre pays fait progresser l’égalité et reculer les différenciations injustifiées ou les discriminations, c’est un progrès indéniable.

Les familles homoparentales existent dans notre pays.

M. Jean Glavany. Eh oui !

M. Erwann Binet, rapporteur. Elles sont nombreuses, et le seront encore davantage demain. Les travaux menés durant les auditions ont permis de sortir enfin du silence et de la pénombre ces familles oubliées depuis trop longtemps, ce dont nous pouvons tous nous féliciter. Le débat dans le pays a permis une avancée considérable de ce point de vue en mettant au jour, devant de nombreux Français qui en ignoraient même l’existence, les familles homoparentales et leurs enfants. Aux enfants nés de couples hétérosexuels divorcés dont l’un des membres s’est révélé homosexuel, s’ajoutent les enfants adoptés par l’un des deux membres du couple et, bien sûr, les enfants de couples homosexuels nés par assistance médicale à la procréation pratiquée dans un pays voisin – je pense à la Belgique, à l’Espagne ou aux Pays-Bas. Puisque des doutes et les interrogations se sont souvent exprimés sur les questions de filiation dans ces familles, autant le dire tout de suite : aucune étude ne jette de suspicion sérieuse sur les familles homoparentales.

M. Hervé Mariton. Mais si, c’est le contraire !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Le rapporteur a raison !

M. Erwann Binet, rapporteur. La très grande majorité d’entre elles montrent que les enfants se portent ni mieux, ni moins bien que dans les familles hétérosexuelles. Le nombre de ces études devient considérable et impose un faisceau de conclusions concordantes : les enfants issus de familles homoparentales sont des enfants comme les autres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

M. Hervé Mariton. Ce ne sont pas des études, mais des manifestes !

M. Erwann Binet, rapporteur. Pour autant, les familles homoparentales ne sont pas aujourd’hui des familles comme les autres, car leur existence n’est pas reconnue par notre droit, leur engagement de couple et la protection de leurs enfants sont ignorés par la République. Dans ces familles, le divorce n’existe pas et le juge ne peut départager un droit de garde ni statuer sur une pension alimentaire ; dans ces familles, le décès d’un seul des deux membres du couple peut créer des orphelins,…

M. Hervé Mariton. Faux !

M. Erwann Binet, rapporteur. …et une déchirure se surajoute alors au drame. Je dois exprimer mon extrême admiration pour les couples et les familles que la commission a rencontrés, pour la maturité et la sérénité avec lesquels ils envisagent leur avenir en ayant tous intégré un paramètre essentiel et très présent dans leur vie : en cas de drame, la loi n’est pas là pour les protéger et la société les délaissera.

Les stratégies les plus élaborées permettent de combler ce vide. Ainsi, il n’est pas rare, dans ces familles, de donner comme deuxième prénom à son enfant le patronyme du conjoint non reconnu par la loi, celui qu’on appelle le parent intentionnel. De même, il est courant que le parent légal alimente, au profit de son compagnon ou de sa compagne, un dossier qui accumule tout au long des années les traces du lien qui existe avec les enfants. Imaginons-nous un instant, chers collègues, à la place de ces couples : imaginons-nous mettre soigneusement de côté telle photo pour prouver une présence, tel cadeau de fête des pères pour prouver un lien d’affection, telle facture acquittée pour démontrer un soutien alimentaire, et tout cela dans une perspective qui se rappelle à vous chaque jour à chaque instant, celle de la séparation et de ses conséquences pour les enfants.

Le PACS a sans nul doute permis une meilleure acceptation de l’homosexualité dans la société, mais le cadre législatif du PACS ne permet pas d’assurer une sécurité et une protection juridique suffisantes aux projets de vie des couples homosexuels. D’ailleurs, c’est un contrat, qui relève à ce titre dans le code civil du droit contractuel, organisant la vie commune de deux personnes physiques majeures : il accorde essentiellement des droits sociaux et fiscaux aux deux contractants. Les conditions et les effets du PACS ne sont donc pas comparables avec ceux du mariage : il n’a aucune vocation successorale. Certes, il permet une attribution préférentielle du logement en cas de décès du conjoint, accorde quelques abattements fiscaux, facilite les mutations des fonctionnaires ou la prise simultanée de congés payés par les co-contractants, et offre donc des droits qui répondent aux besoins de la vie quotidienne d’un couple, mais ne reconnaît pas le désir d’union de ce couple. Il ne protégera pas les enfants du couple homosexuel en cas de séparation ou de décès car le PACS ne reconnaît pas la famille. Dès lors, même si nous nous réjouissons tous de l’unanimité que recueille sur tous les bancs le PACS aujourd’hui – je le dis vraiment sans malice –, il est clair que la nature de ses dispositions ne permet pas d’apporter une réponse juridique à la réalité des familles homoparentales.

Il nous faut apporter à ces couples et à leurs enfants, pour aujourd’hui et pour l’avenir, la stabilité et la protection à laquelle ils ont droit comme tout le monde. Il leur faut nécessairement bénéficier de la même reconnaissance par la société. Dans notre droit, ce qui apporte à un couple et à une famille la stabilité, la protection et la reconnaissance sociale, ce n’est pas un contrat, mais une union, une institution, et celle-ci s’appelle le mariage.

M. Patrick Bloche. Très bien !

M. Erwann Binet, rapporteur. Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ouvre ainsi cette belle institution aux personnes qui en étaient exclues jusqu’à présent. Il donne tous les droits à des couples encore stigmatisés et considérablement restreints dans leur liberté. Il apporte enfin une vraie solution à la précarité et à l’insécurité juridique que subissent des dizaines de milliers d’enfants élevés par deux hommes ou par deux femmes.

Le texte n’a pas pour but de créer un statut particulier aux couples homosexuels : il les intègre dans le droit commun du code civil. Le mariage est le seul acte juridique par lequel deux personnes établissent une union légitime reconnue devant la loi et qui, au-delà des aspects sociaux et fiscaux, accorde des droits et des devoirs aux membres du couple marié : les époux sont de facto héritiers, le mariage leur permet de porter le même nom, d’acquérir la nationalité française par simple déclaration, ils bénéficient d’une pension de réversion et sont considérés conjointement comme les parents légaux des enfants issus de leur couple.

La publication préalable des bancs en mairie et la célébration par l’officier d’état civil révèlent qu’au-delà du statut juridique, le mariage manifeste aussi la reconnaissance publique du couple et de sa volonté de construire une famille. C’est pourquoi il ne pouvait pas y avoir d’autre solution que celle du mariage. Lorsque, en mairie, un élu prononce les formules consacrées, il manifeste la reconnaissance de la société tout entière, il jette sur ce couple, devant témoins, amis et familles, un regard favorable et porte un discours bienveillant. Un tel regard, un tel discours, c’est aujourd’hui la meilleure arme contre l’homophobie. Ouvrir l’institution du mariage aux couples de même sexe, c’est dire au jeune adolescent qui se révèle homosexuel : « Tu peux vivre ta vie.» ; c’est affirmer à l’enfant vivant dans une famille homoparentale : « Tu n’as pas à avoir honte de tes parents. » ; c’est permettre aux couples homosexuels de vivre comme tout autre couple de ce pays.

Au nom de la portée symbolique du mariage civil, il n’est donc pas envisageable de laisser croire aux maires qu’ils pourraient se retirer, faire jouer la clause de conscience. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Ça, c’est Hollande !

M. Erwann Binet, rapporteur. Lorsqu’un couple s’adresse à la mairie pour se marier, il n’a que faire des compétences ou de la bonne conscience du maire ; la seule chose qui compte, c’est l’écharpe tricolore que porte celui-ci. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. Jacques Pélissard. C’est inacceptable de dire ça !

M. Erwann Binet, rapporteur. En 2013, la République n’accepte plus l’exclusion des familles homoparentales, et c’est heureux. Le projet de loi répond indéniablement à l’intérêt de ces couples et à l’intérêt des enfants.

On a parlé de transgression de la nature humaine.

M. Yves Fromion. Personne n’a dit cela !

M. Erwann Binet, rapporteur. L’homosexualité existe. Elle n’est donc pas hors de la nature.

M. Bernard Roman. Très bien !

M. Erwann Binet, rapporteur. Les familles homoparentales existent. Elles ne sont donc pas contre-nature. De surcroît, les compétences et l’instinct paternels ou maternels sont naturels chez toute personne désireuse de devenir parent, indépendamment de son orientation sexuelle.

M. Jean-François Lamour. Ce n’est pas un bon rapporteur !

M. Erwann Binet, rapporteur. Le projet de loi ne nie pas la différence des sexes, l’existence différenciée du féminin et du masculin, mais ce n’est pas la seule base, le seul fondement, le seul modèle du désir, de la sexualité, du couple et de la famille.

Les couples homosexuels font des enfants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et ils continueront à en faire parce qu’ils n’ont besoin ni de notre indulgence, ni de notre approbation.

Être père ou être mère, ce n’est pas uniquement affaire d’hormones et de gènes, c’est une construction, une volonté, c’est reconnaître un enfant. Dans notre code civil, les règles relatives à la filiation sont avant tout des constructions sociales, elles peuvent évoluer, elles ne sont pas le décalque de la procréation. Un grand pas a ainsi été franchi, en plusieurs étapes successives, pour supprimer la différentiation qui a longtemps présidé au destin des enfants, selon qu’ils étaient nés légitimes dans le mariage ou enfants naturels hors du mariage. La discrimination entre l’un et l’autre était devenue si insupportable que la République l’a fait disparaître. Le geste était d’autant plus fort qu’il revenait à renoncer à pénaliser les enfants pour les actes, jugées négativement par la société, de leurs parents. Serions-nous revenus si loin en arrière pour entendre aujourd’hui certains refuser des droits aux enfants vivant au sein de familles homoparentales, en raison de l’orientation sexuelle de leurs parents ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Régis Juanico. En effet !

M. Erwann Binet, rapporteur. En affirmant une place égale à la filiation juridique, affective et sociale, le code civil a conduit à élaborer un autre modèle de parenté où la filiation homosexuelle devient alors possible. La France ne peut pas tolérer qu’il y ait sur son sol des enfants non protégés du fait de l’orientation sexuelle de leurs parents. Il n’est pas concevable d’accepter, à travers le PACS, la vie de couple, l’amour entre personnes de même sexe, de constater qu’elles font des enfants tout en leur refusant l’accès à l’institution qui rassemble le tout : le mariage.

Nous avons mené de très nombreuses heures d’auditions qui nous ont apporté un solide éclairage grâce au large faisceau de connaissances, d’expertises, et de compétences : plus de cent vingt personnes sont venues présenter leur expérience ou leur vécu devant les députés. Plusieurs d’entre nous se sont également rendus à Bruxelles pour partager l’expérience d’un pays qui a ouvert, depuis de très nombreuses années, le mariage et la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels.

Je tiens à remercier le président de la commission des lois et le président de l’Assemblée nationale pour avoir accepté les conditions d’organisation et de publicité. exceptionnelles qui ont présidé à la tenue de ces auditions. Je tiens aussi à remercier le Gouvernement pour son écoute et pour la bienveillance qu’il a réservée aux initiatives parlementaires, madame la garde des sceaux, madame la ministre.

M. Philippe Meunier. N’en rajoutez pas !

M. Erwann Binet, rapporteur. Enfin, Je tiens à saluer le travail de la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.

Le débat dans la société a foisonné depuis plusieurs mois, ce qui révèle bien la place fondamentale que prend la famille dans notre société, et c’est tout naturellement que le législateur répond aujourd’hui, non sans retard, à ses évolutions.

Les débats qui vont suivre seront sans nul doute historiques. Il est d’autant plus important de les aborder avec la plus grande humilité. En effet, il faut avoir l’humilité de ne pas se mettre dans la posture de celui qui pourrait décider quels individus peuvent construire une famille, élever des enfants ou, pire, décider quels enfants doivent naître ou non en fonction de qui sont ses futurs parents. Je déplore le refus de certains de voir la société comme elle est, d’accepter nos concitoyens comme ils sont, de vouloir imposer à tous et pour toujours un modèle : le leur. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Nicolas Dhuicq. Mais c’est vous qui imposez un modèle !

M. Erwann Binet, rapporteur. Soyons humbles face aux Français, mais conscients des regards portés aujourd’hui sur la France, car le monde entier reconnaît notre pays comme celui qui a posé les fondements de valeurs universelles et des droits de l’homme. L’ouverture du mariage pour les couples de même sexe en France bénéficiera, parce que c’est la France, d’une formidable portée symbolique. Nos paroles, nos raisonnements, nos votes seront observés et regardés en Europe parce que nous sommes parmi les leaders européens, et dans le monde parce que la francophonie permet à des millions de personnes de voir et d’écouter la France.

Ouvrir le mariage aux couples de même sexe en France est un signal d’espoir et de confiance pour ceux qui croupissent en prison pour des faits d’homosexualité, pour ceux qui se cachent, pour ceux sur lesquels on fait peser le poids de la honte et du déshonneur. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe ici, c’est donner tort aux députés russes qui ont adopté vendredi dernier, en première lecture à la Douma, une proposition de loi punissant tout acte public constituant une « propagande de l’homosexualité auprès des mineurs». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR), c’est condamner la lapidation sur place par la foule du marché de Maroua, au Cameroun, le 6 janvier dernier, de deux homosexuels surpris ensemble. (Mêmes mouvements. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Yves Nicolin. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Claude Perez. Ça vous fait mal, chers collègues de l’opposition, mais c’est vrai !

M. le président. Seul M. le rapporteur a la parole. Chacun aura largement le temps de lui répondre.

M. Erwann Binet. Il est impensable que la République de la liberté – donc de la liberté d’assumer son orientation sexuelle –, de l’égalité – donc des mêmes droits pour tous –, de la fraternité – donc de l’interdiction de toute discrimination –, il est impensable, disais-je, que cette République ignore, méprise ses enfants homosexuels, les couples qu’ils forment et leurs familles.

Dans leurs villages et dans leurs quartiers, ces familles homosexuelles sont banalement reconnues et insérées dans la vie quotidienne : les professeurs, la boulangère, les élus, les parents d’élèves connaissent la situation. Certains enfants sont baptisés en connaissance de cause, nous l’avons entendu lors des auditions. Aujourd’hui, il n’y a plus que la loi qui nie leur existence, l’évidence.

M. Xavier Breton. C’est un mensonge de dire qu’ils ont deux papas et deux mamans, mais ça ne les empêche pas de vivre !

M. Erwann Binet, rapporteur. Permettez-moi de faire un vœu. Dans bon nombre de pays ayant ouvert le mariage et la filiation pour les couples de personnes de même sexe, il y a eu convergence entre la droite et la gauche. Au Danemark tous les partis ont soutenu le projet de loi excepté l’extrême droite. En Suède, la majorité au vote était constituée des partis libéraux, de centre droit et de toute l’opposition de gauche. Au Québec, le texte a été adopté à l’unanimité, en commission comme en séance plénière. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Dans d’autres pays, la loi n’a pas été victime des alternances politiques. En Espagne, après des débats très véhéments en 2005, le Premier ministre issu du Parti Populaire, Mariano Rajoy n’a pas envisagé une minute d’abroger la loi, allant jusqu’à affirmer après la décision de la Cour constitutionnelle que son parti était surtout gêné par le mot mariage et qu’il avait toujours été favorable à la totalité des droits pour tous.

Plusieurs députés du groupe UMP. On est en France !

M. Erwann Binet, rapporteur. David Cameron lui-même n’a pas hésité à déclarer : « Les conservateurs croient aux liens qui nous soudent, ils croient que la société est plus forte quand nous nous unissons et que nous nous entraidons. » Et d’ajouter : « Je soutiens le mariage gay parce que je suis conservateur. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Meunier. Vous le citez quand cela vous arrange !

M. Erwann Binet, rapporteur. N’en doutez pas, dans quelques années tout au plus après l’adoption de ce texte, nous nous rallierons tous au mariage pour les couples de même sexe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Razzy Hammadi. Eh oui !

M. Erwann Binet, rapporteur. Et, dans les mois qui suivront l’adoption de ce texte par notre assemblée, pas une commune en France ne refusera de marier deux hommes ou deux femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est ainsi que cela s’est passé dans tous les pays du monde qui ont ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe, et il en ira de même en France.

Il y eut un temps où l’on brûlait les homosexuels en place de Grève. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il y eut un temps où l’on réprimait l’homosexualité, brutalement par la déportation, l’internement psychiatrique ou plus sournoisement par la pénalisation des relations homosexuelles avant l’âge de la majorité.

Il y eut le temps où notre assemblée classa l’homosexualité dans la catégorie des fléaux sociaux au même titre que le proxénétisme, l’alcoolisme, la tuberculose, la prostitution. C’était en 1960.

Mme Valérie Boyer. On n’était pas nés !

M. Erwann Binet, rapporteur. Il y eut un temps où elle refusa de dépénaliser l’homosexualité pour les mineurs de dix-huit ans. C’était en 1980.

Il y eut un temps, jusqu’en 1981, où notre République entretenait, au sein du ministère de l’intérieur, un groupe de contrôle des homosexuels et alimentait des fichiers les concernant.

M. Jean-Claude Perez. Eh oui !

M. Erwann Binet, rapporteur. Il y eut l’époque où l’homosexualité était inscrite par l’Organisation mondiale de la santé sur la liste des maladies mentales. C’était encore le cas jusqu’en 1990.

Il y eut un temps où l’homosexualité n’était plus pénalisée mais où les mots remplacèrent la violence des actes. Ce fut le cas lors des débats précédant l’adoption du PACS, il y a quinze ans.

Alors que l’homosexualité est punie par la mort dans six pays et pénalisée dans quatre-vingt-huit pays, où la stigmatisation règne encore dans la plupart des autres, souvent entretenue par les pouvoirs religieux, il est enfin venu le temps, en France, de la reconnaissance à part entière par la République des homosexuels, de leur vie de couple et de leurs familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Cet aboutissement, nous le devons à toutes celles et tous ceux qui se sont mobilisés depuis tant d’années dans ce beau combat pour l’égalité. Cet aboutissement, nous le devons surtout au peuple français, qui a porté à sa tête un Président de la République qui lui avait proposé, sans détour et dans la plus grande clarté, le mariage pour les couples de personnes de même sexe dans son programme. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Vitel. Comme de ne pas augmenter la TVA !

M. Erwann Binet, rapporteur. C’est cette volonté que nous avons l’honneur de porter aujourd’hui.

Il y eut le temps du châtiment ; il y eut le temps de la tolérance ; il est venu enfin le temps de l’égalité. (Les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent vivement.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est de ceux qui font l’honneur de notre assemblée et de notre fonction de député, car nous n’avons pas tous les jours la possibilité de faire progresser l’égalité, de faire vivre plus pleinement notre devise républicaine.

M. Christian Jacob. Cela n’a rien à voir avec l’égalité !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Alors, sans galvauder le terme, n’ayons pas peur de dire que c’est un texte historique à plus d’un titre.

Il l’est d’abord par le regard qu’il porte sur l’homosexualité. Pour la République, l’homosexualité est simplement une façon de vivre sa sexualité. Les homosexuels ne sont plus une catégorie à part, comme certains le voudraient encore, non plus qu’un groupe qui ne serait défini que par sa seule orientation sexuelle.

Ce texte nous invite à abandonner ces clichés, à lutter contre ces stéréotypes qui ne font que stigmatiser la différence au risque parfois d’attiser la haine et la violence. Il est temps de regarder la réalité en face : les gays et les lesbiennes, comme les hétérosexuels, font notre société. Ils sont les voisins croisés dans l’escalier, les parents d’élèves dans le collège de nos enfants, les collègues de bureau, nos frères, nos sœurs, nos enfants, les amis avec lesquels nous partageons nos joies et nos peines.

Eh bien je vous le dis, mes chers collègues, pour ces voisins, ces parents, ces proches, ces collègues, ces enfants, ces amis, nous revendiquons les mêmes droits que pour nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Je qualifie ce texte d’historique parce qu’il accompagne un changement d’idéal de vie. La sexualité relève de la sphère privée, mais n’a plus besoin d’être dissimulée. Les couples homosexuels deviennent visibles et expriment leur volonté de fonder une famille, y compris par le mariage.

Le projet de loi reconnaît le droit à chaque couple de construire sa vie en faisant librement le choix du mariage, du pacte civil de solidarité ou de l’union libre. Chacun aura ainsi pleinement sa place dans le projet républicain, sans communautarisme ni particularisme, car il ne s’agit pas de créer un droit spécifique, mais d’intégrer les homosexuels dans le droit commun. Il s’agit de les considérer comme les autres, comme tout le monde.

Mme Linda Gourjade. Très bien !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Ce qui se joue aujourd’hui c’est le droit à l’indifférence, à l’égalité.

L’opposition en est restée à proposer une union ou une alliance civile, sorte d’intermédiaire entre le PACS et le mariage. Pourquoi n’avoir pas eu cette idée en 1999 ? À cette époque, la question de l’union civile pouvait se poser, pour aller plus loin que le PACS et permettre la succession et la pension de réversion. Mais c’était il y a quatorze ans. Aujourd’hui, les couples mesurent les lacunes de cette formule en matière de filiation et d’adoption.

Cette proposition d’union civile est d’autant plus anachronique que, si l’on admet que les homosexuels ne sont pas des citoyens de seconde zone, il est temps de passer d’une situation où un droit leur est refusé à une situation où, comme tous les couples, ils peuvent faire le choix de la forme de leur union.

Ce projet de loi s’inscrit dans l’évolution de notre société mais, rappelons-le, il ne modifie pas le mariage pour les couples hétérosexuels. Il ouvre le mariage aux couples homosexuels, c’est-à-dire qu’il étend l’accès à ses droits et à ses devoirs. Dès lors, quelle étrange mobilisation qui consiste à refuser que l’on accorde à d’autres la protection du droit dont l’on bénéficie pour soi-même et pour sa famille ! C’est comme une façon de préserver pour soi une sorte de privilège qui serait l’apanage des couples hétérosexuels. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bruno Le Roux. Très bien !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. En donnant la possibilité de se marier aux personnes de même sexe, le projet de loi leur ouvre la voie à l’adoption conjointe. Il faut noter que les possibilités d’adoption conjointe resteront limitées compte tenu du faible nombre d’enfants adoptables en France comme à l’étranger et du refus d’un grand nombre de pays de confier des enfants à des couples homosexuels.

M. Philippe Meunier. Heureusement !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. C’est donc vraisemblablement l’adoption de l’enfant du conjoint qui sera privilégiée, et qui permettra à un grand nombre de « parents sociaux » de voir enfin reconnu leur lien de filiation avec les enfants qu’ils élèvent. Mais là encore, c’est l’égalité entre tous les couples qui sera réalisée : mêmes droits, mêmes devoirs.

Par ailleurs, je suis particulièrement attachée à l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes qui le souhaitent. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Nous y voilà !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure spéciale. Je me suis ralliée à la solution du Gouvernement, qui proposera un autre projet de loi sur la filiation, comprenant notamment la question de la PMA.

M. Philippe Meunier. Signé Furax !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Le fait qu’elle fasse l’objet d’un projet du Gouvernement, et non d’un amendement parlementaire, nous permettra de débattre de l’application de cette mesure aux couples mariés ou non mariés, hétérosexuels ou homosexuels. Enfin, ce futur texte permettra de sécuriser de nombreuses situations qui nous ont été décrites lors des nombreuses auditions.

Le présent texte est historique car elle fait tomber un bastion de la stigmatisation. Que d’évolutions ! Alors que le PACS était une initiative parlementaire, c’est aujourd’hui le Gouvernement qui dépose un projet de loi.

Il nous est proposé de faire un pas supplémentaire vers la reconnaissance du couple homosexuel, qui va modifier nos représentations en intégrant dans la norme des réalités sociales déjà existantes. C’est une nouvelle étape dans le combat jamais achevé en faveur de l’égalité des droits et des dignités.

Certains parlementaires, assez étrangement, préfèrent renoncer au pouvoir de faire la loi que leur confère le peuple pour en appeler à un référendum, mode de consultation qu’ils parent de toutes les vertus alors qu’ils n’en ont fait aucun usage récent. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Quel dommage de constater qu’hier, alors qu’ils étaient majoritaires, ils ont enterré le référendum d’initiative populaire pourtant ouvert par la réforme constitutionnelle de 2008.

Plusieurs députés du groupe UMP. Cela n’a rien à voir !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Jacques Toubon, lorsqu’il était garde des Sceaux, n’avait-il pas rejeté l’idée d’organiser un référendum sur des sujets de société, estimant que le référendum ne devait pas être « un instrument de démagogie » ?

M. Patrick Bloche et M. Bernard Roman. Eh oui !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure. Christiane Taubira a rappelé les obstacles juridiques et constitutionnels à la tenue d’un tel référendum. Surtout, le programme du candidat François Hollande, devenu Président de la République par le suffrage universel direct, contenait très explicitement l’engagement d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Un référendum n’a donc pas lieu d’être, car le Gouvernement et la majorité assument pleinement ce texte ; ils le portent et le revendiquent.

Ne nous laissons pas abuser par la rhétorique des opposants : le débat a bien eu lieu et il se poursuit. Il a eu lieu lors des grandes échéances électorales de 2012. Il se poursuit dans les colonnes des journaux, où les tribunes et les prises de position se multiplient depuis plusieurs mois, à la radio et à la télévision qui ont ouvert largement leurs antennes aux partisans comme aux opposants au projet. Il se poursuit dans les réunions publiques organisées localement dans tout le pays à l’initiative d’associations, d’élus, défenseurs ou contempteurs du projet. Il se poursuit au sein des groupes parlementaires et avant tout dans le mien, vous en avez même commenté abondamment les étapes.

Le débat a eu lieu aussi lors des nombreuses auditions, dont certaines étaient retransmises sur le site de notre assemblée. J’en profite pour saluer l’énorme travail accompli par le rapporteur de ce texte, Erwann Binet (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), que vous avez raison d’applaudir. Quel dommage que l’opposition ait préféré ne pas assister à ces auditions, à quelques rares exceptions.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas vrai, nous étions là !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Quel dommage que, le 14 janvier, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, les représentants de l’UMP aient préféré se retirer plutôt que de débattre !

M. Philippe Gosselin. Ils avaient des raisons de le faire, nous y reviendrons !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. On le constate, chacun a donc pu exprimer son point de vue, et ce n’est pas parce que les opposants au mariage pour les couples de même sexe n’ont pas réussi à convaincre que le débat n’a pas eu lieu.

À ceux qui s’inquiètent des prétendus bouleversements à venir, je rappelle après Erwann Binet que la France n’est ni le seul ni le premier pays à avoir ce débat. Les pays qui l’ont fait n’ont provoqué aucun bouleversement majeur, quoi qu’on en dise : ils ont simplement permis aux familles homoparentales d’entrer dans la normalité. Nulle part le chaos tant annoncé n’est survenu, pas davantage qu’il ne s’était produit en France après l’adoption du PACS, quoi que certains aient dit à l’époque.

Contre le PACS hier et contre le mariage aujourd’hui, les mêmes arguments sont utilisés. Certains en viennent même à soutenir le PACS et à proposer l’améliorer : ils ont visiblement besoin de davantage de temps pour se faire aux évolutions de notre pays. J’ai donc bon espoir…

Permettez-moi de vous citer les propos d’Hannie Van Leeuwen, sénatrice démocrate-chrétienne des Pays-Bas. En 2000, elle s’était opposée avec virulence au mariage pour tous. Cinq ans plus tard, elle a déclaré : « Après avoir vu de nombreux couples de gays et de lesbiennes se marier, je réalise maintenant que j’avais tort. Je ne m’explique même plus ce qui m’avait poussée à traiter les gays et les lesbiennes différemment des autres citoyens. »

Et comment ne pas évoquer le discours d’investiture de Barak Obama qui, la semaine dernière, le 21 janvier, déclarait : « Notre voyage ne sera pas terminé tant que nos femmes, nos mères et nos filles ne pourront gagner leur vie comme le méritent leurs efforts. Notre voyage ne sera pas terminé tant que nos frères et sœurs homosexuels ne seront pas traités comme tout le monde par la loi. »

Ce combat pour l’égalité, d’autres pays le mènent en même temps que nous. Soyons toujours en France à la pointe de ce combat contre les discriminations et pour l’acceptation des différences.

En revanche, comme il existe encore des pays qui condamnent pénalement l’homosexualité, nous avons soumis à votre examen un amendement touchant le code du travail et visant à permettre à un salarié – ou une salariée – marié à une personne de même sexe de refuser une mutation dans ces pays. Cet amendement, comme les autres amendements de la commission des affaires sociales, a été intégré au texte de la commission des lois.

Certains craignent que la loi vienne bousculer ce qu’ils appellent l’ordre familial naturel, sacralisé et idéalisé, voire religieux. Je leur rappelle que la loi régit le seul mariage civil. La République légifère dans l’intérêt de la société et de la protection de ses citoyens, de tous ses citoyens, et non pour défendre une conception religieuse de la famille.

Les Françaises et les Français savent que les cérémonies religieuses du mariage obéissent à d'autres exigences, dans le respect des croyances de chacun.

Sur le plan juridique, le droit a su prendre en compte les faits sociaux pour les encadrer et pour fixer des repères. Le mariage a ainsi constamment évolué pour incarner, à chaque époque, l'idéal du couple tel que la société l’envisageait. C'est ainsi que le mariage n'est plus cette institution machiste, inégalitaire et hypocrite qui donnait la primauté au masculin et cantonnait la femme à une sexualité procréatrice.

Le mariage est devenu libre et consenti librement. L'égalité des droits a remplacé la hiérarchie des sexes.

M. Yves Fromion. Et la gestation pour autrui, c’est quoi ?

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Chacune des réformes du mariage civil depuis le XVIIIe siècle a marqué le progrès des libertés individuelles. Citons notamment l'instauration du divorce ou l’attribution de l'autorité parentale aux deux époux.

L'idée même que le mariage, la sexualité, la procréation et la filiation formaient un tout indissociable a connu de nombreuses remises en cause. Ce fut le cas avec la contraception, l'assistance médicale à la procréation, le développement du concubinage aujourd'hui majoritaire dans la société, l’instauration de l'adoption plénière ou encore la fin des différences de traitement entre enfants légitimes et enfants naturels.

Le mariage homosexuel marque ainsi une étape de plus dans un mouvement historique qui place le couple, la liberté de choix individuel et le sentiment amoureux au cœur du mariage.

Cette conception prétendument naturelle de la famille est bien éloignée de la réalité. La famille n'a pas de définition juridique. Elle est un phénomène social et sociologique. Elle est presque toujours un point d'ancrage et de sécurité, un soutien en temps de crise. Mais elle connaît des évolutions qui l'ont fait s'écarter du modèle unique représenté par un papa, une maman et des enfants. Aujourd'hui, la famille se conjugue au pluriel.

Il existe des couples sans projet d'enfant ; il existe des mariages tardifs sans enfant ; il existe des familles d'adoption, des familles à enfant unique, des familles monoparentales, recomposées, des familles hétéroparentales. Dans toutes ces familles, on peut rencontrer des enfants qui vont bien et d'autres en souffrance.

La différence sexuelle des parents et la capacité procréatrice n'ont jamais été des garanties de stabilité et d'épanouissement de l'enfant. Ce qui compte, c'est l'affection, les conditions de vie des parents, l'accès à l'éducation, à la santé et à un logement décent. Ce qui compte, c'est que les parents offrent à la fois des liens affectifs et des figures d'autorité. Les familles homoparentales connaissent également cette diversité. Mme Dominique Bertinotti a donc raison de revendiquer le titre de ministre des familles, le pluriel a toute son importance.

Ce qui me frappe depuis quelques semaines, c'est le décalage entre la société telle qu'elle existe et les opposants au projet qui ont choisi de porter des œillères pour ne pas voir ce qu'ils refusent d’admettre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais nier l'homosexualité, nier l'homoparentalité, nier cette aspiration légitime à l'égalité des droits ne sert à rien. L'égalité est en marche !

L'impossibilité juridique pour un enfant d'avoir deux parents de même sexe est en décalage avec la réalité. Les familles homoparentales se sont constituées d'abord en élevant des enfants issus de précédentes unions hétérosexuelles, puis, de plus en plus, avec des enfants conçus ou adoptés dans le cadre de projets homoparentaux. Il y a incontestablement un effet générationnel : les homosexuels parlent désormais de leur désir d'enfant et forment des projets parentaux. L'homoparentalité est devenue non seulement possible, mais réelle. Cependant, si de nombreux enfants sont élevés par deux personnes de même sexe, une seule des deux est leur parent au sens légal. C'est pourquoi il est nécessaire de sécuriser leur situation. C'est dans l'intérêt même de l'enfant.

M. Patrick Bloche. Absolument !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Les auditions ont fait ressortir que le seul problème, pour ces enfants comme les autres, tient aux discriminations dont ils peuvent être victimes du fait de leur situation familiale. Le PACS a changé la perception de l'homosexualité dans la société, le mariage accentuera cette évolution. Car la loi rendra normal ce qui était auparavant jugé anormal par une partie de la société. Je pense à ces enfants qui ne se sentiront plus particuliers parce que leurs parents seront légitimes, reconnus et que leur famille sera protégée. Je pense à ces jeunes qui se découvrent homosexuels et entendent depuis des mois des discours discriminants leur expliquant qu'il ne faut pas leur donner les mêmes droits qu’aux autres dans leur vie d'adulte. Pour ces enfants, pour ces jeunes, pour ces familles, il est urgent d'agir ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Pas de gros mots dans l’hémicycle, s’il vous plaît ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Le projet de loi renforcera la famille. L'intérêt de l'enfant, c'est d'avoir des parents légitimes et reconnus, ces parents qui, comme dans toutes les familles, l'ont désiré et qui l'entourent de leur protection et de leur amour.

Aujourd'hui, l'arrivée de l'enfant est mieux préparée car elle exprime un véritable projet parental. La procréation est maîtrisée. S'il existe des familles dans lesquelles les enfants n'arrivent jamais par hasard, ce sont bien les familles homoparentales ! Dans ces familles, les enfants sont le fruit obligé d'un projet et d'une mûre réflexion.

Il ne s'agit pas de nier l'altérité des sexes. À l'âge de l'identification sexuelle, les enfants continueront à découvrir autour d'eux la mixité. La famille homosexuelle, comme les autres, ne se limite pas à une famille nucléaire sans fratries, sans parenté, sans ces liens familiaux et sociaux qui offrent des figures d'identification et des références masculines ou féminines.

M. Nicolas Dhuicq. Charabia !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. C’est plus tard, lorsque les enfants s'interrogeront sur leur filiation, que le regard de la société est important. La loi peut changer les choses en banalisant leur situation.

M. Jacques Myard. C’est peu probable !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Plus la réalité de toutes les familles sera connue et reconnue, plus disparaîtront les préjugés et reculeront les comportements ségrégationnistes et homophobes !

Enfin, la famille sera d'autant plus forte qu'elle marchera enfin sur ses deux jambes : le biologique et le social. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Acceptons, contre la dictature du tout-biologique, la part de social dans la parenté, part qui a d'ailleurs toujours existé.

Les parents, dans un couple homosexuel, n'ont pas l'intention de se prétendre tous deux les géniteurs de leur enfant. Aucune famille homoparentale ne souhaite inventer de nouvelles fictions…

M. Philippe Gosselin. C’est la loi qui est une fiction !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. …ni entretenir l'idée qu'un enfant puisse naître de deux femmes ou de deux hommes. Et, bien entendu, rien dans le texte de loi ne va dans ce sens. Il est quand même étrange d'accuser les homosexuels…

M. Philippe Meunier. Nous n’accusons pas les homosexuels !

M. Razzy Hammadi. Restez calmes !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. …de ce mensonge sur les origines, comme le font certains opposants au mariage pour tous ! Rappelons qu'un enfant peut être adopté par un ou une célibataire depuis 1966. Or, comment soutenir sérieusement que cet enfant puisse se croire né d’un seul homme ou d'une seule femme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) En fait, ce qui gêne certains, c'est que les familles homoparentales révèlent que le social participe à la parenté et que l’intérêt de l’enfant ne réside pas toujours dans la considération du seul lien biologique.

Avec cette loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, personne n'y perdra et beaucoup y gagneront en dignité et en sécurité.

Dignité, puisque le projet de loi permet l'accès au mariage, c'est-à-dire l'égalité dans l'accès à la norme. Cet accès à la norme se fait dans les mêmes conditions pour tous : mêmes interdits, mêmes repères et mêmes protections. Dans les faits, le nombre de mariages entre personnes de même sexe sera peut-être limité, comme d'ailleurs pour les couples hétérosexuels. Personne n'est obligé de se marier, mais chacun doit en avoir la possibilité.

Sécurité, car le mariage est une institution républicaine qui permet de reconnaître et de protéger les couples et leurs familles.

Je le répète, cette loi ne crée pas de familles homosexuelles, mais reconnaît des familles qui existent. Elle se saisit des réalités de la société. Le modèle du couple hétérosexuel n'est pas unique. Il est donc urgent de penser les changements de la société, de les encadrer plutôt que de les nier.

C'est pourquoi la commission des affaires sociales vous demande d'adopter ce projet de loi, tel qu'il résulte des travaux de la commission des lois. Pour ma part, je suis fière de voter aujourd'hui en faveur du mariage pour tous…

M. Yves Fromion. Ce n’est pas encore fait !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. …comme j'ai été fière de voter, hier, en faveur du PACS et de participer ainsi à une nouvelle étape de la construction de l'égalité des droits.

Permettez-moi, chers collègues, de terminer mon propos par une citation de L'Esprit des lois de Montesquieu (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : « L'amour de la démocratie est celui de l'égalité » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Goujon et M. Éric Woerth. Justement !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Je crois qu’il s’agit bien là de démocratie, d’égalité et d’amour. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, madame et monsieur le ministre, madame et monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires sociales, je ne vais pas intervenir sur le fond de ce projet de loi,...

M. Jacques Myard. Il n’y a pas de fond !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. …tout simplement parce que je le dirais moins bien que l’excellent rapporteur Erwann Binet et que Marie-Françoise Clergeau.

Je veux consacrer quelques minutes à l’étonnant, l’inquiétant procès en illégitimité intenté à ce Parlement, qui ne serait donc pas apte à voter un texte de cette importance.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas ce que nous avons dit !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. J’ai entendu que, au regard de l’importance de l’enjeu, c’était au peuple souverain et à lui seul de débattre et de se prononcer. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il m’a semblé que cet après-midi était le bon moment pour essayer de démontrer l’inconsistance de cette argumentation et évoquer ce qu'elle révèle d'inquiétant sur notre modèle institutionnel, en tout cas sur la manière dont certains l'appréhendent.

Comme beaucoup d’entre nous ici, j'ai reçu beaucoup de courriers sur ce texte appelant à l'organisation d'un grand débat. À chaque fois, j'ai répondu que ce débat avait lieu et qu'il fallait être d'une extraordinaire mauvaise foi ou d'une stupéfiante cécité pour ne pas s’en rendre compte.

Depuis sa présentation à la presse en septembre et son dépôt devant notre assemblée en novembre, quel autre sujet a été autant discuté par nos concitoyens,…

M. Claude Goasguen et M. Pierre Lequiller. Le chômage !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. …, disséqué par les médias, traité par les sociologues, les psychologues, et même par les représentants du culte ? Débats, tribunes, confrontations, cela fait des mois que la société parle de ce sujet. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Même dans cette assemblée, grâce au président Bartolone que je remercie, nous avons décidé que les auditions seraient ouvertes à la presse et retransmises sur le site de l'Assemblée nationale – ce qui n'avait jamais été l’usage sous la précédente législature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Gosselin. Mais si, cela s’est fait avant !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. S'il s'agit d'un débat escamoté, je ne sais pas ce qu'est un vrai débat ! Qu'aurions-nous pu faire de plus ? Votre modèle était-il le débat sur l’identité nationale ? (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous n’attendions pas grand-chose de ces grands-messes préfectorales dont il ne sortait que ce que ses instigateurs avaient décidé qu’il devait en sortir.

Je crois que le problème tient finalement à ce que certains n’admettent la pertinence d’un échange de vues que s'il aboutit à l'alignement de tout contradicteur sur leurs propres positions. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Ce n'est pas notre conception.

M. Claude Goasguen. Mais c’est votre pratique !

M. Philippe Meunier. Et les consignes de vote données aux députés socialistes ?

M. Pierre Lequiller. Pas un seul amendement de l’opposition n’a été accepté !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Concernant l'appel au peuple, le Gouvernement, par la voix de la garde des sceaux et de la ministre de la famille en commission des lois, a eu l’occasion de démontrer l'inapplicabilité constitutionnelle d’une telle requête. Je n’y reviens pas, d’autant que nous aurons, je crois, l’occasion d’en reparler dans la soirée.

Ce problème juridique mis à part, il ne semble pas que l’usage du référendum sur cette question aurait été pertinent. La nature même de la procédure référendaire, binaire, ne permet pas d'apporter une réponse nuancée à une question complexe.

M. Philippe Gosselin. La vôtre n’est pas nuancée non plus !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Attendez donc ma démonstration, vous la contesterez ensuite… Pas d’a priori !

M. le président. Monsieur Gosselin, vous répondrez tout à l’heure. En attendant, écoutez !

M. Philippe Gosselin. J’écoute avec attention.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. La question qui a donné lieu au dépôt de ce projet de loi se signale par sa complexité, chacun le reconnaît. Il suffit de regarder l'indéniable diversité des réactions qu'il suscite.

Certains de nos concitoyens sont favorables au mariage pour tous, mais hostiles à l'adoption par des couples homosexuels. D'autres sont totalement opposés au principe même du droit au mariage pour les homosexuels. D'autres encore estiment le texte incomplet au point de vouloir y intégrer d'autres dispositions.

Une telle disparité des opinions exclut de fait le recours à un mécanisme de consultation qui interdit toute prise en considération d'un éventail très large de positions.

M. Yves Fromion. Cela n’interdit pas le débat !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. C'est, me semble t-il, une question de bon sens mais aussi un problème politique.

Nous avons un rapport étrange au référendum. Régulièrement, les citoyens, en tout cas les sondés, plébiscitent l’outil, mais, lorsque l’occasion leur est donnée, ils sont moins nombreux à se déplacer. Du moins ne le font-ils pas en masse.

Faut-il rappeler les taux d’abstention enregistrés lors du référendum de 1988 et de celui, pourtant très populaire, de 2000 sur le quinquennat ? Pourquoi donc, par quelle bizarrerie donc devrait-on considérer que le législateur est – par essence – disqualifié ? Sommes-nous certains qu’en 1975, si un référendum avait été organisé sur l’IVG, son résultat aurait été positif ? Le résultat d’un référendum sur la peine de mort, en 1981, aurait-il été positif ? En 1999, le résultat d’un référendum sur le PACS aurait-il été positif ?

Pourtant, qui, aujourd’hui, conteste ces trois décisions, ces trois votes du Parlement ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Oui, la légitimité du référendum est incontestable sur les questions d’ordre institutionnel, mais, pour le reste, je crois sincèrement que c’est au pouvoir politique, exécutif et législatif, de prendre ses responsabilités.

M. Alain Tourret. Très bien !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. J’ajoute qu’il est pour le moins surprenant de voir ceux-là même qui reprochent à la majorité d’instrumentaliser le thème du mariage pour tous pour faire diversion par rapport à la crise économique réclamer à présent un référendum sur le sujet alors même qu’il monopoliserait inévitablement l’attention et les débats pendant plusieurs mois.

J’en viens à mon dernier argument.

Les revendications incessamment ressassées de « grand débat » et de référendum révèlent incidemment une volonté plus ou moins consciente de contourner le Parlement.

Certains éminents collègues, dont certains viennent d’arriver dans cette assemblée, y sont allés de leur couplet, louant avec ferveur les inestimables mérites de la démocratie directe. Étonnante déclaration que celle d’un de nos collègues, lors de la manifestation du 13 janvier : « En tant qu’élu de la Nation, je n’ai pas reçu le mandat de voter sur des réformes aussi essentielles » ! (Exclamations sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

Nous voilà donc prévenus : le Parlement n’a pas vocation à traiter les « réformes essentielles », sans doute est-il seulement là pour gérer les affaires courantes…

M. Jean Glavany. Incroyable !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Singulière conception de ce qu’est une démocratie représentative !

Nous, législateur, ne serions donc que des comparses, pour ne pas dire des parasites, sur une scène politique où les deux sources exclusives de légitimité seraient le chef d’État et le peuple. C’est à croire que les vieilles recettes éculées du bonapartisme ont encore des adeptes zélés ! Ce n’est pas notre modèle institutionnel, cela ne le sera jamais.

M. Claude Goasguen. Vous rêvez, monsieur Urvoas, vous rêvez !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous voulons un pouvoir législatif respecté, pleinement responsable, qui ne se défausse pas à la moindre contestation.

Nous ne croyons pas que la rue et le référendum soient les deux seules ni même les deux principales formes d’expression d’une démocratie moderne.

M. Claude Goasguen. C’est incroyable d’entendre ça !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous rejetons cet inconcevable jésuitisme qui consiste, d’une part, à en appeler constamment à la revalorisation du Parlement et, de l’autre, à exiger, dès qu’une réforme essentielle serait examinée, que le Parlement ne s’en occupe pas. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

J’invite dès lors chacun à retrouver le sens de la mesure.

Chers collègues, nous n’imposons rien contre la volonté du peuple, nous n’avons trompé personne, nous nous contentons de mettre en œuvre ce sur quoi nous avons été élus. François Hollande a été élu président de la République sur un programme.

M. Claude Goasguen. Et vous obéissez !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous avons été élus dans nos circonscriptions sur cette réforme.

Un projet de loi a été déposé dont l’objectif est d’en autoriser l’application. Il est discuté, à partir d’aujourd’hui en séance publique comme il l’a été en commission des lois pendant près de vingt-quatre heures.

Nos débats ne seront pas contraints par le temps-guillotine que vous nous avez imposé pendant plusieurs années. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Accoyer. Vous refusez le débat !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. L’opposition, et c’est normal, aura le droit de défendre ses amendements comme elle l’a fait en commission. Puis le vote aura lieu, dans l’apaisement. En fin de compte, c’est la démocratie, toute la démocratie, rien que la démocratie.

Le scandale, en vérité, eût été que nous baissions les bras, que nous nous résignions à défendre un texte tronqué, expurgé de ses principales dispositions.

Que ne nous auriez-vous pas dit, chers collègues de l’opposition ! Qu’aurait dit l’opinion sur l’incapacité des politiques à tenir leurs promesses, sur l’imprévoyance de l’exécutif et de sa majorité parlementaire, sur leur patente inconsistance, sur leur navrante inconséquence ?

Ces critiques-là eussent été justifiées. Celles dont l’opposition nous abreuve nous honorent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, la présentation et la discussion de ce projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe marque l’aboutissement d’un long combat destiné à faire reculer les préjugés et parfois les violences à l’encontre des homosexuels, donc d’un combat qui n’est pas sans lien avec la lutte en faveur du respect des libertés, de l’égalité des droits et de la fraternité, ces trois mots gravés dans la pierre des frontons de nos mairies.

M. Jacques Myard. Ça, c’est du pathos !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Alors que ce débat ne fait que commencer, je souhaite qu’il se déroule de manière digne et que tous et toutes, ici, nous fassions preuve d’écoute et de respect, surtout de respect de ceux et celles qui attendent cette loi pour obtenir les mêmes droits que les autres. Comme moi, vous avez dû recevoir la charte pour un débat parlementaire respectueux que l’association SOS Homophobie a envoyé à chacun et chacune d’entre nous. Je vous lis les six engagements que comporte cette charte.

M. Marc Le Fur. Police de la pensée !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Premièrement, « je considère que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité, les homosexuel-le-s, bisexuel-le-s et trans ne faisant pas exception à cette règle ».

Deuxièmement, « je sais que les relations homosexuelles entre personnes majeures et consentantes sont légales. Je sais que l’homosexualité n’est ni une pathologie, ni une déviance, ni un trouble psychique, ni une affection : c’est une orientation sexuelle respectable, comme l’est l’hétérosexualité ».

M. Éric Woerth. Ça n’a rien à voir avec le sujet !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Troisièmement, « compte tenu du principe de laïcité qui tient compte de la pluralité des religions et des convictions au sein de notre société, je sais que les règles d’une religion ne peuvent être invoquées pour s’opposer ou se soustraire aux règles de la République. Étant élu-e pour représenter et voter les lois d’une République laïque, je ne ferai pas primer un dogme religieux sur l’action politique ».

Quatrièmement, « je condamnerai fermement toute dévalorisation des personnes LGBT et de leur entourage, tout propos insultant, dégradant, blessant et tout amalgame entre homosexualité et pédophilie, zoophilie, polygamie, inceste ou tout autre crime ou délit ».

Cinquièmement, « quelle que soit ma position envers le projet de loi et le débat, j’affirme respecter les personnes quelle que soit leur orientation sexuelle, et je soutiens les personnes victimes d’homophobie ou de discriminations ».

M. Éric Woerth. Nous aussi ! Tout le monde !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Sixièmement, « j’ai conscience que les injures et diffamations sont violentes et blessantes pour les personnes LGBT et je m’engage à tenir des propos mesurés et respectueux de toutes les citoyennes et tous les citoyens quelle que soit leur orientation sexuelle ».

En rappelant ces engagements, je souhaite insister sur la forme que doivent prendre nos débats et ne pas revivre ce qui s’est passé lors des débats au sein de la commission des affaires sociales, que je préside. Je veux parler de la sortie théâtrale d’un de nos collègues, jusqu’ici fort discret en commission, qui a entraîné derrière lui ses quelques collègues de groupe.

J’en profite pour saluer à nouveau l’attitude de notre collègue Arnaud Richard, membre du groupe UDI, qui, seul de l’opposition, est resté jusqu’à la fin du débat pour défendre ses amendements. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI.)

J’espère que le député que je n’ai pas nommé comprendra vite qu’il a été élu, comme nous tous et nous toutes, pour siéger aussi en commission, et que ce n’est pas parce qu’il voit ses deux premiers amendements repoussés qu’il doit quitter la salle. Le fait majoritaire est une réalité, mon cher collègue, et il faudra bien que vous vous en accommodiez ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) S’ils avaient eu la même attitude, les membres du groupe socialiste n’auraient pas siégé souvent en commission au cours de la précédente législature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Surtout, le procès en illégitimité du Parlement, qu’il a instruit dans cette commission, n’est pas acceptable. Le Président de la République avait inscrit cette réforme parmi ses soixante propositions – c’était la trente-et-unième – et nous, députés de la majorité, avons été élus pour mettre en œuvre cet engagement. Alors, au-delà de la querelle des chiffres sur les participants aux manifestations, il y a un chiffre qui est officiel, c’est celui des 18 millions de nos concitoyens qui ont voté François Hollande le 6 mai dernier et qui l’ont conforté en lui donnant une majorité parlementaire dans cet hémicycle, et, pendant quatre ans et demi, vous n’y pourrez rien ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Laignel ! Reviens, Laignel !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. J’en viens maintenant au fond du débat pour répondre à certains des arguments avancés par les adversaires de ce projet. En surplomb de ces arguments, on entend l’invocation de la nature humaine et de ses exigences. L’on appelle à la rescousse l’anthropologie, alors que, s’il y a bien une réalité que cette science nous enseigne, c’est la pluralité, dans le temps et dans l’espace, des modèles familiaux. J’avoue ma perplexité et mes réticences à invoquer, dans ce débat comme dans d’autres, l’idée de nature. Je partage tout à fait ce qu’a écrit Mme Martine Chantecaille, enseignante en philosophie : « Quand bien même la nature serait l’origine de certaines situations, cela n’en fait pas pour autant le fondement que le droit devrait suivre […]. Le fondement du droit ne peut être la nature, au demeurant plus souvent fantasmée que réelle mais bien plutôt l’idéal moral de l’égalité des êtres humains. »

Un autre des arguments avancés par les opposants à ce projet de loi est que nous ne ferions que légiférer pour une infime minorité de la population.

M. Claude Goasguen. C’est vrai !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Or, ce qui importe, c’est que ce texte ne porte pas atteinte aux droits et aux intérêts de la majorité. L’ouverture du mariage homosexuel, cela a été dit, ne porte aucun préjudice aux couples déjà constitués ni aux futurs couples hétérosexuels.

M. Claude Goasguen. Vous avez mal lu Carbonnier !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Autre argument fallacieux, ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe saperait les fondements du mariage et de la famille. Penser cela, c’est nier les évolutions à l’œuvre depuis des décennies, qui ont profondément modifié ces fondements. Aujourd’hui, le mariage n’est qu’une des façons de faire couple – il y en a plein d’autres – et cette façon de faire couple s’appuie avant tout sur la sincérité du sentiment entre deux êtres.

Certains prétendent que le but du mariage est d’abord et avant tout la fondation d’une famille. Pourtant, il n’est plus le seul instrument juridique pour fonder une famille. D’ailleurs, plus de la moitié des naissances dans notre pays – cela a été dit par Mme la ministre des familles – adviennent hors mariage.

Dernier argument que les adversaires du projet de loi espèrent imparable, en ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, nous porterions atteinte aux droits des enfants. C’est tout le contraire ! Ce projet de loi ne va pas créer des familles homoparentales ; tout le monde sait qu’elles existent déjà, depuis longtemps.

M. Jacques Myard. C’est pas une raison !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Cela porte-t-il préjudice à ces enfants ou les met-il en danger ? Bien sûr que non, du moment qu’ils sont élevés dans l’amour par ces couples. Les enfants de ces familles ne sont ni plus ni moins épanouis ou équilibrés que les autres. Ce qui se révèle difficile à vivre pour ces familles, c’est quelque chose qui ne leur est pas imputable, c’est le regard que la société porte sur elle.

Sartre écrivait dans Huis clos : l’enfer, c’est les autres, c’est le regard que posent les autres. Alors, évitons d’être ces autres. Je crois profondément que le vote de ce projet de loi contribuera à faire évoluer dans le bon sens ce regard et à combattre les préjugés véhiculés par ses adversaires. En réfléchissant ces derniers jours à ce débat, je me demande si la société ne s’est pas profondément trompée dans son approche de l’homosexualité, je me demande si, lorsque celle-ci a été retirée de la liste des maladies mentales, il n’aurait pas fallu lui substituer l’homophobie.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Je rappelle à ce sujet que bien avant l’OMS, la France avait retiré l’homosexualité de la catégorie des maladies psychiatriques. Cela a été fait par une majorité de gauche, et par la voix de Robert Badinter. Naturellement, personne ne se revendiquera homophobe dans cet hémicycle : je pars du principe que personne ici ne l’est. Mais il y en a à l’extérieur, nous le savons tous. Or si l’on s’interroge sur le sens du mot « phobie », quelles définitions en trouve-t-on ? En voici quelques-unes : en psychopathologie, le terme phobie – du grec ancien phobos – désigne un ensemble de souffrances psychiques et de troubles psychologiques axés sur un acte ou une entité extérieure capable de susciter une peur morbide et irrationnelle, hors de proportion par rapport au danger réel, une peur ou une aversion persistante et irrationnelle d’un objet ou d’une situation.

M. Jacques Myard. Ça, c’est votre définition !

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. D’un objet ou d’une situation : ces mots sont importants. On peut avoir peur d’un objet ou d’un animal, comme les araignées ou les serpents, ou d’une situation, comme la foule ou, à l’inverse, les espaces confinés – c’est la claustrophobie. Quel sens cette peur a-t-elle quand elle porte sur des hommes ou des femmes que l’on croise chaque jour dans la rue, sans que rien ne permette de les distinguer de leurs semblables ? Être homophobe, c’est quelque part être un peu malade.

Il faut donc espérer que le vote de ce projet de loi, outre qu’il fera progresser l’égalité des droits et sécurisera ces couples, ces familles, aura quelques effets thérapeutiques sur un certain nombre de nos concitoyens frappés par cette homophobie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Motion de rejet préalable

M. le président. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Henri Guaino.

(Mme Laurence Dumont remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de Mme Laurence Dumont
vice-présidente

M. Henri Guaino. Monsieur le président… (Rires et exclamation sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Ça commence !

M. Henri Guaino. Veuillez m’excuser, madame la présidente.

Mme la présidente. Je vous en prie, monsieur le député.

M. Henri Guaino. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de vous dire que je ne répondrai pas aux insultes. Ce débat mérite mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. Très bien !

M. Henri Guaino. Permettez-moi de commencer par tenir une promesse que je me suis faite, un triste jour de janvier 2010, dans la chapelle des Invalides. En prenant pour la première fois la parole à cette tribune, je veux rendre hommage à une grande voix républicaine qui s’est tue trop tôt, celle de Philippe Séguin. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Le 5 mai 1992, certains d’entre vous s’en souviennent, c’était la nuit tragique de Furiani, il était monté à cette même tribune et avait déclaré : « Je voudrais croire que nous sommes tous d’accord au moins sur un point : l’exceptionnelle importance, l’importance fondamentale du choix auquel nous sommes confrontés. » Puis il avait demandé à l’Assemblée de déclarer irrecevable le projet de loi constitutionnelle qui devait permettre la ratification du traité de Maastricht, parce que, disait-il, le Parlement n’avait pas le droit de prendre seul une telle décision. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Cela n’a rien à voir ! De plus, cela n’est pas conforme à l’article 11 de la Constitution !

M. Henri Guaino. Aujourd’hui, c’est pour autre un texte d’une tout autre nature, qui ne met pas en jeu la souveraineté nationale, mais les fondements même de notre société (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC), un texte qui a l’ambition, comme l’a dit madame le garde des sceaux, de réformer la civilisation, que je viens, avec une voix dont j’ai bien conscience qu’elle n’est pas aussi forte que celle de Philippe Séguin,…

M. Matthias Fekl. Ouo celle de Malraux !

M. Henri Guaino. …mais avec une gravité comparable à la sienne, vous demander de voter cette motion de rejet préalable, conformément à l’article 91 alinéa 5 du règlement de notre assemblée.

M. Bruno Le Roux. Narcissisme !

M. Yann Galut. Philippe Séguin n’aurait pas remis en cause le Parlement !

M. Henri Guaino. Nous sommes dans un régime parlementaire. La Ve République est un régime parlementaire. Mais il arrive que sur des sujets d’une importance exceptionnelle, sur des textes d’une nature particulière, le choix du référendum ne soit pas une simple option mais, au fond, une obligation…

M. Henri Emmanuelli. On l’a vu ces cinq dernières années !

M. Henri Guaino. …une obligation politique, une obligation intellectuelle, une obligation morale, même si elle n’est pas une obligation juridique. La Constitution offre la possibilité au Président de la République de faire voter le peuple au lieu du Parlement. Elle ne le lui impose pas. Ainsi, ce n’est pas la lettre mais l’esprit de nos institutions qui est ici en cause. Il nous oblige d’autant plus.

Nous pourrions – nous devrions – au moins nous accorder sur un point : ce projet de loi est d’une nature très différente de celle des projets qui sont d’habitude soumis au Parlement. Nous pourrions – nous devrions – au moins nous entendre sur un fait : par son objet même, par les conséquences qu’il peut avoir, par la profondeur des sujets auxquels il touche, ce projet de loi n’est pas un projet de loi ordinaire.

M. Matthias Fekl. Pécresse a dit le contraire ! Copé aussi !

M. Henri Guaino. Mes chers collègues, vous le savez tous, dès lors que ce projet de loi serait adopté, tout retour en arrière serait très difficile, pour ne pas dire impossible. Non parce qu’il serait entré dans les mœurs, non parce que ceux qui aujourd’hui le rejettent – et avec quelle force – s’y seraient habitués, non pour des raisons politiciennes, mais pour des raisons politiques et surtout pour des raisons humaines. C’est une loi que l’on ne peut pas prendre à l’essai : si elle était adoptée, des couples se marieraient, des enfants naîtraient. (Mouvements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yann Galut. Et c’est ce que nous souhaitons !

M. Henri Guaino. Comment dès lors imaginer revenir sur ce qui aurait été accompli ?

M. Bernard Roman. Jean-François Copé dit le contraire : il faudrait vous mettre d’accord !

M. Henri Guaino. Comment concevoir que la parole qui aurait été donnée à ces couples, à ces enfants puisse être reprise ? Mais de ce fait, ce que la majorité d’aujourd’hui déciderait, aucune majorité dans l’avenir ne pourrait le défaire. Or, aucune majorité n’a le droit de dessaisir les majorités futures, c’est la loi d’airain de la démocratie ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Quand une décision quasiment irréversible doit être prise, seul le peuple souverain a le droit de la prendre. C’est la loi de la République ! (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Mes chers collègues, ce texte touche à la conscience de chacun. En évoquant l’éventualité d’une clause de conscience pour les maires, M. le Président de la République lui-même l’a reconnu. Et il appartient aujourd’hui à notre Assemblée, à chacun d’entre nous, de répondre en conscience à la question de savoir si nous avons le droit, je dis bien le droit, en tant que démocrates, en tant que républicains, de parler ici à la place de ceux que nous représentons,…

M. Bernard Roman. Non, pas à la place !

M. Henri Guaino. …de savoir si nous avons le droit, oui, le droit, de substituer sur un sujet pareil notre conscience à la leur.

M. Arnaud Leroy. À quoi servons-nous, alors ? Vous êtes un mercenaire politique !

M. Henri Guaino. C’est la question de la République qui se trouve posée. La République ne peut vivre que si chaque conscience républicaine est une conscience inquiète se demandant à chaque instant si elle n’utilise pas avec excès les pouvoirs qui lui ont été confiés…

M. Bernard Roman. Invraisemblable !

M. Henri Guaino. …si elle exerce avec suffisamment de retenue l’autorité qu’on lui a octroyée. (Exclamations persistantes sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Mes chers collègues, vous qui voulez toujours réhabiliter le Parlement, cessez de l’abaisser, et écoutez ceux qui ne sont pas d’accord avec vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Qui a quitté la séance de la commission des affaires sociales ? C’est vous qui en êtes parti ! Ne nous donnez pas de leçons !

M. Henri Guaino. Je n’ai invectivé personne, ni coupé la parole à personne ! Mes chers collègues, soyez à la hauteur de ce débat ! (Tumulte sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Guaino a la parole. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Guaino. Chaque conscience républicaine doit être inquiète à chaque instant, pour savoir si elle n’utilise pas avec excès les pouvoirs qui lui ont été confiés, et si elle exerce avec suffisamment de retenue l’autorité qu’on lui a octroyée. Tous ceux qui sont chargés de faire fonctionner les institutions de la République doivent se rappeler sans cesse que, quels que soient les droits, les pouvoirs dont ils disposent, ils n’ont en vérité que des devoirs.

La République ne va jamais aussi mal que lorsque cette exigence faiblit dans le cœur et la raison de ceux qui la servent. Voyez comme elle va mal, notre République, et combien elle a besoin de retrouver les vertus qui dans le passé lui ont donné tant de force.

Mme Julie Sommaruga. On se demande à cause de qui !

M. Henri Guaino. Alors, c’est à chaque conscience républicaine, inquiète de savoir où est son devoir, que je m’adresse. Je veux lui dire que l’on aurait pu s’y prendre autrement : recenser les inégalités, les injustices, les souffrances et rechercher tous ensemble, comme pour la loi relative à la bioéthique, une réponse commune afin de régler les problèmes d’héritage, de pension, et même répondre à la demande de reconnaissance d’un amour qui mérite autant de respect, de considération que toutes les autres formes d’amour. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

La majorité ne l’a pas souhaité. Elle a voulu que la conclusion soit écrite par avance, irrévocablement, avec l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Avec ce paradoxe que je ne peux manquer de remarquer : ceux qui, dans le passé, ont tant décrié le mariage, sont précisément ceux qui veulent aujourd’hui l’offrir à tous. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Dès lors que ce choix avait été fait par la majorité, il ne pouvait plus y avoir de véritable débat, car un débat dont la conclusion est écrite d’avance, mes chers collègues, ce n’est pas vrai débat, c’est un simulacre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Christian Hutin. Et pendant les cinq dernières années, qu’est-ce que vous avez fait ?

M. Henri Guaino. Si le Président de la République restait sur sa position, si la majorité ne changeait pas d’avis, le peuple serait deux fois bafoué : la première parce qu’il n’aurait pas son mot à dire, la deuxième parce qu’on l’aurait privé du débat par lequel il aurait pu forger son jugement.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Christian Hutin. C’est n’importe quoi !

M. Henri Guaino. Mais est-il bien raisonnable de croire qu’à notre époque il est encore possible de tenir le peuple à l’écart de décisions qui le concernent aussi irrévocablement ?

Mme Marie-Françoise Clergeau. N’importe quoi !

M. Henri Guaino. Est-il bien raisonnable de croire qu’une loi votée de cette manière – qu’il faut considérer pour ce qu’elle serait, c’est-à-dire un passage en force – pourrait devenir la loi de tous dans les consciences et dans les cœurs ? Quand on viole les consciences, mes chers collègues, quand on les piétine, elles se raidissent, elles se ferment. Regardez ce qui se passe dans la société, regardez les déchirures !

M. Jean-Claude Perez. Vous ne manquez pas d’air !

M. Henri Guaino. Non, on ne crée pas l’ouverture d’esprit, on ne crée pas la tolérance – et, mieux que la tolérance, la compréhension, le respect et la fraternité – par la brutalité aveugle de la loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Erwann Binet, rapporteur. Trop facile !

M. Henri Guaino. Pourquoi ne pas admettre enfin que la loi ne peut pas tout régler quand c’est dans l’intimité de la conscience de chacun que se trouve la réponse ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Henri Guaino. Pourquoi ne pas reconnaître qu’il y a toujours dans une société des zones grises où les sentiments et les raisons sont si enchevêtrés que la loi, en cherchant à les trancher, ferait plus de mal que de bien ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

En parlant du mariage pour tous, le Gouvernement dit : « amour » ! Mais qui sur ces bancs conteste à deux êtres qui s’aiment le droit de s’aimer ?

M. Bernard Roman. Eh bien alors ?

M. Henri Guaino. Le Gouvernement dit : « liberté » ! Mais qui sur ces bancs conteste à quiconque la liberté de vivre selon son cœur ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Vous !

M. Henri Guaino. Le Gouvernement dit : « égalité des droits » ! Mais le mariage n’est pas un droit, c’est une institution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. Belle formule !

M. Henri Guaino. Le Gouvernement dit : « progrès » ! Nous lui opposons la sagesse multimillénaire que toutes les sociétés humaines ont tirée de l’expérience de la vie.

Un député du groupe SRC. Réactionnaire !

M. Henri Guaino. Le million de Français qui est descendu dans les rues de Paris le 13 janvier, parlant pour des millions et des millions d’autres qui n’avaient pu venir, n’a pas manifesté contre l’amour, ni contre la liberté, ni contre l’égalité des droits, ni contre le progrès. Il a manifesté pour défendre une institution aussi ancienne que la civilisation. Il a manifesté parce que dénaturer cette institution, ce serait bouleverser l’ordre social, non pas seulement pour les uns, mais aussi pour tous les autres ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

La plupart de ceux qui sont opposés à ce projet n’ont ni moins de cœur ni moins de générosité que ceux qui le soutiennent. Ils ne sont pas moins dignes de respect. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Ils savent que la société a changé, que les mentalités ont évolué, que la famille s’est transformée. Ils portent sur le monde un regard bienveillant. Ils ne veulent blesser personne. On avait dit qu’il y aurait des débordements, des outrances. Il n’y en a pas eu une seule ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

À ces Français simples et dignes, qui ne demandent au fond qu’un peu de respect, de démocratie et de République, n’allons-nous répondre que par ces deux mots terribles : « taisez-vous !» ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Qui peut croire que c’est possible ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

« Taisez-vous ! » Qui peut croire que cela ne laissera aucune trace ? (Tumulte sur les bancs du groupe SRC.) « Taisez-vous ! » Qui peut croire que c’est possible ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

« Taisez-vous ! » Qui peut croire que la République n’en sortirait pas blessée ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mes chers collègues, non seulement, nous avons à nous prononcer sur un sujet qui n’est, au fond, nous le savons bien, comparable à aucun autre, mais nous avons à le faire dans un de ces moments de l’histoire très particuliers où la politique se voit sommée de redonner un sens aux mots de civilisation, de civilité, de civilisé.

M. Henri Emmanuelli. Sous-Malraux !

M. François André. En tout cas, il y a du boulot !

M. Henri Guaino. « Civilisé », réfléchissez à ce mot. Dans quelle société, dans quelle civilisation voulez-vous nous faire vivre ? Voilà la question que, dans des périodes de malaises et de crises profondes, quand un vieux monde n’arrive pas à mourir, quand un monde nouveau n’arrive pas encore à naître, tous les peuples du monde adressent à tous les pouvoirs et d’abord, bien entendu, à la politique.

M. Thomas Thévenoud. Quel acteur !

M. Henri Guaino. Question légitime, si l’on veut bien considérer la politique comme l’expression de la volonté humaine dans l’histoire. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Avec ce texte, que vous le vouliez ou non, nous n’avons pas à prendre position seulement sur une mesure, pas seulement sur un droit, pas seulement sur un statut. Nous discutons d’un texte qui est bien davantage qu’un texte : une déclaration d’intentions sur la manière dont nous allons faire évoluer notre société…

M. Henri Emmanuelli. Dans le bon sens !

M. Henri Guaino. …sur les principes sur lesquels elle se construira, sur les valeurs qu’elle reconnaîtra comme siennes dans l’avenir. Nous à prendre une position sur une politique de civilisation, oui, une politique de civilisation !

M. Henri Emmanuelli. Archéo !

M. Henri Guaino. Qu’y a-t-il derrière ce texte, sinon d’abord la négation de la différence des sexes (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP), et dans le domaine où elle est le plus évidente : celui de la procréation et celui de la relation à l’enfant ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Laissez les enfants tranquilles !

M. Henri Guaino. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c’est donner le droit d’avoir des enfants à des couples auxquels la loi de la nature ne le permet pas. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Claude Perez. Amen !

M. Henri Emmanuelli. Archéo !

M. Henri Guaino. Il ne faut pas tricher avec cette question. Il ne se faut pas se mentir à ce sujet, c’est un sujet trop grave. Il n’y a pas d’un côté le mariage et de l’autre côté la procréation et l’enfant.

M. Henri Emmanuelli. C’est cela, oui !

M. Henri Guaino. Dès lors que l’on touche au mariage, on implique l’enfant. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Dès lors que l’on touche au mariage, on pose inéluctablement la question de la procréation.

M. Bernard Roman. Il faut vivre avec son temps ! (Vives exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Monsieur Roman, s’il vous plaît !

Plusieurs députés du groupe UMP. Écoutez la présidente, monsieur Roman !

M. Henri Guaino. Dès lors que l’on touche au mariage, on ne peut pas éviter les conséquences sur la filiation. Et qu’est-ce que cela signifie de vouloir donner un véritable droit à l’enfant à des couples de même sexe, sinon d’abord que l’on est convaincu qu’il n’y a aucune différence entre le père et la mère ? Qu’il y ait des préjugés sociaux dans la répartition des tâches entre les hommes et les femmes au sein de la société, qui le nierait ?

M. Henri Emmanuelli. Mais vous !

M. Henri Guaino. Mais que les relations de l’enfant avec son père et avec sa mère ne soient que l’expression des préjugés sociaux, quelle folie ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Qui donc a aimé de la même manière son père et sa mère ?

M. Henri Emmanuelli. Moi !

M. Henri Guaino. Qui donc a été aimé de la même manière par son père et par sa mère ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli et M. Patrick Lemasle. Moi !

M. Henri Guaino. Il faut l’homme et la femme, le père et la mère, pour engendrer et guider l’enfant sur le chemin de la vie. Oui, c’est une loi de la nature, une loi qu’aucune communauté humaine ne peut abolir. Les accidents de la vie – je sais de quoi je parle – en décident parfois autrement, et chacun s’en sort du mieux qu’il peut. Mais pensez toujours, oui, pensez toujours aux souffrances intimes, aux blessures secrètes (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) de tous ceux auxquels, en dépit de l’amour infini qu’ils ont reçu de ceux qui les ont élevés, il a manqué…

Mme Julie Sommaruga. Cela n’a rien à voir !

M. Henri Emmanuelli. Il n’a pas eu de chance !

M. Henri Guaino. …et manqué toujours et pour toute la vie une mère et un père. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Lemasle. Un signalement s’impose!

M. Henri Guaino. Et à ceux qui prétendent que les enfants des couples de même sexe apprendront la différence des sexes en regardant autour d’eux ce qui se passe dans la société, je voudrais dire qu’ils semblent ignorer à quel point la prise de conscience pour un enfant qu’il est différent des autres est toujours pour lui une source de profonde douleur. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) J’ai parlé, un jour, de la souffrance de l’enfant sans père et sans mère qui devait répondre aux questions « profession du père ; profession de la mère ? ». Mme la ministre déléguée chargée de la famille m’a répondu que l’on ne faisait pas de la politique à partir d’un cas personnel. Mais on ne fait pas de politique non plus sans qu’elle soit profondément ancrée dans l’expérience d’une vie, les épreuves affrontées, les peines et les joies ressenties. (« Très bien ! » et applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) A la politique sèche et froide des idéologues, il faut, sans cesse, opposer la politique charnelle, la politique humaine.

M. François André. Grotesque !

M. Henri Guaino. Si vous lisiez toutes les lettres que j’ai reçues…

De nombreux députés du groupe SRC. Nous aussi on en a reçu !

M. Henri Guaino. Si vous lisiez toutes les lettres que j’ai reçues de Français connus et inconnus, vous sauriez qu’en parlant de moi, j’ai parlé pour tous ceux qui ont vécu le même drame intime, souvent sans en parler jamais.

Mesdames les ministres, vous vous défendez – et avec quelle énergie ! – de vouloir faire disparaître les mots de père et de mère du code civil…

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais non !

M. Henri Guaino. …mais votre dessein est de la faire disparaître de la société !

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Claude Perez. Farceur !

M. Henri Guaino. Voilà la vérité, vous qui ne croyez pas qu’il y ait des différences entre l’une et l’autre ! (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) Les racines idéologiques de votre projet sont décidément très profondes…

M. Henri Emmanuelli. Ah oui ?

M. Henri Guaino. Vous ne voulez pas seulement que l’homme domine la nature. Vous voulez que le social triomphe de la nature et que sa victoire soit sans partage. Vous tournez ainsi le dos à la raison, car c’est la déraison qui commande à l’homme de vouloir nier sa nature. Où cela nous mènerait-il, sinon sur les voies les plus dangereuses ?

M. Henri Emmanuelli. On n’est pas à Rome !

M. Henri Guaino. Ce texte n’est pas qu’un texte : s’il était adopté, il aurait des conséquences. Voulez-vous réellement les conséquences de ce que voulez instaurer ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Oui !

M. Henri Guaino. Croire que la question du mariage peut être dissociée de celle de la procréation médicale assistée et de celle de la procréation pour autrui, c’est se mentir à soi-même. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Archéo !

M. Henri Guaino. Cette dissociation est absolument impossible. Si l’on donnait le droit à des couples par nature stériles d’avoir des enfants, on ne pourrait leur refuser les moyens d’en avoir. On finirait donc, et une partie de la majorité ne s’en cache pas, fort logiquement d’ailleurs, par donner accès à la procréation assistée à tous les couples de femmes. Mme la ministre chargée de la famille m’a répondu que la PMA, qui est autorisée pour les couples hétérosexuels souffrant d’un problème de stérilité, crée d’ores et déjà pour ces couples un droit à l’enfant. Mais, dans le cas des couples hétérosexuels, il s’agit seulement, madame la ministre, d’aider à l’accomplissement de la loi de la nature. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. C’est cela, oui !

M. Henri Guaino. Dans le cas de couples de même sexe, il s’agirait au contraire de s’en affranchir. Cela changerait tout. Cela ferait passer la procréation médicale assistée du champ médical, où elle est aujourd’hui étroitement contenue, dans celui social où elle ne serait pas contenue par rien. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Allez faire un pèlerinage avec Sarkozy !

M. Henri Guaino. Et ce ne serait plus regarder la procréation que sous le seul angle du désir…(Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Eh oui, il faut s’habituer à parler au milieu des vociférations et c’est parfois difficile ! ((Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Une mère m’a écrit ces quelques mots : « Mon mari et moi avons des jumelles de quatorze ans issues de PMA à partir de mes gamètes et de ceux de mon mari. Je ne juge pas les couples qui font appel à un don de spermatozoïdes, mais c’est de tout autre nature. Il y a un vrai déséquilibre dans le couple : c’est l’enfant biologique d’un seul des parents. Je crois que cela peut poser des soucis aux enfants, surtout si l’enfant ne sait pas que son père n’est pas le père biologique. Et si cette loi passe, disait-elle, nous allons fabriquer des millions d’enfants. » Mais elle ajoutait, écoutez bien : « Après, c’est l’amour qui compte. »

Oui, c’est l’amour qui compte. Mais qu’allons-nous faire de l’amour dans cette histoire ? Il est bien difficile, pour n’importe quel parent, d’élever des enfants et je suis bien certain que deux femmes ou deux hommes peuvent donner autant d’amour qu’un père et une mère. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Les deux femmes qui m’ont élevé m’ont aimé sans compter. Mais que deviendrait l’amour, lorsque, ayant donné aux femmes les moyens d’exercer ce droit à l’enfant, on ne pourrait pas le refuser non plus indéfiniment aux hommes ? On leur concéderait les mères porteuses, à moins que ce ne soit les juges qui le fassent au nom de cette exigence d’égalité à laquelle le projet de loi qui nous est présenté prétend répondre. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) Alors, s’installerait fatalement une relation de client à fournisseur dans la procréation, la marchandisation des corps – eh oui ! –, la demande par les clients d’enfants sans défaut, d’enfants qui leur ressemblent. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Absolument !

Mme Marie-George Buffet. C’est pour cela que c’est interdit !

M. Henri Guaino. Devant certains tribunaux dans le monde, mes chers collègues, oui, devant certains tribunaux dans le monde, on débat déjà pour savoir si l’intérêt de l’enfant doit primer sur le contrat ou si c’est l’inverse qui doit être vrai. Oui, après c’est l’amour qui compte ; mais que deviendrait l’amour, alors, dans cette relation marchande (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC)

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Il n’a jamais été question de cela et vous le savez très bien !

M. Henri Guaino. …dans cet asservissement des corps des plus pauvres, dans cette société qui, en tout et pour tout, ferait passer le plaisir et l’utilité devant tout autre considération, et où serait occultée la dimension spirituelle de l’enfant de la personne humaine ?

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Henri Guaino. Je veux parler à tous ceux d’entre vous qui, sur tous les bancs de cette assemblée, n’ont pas renoncé à l’idéal de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ne voient-ils pas que cette société serait à l’opposé de l’idéal que nous ont légué les Lumières et vingt siècles de civilisation ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. C’est vous qui renoncez à la République !

M. Henri Guaino. Quel modèle, quel repère pourrions-nous donner alors à nos enfants, à nos petits enfants ? Que leur dirions-nous à chaque fois qu’ils nous interpelleraient par ces mots si fréquents dans leur bouche : « A quoi cela me sert-il ? En quoi cela me procure-t-il du plaisir ? », alors que l’enfant lui-même ne serait plus qu’un obscur objet du désir ? Comment trouverions-nous les mots pour dire à nos enfants que les plus grandes satisfactions de l’homme sont dans la récompense des efforts qu’il consent sur lui-même,…

M. Henri Emmanuelli. Quel mélange ! Il mélange tout !

M. Henri Guaino. …dans les exigences qu’il s’impose à lui-même, dans les principes et dans les règles qui le grandissent en lui fixant des limites ? Comment pourrions-nous encore dire à nos enfants qu’entre la recherche du plaisir le plus immédiat et le plus superficiel et l’utilitarisme le plus étroit, ils ne trouveraient qu’une vie médiocre ? Quel républicain ne voit qu’en l’égalitarisme qui est le principe de cette loi et le communautarisme qui en est l’impensé, il n’y a pas de place pour la République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. C’est ridicule !

M. Henri Guaino. Quel républicain ne comprend qu’en faisant de la revendication de quelques-uns, aussi légitime soit-elle, la loi de tous, on fait le contraire de la République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Un député du groupe SRC. Elle a bon dos, la République !

M. Henri Guaino. À tous ceux qui parlent de conservatisme à propos des hommes et des femmes qui s’inquiètent que le pas qu’on veut leur faire franchir soit un pas de trop, une conscience républicaine ne devrait-elle pas répondre que si la République, c’est l’audace d’inventer l’avenir, ce n’est pas pour autant l’oubli de toutes les leçons de l’histoire humaine ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

À tous ceux qui exigent que l’on dise oui à leur réforme, au nom d’un prétendu progrès, une conscience républicaine ne devrait-elle pas répondre que seul l’esclave dit toujours oui ? (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Henri Guaino. Oh, certes, une telle société peut advenir, même sans la dénaturation du mariage ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mesdames, messieurs les députés de la majorité, souffrez que M. Guaino finisse, s’il vous plaît ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. On souffre ! (Très vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP. – De nombreux députés du groupe UMP se lèvent.)

M. Jean Leonetti. C’est inadmissible ! C’est un scandale ! C’est insupportable !

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, je demande la parole pour un rappel au règlement !

Mme la présidente. Mes chers collègues, asseyez-vous ! (Vives protestations sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

Monsieur Gosselin, M. Guaino a quasiment épuisé son temps de parole. Je vous propose de le laisser conclure tranquillement. Je vous donnerai la parole après. (Vives exclamations sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Yves Fromion. Ce sera au procès-verbal !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur Guaino.

M. Henri Guaino. Oh, certes, une telle société peut advenir, même sans la dénaturation du mariage ! Mais, avec ce projet de loi, nous lui ouvrons grand la porte, nous l’appelons, nous rendons son avènement quasi inéluctable. Aucune conscience républicaine ne peut rester indifférente à ce danger. C’est le rôle, c’est le devoir, c’est la nature même d’une conscience républicaine d’être inquiète des conséquences des choix que nous nous apprêtons à faire !

Je m’adresse donc à toutes les consciences républicaines que compte cette assemblée, qu’elles soient de droite, qu’elles soient du centre ou qu’elles soient de gauche.

M. Jean-Claude Perez. On s’en fout !

M. Henri Guaino. Comment trancher entre les consciences qui ne sont pas suffisamment inquiètes de ce projet de loi et celles, qui, peut-être, le sont trop ? Comment trancher, sinon en permettant à chaque Français de prendre part à la décision ?

Mes chers collègues, je voudrais que chacun d’entre vous, avant de décider s’il vote pour ou contre cette motion, mesure bien l’importance de sa décision, non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir. Car nous devons nous demander de quelle manière nous allons répondre, à l’avenir, à toutes les graves questions de société et de civilisation…

M. Henri Emmanuelli. Ça va, les leçons !

M. Henri Guaino. …que toutes les crises que nous vivons vont nous obliger à affronter dans les années qui viennent !

Les aborderons-nous en faisant prévaloir la seule logique des majorités parlementaires, la seule logique des camps et des partis ?

M. Henri Emmanuelli. Vous vous êtes gênés, pendant cinq ans !

M. Henri Guaino. C’est une question de morale mais pas seulement ; car comment rendrons-nous acceptables, légitimes – et cette légitimité est indispensable – les règles et les principes au nom desquels nous acceptons de vivre ensemble et de partager – ce n’est pas rien – une destinée commune, si la seule logique qui prime toujours est celle du rapport de forces ? Je ne dis pas cela pour contester la légitimité de la majorité parlementaire à gouverner (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) – de celle-ci pas plus que d’une autre. C’est la loi de la démocratie et je l’ai toujours respectée.

M. Jean-Claude Perez. Amen !

M. Henri Emmanuelli. C’est grandiloquent !

M. Henri Guaino. Je l’affirme parce qu’il est des moments et il est des sujets qui appellent chacun à suivre sa conscience davantage que son parti. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et de nombreux bancs du groupe UDI.) Ce moment en est un, ce sujet en est un.

En 1984, François Mitterrand avait imposé, contre le souhait de son gouvernement et d’une partie de sa majorité, le retrait du projet de loi sur l’école, non parce qu’il avait peur de la rue, mais parce qu’il ne voulait pas rouvrir une guerre scolaire dont il se rappelait le mal qu’elle avait fait à la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

MM. François Rochebloine et Claude Goasguen. Très bien !

M. Henri Guaino. En 1992, il avait répondu à la grande voix de Philippe Séguin en prenant le risque du référendum et du débat. Il avait compris qu’il fallait prendre ce risque pour que la monnaie unique soit la monnaie de tous. À chaque fois, François Mitterrand ne s’était pas abaissé dans son rôle de chef de l’État, il s’était grandi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) On se grandit toujours quand on donne la parole au peuple.

M. Jean-Claude Perez. Merci pour Mitterrand !

M. Christian Hutin. Et pour les retraites, vous avez donné la parole au peuple ?

M. Henri Guaino. Il reste quelques semaines au Président de la République pour méditer les leçons de son prédécesseur. Mais, aujourd’hui, c’est à nous de décider que c’est au peuple et non à nous de trancher. Si l’Assemblée fait ce choix, elle ne diminuera pas en prestige, elle ne ruinera pas son autorité : elle les renforcera. Personne ne se reniera, personne ne se déshonorera. Au contraire : chacun d’entre-nous aura redonné du sens au beau nom de « représentant du peuple ».

M. Henri Emmanuelli. C’est cela !

M. Henri Guaino. Mes chers collègues, je vous ai parlé pour l’avenir et c’est pour l’avenir que vous allez décider.

Un dernier mot cependant, madame la ministre de la famille : non, je n’aurai pas honte, quand mes enfants et mes petits-enfants liront les mots que j’ai utilisés dans ce débat, avec le souci constant de ne blesser personne (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI),…

M. Christian Hutin. Il ne faut jamais préjuger de l’avenir !

M. Henri Guaino. …mais avec la conviction profonde que le combat contre la société que ce texte nous prépare est un combat parfaitement légitime. (Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Jacob, pour un rappel au règlement.

M. Christian Jacob. Madame la présidente, mon intervention se fonde sur l’article 58, alinéa 1, du règlement. J’évoquerai deux points concernant la conduite de nos travaux.

Ce matin, en conférence des présidents, je me suis étonné auprès du président de l’Assemblée de ce que l’opposition ne pourrait pas présider les séances, M. Bartolone me répondant qu’il les présiderait toutes ; or je constate qu’en ce moment même, madame la présidente, c’est vous qui présidez. J’espère que nous bénéficierons de la pareille et que nos vice-présidents auront eux aussi l’occasion de présider durant ce débat, et que ce droit ne sera pas réservé aux seuls vice-présidents de la majorité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Ensuite, je reviens sur votre remarque pendant l’intervention de notre collègue Henri Guaino. J’entends bien que le verbe « souffrir » peut avoir deux sens ; reste que, au moment où la majorité de gauche était particulièrement véhémente à l’égard d’Henri Guaino, la formulation que vous avez utilisée était pour le moins ambiguë. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI. – Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Claude Perez. Verlaine et vous, ça fait deux !

M. Christian Jacob. Dans la droite ligne du souhait exprimé par le président de l’Assemblée, ce débat doit se dérouler dans la sérénité. Aussi je vous demande à nouveau d’appeler la majorité au calme. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) C’est pourquoi, madame la présidente, je vous demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.

Mme la présidente. Monsieur le président Jacob, il était prévu que je remplace le président de l’Assemblée au perchoir puisqu’il participe à une réunion sur l’intervention française au Mali – c’était inscrit à l’ordre du jour. En outre, samedi après-midi, a été prévu un échange entre Mme Vautrin et moi-même pour présider nos travaux. Je ne vous lirai pas le programme des présidences de séance mais je vous assure que la répartition est équilibrée entre opposition et majorité. (« Alors, vous voyez bien ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Exclamations et huées sur les bancs du groupe UMP.)

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas vrai !

M. Henri Emmanuelli. Nous n’avons pas à nous justifier !

Mme la présidente. Laissez-moi terminer, je vous prie.

Le président de l’Assemblée lui-même présidera nombre de nos séances.

Enfin, si le sens dans lequel j’ai employé le terme « souffrir » est quelque peu désuet, j’en conviens, il n’est nullement désobligeant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Bien d’autres auteurs, bien plus illustres que moi, l’ont utilisé auparavant.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Verlaine !

Mme la présidente. Je ne vois donc nullement en quoi je me serais montrée désobligeante, j’y insiste. J’entendais précisément ramener la majorité à un peu de calme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

La suspension étant de droit, je vous accorde trois minutes. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Plusieurs députés du groupe UMP. Dix minutes !

Mme la présidente. La suspension sera de cinq minutes.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante, est reprise à dix-neuf heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai écouté la motion de rejet préalable avec la plus grande attention,…

M. Lionnel Luca. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …en scrutant des arguments qui prouveraient l’inconstitutionnalité du projet de loi : aux termes du règlement de l’Assemblée, la motion préalable vise à démontrer qu’il y a des raisons constitutionnelles de rejeter le texte ou qu’il n’y a pas lieu de délibérer.

Je souhaite néanmoins revenir sur quelques points que vous avez évoqués, monsieur le député Guaino. S’agissant d’abord de la demande de référendum, il est très étonnant qu’elle émane d’un spécialiste du droit public et du droit constitutionnel tel que vous.

M. Céleste Lett. Ce sera retoqué !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque vous dites que le…

Plusieurs députés du groupe UMP. Le quoi ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous n’êtes pas obligé d’être incorrects ! Si j’ai marqué une pause, c’est parce que vous êtes nombreux à bouger et que M. Guaino, à qui je m’adresse, n’était plus dans mon champ de vision.

M. Marc Le Fur. Les leçons de morale, ça commence à bien faire !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S’agissant, donc, du référendum, je ne vais pas vous rappeler, à vous et à votre groupe, que la Constitution définit le champ d’application du référendum : j’aurais l’impression de me répéter, et surtout de répéter des choses à quelqu’un qui les connaît par cœur.

M. Claude Goasguen. En tout cas, vous ne connaissez pas l’article 11 !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si la Constitution ne mentionne pas les débats de société comme pouvant faire l’objet d’un référendum, ce n’est pas par oubli : c’est bien au terme de discussions et d’un débat parlementaire qu’il a été décidé que ces sujets ne pourraient être soumis à référendum. J’ai vraiment l’impression de me répéter, mais comme vous-même vous répétez beaucoup, vous aussi, nous sommes contraints de vous faire constamment les mêmes réponses.

M. Philippe Gosselin. Allons, allons !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est extrêmement surprenant de vous entendre soutenir à la tribune que vous ne pouvez pas faire le travail que vous ont confié vos électeurs et que ce serait à eux qu’il revient de le faire ! C’est vraiment très étonnant !

S’agissant des conventions internationales, je vous rappelle que la dernière en date, la charte des droits fondamentaux de 2000, parle très clairement du droit de se marier, alors que la convention de 1950 parlait du droit de se marier entre un homme et une femme. Cela signifie que la conception même du mariage est en train d’évoluer en Europe ; et l’Europe est tout simplement en train de regarder en face sa réalité sociologique.

Votre motion de rejet préalable ne contient donc aucun argument, ni sur le plan constitutionnel, ni sur le plan conventionnel. Vous vous dites étonné que ceux qui ont critiqué le mariage par le passé – sans jamais désigner personne – le réclament aujourd’hui. Monsieur Guaino, le mariage est une institution conservatrice... (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Leonetti. C’est dans la Constitution, ça ? N’importe quoi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …au sens où cette institution témoigne… (Mêmes mouvements)

Mme la présidente. Mes chers collègues ! Tout le monde aura la parole dans ce débat : laissez conclure Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le mariage est une institution conservatrice, disais-je, au sens où cette institution témoigne d’un ordre passé. (« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. C’est absurde !

Plusieurs députés du groupe UMP. C’est insultant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il n’y a rien d’insultant dans une société à conserver…

M. Claude Goasguen. Alors dites qu’il s’agit d’une institution conservatoire, et pas conservatrice !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, monsieur Goasguen : si elle était conservatoire, elle serait figée. Elle n’est pas conservatoire, mais bien conservatrice, au sens où elle témoigne d’un temps passé, et surtout de l’évolution de son temps. Elle est objectivement conservatrice, et vous voulez en faire une institution doctrinairement conservatrice, (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Exclamations sur les bancs du groupe UMP) au sens où vous vous agrippez à un ordre que vous croyez immuable !

Le mariage a traversé des périodes différentes.

M. Jacques Myard. Mais il a toujours été hétérosexuel !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous rappelle que l’article 213 du code civil stipule que le mari doit protection à sa femme et la femme obéissance à son mari, et qu’il a fallu attendre le Front populaire pour que soit supprimé, en 1938, le devoir d’obéissance de la femme à son mari. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)

Mme Claude Greff. Et les enfants ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Que vous souhaitiez conserver cet aspect du mariage, c’est votre liberté !

M. Claude Goasguen. Mais non !

M. Philippe Gosselin. C’est de la provocation !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous disons, pour notre part, que le mariage est une institution qui porte l’empreinte des évolutions de la société. Et c’est cette évolution que nous poursuivons, en continuant le processus de laïcisation du mariage ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Monsieur Guaino, vous dites par ailleurs qu’il suffit de reconnaître que les couples de même sexe n’ont pas les mêmes droits successoraux…

M. Claude Goasguen. Il y a le PACS !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …c’est leur faire injure que de croire que leur revendication est matérielle, et nous répondons très clairement que c’est l’institution du mariage, avec toute sa charge symbolique, que nous ouvrons aux couples homosexuels. Il ne s’agit pas de leur accorder quelques avantages : nous disons que l’institution du mariage n’appartient pas à une catégorie de citoyens. Cette institution est républicaine et nous l’ouvrons aux couples homosexuels.

L’essentiel, pour nous, c’est de convaincre…

M. Jean Leonetti. C’est raté !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …bien au-delà de vous, de convaincre vos électeurs, et lorsqu’on voit que 63 % des Français sont favorables au mariage, il n’y a pas de doute que nous convainquons vos électeurs ! (Applaudissements sur certains bancs du groupe SRC – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) En clair, je n’ai pas entendu d’argument juridique, ni d’argument constitutionnel. J’ai entendu des incantations : ça ne fait pas le droit.

M. Christian Hutin. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai entendu, non pas une motion de rejet préalable, mais simplement une motion de regret du passé. Le passé est passé, nous travaillons pour l’avenir ! (« Bravo ! » sur les bancs du groupe SRC – Les députés des groupes SRC et écologiste se lèvent et applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.

Mes chers collègues, je vous demanderai, tous autant que vous êtes, d’écouter l’orateur.

M. Philippe Gosselin. Souffrez d’écouter la ministre ! (Sourires).

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je voudrais simplement interpeller M. Guaino et lui demander s’il rend vraiment service à la France en brandissant une vision apocalyptique du devenir de notre pays. D’abord, il n’a pas le monopole de la France…

M. Éric Woerth. Vous non plus !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …ni de l’avenir de la France, ni de l’avenir de la société française, pas plus que de l’avenir de la famille !

Cette vision apocalyptique n’a pour but que de générer des peurs et des angoisses et de produire une vision anxiogène de l’avenir de la société française. Je vous incite à beaucoup plus de modération…

Mme Catherine Vautrin. De la modération, oui !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. …car, dans tous les pays qui ont déjà adopté le mariage et l’adoption, les sociétés se sont-elles effondrées ? Non ! Vous voyez bien que vous ne cherchez à jouer que sur les peurs. C’est votre droit d’avoir une vision de la famille différente de la nôtre, mais quand vous dites que nous mettons en jeu l’avenir de la France, je vous appelle à beaucoup plus de modération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Leonetti. C’est tout ?

M. Philippe Gosselin. Il n’y a pas un seul argument !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous devions entendre un plaidoyer pour une motion de rejet préalable et nous avons entendu des émotions. C’est respectable, mais ces émotions étaient parfois exprimées au travers de mots violents.

Plusieurs députés du groupe UMP. Mais non !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Si ! Le « viol des consciences », je trouve que c’est une expression violente ! Le « passage en force », je trouve que c’est violent. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Ça fait mal quand on le dit !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Eh bien, la violence des mots masquait la fragilité des arguments !

M. Jean-Claude Perez. Exactement !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Vous considérez, monsieur Guaino, que la société ne correspond pas à vos aspirations : c’est votre droit. Nous considérons, nous, que c’est le droit qui est en retard sur la société. Voilà pourquoi nous allons voter ce texte. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Vous nous avez invités à rejeter ce texte et j’ai trouvé dans vos propos, tout au contraire, une invitation au débat : nous voulons débattre pour vous convaincre que vous vous trompez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Explications de vote

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, mesdames les ministres, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, monsieur le député Guaino, votre exposé a été long, mais il n’appelle qu’une réponse courte…

M. Philippe Gosselin. Quel mépris !

Mme Corinne Narassiguin. …l’article 11 de la Constitution prévoit que des projets de loi portant sur certains domaines peuvent être soumis aux électeurs par voie de référendum. Comme vous le savez, les questions de société n’en font pas partie. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Si, justement ! C’est le contraire !

Mme Corinne Narassiguin. Le projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe relève donc de la compétence du Parlement. Il ne s’agit en aucun cas de passer en force, mais bien de tenir les engagements que nous avons pris vis-à-vis des Français.

Notre majorité a été élue sur un programme clair et transparent : c’est notre responsabilité, en tant que députés, d’honorer le mandat que les citoyens nous ont accordé en toute confiance, par le suffrage universel direct. C’est notre devoir d’élus de la nation de faire voter des lois qui assurent l’égalité entre tous les citoyens et qui les protègent contre toutes les discriminations. Le Parlement a toujours joué un rôle particulier dans les mutations de notre société. Il s’agit aujourd’hui de faire concorder la loi avec la réalité de nombreuses familles. Il y a bien lieu de délibérer, alors n’ayez pas peur du débat, car il a lieu maintenant, ici même, à l’Assemblée nationale, cœur de notre démocratie.

M. Christian Jacob. Vous, vous avez peur des Français !

Mme Corinne Narassiguin. Et si les arguments sociaux et juridiques ne suffisent plus, alors regardez cette réalité que vous refusez de voir !

M. Philippe Meunier. Il y avait un million de personnes dans les rues !

Mme Corinne Narassiguin. Ouvrez les yeux sur l’infinie diversité des familles françaises ! Au lieu de nous parler de lois naturelles, écoutez ces enfants qui vous expliquent que leurs parents sont comme tous les autres, qu’ils les aiment, et qu’ils se mettent en quatre pour leur donner tout le bonheur du monde.

M. Jean Leonetti. Et ça, ce n’est pas de l’émotion ?

Mme Corinne Narassiguin. Vous leur dites que ceux qu’ils aiment n’ont pas le droit de les élever, qu’ils sont différents. Nous, nous leur disons que leur famille est notre famille, que nous les acceptons à part entière. Pour eux, nous ne pouvons pas reculer.

Le groupe socialiste est convaincu du bien-fondé de cette loi, de la nécessité impérieuse de mettre tous les citoyens sur un pied d’égalité. C’est pourquoi nous appelons à rejeter cette motion, pour voter un texte essentiel. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Philippe Gosselin. Merci, madame la présidente. Il faudra souffrir de m’écouter, moi aussi, que voulez-vous ! Nous soutiendrons évidemment la motion de rejet de notre collègue Guaino.

Nous n’avons pas peur du peuple, comme la gauche semble en avoir peur en ce moment. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Oui, l’article 11 de la Constitution permet réellement, à notre sens, le recours au référendum lorsqu’il s’agit de questions sociales. Parce que ce texte intègre la filiation, le mariage, les droits de succession, les pensions de réversion, la place de l’enfant, des pères et des mères, il concerne bien l’ensemble de la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Le mariage est une institution : c’est beaucoup plus qu’un contrat ou que la reconnaissance d’un simple amour entre deux individus, si légitime et si fort soit-il.

Je voudrais aussi répondre à Mme le garde des sceaux : non, le mariage n’est pas le témoin d’un ordre passé ! La loi française n’est pas non plus le témoin d’un ordre passé ! Nous travaillons pour l’avenir : c’est aussi un enjeu de civilisation. Je reprends là, madame la garde des sceaux, vos propos de novembre 2012 : un « enjeu de civilisation » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Jean-Christophe Fromantin. Madame la présidente, mesdames les ministres, chers collègues, vous savez que différents points de vue se sont exprimés sur ce texte au sein du groupe UDI, même si notre groupe y est majoritairement opposé.

Je voudrais vous dire, chers collègues, que le débat qui a eu lieu à l’intérieur de notre groupe, même si les positions ont pu être très diverses sur certains aspects du texte, s’est fait dans le respect, l’écoute et la dignité. Je pense que nous avons tout à gagner, malgré la diversité de nos positions, à essayer de garder, au sein de notre hémicycle, la même écoute et la même dignité. Il convient de respecter la sincérité de nos points de vue. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Nous voterons cette motion de rejet pour trois raisons.

Tout d’abord, il n’était pas opportun de lancer aujourd’hui dans notre pays un débat qui divise les Français alors qu’il y a d’autres sujets stratégiques, d’avenir, pour la France.

M. Jean-Claude Perez. Ce n’est jamais le moment !

M. Jean-Christophe Fromantin. Vraiment, ce n’est pas le moment de créer un clivage aussi important et de jeter des centaines de milliers, voire des millions de personnes dans la rue.

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Des millions ? Bientôt ils nous diront qu’il y avait 60 millions de personnes dans la rue !

M. Jean-Christophe Fromantin. Nous voterons également cette motion parce que l’idée du référendum méritait, indépendamment de l’article 11 de la Constitution, d’être explorée, tout simplement parce qu’une question de conscience se pose avec le texte – le Président de la République l’a dit lui-même. Cela aurait pu être une solution de sortie pour apaiser le débat.

Enfin, nous voterons cette motion de rejet parce que si, avec le principe d’égalité, vous ouvrez la porte à l’adoption, vous l’ouvrirez la PMA et, probablement, à la gestation pour autrui, et le groupe UDI est entièrement opposé à la PMA et à la GPA. Ce texte pose les principes du droit à l’enfant, qui n’est pas le droit de l’enfant. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Toujours dans les explications de vote, la parole est à M. Noël Mamère, pour le groupe écologiste.

M. Noël Mamère. Madame la présidente, mes chers collègues, il faut reconnaître à notre collègue Henri Guaino une certaine continuité dans sa vision du monde. Lui qui a fait dire à un Président de la République que l’homme noir n’était pas entré dans l’histoire, voilà qu’il vient de nous expliquer que les couples homosexuels ne peuvent pas entrer dans l’histoire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Derrière le lyrisme des mots se cache un conservatisme accablant. N’est-ce pas ceux qui précédaient M. Guaino sur ces mêmes bancs qui criaient à la dépravation des mœurs lorsque la pilule contraceptive a été autorisée ? Ce sont les mêmes qui ont fait pleurer Mme Veil lorsqu’elle a fait voter l’interruption volontaire de grossesse. (Mêmes mouvements.) Ce sont les mêmes qui se sont battus contre le divorce. (Mêmes mouvements.)

Aujourd’hui M. Guaino vient nous parler – chose effrayante pour ceux qui croient à la démocratie parlementaire et à la République – de la brutalité aveugle de la loi. Est-ce la brutalité aveugle de la loi qui a permis de sortir de l’esclavage, d’abolir la peine de mort, de donner leur liberté aux femmes ? (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Guaino, enfin, s’est découvert une vocation d’anarchiste. Voilà qu’après être allé devant les électeurs pour leur demander de les représenter, il vient nous expliquer que ce n’est pas ici que doit se construire l’État de droit, mais dans la rue ! Nous ne voterons pas sa motion de renvoi. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Alain Tourret. Madame la présidente, mes chers collègues, notre collègue Guaino a voulu, avec des accents à la Malraux, défendre une société qui n’existe plus. Cette société, c’est celle de la reine Victoria. Il aurait pu d’ailleurs, tel Lord Melbourne en 1850, en être le conseiller, comme il a été celui du président Sarkozy. Cette société n’existe plus, cher collègue ! Aujourd’hui, la jeunesse que nous représentons veut cette loi. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

D’un côté, le passé ; de l’autre, l’avenir. D’un côté, ceux qui se réclament d’un modèle qui n’existe plus ; de l’autre, ceux qui prennent en considération les nouveaux droits, ceux du mariage pour tous, ceux de la nouvelle filiation, ceux de l’adoption. Oui, nous représentons l’avenir ! C’est pourquoi nous rejetterons cette motion qui nous est soumise. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.

M. Marc Dolez. Les députés du Front de gauche ne voteront pas la motion de rejet préalable (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP) pour trois raisons.

D’abord, si cette motion était adoptée, cela entraînerait le rejet du texte, et nous pensons au contraire qu’il est grand temps d’assurer l’égalité des droits en ouvrant le mariage aux couples de même sexe.

De plus, comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 janvier 2011, le mariage pour tous est de la compétence du législateur ordinaire, définie à l’article 34 de la Constitution. Nous sommes donc légitimes à légiférer sur ce texte. Monsieur Guaino, lorsque nous faisons ici la loi, nous ne la faisons pas à la place du peuple, mais en son nom ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Enfin, à aucun moment notre collègue n’a démontré l’inconstitutionnalité du projet de loi. Nous pensons d’ailleurs qu’aucun article de la déclaration des droits de l’homme, ni aucun des quatre-vingt-neuf articles de notre Constitution ne peut être sollicité pour une telle démonstration.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin sur la motion de rejet préalable :

Nombre de votants 442

Nombre de suffrages exprimés 441

Majorité absolue 221

(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)

(Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

Mme la présidente. Vous demandez la parole, monsieur Gosselin. Est-ce pour un rappel au règlement ?

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, je souhaite simplement que vous suspendiez la séance afin de permettre à nos collègues qui semblent le souhaiter de quitter tranquillement l’hémicycle.

Mme la présidente. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Mot ion de renvoi en commission

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe de l’Union pour un mouvement populaire une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mesdames les ministres, madame et monsieur les présidents de commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues,…

M. Bruno Le Roux. Jusque-là, ça va !

M. Jean-Frédéric Poisson. …je veux commencer cet examen critique en vous remerciant, monsieur le rapporteur de la commission des lois, du travail volumineux que vous avez fourni ces derniers mois.

Tous ceux qui, sur l’ensemble de ces bancs, ont déjà eu la responsabilité de rapporter pour une commission savent la quantité de travail que cela réclame, et la disponibilité personnelle qu’il faut y consacrer.

Il me plaît également de reconnaître à votre rapport une très grande cohérence. On y voit en effet que vous avez parfaitement épousé, si je puis dire, le projet de loi gouvernemental, et que vous avez cherché par tous les moyens à le légitimer, à l’expliquer, et à l’inscrire dans une certaine lecture historique de l’évolution des sociétés.

Tout cela ne saurait suffire pour autant à considérer que vous avez traité le sujet dans toutes ses dimensions nécessaires. Je comprends parfaitement que le rapporteur de notre commission donne toute leur place à ses propres convictions. Mais je ne comprends pas que vous ayez évacué purement et simplement de très nombreuses questions pourtant essentielles à la compréhension du projet qui nous est soumis.

Pour étayer mon cheminement, je procéderai en trois temps, en posant trois questions.

Premièrement, la méthode de travail que vous avez choisie pouvait-elle permettre à la commission des lois de se faire l’avis le plus complet et le plus équilibré possible sur ce projet de loi ?

M. Patrick Ollier. Non !

M. Jean-Frédéric Poisson. Deuxièmement, sur quels principes intellectuels le rapporteur a-t-il choisi d’étayer son travail ?

Troisièmement, quelles sont les questions essentielles omises par ce rapport, qui sont pourtant centrales dans ce projet de loi et auraient de ce fait mérité d’être étudiées par notre commission ?

Concernant ma première question, on pourrait dire que, d’une certaine manière, monsieur le rapporteur, vous avez démarré de manière surprenante dans la carrière. Je fais ici référence à une interview que vous avez donnée au Dauphiné libéré quelques jours après votre nomination, selon laquelle « tous les opposants au projet de loi sont homophobes ».

M. Dominique Tian. Cela commençait bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Avant toute chose, je regrette que la jurisprudence n’ait pas encore acté le fait que traiter quelqu’un d’homophobe sans raison constitue une diffamation,…

M. Yannick Moreau. Discrimination !

M. Jean-Frédéric Poisson. …mais nous vivrons encore pendant quelque temps avec cette imprécision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

De fait, mes chers collègues, cette entrée en matière promettait !

Vous avez ensuite mis en place les auditions. Au bout de quelques semaines, le parti pris dont vous faisiez preuve dans l’organisation de vos auditions et la sélection de vos interlocuteurs est apparu clairement. Du reste, la presse écrite nationale devait s’en faire elle-même l’écho, si j’en crois notamment un quotidien paru le 23 novembre 2012 évoquant les auditions du jeudi 2 novembre en commission des lois : « Première surprise : la table ronde du matin, intitulée "L’approche juridique", est composée exclusivement de juristes favorables au projet de loi.

M. Julien Aubert et M. Marc Le Fur. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Seconde surprise : l’absence de plusieurs poids lourds des associations concernées dans la liste des auditions. Pas de Familles de France, ni de Confédération nationale des associations familiales catholiques. Du côté de la défense de l’enfant, ni l’Appel des professionnels de l’enfance ni Alliance Vita. Contactés, ces quatre mouvements sont unanimes : ils ont tous demandé à être reçus par la commission, et tous se le sont vu refuser. » Je conviens que par la suite, monsieur le rapporteur, vous les avez reçus suivant d’autres modalités.

Quelques-uns d’entre nous s’en sont étonnés, en alertant de façon informelle le président de notre commission. Nous pensions à l’époque que vous prendriez conscience du caractère éminemment contestable de vos choix. Il n’en a rien été. Je suis au regret de devoir dire ici que le premier grave défaut de votre rapport est sa partialité.

Vous en doutez ? Quelques chiffres suffiront à le démontrer. En examinant précisément la liste des auditions conduites par vos soins, on constate que deux tiers des personnes auditionnées étaient favorables au projet de loi gouvernemental, que moins d’un quart d’entre elles y étaient défavorables, et que les 11 % restants avaient exprimé une position de neutralité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Lesterlin. Ce n’est pas dans la tradition d’attaquer le rapporteur !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je critique le rapport, je n’attaque pas le rapporteur.

Un autre signe ? Il vous a été reproché un jour de n’avoir invité, dans une de ces auditions, que des juristes favorables au projet de loi gouvernemental.

M. Christian Assaf. C’est le Figaro qui parle !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous avez répondu qu’on ne connaissait pas de juristes opposés à ce projet. Cela vous avait valu, le 3 décembre dernier, une lettre cosignée par plusieurs d’entre eux, s’étant exprimés dans la presse nationale et soucieux de signaler leur existence à leur rapporteur préféré.

Mme Nicole Ameline. Ça, c’est excellent !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est curieux que vous ayez eu besoin d’un tel rappel à l’ordre pour rétablir – partiellement, il est vrai – un équilibre que vous n’avez, au fond, probablement pas souhaité. Monsieur le rapporteur, de telles proportions nous autorisent à mettre en cause non seulement votre méthode de travail, mais aussi les conclusions auxquelles vous avez abouti.

Il est vrai que vous avez tenu à inventer une nouvelle méthode. Sur le plan de l’innovation, personne ne peut vous faire de reproches. Ne nous méprenons pas : je ne remets pas en cause la diffusion publique, par Internet, de certaines des auditions. Je trouve cependant paradoxal – pour ne pas dire d’une certaine mauvaise foi – la conjonction de cette organisation et le reproche qui nous a été fait régulièrement ici – parfois même par les membres du Gouvernement, madame la garde des sceaux – de ne pas participer physiquement à des auditions alors même que nous disposions de tous les moyens pour y assister depuis notre bureau ou sur Internet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. André Schneider. Eh oui !

Mme Corinne Narassiguin. Et vous pouvez poser des questions par Internet ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Il s’agit là d’un argument rhétorique qui n’a pas beaucoup de poids !

L’innovation ne s’arrête pas là. Sans doute pour la première fois dans cette belle maison, nous avons été confrontés à trois niveaux d’auditions : les auditions de première classe, dont les participants étaient annoncés et qui étaient retransmises sur Internet,…

M. Julien Aubert. C’est la classe affaires !

M. Jean-Frédéric Poisson. …les auditions de deuxième classe, dont les participants étaient annoncés et qui n’étaient pas retransmises sur internet, et les auditions de troisième classe dont les participants n’étaient pas annoncés et qui n’étaient pas retransmises sur internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Tout à fait !

M. Xavier Breton. Quel réquisitoire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Par ailleurs, une simple observation permet de constater que, parmi les personnes et organisations que vous avez reçues en catimini, la proportion d’opposants est nettement supérieure aux 22,5 % qui constituent l’ensemble des opposants au total.

M. Philippe Gosselin. En effet !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est sans doute un mystère, à moins qu’il ne s’agisse, monsieur le rapporteur, d’une instruction à charge. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Cette partialité évidente se retrouve d’ailleurs de manière criante dans votre rapport. Je prendrai trois exemples.

Premier exemple : lorsque vous évoquez l’évolution de l’opinion publique française sur le sujet du mariage homosexuel, vous avez soin de ne citer que les enquêtes d’opinion pleinement favorables à votre thèse. D’ailleurs, pour être certain d’atteindre ce résultat, vous n’en citez qu’une.

M. Julien Aubert. Excellent !

M. Philippe Gosselin. En effet, c’est plus simple !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je vous renvoie aux pages 25, 26 et 27 de votre rapport. Vous conviendrez que la profusion d’enquêtes publiées depuis l’été dernier donne certainement une vision plus nuancée de l’opinion publique et de son évolution à ce sujet. Je trouve extrêmement curieux que vous n’en fassiez pas état.

Deuxième exemple : à la page 41 de votre rapport, lorsque vous posez la question de savoir si « ouvrir le mariage aux personnes de même sexe est une révolution anthropologique », vous donnez la parole à trois sociologues tous favorables à la thèse que vous défendez.

Mme Claude Greff. Évidemment !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous donnez vous-même la raison de cet état de fait. À la même page 41, vous écrivez : « Votre rapporteur a souhaité interroger à ce sujet trois éminents anthropologues et ethnologues – cela n’est pas contestable ! – qui, au cours de l’audition le 31 décembre 2012, ont unanimement réfuté toute idée de révolution anthropologique ». C’est presque une tautologie ! Fallait-il aussi vous indiquer, monsieur le rapporteur, des noms de sociologues qui ne partageaient pas votre point de vue ? Habituellement, mes chers collègues, cela n’est pas nécessaire ; ici, cela l’était visiblement.

Troisième exemple : lorsque vous essayez de démontrer que le fait de fonder le mariage sur l’altérité sexuelle pourrait être institué comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, emportant alors la nécessité d’organiser une révision constitutionnelle pour inscrire le mariage pour tous dans la loi, vous convoquez un constitutionnaliste – un seul ! – dont vous citez les travaux à la page 23. Évidemment, il y est opposé ! Vous n’avez sans doute pas trouvé non plus un juriste qui pouvait contredire votre thèse.

M. Philippe Gosselin. Oh, ils sont rares !

Mme Claude Greff. Nous n’en connaissons pas !

M. Jean-Frédéric Poisson. J’en viens au deuxième temps de mon exposé.

M. Bernard Roman. Et si on parlait du fond ?

M. Jean-François Lamour. C’est une motion de renvoi en commission, monsieur Roman ! On ne va pas vous apprendre cela !

M. Jean-Frédéric Poisson. De fait, monsieur le rapporteur, il n’y avait aucune raison pour que la manière dont vous avez organisé votre travail d’auditions ne se répercutât point dans le texte de votre rapport. Ce qui m’a le plus frappé à sa lecture, c’est le fait qu’à aucun moment vous n’interrogez ni le bien-fondé, ni la légitimité, ni les conséquences de ce projet de loi. Vous vous contentez de constater que la demande existe, que de nombreux pays la satisfont déjà, et qu’elle va dans le sens de l’histoire – notion avec laquelle il convient de prendre, malgré tout, quelques précautions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Tels sont les trois principes de votre réflexion. Or, monsieur le rapporteur, ces trois points mériteraient d’être examinés un par un.

Premièrement, nul ne peut nier que certaines personnes homosexuelles demandent à accéder à des droits nouveaux pour elles. Vous écrivez à ce sujet, à la page 24 de votre rapport : « Les couples de personnes de même sexe souhaitent être reconnus au même titre que les couples de sexe différent et bénéficier des mêmes droits ». Monsieur le rapporteur, doit-on dire « les couples » ou « certains couples » ?

M. Xavier Breton. Le rapporteur n’écoute pas !

M. Jean-Frédéric Poisson. Êtes-vous bien certain de pouvoir convoquer ici l’unanimité de la communauté homosexuelle, alors même que de très nombreuses voix, au sein même de cette communauté, se font entendre pour expliquer précisément que leur droit à l’indifférence passe avant tout par le fait de ne pas avoir accès au mariage ?

M. Xavier Breton. Tout à fait !

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je cite Philippe Arino, homosexuel et essayiste – il le revendique –, dont l’audition a été effectuée de manière discrète : « Je suis contre le mariage pour tous au nom de la réalité, de la liberté et du respect des personnes homosexuelles. Elles ont un désir particulier, une identité singulière, une couleur, une originalité, un état de vie, une différence qu’il convient de reconnaître et de sauvegarder. » Comment pouvez-vous être certain que même une majorité d’entre eux réclame le mariage pour eux-mêmes, et l’attende ? Et quand bien même une majorité le réclamerait et l’attendrait, quelle nécessité y aurait-il à répondre de cette manière à cette demande ?

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Les sociétés sont-elles condamnées, en principe, à inclure dans leurs lois les évolutions qu’elles constatent en leur sein ?

M. Nicolas Dhuicq. Voilà la question !

M. Jean-Frédéric Poisson. Deuxièmement, il semble que l’on devrait écrire cette demande dans le droit parce que tout le monde le fait. À vous lire, la France contracterait un retard injustifiable par rapport au reste de la planète en n’acceptant pas ce projet. Monsieur le rapporteur, je dois ici rendre hommage à votre souci de précision. En effet, vous indiquez à la page 27 que onze pays dans le monde ont aujourd’hui reconnu le mariage homosexuel, et que ces pays représentent 280 millions d’habitants.

M. André Schneider. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur, onze pays sur la totalité de la planète et 280 millions d’habitants sur la population totale sont loin de constituer une majorité débordante ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Troisièmement, il semblerait à vous entendre que ce projet aille dans le sens de l’histoire.

M. Bernard Roman. C’est du lourd, ça !

M. Jean-Frédéric Poisson. Sur ce point, sans vouloir réduire votre rapport à un seul de ses paragraphes – il ne le mérite pas –, on trouve un passage qui le résume parfaitement. Vous l’avez d’ailleurs fort bien fait, en haut de la page 41, lorsque vous reprenez à votre compte les arguments exprimés par Mme Élisabeth Badinter lors de son audition.

Mme Catherine Vautrin. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je vous cite : « Le mariage aujourd’hui n’est plus qu’"un PACS renforcé" ; il a perdu son caractère sacré, il n’est plus indissoluble, il ne constitue plus l’autorisation de la sexualité ni le cadre de la filiation. Dans ces conditions, le couple homosexuel est aussi légitime que le couple hétérosexuel à prétendre au mariage. » Monsieur le rapporteur, ce que vous décrivez ici ne concerne sans doute rien d’autre que la perception du mariage, et certainement pas sa force institutionnelle qui demeure à mon sens intacte. C’est l’un de ces aspects sociologiques que l’évolution n’a pas emportés !

J’en viens au troisième point de mon exposé. Pour couronner le tout, monsieur le rapporteur, j’ai été très surpris par l’absence totale, dans votre texte, d’un certain nombre de questions absolument fondamentales posées par ce projet de loi. Certaines de ces questions ont d’ailleurs été abordées pendant la séance de notre commission des lois, et n’ont pas reçu de réelles réponses. J’en reprends quelques-unes.

Vous dites à de nombreuses reprises que le moteur de ce texte est l’égalité, et que cette référence à l’égalité, principe constitutionnel s’il en est, suffit à elle seule à justifier l’alignement des droits des couples de personnes de même sexe sur ceux des couples mariés aujourd’hui.

M. Jacques Myard. Quelle confusion mentale !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vraiment, je peine à croire que vous le pensiez sincèrement.

Quelle est cette nouvelle lecture du principe d’égalité selon laquelle la France ne respecterait vraiment sa Constitution qu’en accordant les mêmes droits à toutes les personnes, quelles que soient leurs situations respectives ?

M. Jacques Myard. Le Conseil constitutionnel a dit le contraire !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mme la ministre était-elle réellement sérieuse lorsqu’elle déclarait lors de la discussion générale en commission, au mois de décembre dernier, que toute différence de droit entre les personnes relevait purement et simplement de la discrimination ?

M. Jacques Myard. C’est inacceptable !

M. Jean-Frédéric Poisson. Faut-il considérer, madame la garde des sceaux, que cette interprétation prévaudra désormais dans l’ensemble des directives et des textes issus de votre ministère ? Cela promettrait une belle désorganisation dans l’ensemble de notre corps social, y compris sur un certain nombre de sujets à propos desquels nous ne manquerions pas d’être saisis, monsieur le président de la commission !

Vraiment, madame la garde des sceaux, je ne comprends pas comment vous avez pu déclarer que la République française « ruse avec ses propres principes » lorsqu’elle n’admet pas que deux personnes de même sexe puissent accéder au mariage. Il me semble que votre expression était à peu près celle-là – vous me pardonnerez cette inexactitude. J’avais d’ailleurs été un peu étonné par cette expression, même si elle provenait d’un poète qui n’est pas celui que vous avez cité tout à l’heure, mais d’Aimé Césaire, je crois.

Connaissez-vous, madame la garde des sceaux, une seule société dans laquelle toutes les personnes auraient strictement les mêmes droits ? Bien sûr, cette société n’existe pas ! Je suis prêt à admettre que vous ne souhaitez pas la constituer. Mais alors, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, quelle est la limite de votre argument sur l’égalité ?

M. Daniel Fasquelle. Il y en a qui ont essayé !

M. Jean-Frédéric Poisson. La question vous avait été posée en commission : au nom de quoi continuer de maintenir les interdictions dans les premiers alinéas de votre projet de loi ?

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Au nom de quoi continuez-vous de limiter à deux personnes la composition du mariage ? Au nom de quoi maintenez-vous certaines personnes handicapées dans l’incapacité de se marier ? Si l’égalité est votre obsession, qu’est-ce qui vous retient d’aller au bout de votre démarche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Christian Assaf. On est dans le dur !

M. Jean-Frédéric Poisson. Bien sûr, du moins je le souhaite, nous partageons la conviction qu’il n’y a pas d’organisation sociale sans gestion des inégalités. Cette affaire d’égalité n’est donc pas une question de principe, et elle ne peut pas être considérée comme telle.

M. Jacques Myard. Ce serait une imposture !

M. Jean-Frédéric Poisson. Si ce n’est pas une question de principe, c’est qu’elle est une affaire d’opportunité ou de choix politique – un véritable choix de société. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. André Schneider. Très bien !

C’est ce choix de société, monsieur le rapporteur, qui nous intéresse. Ce choix de société, vous ne l’avez pas traité.

Plusieurs députés du groupe UMP. Référendum !

M. Jean-Frédéric Poisson. Dans son article 1er, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen indique très clairement le chemin à suivre : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Au point où nous en sommes de notre réflexion, et à la lumière de cet article 1er, il ressort que vous n’acceptez pas que le fait de fonder le mariage sur l’altérité sexuelle soit de l’ordre de l’utilité commune. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) C’est là, madame la garde des sceaux, je le crois, le cœur de notre opposition.

Je reviens à votre texte, monsieur le rapporteur, pour illustrer ce point : « En l’état actuel du droit, le code civil ne contient aucune disposition définissant le mariage. […] Les rédacteurs du code civil de 1804 n’ont pas éprouvé le besoin de définir le mariage, tant la définition allait de soi » – tout est dans l’imparfait.

M. Jacques Myard. C’est une évidence !

M. Jean-Frédéric Poisson. À la page 40, vous citez en note de bas de page, la célèbre définition du mariage donnée par Portalis dans le Discours préliminaire au projet du code civil. Le mariage est « la société de l’homme et la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

M. Jacques Myard. C’est également dans la convention européenne des droits de l’homme !

Mme Catherine Vautrin. C’est une première : M. Myard fait référence à l’Europe ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson. Nos prédécesseurs, mes chers collègues, n’avaient pas d’hésitation sur la définition du mariage. Certainement, les mœurs n’étaient pas les mêmes. Sans doute la technologie n’avait-elle pas encore fourni des techniques ou des outils susceptibles de créer, selon le titre d’un ouvrage paru il y a quelques années, un « malaise dans la filiation ». Mais par-dessus tout, il y avait cette cohorte de convictions sociales, toutes plus fortes et plus enracinées les unes que les autres. Et parmi les premières responsabilités de l’homme, figure celle de perpétuer son espèce.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est du Boutin !

M. Jean-Frédéric Poisson. D’ailleurs, même les représentants les plus éminents des éthiques de la discussion ont fait de cette perpétuation un impératif. Le philosophe allemand Hans Jonas, critique des éthiques tant du bien que des devoirs, formulait ainsi un nouvel impératif catégorique : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou encore : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité d’une telle vie. »

L’union d’un homme et d’une femme est la seule condition à la fois nécessaire et suffisante pour y parvenir. La pérennité de la société requiert que l’on assure tout ensemble le renouvellement des générations, ainsi que la transmission de tous les patrimoines, matériels ou spirituels, vers les descendants. Le mariage répond à l’évidence à ces nécessités. C’est aussi la raison pour laquelle la présomption de paternité a accompagné un peu plus tard la filiation en tant que telle.

Cette manière de considérer l’union de l’homme et la femme dans le mariage a traversé les siècles et elle a montré par son efficacité qu’elle méritait d’être appelée une institution. Les générations successives ont appris à lui faire suffisamment confiance pour continuer d’en faire le lieu d’une alliance privée et d’un engagement public. C’est le premier caractère de « l’utilité commune » du mariage en tant qu’il est fondé sur l’altérité sexuelle.

Le deuxième caractère d’utilité commune de ce même mariage est lié à la construction progressive et à l’éducation des enfants. Monsieur le rapporteur, vous avez accueilli pendant votre audition une table ronde de psychiatres et de psychanalystes. Cette audition s’est déroulée le 15 novembre 2012. Et lorsque vous évoquez dans votre texte, à la page 59, le développement des enfants élevés dans une famille monoparentale, vous récidivez – si je peux me permettre d’employer ce terme. À nouveau, seuls les points de vue qui concordent avec la thèse que vous défendez figurent dans votre analyse, et vous concluez, page 60, que les seules fragilités présentes chez les enfants élevés dans les couples de même sexe relèvent du regard social porté sur eux. Vous ignorez ainsi les mises en garde du docteur Lévy-Soussan à propos de toutes ces études qualifiées de convergentes, en dépit même des limites de méthode dont vous signalez l’existence pour en ignorer aussi vite la portée.

Mme Claude Greff. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne comprends pas que vous passiez sous silence la critique épistémologique très sèche formulée par de nombreux pédopsychiatres à l’encontre des études sur lesquelles vous semblez fonder votre conviction. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Sur un sujet de cette importance, et face à tant d’incertitude, il n’y avait qu’une attitude possible : ne pas prendre de risques pour les enfants, en attendant de disposer d’éléments fiables d’appréciation.

M. Daniel Fasquelle. Le travail a été bâclé.

M. Jean-Frédéric Poisson. À tout le moins, il semble que jamais personne n’ait inventé de meilleur cadre pour la croissance d’un enfant que celui de son père et de sa mère. Et qu’en définitive, le mariage n’a jamais fait que transposer sur le plan du droit, tant comme contrat que comme institution, cet état de fait. Le contrat lui apportait la réalité du consentement. L’institution lui apportait l’engagement réciproque du couple et du corps social et faisait en sorte que dans la famille, le corps social lui-même puisse trouver des raisons de fonder sa propre stabilité et sa propre pérennité. Voilà où se trouve le second caractère de cette utilité commune, qui achève de fonder la conjonction de ces deux critères équilibrants pour toute la société : l’égalité, comme principe, et l’utilité commune comme critère d’appréciation, pour ne pas dire d’organisation.

Il n’échappe à personne – et cela me permet de répondre en passant à ceux de nos collègues qui se demandaient ce qu’est le droit naturel l’autre jour en commission – que l’égalité comme l’utilité commune s’enracinent dans la nature. En réalité, c’est avec cet enracinement que vous souhaitez rompre. L’articulation entre adoption, assistance médicale à la procréation et mères porteuses achèvera cette rupture.

Mme Claude Greff. Tout à fait !

M. Jean-Frédéric Poisson. Vous nous avez dit que, à vos yeux, cet enchaînement est aujourd’hui moins que certain. Nous avons bien entendu que seul un faible nombre de députés de la majorité était favorable à la légalisation des mères porteuses in fine. Et je prends volontiers acte de la sincérité de votre opposition à cette perspective.

M. Jacques Myard. Pas moi !

M. Daniel Fasquelle. Moi non plus car ils ne sont pas sincères.

M. Jean-Frédéric Poisson. De la même façon que j’avais pris acte de la sincérité de Mme la garde des sceaux Elisabeth Guigou, alors assise au même banc que vous, madame la ministre, et qui avait de dénégations énergiques en en serments enflammés, juré ses grands dieux que jamais au grand jamais, la France n’irait vers le mariage homosexuel à la suite du PACS.

Plusieurs députés du groupe UMP. Parjure !

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela n’était pourtant pas faute d’avoir alerté. Et nous alertons de la même manière aujourd’hui en réaffirmant que l’adoption ouvre nécessairement la porte à l’assistance médicale à la procréation laquelle ouvre nécessairement la porte aux mères porteuses. (« En effet ! » sur les bancs du groupe UMP.) Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues de la majorité, la légalisation des mères porteuses constitue la conséquence inéluctable des décisions que vous êtes en train de prendre et des principes au nom desquels vous les prenez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Daniel Fasquelle. On se dirige vers la marchandisation du corps humain.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ainsi totalement dissociée des capacités biologiques des personnes, votre conception de la filiation instaure de manière définitive un droit à l’enfant, dont nos codes avaient jusqu’ici réussi à se préserver. J’ai du mal à considérer qu’une telle distance à l’égard de la nature – doublée d’une telle volonté de satisfaire toutes les aspirations individuelles – constitue réellement un progrès social.

En ce sens, madame la garde des sceaux, nous sommes bien dans un changement de civilisation ou dans une « révolution anthropologique », pour reprendre l’expression de notre rapporteur, même s’il la conteste par ailleurs.

D’abord, parce que nous voyons bien que des bouleversements de ces notions d’égalité et d’utilité commune ne comportent pas que des conséquences purement juridiques. Mais surtout, parce que nous franchissons une limite supplémentaire dans le rapport que nous avons organisé jusqu’à présent entre la loi et la nature. À ceux de mes collègues qui se demandaient l’autre jour ce que peut bien être le « droit naturel », je les invite à relire l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme :…

M. Jean-Pierre Dufau. Vous oubliez l’article 1er :…

M. Christian Jacob. Écoutez, vous vous instruirez !

M. Jean-Pierre Dufau. …«  Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » !

M. Jean-Frédéric Poisson. …« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ». (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Les pratiques sociales et la technologie, il est vrai, ont bousculé notre conception collective du mariage et de la filiation. Il est tout aussi vrai de dire que le législateur s’est parfois senti obligé d’accompagner ces évolutions en tâchant de concilier la force des principes et le pragmatisme des dérogations. Il y a parfois réussi. Parfois non. Mais nos institutions ont jusqu’ici préservé – au moins leur façade – leur enracinement dans l’ordre naturel : celui-là même qui enseigne que la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression s’enracinent d’abord dans la nature de l’homme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Jean-Frédéric Poisson. Aujourd’hui, nous quittons cette logique. Vous nous demandez d’accepter que désormais la loi qui trouve son origine dans la nature et celle qui la trouve dans la seule volonté de l’homme aient toutes le même poids et la même importance. Vous nous demandez, pour reprendre une expression utilisée en commission, de placer sur le même rang la filiation sociale et la filiation biologique,…

M. Alain Marsaud. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson. …indépendamment de la sincérité et de l’engagement des personnes. Vous nous demandez de considérer désormais comme primordiale la filiation sociale, au nom du fait que l’amour aurait tous les droits – je fais référence à votre propos de la page 40 du rapport. Vous nous demandez d’accepter une fois de plus que la loi ne serve, en définitive, pas à autre chose que de courir après les comportements humains.

M. Jacques Myard. Ils ont leur chef, ils vont le suivre !

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais, madame la garde des sceaux, vous ne pouvez pas considérer qu’une telle attitude puisse valablement constituer un principe, ni théorique, ni pratique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Sur ce dernier point, je souhaite revenir sur l’article 16 de votre projet de loi, emblématique de votre texte.

Mme Claude Greff. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il crée dans le code du travail un nouvel article L. 1132-3-2 disposant que : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L. 1132-1 pour avoir refusé une mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité, s’il est marié avec une personne de même sexe. » Personne ne conteste que les salariés qui sont dans cette situation puissent subir des discriminations.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et les autres ?

M. Jean-Frédéric Poisson. J’aurai l’occasion de reprendre en détail l’argumentation au cours du débat. Mais cet article pose un réel problème, portant sur l’universalité du droit.

M. André Schneider. Oui.

M. Jean-Frédéric Poisson. En effet, il méconnaît l’ensemble des obligations incombant aux employeurs en ce qui concerne la santé et la sécurité de leurs salariés. J’en veux pour preuve la rédaction, très claire de l’article L. 4121-1 du code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » À l’évidence, la situation visée par l’article 16 de votre projet de loi entre parfaitement dans le champ de cet article ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Arlette Grosskost. Cela devrait suffire.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mais le tort à nos yeux de cet article L. 1132-3-2, c’est qu’il ne mentionne pas expressément la situation visée par votre article 16. De la même manière, nous nous étions vivement étonnés, l’été dernier, au moment du débat sur le projet de loi concernant le harcèlement sexuel, de l’ajout d’un article interdisant les discriminations à l’égard des personnes transsexuelles.

Madame la ministre, cet article de votre projet de loi comporte, et c’est grave, des risques importants parce qu’il fait peser le soupçon sur l’universalité réelle de nos principes de droit. Il semble indiquer la nécessité d’énumérer les qualités individuelles des personnes, et parfois même leurs attitudes, pour qu’elles soient réellement prises en compte par les textes.

Mme Claude Greff et M. Nicolas Dhuicq. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il substitue une universalité de collection à l’universalité de principe, qui pourtant est la clé de voûte de nos codes.

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est assurément la marque la plus certaine de cette inspiration individualiste qui guide ce projet de loi. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que le côté droit de cet hémicycle rappelle aux exigences collectives un côté gauche soudain séduit par la souveraineté absolue et illimitée de l’individu. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

En conclusion, sur aucune de ces questions absolument essentielles, monsieur le rapporteur, vous n’avez souhaité écrire le moindre mot. Il me semble pourtant que, quelle qu’ait pu être votre opinion sur chacun de ces sujets, notre commission aurait tiré grand avantage à en débattre au fond.

À plusieurs reprises, vous avez dans votre texte rappelé qu’à l’évidence le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur la capacité de légiférer sur le mariage – il n’y a aucun doute sur ce sujet. Mais il n’y a aucun doute non plus sur la dimension parlementaire des différentes questions que je viens d’évoquer sur le principe d’égalité et de son utilité commune, sur le rapport entre filiation biologique et filiation sociale, sur la question de l’universalité du droit et de son écriture, sur le rôle de la loi et son rapport à l’évolution de la société, etc.

En choisissant la partialité comme principe d’organisation de votre travail, et le simple déroulement des événements comme clé de voûte de votre argumentation, vous vous êtes coupés de cette possibilité d’aborder en profondeur les questions essentielles posées par ce texte. Et vous en avez par conséquent privé notre commission. De ce fait, il n’est pas envisageable d’engager maintenant ce débat pour examiner au fond ces différents aspects.

C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues je vous demande par votre vote d’adopter cette motion de renvoi en commission. (Mme et MM les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent.)

M. François Rochebloine. Très bien.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Plusieurs députés du groupe UMP. Il faudra être à la hauteur de cette remarquable intervention !

M. Philippe Meunier. Remarquable en effet !

Mme la présidente. Seule madame la ministre a la parole.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous sommes habitués à ces excès. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Monsieur le député Poisson, je reconnais que vous êtes fondé à présenter une motion de renvoi en commission : vous êtes assidu en commission des lois et les échanges avec vous sont généralement de qualité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Je n’ai aucune difficulté à dire ce que je pense.

Vous avez abordé toute une série de points.

Un député du groupe UMP. Tous excellents !

M. Christian Jacob. Vous avez été ébranlée par nos arguments !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non ! Ce n’était d’ailleurs pas une motion de renvoi en commission, ne serait-ce que si l’on s’en tient au seul argument de la présence en commission. Il m’est en effet arrivé de répondre à des députés de l’opposition qui réclamaient un débat, qu’il serait déjà bien qu’ils participent aux auditions !

Mme Claude Greff. Justement, nous y étions !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Allons ! Vous connaissez suffisamment bien l’Assemblée nationale pour savoir que même les députés qui ne sont pas membres d’une commission sont autorisés à participer à ses débats ! Or vous n’y étiez pas !

Vous nous avez fait croire pendant des mois que le sujet vous passionnait, mais vous n’avez pas envahi la commission des lois pour participer à ses travaux. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Le rapporteur a organisé des auditions, auxquelles vous n’avez pas assisté !

Mme Claude Greff. Si, nous y étions !

Mme la présidente. Madame Greff, je vous en prie !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Or voilà que M. le député Poisson nous explique que parce que les auditions étaient diffusées sur Internet, cela dispensait d’y participer ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Sauf que les auditions sont faites pour être actif, c’est-à-dire pour poser des questions, pour obtenir des réponses et pour contester ! Il y a donc une contradiction entre le fait de réclamer sans arrêt des débats et de snober ensuite tous les lieux de débats ! Je le maintiens !

M. Philippe Gosselin. Élevez le débat !

Mme la présidente. Je demande à chacun de reprendre son calme, en particulier Mme Greff.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous nous dites également, monsieur Poisson, que vous connaissez des couples homosexuels qui ne sont pas intéressés par le mariage. Or, je connais infiniment plus d’hétérosexuels qui ne s’intéressent pas au mariage ; pour autant, il ne me viendrait pas à l’esprit d’abolir le mariage hétérosexuel ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Vous nous parlez de communauté homosexuelle ; là réside probablement le secret de notre mésentente. Nous, nous voyons des citoyens avec des droits. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Nous ne voyons pas de communauté, mais des personnes ayant le droit d’organiser leur vie et d’accéder au mariage.

Vous ajoutez par ailleurs que nous ferions une loi pour une minorité.

M. Philippe Gosselin. C’est un lobby !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Souvent, dans l’histoire, les minorités ont fait progresser le droit,…

M. Jacques Myard. Les bolcheviks, notamment !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …parce que, subissant des injustices, ces minorités se sont souvent plus mobilisées.

En revanche, je ne comprends pas comment vous pouvez concilier dans une même motion l’argument sur la minorité et celui sur la menace pesant sur l’espèce. Vous ne vous rendez sans doute pas compte ! La contradiction tout d’abord est évidente : si nous légiférons pour une extrême minorité, en quoi l’espèce peut-elle être menacée ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Surtout, je crois que vous ne vous rendez pas compte de la violence de votre propos envers les couples homosexuels, je dirais même envers les personnes qui se marient au-delà de l’âge de la fécondité. Vous pourriez en effet très bien décider d’interdire les mariages au-delà de cet âge ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et plusieurs bancs du groupe écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Eh oui !

Vous nous avez d’ailleurs fait le numéro de l’adoption pour les couples homosexuels.

M. Xavier Breton. Ce n’est pas un numéro !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Or, lorsque nous vous avons répondu que les célibataires ont le droit d’adopter, vous avez déposé un amendement pour interdire ce droit aux célibataires ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.) Vous nous avez habitués à une meilleure tenue !

Soyez donc cohérents : si le mariage était exclusivement réservé à la procréation, les personnes qui ne sont plus en âge de procréer ne devraient plus avoir le droit de se marier ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

Vous avez rappelé mes propos en commission des lois concernant la civilisation. J’ai en effet cité Aimé Césaire, notamment cette phrase : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ». (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

J’ai également souligné que toute l’histoire de la France était l’histoire d’une passion pour l’égalité, et que toute l’évolution du droit français constituait une évolution vers l’égalité. Ce n’est pas la République française qui est en cause : ce sont ces législateurs qui, tout en se gargarisant de légalité, refusent de reconnaître des droits à des catégories de citoyens.

Pour le reste, puisque cet enjeu de civilisation revient sans arrêt, l’histoire retiendra que, dans l’abondance de vos arguments d’opposition, celui qui aura obtenu la palme est un morceau de phrase que j’aurais prononcé, qui vous aura servi de bouée de sauvetage, de radeau, d’étendard et de pavillon : ce n’est pas bien glorieux ! (Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent vivement. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et écologiste.)

Rappel au règlement

M. Christian Jacob. Madame la présidente, je demande la parole pour un rappel au règlement.

Mme la présidente. Monsieur Jacob, votre demande ne m’a pas échappé.

Il me semblait toutefois que, pour l’intelligence des débats, il était préférable de donner la parole à M. le rapporteur avant d’en venir au rappel au règlement.

Néanmoins, vous avez la parole, monsieur Jacob.

M. Christian Jacob. Merci, madame la présidente.

Je souhaite faire un rappel au règlement au titre de l’article 58, afin de rappeler à Mme la ministre le principe de séparation des pouvoirs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Madame la ministre, vous représentez l’exécutif, et non le pouvoir législatif. Vous n’avez pas à répondre au nom de la commission ! Vous n’avez pas à porter des jugements sur les parlementaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous êtes là pour vous tenir à notre disposition, quand on vous le demande (Mêmes mouvements), et en aucun cas pour porter des jugements de valeur sur les parlementaires ! Qui êtes-vous pour vous permettre ce type d’interventions, madame la ministre ? (Mêmes mouvements.)

S’agissant d’égalité et d’équité, madame la ministre, un homme, en matière de procréation, ne sera jamais l’égal d’une femme, et vice versa ! Arrêtez donc vos envolées lyriques – faussement lyriques ! – sur ce sujet, et revenez à la réalité : encore une fois, vous êtes ici pour vous tenir à notre disposition, en tant que ministre, et en en aucun pour porter des jugements de valeur !

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur pour avis. Ce n’est pas un rappel au règlement !

M. Christian Jacob. Madame la ministre, votre attitude est choquante, et elle est méprisante pour le Parlement ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Où est votre rappel au règlement ?

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous en prie ; évitez de siffler dans l’hémicycle !

Mme Catherine Vautrin. C’est nouveau ! On n’avait encore jamais entendu de sifflets !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Erwann Binet, rapporteur. Je souhaite tout d’abord dire à mon collègue Poisson que je suis assez surpris par les attaques personnelles dont j’ai fait l’objet. Je n’ai pas besoin de brandir le règlement de l’Assemblée nationale pour souligner que ce n’est pas dans les habitudes de cette noble maison ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Un député du groupe SRC. Ils sont comme ça, à droite !

M. Erwann Binet, rapporteur. Par ailleurs, je n’ai absolument jamais déclaré, ni dans Le Dauphiné libéré, ni dans aucun autre média, que tout opposant était un homophobe.

Je fais bien la différence entre les opposants et les homophobes, ces derniers étant en ce moment même en train de prier pour notre salut, place Édouard Herriot – je veux parler de l’association Civitas : celle-là est homophobe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Un député du groupe SRC. Ce sont vos amis !

Mme Arlette Grosskost. Civitas, ce n’est pas nous !

M. André Schneider. Ce n’est pas notre problème !

M. Erwann Binet, rapporteur. Je suis désolé que vous l’ayez compris ainsi, mais ce que j’ai effectivement dit – je le répète et j’assume – c’est que les messages de ceux qui refusent à une partie de la population de disposer de droits, sont perçus par les personnes concernées – les couples homosexuels, les familles homoparentales – comme une agression, comme une violence.

M. Jean-Frédéric Poisson. La loi ne se fait pas avec des sentiments !

M. Erwann Binet, rapporteur. Pour autant, cela ne signifie pas que vous êtes tous homophobes. Nous attendrons la fin de ces quinze jours pour le savoir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Un député du groupe UMP. C’est scandaleux !

M. Christian Jacob. Pas tous ?

M. Erwann Binet, rapporteur. Concernant les méthodes de travail, elles ont été conséquentes, monsieur Poisson : vous pouvez en juger par l’épaisseur du rapport. Je sais qu’on ne juge pas le travail au poids, mais il est assez représentatif de l’exhaustivité du travail que j’ai pu mener, avec vous d’ailleurs, et avec les quelques-uns qui étaient présents lors des auditions.

Travail partial ? Je ne le pense pas. Je puis me tromper, mais je crois que ce n’est pas du tout l’objet du travail du rapporteur.

Nous avons rencontré des juristes favorables, et des juristes défavorables – ils étaient nombreux –, le Conseil national des barreaux, les notaires… Mais, en même temps, le rapporteur que je suis ne cherchait pas, avec les juristes, les anthropologues ou les sociologues, à ne discuter qu’avec des gens favorables.

M. Yves Nicolin. Si !

M. Xavier Breton. Ils étaient triés sur le volet !

M. Erwann Binet, rapporteur. Avec les juristes comme avec les sociologues, j’ai cherché à obtenir des opinions d’experts, de scientifiques.

M. Philippe Vitel. Il faut les écouter, les experts !

M. Erwann Binet, rapporteur. Nous avons évidemment également reçu des associations telles que LGBT, des familles avec des enfants : elles étaient toutes favorables, mais cela n’étonnera personne.

M. Yves Nicolin. D’autres n’y étaient pas favorables !

M. Erwann Binet, rapporteur. Cela peut sans doute changer la proportion à laquelle vous avez fait allusion.

Certes, il existe peut-être des manques dans ce rapport. Je veux bien reconnaître que j’ai oublié de préciser que certains homosexuels ne voulaient pas se marier. Il me semble cependant que certains hétérosexuels ne le veulent pas non plus : cela ne justifie pas pour autant que nous interdisions à toute la population de le faire !

M. Yves Nicolin. Pas d’amalgame !

M. Erwann Binet, rapporteur. Par ailleurs, sur le fond, votre argumentation justifie en elle-même que nous refusions votre demande de renvoi en commission, car si vous avez énoncé énormément d’arguments, aucun n’était nouveau : nous les avons tous déjà entendus, et nous en avons déjà débattu en commission.

M. Xavier Breton. Nous n’avons toujours pas les réponses !

M. Erwann Binet, rapporteur. Je ne vois donc pas dans votre argumentation, notamment sur le fond, de raison nouvelle justifiant le renvoi en commission.

J’ai entendu parler pour la centième fois du risque de la gestation pour autrui.

M. Jean-Frédéric Poisson. Il est bien réel !

M. Erwann Binet, rapporteur. Je vous ai entendu, monsieur Poisson, parler de polygamie, comme l’avez déjà fait à de nombreuses reprises. J’ai entendu M. Guaino affirmer une nouvelle fois que les termes « père » et « mère » disparaissaient dans ce projet de loi, ce qui est faux.

M. Xavier Breton. C’est inéluctable !

M. Erwann Binet, rapporteur. Je me dis donc qu’avec ces trois arguments, un renvoi en commission, quelle qu’en soit la durée, ne changerait rien à la qualité de nos débats.

J’aurais aimé enfin, sincèrement, que vous fussiez plus nombreux lors des auditions, et Marie-Françoise Clergeau aurait certainement apprécié que vous fussiez davantage présents lors de la réunion de la commission des affaires sociales.

Dès lors, comme je suis assez soucieux que la lumière ne soit pas braquée sur de nouvelles absences en commission, ce qui se retournerait contre vous, je suis évidemment défavorable à ce renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Patrick Hetzel. Ça, on l’avait compris !

Mme la présidente. Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisie par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Explications de vote

Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à M. Sébastien Denaja.

M. Sébastien Denaja. L’UMP prétend que le débat n’y a pas eu lieu alors que plus de cinquante heures d’auditions ont été remarquablement menées par Erwann Binet et que plus de vingt heures de discussions ont eu lieu en commission des lois, sans limite de temps de parole, comme en attestent les centaines de pages de comptes rendus que le rapporteur a eu raison de brandir. Rien ne justifie donc honnêtement et sérieusement le renvoi de ce projet de loi en commission. (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Une fois de plus, chers collègues du groupe UMP, vous utilisez un artifice qui vous éclaire sous une triste lumière, et ce n’est pas celle du progrès ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP – Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

la vérité, c’est que votre sensibilité politique s’oppose, aujourd’hui comme hier, à l’évolution de notre société. En 1999, vous aviez combattu le PACS. Or voilà qu’aujourd’hui, parce que chaque année près de 200 000 couples, essentiellement hétérosexuels d’ailleurs, vous donnent tort, vous en êtes devenus étrangement les nouveaux parangons.

Le texte dont nous débattons apporte plusieurs progrès évidents. Il crée des droits mais aussi des devoirs, monsieur Poisson, car le mariage, plus qu’un acte symbolique, c’est l’obligation de contribuer aux besoins de la famille, le devoir de solidarité envers les parents, l’accès à la succession. En cas de divorce, il ouvre des doits universels au conjoint : pension alimentaire, accès au logement. C’est donc offrir une protection juridique à des centaines de milliers de Françaises et de Français.

Enfin, il apporte une reconnaissance et une sécurité juridique à l’enfant, car c’est bien lui qui est la pierre angulaire de ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce sont des dizaines de milliers d’enfants que vous refusez de voir qui attendent d’une République fraternelle, fidèle à elle-même, une protection égale à tous les enfants de la nation.

Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur le député.

M. Sébastien Denaja. Notre responsabilité en tant que représentants du peuple consiste à favoriser cette égalité. Et parce que c’est notre responsabilité, nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Breton, pour le groupe UMP.

M. Xavier Breton. Les arguments développés par Jean-Frédéric Poisson montrent qu’il est indispensable de renvoyer ce texte en commission pour trois raisons.

Tout d’abord, le débat officiel public n’a pas eu lieu.

M. Henri Jibrayel. Ce n’est pas vrai !

M. Xavier Breton. Un vrai débat a lieu dans la société, dans les réunions que nous organisons, dans les médias, mais nous avons été privés d’un débat comme celui qui avait eu lieu sur la bioéthique avec Jean Leonetti. La mission d’information avait duré alors dix-sept mois et les états généraux six mois.

Les auditions qui ont eu lieu sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui étaient partiales (Protestations sur les bancs du groupe SRC) puisque les deux tiers des personnes auditionnées étaient favorables à ce projet, comme l’a rappelé Jean-Frédéric Poisson et comme j’ai pu le constater moi-même en assistant à ces auditions.

Ensuite, nous n’avons toujours pas eu de réponses à des questions que nous avons posées. Quelle est la conception de l’égalité ? Madame la ministre chargée de la famille, continuez-vous à dire que toute différence de droits entre les personnes relève d’une discrimination ? Si c’est le cas, il y a un vrai problème sur la conception de l’égalité du droit. Quelle conception a-t-on par ailleurs de l’altérité sexuelle ? Est-ce que l’homme et la femme cela signifie encore quelque chose dans notre société ? Est-ce complémentaire ou non ? En la matière, vous ne nous avez pas donné de réponse. Quelle est, de même, votre conception de la filiation ? Est-ce seulement la capacité à aimer des enfants ou existe-t-il un pilier biologique, corporel ? En ce qui nous concerne, nous vous avons fait part de nos conceptions et nous attendons vos réponses.

Enfin, l’amendement-balai qui a été présenté en commission des lois a été un vrai tour de passe-passe puisqu’il a fait tomber des dizaines d’amendements. Mais aucune véritable évaluation, notamment juridique, n’a été faite de cet amendement. Certains juristes estiment qu’il va trop loin, d’autres pas assez.

On le voit, ce texte doit retourner en commission afin d’aller au fond des choses. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Rochebloine, pour le groupe UDI.

M. François Rochebloine. La très grande majorité du groupe UDI votera la motion de renvoi en commission que vient de défendre excellemment Jean-Frédéric Poisson. Deux motifs convergents nous y incitent.

Adopter la motion de renvoi en commission, c’est permettre tout d’abord que le débat parlementaire reprenne sur des bases claires, sincères et complètes. Renoncer dans le mariage à la différence de l’homme et de la femme, du père et de la mère, c’est une révolution anthropologique, ce n’est pas une modification de quelques articles du code civil. Vous traitez un tel sujet à partir d’une information progressiste autoproclamée, mais vous n’avez le monopole ni du progrès, ni de la raison.

Vous invoquez les droits de l’homme. Ils ne se réduisent pas à la reconnaissance d’aspirations individuelles comme source du droit, selon une logique égalitaire formelle, artificielle.

Plusieurs députés du groupe SRC. Que pense M. Borloo de ce texte ?

M. François Rochebloine. Le renvoi en commission permettrait l’élargissement nécessaire de perspectives de débat que vous avez volontairement et abusivement réduites.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. François Rochebloine. Adopter la motion de renvoi en commission, c’est aussi vous donner, mesdames, messieurs de la majorité ainsi qu’au Président de la République, le temps d’une nouvelle réflexion. Vous invoquez le soutien populaire, les sondages favorables. Alors, chiche : sur une réforme qui, par nature, concerne tout le monde, pourquoi auriez-vous peur du référendum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) De quel droit priveriez-vous nos concitoyens de leur droit à une libre expression souveraine ?

Pour ces deux raisons, le groupe UDI, dans sa très grande majorité, votera la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour le groupe écologiste.

Mme Véronique Massonneau. Madame la présidente, nous ne pouvons nier la charge ironique d’une telle motion de renvoi en commission de la part de l’UMP. Lorsque l’on voit l’injure faite aux électeurs par M. Guaino et ses collègues en commission des affaires sociales quittant la salle après l’examen de deux amendements, on peut se demander où se trouve leur intérêt à y retourner sauf à enfin se montrer dignes de leur statut ? (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Plus de trente heures de débats ont eu lieu en commission des lois. Malgré cela, ils souhaitent y retourner. C’est, une nouvelle fois, particulièrement ironique de la part d’un groupe parlementaire qui nous explique que ce n’est pas un sujet prioritaire.

Monsieur Poisson, vous vous interrogez sur les conséquences d’un tel projet de loi. Moi qui suis d’origine belge, je peux vous assurer que le pays n’a pas sombré dans l’autodestruction après l’adoption du mariage pour les personnes du même sexe.

Vous vous interrogez également sur la nécessité de légiférer pour une minorité. Vous vous demandez si les civilisations doivent inclure dans la loi les évolutions constatées en leur sein. Ma réponse sera brève et simple : oui, il le faut. Ce n’est pas un cadeau pour les minorités, mais bien un pas vers l’égalité.

Pire encore : vous doutez de l’intérêt d’assurer à toutes les personnes les mêmes droits. Si votre vision de la société est celle d’un État d’inégalités, alors je vous invite à relire la devise de la France.

Enfin, votre hypocrisie autour du droit à l’enfant est insupportable. Oui, en France il existe déjà un droit à l’enfant, pas juridiquement certes, mais dans le sens de la liberté et ce texte ne l’inscrit pas davantage dans la loi qu’il ne l’est actuellement. C’est un choix individuel, un projet de couple et, d’ici peu, quelle que soit l’orientation sexuelle du couple. Ainsi, nous ne pouvons adhérer à vos arguments visant à renvoyer ce texte en commission. Le groupe écologiste votera donc contre la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe RRDP. (« Ah ! sur les bancs du groupe UMP.)

M. Alain Tourret. Madame la présidente, mes chers collègues, on nous propose de l’obstruction et de la flibuste ! Or nous ne voulons ni l’une ni l’autre.

Je rappelle à mes collègues de droite que nous avons entendu 120 personnes en commission ? J’ai assisté à presque toutes les auditions : où étiez-vous ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.)

M. Xavier Breton. Ce n’est pas un argument !

M. Alain Tourret. Quelques-uns étaient présents.

M. Pierre Lequiller. J’y étais !

M. Alain Tourret. Pas souvent, monsieur Lequiller !

Nous avons reçu 850 pages de rapports. À cet égard, je tiens à souligner ici la qualité de notre rapporteur Erwann Binet (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC écologiste et GDR) et sa qualité d’écoute, comme cela a été indiqué par de très nombreuses personnes qui ont été auditionnées. À quoi cela servirait-il donc de retourner en commission ? Sur quels sujets ?

M. Hervé Mariton. À cause de l’amendement-balai !

M. Alain Tourret. Nous avons presque tout étudié.

J’ai entendu les observations de M. Poisson qui est un homme de qualité…

M. Philippe Vitel. C’est pour cela qu’il faut l’écouter et renvoyer ce texte en commission !

M. Alain Tourret. …et je veux le lui dire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.) Mais il n’a pas peur du ridicule pour demander un renvoi en commission qui ne rime à rien.

Nous voulons débattre, nous ne voulons pas renvoyer aux calendes grecques ce projet que la France attend ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe GDR.

M. Gaby Charroux. Madame la présidente, cela fait déjà plusieurs années que le débat qui nous intéresse aujourd’hui se construit étape par étape, notamment avec le pacte civil de solidarité, dans le dessein de réduire toutes les discriminations dont ont été et sont encore victimes nombre de nos concitoyens.

Aujourd’hui, il est temps de franchir une étape nouvelle dans l’égalité d’accès pour toutes et tous aux droits et aux libertés garantis par notre République.

Le présent projet de loi précise que le mariage est un droit et qu’il n’est pas acceptable que des hommes et des femmes en soient écartés au prétexte qu’ils vivent leur projet de vie entre personnes de même sexe. Ce texte indique également que ces couples ont le droit de fonder une famille à travers l’adoption. Ce n’est que justice car ces hommes et ces femmes subissent une législation très en retard par rapport aux évolutions de notre société.

Il est temps de bouger. Voilà pourquoi le groupe des députés du front de gauche votera contre la motion de renvoi en commission et pour que le débat s’ouvre enfin. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste.)

Mme la présidente. Je mets voix la motion de renvoi en commission.

(Il est procédé au scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin sur la motion de renvoi en commission :

Nombre de votants 407

Nombre de suffrages exprimés 406

Majorité absolue 204

(La motion de renvoi en commission n'est pas adoptée.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt-deux heures :

Suite de la discussion du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures trente.)